Doctrine et Alliances


Contexte des sections 97, 98, 101



David W. Grua



Le 20 juillet 1833, des chefs d’émeutiers du comté de Jackson (Missouri, États-Unis) convoquèrent William W. Phelps et d’autres dirigeants de l’Église. Ils avaient un certain nombre de griefs contre les saints. Ils se sentaient menacés par leur conviction que le comté de Jackson était une terre promise qu’ils appelaient Sion. Ils désapprouvaient le grand nombre de personnes, pauvres pour la plupart, qui étaient arrivées au cours des deux années précédentes dans leur comté pour édifier Sion. Et du fait d’un article que William Phelps avait récemment publié dans le Evening and the Morning Star [1], traitant des exigences légales conçues pour réfréner l’immigration des noirs affranchis au Missouri, les émeutiers craignaient que de tels membres de l’Église commencent bientôt à se rassembler en Sion, perturbant la dynamique raciale de leur État esclavagiste.

Dans un éditorial suivant, William Phelps tenta de dissiper la tension entre les saints et les dirigeants du comté de Jackson, mais rien de ce qu’il écrivit ne leur fit changer d’opinion sur les intentions des saints. De l’avis des émeutiers, le temps des explications était révolu. Ils accordèrent à William Phelps et à ses collègues dirigeants de l’Église un quart d’heure pour accepter de déménager l’ensemble de la communauté mormone d’ici le printemps suivant, ou en cas de refus, d’en subir les conséquences.[2]

William Phelps et les autres dirigeants de l’Église hésitèrent. Joseph Smith avait reçu la révélation que le comté de Jackson était « le lieu pour la ville de Sion ». William W. Phelps avait été appelé par révélation à s’y installer avec sa famille, à monter une imprimerie et à « s’établi[r] comme imprimeur pour l’Église »[3]. Les saints avaient consenti à de grands sacrifices pour édifier Sion. Pouvaient-ils tout simplement l’abandonner ?

Sans la promesse que les saints partiraient, les émeutiers entamèrent une campagne d’intimidation violente. Ils défoncèrent la porte de la maison de William Phelps, jetèrent la presse d’imprimerie par la fenêtre du premier étage et détruisirent ensuite le bâtiment [4]. Il ne resta plus à la famille Phelps qu’à chercher refuge ce soir-là dans une étable abandonnée [5]. D’autres saints souffrirent également ce jour-là : l’évêque Partridge et Charles Allen furent couverts de goudron et de plumes et le magasin de Sidney Gilbert fut attaqué. Trois jours plus tard, Edward Partridge, William Phelps et d’autres dirigeants de l’Église, ne voyant aucune alternative, convinrent officiellement que tous les saints auraient quitté le comté d’ici avril 1834.[6]

Quelques jours plus tard, William Phelps, habituellement prolixe, écrivit à Joseph Smith, le prophète, qui était à Kirtland (Ohio, États-Unis) : « Dans notre situation actuelle, je n’ai rien à écrire. » Il voulait remplir son appel qui était d’édifier Sion mais ne voyait pas comment faire dans les circonstances présentes. Espérant que Joseph rechercherait par révélation pourquoi le Seigneur avait permis ce qui était arrivé à Sion, Il déclara : « J’attends la parole du Seigneur. Si le Seigneur parle encore à ses enfants, il serait bien de s’enquérir de tout ce qui concerne la destruction de l’imprimerie. » En attendant, William Phelps essaya de voir ses épreuves de façon positive. Dans une lettre, il assura aux saints de Kirtland : « Je sais par expérience que c’est une bonne chose que notre foi soit totalement éprouvée. »[7]

La réception de l’inspiration divine

Joseph Smith ne reçut la nouvelle détaillée de ces événements que le 9 août 1833, quand Oliver Cowdery, l’émissaire des saints du Missouri, arriva à Kirtland après un voyage de deux semaines et demie [8]. Les mille cinq cents kilomètres qui séparaient Independence de Kirtland garantissaient que les récits écrits envoyés par courrier ou publiés dans les journaux n’atteignent pas l’Ohio avant mi-août [9]. En attendant, Joseph avait reçu deux révélations (D&A 97 et 98) début août qui, bien qu’elles ne traitassent pas des problèmes précis rencontrés par les membres de l’Église du comté de Jackson le 20 juillet, offraient néanmoins des paroles de consolation et d’inspiration divines que William Phelps et d’autres saints du Missouri pourraient utiliser plus tard pour donner un sens à leurs expériences et à leurs souffrances.

Le 2 août 1833, Joseph Smith dicta la première révélation, qui constitue maintenant la section 97 de Doctrine et Alliances. Le Seigneur y fait l’éloge de l’école de l’Église dans le comté de Jackson et répète sa volonté « qu’une maison [… lui] soit bâtie au pays de Sion ». La révélation déclare que « si Sion fait ces choses, elle prospèrera, s’étendra et deviendra très glorieuse. […] Que Sion se réjouisse (car c’est là Sion : ceux qui ont le cœur pur). » Cependant, le Seigneur avertit que « la vengeance s’abattra rapidement […] sur les impies ». Sion échappera à ces catastrophes uniquement « si elle veille à faire toutes les choses que je lui ai commandées ». Sinon, « j’interviendrai contre elle selon toutes ses œuvres, par une grande affliction. »[10]

Le 6 août 1833, Joseph Smith reçut la deuxième révélation, qui constitue maintenant la section 98 de Doctrine et Alliances. Bien que le Seigneur encourageât les saints à soutenir la constitution américaine et l’État de droit, la révélation avertit que « quand le méchant domine, le peuple gémit ». En prévision des persécutions à venir, elle commandait aux membres de l’Église de renoncer à la guerre et de proclamer la paix. Lorsqu’ils souffraient des mauvais traitements infligés par des ennemis de l’Église, il était commandé aux saints de le supporter patiemment, de ne pas les insulter ni chercher à se venger [11]. Ces révélations furent envoyées dans une lettre aux saints du Missouri le 6 août, trois jours avant l’arrivée d’Oliver Cowdery à Kirtland [12]. Lorsqu’elles arrivèrent dans le comté de Jackson vers le début du mois de septembre, elles furent sans nul doute source de réconfort et d’instruction pour les saints tels que William Phelps, qui avaient attendu de recevoir l’inspiration divine.

« C’est après beaucoup de tribulations que viennent les bénédictions »

Prenant conseil des révélations de Joseph, les dirigeants de l’Église au Missouri s’efforcèrent de trouver une protection légale contre les émeutiers et leur demande de partir au printemps. En septembre et octobre 1833, ils demandèrent réparation auprès des autorités de l’État et embauchèrent des avocats pour représenter la cause des mormons devant les tribunaux. Les actions légales entreprises par les saints convainquirent les émeutiers qu’ils ne s’en iraient pas à moins d’être chassés. Avant que leur cas ne puisse être défendu en justice, les émeutiers s’étaient déjà livrés à nouveau à la violence.

Fin octobre et début novembre, une milice du comté de Jackson menaça les saints et les chassèrent ensuite de chez eux. Bien que des membres de l’Église fissent quelques efforts pour se défendre, il est évident qu’ils cherchèrent à suivre le conseil du Seigneur dans la révélation du 6 août (D&A 98) de supporter patiemment leurs persécutions [13]. Les 6 et 7 novembre, tandis qu’il vivait comme un réfugié dans le comté de Clay, juste au nord du comté de Jackson, William Phelps fit à Joseph Smith le premier récit détaillé de la violence, décrivant les coups infligés aux membres de l’Église, la destruction de leurs maisons, et même les effusions de sang de part et d’autre. Il le signa, « Bien à toi, dans l’affliction »[14]. La semaine suivante, alors que William Phelps continuait de penser à ce qui était arrivé, un passage du Nouveau Testament lui vint à l’esprit. Le 14 novembre, il écrivit : « Le Sauveur a dit : ‘Bénis êtes-vous quand vous êtes haïs de tous, à cause de mon nom’, et je pense qu’on en est là. »[15]

Lorsque, fin novembre et début décembre, cette lettre et d’autres rapports de l’expulsion arrivèrent les uns après les autres à Kirtland, Joseph rechercha à l’aide de la prière l’inspiration révélatrice que William Phelps et d’autres saints désiraient ardemment. Dans une lettre datée du 10 décembre, il rappela aux dirigeants de l’Église du Missouri qu’en 1831, le Seigneur avait déjà averti les membres de l’Église que c’est « après beaucoup de tribulations que viennent les bénédictions ». Bien que le Seigneur n’eût pas encore révélé pourquoi la grande calamité s’était abattue sur Sion ou par quel moyen Il allait lui restituer son héritage, Joseph restait confiant que Sion serait rachetée lorsque Dieu le jugerait bon. Le prophète conseilla aux saints de ne pas vendre leurs terres en Sion et les encouragea à chercher réparation auprès des autorités locales et fédérales. Si le gouvernement faisait défaut aux saints, ils devaient plaider avec le Seigneur « nuit et jour » pour que la justice divine intervienne. Joseph termina par une prière pour que Dieu se souvienne de ses promesses concernant Sion et délivre les saints.[16]

Les 16 et 17 décembre, Joseph dicta une longue révélation, maintenant Doctrine et Alliances 101, qui fournissait des réponses aux questions que William Phelps, d’autres saints et lui-même se posaient. Le Seigneur avait permis aux calamités de s’abattre « à cause de leurs transgressions [celles des saints] ». Néanmoins, le Seigneur déclara : « Malgré leurs péchés, mes entrailles sont remplies de compassion pour eux. » Bien que les saints soient dispersés, Sion ne serait « pas enlevée de sa place ». Au sujet de la rédemption de Sion, la révélation relate une parabole d’un « noble » qui a chargé ses serviteurs de protéger sa vigne. Pendant que les serviteurs se disputaient, « l’ennemi vint de nuit » et « détruisit leurs ouvrages et abattit les oliviers ». Le seigneur commande alors à son serviteur de prendre toute la force de sa maison et de racheter sa vigne. Réitérant l’affirmation de la constitution américaine dans Doctrine et Alliances 98, la révélation reprend le conseil que Joseph Smith avait donné plus tôt de rechercher réparation auprès des autorités civiles, avec une promesse que si les autorités du gouvernement rejetaient les requêtes des membres de l’Église, le Seigneur « sortira[it] de sa cachette et, dans sa furie, il tourmentera[it] la nation. »[17] Doctrine et Alliances 101 fournit au prophète un plan inspiré de Dieu pour la rédemption de Sion, un projet qui occuperait son attention le reste de ses jours.[18]

Début 1834, une copie de la révélation, qui deviendra Doctrine et Alliances 101, arriva au Missouri, fournissant à William Phelps la « parole du Seigneur »[19] qu’il attendait. Le 27 février, il écrivit à Joseph, le mettant au courant des efforts des saints pour que justice soit faite par le système judiciaire du Missouri. À la fin de sa lettre, il fit allusion à la révélation. William Phelps se demandait si « les serviteurs du seigneur de la vigne, qui sont appelés et choisis pour la tailler une dernière fois, craindraient de faire autant pour Jésus qu’il en avait fait pour eux ». Il répondit : « Non, nous obéirons à la voix de l’Esprit, afin que le bien l’emporte sur le monde. »[20]


NOTES


[1] Voir William W. Phelps, « Free People of Color », Evening and Morning Star, vol. 2, n° 14 (Juillet 1833), p. 218-219.

[2] Voir « To His Excellency, Daniel Dunklin, Governor of the State of Missouri », Evening and the Morning Star, vol. 2, n° 15 (Décembre 1833), p. 226-231.

[3] « Revelation, 20 July 1831 [D&C 57] », dans Revelation Book 1, p. 93-94, josephsmithpapers.org ; voir aussi D&A 57:2, 11.

[4] Voir « A History, of the Persecution, of The Church of Jesus Christ, of Latter Day Saints in Missouri », Times and Seasons, vol. 1, n° 2 (Décembre 1839), p. 17-20.

[5] Voir « Mary Elizabeth Rollins Lightner », Utah Genealogical and Historical Magazine, vol. 17 (Juillet 1926), p. 196.

[6] Voir « Letter from John Whitmer, 29 July 1833 », dans Joseph Smith Letterbook 2, page 54, josephsmithpapers.org.

[7] Post-scriptum de Phelps dans « Letter from John Whitmer, 29 July 1833 », p. 55-56.

[8] Présentation historique de « Letter to Church Leaders in Jackson County, Missouri, 10 August 1833 », josephsmithpapers.org.

[9] Voir Présentation historique de « Letter to Church Leaders in Jackson County, Missouri, 18 August 1833 », josephsmithpapers.org.

[10] « Revelation, 2 August 1833-A [D&C 97] », dans la lettre de Sidney Rigdon, Frederick G. Williams et Joseph Smith aux « Bien-aimés frères », 6 août 1833, josephsmithpapers.org ; voir aussi D&A 97:10, 18, 21-22, 25-26 ; « Revelation, 20 July 1831 [D&C 57] », dans Revelation Book 1, p. 93-94, josephsmithpapers.org.

[11] « Revelation, 6 August 1833 [D&C 98] », dans la lettre de Sidney Rigdon, Frederick G. Williams et Joseph Smith aux « Bien-aimés frères », 6 août 1833, p. 3, josephsmithpapers.org ; voir aussi D&A 98:5-6, 10, 16, 26. Cependant, la révélation stipulait également : « Si cet ennemi échappe à ma vengeance […] votre ennemi est entre vos mains et si vous le rétribuez selon ses œuvres vous êtes justifié s’il a cherché à vous ôter la vie » (« Revelation, 6 August 1833 [D&C 98] », p. 3 ; voir aussi D&A 98:28, 31).

[12] Présentation historique de « Letter to Church Leaders in Jackson County, Missouri, 6 August 1833 », josephsmithpapers.org ; Présentation historique de « Letter to Church Leaders in Jackson County, Missouri, 10 August 1833 », josephsmithpapers.org.

[13] Présentation historique de « Letter, 30 October 1833 », dans Gerrit J. Dirkmaat, Brent M. Rogers, Grant Underwood, Robert J. Woodford, et William G. Hartley, éds., Documents, Volume 3: February 1833-March 1834, vol. 3 de la série Documents de The Joseph Smith Papers, éd. Ronald K. Esplin et Matthew J. Grow (Salt Lake City: Church Historian’s Press, 2014), p. 331-335.

[14] « Letter from William W. Phelps, 6-7 November 1833 », dans Evening and the Morning Star, Décembre 1833, p. 119 ; josephsmithpapers.org.

[15] « Letter from William W. Phelps, 14 November 1833 », p. 119 ; voir aussi Matthieu 10:22.

[16] Joseph Smith, « Letter to Edward Partridge and Others, 10 December 1833 », dans Joseph Smith Letterbook 1, p. 71, 73, josephsmithpapers.org ; voir aussi « Revelation, 1 August 1831 [D&C 58] », dans Revelation Book 1, p. 94, josephsmithpapers.org.

[17] « Revelation, 16-17 December 1833 [D&C 101] », dans Revelation Book 2, p. 73-83, josephsmithpapers.org ; voir aussi D&A 101:2, 9, 17, 44, 51, 55-56, 89.

[18] Voir Mark Ashurst-McGee, « Zion Rising: Joseph Smith’s Early Social and Political Thought », PhD diss., Arizona State University, 2008 ; voir aussi Matthew C. Godfrey, « ‘The Redemption of Zion Must Needs Come by Power’: Insights into the Camp of Israel Expedition », BYU Studies Quarterly, vol. 53, n° 4 (2014), p. 125-146 ; Warren A. Jennings, « Importuning for Redress », Bulletin of the Missouri Historical Society, vol. 27 (1970), p. 15-29.

[19] Post-scriptum de Phelps dans « Letter from John Whitmer, 29 July 1833 », p. 55.

[20] « Letter from William W. Phelps, 27 February 1834 », dans Evening and the Morning Star, Mars 1843, p. 139 ; josephsmithpapers.org.