Entretien entre Thomas Ford, gouverneur d'Illinois, et Joseph Smith

 

le 26 juin 1844

 



Propos rapportés par John Taylor

 

 



Le gouverneur Ford : Général Smith, je crois que vous m'avez donné, dans les documents qui m'ont été envoyés par le Dr Bernhisel et M. Taylor, un aperçu général des difficultés qui ont existé dans le pays ; mais malheureusement il semble qu'il y ait une divergence entre vos affirmations et celles de vos ennemis. Il est vrai que les preuves et les attestations sont de votre côté, mais il doit y avoir une raison à l'excitation tout à fait extraordinaire qui existe maintenant dans le pays et j'attribue le dernier éclat à la destruction de l'Expositor et à votre refus de vous conformer au mandat délivré par M. Morrison. La presse aux États-Unis est considérée comme le grand bastion de la liberté américaine, et sa destruction à Nauvoo a été décrite et considérée comme une mesure arbitraire et manifeste pour le peuple des dispositions de votre part à étouffer la liberté de parole et de la presse ; ceci avec votre refus de vous conformer à la requête d'un mandat, est à mon sens la cause principale de cette difficulté ; de plus vous m'avez été décrit comme réfractaire aux lois et aux institutions de votre pays.

Le général Smith : Monsieur, en tant que gouverneur de cet État, vous êtes au courant des poursuites et des persécutions que j'ai subies. Vous savez bien que notre manière d'agir a été paisible et respectueuse des lois, car depuis le moment de notre installation ici, j'ai fourni à cet État suffisamment de preuves de mes intentions pacifiques et de celles du peuple avec lequel je suis lié, par la façon dont nous avons supporté toutes les indignités et tous les outrages illégaux que l'on puisse concevoir, qui ont été perpétrés contre moi et contre mon peuple depuis notre installation ici, et vous savez vous-même que je vous ai bien tenu au courant de toutes les questions relatives aux récentes difficultés. Si vous n'avez pas reçu certaines de mes lettres, cela n'a pas été de ma faute.

      Conformément à vos ordres, j'ai réuni la Légion de Nauvoo pour protéger Nauvoo et la campagne avoisinante contre une bande armée de maraudeurs, et depuis le moment même où elle a été levée, je vous ai écrit presque tous les jours concernant tous les événements importants qui se sont produits ; que ce soit en tant que maire de la ville ou général de division de la Légion de Nauvoo, je me suis efforcé de conserver la paix et de rendre à tous une justice équitable ; mais mes motifs sont mis en doute, mes actes sont déformés et on déblatère contre moi d'une manière vile et perverse. Je suppose que je dois mon incarcération ici au serment d'un homme indigne qui fut traduit devant moi et condamné à une amende pour avoir insulté et maltraité son frère invalide et incapable de se défendre.

      Je suis surpris que vous, monsieur, qui êtes mieux informé que cela, m'accusiez d'agir à l'encontre de la loi. Est-ce les mormons ou nos ennemis qui ont été les premiers à commencer ces difficultés ? Vous savez bien que ce n'était pas nous ; et quand ces gens turbulents et indignes ont commencé leur mouvement insurrectionnel, je vous ai informé officiellement, ai demandé votre conseil et suivi strictement vos avis dans les moindres détails.

      Qui a ordonné à la Légion de Nauvoo de sortir ? Moi, sous votre direction. Dans quel but ? D'arrêter ces mouvements insurrectionnels. C'est sur vos instances, monsieur, que j'ai publié une proclamation invitant la Légion de Nauvoo à être prête d'un moment à l'autre à se défendre contre les incursions de populaces, et j'ai donné un ordre dans ce sens à Jonathan Dunham, général de division faisant fonction. Dois-je donc être accusé des actes des autres, et parce que l'illégalité et la voyoucratie abondent, faut-il que lorsque j'exécute vos instructions je sois accusé de ne pas respecter la loi ? Pourquoi se fait-il que je doive être tenu pour responsable des actes d'autres hommes ? S'il y a des troubles dans le pays, cela ne vient ni de moi ni de mon peuple, et tout ce que nous avons jamais fait, après beaucoup de persévérance de notre part, c'est défendre et soutenir la Constitution et les institutions de notre pays et protéger un peuple insulté, innocent et persécuté contre la mauvaise administration et la violence de la populace.

      Concernant la destruction de la presse dont vous parlez, les hommes peuvent être quelque peu en désaccord dans leur opinion à ce sujet ; mais peut-on s'imaginer qu'après toutes les indignités auxquelles nous avons été soumis à l'extérieur, que notre peuple pouvait tolérer qu'une clique de vauriens et de vagabonds entrent dans notre ville et sous nos yeux mêmes et sous notre protection nous dénigrent et nous calomnient, non seulement nous-mêmes, mais la réputation de nos épouses et de nos filles, comme cela a été fait avec impudence et sans vergogne dans cette feuille infâme et malpropre ? Il n'y a pas une ville aux États-Unis qui aurait toléré pareille indignité pendant 24 heures.

      Notre peuple tout entier était rempli d'indignation et a réclamé à grands cris auprès des autorités de notre ville réparation des torts qui lui étaient faits, et si nous ne nous en étions pas occupés, il aurait lui-même pris l'affaire en mains et aurait sommairement puni les audacieux misérables comme ils le méritaient.

      Les principes de l'égalité des droits qui ont été inculqués dans notre sein depuis le berceau, en tant que citoyens américains, nous interdisent de nous soumettre à toutes les indignités répugnantes et de succomber et de nous prêter au comportement de misérables aussi infâmes que ceux-ci. Mais indépendamment de ceci, nous avons considéré que la façon de faire que nous avons adoptée était strictement légale ; car en dépit de l'insulte nous étions vivement désireux de nous laisser gouverner d'une manière stricte et par conséquent nous avons rassemblé le conseil municipal ; et étant désireux dans nos délibérations de respecter la loi, nous avons convoqué un conseiller juridique pour qu'il soit présent en cette occasion.

      En examinant l'affaire, nous avons constaté que la charte de notre ville nous donnait le pouvoir d'éliminer tout ce qui est de nature à être une gêne pour le public ; et en outre, lorsque nous avons consulté Blackstone sur ce qui pourrait être considéré comme étant de nature à nuire au public, ce juriste distingué qui est, je crois, considéré comme une autorité dans tous nos tribunaux, dit, entre autres choses, qu'une presse diffamatoire et malpropre était considérée comme une nuisance publique et devait être abolie comme telle.

      Ainsi donc un des éminents avocats anglais, dont les œuvres sont considérées comme faisant autorité chez nous, déclare qu'une presse diffamatoire peut être considérée comme une nuisance publique ; et notre propre charte, qui nous a été donnée par le gouvernement de notre État, nous donne le pouvoir d'éliminer les nuisances ; et en ordonnant que cette presse soit détruite comme nuisance publique, nous estimions que nous agissions d'une manière strictement conforme à la loi. Nous avons émis cet ordre en notre qualité de conseil municipal, et le City Marshall [commissaire de police] l'a exécutée. Il se peut qu'il y ait eu une meilleure manière de faire, mais je dois confesser que je n'ai pas pu la découvrir.

      Pour ce qui est du mandat qui nous a été signifié, nous étions disposés à supporter les conséquences de nos actes, mais nous n'étions pas disposés, en répondant à un mandat de ce genre, à nous soumettre aux exactions illégales que l'on cherchait à nous imposer sous le couvert de la loi, alors que nous savions qu'elles en constituaient une violation flagrante.

      Lorsque ce document me fut présenté par M. Bettisworth, je proposai, en la présence de plus de vingt personnes, de me rendre devant n'importe quel autre magistrat, soit dans notre ville, soit à Appanoose ou en n'importe quel autre endroit où nous serions en sécurité, mais nous avons tous refusé de nous mettre entre les mains d'une populace.

      Quel droit ce policier avait-il de refuser notre demande ? Selon la loi, il n'en avait aucun ; car vous savez, Monsieur le gouverneur, que la loi statutaire en Illinois est que les parties à qui est signifié le mandat comparaîtront devant celui qui l'a lancé ou devant un autre juge de paix. Pourquoi devrions-nous donc être traînés à Carthage où la loi ne nous oblige pas à aller ? Ceci ne ressemble-t-il pas à beaucoup d'autres de ces poursuites dont nous avons été l'objet et que vous connaissez ? Et n'avions-nous pas le droit de nous attendre à une perfidie ?

      Cet acte était une infraction à la loi de sa part : l'exercice d'un pouvoir qui ne lui appartenait pas est une tentative, au moins, de nous priver de nos droits légaux et constitutionnels. Dans de telles circonstances que pouvions-nous faire d'autre que ce que nous avons fait ? Nous avons réclamé et obtenu auprès du tribunal municipal un mandat d'habeas corpus, par lequel nous fûmes délivrés des mains du policier Bettisworth et cités à comparaître devant le tribunal municipal et acquittés par lui.

      Après notre acquittement, dans une conversation avec le juge Thomas bien qu'il considérât illégaux les actes du requérant, il nous dit que pour satisfaire le peuple nous ferions mieux de comparaître devant un autre magistrat qui n'était pas de notre Église. Conformément à son conseil, nous nous présentâmes devant Esq. Wells, que vous connaissez bien ; les deux parties étaient présentes, des témoins furent appelés de part et d'autre, l'affaire fut examinée en profondeur et nous fûmes de nouveau acquittés.

      Et pourquoi ce prétendu désir de faire appliquer la loi et ces rumeurs viles et mensongères sont-elles mises en circulation, si ce n'est pour chercher, par l'influence de la populace, sous le couvert de la loi, à nous obliger à nous soumettre à des exigences qui sont contraires à la loi et opposées à tous les principes de la justice ?

      Et lorsque vous, monsieur, nous avez demandé de venir ici, nous sommes venus, non parce que c'était légal, mais parce que vous l'exigiez de nous et que nous étions désireux de vous montrer, à vous et à tous les hommes, que nous ne reculions pas devant l'examen le plus rigide de nos actes.

      Nous nous attendions certainement à un autre traitement que d'être emmurés dans une prison à la demande de ces hommes, un traitement auquel, je pense, nous avions droit, d'après la promesse que vous nous aviez faite, après avoir renvoyé nos forces dans leurs foyers et nous être entièrement remis entre vos mains ; et maintenant, après avoir fait ma part, monsieur, comme homme et comme citoyen américain, je fais appel à vous, monsieur le gouverneur, et je pense que j'ai le droit de le faire, de nous délivrer de ce lieu et de nous sauver de cet outrage que cherche à nous infliger une bande d'infâmes scélérats.

Le gouverneur Ford : Mais vous avez mis des hommes en état d'arrestation, détenu des hommes comme prisonniers et donné des laissez-passer à d'autres : j'en ai vu certains.

John P. Green, City Marshall : Je pourrais peut-être expliquer cela. Depuis le début de ces difficultés, nous avons été mis, vous vous en rendez compte, dans des circonstances très particulières ; notre ville a été placée sous une garde de police très rigide ; outre ceci, des gardes fréquentes ont été postées en dehors de la ville pour empêcher toute attaque surprise, et ces gardes ont interrogé les personnes soupçonnées ou suspectes pour savoir ce qui les amenait en ville.

      Dans certains cas, des laissez-passer ont été donnés à des étrangers pour éviter qu'ils aient des difficultés à passer devant ces gardes. Ce que vous avez vu, ce sont certains de ces laissez-passer. Personne, monsieur, n'a été emprisonné dans notre ville sans cause légale.

Le gouverneur Ford : Pourquoi n'avez-vous pas donné une réponse plus prompte au détachement que j'ai envoyé ?

Le général Smith : Nous avions des affaires importantes sur lesquelles nous devions nous consulter. Votre lettre était loin de manifester un esprit amical. Nous avons immensément souffert des populaces au Missouri sous forme de perte de biens, d'emprisonnement et autrement.

      Il nous a fallu un certain temps pour dûment soupeser ces questions. Nous ne pouvions prendre une décision immédiate sur des questions d'une telle importance, et votre détachement a été trop pressé de retourner. Nous tenions consultation pour un vaste peuple et de très grands intérêts étaient en jeu.

      Nous avions été honteusement trompés et ne savions pas dans quelle mesure nous pouvions faire confiance à qui que ce fût ; en outre, une question se posa nécessairement : comment allions-nous venir ? Votre requête était que nous devions venir sans armes. Ce devint une question de grande importance de décider dans quelle mesure on pouvait se fier aux promesses et à quel point nous étions à l'abri de la violence de la populace.

Geddes : Il est certain, d'après tout ce que j'ai entendu, après l'esprit de violence et de voyoucratie généralisée qui règne ici, qu'on avait certainement l'impression qu'il n'était pas sûr pour vous de venir sans protection.

Le gouverneur Ford : Je crois que le détachement ne vous a pas laissé suffisamment de temps pour tenir consultation et vous préparer. Ils étaient trop pressés ; mais je suppose qu'ils se sentaient liés par les ordres qu'ils avaient reçus. Je pense aussi qu'il y a pas mal de vrai dans ce que vous dites, et votre raisonnement est plausible. Cependant je me permettrai de ne pas être d'accord avec vous en ce qui concerne les actes du conseil municipal. Ce conseil, à mon avis, n'avait pas le droit d'agir dans le domaine du législatif [exécutif], ni dans celui du judiciaire.

      Il aurait dû passer une loi sur la question et ensuite le tribunal municipal, sur plainte, aurait pu la supprimer ; mais à mon avis c'était une erreur de la part du conseil municipal de prendre sur lui l'élaboration de lois et l'exécution de lois ; en outre, ces hommes auraient dû être entendus avant que l'on ne détruisît leurs biens ; les détruire sans cela constituait une violation de leurs droits ; en outre il est tout à fait contraire aux sentiments du peuple américain de s'immiscer dans la presse.

      Et en outre, je ne peux faire autrement que penser qu'il aurait été plus judicieux de votre part d'accompagner M. Bettisworth à Carthage malgré le fait que la loi ne l'exigeait pas. Pour ce qui est du fait que vous êtes en prison, je le regrette, j'aurais voulu qu'il en fût autrement. J'espère que vous serez bientôt libérés, mais je ne peux pas intervenir.

Joseph Smith : Monsieur le gouverneur, permettez-moi d'attirer votre attention sur une chose que vous semblez avoir perdu de vue. Vous dites que vous pensez qu'il aurait mieux valu que nous nous soumettions à la requête du policier Bettisworth et allions à Carthage.

      Ne savez-vous pas, monsieur, que ce mandat fut lancé sur les instances d'une populace anti-mormone qui avait passé des résolutions et les avait publiées, disant qu'elle exterminerait les dirigeants mormons ; et ne savez-vous pas que le capitaine Anderson fut non seulement menacé tandis qu'il se rendait à Nauvoo, mais que cette même populace tira un coup de fusil sur son bateau à Warsaw tandis qu'il montait vers Nauvoo, et que c'est cela même qui a été utilisé comme moyen pour nous faire tomber dans leurs mains, et nous ne pouvions pas, sans nous faire accompagner d'une force armée, nous rendre là-bas sans nous jeter, selon leurs déclarations publiées, dans les griffes de la mort ?

      Nous faire accompagner d'une force armée aurait non seulement alimenté l'excitation, car on aurait dit que nous voulions faire usage d'intimidation ; par conséquent nous avons considéré que la chose la plus judicieuse à faire était de profiter de la protection de la loi.

Le gouverneur : Je vois, je vois.

Joseph Smith : En outre, pour ce qui est de la presse, vous dites que vous n'êtes pas d'accord avec mon opinion. Soit ; après tout, l'affaire est une difficulté légale et je considère que les tribunaux sont compétents pour décider de la question.

      Si notre action était illégale, nous sommes disposés à en répondre ; et bien que je ne saisisse pas la distinction que vous faites dans les actes du conseil municipal et la différence que cela aurait pu constituer sur le plan des faits, de la loi ou de la justice que le conseil municipal ait agi conjointement ou séparément ou à quel point il aurait été plus légal que le tribunal municipal, qui faisait partie du conseil municipal, agît séparément au lieu d'agir avec les conseillers, cependant si l'on juge que nous avons mal agi en détruisant cette presse, nous ne refusons pas d'en payer le prix. Nous désirons nous conformer à la loi dans tous les détails et sommes responsables de nos actes. Vous dites que les parties auraient dû être entendues. Si cela avait été un procès civil, ceci aurait certainement été approprié ; mais il y avait là une violation flagrante de tous les principes du droit, une nuisance publique, et elle fut supprimée selon le même principe que l'on aurait écarté toute nuisance, puanteur ou cadavre en putréfaction.

      Par conséquent, notre première mesure a été de mettre fin à cette feuille répugnante, nuisible et infecte ; et la suivante, à notre avis, aurait été de poursuivre ces hommes en justice pour infraction à la décence publique.

      Je voudrais dire en outre, monsieur le gouverneur, que j'attends de vous que vous nous protégiez. Je crois que vous parlez d'aller à Nauvoo ; si vous y allez, monsieur, je souhaite vous accompagner. Je ne refuse pas de répondre devant une loi quelle qu'elle soit, mais je ne me considère pas en sécurité ici.

Le gouverneur : J'espère que vous serez acquitté, mais si je pars, je vous emmènerai certainement. Je ne crains cependant aucun danger. Je pense que vous êtes parfaitement en sécurité, que ce soit ici ou n'importe où ailleurs. Je ne peux toutefois m'opposer à la loi. Je me trouve dans des circonstances particulières et il semble que tous les partis jettent le blâme sur moi.

Joseph Smith : Monsieur le gouverneur, je ne demande que ce qui est légal. J'ai le droit d'attendre d'être protégé au moins de vous ; car indépendamment de la loi, vous avez donné votre parole et celle de l'État de me protéger et je souhaite aller à Nauvoo.

Le gouverneur : Et vous serez protégé, général Smith. Je n'ai pas fait cette promesse sans consulter les officiers, qui se sont tous engagés sur leur honneur à veiller à ce qu'elle s'accomplisse. Je ne sais pas si j'irai à Nauvoo demain, mais si j'y vais je vous emmènerai.

 

 

Source : History of the Church, vol. 6, p. 579-585