Doctrine et Alliances

Contexte de la section 100



Eric Smith




À l’automne 1833, Freeman Nickerson, membre de l’Église âgé de cinquante-quatre ans, arriva en chariot à Kirtland (Ohio) et alla trouver Joseph Smith. F. Nickerson et sa femme, Huldah, venaient de Perrysburg (New York) et avaient été baptisés quelques mois plus tôt. F. Nickerson demanda au prophète de l'accompagner à Mount Pleasant (dans le Haut-Canada), pour prêcher l’Évangile à deux de ses fils, Moses et Eleazer Freeman. Mount Pleasant était un petit village situé à environ cent-soixante kilomètres à l’ouest de Buffalo (New York), entre les lacs Érié et Ontario. [1]

Moses Nickerson raconta plus tard qu’il avait été à l’origine de la demande de son père : « En juin [1833], alors que je rendais visite à mes parents, j’entendis parler pour la première fois de ce que l’on appelait alors le mormonisme ; la doctrine prêchée me plut ; je demandai donc à mes parents de demander que des anciens viennent nous voir au Canada.... En septembre de cette même année, mon père et ma mère allèrent à Kirtland (Ohio), au siège des Mormons et persuadèrent Joseph Smith et Sidney Rigdon de les accompagner au Canada. » [2]

Vives préoccupations de Joseph

En septembre 1833, Joseph Smith vivait à Kirtland avec sa femme, Emma, et deux jeunes enfants, Julia, deux ans et Joseph, troisième du nom, qui aurait bientôt son premier anniversaire. Ils avaient déjà perdu quatre jeunes enfants [3]. Le prophète, alors âgé de vingt-sept ans, avait déjà fait plusieurs voyages pendant lesquels il avait prêché le message de l’Évangile, mais jusqu’à présent, il n’avait pas fait de mission de prosélytisme officielle.

À cette époque, il était préoccupé par au moins deux choses qui auraient pu le retenir de quitter son foyer et sa famille pour longtemps. Le 9 août 1833, il avait appris que les efforts de l’Église pour fonder la ville de Sion à Independence, dans le comté de Jackson (Missouri), avaient été gravement contrariés. Des émeutiers avaient obligé les membres de l’Église à accepter de quitter le comté de Jackson d'ici au printemps 1834. Joseph écrivit directement aux saints affligés du Missouri : « Frères, si j’étais avec vous je prendrais part à vos souffrances et, bien que ma nature m’en retienne, mon esprit, avec l’aide de Dieu, ne vous abandonnerait pas à la mort ; Oh, prenez courage car notre rédemption approche ; Oh Dieu sauve mes frères en Sion. » [4]

Au même moment, Joseph devait aussi s’occuper d'une menace plus proche. Un ancien membre de l’Église, Dr. Philastus Hurlbut, après avoir été excommunié en juin 1833 pour conduite immorale, lança une violente campagne pour discréditer Joseph et l’Église. Sa méthode consistait à fomenter des persécutions localement, à voyager pour recueillir des déclarations négatives sur Joseph et à attenter à sa vie [5]. Les papiers du prophète de cette période qui ont été conservés, montrent qu’il était très inquiet au sujet des activités de P. Hurlbut. En août 1833, dans une lettre adressée aux membres du Missouri, il raconta : « [P. Hurlbut] ment si bien que les gens le suivent et lui donnent de l’argent pour faire tomber le mormonisme, ce qui met notre vie en danger. » [6] Dans son journal, quelques mois plus tard, le prophète déclara : « [P. Hurlbut] a cherché à détruire les saints de Kirtland et à me détruire, moi et ma famille. » [7] La situation était menaçante et l’issue incertaine.

Une prière pour obtenir du réconfort

Malgré ces problèmes, Joseph accepta l’invitation de F. Nickerson d’aller prêcher l’Évangile à sa famille au Canada, et Sidney Rigdon consentit à les accompagner. Le 4 octobre, le journal de Joseph rapporte sobrement : « en train de me préparer pour partir dans l’Est avec Freeman Nickerson ». Et le 5 octobre : « Nous partons aujourd’hui pour l’Est ». Leur mission d’un mois à travers le nord-ouest de la Pennsylvanie, le sud-ouest de l’État de New York et le sud de l’Ontario (Canada), couvrit environ huit cents kilomètres au total, au cours desquels ils s’arrêtèrent dans au moins dix villes ; ils prêchèrent dans beaucoup d’entre elles. Le prophète avait apporté son journal de poche, et Sidney et lui se relayaient pour y écrire de brèves chroniques sur leur voyage et leur prédication. [8]

Le 12 octobre, le petit groupe passa la pointe nord-ouest de la Pennsylvanie pour entrer dans l’État de New York et arriva chez Freeman et Huldah Nickerson à Perrysburg. Joseph Smith écrivit qu’il se sentait « très bien » dans son esprit, mais qu’il était « très inquiet » pour sa famille [9], sans doute en partie à cause de l’opposition qu’Hurlbut avait déclenchée à Kirtland. Cette inquiétude a pu pousser Joseph et Sidney à prier pour obtenir du réconfort. Une révélation reçue ce jour-là (maintenant Doctrine et Alliances 100) leur déclara : « En vérité, ainsi vous dit le Seigneur, à vous, mes amis Sidney et Joseph : Vos familles vont bien ; elles sont entre mes mains et je ferai d’elles ce qui me semble bon ; car tout pouvoir est en moi » (voir D&A 100:1) [10]. Apparemment, l'inquiétude du prophète ne disparut pas complètement. Le lendemain, il demanda au Seigneur de bénir sa famille et de la préserver, mais, à l’évidence, il trouva du réconfort dans ces paroles, comme en témoigne ce qu’il écrivit dans son journal à son retour à Kirtland, le 4 novembre, après sa mission : « J’ai retrouvé ma famille en bonne santé, comme le Seigneur l’avait promis. Bénédictions pour lesquelles je voudrais remercier son saint nom. Amen. » [11]

La révélation du 12 octobre traite de deux autres sujets. Déclarant : « Moi, le Seigneur j’ai permis que vous veniez en ce lieu, car cela m’était utile pour le salut d’âmes » (voir D&A 100:4), la révélation promettait à Joseph et Sidney : « une porte efficace sera ouverte dans les régions alentour dans ce pays de l’Est » (voir D&A 100:3). Si les missionnaires élevaient leur voix « en solennité de cœur, dans l’esprit d’humilité » et annonçaient les paroles que Dieu mettrait dans leur cœur, le Saint-Esprit serait déversé pour rendre témoignage de toutes les choses qu’ils diraient (voir D&A 100:7-8). La révélation donna aussi à Joseph et Sidney cette assurance : « Sion sera rachetée, bien qu’elle soit châtiée pour un peu de temps. » (voir D&A 100:13) [12]

Arrivée à Mount Pleasant

Le 18 octobre, le groupe arriva à destination dans le petit village de Mount Pleasant (dans le Haut-Canada). Sidney Rigdon donna des détails dans le journal de Joseph Smith : « Nous sommes arrivés chez [Eleazer] Freeman Nickerson dans le Haut-Canada, après avoir traversé (depuis que nous sommes entrés au Canada) un très beau pays bien cultivé. Nous avons ressenti des choses étranges tant en ce qui concerne le pays que les gens ; nous avons été reçus avec bienveillance. »

Joseph et Sidney passèrent les dix jours suivants à prêcher à de larges assemblées attentives à Mount Pleasant et dans plusieurs villages des environs. Le journal du prophète semble refléter une urgence et un enthousiasme associés à leur itinéraire chargé. Le 24 octobre, après une réunion à Mount Pleasant, Eleazer Freeman Nickerson déclara qu’il croyait pleinement en la vérité de l’œuvre. Le journal relate : « il va, avec sa femme qui est aussi convaincue, se faire baptiser dimanche ; il règne une grande agitation partout où nous sommes allés. » Ce dimanche 27 octobre, douze personnes se firent baptiser. Le lendemain deux autres suivirent leur exemple. Eleazer Freeman Nickerson, sa femme Eliza et Moses Nickerson furent au nombre de ceux qui se firent baptiser.

Le soir du 28 octobre, les missionnaires tinrent leur dernière réunion avec leur petit groupe à Mount Pleasant. Le lendemain matin, Sidney Rigdon écrivit dans le journal du prophète : « Avons eu une réunion hier soir. Frère E [leazer] F[reeman] Nickerson a été ordonné à l’office d’ancien. Avons eu une bonne réunion, une des sœurs a reçu le don des langues, ce qui a réjoui les saints. Que Dieu leur accorde plus de dons pour leur bien. Ce matin nous repartons chez nous, que le Seigneur protège notre voyage. Amen. » Joseph et Sidney repartirent en traversant le lac Érié et arrivèrent à Kirtland le 4 novembre. [13]

Deux semaines plus tard, Joseph Smith envoya une lettre à Moses Nickerson pour l’informer qu’il était rentré sain et sauf et pour faire part de ses sentiments envers la jeune branche de Mount Pleasant. Joseph écrivit : « J’attendrai une réponse de votre part à la réception de cette lettre et j’espère que vous me donnerez des nouvelles des frères, de leur santé, de leur foi etc. » Il continua : « Je peux affirmer que j’ai invoqué le Seigneur avec une grande ferveur pour nos frères au Canada. Et quand je me rappelle à quel point ils étaient prêts à recevoir la parole de vérité par le ministère de frère Sidney et moi-même, je suis dans l’obligation absolue de m’humilier en action de grâces devant lui. » Joseph implora ensuite Nickerson de rester fidèle à ses nouvelles convictions :

Vous vous souvenez du témoignage que j’ai rendu au nom du Seigneur Jésus, concernant la grande œuvre qu’il a révélée dans les derniers jours. Vous savez de quelle manière je m’exprime ; je vous ai déclaré humblement et simplement ce que le Seigneur m’avait révélé par le ministère de ses saints anges pour cette génération. Je prie le Seigneur de vous permettre de conserver précieusement ces choses dans votre esprit, car je sais que son Esprit témoignera à tous ceux qui recherchent diligemment la connaissance. J’espère que vous sonderez les Écritures, pour voir si ces choses ne sont pas en accord avec ce que les anciens prophètes et apôtres ont écrit. [14]

La branche de Mount Pleasant continua à grandir après le départ de Joseph et Sidney. Selon certaines sources, en décembre 1833, elle comptait trente-quatre membres [15]. Elle a pu avoir jusqu'à cinquante membres en quelques années [16]. Par la suite, la plupart des croyants émigrèrent pour rejoindre les saints aux États-Unis ou s’éloignèrent de l’Église. [17]

Freeman Nickerson, l’homme qui s’était rendu à Kirtland pour demander au prophète de prêcher à ses fils, fit partie de la compagnie du Camp de Sion en 1834 (Uriel et Lévi, deux de ses fils, l’accompagnèrent), il rejoignit les saints à Nauvoo et mourut en 1847 sur le territoire de l’Iowa pendant la migration vers l’Ouest. [18]

Moses Nickerson et Eleazer Freeman Nickerson rejoignirent les saints dans l’Ouest des États-Unis pendant un certain temps à la fin des années 1830, mais ils rentrèrent tous les deux au Canada au début des années 1840. Eleazer, qui décéda en 1862, semble s’être toujours considéré comme un saint des derniers jours [19]. Moses s’associa à deux autres confessions avant sa mort en 1871 [20]. Dans un mémoire poignant écrit vers la fin de sa vie, il exprima son admiration pour Joseph Smith, qu’il avait rencontré lors de sa visite à Nauvoo au début des années 1840 : « J’ai trouvé ici Joseph Smith vivant sous une tente, après avoir renoncé à sa maison pour en faire un hôpital pour les malades ! Il faisait tout ce qu’il pouvait pour soulager leurs souffrances. » [21]

La mission de Joseph Smith au Canada ouvrit « une porte efficace » à la prédication de l’Évangile et au salut des âmes à plus d’un titre. En 1836, l’apôtre Parley P. Pratt se rendit dans le Haut-Canada pour y prêcher l’Évangile. Il était accompagné de son frère, Orson, et d'Eleazer Freeman Nickerson. À Hamilton, dans le Haut-Canada, il fit la connaissance de Moses Nickerson. Ce dernier lui écrivit une lettre d’introduction pour un homme de Toronto qui étudiait beaucoup les Écritures, John Taylor. [22]

NOTES

[1] Journal, 1832-1834, Joseph Smith Papers ; notice biographique de Freeman Nickerson, JSP ; Richard E. Bennett, « A Study of the Church of Jesus Christ of Latter-day Saints in Upper Canada, 1830–1850 » (thèse de maîtrise, Université Brigham Young, 1975), p. 42 ; croquis géographique de Mount Pleasant (Haut-Canada), JSP. L’auteur remercie Melissa Rehon Kotter et Shannon Kelly de l’avoir aidé à rechercher cet article.

[2] Moses Nickerson, « Autobiography of Moses C. Nickerson », True Latter Day Saints’ Herald, 15 juillet 1870, p. 425 ; les sources antérieures n’indiquent pas si Huldah est allée à Kirtland puis a accompagné le groupe en mission au Canada.

[3] « Joseph Smith Pedigree Chart », JSP.

[4] Postscript de Joseph Smith dans une lettre d’Oliver Cowdery à William W. Phelps et d’autres personnes, le 10 août 1833, JSP.

[5] Journal, 1832-1834, JSP.

[6] Joseph Smith à William W. Phelps et d’autres personnes, 18 août 1833, JSP.

[7] Journal, 1832-1834, JSP.

[8] Journal, 1832-1834, JSP ; Richard Lloyd Anderson, « Joseph Smith’s Journeys », dans le 2006 Church Almanac (Salt Lake City : Deseret News, 2005), p. 141–142.

[9] Journal, 1832-1834, JSP.

[10] Révélation, 12 octobre 1833, JSP.

[11] Journal, 1832-1834, JSP.

[12] Révélation, 12 octobre 1833, JSP.

[13] Journal, 1832-1834, JSP ; Susan Young Gates [Homespun, pseud.], Lydia Knight’s History, Noble Women’s Lives Series 1 (Salt Lake City: Juvenile Instructor Office, 1883), p. 22 ; [William Goddard], « A Brief Descriptive History of the Mormons in Mount Pleasant » (non publié : 1980 ?), p. 6, exemplaire des collections spéciales de L. Tom Perry, Bibliothèque Harold B. Lee, Université Brigham Young, Provo (Utah).

[14] Joseph Smith à Moïse Nickerson, 19 novembre 1833, JSP.

[15] Moses Nickerson, lettre à l’éditeur, The Evening and the Morning Star, février 1834, p. 269.

[16] Bennett, « Study of the Church », p. 75 ; Goddard, « Mormons in Mt. Pleasant », p. 8-9 ; John P. Greene, lettre à l’éditeur, Latter-day Saints’ Messenger and Advocate, octobre 1834, p. 8.

[17] Bennett, « Study of the Church », chapitre 6 ; Goddard, « Mormons in Mt. Pleasant », p. 13-17.

[18] Notice biographique de Freeman Nickerson, JSP.

[19] Notice biographique d’Eleazer Freeman Nickerson , JSP.

[20] Notice biographique de Moses Chapman Nickerson, JSP.

[21] Nickerson, « Autobiography », p. 426 ; italiques dans l’original.

[22] Dans son autobiographie, Parley Pratt parle d’un « frère Nickerson » pour compagnon de voyage, écrit que Nickerson avait une maison au Canada et indique qu’une autre personne lui donna de l’argent et une lettre d’introduction pour John Taylor. Dans une lettre datée du 26 mai 1836, P. Pratt identifia ses compagnons de voyage comme étant « O. Pratt et F. Nickerson ». Comme Eleazer Freeman Nickerson vivait au Canada à cette époque (et qu’on l’appelait parfois par son deuxième prénom), et comme Freeman Nickerson (le père) vivait aux États-Unis, Eleazer Freeman était sans doute le « F. Nickerson » auquel P. Pratt faisait référence. John Taylor indiqua que l’homme qui écrivit la lettre d’introduction était Moses Nickerson. (Parley P. Pratt, The Autobiography of Parley Parker Pratt, One of the Twelve Apostles of the Church of Jesus Christ of Latter-day Saints…, éd. Parley P. Pratt Jr. [New York : Russell Brothers, 1874], p. 142, 145–46 ; Parley P. Pratt, lettre à l’éditeur, 26 mai 1836, Latter-day Saints’ Messenger and Advocate, mai 1836, p. 219 ; notices biographiques de Freeman Nickerson et Eleazer Freeman Nickerson, JSP ; « History of John Taylor by Himself », p. 10, Historian’s Office, Histories of the Twelve, CHL.)