Histoire de
l'Église
Première
partie :
1820-1831, Antécédents, fondation et période de
New York,
par Richard L. Bushman et Larry C. Porter
Deuxième
partie :
1831-1844,
Périodes de l’Ohio, du Missouri et de Nauvoo,
par Milton V. Backman, fils et Ronald K. Esplin
Troisième
partie :
1844-1877,
périodes de l’exode et du début de l’Utah,
par Leonard J. Arrington et Dean L. May
Quatrième
partie :
1878-1898,
Fin de la période pionnière d’Utah,
par Gene A. Sessions et William G. Hartley
Cinquième
partie :
1898-1945,
Transitions : Période du début du vingtième
siècle,
par Richard W. Sadler et Ronald W. Walker
Sixième
partie :
1945-1990,
période internationale suivant la Deuxième Guerre
mondiale,
par James B. Allen et Richard O. Cowan
Première
partie : 1820-1831 : Antécédents, fondation
et période de New York,
par Richard
L. Bushman et Larry C. Porter
La
création de l’Église de Jésus-Christ des
saints des derniers jours commence dans les années 1820 par
des événements qui se produisent principalement dans
l’État de New York. Le prophète Joseph Smith
reçoit sa première vision en 1820, obtient les plaques
d’or du Livre de Mormon sur la colline Cumorah en 1827, reçoit
l’autorité de la prêtrise en 1829 et organise
officiellement l’Église le 6 avril 1830. Avant que
celle-ci ne quitte New York pour l’Ohio au début de
1831, elle aura été organisée et sa direction de
base aura été clairement établie.
Dans
ses années formatrices, l’Église naissante va
surtout apprendre à compter sur la révélation
pour la diriger. Joseph Smith, qui est jeune et peu instruit, ne
prétend pas élaborer la doctrine de la nouvelle Église
tout seul. Des révélations directes de Dieu le
conduisent pas à pas. L’idée sans doute la plus
révolutionnaire dans l’Église est sa croyance en
une révélation chrétienne au-delà de la
Bible. Les saints des derniers jours n’ont jamais douté
de l’inspiration de la Bible ; elle a été un
principe essentiel dès le commencement. Leur expérience
va cependant les amener à se rendre compte que Dieu a aussi
parlé à des prophètes qui n’étaient
pas repris dans ce canon conventionnel d’Écriture :
c’est le Livre de Mormon qui va le leur montrer (2 Né.
29:10-14) et ils vont entendre Joseph Smith parler avec la même
autorité que les apôtres et les prophètes
bibliques. En conséquence, les saints des derniers jours vont
commencer à concevoir autrement la révélation et
le principe de la révélation continue va
considérablement déranger les autres chrétiens,
mais, dès le commencement, rien ne sera plus fondamental pour
l’Église.
L’histoire
de l’Église commence par la famille de Joseph Smith,
père, et de Lucy Mack Smith, parents du prophète, qui,
avec des milliers d’autres habitants de la Nouvelle-Angleterre
se répandent dans l’État de New York au début
du dix-neuvième siècle à la recherche de
meilleures terres. Ils apportent leur intensité religieuse
calviniste, mais avec une ardeur modifiée par les nouvelles
conditions de vie de l’Amérique républicaine et
pluraliste. Ils ont longtemps recherché sans succès une
religion sur laquelle ils pouvaient compter. Le nombre croissant de
confessions chrétiennes et une foule de nouvelles influences
intellectuelles provenant des Lumières font qu’il est
plus difficile d’adopter une foi religieuse que quand le
congrégationalisme prédominait en Nouvelle-Angleterre.
Joseph Smith commence sa recherche du salut par la question de savoir
quelle Église est la vraie. Cette question s’impose
probablement à lui à cause de l’incertitude de
ses parents et de la multiplicité des Églises –
presbytérienne, baptiste, méthodiste, quaker –
dans son propre village.
Au
début du printemps de 1820, poussé par des réveils
religieux évangéliques, Joseph Smith demande à
Dieu de lui indiquer la vraie religion. Bien que n’ayant que
quatorze ans, il a confiance en la promesse biblique qu’il
pourra obtenir une réponse (Ja. 1:5). Il va dans les bois près
de chez lui, se met à genoux et prie. Dans ses récits
de l’événement, il témoigne que la réponse
qu’il reçoit l’étonne. Dieu le Père
et Jésus-Christ apparaissent et lui disent de ne se joindre à
aucune des Églises existantes. Il reçoit l’assurance
que Dieu l’agrée, s’entend dire beaucoup de choses
qu’il ne peut pas mettre par écrit, après quoi la
vision prend fin, le laissant accablé. Les saints des derniers
jours considèrent cette révélation du Père
et du Fils comme l’événement qui inaugure le
rétablissement de l’Évangile.
Pendant
trois ans et demi, Joseph ne reçoit aucune autre communication
des cieux. Se demandant s’il ne s’est pas disqualifié
pour cause d’indignité, Joseph se livre à la
prière le soir du 21 septembre 1823, quand, à son grand
étonnement, un ange lui apparaît dans la chambre et
annonce qu’il est Moroni et qu’il vient avec des
instructions de Dieu. Il lui parle d’annales écrites sur
des plaques d’or donnant l’histoire des anciens habitants
de l’Amérique. Le Sauveur ressuscité,
Jésus-Christ, était apparu à ces gens et leur
avait donné la plénitude de l’Évangile.
L’ange ajoute que les plaques ont été enterrées
dans une colline près de chez Joseph. Au cours de la nuit, il
revient à trois reprises, remettant le même message de
base et ajoutant chaque fois d’autres informations. Bien
qu’épuisé, Joseph se rend le lendemain à
la colline et trouvé les plaques déposées dans
une boîte en pierre juste au-dessous de la surface du sol, mais
il ne lui est pas permis de les retirer. L’ange apparaît
de nouveau et lui dit qu’il doit revenir le même jour, le
22 septembre, l’année suivante. Pendant les quatre
années qui suivent, Joseph va scrupuleusement retourner à
cet endroit. Le 22 septembre 1827, il est finalement autorisé
à prendre possession des plaques.
Les
événements de l’intervalle de quatre ans entre
1823 et 1827 vont sans aucun doute aider Joseph Smith à mûrir
en vue des responsabilités et des difficultés qu’il
va rencontrer plus tard. Certains indices font penser que son père
se livrait à la chasse aux trésors, une activité
courante parmi les fermiers pauvres de la Nouvelle-Angleterre qui
espéraient découvrir, grâce à la magie, de
l’argent enterré, et Joseph devra se dégager des
idées erronées de cette superstition. L’ange dit
à Joseph qu’une des raisons pour lesquelles il a dû
attendre pour recevoir les plaques d’or est que son esprit
s’est attardé sur leur valeur monétaire (PWJS, p.
7). En novembre 1825, Joseph et son père travaillent
brièvement avec un homme appelé Josiah Stowell de South
Bainbridge (New York) qui croit qu’un trésor espagnol se
trouve à Harmony (Pennsylvanie), près du fleuve
Susquehannah. L’entreprise ne donne rien et les Smith prennent
graduellement leurs distances par rapport aux fouilles de leurs
voisins à la recherche d’argent, pour se concentrer sur
la mission religieuse décrite par l’ange. Conséquence
heureuse des travaux entrepris à Harmony, Joseph y rencontre
Emma Hale et l’épouse le 18 janvier 1827. Entre-temps,
Alvin, son frère aîné, décède ;
Joseph se fait arrêter en 1826 comme « glass
looker » en vertu d’une loi new-yorkaise qui rend
illégal « le fait de dire la bonne aventure ou
l’endroit où l’on peut trouver des objets perdus
ou volés » (voir la définition légale
de « Disorderly Persons », The Justice’s
Manual, Albany, New York, 1829, p. 144) et ses parents perdent leur
ferme parce qu’ils n’arrivent pas à effectuer le
dernier paiement sur leur hypothèque. Ces malheurs, ainsi que
d’autres expériences, vont approfondir et fortifier le
jeune homme qui apprend à discerner le bien du mal et à
supporter l’opposition.
Une
fois que Joseph a obtenu les plaques en 1827, les voisins curieux et
parfois malveillants de Manchester et de Palmyra le mettent dans
l’impossibilité de commencer le travail de traduction.
Ils fouillent de fond en comble la maison et la grange des Smith et
ce n’est qu’en déplaçant et en cachant
constamment les plaques qu’il réussit à assurer
leur sécurité. Il lui a été strictement
défendu de les montrer à qui que ce soit, mais cela ne
satisfait pas les chercheurs de curiosités. Alva, le frère
d’Emma, propose son aide ; il transporte le couple avec
ses affaires et les plaques – cachées dans un tonneau –
à Harmony, en Pennsylvanie, à deux cents kilomètres
de là, où le père d’Emma habite. Joseph
obtient de son beau-père, Isaac Hale, un terrain et une petite
maison. C’est là que la traduction va commencer.
Martin
Harris, un voisin de Palmyra bien disposé, va s’intéresser
suffisamment aux plaques pour rendre visite à Joseph à
Harmony. Avec les plaques, Joseph a reçu un instrument appelé
interprètes, ou urim et thummim, qui va lui permettre de
traduire les caractères gravés sur les plaques
métalliques. Joseph copie quelques caractères que
Martin va porter à des linguistes à Albany et à
New York pour vérifier le travail de Joseph. Il y a une
certaine confusion au sujet de ce qui s’est passé lors
de ces entretiens, mais il ne fait pas de doute que Martin Harris a
été satisfait. Quand il revient à Harmony, il se
propose pour écrire sous la dictée pendant que Joseph
traduit. Entre le 12 avril et le 14 juin 1828, ils vont à eux
deux remplir 116 pages de manuscrit. C’est à ce
moment-là que Harris, qui subit les doutes de sa femme au
sujet de l’existence des plaques, demande la permission de lui
montrer le manuscrit ainsi qu’à quatre autres membres de
la famille. Joseph Smith cède à contre-cœur.
Plusieurs semaines se passent sans aucune nouvelle de Martin. Joseph
décide alors de se rendre chez ses parents à Manchester
(New York) pour lui demander des comptes. Martin, désespéré,
lui avoue qu’il ne retrouve pas le manuscrit. Cédant aux
instances de son entourage, il a montré le manuscrit aux
voisins contrairement à ce qui avait été convenu
et quelqu’un l’a volé.
À
l’occasion de cette crise, Joseph reçoit, par l’urim
et le thummim, une révélation dans laquelle le Seigneur
le réprimande vertement. Il le tient plus que Martin pour
responsable de la perte du manuscrit. « Tu n’aurais
pas dû craindre l’homme plus que Dieu », lui
dit-il (D&A 3:7). Martin ne transcrira plus pour Joseph, et à
partir de ce moment-là jusqu’au printemps de 1829,
Joseph avance peu dans la traduction. En avril, Oliver Cowdery, un
jeune instituteur qui a pris pension chez les Smith à
Manchester, entend parler du Livre de Mormon. Ayant lui-même
reçu une vision du Seigneur et des plaques, il est persuadé
que l’œuvre est divine et se propose pour remplir les
fonctions de secrétaire (PWJS, p. 8). À partir du 7
avril 1829, Joseph et Oliver, vont travailler ensemble presque
constamment jusqu’à ce que la traduction soit finie en
juin, un peu plus de deux mois plus tard.
Au
cours de la traduction d’une partie de 3 Néphi, qui
décrit la façon de baptiser, Joseph et Oliver se
demandent s’ils n’ont pas besoin, eux aussi, de baptême.
Comme il en a pris l’habitude, Joseph demande des instructions
à Dieu. Le 15 mai 1829, alors que Oliver et lui sont occupés
à prier, un messager céleste leur apparaît. Il se
présente comme étant Jean-Baptiste et leur confère
la Prêtrise d’Aaron, qui leur donne l’autorité
de baptiser. Avec cette nouvelle autorité et sous la direction
de l’ange, les deux hommes se baptisent mutuellement dans la
Susquehannah. Cette révélation crée un principe
important dans l’Église, à savoir que des
ordonnances divines telles que le baptême ne peuvent être
accomplies que par les personnes qui ont reçu l’autorité
dans la prêtrise par ordination. Jean-Baptiste dit à
Joseph et à Oliver qu’ils recevront plus tard une
seconde prêtrise, une prêtrise supérieure appelée
Prêtrise de Melchisédek. Plus tard, Pierre, Jacques et
Jean leur apparaissent au bord de la Susquehannah, quelque part entre
Harmony et Colesville (New York) et les ordonnent apôtres.
Arrivée
la fin mai 1829, l’opposition religieuse contre Joseph s’est
développée à Harmony et Oliver et lui vont avoir
besoin d’un endroit plus calme pour travailler. Oliver écrit
à un ami, David Whitmer, qui accepte de les installer dans la
ferme familiale à Fayette (New York). Emma les y rejoint peu
après. Le copyright du Livre de Mormon est obtenu le 11 juin
1829 et la traduction est bientôt terminée. Au moment où
ils finissent le livre, Joseph Smith apprend par la révélation
que d’autres seront autorisés à voir les plaques
d’or. Le Livre de Mormon lui-même promet des témoins
et les associés de Joseph sont avides de savoir qui va avoir
ce privilège. Martin Harris, David Whitmer et Oliver Cowdery
sont choisis ; l’ange Moroni leur montre les plaques et
ils entendent la voix de Dieu leur déclarer que l’ouvrage
a été traduit par le pouvoir de Dieu. Quelques jours
plus tard, à Manchester, Joseph Smith reçoit
l’autorisation de montrer les plaques à huit autres
hommes. Ils vont les examiner de manière approfondie et les
soupeser. Les déclarations de ces deux groupes de témoins
seront imprimées sur les dernières pages de l’édition
de 1830 du Livre de Mormon et apparaissent sur les premières
pages de toutes les éditions récentes.
La
recherche d’un imprimeur disposé à publier le
Livre de Mormon s’avère laborieuse. Les gens de Palmyra,
qui se méfient de Joseph Smith, se coalisent pour intimider
l’imprimeur local, Egbert B. Grandin, en menaçant de ne
pas en acheter d’exemplaires. D’autres, comme Lucy
Harris, l’épouse de Martin, contestent les mobiles
financiers de Joseph. Après être allé jusqu’à
Rochester pour entrer en contact avec des imprimeurs, Joseph persuade
Grandin d’accepter le travail. La garantie de Martin Harris a
raison des hésitations de Grandin. Le 25 août 1829,
Harris hypothèque sa ferme, s’engageant à payer
$3.000 pour 5.000 exemplaires. Joseph et Martin espèrent
vendre assez d’exemplaires pour lever au moins $3.000, mais
Martin finira par devoir vendre 60 hectares pour tenir son
engagement. La composition commence en août 1829 et les
exemplaires terminés sont disponibles le 26 mars 1830.
La
publication du Livre de Mormon est l’aboutissement du travail
qui occupe Joseph Smith depuis qu’il a reçu les plaques
en 1827. Entre-temps, les révélations qu’il
reçoit l’informent que la traduction du Livre de Mormon
n’est pas la fin de sa mission divine. Il doit aussi organiser
une Église. Samuel Smith avait été baptisé
à Harmony fin mai 1829 ; Hyrum Smith, David et Peter
Whitmer, fils, et d’autres avaient été baptisés
en juin dans le lac Seneca. Ils avaient commencé à se
réunir et ils avaient enseigné et avaient essayé
de persuader tous ceux qui demandaient des renseignements. Le 6 avril
1830, chez Peter Whitmer, père, à Fayette (New York),
Joseph Smith organise l’Église de Jésus-Christ.
Six hommes s’inscrivent comme membres en la présence de
plus de cinquante personnes. Le groupe soutient deux officiers comme
dirigeants de l’Église, Joseph Smith comme premier
ancien et Oliver Cowdery comme deuxième ancien. Joseph reçoit
aussi les titres de voyant, de traducteur et de prophète. En
outre, une révélation prévoit l’ordination
d’anciens, de prêtres, d’instructeurs et de diacres
comme prêtrise laïque. Certaines des personnes laïques
présentes lors de l’organisation sont ordonnées
ce jour-là et, dès le départ, l’Église
ne prend aucune disposition pour créer un clergé
spécial.
Trois
groupes de croyants sont organisés en branches de l’Église
débutante peu après son organisation : un à
Fayette, un autre à Manchester dans la vieille maison des
Smith et un troisième à Colesville, dans le sud de
l’État de New York, près de la ferme de Josiah
Stowell (dans la circonscription de South Bainbridge, comté de
Chenango), ancien employeur et partisan loyal de Joseph. Les membres
de la famille de Joseph Knight, qui ont fourni à Joseph et à
ses collaborateurs de la nourriture et des vêtements pendant la
traduction, habitent à Colesville et constituent le noyau de
la branche. Joseph et Emma retournent dans leur maison de Harmony,
mais se réunissent avec les trois branches lors de conférences
trimestrielles prescrites tenues à la ferme de Peter Whitmer
en juin et en septembre 1830.
Pendant
l’été de 1830, les ennuis commencent. À
deux reprises, Joseph est convoqué devant les tribunaux pour
trouble de l’ordre public. Les deux fois il est acquitté.
Mais ce qui perturbe davantage Joseph, c’est que certains de
ses propres disciples mettent en cause son autorité et
prétendent à leurs propres révélations et
à leurs propres prérogatives. Hiram Page, mari de
Catherine Whitmer et ordonné instructeur en juin 1830, écrit
une série de révélations qu’il prétend
venir de Dieu. Bien qu’encore jeune et inexpérimenté,
Joseph se rend compte de la confusion et du danger que présente
un grand nombre de voix essayant de parler avec autorité. À
la conférence de septembre à Fayette, Joseph reçoit
une révélation qui détermine qu’une seule
personne, approuvée par le consentement commun, doit recevoir
des commandements et des révélations pour l’Église
entière (D&A 20:65 ; 28:1-3, 11-13). Hiram Page n’a
pas cette autorisation. Après avoir entendu Joseph, la
conférence le confirme comme révélateur unique
pour l’Église (D&A 28:2 ; D. Cannon et L. Cook,
dir. de publ., Far West Record, Salt Lake City, 1983, p. 3). Ce
principe qui veut que la révélation pour toute l’Église
vienne de l’homme soutenu comme prophète est,
aujourd’hui encore, la pratique de l’Église.
Dans
les six mois qui suivent l’organisation de l’Église,
des convertis s’ajoutent en petit nombre. Samuel, frère
de Joseph Smith, s’en va avec des exemplaires du Livre de
Mormon à donner à ceux que cela intéresse.
Joseph Smith, père, rend visite à ses frères,
sœurs et parents dans le comté de St Lawrence (New
York), où la plupart d’entre eux habitent, pour leur
dire ce qui est arrivé. Ces expéditions donneront plus
tard des conversions, mais très peu au moment même.
Parley P. Pratt, un fermier de l’Ohio, croit que Dieu l’a
conduit à la maison de Hyrum Smith, frère de Joseph,
pour qu’il puisse s’informer sur le Livre de Mormon.
L’entreprise
missionnaire la plus réussie de l’époque est
lancée en septembre et octobre 1830, quand Oliver Cowdery,
Peter Whitmer, fils, Parley Pratt et Ziba Peterson sont appelés
à instruire les Indiens. Le Livre de Mormon présente un
intérêt particulier pour les Indiens américains
parce que c’est un document religieux de l’Amérique
antique, et les quatre sont chargés de porter ce message aux
Indiens qui sont occupés à s’assembler dans le
territoire à l’ouest du Missouri. La mission va
cependant être notable autant pour ce qui se passe en cours de
route que pour la prédication aux Indiens. Après avoir
quitté New York, les missionnaires s’arrêtent dans
la région de Mentor-Kirtland dans le nord-est de l’Ohio
près de l’ancienne ferme de Pratt. Avant de devenir
membre de l’Église, Pratt avait fait partie du mouvement
campbellite, qui était en train de devenir l’Église
des Disciples du Christ. Ce groupe croit qu’il faut adhérer
rigoureusement aux enseignements et aux pratiques de l’Église
du Nouveau Testament, éliminant tous les ajouts ultérieurs.
Les enseignements de Joseph Smith séduisent beaucoup d’entre
eux parce que sa doctrine contient pour eux le rétablissement
pur du vrai christianisme. Quelque 130 personnes vont se convertir,
dont le prédicateur campbellite principal de la région,
Sidney Rigdon. En quelques semaines, les quatre missionnaires vont
presque doubler le nombre des membres de l’Église. Ils
poursuivent leur chemin cet hiver-là vers le territoire
indien, endurant de grandes souffrances au cours de leur long voyage
à pied de St Louis à travers le Missouri. Dans l’ouest
du Missouri, ils vont trouver une région dans laquelle
l’Église commencera bientôt à s’installer.
Ils enseignent aussi chez les Delaware et les Shawnee jusqu’à
ce que les autorités gouvernementales leur ordonnent de cesser
à cause d’une interdiction de faire du prosélytisme
auprès des tribus.
Peu
après le départ des missionnaires de l’Ohio pour
l’Ouest en décembre 1830, Sidney Rigdon part pour New
York, accompagné d’Edward Partridge. Ils apportent la
nouvelle des conversions en Ohio et insistent auprès de Joseph
Smith et des membres pour qu’ils aillent s’installer
là-bas. Joseph est disposé à prendre la
suggestion au sérieux à cause des révélations
qu’il a reçues au sujet du rassemblement de l’Église
(D&A 37:1-4 ; 38:31-33). En effet, pendant le reste du
siècle, les convertis à l’Église vont se
réunir dans un lieu de rassemblement central, d’abord en
Ohio, puis au Missouri, en Illinois et finalement en Utah. Une autre
révélation traite de l’avènement de
Jésus-Christ et des destructions qui vont s’abattre sur
le monde avant que cet événement ne se produise. Elle
dit qu’avant ces tribulations, le peuple de Dieu sera
« rassemblé en un seul endroit à la surface
de ce pays » (D&A 29:8). Une autre révélation
parle d’une ville de Sion qui doit être construite
quelque part dans l’Ouest (D&A 28:9). Ces allusions amènent
les membres de l’Église à se rendre compte qu’ils
ne vont pas demeurer longtemps à New York.
Quand
une révélation arrive en décembre 1830 (D&A
37) leur disant de partir pour l’Ohio, la plupart l’acceptent.
À une conférence tenue le 2 janvier 1831, des
directives et une révélation supplémentaire (D&A
38) sont données pour le déménagement. Le
prophète, Emma et quelques autres partent les premiers et
arrivent à Kirtland le 1er février 1831 pour préparer
l’arrivée des autres. La branche de Colesville, sous
Newel Knight, la branche de Fayette, sous la mère du prophète
et Thomas Marsh et la branche de Manchester, sous Martin Harris, se
rendent en Ohio en des convois distinct pendant avril et mai 1831. À
la mi-mai, pratiquement tous les mormons de New York des branches
citées sont à Kirtland.
Bibliographie
Backman,
Milton V., Jr., Eyewitness Accounts of the Restoration, éd.
rév. Salt Lake City 1986.
Bushman,
Richard L., Joseph Smith and the Beginnings of Mormonism, Urbana,
Ill., 1984.
Madsen, Truman G., éd. invité, BYU
Studies 9, printemps 1969, p. 235-404 (numéro entièrement
consacré aux origines des saints des derniers jours à
New York).
Porter,
Larry C., « A Study of the Origins of The Church of Jesus
Christ of Latter-day Saints in the States of New York and
Pennsylvania, 1816-1831 », thèse de doctorat
université Brigham
Young, 1971.
Smith,
Lucy Mack, History of Joseph Smith, dir. de publ. Preston Nibley,
Salt Lake City, 1958.
Whittaker,
David J., “Sources on Mormon Origins in New York and
Pennsylvania”, Mormon History Association Newsletter n° 43,
mars 1980, p. 8-12.
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Deuxième
partie :
1831-1844 :
Périodes de l’Ohio, du Missouri et de Nauvoo,
par Milton
V. Backman, fils et Ronald K. Esplin
En
octobre 1830, quatre missionnaires en route pour prêcher aux
Indiens à l’ouest du Missouri présentent
l’Évangile rétabli aux communautés du
nord-est de l’Ohio. Avant de reprendre leur voyage, ils
baptisent quelque 130 convertis, organisent les nouveaux membres en
petites « branches » et nomment des dirigeants
pour chaque groupe. Trente-cinq de ces membres habitent à
Kirtland (Ohio), localité située directement à
l’est de ce qui est aujourd’hui le Cleveland
métropolitain.
Sidney
Rigdon, prédicateur restaurationiste de cet endroit devient
membre de l’Église en novembre 1830 et informe Joseph
Smith du succès des missionnaires. À la suite de cela,
le prophète consulte le Seigneur et reçoit des
révélations (D&A 37:3 ; 38:32) appelant les
convertis de l’Église récemment organisée
à New York à se rassembler en Ohio. Sa famille et lui
sont à Kirtland dès le début de février
1831 et quelque deux cents saints de New York l’auront suivi
quand arrive l’été, faisant du nord-est de l’Ohio
le premier lieu de rassemblement des saints.
La
plupart des saints de New York et beaucoup des premiers convertis de
l’Ohio ne vont pas rester en Ohio. Pendant l’été
de 1831, Joseph Smith se rend à la frontière du
Missouri et désigne Independence (comté de Jackson,
Missouri) comme deuxième lieu de rassemblement. Les saints des
derniers jours s’attendent à ce qu’une ville
sainte, une nouvelle Jérusalem, soit fondée dans une
nouvelle Sion nord-américaine, une ville de refuge contre les
tribulations qui vont affliger les méchants dans les derniers
jours (D&A 29:7-9 ; 45:65-71 ; 57:1-3). Sidney Rigdon
consacre le pays pour le rassemblement et Joseph Smith précise
l’emplacement exact où un temple sera construit, et,
après en avoir nommé divers autres pour superviser le
rassemblement en Sion, retourne en Ohio.
À
Hiram (Ohio), un village d’agriculteurs situé à
une cinquantaine de kilomètres au sud de Kirtland, Joseph
Smith travaille à sa traduction inspirée de la Bible,
une entreprise qui va assurer son écolage. La nécessité
dans laquelle il se trouve de demander, dans l’esprit de la
prière, des éclaircissements sur certains passages et
certains points de doctrine va fréquemment susciter de
nouvelles révélations et apporter une nouvelle
compréhension. Après avoir été battus et
enduits de goudron et de plumes par des émeutiers en mars
1832, le prophète et Sidney Rigdon, qui lui sert de
secrétaire, vont s’installer avec leurs familles à
Kirtland.
Les
deux lieux de rassemblement du début des années 1830
auront chacun eu un but différent. Bien que les saints des
derniers jours émigrent vers la frontière du Missouri
pour poser les fondements d’une nouvelle Sion, le siège
administratif de l’Église, responsable de la direction
du programme missionnaire et de la construction du premier temple,
reste en Ohio. Il y a une certaine concurrence entre les deux
centres, les deux ayant besoin de ressources et de membres et les
deux voulant la présence du prophète Joseph Smith.
Mais, comme l’explique la révélation, les buts
des deux sont complémentaires : la « dotation
d’en haut » promise associée au temple de
Kirtland est un préalable au succès en Sion (D&A
105:9-13, 33). Joseph Smith résidera à Kirtland
jusqu’en 1838, restant en contact avec les membres du Missouri
par courrier et messager, et s’y rendant cinq fois pour
instruire les membres de l’Église en ce qui concerne la
politique, les programmes et la croyance.
Au
comté de Jackson, les saints des derniers jours publient deux
périodiques, The Evening and The Morning Star et The Upper
Missouri Advertiser, et essayent de mettre sur pied un ordre
économique unique basé sur la consécration et
l’affectation d’intendances sur des propriétés
et d’autres actifs, suivant les directives données par
révélation à Joseph Smith. Les désaccords
au sujet des exigences juridiques et l’égoïsme
individuel vont entraver la mise en œuvre du système,
mais l’obstacle de base est que les saints ont trop peu de
capital et très peu à consacrer. Malgré tout,
certains participants sont inspirés par les idées
fondatrices et les idéaux qui sous-tendent l’effort vont
laisser un legs important.
Bien
qu’émigrant dans l’ouest du Missouri pour
construire une ville de paix et de refuge, les saints des derniers
jours rencontrent une forte hostilité. Les colons déjà
installés considèrent ces nouveaux venus comme une
menace à leur propre manière de vivre. Les Missouriens
se plaignent que les mormons cherchent à influencer les
esclaves, que leur mode de vie « de l’Est »
est incompatible avec la frontière du Missouri, qu’ils
sont une menace économique et politique, que leur amitié
pour les Indiens menace la sécurité de la région
et qu’ils ont des croyances religieuses peu orthodoxes. Ces
accusations révèlent un conflit culturel important
entre les saints immigrés et les « vieux »
colons. L’immigration rapide des saints des derniers jours dans
le comté de Jackson intensifie les tensions, ce qui va donner
lieu à des affrontements.
Des
violences s’étant produites pendant l’été
de 1833, le gouverneur Daniel Dunklin envoie une milice locale dans
la région pour rétablir la paix. Pensant que la milice
va protéger tous les colons, les saints des derniers jours
rendent leurs armes à cette force militaire. Mais les autres
Missouriens ne seront pas désarmés, laissant les
membres de l’Église sans défense. Au début
de novembre 1833, les émeutiers chassent plus de mille saints
des derniers jours du comté de Jackson, les forçant à
abandonner leurs maisons et leurs fermes. La plupart d’entre
eux traversent le fleuve Missouri pour se réfugier au comté
de Clay.
Entre
novembre 1833 et l’été de 1836, le comté
de Clay va être le lieu de rassemblement principal des saints
des derniers jours au Missouri. Pendant ces années, les
membres de l’Église vont essayer sans succès
d’obtenir réparation pour la perte de leurs propriétés
du comté de Jackson. Ils vont aussi demander la protection du
gouvernement pour une tentative de retour à leurs terres. En
1834, croyant que le gouverneur Dunklin a accepté d’accorder
l’aide de la milice de l’État pour seconder leurs
propres efforts, les membres de l’Église réunissent
une petite force paramilitaire venant d’Ohio et d’ailleurs
pour accompagner les réfugiés du Missouri lors de leur
retour au comté de Jackson. Le camp de Sion, nom donné
à l’expédition, n’obtiendra pas l’appui
du gouverneur et se dissoudra en juin plutôt que de provoquer
un conflit armé.
Bien
qu’ayant échoué dans son but premier, le camp de
Sion aura un effet profond sur beaucoup de ses participants et aura
son importance sur le long terme. Pour la plupart, la marche forcée
d’Ohio au Missouri, plus de 1300 kilomètres par une
chaleur humide, aura été le défi physique le
plus difficile de leur vie. Cela fera encore plus mal à
certains de se rendre compte que, malgré cette épreuve,
ils n’auront pas aidé les saints du Missouri à
retourner dans leurs terres. Ils vont critiquer le leadership de
Joseph Smith et l’expérience contribuera plus tard à
leur dissidence. Mais pour beaucoup de participants, le camp de Sion
aura été une occasion sans pareille de vivre jour et
nuit avec le prophète du Seigneur – réminiscence
de l’Israël antique sous Moïse. L’expérience
va les unir à Joseph et les uns aux autres et c’est du
creuset du camp de Sion que vont sortir beaucoup de dirigeants futurs
de l’Église. Les deux réactions représentent
des conceptions divergentes de la façon dont un prophète
doit diriger et de la façon dont une société
basée sur la révélation et la prêtrise
doit être organisée – des divergences qui vont
s’exacerber plus tard à Kirtland.
La
révélation qui dissout le camp de Sion réoriente
l’attention sur l’Ohio et sur la nécessité
de terminer sans retard le temple de Kirtland (D&A 105). Avant de
retourner en Ohio, Joseph Smith organise un pieu au Missouri et nomme
une présidence et un grand conseil, l’équivalent
de ce qu’il a fait à Kirtland le mois de février
précédent. Bientôt, plusieurs dirigeants de
l’Église du Missouri vont partir pour Kirtland pour
aider à la construction du temple.
Tous
les intéressés savent que le séjour des saints
au comté de Clay est provisoire. Le retour au comté de
Jackson étant maintenant peu probable, la pression monte pour
qu’ils trouvent un autre endroit. Exhortés par les
dirigeants de la communauté à partir avant que les
violences n’éclatent, la plupart des saints des derniers
jours vont émigrer vers le nord et créer à Far
West un nouveau siège de l’Église dans l’Ouest.
Répondant à ce mouvement de milliers de saints des
derniers jours vers le nord-ouest inhabité du Missouri, le
gouvernement du Missouri va créer, vers la fin de 1836, deux
nouveaux comtés, Caldwell et Daviess. Comme la plupart des
saints des derniers jours s’installent à Caldwell, on va
l’appeler le comté mormon.
Joseph
Smith enseignera plus tard qu’un des premiers buts du
rassemblement des fidèles à n’importe quelle
époque est de construire une maison du Seigneur où
pourront être révélées les ordonnances de
son temple. Pendant que la construction du temple progresse, la
population des saints à Kirtland va passer d’une
centaine d’âmes en 1832 à plus de 1.500 en 1836.
Les saints des derniers jours arrivent de la Nouvelle Angleterre, de
New York et d’ailleurs pour aider à la construction de
la maison du Seigneur, dans laquelle, leur a-t-il été
promis dès janvier 1831, ils seront dotés du pouvoir
d’en haut (D&A 38:32).
En mars 1836, le temple de Kirtland est achevé et
consacré et, pendant les mois qui précèdent et
suivent la consécration, les saints vont jouir d’une
période de Pentecôte peu commune. Dans le temple, une
semaine après sa consécration, les clefs de la prêtrise
vont être conférées à Joseph Smith et à
Oliver Cowdery lors de visitations de Moïse, Élias et
Élie. Les bénédictions et les instructions
reçues dans le temple sont particulièrement importantes
pour les missionnaires, dont les voyages de prosélytisme au
départ de Kirtland pendant les années 1830 s’étendent
du Canada au sud américain et, en 1837, aux îles
Britanniques, outre une œuvre missionnaire intensive en Ohio.
Tandis
que son siège reste à Kirtland, l’Église
va connaître un développement doctrinal et administratif
majeur. Un certain nombre parmi les révélations les
plus importantes des Doctrine et Alliances vont été
données dans les régions de Kirtland et de Hiram,
notamment la vision de la résurrection et des trois degrés
de gloire (D&A 76), la loi de consécration et d’intendance
(D&A 42), la Parole de Sagesse, parfois appelée la loi de
santé du Seigneur (D&A 89), des révélations
sur la prêtrise et sur son organisation (D&A 84, 107) et la
venue du millénium (D&A 1, 29, 88, 133). Beaucoup de ces
révélations constituent la réponse aux questions
soulevées par la traduction de la Bible faite par Joseph
Smith. Joseph Smith reçoit aussi une révélation
concernant le mariage plural (D&A 132), mais elle ne sera mise
par écrit qu’en 1843. Le livre d’Abraham, qui ne
sera publié qu’en 1842, résulte de l’acquisition
par le prophète en 1835 d’une collection de momies et de
papyrus venus d’Égypte.
Comme
la croissance nécessite un développement de
l’organisation, une série de révélations
commande la création de dirigeants locaux et généraux
de l’Église. Il s’agit de l’office d’évêque
en 1831, de la Première Présidence de l’Église
en 1832 et d’un grand conseil permanent en 1834. En février
1835, le Collège des douze apôtres et le collège
des soixante-dix sont organisés, choisis principalement parmi
les vétérans du camp de Sion. Les deux collèges
ont la responsabilité du prosélytisme. Bien qu’il
soit dit que les Douze viennent en second par rapport à la
Présidence, leurs tâches immédiates sont de
diriger l’œuvre des soixante-dix et de superviser
l’Église à l’extérieur de ses pieux
organisés.
La
révélation commande aussi aux dirigeants de l’Église
d’étudier abondamment dans beaucoup de domaines de la
connaissance en vue de leur ministère et ordonne qu’une
école des prophètes soit organisée dans ce but
(D&A 88:77-80, 118-141). L’attitude et les impératifs
exprimés dans la révélation vont exercer une
grande influence non seulement dans la création de cette
première école patronnée par l’Église
mais aussi dans l’attitude de l’Église vis-à-vis
des études et de l’éducation pendant toute son
histoire.
La
publication de The Evening and The Morning Star, interrompue au
Missouri par l’expulsion hors du comté de Jackson, va
reprendre pendant près d’un an à Kirtland. Le
Latter Day Saints’ Messenger and Advocate, successeur du Star,
sera le premier périodique de l’Église à
publier certaines des lettres d’Oliver Cowdery traitant de
l’histoire de Joseph Smith. Les Doctrine et Alliances,
contenant beaucoup de révélations données à
Joseph Smith, sont publiées en 1835 à Kirtland.
La
promulgation de nouveaux points de doctrine et la création
d’une hiérarchie dans l’Église vont
offenser certains saints des derniers jours qui préfèrent
la foi moins compliquée qu’ils avaient embrassée
dans la petite enfance de l’Église. Ceux qui ne
partagent pas la vision du prophète Joseph Smith d’une
nouvelle société organisée sous la prêtrise
vont aussi être perturbés par le nombre accru de
directives que les dirigeants de l’Église donnent aux
membres dans les questions temporelles et par la participation
importante du prophète aux affaires économiques.
L’effondrement d’une Société de Sécurité
de Kirtland non dotée d’une charte patronnée par
les dirigeants de l’Église va contribuer à
pousser le mécontentement à son maximum. Des procès
vont être intentés à Joseph Smith, des menaces
vont être proférées contre sa vie et contre celle
de ses partisans les plus vigoureux et un certain nombre de membres
en vue dans l’Église vont apostasier. Au milieu de cette
agitation, le prophète va envoyer certains de ses partisans
les plus fidèles en mission dans les îles Britanniques.
Là, en moins d’un an, ils feront plus de 1.500 convertis
et jetteront les bases pour que des milliers d’autres les
suivent.
En
1837, les saints des derniers jours dépassent en nombre les
autres résidants de la circonscription de Kirtland. Cette
année-là, des candidats mormons sont élus à
tous les principaux offices de la ville sauf celui d’agent de
police. Beaucoup de membres de l’Église de Kirtland sont
relativement pauvres et vivent dans des groupes de petites maisons
provisoires. Certains non-mormons s’irritent de cet afflux de
pauvres et d’une direction de l’Église qui leur
semble antidémocratique et donc anti-américaine. Des
rivalités économiques et politiques apparaissent,
accompagnées de menaces et d’actes de violence. La
pression monte à l’extérieur pour que les mormons
quittent Kirtland au moment même où de violentes
dissensions internes assaillent l’Église. En janvier
1838, Joseph Smith, Sidney Rigdon et d’autres dirigeants de
l’Église dont la vie est menacée fuient vers
l’ouest du Missouri, suivis graduellement par la plupart des
résidants de Kirtland et du voisinage qui sont membres de
l’Église.
En
1837-1838, l’émigration des saints vers l’ouest du
Missouri augmente rapidement. Cette croissance déclenche une
agitation accrue parmi les voisins qui craignent une domination
économique et politique de la part des mormons et qui voient
dans l’afflux une menace contre leur mode de vie. Les griefs
qui ont été exprimés en 1833 par les citoyens du
comté de Jackson vont se répéter et s’amplifier.
Les rumeurs et les accusations deviennent la base d’actes
d’intolérance. Certains insistent sur le fait que
puisque le comté de Caldwell a été créé
pour les mormons, les saints des derniers jours ne doivent pas
s’installer en dehors des frontières de ce comté.
L’affrontement
décisif est déclenché par une bataille qui
éclate quand des voyous essaient d’empêcher les
saints de voter à Gallatin (comté de Daviess). Des
rapports exagérés sur cette mêlée
provoquent une agitation qui ne cesse de grandir et mènent à
la formation de groupes d’émeutiers décidés
à chasser tous les mormons du comté de Daviess. Les
émeutiers menacent aussi les saints des derniers jours
habitant à DeWitt (comté de Carroll) jusqu’à
ce que, le 11 octobre 1838, ils soient forcés d’abandonner
leurs maisons et leurs fermes. Pendant qu’ils sont en route
vers le bastion mormon de Far West, les réfugiés sont
continuellement harcelés et plusieurs meurent.
Le
gouverneur Lilburn Boggs ayant rejeté les demandes de protéger
les saints de DeWitt, les dirigeants de l’Église
mobilisent la milice du comté de Caldwell et se préparent
à se protéger. Certains membres des Danites, organisés
à l’origine pour aider au développement de la
communauté mormone, se livrent à des activités
paramilitaires, brûlant notamment le siège des émeutiers
à Gallatin et à Millport qui les avaient menacés
de destruction. Entre-temps, une milice locale force les saints des
derniers jours à abandonner leurs fermes dans le comté
de Ray et menacent de tuer des membres de l’Église
accusés d’être des espions. Pour essayer
d’empêcher que la menace ne soit exécutée,
une unité de la milice du comté mormon de Caldwell
affronte, le 25 octobre, celle de Ray à la Crooked River. Des
hommes sont tués de part et d’autre et de folles rumeurs
parlant de raids mormons jettent de l’huile sur le feu dans la
contrée. Le 27 octobre, sans aucun examen des accusations et
des contre-accusations, le gouverneur Boggs accuse les membres de
l’Église d’être à l’origine des
hostilités et commande à la milice de l’État
d’exterminer les mormons ou de les chasser de l’État.
Trois jours plus tard, le massacre de Haun’s Mill, au cours
duquel plus de deux cents miliciens attaquent une colonie minuscule
de saints des derniers jours et en tuent froidement dix-sept, rend
évidente la probabilité que l’ordre de Boggs sera
exécuté littéralement.
Face
à des forces de milice écrasantes, les saints des
derniers jours se rendent à Far West et acceptent de quitter
l’état. Quelque 10.000 membres de l’Église
sont forcés de quitter le Missouri, la plupart en hiver et au
milieu d’une hostilité intense. Prenant la direction de
l’est, ils vont traverser le fleuve Mississippi vers
l’Illinois. Après avoir subi d’immenses pertes de
propriété et certaines pertes en vies humaines, la
plupart atteignent, au début de 1839, Quincy et d’autres
localités de l’ouest de l’Illinois dont les
résidants offrent aide et abri.
Entre-temps,
les dirigeants de l’Église au Missouri sont arrêtés
et accusés de trahison. La plupart seront rapidement libérés,
mais dix seront emprisonnés sans procès pendant l’hiver
de 1838-1839, certains à la prison de Richmond et d’autres
à la prison de Liberty. Pendant la demie année de son
séjour à la prison de Liberty, le prophète
Joseph va mettre sur papier certains des écrits inspirés
les plus pénétrants et les plus éloquents de sa
carrière (D&A 121-23), et il en sortira en avril 1839 avec
une compréhension claire de ce qu’il doit faire pour
terminer sa mission d’une manière satisfaisante et bien
décidé à faire ce qu’il faut pour cela.
Les
saints prennent des dispositions pour acheter des terres pour un
nouveau lieu de rassemblement des deux côtés d’une
courbe du fleuve Mississippi au nord de Quincy. Nauvoo va remplacer
le hameau de Commerce et devenir le siège de l’Église.
Beaucoup de membres s’installent aussi de l’autre côté
du fleuve dans le comté de Lee, en Iowa.
Tourmentés
par la malaria, les saints de la région de Nauvoo vont
chercher à faire face à de plus grands problèmes
en même temps qu’ils en sont encore à se démener
pour créer une communauté viable après le
désastre du Missouri. Essayant d’obtenir réparation
pour les pertes du Missouri, le président Joseph Smith va
rendre visite aux dirigeants politiques nationaux à
Washington, D.C, mais l’accent mis sur les droits des États
exclut l’aide fédérale. En dépit de la
maladie et de la pauvreté, neuf membres du Collège des
douze apôtres remplissent un appel à faire du
prosélytisme dans les îles Britanniques. Ils arrivent en
Angleterre au début de 1840 et pendant les quinze mois qui
vont suivre ils vont voir près de 5.000 convertis se joindre
aux quelque 1.500 qu’ils ont trouvés à leur
arrivée. L’année suivante, Orson Hyde, un apôtre,
visite Jérusalem et consacre la Palestine au rassemblement des
Juifs.
En
Angleterre, les Douze créent le Latter Day Saints’
Millennial Star et publient un livre de cantiques et une deuxième
édition du Livre de Mormon, fondant par la même occasion
ce qui va devenir un centre important de publications mormones
pendant le demi-siècle qui va suivre. Les Douze lancent en
1840 l’émigration des convertis britanniques vers
l’Amérique et pendant les six années suivantes,
près de 5.000 personnes émigrent vers Nauvoo. Sous la
direction de Brigham Young, le Collège des Douze devient une
force administrative efficace pendant cette mission. Quand ils
retournent à Nauvoo, ils reçoivent de nouvelles
responsabilités. En août 1841, Joseph Smith annonce que
les Douze se tiennent maintenant « à côté
de la Première Présidence » et leur
juridiction est étendue de manière à comprendre
la supervision des pieux de l’Église aussi bien que des
régions de mission.
Drainant
les marécages et accueillant un nombre de plus en plus
important de colons, les saints de Nauvoo créent une
communauté prospère qui finira par compter presque
12.000 âmes, rivalisant avec Chicago pour être la plus
grande ville de l’Illinois. La construction et la croissance
alimentent l’économie, la vie culturelle prospère
et les saints mettent sur pied la communauté religieuse la
plus importante de leur brève histoire. Ayant appris par
expérience qu’ils ne peuvent pas compter sur la bonne
volonté des autres pour les protéger, ils recherchent
des garanties institutionnelles. Dans les chartes de Nauvoo, le
gouvernement de l’État d’Illinois assure les
protections que constituent l’autonomie locale, un système
judiciaire municipal et une milice urbaine. Décidés à
ne plus jamais être sans défense comme ils l’ont
été au Missouri, ils font de leur Légion agréée
de Nauvoo la plus grande milice de l’Illinois.
Joseph
Smith va se trouver, comme cela n’arrive quasiment jamais, dans
une situation de pouvoir politique aussi bien qu’ecclésiastique,
remplissant à divers moments les fonctions de conseiller
municipal, de maire, de général commandant de la Légion
de Nauvoo et de rédacteur du principal journal local, le Times
and Seasons. Ces postes lui laissent toute latitude pour fonder une
société sacrale et pour accomplir les choses qu’il
considère comme les plus essentielles à sa mission.
Après
avoir reçu, en 1836, des clefs supplémentaires de la
prêtrise dans le temple de Kirtland, Joseph Smith désire
vivement voir arriver le jour où il pourra remplir ses
responsabilités en ce qui concerne le temple et donner des
enseignements et des ordonnances supplémentaires aux saints.
Quand il sort de la prison de Liberty, il est convaincu que le temps
qui lui reste pour le faire est court et que Nauvoo sera sa dernière
occasion. Dès que les saints se sont regroupés et sont
en sécurité dans leur nouvelle demeure, il commence à
exposer un ensemble d’enseignements, d’ordonnances et de
schémas d’organisation supplémentaires –
dont beaucoup ont trait au temple – qui vont éloigner
les saints encore plus de leurs propres idées précédentes
et des croyances de leurs voisins. Ce processus commence par une
révélation importante en janvier 1841 (D&A 124)
qui, entre autres, lance la construction du temple de Nauvoo et va
continuer pendant plus de trois ans. En avril 1844, juste trois mois
avant sa mort, le processus est complet.
À
Nauvoo, Joseph Smith fait des exposés sur la nature de la
Divinité et sur l’origine et la destinée du genre
humain, mettant l’accent sur la notion de progression éternelle
dans le contexte du plan du salut. Enseignant que le salut est
accessible à tous, il introduit les ordonnances par
procuration pour les personnes décédées,
notamment le baptême pour les morts. Malgré le fait
qu’il rencontre une certaine résistance à la
nouveauté en matière de doctrine et de pratique, poussé
qu’il est par le pressentiment qu’il doit éviter
tout retard, le Prophète commence en 1841-1842 à
introduire le mariage plural et les ordonnances sacrées du
temple en privé à un petit nombre d’associés
de confiance, dont les membres du Collège des Douze, qui
devront plus tard les enseigner aux membres de l’Église
dignes une fois le temple achevé.
Parmi
les nouveautés les plus importantes dans le domaine de
l’organisation à Nauvoo, il y a la fondation, en mars
1842, de la Société de secours, une organisation de
bienfaisance sociale et religieuse pour les femmes. La Société
de secours donne aux femmes une structure qui va faciliter les œuvres
caritatives et la fraternité entre femmes. Chose plus
importante encore, elle va mettre les femmes en relation étroite
avec l’organisation de la prêtrise et contribuer à
les préparer aux futures expériences du temple. Les
premières paroisses de l’Église sont fondées
à Nauvoo et des responsabilités supplémentaires
sont définies pour les évêques. Le conseil des
cinquante sera le dernier élément d’organisation
créé par Joseph Smith. Bien qu’il ait joué
un rôle pratique utile pendant plusieurs années après
son organisation en mars 1844, sa plus grande importance est qu’il
fournit un modèle de gouvernement pour le futur royaume de
Dieu sur terre.
Depuis
le temple jusqu’au conseil des cinquante, les membres du
Collège des douze apôtres vont se tenir aux côtés
du Prophète comme ses conseillers et ses assistants les plus
proches. Prévoyant le jour où les saints pourraient
avoir besoin d’un asile plus sûr dans l’isolement
de l’Ouest, Joseph Smith, en février 1844, charge les
Douze de mener une expédition pour trouver un tel endroit,
mais met, peu après, le projet en attente. Il veut d’abord
qu’ils aillent dans l’Est pour une mission plus
politique. Quand les démarches auprès des candidats à
la présidence lors des élections nationales
présidentielles proches ne révèlent personne qui
soit disposé à défendre les droits des mormons,
le prophète Joseph Smith lance sa propre campagne
présidentielle, élaborant un programme électoral
pour faire connaître ses idées et s’exprimer au
nom de son peuple. Pendant leur prosélytisme d’été
habituel, les Douze et d’autres partisans vont se rendre dans
l’Est, combinant prédication et campagne électorale.
Avant leur départ, vers le 26 mars 1844, Joseph Smith leur
donne ses dernières instructions. Il déclare qu’il
leur a maintenant donné toutes les clefs de la prêtrise
qu’il possède et qu’il est de leur responsabilité
d’assumer la charge du royaume tandis que lui se reposera. Il
sera assassiné avant leur retour de l’Est.
Bien
que Nauvoo grandisse rapidement, les travaux sur ses projets de
construction les plus ambitieux, le temple de Nauvoo et l’hôtel
de la Maison de Nauvoo, traînent, en partie à cause du
manque de capitaux. L’espoir de faire de Nauvoo un centre
industriel ne se réalisera pas pour la même raison. Mais
le succès continu du prosélytisme et l’afflux
d’immigrés combinés avec la solidarité et
le courage au travail des saints des derniers jours vont transformer
Nauvoo en un concurrent redoutable sur les plans économique et
politique par rapport aux autres villes du comté de Hancock.
Les
voisins de Nauvoo qui lui étaient hostiles ont aussi d’autres
sujets de se plaindre. L’organisation théocratique de la
communauté des saints, avec son unité de but manifeste
et son autonomie locale, suscite le ressentiment. La tendance des
saints des derniers jours à voter en bloc pour les candidats
locaux et de l’État qui sont le plus susceptibles de les
favoriser va leur aliéner aussi bien les whigs que les
démocrates. La puissante milice de Nauvoo provoque l’envie
et la méfiance. Le fait que le système juridique de la
ville protège Joseph Smith des poursuites judiciaires le fait
accuser de se mettre hors de portée de la loi.
Comme
cet état de choses augmente l’hostilité des
adversaires de l’Église, Thomas Sharp, rédacteur
d’un journal de la localité voisine de Warsaw, fait de
son Warsaw Signal la voix de ces préoccupations et entreprend
une croisade sputenue contre Joseph Smith et Nauvoo. Au printemps de
1844, plusieurs anciens compagnons mécontents prennent fait et
cause pour les antimormons pour monter une offensive contre le
prophète dans Nauvoo même. Ils publient un journal, le
Nauvoo Expositor, qui attaque l’Église et lance des
accusations incendiaires contre Joseph Smith. Le conseil municipal de
Nauvoo décrète le journal danger public et commande au
shérif de le détruire, une mesure qui cause la fureur
des ennemis du prophète et sert de base à son
arrestation. Le 27 juin 1844, Joseph et son frère Hyrum sont
assassinés à la prison de Carthage, chef-lieu du comté,
pendant qu’ils attendent d’être jugés.
Le
prophète Joseph Smith a jeté les fondements doctrinaux
et les bases de l’organisation de l’Église moderne
et a préparé Brigham Young et le Collège des
douze apôtres à construire sur la base qu’il a
créée. Son ministère et sa mission sont
terminés.
Bibliographie
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Lake City, 1976.
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université Brigham Young, 1965.
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Stephen C., The 1838 Mormon War in Missouri Columbia, Mo., 1987.
Pratt,
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Grant, “Millenarianism and the Early Mormon Mind”.
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----------------------
Troisième
partie :
1844-1877 :
Périodes de l’exode et du début de l’Utah,
par Leonard
J. Arrington et Dean L. May
Le
martyre de Joseph et de Hyrum Smith, le 27 juin 1844, provoque une
crise majeure. Conséquence immédiate de la perte de
leur prophète fondateur, beaucoup de saints des derniers
jours, choqués, connaissent une crise de la foi :
Quelqu’un peut-il prendre sa place ? Le Seigneur va-t-il
continuer à être avec l’Église ? Tout
le monde ne voit pas non plus directement qui doit diriger :
Sera-ce Sidney Rigdon, conseiller de Joseph Smith dans la Première
Présidence ? Le Collège des douze apôtres,
dirigé par Brigham Young ? Quelqu’un d’autre ?
Celui qui héritera de la direction de l’Église
devra affronter la tâche de résoudre les tensions
existant dans l’Église et les adversaires puissants de
l’extérieur.
Au
moment de l’assassinat, la plupart des membres du Collège
des Douze sont en mission dans l’Est des États-Unis.
Sidney Rigdon, qui a quitté Nauvoo pour Pittsburgh juste avant
le martyre, revient le 3 août et prétend prendre la
direction en tant que « Tuteur ». Trois jours
plus tard plusieurs des Douze, dont Brigham Young, arrivent juste à
temps pour une réunion tenue le 8 août déjà
convoquée pour décider de la tutelle. Rigdon parle le
premier, avançant ses prétentions. Il est suivi de
Brigham Young, qui affirme que c’est la responsabilité
des Douze de diriger l’Église en l’absence de
Joseph et d’édifier sur les fondements qu’il a
posés. La grande majorité votera pour soutenir les
Douze. Beaucoup affirmeront que Brigham Young a été
transfiguré devant eux, parlant avec la voix du prophète
décédé et ayant son apparence et sa façon
d’être.
Le
vote du 8 août règle définitivement la question
de la succession : personne d’autre n’a pu prétendre
de manière convaincante avoir l’autorité ou la
pleine confiance du Prophète. Le vote soutient le Collège
des Douze, avec Brigham Young à sa tête, en tant que
dirigeants de l’Église, mais cela ne va pas déboucher
immédiatement sur une nouvelle Première Présidence ;
cela viendra plus tard, après que les Douze auront terminé
le temple de Nauvoo et trouvé une nouvelle patrie pour
l’Église dans l’Ouest, responsabilités dont
ils estiment qu’ils doivent s’acquitter en tant que
collège. Le vote ne satisfera pas non plus ceux qui aspirent à
une façon d’être des saints des derniers jours
mais sans les innovations de Nauvoo qu’ils considèrent
comme douteuses et que les Douze vont conserver – des choses
telles que l’accent mis sur le temple, les nouveaux points de
doctrine dont le mariage plural et l’unité des affaires
temporelles et ecclésiastiques sous la prêtrise.
Certaines de ces personnes vont brièvement en suivre d’autres
qui se proclament dirigeants, mais beaucoup vont simplement
s’éloigner. Des années plus tard, certains se
grouperont pour former l’Église réorganisée
de Jésus-Christ des saints des derniers jours avec une
orientation tout à fait différente de celle de Joseph
Smith à Nauvoo ou des Douze dans le Grand Bassin.
Les
priorités des Douze sont de terminer le temple de Nauvoo tout
en se préparant en privé à l’exode vers
l’Ouest qu’ils se sont engagés à retarder
jusqu’à ce que les saints aient reçu les
ordonnances du temple. Les saints vont tellement se rallier derrière
le temple que la pierre angulaire sera mise en place en mai 1845 et
l’édifice sera prêt pour les ordonnances en
décembre. En fin de compte, près de 6.000 hommes et
femmes recevront les ordonnances du temple avant de partir pour
l’Ouest. Au printemps de 1845, l’achèvement du
temple étant proche, les dirigeants de l’Église
commencent les préparatifs pour partir dans l’Ouest. En
septembre, peu de temps après que des violences d’émeutiers
éclatent contre les colonies périphériques
autour de Nauvoo, les Douze annoncent publiquement que les saints
vont tous partir.
Brigham
Young est soutenu dans ces efforts par huit des Douze, ceux-là
mêmes qui ont œuvré à l’étranger
sous sa direction en 1840-1841, et par les membres du Conseil des
cinquante. Organisé en mars 1844 par Joseph Smith, le Conseil
de cinquante a participé à deux activités
majeures avant sa mort : des négociations secrètes
avec la République du Texas pour y créer éventuellement
des colonies et une campagne publique pour soutenir la candidature de
Joseph Smith à la présidence des États-Unis.
Plus de soixante-quinze pour cent des membres survivants du Conseil
original des cinquante soutiendront Brigham Young, mais William
Smith, John E. Page, Lyman Wight, tous apôtres, et William
Marks, le président de pieu de Nauvoo, feront dissidence et
n’accepteront jamais le temple ni l’exode vers le Grand
Bassin et ses implications. Le Conseil des cinquante, quant à
lui, aidera à organiser l’exode hors de Nauvoo et, au
début de l’Utah, contribuera à fonder une
théocratie économique et politique.
L’exode
commence en février 1846, avant que de nouvelles hostilités
n’éclatent. Pendant tout le printemps et l’été,
un flot de chariots traverse les prairies de l’Iowa. Les saints
des derniers jours ne sont pas encore installés en Iowa quand
un officier militaire des États-Unis arrive le 26 juin avec
une demande pour que 500 volontaires participent à la campagne
contre le Mexique. Bien que parfois considéré comme une
oppression imposée aux mormons réfugiés par le
gouvernement des États-Unis, l’appel est en réalité
le résultat de négociations secrètes avec James
Polk, président des États-Unis. S’il est vrai que
le bataillon leur enlève 500 hommes valides, il va apporter
$70.000 bien nécessaires qui seront utilisés pour aider
les familles des hommes et pour financer le programme général
de l’exode.
Comme
l’évacuation de Nauvoo et la traversée de l’Iowa
ont occupé la plus grande partie de la saison pendant laquelle
on peut voyager, les saints se préparent à passer
l’hiver sur les bords du fleuve Missouri. Ils créent des
colonies provisoires à Winter Quarters, sur la rive
occidentale du fleuve, aujourd’hui Florence, dans le Nebraska,
banlieue d’Omaha, et sur la rive est à Kanesville,
renommée plus tard Council Bluffs, en Iowa. Les préparatifs
de la grande migration vers les bassins intérieurs de
l’Amérique du Nord vont s’y poursuivre. Le 14
janvier 1847, Brigham Young annonce une révélation
selon laquelle les saints doivent s’organiser « en
compagnies [de cent, de cinquante et de dix], avec l’alliance
et la promesse de garder tous les commandements… du Seigneur,
notre Dieu » (D&A 136:2-3). Le 5 avril 1847, il emmène
le premier convoi de pionniers au départ de Winter Quarters.
Après
un voyage de trois mois, les éclaireurs entrent dans la vallée
du Grand Lac Salé. Trois jours plus tard, le 24 juillet 1847,
Brigham Young entre dans la vallée. Le 28 juillet, il indique
un emplacement pour un temple et annonce aux 157 pionniers que
« c’est le bon endroit », voulant dire
que lui et les saints ont prévu un long séjour à
proximité du Grand Lac Salé.
Après
son retour d’Utah à Winter Quarters en octobre 1847,
Brigham Young pose aux apôtres la question de la réorganisation
de la Première Présidence. Bien qu’aucune
révélation écrite n’autorise explicitement
les Douze à réorganiser la présidence, beaucoup
considèrent que ce droit est implicite dans la révélation
de 1835 concernant l’autorité de ce collège par
rapport à la Première Présidence (D&A
107:21-24). Les Douze soutiennent Brigham Young comme président
de l’Église, avec Heber C. Kimball et Willard Richards
comme conseillers, mesure ratifiée plus tard ce mois-là
par les membres de l’Église lors d’une conférence
spéciale à Kanesville et l’année suivante
à Salt Lake City.
En
Utah, Brigham Young se met en devoir de réaliser le rêve
de Joseph Smith de créer un refuge permanent pour les saints.
Cela comprend la création d’un État politique
dans lequel l’Église jouera un rôle dominant. La
nature théocratique de ce gouvernement ressort du fait qu’un
grand conseil de l’Église, présidé par
John Smith, oncle de Joseph Smith, gérera à la fois les
affaires religieuses et civiles dans la vallée du lac Salé
depuis l’automne de 1847 jusqu’au retour de Brigham Young
dans la vallée en septembre 1848, quand les Douze et le
Conseil des cinquante assumeront la direction.
Au
cours des derniers mois de 1848, le Conseil des cinquante commence
les discussions en vue de la mise sur pied d’un gouvernement
plus permanent. Prévoyant que le Grand Bassin deviendra un
territoire des États-Unis, le Conseil examine les mérites
respectifs d’une demande au Congrès pour obtenir le
statut de territoire ou celui d’état. Il opte d’abord
pour le territoire mais peu après, en juillet 1849, se basant
sur les précédents au Texas et en Californie, il
demande à devenir un État et commence à
organiser l’État provisoire de Deseret. Brigham Young
est élu gouverneur et d’autres autorités de
l’Église constituent l’exécutif et le
judiciaire et une grande partie du législatif. Le gouvernement
se réunit en décembre 1849, et l’État de
Deseret va fonctionner comme État autonome au sein du domaine
national jusqu’au 28 mars 1851, date à laquelle il va
être officiellement dissous et remplacé par le
Territoire d’Utah, qui avait déjà été
créé dans le cadre du Compromis national de 1850.
Les
frontières de l’État de Deseret sont vastes,
englobant tout l’Utah actuel, la majeure partie du Nevada et de
l’Arizona, plus d’un tiers de la Californie et des
parties de l’Oregon, de l’Idaho, du Wyoming, du Colorado,
et du Nouveau-Mexique. Pour assurer le contrôle de ce
territoire, Brigham Young va entreprendre un programme vigoureux de
colonisation, qui, avant sa mort en 1877, aura créé
près de 400 colonies, et un système énergique de
prosélytisme, en particulier dans les îles Britanniques
et en Scandinavie, avec des milliers de convertis, dont presque
90.000 vont émigrer en Utah avant la fin du siècle.
L’Église favorise, organise et gère cette
immigration. Pour le profit de ceux qui sinon n’auraient pas le
moyen de se payer le voyage, l’Église crée le
Fonds perpétuel d’Émigration. Créée
en 1850 par l’État de Deseret, pendant les trente-sept
années qui vont suivre, la Compagnie du Fonds perpétuel
d’Émigration va lever des fonds et utiliser les
ressources de l’Église pour aider quelque 26.000
émigrants d’Europe à atteindre les montagnes de
l’Ouest.
C’est
avec l’État de Deseret que l’Église se sera
rapprochée le plus de son but de réaliser le modèle
théocratique précédemment conçu par
Joseph Smith. Les autorités de l’Église
remplissent des postes civils importants. Quand les juges désignés
par le gouvernement fédéral auront quitté le
territoire en 1851, les tribunaux des successions, avec des évêques
comme juges, auront juridiction dans le civil et le pénal. La
volonté derrière tout cela est que l’influence
des saints sur la vie politique du territoire élimine les
persécutions qui se sont maintes fois produites. Bien plus
tard, le succès même de cette société
théocratique va créer des conflits moins violents mais
finalement plus dangereux avec la société américaine.
Une
pratique inséparable du sempiternel conflit avec le
gouvernement fédéral sera celle du mariage plural. Bien
que la polygamie ait été pratiquée en privé
avant l’exode, les dirigeants de l’Église en
auront retardé l’aveu public jusqu’en 1852. En
août de cette année-là, à une conférence
spéciale de l’Église à Salt Lake City,
Orson Pratt, un apôtre, annoncera officiellement le mariage
plural comme point de doctrine et de pratique de l’Église.
Une longue révélation sur le mariage pour l’éternité
et sur la pluralité des épouses, dictée par
Joseph Smith le 12 juillet 1843, sera publiée après
cette annonce (D&A 132). Considérant que c’est une
obligation religieuse que les frères fidèles épousent
plus d’une femme, les saints des derniers jours croient que la
polygamie est protégée par la garantie
constitutionnelle de la liberté religieuse. Il n’y a, à
l’époque, aucune loi fédérale contre la
polygamie, et l’incorporation territoriale de l’Église
lui permet de « célébrer des mariages
compatibles avec les révélations de Jésus-Christ »
(Arrington et Quinn, p. 261). Dans certaines localités,
jusqu’à vingt à vingt-cinq pour cent de la
population des saints finiront par vivre dans des ménages
polygames, la plupart des hommes qui ont pratiqué la polygamie
ayant une à quatre épouses plurales.
Pendant
les quelques premières années, la vie dans leur nouveau
refuge dans l’Ouest semble précaire. Un hiver doux en
1847-1848 est suivi de gelées printanières et d’un
été décourageant. Ensuite la sécheresse
endommage et une invasion de sauterelles dévore une bonne
partie des cultures. Beaucoup croient qu’ils n’auront
sauvé un reste de leurs cultures que grâce à
l’intervention miraculeuse d’un grand nombre de mouettes
qui descendent sur les champs et dévorent les sauterelles.
Cependant, après l’hiver difficile de 1848-1849, les
pionniers pourront faire, la plupart des années, des récoltes
suffisantes pour tenir l’hiver suivant. Une aubaine inattendue
se présente en 1849 quand des centaines de voyageurs en route
pour les gisements d’or de la Californie passent par l’Utah
et s’empressent d’échanger des produits
manufacturés rares, des animaux épuisés et même
de la farine contre les produits locaux. Entre-temps, les premières
colonies sont suffisamment bien installées pour que puisse
commencer la colonisation dans toute la région des montagnes
Rocheuses.
Les
saints vont fonder des dizaines de colonies, au début surtout
dans ce qui est maintenant l’Utah. La première zone
colonisée est une région centrale s’étendant
au nord et au sud du siège de l’Église à
Salt Lake City le long du bord occidental des montagnes. Les colonies
suivantes vont se trouver dans les vallées plus hautes de
montagne de la région, telles que les vallées de Cache
et de Heber. Presque en même temps, d’autres colonies
vont être fondées dans des régions plus éloignées
en réponse à des besoins particuliers comme la
fondation d’une industrie métallurgique (Parowan,
janvier 1851, Cedar City, novembre 1851), la création de
stations le long des itinéraires d’immigration (San
Bernardino, 1851, achat de Fort Bridger, 1855), les missions auprès
des Indiens (fort Lemhi dans l’Idaho actuel, Las Vegas, Nevada,
Fort Supply en 1853, dans le Wyoming actuel et la mission d’Elk
Mountain dans le centre-est de l’Utah, le tout en 1855), la
culture de plantes de climat chaud, comme le coton et le sucre
(St-George, 1861) ou, plus tard, la recherche d’un refuge pour
les familles polygames.
Le
motif le plus commun pour la colonisation est la nécessité
de trouver des terres pour une population croissante de fermiers, un
besoin qui sera à l’origine de la colonisation de la
plupart des emplacements favorables en Utah dès 1880 aussi
bien que d’autres dans le nord de l’Arizona, le sud-ouest
du Colorado, le nord-ouest du Nouveau-Mexique, l’ouest du
Wyoming et le sud-est de l’Idaho. On ouvre souvent de nouvelles
régions par un « appel en mission », ce
qui signifie que des colons installés sont invités à
entreprendre une mission patronnée par l’Église
pour fonder une colonie. Une fois la colonie mère établie,
les régions voisines sont colonisées spontanément
par les jeunes devenus adultes à la recherche de terres à
cultiver.
La
fondation d’un empire dans l’Ouest ne va pas se faire
sans conflits ni difficultés. Une période de sécheresse
prolongée en 1855 va être suivie d’une invasion
catastrophique de sauterelles. L’insécurité ainsi
créée va sans doute alimenter les flammes de la réforme
de 1856-1857, une période de remise en question intense et
d’engagement renouvelé. Les sermons enflammés et
parfois immodérés de la Réforme intensifieront
les inquiétudes des pionniers quand, au début de 1857,
sur la foi de rapports exagérés selon lesquels les
mormons sont en rébellion, James Buchanan, président
des États-Unis commande secrètement l’envoi d’une
armée de 2.500 soldats fédéraux en Utah.
Agissant sans avoir fait d’enquête, Buchanan relève
Brigham Young de ses fonctions de gouverneur, poste auquel Young
avait été redésigné, même après
l’annonce, en 1852, de la polygamie. Malheureusement, Buchanan
fait tout en secret, interrompant même le courrier à
destination de l’Utah pour donner aux troupes l’avantage
de la surprise.
Quand
il reçoit la confirmation confidentielle de la décision
du gouvernement, Brigham Young commande à tous les
missionnaires de retourner en Utah, fait fermer les missions et
abandonner les colonies les plus isolées. Habitués aux
persécutions de la part des milices d’état, les
saints des derniers jours voient dans l’avance des forces
armées vers l’Utah le prélude au pillage, au viol
et au massacre. Pendant qu’ils se préparaient à
la résistance armée, une hystérie de guerre
balaie le territoire.
Lorsque
qu’elle approche de Fort Bridger, l’avant-garde de
l’expédition d’Utah se heurte aux saints qui lui
opposent la politique de la « terre brûlée ».
Les raids mormons saisissent et brûlent les convois fédéraux
d’approvisionnement et détruisent le fourrage devant les
troupes en marche. L’arrivée opportune de fortes chutes
de neige embourbe l’armée pour l’hiver, donnant
aux médiateurs, et particulièrement à Thomas L.
Kane, du temps pour une conciliation. Pendant ce temps, le président
Young ordonne l’abandon des colonies du nord de l’Utah et
organise « l’Exode vers le Sud ». S’ils
doivent quitter leur refuge, les saints des derniers jours laisseront
le Grand Bassin aussi désertique qu’ils l’ont
trouvé. Les négociations réussissent avant le
printemps, juste au moment où l’armée se remet en
mouvement. Alfred Cumming est installé comme gouverneur et, le
12 juin 1858, Brigham Young accepte le pardon pour sa soi-disant
rébellion. Quinze jours plus tard, le général
Albert Sidney Johnston fait traverser à ses troupes une Salt
Lake City abandonnée et dresse un Camp Floyd isolé à
soixante-cinq kilomètres au sud-ouest. La guerre d’Utah
va être qualifiée, à juste titre, de gaffe de
Buchanan.
L’hystérie
de guerre aura pour conséquence désastreuse le massacre
de Mountain Meadows de septembre 1857, pour lequel les dirigeants
locaux du sud de l’Utah s’unissent aux Indiens pour
massacrer un convoi de colons en route pour la Californie. Il est
prouvé que l’ordre de Brigham Young était de
laisser les voyageurs passer en paix, mais sa recommandation va
arriver trop tard pour empêcher le massacre et les autorités
locales vont faire croire à une attaque par les Indiens.
Répondant aux accusations que des blancs sont impliqués,
le président Young invite le nouveau gouverneur à
enquêter, mais celui-ci considère que si des blancs sont
impliqués, ils bénéficieront du pardon en vertu
de l’amnistie générale accordée en 1858.
Par la suite, quand de plus amples renseignements se feront jour,
certains des principaux protagonistes seront excommuniés de
l’Église et l’un d’eux, John D. Lee, sera
condamné par un tribunal fédéral et exécuté.
Bien
que préoccupé par la guerre de Sécession, le
gouvernement fédéral s’intéresse néanmoins
au Territoire d’Utah. En 1862, Fort Douglas est créé
à l’extrémité est de Salt Lake City, sous
la direction de Patrick Edward Connor, un anti-mormon virulent.
Connor et ses troupes sont chargés de garder les itinéraires
de transport, mais ils publient aussi le Union Vedette, une
publication agressivement anti-mormone, encouragent les exploitations
minières et favorisent l’immigration de non-mormons dans
le Territoire. En 1863, les troupes de Connor attaquent un groupe
d’Indiens Shoshones du nord sur la Bear River, dans le nord de
la Cache Valley, tuant quelque 250 hommes, femmes et enfants.
La
décennie suivant la guerre d’Utah est une ère
d’expansion générale pour l’Église.
En 1862, le Congrès décrète une loi interdisant
la polygamie dans les territoires et dissolvant l’Église,
mais elle ne sera pas appliquée avant Reynolds contre les
États-Unis en 1879. Les immigrants de l’Église
continuent d’arriver par milliers et Brigham Young continue
d’implanter des colonies pour les recevoir. Mais l’afflux
régulier de non-mormons en Utah et la construction d’un
chemin de fer transcontinental annoncent de futurs défis à
la domination par les mormons de leur empire du Grand Bassin.
L’achèvement
du chemin de fer transcontinental s’accompagne à la fois
de possibilités nouvelles et de problèmes. Brigham
Young s’attend depuis longtemps à la fin de l’isolement
physique et, par certains côtés, l’encourage. En
1852 et en 1854, les saints demandent au Congrès qu’un
chemin de fer transcontinental passe par l’Utah. Il
simplifierait l’immigration et permettrait aux dirigeants de
l’Église d’établir des liaisons
ferroviaires reliant beaucoup de colonies éloignées à
Salt Lake City. Le 1er juillet 1862, quand le Pacific Railroad Act
est promulgué, le président Young souscrit pour $10.000
d’actions auprès de la Union Pacific Railroad Company
nouvellement organisée, dont il devient l’un des
directeurs en 1865.
Si
le chemin de fer permet aux immigrants de l’Église
d’atteindre plus facilement l’Utah, il encourage aussi
l’immigration de non-mormons. La fin de l’isolement
menace également l’indépendance économique
et politique de l’Utah. Pour renforcer l’économie
locale et retarder la création d’un milieu d’affaires
non-mormon puissant, les autorités de l’Église
ont longtemps lutté pour décourager l’importation
de produits manufacturés venus de l’Est des États-Unis.
Elles vont maintenant lancer une campagne énergique pour
décourager l’achat de produits de luxe importés,
notamment le thé, le café, l’alcool et le tabac
et réinsister sur la révélation de 1833 donnée
à Joseph Smith déconseillant l’utilisation de ces
produits.
En
dépit de l’opposition opiniâtre de Brigham Young
au développement de l’extraction de métaux
précieux en Utah, l’approche du chemin de fer relance
l’enthousiasme pour l’exploitation des richesses minières
de l’Utah. Sous la direction de plusieurs hommes d’affaires
et intellectuels en vue de l’Église tels que William
Godbe, Edward W. Tullidge et Eli B. Kelsey, un « Nouveau
Mouvement » se développe dans l’Église
contre ce qu’ils appellent « l’autocratie de
la prêtrise ». Ces hommes écrivent des
articles persuasifs dans le Utah Magazine, recommandant
l’exploitation des ressources minières de l’Utah
afin de maintenir l’industrie sous le contrôle local (et
donc mormon). Brigham Young, qui prévoit un résultat
différent, dénonce les « Godbeites »,
les accusant d’inciter à la domination « gentile »
de l’Utah. Par la suite, Godbe, dont le manque d’orthodoxie
doctrinale pose un problème supplémentaire, est
excommunié. Bien qu’ayant rejeté la solution
godbeite, Brigham Young reconnaît les réalités de
la nouvelle situation économique et lance une série de
programmes pour renforcer la solidarité spirituelle et
l’indépendance économique.
Une
partie du programme de Brigham Young comprend l’organisation de
l’École des Prophètes en 1867. L’École
des Prophètes originelle avait été fondée
en 1833 par Joseph Smith pour donner un enseignement aux adultes et
pour se préparer pour le temple. Dans l’organisation
d’Utah, les discussions sur la théologie s’accompagnent
de l’adoption d’un programme économique. Les
Écoles des Prophètes enseignant aux propriétaires
fonciers les méthodes pour s’assurer des titres de
propriété, sollicitent des contributions en main
d’œuvre et en fonds pour financer des chemins de fer
secondaires, créent des coopératives de vente et de
fabrication locales, poussent à la diminution des salaires
pour permettre une plus grande exportation des marchandises d’Utah,
organisent le boycott des établissements des gentils hostiles
et exigent des membres qu’ils s’engagent à
observer la Parole de Sagesse. Les Écoles passent aussi des
contrats avec les chemins de fer de l’Union Pacific et du
Central Pacific pour créer l’infrastructure de la ligne
transcontinentale en Utah, limitant ainsi l’afflux de
travailleurs non-mormons et apportant des revenus en argent liquide
aux saints des derniers jours. Au bout de quelques années,
avec le changement de la situation économique, ces
organisations vont graduellement disparaître.
Ce
qui va être plus permanent que les Écoles des Prophètes,
ce sont les organisations que Brigham Young crée pour les
femmes et les jeunes de l’Église. Entre la renaissance
de la Société de secours en 1867 et la mort de Brigham
Young une décennie plus tard, la présidente générale,
Eliza R. Snow, aidant les évêques à constituer
les organisations locales, la société se répand
dans toutes les colonies de l’Église du Grand Bassin. En
plus de ses buts charitables, la Société de secours
travaille avec les Écoles des Prophètes pour encourager
l’industrie locale et déconseiller l’achat des
importations. Parmi les réalisations principales de la Société
de secours, il y a le commencement d’un programme de stockage
du blé, le lancement de la culture de la soie, la fondation du
Woman’s Exponent, la construction de salles pour la Société
de secours dans la plupart des colonies, la mise sur pied d’un
magasin de distribution pour les industries locales et l’appui
impressionnant de la formation médicale des femmes. Les
dirigeantes de la Société de secours participent aussi
activement à la campagne pour le suffrage des femmes et en
Utah les femmes vont être les secondes après les femmes
du Wyoming à recevoir le droit de vote.
En
1869, Brigham Young crée, pour les jeunes filles, une
organisation portant le nom peu maniable de « Département
des jeunes demoiselles de l’Association coopérative de
retranchement ». Il exhorte les jeunes filles à
éviter toute extravagance et à « cesser
d’accorder [leur] clientèle au négociant qui
envoie [leur] argent hors du Territoire pour de beaux vêtements
faits dans l’Est » (Susa Young Gates, History of the
Young Ladies Mutual Improvement Association of the Church, p. 9, Salt
Lake City, 1911). La Société d’amélioration
mutuelle des Jeunes Filles, comme on l’appellera plus tard, va
devenir une organisation s’occupant principalement d’activités
culturelles, sociales et religieuses.
Après
l’achèvement du chemin de fer transcontinental en 1869,
l’Union Pacific et le Central Pacific ne respectent pas leurs
engagements contractuels concernant l’infrastructure. Les
pertes pour l’économie mormone sont massives :
$500.000 en liquide et des pertes cumulées encore plus grandes
pour les sous-traitants, les commerçants et les ouvriers. Pour
essayer de compenser ces pertes, les dirigeants de l’Église
financent des chemins de fer dans le territoire en utilisant le fer,
le matériel de construction et le matériel roulant pour
une valeur d’un demi million de dollars dont la Union Pacific
en faillite s’était servi pour payer ses obligations.
Ces chemins de fer apporteront du profit en Utah, mais leur succès
ne soulagera pas complètement l’amertume que les saints
auront ressentie à l’égard des revers causés
par le chemin de fer transcontinental.
En
plus d’intensifier son appel à pratiquer l’industrie
locale et à boycotter les marchands non-mormons au moment où
le chemin de fer se rapproche de l’Utah, Brigham Young met sur
pied un système coopératif de vente. En octobre 1868,
il organise la Zion’s Cooperative Mercantile Institution (ZCMI)
pour « apporter des marchandises ici et les vendre aussi
bon marché qu’il est possible de le faire et que les
bénéfices soient répartis parmi l’ensemble
du peuple » (Arden Olsen, History of the Mormon Mercantile
Cooperation in Utah, p. 80, thèse de doctorat, université
de Californie, Berkeley, 1935). Largement soutenu, le nouveau grand
magasin va devenir une entreprise profitable qui reste le plus grand
détaillant de Salt Lake City. Des succursales sont créées
dans beaucoup de localités, de même que d’autres
coopératives : tanneries, meuneries, laiteries,
boucheries, banques, usines sidérurgiques, scieries, fabriques
de laine et usines de coton. Tout cela va aider les saints à
retarder d’une décennie la mainmise « extérieure »
que l’arrivée du chemin de fer présage.
Le
succès remarquable du Mouvement Coopératif va inspirer
à Brigham Young l’idée qu’une renaissance
de « l’Ordre uni d’Hénoc »,
longtemps son but, pourrait maintenant être réalisable.
Inauguré par Brigham Young pendant l’hiver de 1873-1874,
le Mouvement de l’Ordre est inspiré par le désir
d’imiter les tentatives de vivre la loi de consécration
dans les années 1830 et par le succès de la coopérative
de Brigham City. Sous la direction de Lorenzo Snow, Brigham City
était devenue autonome à quatre-vingt-cinq pour cent,
effectuant pratiquement toute l’agriculture, la construction,
la fabrication et le commerce dans la région environnante.
Presque toute la population était employée dans les
divers départements de la coopérative et était
rémunérée par des produits plutôt que par
de l’argent liquide. La Coopérative de Brigham City
avait eu tant de succès qu’elle n’avait quasiment
pas été affectée été par la
panique financière de 1873.
Brigham
Young lance donc le mouvement de l’Ordre Uni et plus de 200
ordres sont créés dans tout l’Utah, le sud de
l’Idaho, le nord de l’Arizona et le Nevada. Du fait qu’il
laisse le fonctionnement de ces ordres entre des mains locales,
plusieurs types différents apparaissent. Certains, comme
Orderville, dans le sud de l’Utah, sont presque totalement
communaux. Dans les villes plus grandes, où les ordres
communaux fortement structurés sont impossibles, les diverses
paroisses financent différentes entreprises coopératives,
telles que des fermes ou des usines et échangent ensuite les
produits. Les manifestations de l’Ordre Uni d’Hénoc
varient, mais elles représentent un effort véritable du
peuple pour devenir « un » comme le
commandaient les premières révélations. Comme
dans le cas de presque toutes les entreprises volontaires de cette
nature, ces ordres vont finir par se dissoudre en raison de tensions
internes et de pressions externes. Le mouvement lui-même prend
fin en 1877, bien que quelques ordres, comme celui d’Orderville,
continuent pendant une décennie encore.
Avant
sa mort en 1877, Brigham Young aura vu la réalisation d’une
de ses aspirations les plus sacrées : l’achèvement
d’un temple en Utah. Toute l’importance des temples et de
leurs ordonnances remonte à la période de Nauvoo, quand
Joseph Smith a introduit le baptême pour les morts, le mariage
pour l’éternité et un ensemble d’instructions
religieuses et d’alliances appelé dotation. Depuis
l’abandon du temple de Nauvoo en 1846, Brigham Young rêve
d’un temple dans l’Ouest. En arrivant dans la vallée,
il consacre, à Salt Lake City, un terrain pour un temple, mais
il faudra quarante ans pour terminer cet imposant édifice. En
attendant, une Maison des dotations provisoire, construite en 1855,
fournira un endroit pour les ordonnances sacrées. Après
avoir décidé de construire un édifice moins
imposant dans le sud, Brigham Young consacrera le temple de
St-George, achevé le 6 avril 1877. Pendant la décennie
qui suivra sa mort, deux temples supplémentaires seront
construits en Utah (Logan et Manti) avant que le temple de Salt Lake
City ne soit finalement consacré en 1893.
Après
la consécration du temple de St-George, Brigham Young lance
une réorganisation massive de l’Église,
principalement au niveau local, clarifiant et redéfinissant,
par la même occasion, les responsabilités de la
prêtrise. Toutes les paroisses et tous les pieux sont touchés
et la plupart reçoivent de nouveaux dirigeants.
Quand
il meurt, le 29 août 1877, Brigham Young a amené les
saints des derniers jours à un point culminant de croissance
dans leur retraite et leur royaume de montagne. Ses dernières
paroles, « Joseph ! Joseph ! Joseph ! »
sont appropriées pour quelqu’un qui a vécu sa
vie, comme il le disait souvent, en tant qu’apôtre de
Jésus-Christ et de Joseph Smith. À sa façon
parfois inflexible, Brigham Young aura travaillé pendant plus
de quarante ans pour atteindre les buts de Joseph Smith. Les saints
sont parvenus à un pouvoir économique et politique
unifié, même s’ils vont bientôt être
forcés de se plier face à une pression fédérale
persistante. Chose plus importante encore, en affrontant
courageusement leurs difficultés et en poursuivant leurs rêves
dans le désert, ils sont devenus un peuple fort, solidaire et
plein de foi. Attaché à l’idéal
évangélique quel qu’en soit le coût, il
laissera un héritage qui continue à inspirer les saints
des derniers jours du monde entier.
Bibliographie
Ouvrages généraux sur cette période :
Leonard J. Arrington, Brigham Young, American Moses, New York, 1985
et Great Basin Kingdom, Cambridge, Mass., 1958 ; Eugene E.
Campbell, Establishing Zion : The Mormon Church in the American
West, 1847-1869, Salt Lake City, 1988 ; Dean L. May, Utah :
A People’s History, Salt Lake City, 1987 et un bref compte
rendu dans Leonard J. Arrington et D. Michael Quinn, “The
Latter-day Saints in the Far West, 1847-1900”, dans F. Mark
McKiernan, Alma R. Blair et Paul M. Edwards, dir. de publ., The
Restoration Movement : Essays in Mormon History, Lawrence,
Kans., 1973, p. 257-270.
En
plus de nombreux articles sur le sujet dans le Journal of Mormon
History, BYU Studies, Dialogue, Sunstone et le Utah Historical
Quarterly, voir : Richard E. Bennett, mormons at the Missouri
1846-1852, Norman, Okla., 1987, pour la période débouchant
sur la colonisation de l’Utah ; Wallace Stegner, The
Gathering of Zion, New York, 1964, récit classique de
migration vers l’Utah ; Leonard J. Arrington, Feramorz Y.
Fox et Dean L. May, Building the City of God : Community and
Cooperation Among the mormons, Salt Lake City, 1976, qui se concentre
sur le communautarisme ; et Norman F. Furniss, The Mormon
Conflict, 1850-1859, New Haven, Conn., 1960, la meilleure étude
sur la Guerre d’Utah.
----------------------
Quatrième
partie :
1878-1898 :
Fin de la période pionnière d’Utah,
par Gene
A. Sessions et William G. Hartley
Pendant
la période de croissance, de problèmes graves et de
changements marquants de 1878-1898, l’Église affronte de
nombreuses difficultés sous les présidents de l’Église
John Taylor et Wilford Woodruff. La décision de la Cour
suprême en 1879, confirmant la législation contre la
polygamie introduit une décennie d’une application de
plus en plus féroce de lois de plus en plus dures. Face à
la persécution par le gouvernement et dans une tentative
d’obtenir l’autonomie en accédant au rang d’état,
l’Église prend des mesures pour mettre fin à la
pratique du mariage plural et pour abandonner son contrôle
jadis ferme de la politique et de l’économie du
Territoire d’Utah. Dans les années 1890, le Territoire
d’Utah et ses résidants mormons prennent le chemin de
« l’américanisation ».
Bien
que cette période soit caractérisée par son
affrontement prolongé avec le gouvernement fédéral,
elle l’est aussi de manière frappante par la croissance.
La population de l’Église double (de 115.065 à
229.428), de même que le nombre de pieux (20 à 40) et de
paroisses (252 à 516). Les colonies de saints vont jusqu’au
Mexique et au Canada. Les efforts missionnaires augmentent et le
nombre de missions s’accroît (de 8 à 20).
L’activité des collèges de la prêtrise
devient plus ordonnée et plus normalisée. Les Autorités
générales assistent régulièrement aux
conférences trimestrielles de pieu et aux conférences
de paroisse. Les organisations auxiliaires se généralisent
dans les pieux et les paroisses, et des présidences et des
bureaux généraux d’auxiliaires sont désignés.
L’Église termine aussi trois temples, portant le total
en Utah à quatre.
Après
la mort du président Young en août 1877, le Collège
des douze apôtres n’organise pas immédiatement une
nouvelle Première Présidence. John Taylor préside
l’Église comme président des Douze jusqu’en
octobre 1880. Sous sa direction, les Douze achèvent la
réorganisation des paroisses et des pieux commencée par
le président Young.
Ils
étendent aussi les organisations auxiliaires. En 1880, ils
choisissent trois des leurs (Wilford Woodruff, Joseph F. Smith et
Moses Thatcher) pour former une surintendance générale
de la Société d’amélioration mutuelle des
Jeunes Gens (SAMJG) et pour superviser de nouveaux bureaux ou comités
centraux de la SAMJG créés d’abord pour les
comtés et plus tard pour les pieux. L’Association de
Retranchement des Demoiselles devient en 1878 la Société
d’amélioration mutuelle des Jeunes Filles (SAMJF) avec
la création de bureaux dans les pieux à partir de cette
année et le début, en 1880, d’une organisation
dans toute l’Église avec Elmina S. Taylor comme
présidente. La Primaire, une nouvelle organisation pour le
profit des enfants, est lancée en 1878 à Farmington
(Utah). Après que d’autres paroisses ont copié le
programme, une Primaire est créée en 1880 au niveau de
l’Église, dirigée par Louie B. Felt. Eliza R.
Snow, présidente de la Société de secours,
continue à diriger l’œuvre de toutes les femmes
dans l’Église, qui comprend maintenant la SAMJF et la
Primaire. George Q. Cannon, de la Première Présidence,
reste, tout au long de cette période, surintendant général
des Écoles du Dimanche. Les Écoles du Dimanche, la
Société de secours, et la SAM sont organisées
dans les îles Britanniques et en Scandinavie à partir de
la fin des années 1870 et du début des années
188.
Les
complications juridiques entourant la succession du domaine de
Brigham Young deviennent un gros problème pour les Douze.
Lorsque la législation fédérale avait sévèrement
limité les avoirs fonciers de l’Église, le
président Young avait été à la tête
d’un mélange compliqué de biens personnels et de
propriétés de l’Église. En 1879, ses
héritiers et l’Église finiront par régler
la question par compromis en dehors des tribunaux.
En 1880, son cinquantième anniversaire, l’Église
proclame une année de jubilé, modelée sur une
coutume hébraïque antique, pour soulager les pauvres.
Elle efface des livres pour $802.000 de dettes auprès du Fonds
perpétuel d’Émigration, la moitié du total
encore dû. En plus de distribuer du bétail et des
moutons aux nécessiteux, les autorités remettent aux
pauvres dignes la moitié de leur dîme impayée. La
Société de secours prête aussi près de
1250 tonnes de blé provenant de ses réserves pour aider
les fermiers touchés par la sécheresse.
Après
avoir dirigé l’Église pendant trois ans, John
Taylor et les Douze réorganisent, en octobre 1880, une
Première Présidence : John Taylor, président
de l’Église, avec George Q. Cannon et Joseph F. Smith,
qui avaient précédemment fait partie de la Première
Présidence sous Brigham Young, comme conseillers.
Les
révélations données au président Taylor
en 1882 et 1883 conduisent à une réorganisation des
soixante-dix. Pour la première fois, les soixante-seize
collèges locaux sont organisés sur une base
géographique, inscrivant tous les soixante-dix dans leurs
limites respectives. En outre, entre 1884 et 1888, vingt-cinq
nouveaux collèges sont créés. Cette
réorganisation redonne une vitalité aux soixante-dix,
et le nombre de soixante-dix qui remplissent une mission à
plein temps augmente directement après la mise en application
du changement.
Cette
période voit aussi une augmentation des publications liées
à l’Église. Deux nouveaux magazines desservent
les jeunes : The Contributor (1879-1896) pour les jeunes gens et
The Young Woman’s Journal (1889-1929) pour les jeunes filles.
Le Morgenstjernen (1882-1885), une publication historique en danois,
continue en anglais sous le titre The Historical Record (1886-1890).
L’École du Dimanche publie son premier cahier de musique
(1884) et le Livre de Mormon paraît pour la première
fois dans une traduction suédoise (1878). En 1880, l’Église
accepte par vote la Perle de grand prix comme Écriture, ce qui
lui donne le quatrième de ses ouvrages canoniques. Elle publie
aussi, en 1879, des éditions du Livre de Mormon et des
Doctrine et Alliances, avec les divisions en chapitres et versets,
les correspondances et les notes d’Orson Pratt.
Le
président Taylor met aussi en application un nouveau programme
économique. Moins rigidement structuré que les ordres
unis précédents, il assure l’équilibre
entre l’entreprise privée et la planification économique
de groupe. La Chambre centrale de Commerce de Sion stimule l’activité
économique coopérative en favorisant le commerce, en
cherchant de nouveaux marchés, en fournissant des informations
aux fermiers et aux fabricants, en empêchant une concurrence
nuisible à l’industrie locale et parfois en réglementant
les salaires et les prix. Les chambres de commerce de pieu
travaillent en coordination avec l’agence centrale.
Malheureusement, en 1885, les croisades antimormones vont forcer ces
chambres de commerce à se dissoudre. Edward Hunter, pionnier
et évêque président, qui est en fonction depuis
les années 1850, décède en 1883 et est remplacé
en 1884 par William B. Preston.
Pendant
les années 1880, la Société de secours continue
à élaborer des programmes qui ont commencé dans
les années 1870: entreposage de blé, entretien des
salles de Société de secours et des magasins de
distribution de paroisse, gère des programmes de formation
d’infirmières et d’obstétrique, supervise
les organisations pour les enfants et les jeunes filles, veille au
bien-être spirituel des femmes de l’Église et
améliore le soin permanent des pauvres. Les nouveautés
sont l’ouverture, en 1882, de l’hôpital de Deseret,
deuxième hôpital d’Utah, le premier géré
par l’Église. La mort de d’Eliza R. Snow en 1887
marque la fin d’une ère pour la Société de
secours ; en 1888, Zina Diantha H. Young la remplace comme
présidente.
Malgré
des problèmes graves, les dirigeants de l’Église
tiennent toujours à apporter les bénédictions
des temples à un plus grand nombre de saints. Pour ajouter à
l’unique temple en fonctionnement à St-George, John
Taylor consacre, le 17 mai 1884, le temple de Logan, deuxième
en Utah. Construit principalement à l’aide de dons en
argent, en matériaux et en main d’œuvre, il va
coûter $800.000 environ. Un troisième temple, à
Manti (Utah), construit pour un coût de près de $1
million, est consacré en 1888 par Lorenzo Snow, membre du
Collège des Douze. Les travaux continuent aussi sur le grand
temple de Salt Lake City, commencé en 1853, mais achevé
seulement en 1893.
La
colonisation se poursuit. Entre 1876 et 1879, pas moins de cent
nouvelles colonies sont créées en dehors de l’Utah
et plus de vingt à l’intérieur du Territoire. Les
colonies de saints en Arizona augmentent rapidement. Les pieux créés
en 1878 et 1879 à proximité de la Little Colorado River
sont absorbés, en 1887, par les pieux nouvellement créés
de St-Johns et de Snowflake. Entre-temps, le long des Gila et Salt
Rivers, les pieux de St-Joseph et de Maricopa sont créés
1883. De nouvelles colonies de saints apparaissent au Nevada, dans
l’est de l’Utah, où le pieu d’Emery est créé
en 1882 et dans le sud-est de l’Utah et les régions
voisines du Colorado et du Nouveau-Mexique, où le pieu de San
Juan est créé en 1883. Beaucoup de convertis venus des
États du sud s’installent dans la San Luis Valley, dans
le centre-sud du Colorado et, en 1883, leurs colonies deviennent le
pieu de San Luis.
Les
poursuites judiciaires en matière de polygamie amènent
les dirigeants de l’Église à fonder des colonies
au Mexique et au Canada, hors de portée des lois des
États-Unis. Après la visite du président Taylor
en 1885 au Mexique, des centaines de saints vont affluer au Chihuahua
et créer des villages dans une région que l’on
appelle encore aujourd’hui « les colonies mormones »
du Mexique. Ces colonies font d’abord partie de la mission
mexicaine. En une décennie, plus de 3.000 saints vont s’y
installer, d’autres colonies vont être fondées et
en décembre 1895, le pieu de Juarez est créé
pour diriger les saints dans les colonies mexicaines.
Sur
instructions du président Taylor, Charles Ora Card, président
du pieu de Cache, découvre en 1886 un lieu de refuge dans le
sud de l’Alberta pour les colons de l’Église. Le
printemps suivant, des colons venus d’Utah fondent Cardston, à
vingt-deux kilomètres au nord de la frontière des
États-Unis. Des colonies apparaissent tout près à
Aetna (1888) et à Mountain View (1893). En juin 1895, le pieu
d’Alberta devient le premier pieu organisé en dehors des
États-Unis (à l’exception du pieu de Salt Lake
City, alors situé en territoire mexicain).
L’œuvre
missionnaire connaît un succès impressionnant et apporte
des problèmes frustrants. Entre 1879 et 1889, l’Église
gère, au Mexique, une petite mission qui connaît quelque
242 convertis. En Nouvelle-Zélande, une branche est organisée
en 1883 chez les Maoris. En 1884, Jacob Spori ouvre la mission
turque, qui comprend la Palestine. Le nombre des missionnaires à
destination de l’Europe augmente. Le rassemblement de convertis
européens en Utah continue en dépit de la publicité
anti-mormone qui incité les autorités américaines
à demander aux gouvernements européens d’empêcher
les mormons d’émigrer. Aucune suite ne sera donnée
à cette demande.
Après
l’organisation d’une mission des États du Sud en
1875, les conversions donnent de temps en temps lieu à des
violences. Les missionnaires sont chassés de certaines
localités et, en 1879, des émeutiers de Géorgie
tuent Joseph Standing. En 1884, à Cane Creek, au Tennessee,
des émeutiers assassinent deux missionnaires et deux résidants
qui manifestent de l’intérêt pour l’Église.
Voulant voir leur histoire racontée équitablement,
les dirigeants de l’Église fournissent des
renseignements considérables à l’historien
californien Hubert Howe Bancroft. La History of Utah de Bancroft
(1889) est l’une des premières histoires écrites
par un véritable historien non mormon à traiter
l’Église avec impartialité.
En
1879, la Cour suprême confirme le caractère
constitutionnel de la loi contre la Bigamie de 1862, affirmant
l’illégalité du mariage plural. De nouvelles lois
sont passées, les poursuites deviennent plus acharnées
et les maris et pères polygames se retrouvent devant quatre
choix : abandonner leurs familles, entrer dans la clandestinité,
affronter les poursuites judiciaires ou quitter les États-Unis.
En dépit de cette crise, le président Taylor, déclarant
que quand les lois de l’homme et celles de Dieu sont en
conflit, il obéit à Dieu, refuse d’abandonner ses
propres familles plurales ou de dire aux autres frères
d’abandonner les leurs. Les attaques contre la polygamie,
souvent menées par des organisations religieuses, viennent de
toutes parts. Quand les groupes nationaux de femmes insistent auprès
du président Rutherford B. Hayes pour qu’il poursuive
les polygames de l’Utah, 2.000 femmes de l’Église
signent une résolution affirmant que le mariage plural est une
pratique religieuse protégée en vertu de la
Constitution.
L’hostilité
entre les saints et les gentils couve au niveau national et en Utah.
La pression publique amène le Congrès à passer
en 1882 la loi Edmunds, qui impose jusqu’à cinq ans
d’emprisonnement et $500 d’amende pour polygamie et
jusqu’à six mois et $300 d’amende pour
cohabitation illégale. Les personnes pratiquant la polygamie
ou la cohabitation illégale perdent leurs droits civiques, ne
pouvant faire partie d’un jury, détenir une fonction
publique et voter. La loi crée un conseil de cinq commissaires
pour gérer l’enregistrement des électeurs et les
élections. Elle déclare légitimes les enfants
nés des polygames avant le 1er janvier 1883 et donne au
président le pouvoir d’accorder des amnisties à
sa discrétion.
La
Commission d’Utah commence son travail en 1882 en déclarant
que quiconque a jamais pratiqué le mariage plural, même
avant la loi de 1862 contre la bigamie, ne peut pas voter. Comme la
commission exige des électeurs de faire un « serment-test »
jurant qu’ils ne violent pas la loi, dans l’année
la loi va priver de leurs droits plus de 12.000 saints des derniers
jours. Mais en 1885, la Cour suprême des États-Unis
décidera que ce serment-test est anticonstitutionnel.
La
croisade judiciaire contre des polygames va gravement perturber la
société de l’Église en Utah, en Idaho et
en Arizona. Les polygames et leurs familles vont beaucoup en
souffrir, de même que l’Église comme organisation.
Des maris et des pères sinon respectueux des lois – et
certaines épouses et certains enfants – se réfugient
dans une « clandestinité » mormone, se
déplaçant fréquemment d’un endroit à
l’autre pour échapper aux federal marshalls pourchassant
les « cohabs ». Les saints créent des
cachettes secrètes dans les maisons, les granges et les
champs, des codes pour s’avertir mutuellement et des guetteurs
à l’affût des marshalls. Les « deps »
(deputy marshalls, officiers de police adjoints) fédéraux
se déguisent en marchands ambulants ou en recenseurs et
engagent leurs propres guetteurs pour interroger les enfants et les
voisins et pour violer la vie privée des foyers. Des
récompenses sont offertes pour chaque cohab capturé.
Les familles souffrent, en particulier les épouses livrées
à elles-mêmes pour entretenir les cultures tandis que
leurs maris se cachent. Les épouses qui refusent de témoigner
contre leurs maris sont incarcérées. Hommes, femmes et
enfants connaissent de longues périodes de privation et de
peur.
En
Utah, entre 1884 et 1893, 939 saints iront en prison sur des
accusations relatives à la polygamie. En Idaho et en Arizona
les saints sont poursuivis avec la même férocité.
Quand les prisons de l’Arizona sont pleines, les cohabs sont
envoyés dans un pénitencier de Detroit. Un Utahan,
Edward M. Dalton, est tué par un adjoint lancé à
sa poursuite, ce qui aigrit les saints contre le gouvernement. Ce
sera aussi le cas suite à une décision de la Cour
suprême des États-Unis qu’un homme qui a cessé
de vivre avec son épouse mais qui lui a fourni nourriture et
abri est coupable de cohabitation.
La
croisade perturbe considérablement les activités
normales de l’Église. Le président Taylor évite
de se faire arrêter en voyageant. Dans son dernier sermon
public, il condamne ce qu’il qualifie d’outrage
judiciaire, après quoi il entre dans la clandestinité.
Plusieurs apôtres vont en exil, faisant des missions spéciales
dans des régions isolées de l’Ouest, au Mexique,
au Canada et à Hawaï. Plusieurs autres font une mission
en Europe et auprès des Amérindiens. Beaucoup de
présidents de pieu et d’évêques essaient de
même d’éviter l’arrestation.
Entre
1884 et 1887, des conférences générales sont
tenues à Provo, à Logan et à Coalville plutôt
qu’à Salt Lake City, pour aider les participants à
éviter l’arrestation. Peu d’Autorités
générales sont présentes. Franklin D. Richards,
un apôtre qui ne risque pas l’arrestation parce que son
épouse plurale est morte, préside certaines des
conférences. Les épîtres générales
du président Taylor et du président Cannon donnent des
directives aux conférences.
Le
président Taylor dirige l’Église par lettre.
Pendant plus de deux ans, il va rester dans la clandestinité,
séparé de la plus grande partie de sa famille et de ses
amis. Il meurt caché à Kaysville (Utah), le 25 juillet
1887, après avoir été Autorité générale
pendant près de quarante-neuf ans. À sa mort, les
marshalls fédéraux auront fait des descentes dans
presque toutes les colonies d’Utah, des centaines de saints se
seront réfugiés au Mexique ou au Canada et presque tous
les dirigeants auront dû se cacher. À son enterrement à
Salt Lake City, on l’honorera comme double martyre dont le sang
a été versé à la prison de Carthage avec
Joseph et Hyrum Smith et qui est ensuite mort en exil à cause
de la persécution du gouvernement.
Une
fois de plus, le Conseil des Douze, dirigé par Wilford
Woodruff, le doyen des apôtres, va prendre le gouvernail de
l’Église et en orienter le cours, en grande partie
depuis la clandestinité jusqu’à ce qu’il
organise une nouvelle Première Présidence à la
conférence générale d’avril 1889. Wilford
Woodruff devient président de l’Église et George
Q. Cannon et Joseph F. Smith sont ses conseillers. Ce sera la
dernière fois que les Douze auront postposé la
réorganisation de la Première Présidence à
la mort du président. En décembre 1892, le président
Woodruff, déclarant qu’un retard prolongé n’est
pas agréable au Seigneur, invite Lorenzo Snow, le doyen des
apôtres, à réorganiser immédiatement à
sa mort.
Les
dirigeants politiques nationaux, voyant que l’Église ne
se plie pas à la loi, le Congrès décrète
en 1887 une mesure plus radicale, la loi Edmunds-Tucker, qui vise à
détruire l’Église en tant qu’entité
politique et économique afin de forcer les saints à
abandonner le mariage plural. La loi dissout l’Église en
tant qu’entité juridique, exige la confiscation de toute
propriété dépassant $50.000, dissout la
Compagnie du Fonds perpétuel d’Émigration et en
réclame la propriété, et met fin à la
Légion de Nauvoo (milice territoriale). Pour faciliter les
poursuites, la loi exige la présence obligatoire des témoins
aux procès et confirme qu’il est légal de forcer
les épouses à témoigner contre leurs maris. Les
juges de validation du comté, qui procèdent à la
constitution des jurys, doivent être nommés par le
président des États-Unis. Des fonctionnaires désignés
par le fédéral prennent la direction des écoles.
Des tribunaux de validation certifient tous les mariages. Le décret
déshérite tous les enfants nés des mariages
pluraux un an ou plus après le passage de la loi. Le suffrage
des femmes est aboli et un nouveau serment-test est élaboré.
Personne ne pourra voter, faire partie d’un jury ou exercer un
mandat public sans signer un serment de soutien des lois contre la
polygamie.
Les
représentants fédéraux de la loi s’efforcent
avec zèle d’arrêter et emprisonner les dirigeants
de l’Église. Le président Woodruff reste dans la
clandestinité près de St-George (Utah), dirigeant
l’Église par courrier et par réunions privées.
George Q. Cannon, premier conseiller du président Woodruff,
est arrêté en février 1886, obtient sa libération
sous caution, puis disparaît dans la clandestinité
jusqu’en 1888 quand il se rend à un juge plus clément.
Il passe 175 jours en prison et paie une amende de $450. Les visites
étant permises en prison, il peut gérer beaucoup
d’affaires de l’Église et d’affaires
personnelles. Il supervise les Écoles du Dimanche et finit
d’écrire une biographie de Joseph Smith. Sa présence
donne du courage aux autres cohabs de la prison. Les saints des
derniers jours considèrent ces prisonniers comme des martyrs
et leur offrent une réception de gala quand ils sont libérés.
Les
arrestations sont un problème, mais ce qui fait le plus de
tort à l’Église, c’est son incapacité
d’acquérir et d’utiliser des fonds pour promouvoir
son œuvre et la perte des droits politiques. Pour protéger
de la confiscation des biens personnels fonciers pour une valeur de
$3 millions, l’Église demande à des membres
éminents de prendre en charge la propriété de
certains biens à titre d’administrateurs. Des
associations sans but lucratif se créent pour détenir
les propriétés, notamment les trois temples de l’Utah.
Des associations de paroisse et de pieu reprennent les églises,
les maisons de dîme et le bétail locaux de l’Église.
Beaucoup de pieux créent des académies avec la dîme
que l’Église leur confie.
Les
receveurs fédéraux confisquent pour environ $800.000 de
propriétés non confiées à des privés
ou à des associations et ensuite rendent à l’Église
certaines propriétés à titre locatif, comme le
Temple Block à Salt Lake City. Les dirigeants de l’Église
mettront à l’épreuve le caractère
constitutionnel des confiscations, mais en 1890 la Cour suprême
confirmera la nouvelle loi par un vote de 5 contre 4. La destruction
économique de l’Église paraît certaine.
Cette
croisade économique va de pair avec un assaut politique.
Toutes les femmes, des milliers de saints masculins et tous les
immigrants convertis ayant perdu leurs droits civiques, les
politiciens anti-mormons prennent le contrôle des gouvernements
d’Ogden et de Salt Lake City. En Idaho, pratiquement tous les
membres de l’Église ont perdu leurs droits civiques par
un serment-test exigeant d’eux qu’ils disent sous serment
qu’ils ne croient pas ou n’appartiennent pas à une
Église qui croit au mariage plural. Quand la Cour suprême
confirme en 1890 le serment-test de l’Idaho, les anti-mormons
présentent au Congrès le projet de loi Cullom-Struble
qui veut ôter leurs droits civiques à tous les saints
des derniers jours de partout.
Économiquement
paralysée, ses membres privés de leurs droits
politiques, l’Église se trouve devant des perspectives
d’avenir catastrophiques si elle ne met pas fin à sa
pratique du mariage plural. Le président Woodruff consulte les
dirigeants et prie avec ferveur pour savoir quoi faire. Après
réception d’une révélation divine, il
publie, le 24 septembre 1890, le Manifeste qui annonce la fin
officielle du mariage plural. « Le Seigneur, par la vision
et la révélation, m’a montré très
exactement ce qui se produirait si nous n’arrêtions pas
cette pratique, dira plus tard le président Woodruff. Il m’a
dit exactement quoi faire, et ce que serait le résultat si
nous ne le faisions pas » (Deseret Evening News, 14 nov.
1891). Le Manifeste affirme que l’Église a mis fin à
l’enseignement du mariage plural et ne permet pas de nouveaux
mariages pluraux. Le président Woodruff déclare qu’il
se soumet aux lois du pays et invite les membres de l’Église
à faire de même. À la conférence générale
du 6 octobre 1890, l’Église accepte le Manifeste.
Celui-ci sera intégré aux Doctrine et Alliances en
1908.
Parlant
pour la Première Présidence, George Q. Cannon explique
qu’une révélation de 1841 est d’application
en 1890 ; elle donnait pour instructions aux membres de l’Église
que quand des « ennemis tombent sur eux et les empêchent
d’accomplir cette œuvre, voici, il me convient de ne plus
la requérir de la part de ces… hommes, mais d’accepter
leurs offrandes » (D&A 124:49). La plupart des saints
accepteront la nouvelle directive, mais pas facilement et pas tous.
En effet, un nombre limité de nouveaux mariages pluraux vont
se faire au cours de la décennie suivante jusqu’à
ce que les dirigeants de l’Église déclarent que
quiconque persiste dans cette pratique risque l’excommunication.
Avec
la publication du Manifeste, les hostilités s’apaisent
et l’Église écrit une nouvelle ère de
coopération. Il sera généralement admis que les
maris ne seront pas tenus de répudier leurs épouses
plurales et leurs enfants, et les procureurs locaux deviendront très
cléments quand il s’agira de punir ceux qui sont accusés
de polygamie. Benjamin Harrison, président des États-Unis,
qui, en 1891, visite l’Utah et serre la main au président
Woodruff, accorde, en 1893, une amnistie limitée aux saints
suivie d’une amnistie générale accordée,
en 1894, par Grover Cleveland. Après le Manifeste et les
amnisties, les Autorités générales vont
reprendre leurs fonctions administratives normales.
Voulant
obtenir le statut d’État pour l’Utah, les
dirigeants de l’Église invitent les saints d’Utah
à se joindre aux partis politiques nationaux et à
devenir démocrates ou républicains. Un Congrès
républicain passe, en 1894, une loi d’habilitation que
le président démocrate Grover Cleveland signe. L’Utah
écrit une nouvelle constitution qui interdit le mariage plural
et assure la séparation de l’Église et de l’État.
Le 4 janvier 1896, l’Utah devient un état, presque
cinquante ans après que Brigham Young a réclamé
ce statut.
En
1896, les Autorités générales acceptent un
« Manifeste politique » stipulant qu’aucune
d’elles ne se présentera pour un poste élu sans
l’approbation préalable des autorités présidentes
de l’Église. Quand Moses Thatcher, un apôtre,
refuse de signer le document, il est relevé du Collège
des Douze.
Pendant
les années 1890, le nombre de missionnaires de l’Église
va presque tripler. Dans le Pacifique, l’œuvre
missionnaire pénètre à Samoa en 1888 et au Tonga
en 1891. En 1898, la mission australasienne est divisée en
mission australienne et mission de Nouvelle-Zélande. Certains
saints hawaïens émigrent en Utah et créent une
colonie à Iosepa, dans l’ouest de l’Utah. L’œuvre
missionnaire reprend en Californie en 1892 et dans l’Est des
États-Unis en 1893. Le prosélytisme continue en Europe,
bien que l’émigration en provenance de là diminue
de 50% dans les années 1890 par rapport aux années
1880. Dans les années 1890, l’Église, bien ancrée
en Amérique et occupant la plupart des bonnes terres dans
l’Ouest, demande que l’émigration prenne fin et
que les convertis d’outre-mer édifient des pieux dans
leur patrie plutôt que de se rassembler en Sion.
La
loi Edmunds-Tucker renforce les écoles d’État,
qui excluent l’enseignement de la religion. En réaction,
l’Église commence à donner des cours de religion
après école dans les églises et fonde des
académies ou des lycées dans les colonies plus
importantes. Entre 1888 et 1891 on ouvre trente et une académies
de l’Église en Utah, en Idaho, en Arizona, au Canada et
au Mexique.
Les
années 1890 voient les femmes de l’Église étendre
leur action et démontrer leurs droits politiques. Continuant
leur affiliation aux mouvements des femmes dans l’Est, elles
deviennent membres du Conseil national des femmes et trouvent auprès
de leurs collègues de l’Est des alliées
importantes dans leur combat contre la privation des droits civiques.
Les efforts soutenus par la Société de secours pour
obtenir le droit de vote ont pour résultat que le suffrage des
femmes est garanti dans la Constitution de l’État d’Utah
de 1895.
Après
quarante ans, la construction du temple de Salt Lake City est
terminée et le temple est consacré en avril 1893. Après
de brèves portes ouvertes le 5 avril, première occasion
donnée aux non-membres de visiter un temple, l’édifice
sacré est consacré le 6 avril, quarante ans après
la pose de la pierre angulaire. Le service de consécration
sera répété entre le 6 avril et le 18 mai et
comprend cinq sessions réservées aux enfants en dessous
de l’âge du baptême ; quelque 75.000 saints
des derniers jours seront présents. Ensuite les membres de
l’Église n’entreront dans le temple que pour
accomplir des ordonnances pour les vivants et les morts. L’année
suivante, le président Woodruff annonce par révélation
que les groupes de familles n’ont plus besoin d’être
scellés par adoption à des dirigeants éminents
de la prêtrise, mais qu’ils doivent être scellés
par lignage en remontant aussi loin que possible dans le temps. En
conséquence, les membres vont commencer à faire leur
généalogie et à accomplir des ordonnances de
scellement pour leurs ancêtres sur plusieurs générations.
L’Église crée la Société
généalogique d’Utah pour aider des chercheurs.
En
1893, le Chœur du Tabernacle de Salt Lake City, pendant qu’il
fait une grande tournée, chante à l’Exposition
universelle de Chicago et remporte le deuxième prix dans un
concours important. La Première Présidence entière
accompagne le chœur, ce qui est la première fois qu’un
président de l’Église se rend dans l’Est
depuis l’émigration vers l’Ouest presque cinquante
ans plus tôt. Cette représentation inaugure une nouvelle
image publique de l’Église, bien que cette même
année l’Église se voie refuser une représentation
au Parlement mondial des Religions, également réuni à
Chicago.
Il
y aura d’autres événements importants sous la
direction de Wilford Woodruff : en novembre 1896, le jour de
jeûne mensuel de l’Église passe du premier jeudi
au premier dimanche du mois, une pratique qui existe encore
aujourd’hui ; en 1897, la coutume du rebaptême prend
fin. La même année, Wilford Woodruff, lui-même
pionnier de 1847, préside la commémoration par toute
l’Église de l’entrée dans la vallée
du lac Salé cinquante ans auparavant. Salt Lake City organise
des célébrations avec des défilés, des
programmes, et l’inauguration d’un monument à
Brigham Young.
Pendant
les années 1890, l’Église et l’Utah
entrent, économiquement aussi bien que politiquement, dans la
société américaine. Beaucoup d’entreprises
coopératives deviennent privées et la plupart des
commerces patronnés par l’Église sont vendus ou
se lancent dans la concurrence en tant qu’entreprises
productrices de revenus. Mais l’intégration dans
l’économie nationale ne se fait pas sans douleur. La
précédente confiscation des propriétés et
la diminution du paiement de la dîme provoquées par la
croisade contre la polygamie ont fait beaucoup de mal à
l’Église, de même que la dépression
nationale de 1893. Les dirigeants sont forcés d’emprunter
massivement aux financiers de l’Est pour payer les dettes et
satisfaire aux obligations et en 1898 les dettes de l’Église
dépassent $1.250.000. Cependant, en dépit de la dette
et d’une dépression nationale, l’Église
favorise et investit dans des industries de base telles que la
fabrication de sucre de betteraves, l’énergie
hydroélectrique et un choix d’entreprises minières
et de transport pour étendre la base économique du
Grand Bassin et profiter aux collectivités des saints des
derniers jours.
Avec
la fin des mariages pluraux et le fait que l’Utah devient un
État et entre dans le système général
américain en matière de politique et de finances, les
saints des derniers jours entrent de plein pied dans une nouvelle
ère. Quelque chose qui donne une idée du changement est
la réponse de l’Église à la guerre
hispano-américaine de 1898: la Première Présidence
invite les jeunes gens de l’Église à soutenir
l’effort national, démontrant ainsi le patriotisme et la
loyauté des saints.
Wilford
Woodruff décède le 2 septembre 1898, à San
Francisco, à l’âge de quatre-vingt-onze ans. Selon
ses instructions, une nouvelle Première Présidence est
immédiatement désignée, Lorenzo Snow devenant le
cinquième président de l’Église.
Bibliographie
Alexander,
Thomas G. Mormonism in Transition : A History of the Latter-day
Saints, 1890-1930. Urbana et Chicago, 1985.
Arrington,
Leonard J. Great Basin Kingdom : An Economic History of the
Latter-day Saints, 1830-1900. Lincoln, Neb., 1966.
Larson,
Gustive O. The “Americanization” of Utah for Statehood.
San Marino, Calif, 1971.
Lyman,
Edward Leo. Political Deliverance : The Mormon Quest for Utah
Statehood, Urbana et Chicago, 1986.
Roberts,
B. H. A Comprehensive History of the Church of Jesus Christ of
Latter-day Saints, Century 1. Vol 6. Provo, Utah, 1965
(réimpression).
----------------------
Cinquième
partie :
1898-1945 :
Transitions : Période du début du vingtième
siècle,
par Richard
W. Sadler et Ronald W. Walker
L’Église
aborde le vingtième siècle en état de siège
et dans l’isolement. L’expérience des saints
jusqu’ici est constituée d’une fondation, d’un
exode vers l’Ouest américain isolé, de la
création à cet endroit d’un royaume spirituel et
temporel de Dieu et d’affrontements avec une société
américaine peu compréhensive et souvent hostile.
Pourtant l’année 1898 est une plaque tournante. Après
la mort de Wilford Woodruff en septembre, Lorenzo Snow (1898-1901)
lui succède et entreprend une série de changements
visant à produire un renouveau et une redéfinition.
Avec ses successeurs, Joseph F. Smith (1901-1918) et Heber J. Grant
(1918-1945), il réagit aux changements radicaux de la première
moitié du vingtième siècle et s’efforce de
préserver les vieilles valeurs dans un monde en mutation
rapide. Il en résulte qu’au milieu du siècle
l’Église est acceptée et intégrée
dans la société américaine, et qu’elle est
plus vigoureuse et plus vivante que personne sauf ses défenseurs
les plus vigoureux aurait pu le prévoir un demi-siècle
plus tôt.
Les
finances constituent le problème le plus urgent. La croisade
contre la polygamie a gravement détérioré les
revenus et les capitaux, d’abord par l’incarcération
des dirigeants qui gèrent normalement les dons et en second
lieu par la saisie et la mauvaise gestion des biens de l’Église.
La panique de 1893 et la dépression qui en est résultée
ont encore aggravé la situation. Espérant fournir de
l’emploi et stimuler l’économie locale, les
dirigeants ont emprunté de l’argent pour financer des
travaux publics et des entreprises commerciales. Le président
Snow met rapidement fin à cette pratique. Son administration
sabre dans les dépenses, vend les biens non essentiels et
exhorte les disciples fidèles à augmenter leurs
contributions financières.
Il
annonce de manière spectaculaire cette nouvelle politique lors
d’une tournée de prédication dans le sud de
l’Utah. En mai 1899, parlant aux membres assemblés à
St-George, il promet que s’ils se conforment fidèlement
au code de la dîme, un code de l’Église qui existe
de longue date, ils en seront bénis et que cela libérera
en même temps l’Église de ses dettes. Une année
après la campagne du président Snow en faveur de la
dîme, les revenus de l’Église auront doublé.
Les dirigeants invitent aussi à faire des dons en argent
liquide au lieu de denrées en nature et instituent des
procédures systématiques de dépenses et
d’apurement. Grâce à ces réformes, le
président Smith pourra annoncer, dès 1907, que l’Église
est enfin sortie de dettes. Les recettes annuelles de dîme
s’élèvent à $1,8 millions, alors qu’en
1898 la dette de l’Église était de $1.25
millions. De plus, l’Église a des propriétés
pour plus de $10 millions. L’Église n’aura plus
jamais recours au déficit budgétaire, même
pendant la grande Dépression.
Les
réformes du président Snow n’excluent pas la
détention de biens d’investissement ni l’administration
d’entreprises par des dirigeants et des directeurs de l’Église.
Certaines entreprises, comme le Deseret Telegraph, la Utah Light and
Railway Company et le Saltair Resort au Grand Lac Salé seront
privatisées, mais l’Église investira
particulièrement dans les entreprises qui font progresser ses
buts sociaux ou institutionnels. Elle conserve le Deseret News et, au
début des années 1920, les dirigeants créent
l’une des premières stations radio du pays, qui
deviendra plus tard radio KSL. Le Salt Lake Theater, le théâtre
pionnier, est rendu à l’Église pour donner des
spectacles autorisés – mais ce sera pour fermer au début
de la Dépression par manque de rentrées et à
cause de ce que les dirigeants de l’Église considèrent
comme un déclin des valeurs théâtrales.
S’inspirant
du précédent de la maison de Nauvoo, on construit
l’hôtel Utah de Salt Lake City pour détourner les
touristes des hôteliers non mormons hostiles et pour améliorer
l’image de l’Église. La Beneficial Life Insurance
Company fournit des assurances bon marché. La Utah Sugar
Company, transformée en Utah-Idaho Sugar Company, continue à
fournir aux fermiers locaux un marché pour leur récolte
la plus importante en argent liquide, tandis que la Zion’s
Cooperative Mercantile Institution (ZCMI) et la Zion’s Savings
Bank & Trust fournissent au public des services de la vente au
détail et des services bancaires concurrentiels. Cette
politique altruiste d’investissement est également
pratiquée à un niveau plus vaste. Les dirigeants de
l’Église font partie du conseil d’administration
d’autres sociétés importantes pour la région.
Ces
investissements et les préoccupations sociales qu’ils
expriment remontent à l’idéal pionnier de
préoccupation pour le bien-être de la collectivité.
Ce n’est d’ailleurs par le seul reste du passé. Le
mariage plural continue à être un problème
perturbant pour les saints des derniers jours et attire l’attention
de tout le pays sur l’Église, en particulier pendant les
mandats des présidents Snow et Smith. Si beaucoup de membres
ont pu croire que le Manifeste de 1890 a mis fin au mariage plural,
d’autres interprètent la déclaration comme un
simple transfert de la responsabilité de sa pratique de
l’Église à l’individu. En conséquence,
de 1890 à 1904 certains mariages pluraux vont continuer,
quoique à un niveau considérablement réduit. De
plus, si certains maris cessent de vivre avec leurs épouses
plurales, la plupart estiment avoir l’obligation morale et
spirituelle de continuer de s’occuper de leurs familles.
Cette
confusion et cette ambiguïté débordent sur la
politique. En 1898, B.H. Roberts, membre du premier conseil des
soixante-dix, et mari de trois épouses, est élu à
la chambre des représentants des États-Unis. La Salt
Lake Ministerial Association [association de pasteurs] et des
organisations semblables dans d’autres endroits vont se servir
de l’élection de Roberts pour concentrer l’attention
sur la poursuite du mariage plural, accusant l’Église de
ne pas respecter les accords qui ont permis à l’Utah de
devenir un état. Des pétitions anti-Roberts contenant
sept millions de signatures inondent le Congrès et la Chambre
finit par lui refuser son siège.
Plus
grave encore est le cas de Reed Smoot. L’élection en
1903 de Smoot, membre monogame du Collège des douze apôtres
au Sénat des États-Unis provoque une fois de plus un
tollé national. La commission sénatoriale sur les
privilèges et les élections commence en 1904 des
audiences sur Smoot, mais le Congrès se concentre plus souvent
sur l’Église elle-même. Est-ce que l’Église
et l’État sont vraiment séparés en Utah ?
L’Église contrôle-t-elle la conduite de ses
membres ? Incite-t-elle à la polygamie et à la
cohabitation polygame ? Pendant l’enquête, qui va
durer deux ans, Joseph F. Smith et d’autres dirigeants vont
témoigner devant le comité. D’autres, comme
Matthias F. Cowley et John W. Taylor, soupçonnés
d’accomplir des mariages pluraux depuis le Manifeste, refusent.
Pour mettre fin à la polémique et démontrer la
bonne volonté de l’Église de faire de la question
une affaire de discipline, le président Smith annonce un
« Second Manifeste » qui interdit formellement
tout futur mariage plural. Il exige aussi la démission de
Cowley et de Taylor du Conseil des Douze. En 1907, le Sénat,
suite à un vote serré, permet à Smoot de
conserver son siège.
Le
mariage plural ne va quand même pas disparaître
entièrement, même devant la politique maintenant résolue
du président Smith et plus tard du président Grant. Les
frères Cowley et Taylor, par exemple, vont subir une action
disciplinaire supplémentaire pour poursuite des mariages
pluraux, le premier en étant « disqualifié »
tandis que Taylor, après avoir pris une épouse plurale
supplémentaire, sera excommunié. Leur conduite est
semblable à celle d’un nombre de plus en plus important
d’anciens mormons au vingtième siècle. Qualifiés
de fondamentalistes, ils préfèrent accepter
l’excommunication automatique plutôt que d’abandonner
le mariage plural ou de renoncer à d’autres pratiques du
dix-neuvième siècle. À la différence de
la généralité des saints des derniers jours, qui
sont renforcés dans leur croyance en la révélation
donnée aux prophètes du jour et abordent donc les temps
nouveaux d’une manière nouvelle, les Fondamentalistes
affrontent le monde moderne en regardant en arrière.
La
question du mariage plural ne disparaît pas non plus dans la
presse populaire. Pendant la première décennie du
vingtième siècle et même plus tard, l’Église
va être harcelée publiquement par les journalistes à
scandale et les adversaires politiques en Utah. Les journaux, les
périodiques et le cinéma, tant en Europe qu’aux
États-Unis, vont faire du sensationnel (souvent romancé)
avec la polygamie, décrire les dirigeants de l’Église
comme des autocrates et traiter l’Église
d’antiaméricaine et antichrétienne. Les vieilles
accusations d’atrocités commises par les Danites et
d’expiation par le sang refont surface. En Utah, l’assaut
est mené par deux anciens sénateurs américains,
Frank J. Cannon et Thomas Kearns, qui se servent du Salt Lake Tribune
pour lancer des attaques virulentes contre Smoot et l’Église
et pour soutenir l’American Party. Ce parti politique
antimormon éphémère dominera le gouvernement de
Salt Lake City de 1905 à 1911.
L’Église
va essayer d’affronter ce barrage d’insultes malgré
la violence de l’opposition. Les premiers efforts vont
consister à transformer le Saltair Resort et le Temple Square
de Salt Lake City en centres pour visiteurs. Avec les orgues et le
Chœur du Tabernacle mormon comme attractions, ce dernier site
va, dès 1905, recevoir annuellement 200.000 visiteurs. À
partir de ce moment-là, le nombre de visiteurs va augmenter
rapidement. Quand c’est possible, les dirigeants publient des
réfutations dans les journaux à sensation. En outre une
réfutation systématique sera lue en 1911 pendant la
conférence générale de l’Église. La
réplique la plus compétente et la plus durable viendra
de B.H. Roberts. De 1909 à 1915, il publie une série
d’articles sur l’histoire mormone dans le périodique
Americana. Ils seront plus tard rassemblés pour constituer les
six tomes de la Comprehensive History of the Church de Roberts.
De
plus en plus, des hommes et des femmes extérieurs à
l’Église vont aussi défendre les saints des
derniers jours. Déjà en 1900, C. C. Goodwin, ancien
rédacteur du journal antimormon Salt Lake Tribune et
détracteur de longue date, qualifie franchement les mormons
d’efficaces, prospères et généralement
agréables. L’éminent sociologue Richard T. Ely
fait l’éloge de la vie de groupe des saints. Morris R.
Werner publie une biographie de Brigham Young où l’on ne
retrouve pas les stéréotypes et l’hostilité
antérieurs. Ces ouvrages qui rompent avec les habitudes vont
être suivis d’autres. À la fin des années
1920, le président Grant peut concéder que l’on
peut mettre dans les médias quasiment tout ce que l’Église
pourrait demander. En fait, le magazine Time met le président
Grant en couverture, tandis que les studios de Hollywood font des
films aussi favorables que Union Pacific et Brigham Young.
Le
changement d’attitude du public est dû en partie à
l’intégration des membres de l’Église dans
la société américaine. Les saints des derniers
jours du dix-neuvième siècle avaient étendu
leurs colonies agricoles dans tout l’Ouest montagneux et même
au Canada et au Mexique, mais leurs communautés agraires
étaient souvent des enclaves provinciales très unies.
Par contre, du fait de l’émigration des saints vers
l’extérieur au vingtième siècle, les
membres de l’Église vont maintenant fréquenter
leurs concitoyens américains en milieu urbain. Pendant les
années 1920, par exemple, le pourcentage de saints des
derniers jours vivant dans l’Intermountain West diminue tandis
que celui des saints vivant sur la côte occidentale américaine
augmente. En 1923 est créé le pieu de Los Angeles,
premier pieu moderne en dehors de la zone culturelle mormone
traditionnelle. Entre 1919 et 1927, le nombre de saints des derniers
jours en Californie augmente de moins de 2.000 à plus de
20.000. La dispersion de l’Église au vingtième
siècle commence tout d’abord par la migration d’un
grands nombre vers la Côte ouest, ensuite et de plus en plus
vers l’Est et le Midwest.
Le
contact direct avec les voisins diminue les barrières
culturelles, religieuses et même émotionnelles,
permettant aux mormons et aux non-mormons de mieux s’apprécier.
Le nombre de plus en plus important d’Américains
prospères qui sont aussi saints des derniers jours ou nés
en Utah accélère le processus. Maud Adams connaît
un immense succès en incarnant Peter Pan dans un spectacle à
grand succès. Les inventions de Philo T. Farnsworth sont à
l’origine de la télévision. Cyrus Dallin et
Mahonri Young se distinguent dans les arts.
Les
saints des derniers jours sont particulièrement attirés
vers les affaires publiques. Edgar B. Brossard devient membre et puis
président de la Commission tarifaire des États-Unis. J.
Reuben Clark, Jr., parvient aux échelons supérieurs de
la bureaucratie du Département d’État et termine
sa carrière au gouvernement comme ambassadeur au Mexique.
Pendant le New Deal, Marriner S. Eccles est président du
système de la Réserve fédérale. James H.
Moyle est adjoint du Secrétaire au Trésor de 1917 à
1921, tandis que William Spry est commissaire aux terres publiques de
1921 à 1929. Heber M. Wells est trésorier du US
Shipping Board. Richard W. Young devient commissaire des États-Unis
aux Philippines et reviendra de la Première Guerre mondiale en
tant que premier général de l’armée
régulière que compte l’Utah. Pour les membres
d’une minorité religieuse jadis persécutée,
chaque succès personnel de ce genre est le signe que l’Église
est de plus en plus acceptée et que son prestige s’accroît.
Les « gens du dehors » deviennent des « gens
du dedans ».
Deux
membres de l’Église ont une influence disproportionnée
dans la création de la nouvelle image de l’Église.
L’un d’eux est Reed Smoot. Distant, mais honnête et
tout à fait inlassable dans son dévouement aux devoirs
du gouvernement et aux intérêts de l’Église,
Smoot restera trente ans au sénat. Président du
puissant Comité des finances du sénat, il exerce une
influence majeure dans la politique économique américaine.
Plus que n’importe quel autre saint des derniers jours dans les
services publics, il personnifie l’Église, apaisant les
doutes au sujet de son patriotisme et de son intégrité
par sa personnalité et sa présence.
L’autre
est le président Heber J. Grant. Il est dans les affaires par
goût et c’est son premier métier. Ses manières
simples et son sens des affaires charment une époque vouée
à l’esprit d’entreprise. Les non-mormons
apprécient tout particulièrement ses discours. Quand il
termine une allocution devant le San Francisco Commonwealth Club, il
est applaudi par des cris de « Encore ! Encore ! »
Quand il parle à la deuxième conférence de
l’agriculture, de l’industrie et de la Science de
Dearborn, les « Chemurgicians » lui font à
deux reprises une ovation. Son ministère de relations
publiques est plus que faire des discours. Il organise des tournées
du Chœur du Tabernacle. Il fait personnellement visiter Salt
Lake City à des personnalités de renommée
nationale dans les affaires et la politique et cultive leur amitié.
Il rend visite à la Maison Blanche aux présidents des
États-Unis Warren G. Harding, Calvin Coolidge, Herbert Hoover
et Franklin D. Roosevelt. Si le président Grant est respecté
par son propre peuple, les non-mormons l’aiment et l’idéalisent
aussi.
La
croissance vigoureuse de l’Église pendant cette période
témoigne de ce que son image est plus positive. La population
va plus que tripler pendant le demi-siècle ; les totaux
des années 1900 à 1945 passent de 268.331 à
979.454. Avant 1898 l’Église avait organisé 37
pieux (16 seront supprimés) ; en 1945, 116 autres auront
été ajoutés. Le nombre de missionnaires de
l’Église change et augmente en conséquence,
rajeunissant, attirant plus de célibataires et, après
1898, comprenant un nombre croissant de jeunes filles. À la
fin du siècle, on appelle moins de 900 missionnaires par an ;
en 1940, il y en aura 2.117.
L’œuvre
missionnaire continue à être une préoccupation
importante. La nouvelle mission la plus ambitieuse est le Japon,
ouvert en 1901 par des missionnaires dirigés par Heber J.
Grant, alors apôtre. Trois ans plus tard, la mission mexicaine
est rouverte. Les années 1920 vont voir plus de 11.000
convertis de langue allemande. Néanmoins c’est des
régions d’expression anglaise que viennent la plupart
des convertis : de Grande-Bretagne, du Canada et des États-Unis
et c’est la mission des États du Sud qui a le plus de
succès. Malheureusement, là comme ailleurs, les
missionnaires sont soumis à des actes de violence physique. Au
début du siècle, le nombre annuel de baptêmes de
convertis était de 3.786 ; un demi-siècle plus
tard, il atteint 7.877.
L’Église
cherche à rendre son prosélytisme plus efficace. Au
lieu d’être envoyés sans « bourse ni
sac », la plupart des missionnaires sont maintenant
soutenus financièrement par leur famille ou leur assemblée
locale. Des cours de formation des missionnaires sont organisés
dans les académies et les universités de l’Église.
Au milieu des années 1920, on inaugure un « Foyer
de mission » à Salt Lake City pour les sœurs
et les anciens qui partent. Les missionnaires y reçoivent
pendant quinze jours des leçons sur le régime
alimentaire, l’hygiène, les bonnes manières et
surtout les techniques missionnaires et la doctrine de l’Église.
La période produit aussi de nouvelles brochures missionnaires.
Charles W. Penrose écrit une série intitulée
Rayons de Lumière vivifiante, James Talmage écrit La
grande Apostasie et Ben E. Rich écrit Une Discussion amicale.
Pour conserver l’esprit de son héritage et pour aider à
raconter son histoire, l’Église achète des sites
importants pour les débuts de son histoire : la prison de
Carthage en Illinois (1903), où Joseph Smith et son frère
Hyrum ont été tués, une partie de l’emplacement
du temple d’Independence (Missouri) (1904), le lieu de
naissance de Joseph Smith à Sharon (Vermont) (1905-1907) et la
ferme des Smith à Manchester (New York) (1907). À
chacun de ces endroits, l’Église construira par la suite
un centre pour visiteurs.
Ce
qui caractérise sans doute plus l’époque que
l’expansion, c’est la consolidation interne. La
succession de Lorenzo Snow à la présidence est
symptomatique. Pour la première fois, l’accession du
doyen des apôtres au poste de président de l’Église
se fait en quelques jours au lieu des interrègnes d’environ
trois ans du passé. Conscient de la complexité
croissante de l’Église, le président Snow exhorte
les Autorités générales à consacrer leur
temps plein à leur ministère. En 1941, il ne s’agit
plus simplement d’une question d’efficacité de la
direction, mais d’expansion. « La croissance rapide
de l’Église ces derniers temps, la création d’un
nombre toujours plus grand de paroisses et de pieux… [et] la
nécessité constamment pressante d’augmenter le
nombre et l’efficacité de nos missions »,
remarque la Première Présidence en 1941, « ont
donné lieu à un service apostolique de la plus grande
magnitude » (CR d’avr. 1941, p. 94-95). En réponse
à ces nouvelles exigences, cinq hommes sont nommés
Assistants des Douze. Contrairement aux officiers à court
terme qui continuent à occuper la plupart des postes de
l’Église, les officiers « généraux »
de l’Église, une trentaine, sont maintenant rétribués
et accomplissent un ministère à temps plein pour le
reste de leur vie.
Le
gouvernement de la prêtrise va aussi changer. La première
moitié du siècle assiste à une décentralisation
graduelle de la prise de décision, les dirigeants de pieu et
les dirigeants locaux recevant une autorité accrue. L’Église
réduit la taille des pieux pour les rendre plus fonctionnels
et met davantage l’accent sur « l’enseignement
de paroisse ». Avec des districts plus petits et un nombre
plus grand de garçons et d’hommes affectés à
l’enseignement, le pourcentage des familles recevant des
visites mensuelles passe de 20% en 1911 à 70% une décennie
plus tard. Finalement, et c’est un changement important par
rapport à la pratique pionnière, les membres sont
invités à porter les conflits profanes devant les
tribunaux civils et pénaux plutôt que devant les
tribunaux de l’Église. Jadis le moyen de trancher les
problèmes sociaux et économiques, les tribunaux de
l’Église s’occupent maintenant exclusivement de
discipline religieuse.
Les
collèges de la prêtrise sont renforcés. Les
réunions de prêtrise se tiennent maintenant chaque
semaine et la qualité des réunions est améliorée
grâce à des manuels de cours créés au
niveau central. En 1906, Joseph F. Smith élabore un programme
d’avancement progressif dans la prêtrise pour les jeunes
gens. Sous condition de dignité, les jeunes gens reçoivent
l’ordination à l’office de diacre à l’âge
de douze ans, d’instructeur à quinze et de prêtre
trois ans plus tard. De leur côté, les hommes dignes
reçoivent l’office d’ancien et de grand prêtre,
ce qui change la pratique du dix-neuvième siècle de
nommer une majorité de soixante-dix parmi les adultes. En
1910, les collèges de grands prêtres et de soixante-dix
sont réalignés pour coïncider avec les frontières
de pieu, ce qui permet aux autorités locales d’exercer
une meilleure direction.
La
tendance à la consolidation se manifeste aussi dans les
organisations auxiliaires de l’Église. Les programmes
des jeunes, précédemment informels, divers et
administrés localement, cèdent de plus en plus la place
à des programmes de groupes d’âge centralisés
et à des programmes d’études unifiés. La
Primaire des enfants ne dessert plus les jeunes plus âgés,
tandis que la Société d’amélioration
mutuelle des Jeunes Gens (SAMJG) et sa contre-partie chez les jeunes
filles (SAMJF) comprend lles adolescents à partir de douze
ans. On utilise d’abord les programmes nationaux des Boy Scouts
et des Campeuses pour les jeunes membres de la SAM, mais on ne
tardera pas à abandonner ce dernier programme en faveur d’un
programme interne. Les programmes d’activité prennent de
plus en plus d’importance. Maintenant que l’École
du Dimanche et les collèges de prêtrise donnent une
formation doctrinale, la SAM se tourne de plus en plus vers la danse,
le théâtre, la musique et le sport. Le siège de
l’Église crée un magazine pour chaque
auxiliaire : La Primaire a le Children’s Friend (1902)
l’École du Dimanche, le Juvenile Instructor (1900), qui
deviendra l’Instructor (1929). La SAMJG a l’Improvement
Era (1897), la SAMJF le Young Woman’s Journal (1889) ; en
1929, les deux fusionnent et l’Improvement Era
devient la publication des deux. Les articles, les cours et les
programmes sont périodiquement passés en revue et
coordonnés. Par exemple, un Comité général
de coordination de l’Église et le Comité
consultatif social s’unissent pour publier un rapport crucial
et de grande envergure en 1921.
La
Société de secours connaît ces mêmes
tendances. Ses trois premières présidentes du vingtième
siècle, c à d Zina D. H. Young (1888-1901), Bathsheba
W. Smith (1901-1910) et Emmeline B. Wells (1910-1921), se souvenaient
toutes de l’organisation de Nauvoo. Pour elles, les réunions
des femmes devaient être spontanées, spirituellement
actives et conçues localement. Mais le nouveau siècle
va redéfinir leur vision. En 1901, quelques plans de leçons
sont créés provisoirement. Douze ans après, avec
la recommandation d’un comité de coordination de
l’Église, les dirigeantes de la Société de
secours vont adopter un programme d’études uniforme
prescrit. Elles mettent aussi en application un jour uniforme de
réunion (le mardi), des registres et un message mensuel pour
les instructrices visiteuses qui font des visites mensuelles dans les
foyers. En 1915, un magazine officiel de la Société de
secours remplace le semi-indépendant Woman’s Exponent,
qui était l’organe de la Société de
secours depuis 1872. Bien que la Première Présidence
approuve au début la poursuite de la pratique de la guérison
par la prière par les femmes, souvent entreprise de matière
impromptue lors des réunions, celle-ci va diminuer et sera
abolie au milieu du siècle. Autre signe de centralisation sous
la direction de la prêtrise, la Société de
secours est abritée dans le Bishop’s Building et reçoit
de plus en plus ses directives de l’Épiscopat Président
plutôt que de la Première Présidence. Bien que la
Société de secours ait précédemment joué
un rôle dans l’élaboration et la supervision de la
Primaire et de la SAMJG, cette supervision des auxiliaires des
enfants et des jeunes prend fin.
Clarissa
S. Williams (1921-1928), Louise Y. Robison (1928-1939) et Amy Brown
Lyman (1940-1945), présidentes successives de la Société
de secours, collaborent à ces changements. Parlant pour le
modernisme et l’efficacité, elles et leurs comités
consultatifs abandonnent des tâches du passé telles que
l’industrie locale, la culture de la soie et la vente au détail
par magasin de distribution, en faveur de l’action au sein de
la collectivité, de l’œuvre sociale
« scientifique » ou professionnellement
qualifiée, des campagnes contre l’alcool, le tabac et la
délinquance et, pendant la grande Dépression, le
secours public. Ce dernier effort est crucial. « Dans la
mesure où les organisations de Société de
secours dans les paroisses fonctionnent en coopération avec
les collèges de la prêtrise et les épiscopats »,
déclare Harold B. Lee, qui dirige les efforts d’entraide
de l’Église, « il y a, dans cette même
mesure, un programme de sécurité [entraide] dans cette
paroisse » (Relief Society Magazine 24, 1e mars 1937, p.
143). Ces efforts répondent à l’idéal
féminin mormon du début du vingtième siècle.
Les femmes doivent encourager, adoucir et aider. Tandis que les
dirigeantes des femmes continuent à jouer un rôle actif
au Conseil national et international des femmes, les femmes
ordinaires sont moins actives dans les rôles politiques,
sociaux et professionnels que dans le ménage.
Plusieurs
problèmes doctrinaux sont réglés, autre
indication que la systématisation est en cours. À
partir des premières années de l’administration
de Lorenzo Snow, les autorités de l’Église
débattent du point de savoir avec quelle rigueur la Parole de
Sagesse, la révélation de 1833 sur la santé,
doit être respectée. En 1921, on tranche la question en
faisant de l’abstinence d’alcool, de tabac, de thé
et de café l’une des conditions d’admission dans
les temples. Pendant les trois premières décennies du
siècle, le code de santé va inciter la plupart des
saints des derniers jours à soutenir la Prohibition au niveau
local, de l’État et national.
En
1909, la Première Présidence publie une déclaration
visant à clarifier la position de l’Église sur
l’évolution. La déclaration ne traite pas de la
façon dont la création a eu lieu, mais soutient que
« Adam était le premier homme et qu’il a été
créé à l’image de Dieu. » Mais
le sujet continue à poser problème. Avec la question de
la haute critique biblique, elle va causer, en 1911, la démission
de trois professeurs de l’université Brigham Young et,
deux décennies plus tard, des discussions privées
intensives parmi des dirigeants de l’Église.
En
1916, la Première Présidence et le Collège des
Douze publient un deuxième exposé doctrinal important
intitulé « le Père et le Fils ».
Apparemment occasionné par des pamphlets antimormons accusant
les dirigeants de l’Église de conférer la
divinité à Adam, la déclaration définit
les rôles respectifs des deux premiers membres de la Divinité.
Peu avant sa mort, Joseph F. Smith reçoit une vision de
l’œuvre missionnaire et de l’existence spirituelle
dans l’au-delà, qui sera par la suite incluse en tant
que section 138 dans les Doctrine et Alliances. En plus des sujets
spécifiques, la doctrine et l’histoire générales
de l’Église reçoivent un traitement systématique,
souvent pour la première fois, par des ouvrages tels que
Doctrine de l’Évangile, du président Smith, Les
Articles de Foi et Jésus le Christ, de James E. Talmage et les
trois tomes de New Witnesses for God de B.H. Roberts.
Comme
sa population est toujours essentiellement américaine,
l’Église est particulièrement affectée par
les événements qui se produisent pendant cette période
aux États-Unis. Presque dès le début,
l’administration du président Grant connaît des
temps difficiles. L’agriculture et l’exploitation
minière, deux des industries principales de l’Utah,
s’effondrent dans les années 1920 et particulièrement
dans les années 1930 pendant la grande Dépression. Le
président Grant économise soigneusement les finances de
l’Église, réduisant les dépenses et les
projets de construction. Utilisant ses contacts avec le commerce et
les dirigeants politiques du pays, il maintient à flot les
principales entreprises appartenant à l’Utah et à
l’Église. Il se préoccupe aussi du saint
individuel. Après une préparation soigneuse, il annonce
en 1936 le programme d’entraide de l’Église, qui
essaie d’obtenir l’autonomie et les moyens de subsistance
pour les nécessiteux en fournissant aussi bien du travail que
les denrées nécessaires.
En
dépit des temps difficiles, l’Église maintient
ses fonctions premières. Juste avant l’affaissement
économique, elle construit un bâtiment imposant de
quatre étages à Salt Lake City. Des temples sont
construits à Hawaï (1919), à Cardston (Alberta,
Canada) (1923) et à Mesa, en Arizona (1927). L’éducation
retient aussi l’attention. Entre 1875 et 1911, l’Église
crée trente-quatre académies polyvalentes. Cependant,
au fil des années, la détresse financière et
l’acceptation croissante de l’instruction publique
produisent des changements et beaucoup d’académies
ferment ou sont reprises par l’État. L’Église
ne va cependant pas abandonner entièrement son rôle
éducatif. Un programme de séminaire hors école
pour les lycéens est lancé en 1912, et pendant les
années 1920, des instituts de religion sont créés
à l’intention des étudiants d’université,
le premier à l’université d’Idaho.
Les
guerres du vingtième siècle montrent le chemin que
l’Église a parcouru par rapport à l’aliénation
et à l’isolement du dix-neuvième siècle.
Les saints des derniers jours soutiennent l’effort de guerre
lors de la guerre hispano-américaine et l’intervention
des États-Unis dans les deux guerres mondiales du vingtième
siècle. Lors de la première, la Première
Présidence publie une déclaration affirmant la loyauté
des saints des derniers jours et télégraphie aux
dirigeants locaux pour inviter à l’enrôlement.
L’Utah sera l’un des premiers États à
atteindre son contingent initial. La participation à la
Première Guerre mondiale sera encore plus substantielle.
Incertaine, au départ, du rôle qui lui incombe, l’Église
àva finalement aider les Utahans à donner plus que la
quote-part financière réclamée par le
gouvernement pour l’état. En septembre 1918, l’Utah
aura plus de 18.000 hommes sous les armes, dont près de la
moitié volontaires. La participation à la Seconde
Guerre mondiale sera plus réservée, peut-être à
cause des appréhensions privées du président
Grant et de son conseiller J. Reuben Clark à propos de la
politique du New Deal. Néanmoins, en avril 1942, 6% de toute
la population de l’Église en Amérique sera sous
les drapeaux ou dans les industries liées à la
défense ; d’autres s’engageront au Canada, en
Grande-Bretagne et en Allemagne.
Bien
que chacun des conflits connaisse certains courants pacifistes et
même de l’opposition, la tendance générale
est de reconnaître la nécessité de faire preuve
de loyauté envers le gouvernement constitué. « L’Église
est et doit être contre la guerre », déclare
la Première Présidence en avril 1942. Pourtant quand
« la loi constitutionnelle… appelle les hommes de
l’Église au service armé du pays auquel ils
doivent leur allégeance, leur devoir civique suprême
exige qu’ils donnent suite à cet appel » (CR,
p. 88-97).
Bien
qu’il soit difficile d’évaluer la vie religieuse,
les statistiques donnent une idée de l’impact de
l’Église sur la vie quotidienne de son peuple.
L’assistance aux réunions révèle une
croissance vigoureuse tout au long de cette époque. En 1920,
l’assistance hebdomadaire moyenne à la réunion de
Sainte-Cène est de 16% ; en 1930, 19% ; en 1940, 23%
et en 1950, 25%. Symptomatique de l’idéal familial de
l’Église, le taux des naissances chez les saints dépasse
la moyenne nationale, de même que le taux des mariages. Il ne
fait aucun doute que le code de santé de l’Église
se reflète dans le fait qu’en 1945 le taux de mortalité
des saints est à peu près la moitié de la
moyenne nationale.
Une
étude plus précise des statistiques révèle
que dans les premières décennies du vingtième
siècle le nombre de naissances par famille de saints diminue,
que l’âge au moment du mariage augmente et que le taux
des divorces reflète souvent la tendance nationale – à
la traîne mais allant dans la même direction que la
tendance nationale, comme si l’assimilation était
simplement incomplète.
Le
demi-siècle aura apporté l’intégration
sociale, culturelle et politique, la croissance et la consolidation,
et des programmes qui ont redéfini et ont appliqué de
nouveau des idéaux plus anciens de l’Église. Mais
l’époque révèle aussi des indications que
les membres de l’Église ne sont pas immunisés
contre de grands courants tels que la laïcisation et même
le matérialisme. Pour l’observateur, au milieu du
siècle, les questions de base sont toujours là :
L’Église pourra-t-elle préserver ses valeurs et
son énergie traditionnelles ? Ou son entrée dans
le monde moderne coûtera-t-elle au mouvement son identité
et sa mission ?
Bibliographie
Survols
de la période :
Alexander,
Thomas G. Mormonism in Transition : A History of the Latter-day
Saints, 1890-1930. Urbana et Chicago, 1985.
Allen,
JamesB. et Glen M. Leonard, The Story of the Latter-day Saints. Salt
Lake City, 1976.
Arrington,
Leonard J. et Davis Bitton. The Mormon Experience. New York, 1979.
Cowan,
Richard O. The Church in the Twentieth Century. Salt Lake City, 1985.
Département
d’Éducation de l’Église. Histoire de
l’Église dans la Plénitude des temps. Salt Lake
City, 1989.
Roberts,
B. H. A Comprehensive History of the Church of Jesus Christ of
Latter-day Saints. Salt Lake City, 1930.
Programmes,
politique et enseignements de l’Église durant cette
période :
Alexander,
Thomas G. “Between Revivalism and the Soicial Gospel : The
Latter-day Saints Social Advisory Committee, 1916-1922.” BYU
Studies 23, Hiver 1983, p. 19-39.
Id.,
“The Reconstruction of Mormon Doctrine : From Joseph Smith
to Progressive Theology”. Sunstone 5, juillet-août 1980,
p. 24-33.
Id.,
« ‘To Maintain Harmony’ : Adjusting to
External and Internal Stress, 1890-1930 ». Dialogue 15,
Hiver 1982, p. 44-58.
Hartley,
William G. “The Priesthood Reform Movement, 1908-1922”.
BYU Studies 13, Hiver 1973, p. 137-156.
Hefner,
Loretta L. « This Decade Was Different : Relief
Society’s Social Services Department, 1919-1929 ».
Dialogue 15, Automne 1982, p. 64-73.
----------------------
Sixième
partie :
1945-1990 :
Période internationale suivant la Deuxième Guerre
mondiale,
par James
B. Allen et Richard O. Cowan
Pendant
toute sa vie et son ministère, le message principal de George
Albert Smith sera un message d’amour. Il n’est donc que
naturel que ce soit au cours de son administration que des
marchandises soient envoyées d’Amérique en Europe
pour soulager les souffrances des saints après la Deuxième
Guerre mondiale, particulièrement ceux d’une Allemagne
dévastée par la guerre. En 1946, Ezra Taft Benson, du
Conseil des douze apôtres, fait rouvrir la mission européenne
et y dirige les secours de l’Église. Il trouve des
branches désorganisées, des églises détruites
et beaucoup de membres sans abri. La plupart ont tout perdu et
partout il y a un besoin pressant de nourriture et de vêtements.
Le service d’entraide de l’Église va devenir un
facteur important de la remise à flot de beaucoup de saints
aussi bien que de certains non-membres.
Puisque
la guerre a tout remis à plus tard, depuis l’œuvre
missionnaire jusqu’à la construction de bâtiments,
il va falloir remettre partout les programmes de l’Église
sur pied et leur redonner de la vigueur. Le nombre des missionnaires
est rapidement reconstitué et des centaines d’églises
sont construites. La moitié de toutes chapelles en service au
milieu des années 1950 sont érigées au cours des
années suivant la Deuxième Guerre mondiale, une période
où plus de la moitié de toutes les dépenses de
l’Église va à des chantiers de construction.
L'ÉGLISE
DEVIENT INTERNATIONALE. La fin de la Deuxième Guerre mondiale
marque l’aube d’une ère nouvelle dans l’histoire
de l’Église dont un thème dominant est la
croissance internationale. En 1947, la population de l’Église
atteint le million, et en 1990 le total est de plus de sept millions.
La croissance est particulièrement forte le long de la Côte
Ouest de l’Amérique, en Amérique latine et, après
1978, en Afrique. En 1950, l’Église a 180 pieux
organisés, dont près de la moitié en Utah ;
en 1990, il y a 1.700 pieux, dont moins d’un quart sont en
Utah. En 1950, l’Église est organisée dans moins
de 50 pays ou territoires, mais en 1990, elle est passée à
128. En 1950, moins de 8% de l’Église vit en dehors des
États-Unis et du Canada, mais quarante ans après, le
chiffre est d’approximativement 35%. Pendant la même
période, le nombre de missionnaires passe de 6.000 à
40.000 et le nombre de temples passe de huit, dont un seulement en
dehors des États-Unis, à quarante-quatre, dont
vingt-trois en dehors des États-Unis.
Cette
croissance remarquable est le résultat d’efforts
renouvelés pour accomplir la révélation donnée
à Joseph Smith « que le royaume… devienne
une grande montagne et remplisse toute la terre » (D&A
109:72). Au début de son administration, le président
David O. McKay, le premier à voyager autant comme président
de l’Église, visite les missions d’Europe,
d’Amérique latine, d’Afrique et du Pacifique Sud,
consacrant deux emplacements de temples en Europe et annonçant
qu’un temple sera construit en Nouvelle-Zélande. En
1955, il déclare que l’Église doit « faire
tous les efforts raisonnables et réalisables pour mettre à
la portée des membres dans ces missions éloignées
toutes les possibilités éducatives et spirituelles
qu’elle a à offrir » (CR avr. 1955, p. 25).
Construire des temples, augmenter le nombre de missions, organiser
des pieux dans le monde entier, persuader les saints d’édifier
Sion dans leur pays plutôt que d’émigrer en
Amérique et enfin remettre la direction de l’Église
entre les mains de la population locale de chaque pays, voilà
toutes les mesures importantes qu’il faudra prendre pour
atteindre ce but. En outre, on va mettre de plus en plus l’accent
sur l’appel de missionnaires locaux qui, dans certaines
régions, remplaceront essentiellement les missionnaires
américains.
La
croissance ne se produira cependant pas sans problèmes, dont
le moindre n’est pas de décider quels sont les
pratiques, les enseignements et les programmes qui constituent
vraiment l’essence de l’Évangile et quels sont
ceux qui sont le reflet de la culture américaine dans laquelle
l’Église s’est développée. Pour
ouvrir les yeux des membres, des Américains en particulier,
sur la nécessité de définir l’Évangile
en termes de principes universels, les dirigeants de l’Église
vont s’exprimer avec une fréquence croissante. En 1971,
par exemple, Bruce R. McConkie rappellera à certains saints
américains qu’à l’époque du Nouveau
Testament, même les apôtres étaient tellement
endoctrinés dans l’idée que le plan du salut se
limitait à un peuple particulier qu’ils ont eu du mal à
le porter aux païens, et il appliquera la leçon à
l’Église moderne. Il invitera les saints américains
à dépasser leurs idées reçues, même
s’il y aura « en chemin des luttes et certaines
difficultés, certains préjugés et certaines
incertitudes ». Les autres peuples, fera-t-il remarquer,
« ont d’autres antécédents que nous,
ce qui n’a aucune importance pour le Seigneur…. Avoir
des coutumes sociales différentes n’est pas plus
étonnant que parler des langues différentes… Et
le Seigneur connaît toutes les langues » (Palmer, p.
143, 147). En 1987, Boyd K. Packer rappellera à un groupe de
dirigeants de l’Église : « Nous ne
pouvons pas entrer [dans divers pays] avec une Église d’Utah
de 1947 ! Il se peut que nous ne soyons pas prêts à
porter l’Évangile parce que nous ne sommes pas prêts
à porter (et qu’ils ne sont pas prêts à
recevoir) toutes les choses que nous avons emballées avec lui
comme bagages supplémentaires » (tel que cité
dans Dialogue 21, automne 1988, p. 97). Le but est d’ennoblir
des gens appartenant à des cultures et ayant des perspectives
diverses pour qu’ils trouvent plus complètement la vraie
fraternité au sein des limites spirituelles communes de
l’Église.
En
1974, le président Spencer W. Kimball invite les membres à
« allonger la foulée » en portant
l’Évangile à toute la terre. Il les exhorte à
prier que les barrières soient levées. Il désigne
David M. Kennedy, anciens secrétaire au trésor et
ambassadeur extraordinaire, comme représentant international
de l’Église pour travailler avec les gouvernements à
résoudre les problèmes qui ont gêné les
activités de l’Église. En 1977, l’Église
est légalement reconnue en Pologne et en 1985, un temple est
consacré en République démocratique allemande.
Les révolutions politiques spectaculaires de 1989-1990 ouvrent
d’autres pays du Bloc de l’Est et conduisent au
commencement de l’œuvre missionnaire de l’Église
en Union Soviétique.
L’un
des changements radicaux du vingtième siècle est la
révélation reçue par le président Spencer
W. Kimball en juin 1978, accordant les bénédictions de
la prêtrise à tous les membres masculins dignes.
Résultat d’une prière longue et fervente, la
révélation signifie que « le jour promis
depuis si longtemps est venu où tous les hommes fidèles
et dignes de l'Église pourront recevoir la Sainte Prêtrise…
sans considération de race ou de couleur »
(Doctrine et Alliances : Déclaration officielle - 2).
Tout de suite, des noirs dignes sont scellés dans les temples
et beaucoup recevront des affectations comme missionnaires et
dirigeants. Au Ghana et au Nigeria, où les noirs plaidaient
depuis des années pour l’établissement de
l’Église, celle-ci se développe rapidement, mais
elle s’étend aussi dans d’autres régions
qui comptent de grandes populations noires. La première
Autorité générale noire, Helvécio
Martins, du Brésil, sera soutenu à la conférence
générale de l’Église en avril 1990.
CHANGEMENTS
ADMINISTRATIFS. Les changements administratifs nombreux répondent
aussi aux besoins d’une Église en pleine croissance. En
1967, les pieux sont organisés en régions. À
partir de 1975, plusieurs régions sont organisées en
interrégions et en 1984, des présidences d’interrégion,
chacune constituée de trois Autorités générales,
se voient confier la responsabilité des pieux dans le monde
entier.
En
1975, le président Kimball annonce l’organisation du
premier collège des soixante-dix, dont les membres sont
Autorités générales de l’Église, à
savoir les anciens Assistants des Douze. En 1989, le deuxième
collège des soixante-dix est organisé ; ces
Autorités générales sont appelées pour
trois à cinq ans. En 1978 commence la pratique d’élever
les membres des soixante-dix à l’éméritat
pour des raisons de santé ou d’âge, et l’année
suivante le patriarche de l’Église accède aussi à
l’éméritat.
Les
Autorités générales prennent aussi des mesures
pour coordonner plus efficacement les programmes de l’Église
et, à partir de 1961, mettent davantage l’accent sur la
« coordination de la prêtrise ». Sous la
présidence de Harold B. Lee, des comités au siège
de l’Église planifient, élaborent et révisent
les programmes d’études et les activités pour
toutes les organisations ou groupes d’âge. Ils
définissent plus soigneusement les rôles propres à
chaque organisation et éliminent les doubles emplois. Les
dirigeants se concentrent sur le foyer, endroit le plus efficace pour
enseigner et appliquer les principes de l’Évangile.
L’accent est remis sur la soirée familiale et, à
partir de 1965, on publie des manuels attrayants fournissant des
aides aux leçons.
Au
début des années 1970, il y a aussi un regroupement des
responsabilités administratives au siège de l’Église.
Les organismes sont groupés en plusieurs grands départements,
chacun sous la juridiction d’une ou plusieurs Autorités
générales, la gestion générale des
opérations étant assurée au jour le jour par des
professionnels à temps plein. Par exemple, l’entraide,
les services sociaux et les programmes de santé sont regroupés
pour former le Département d’Entraide. Le symbole
visible de ce regroupement est le nouveau bâtiment des bureaux
de l’Église de vingt-huit étages à Salt
Lake City, réunissant la plupart des unités
administratives. En 1970, les fonctions de la Prêtrise d’Aaron
et de la Société d’amélioration mutuelle
des Jeunes Gens sont combinées. En 1971, le programme des
publications est regroupé. Les magazines en d’autres
langues que l’anglais sont unifiés en 1967 et leur
contenu standardisé à l’exception des sujets
locaux.
D’autres
changements se produisent du fait que la croissance internationale
rapide augmente le nombre des voyages et la charge administrative des
dirigeants de l’Église. Dans les années 1970, les
présidents de pieu sont autorisés à « mettre
à part » les missionnaires à plein temps,
ordonner les évêques et les patriarches et consacrer les
églises. Les Autorités générales se
réunissent moins fréquemment en conférence avec
les pieux mais, à partir de 1971, l’Église
commence à tenir des « conférences
interrégionales » où une délégation
d’Autorités générales rencontre les saints
rassemblés d’une région géographique. En
1979, le nombre des conférences de pieu par an est réduit
de quatre à deux, et dans les années 1980 des
conférences régionales ou multirégionales
remplacent les conférences interrégionales.
L’ÉDUCATION
DANS L’ÉGLISE. Entre 1950 et 1990, le nombre total
d’inscriptions aux programmes éducatifs de l’Église
passe de 38.400 à 442.500. Les inscriptions à temps
plein à l’université Brigham Young montent en
flèche de 5.400 en 1950 à presque 25.000 en 1975, le
maximum possible. Plutôt que de consacrer des montants toujours
plus élevés aux études supérieures,
l’Église emploie de plus en plus les fonds à
satisfaire les besoins plus fondamentaux liés à la
croissance mondiale. L’expansion principale dans l’enrôlement
se produit dans le domaine de l’éducation religieuse.
Depuis le début du vingtième siècle, les
étudiants des localités à prédominance
mormone suivaient des cours de séminaire « hors
école » dans des bâtiments contigus à
leur école secondaire. Dans les années 1950, en
commençant en Californie, le séminaire « matinal »
va se tenir dans des bâtiments de l’Église près
des écoles secondaires publiques. Après 1968, dans les
régions où les membres sont encore plus dispersés,
les jeunes vont recevoir de quoi faire le « séminaire
d’étude à domicile ». L’Église
augmente aussi le nombre d’instituts de religion placés
à côté des campus universitaires. En 1990, il y a
des programmes de séminaire ou d’institut dans
soixante-quatorze pays.
L’Église
accorde aussi une attention particulière à la vie
religieuse des étudiants d’université. En 1956,
le premier pieu estudiantin, avec douze paroisses, est organisé
sur le campus de l’université Brigham Young. Cela rend
accessibles des services de l’Église qui répondent
directement aux besoins des étudiants et qui donnent de plus
nombreuses occasions d’assurer une direction. Le plan s’étendra
à d’autres endroits où il y a assez d’étudiants
pour le justifier. L’idée est d’assurer une plus
grande croissance spirituelle, et dans des domaines statistiquement
mesurables comme le mariage au temple et l’assistance aux
réunions, les paroisses estudiantines viennent en tête
dans l’Église.
Dans
certaines régions du Pacifique et de l’Amérique
latine, des régions où la croissance de l’Église
est particulièrement rapide et où l’instruction
publique est limitée, l’Église en revient à
son ancienne pratique de fonder des écoles pour l’instruction
religieuse et d’assurer un enseignement élémentaire.
Elle fonde quarante écoles primaires et secondaires au Mexique
et crée une faculté de premier cycle à la
périphérie de Mexico. Lorsque de meilleurs
établissements d’enseignement public apparaîtront,
l’Église fermera beaucoup de ces écoles.
PROGRAMME
DE CONSTRUCTION. Les nouvelles assemblées ont besoin de
nouveaux bâtiments. Même si deux ou trois paroisses se
partagent la plupart des bâtiments, l’Église se
trouve dans la nécessité de construire plus d’une
nouvelle église par jour. Les coûts potentiels sont
énormes et dans beaucoup de régions les saints locaux
ne sont pas en mesure de lever leur quote-part.
Une
solution apparaît quand l’Église se trouve devant
une pénurie de main-d’œuvre pendant qu’elle
bâtit des bâtiments scolaires dans le Pacifique Sud. À
partir de 1950, elle appelle des jeunes gens en tant que
« missionnaires bâtisseurs » pour faire
don de leur main d’œuvre pendant deux ans. Tandis qu’ils
construisent des bâtiments à un coût beaucoup
moindre, les constructeurs expérimentés leur enseignent
des techniques de construction ; les missionnaires bâtisseurs
apprennent aussi auprès des constructeurs expérimentés
des compétences commercialisables. Dans les années 1950
et 1960, les missionnaires bâtisseurs construisent des écoles
et des chapelles dans le Pacifique Sud, l’Amérique
latine, l’Europe et ailleurs. Plus tard, pour réduire au
minimum les coûts de construction et d’entretien, le
département des constructions élaborera une série
de plans standardisés qui peuvent être adaptés à
différents endroits et agrandis si nécessaire.
Bien
que les fonds généraux de l’Église aident
à la construction et à l’entretien des églises,
il est attendu des assemblées locales qu’elles
contribuent non seulement en main d’œuvre, mais aussi une
partie importante de l’argent nécessaire, cela en plus
du paiement de la dîme et des offrandes habituelles. Pour
soulager le fardeau financier pesant sur les assemblées
locales, la part supportée par les saints locaux diminue
graduellement jusqu’à ce qu’en 1989, les
contributions locales ne soient plus requises.
À
partir des années 1980, les nouvelles églises sont
généralement plus petites et parfois plus austères
que les plus anciennes, mais cela permet à l’Église
de construire des centaines d’églises par an et surtout
de fournir des lieux de réunion bien nécessaires dans
les régions en voie de développement. C’est aussi
un mouvement vers l’égalité. L’argent qui
aurait pu être consacré à la construction de
bâtiments plus coûteux dans des régions riches est
plutôt utilisé pour fournir des lieux confortables pour
le culte dans toute l’Église.
LA
TECHNOLOGIE ET L’ÉGLISE. L’Église cherche
activement à maîtriser les découvertes étonnantes
de la technologie moderne pour améliorer ses capacités
administratives et pour mieux diffuser son message spirituel. Depuis
qu’elle a installé, en 1962, son premier ordinateur au
Département financier, elle se sert de cette technologie
d’innombrables façons, notamment dans la conception
architecturale, un système automatisé de certificats de
membre, une comptabilité automatisée, le traitement des
dossiers des missionnaires, la tenue des registres au niveau général
et local, et en fournissant des ressources pour la recherche
historique et généalogique.
Il
n’est pas d’activité de l’Église qui
ait ressenti l’impact de la technologie moderne autant que
l’œuvre généalogique. Comme la population
de l’Église augmente, le besoin de moyens plus efficaces
pour recueillir et traiter les noms pour l’œuvre du
temple s’accroît également. Le Département
généalogique (maintenant Département d’histoire
familiale) microfilme les registres d’état civil de
partout dans le monde, les rendant disponibles dans sa bibliothèque
de Salt Lake City et dans des centaines de centres d’histoire
familiale dans le monde entier. Dans les années 1960, le
Département généalogique commence aussi à
utiliser l’ordinateur pour organiser les noms obtenus à
partir de ces documents. Depuis 1978, des membres de l’Église
désignés pour cela consacrent quatre heures ou plus de
service hebdomadaire à « extraire » des
renseignements des microfilms pour l’œuvre du temple. Le
Département d’histoire familiale crée aussi le
PAF (Personal Ancestral File), un programme généalogique
automatisé couramment utilisé et commence à
rendre les données généalogiques principales
disponibles sur des disques laser.
La
technologie touche encore le temple autrement. Le cinéma et la
technologie de la vidéo permettent de présenter plus
efficacement les instructions du temple. Ceci pouvant se faire dans
une seule salle au lieu de l’ancienne série de quatre
salles, les temples peuvent être construits plus petits et leur
construction peut ainsi être moins coûteuse, ce qui va
permettre à plus de membres dans le monde entier d’avoir
un temple près de chez eux. La nouvelle technologie permet
aussi de présenter les ordonnances simultanément en
plusieurs langues si besoin est.
L’effet
de la télévision sur les communications de l’Église
et son image publique est spectaculaire, lui aussi. Les conférences
générales de l’Église sont d’abord
diffusées en 1949 sur KSL Television à Salt Lake City
et dès le milieu des années 1960, une ou plusieurs
sessions de chaque conférence sont télévisées
partout aux États-Unis. Dans les années 1980, l’Église
élabore un système de communication par satellite relié
aux centres de pieu dans le monde entier, de sorte que les saints des
derniers jours vont pouvoir regarder la conférence et les
autres programmes créés par l’Église.
L’ŒUVRE
MISSIONNAIRE. En 1990, plus des deux-tiers de la croissance annuelle
de l’Église viennent des baptêmes de convertis.
Quelque 30.000 des plus de 40.000 missionnaires à plein temps
sont des jeunes gens de dix-neuf à vingt et un ans ; des
femmes célibataires de vingt et un ans ou plus et des couples
ayant atteint l’âge de la retraite constituent la majeure
partie du reste.
Une
attention considérable est apportée à
l’amélioration des techniques et des capacités
missionnaires. Après beaucoup d’expérimentation,
un plan systématique basé sur une série de
leçons est officiellement adopté dans les années
1950. Après beaucoup d’améliorations et de
modifications, en 1990, le plan se concentre moins sur la
mémorisation de la part des missionnaires et plus sur leur
capacité de compter sur l’Esprit dans la présentation
du canevas mis à leur disposition.
Les
missionnaires reçoivent aussi une formation plus efficace,
particulièrement dans les langues. En 1963, une mission de
formation linguistique, plus tard connue sous le nom de centre de
formation des missionnaires est créée près de
l’université Brigham Young et cinq ans plus tard un
programme semblable s’ouvre près de l’université
de l’Église à Hawaï. En 1990, les
missionnaires reçoivent une formation linguistique et
missionnaire intensive dans quatorze centres de formation des
missionnaires de par le monde, quoique 75% environ d’entre eux
aillent au centre de Provo.
Les
innovations dans le programme missionnaire comprennent une incitation
à plus d’activités en dehors du prosélytisme
et de service chrétien. En 1971, par exemple, les
« missionnaires des services de santé »
commencent à enseigner l’ABC de l’alimentation, de
l’hygiène et de la prévention des maladies,
particulièrement dans les pays en voie de développement.
En 1990, tous les missionnaires sont invités à passer
deux à quatre heures par semaine au service de la
collectivité, en plus du prosélytisme. En outre, les
couples missionnaires d’âge mûr sont souvent
affectés à des services non missionnaires tels que les
services de santé et l’entraide, la formation des
dirigeants, le personnel des centres pour visiteurs d’autres
activités de relations publiques, l’aide aux personnes
se présentant dans les divers centres d’histoire
familiale de l’Église, les missions de service au temple
et les missions d’enseignement.
QUESTIONS
D’INTÉRÊT PUBLIC ET DE SOCIÉTÉ. Bien
que l’Église ait essayé de prendre ses distances
par rapport à toute participation directe à la
politique, les dirigeants de l’Église prennent néanmoins
de temps en temps officiellement position sur les questions de
moralité. La Première Présidence déplore
publiquement l’invasion croissante de la pornographie, la
pratique répandue du contrôle des naissances,
l’avortement et le déclin général de la
moralité, notamment le nombre croissant des divorces et
l’importance de plus en plus grande de l’homosexualité.
En 1968, l’Église s’implique directement dans le
processus politique de l’Utah en s’opposant ouvertement à
la vente de boissons alcoolisées. Elle fait aussi des
déclarations publiques en faveur des lois sur la fermeture le
dimanche et les lois des États sur le droit au travail et
contre les loteries d’État.
Au
milieu du conflit intense sur les droits civiques qui caractérise
les États-Unis dans les années 1960, la Première
Présidence demande ouvertement « l’égalité
civique complète pour tous les enfants de Dieu » et
invite expressément les saints des derniers jours à
travailler pour les droits civiques des noirs. Dans les années
1970, quand la polémique concernant les droits de la femme
s’intensifie en Amérique, la Première Présidence
prend publiquement position en faveur de l’égalité
complète des femmes devant la loi mais, en même temps,
s’oppose publiquement au Equal Rights Amendment (l’amendement
sur l’égalité des droits) qu’elle considère
comme opposé à la famille. La Première
Présidence se préoccupe aussi vivement de la moralité
de la course aux armements nucléaires et la dénonce
officiellement en 1980 et de nouveau en 1981.
Contrairement
à ce qui s’est passé au début du vingtième
siècle quand la plupart des saints des derniers jours vivaient
essentiellement en milieu rural, depuis le milieu du siècle,
la plupart vivent dans des centres urbains. Le mode de vie effréné
des grandes villes crée des tensions émotionnelles
supplémentaires et un éventail d’attractions et
de tentations a tendance à écarteler la famille. En
réaction à ces besoins et à d’autres,
l’Église institue une série de programmes
sociaux. Depuis 1919, la Société de secours gère
une agence d’adoption et propose des foyers d’accueil
pour les enfants défavorisés. Elle va être
étendue. Le service de placement des étudiants indiens,
créé dans les années 1950 sous la présidence
de Spencer W. Kimball, offre à des milliers de petits
Amérindiens l’avantage d’aller dans de bonnes
écoles tout en vivant dans l’environnement sain de
familles de l’Église. Un programme « de
guidance de jeunes » conseille les familles dans le
besoin. Ces trois programmes, qui sont tenus par la loi d’employer
les travailleurs sociaux professionnels autorisés, sont
fusionnés en 1969 pour former le Département des
services sociaux de l’Église. Ce département
patronne aussi des camps de jour pour jeunes, des programmes pour les
membres en prison et de la consultance pour ceux qui abusent de
l’alcool ou de la drogue.
Les
dirigeants de l’Église commencent aussi à se
préoccuper davantage des besoins spéciaux des
célibataires. Qu’ils soient divorcés, veufs ou ne
se sont tout simplement jamais mariés, leurs besoins sociaux
et spirituels ne sont souvent pas satisfaits par les activités
traditionnelles de l’Église orientées vers le
couple et la famille. Dans les années 1970, des programmes
spéciaux pour les jeunes adultes seuls aussi bien que pour les
personnes seules plus âgées sont créés
sous les auspices de la prêtrise et de la Société
de secours. Sous le patronage de conseils autonomes de paroisse, de
pieu et de région, ils vont à des bals et à
d’autres activités culturelles et ont de meilleures
occasions de faire la connaissance d’autres membres de leur âge
qui partagent leurs intérêts. En outre, des paroisses
pour jeunes adultes sont organisées, d’abord dans le
pieu d’Émigration à Salt Lake City, et puis dans
d’autres régions.
RETOUR
AUX FONDEMENTS. Un des appels de clairon du président Ezra
Taft Benson aux saints dans les années 1980 est le retour aux
valeurs traditionnelles. Il invite en particulier à l’étude
régulière du Livre de Mormon comme moyen de fortifier
la foi au Christ et d’avoir un guide pour affronter les
difficultés du jour. Mais son appel n’est qu’une
des manifestations des efforts que font les dirigeants modernes de
l’Église pour répondre aux problèmes sans
cesse plus complexes du monde et pour conduire les saints dans un
retour aux fondements.
En
1972, le cours des adultes, celui de Doctrine de l’Évangile
à l’École du Dimanche, entreprend l’étude
systématique des ouvrages canoniques. Les Écritures
sont les seuls manuels et elles doivent être étudiées
successivement au cours d’une période de huit ans (de
quatre ans par la suite). Bientôt tous les programmes d’études
de l’Église sont rattachés aux Écritures.
Pour soutenir le programme d’études et inciter à
l’étude individuelle des Écritures, les
dirigeants de l’Église procèdent à la
publication de nouvelles éditions des ouvrages canoniques,
chacun muni de renvois aux autres. La publication par l’Église,
en 1979, de la King James Version de la Bible contient une annexe
importante de 800 pages qui comprend un dictionnaire de la Bible, un
guide par sujet de toutes les Écritures, des cartes et des
extraits de la traduction de la Bible par Joseph Smith. En 1981, de
nouvelles éditions des autres ouvrages canoniques paraissent
avec des aides supplémentaires à l’étude.
Le
thème du « retour aux fondements »
trouve aussi un écho dans beaucoup d’autres changements
de la politique et des programmes de l’Église. En 1980,
le système des réunions de l’Église est
regroupé en un bloc unique de trois heures le dimanche en
remplacement du système traditionnel des réunions de
prêtrise et d’École du Dimanche le matin, de
réunion de Sainte-Cène en fin d’après-midi
ou en soirée et de réunions des auxiliaires pendant la
semaine. Cette mesure simplifie les problèmes de transport de
beaucoup de membres, mais les dirigeants de l’Église
soulignent que l’objectif central est de laisser plus de temps
aux familles pour étudier les Écritures ou se livrer
ensemble à d’autres activités convenant au
sabbat.
À
partir de 1990 aux États-Unis et au Canada et de 1991 dans
d’autres régions du monde, il n’est plus demandé
aux membres de faire des dons au budget de paroisse et de pieu ;
tous les frais de fonctionnement des unités locales seront
payés avec la dîme et les offrandes. Ce système
uniforme permet une plus grande égalité, réduisant
beaucoup de budgets de fonctionnement locaux tout en en augmentant
d’autres. En expliquant la nouvelle politique, Boyd K. Packer,
du Conseil des douze, qualifiera cela de « correction de
trajectoire » inspirée, un élément de
l’effort global pour en revenir aux fondements (Ensign 10, mai
1990, p. 89-91). La métaphore pourrait très bien être
appliquée à une grande partie de ce qui s’est
produit depuis 1945.
D’une
manière générale, les membres de l’Église
acceptent bien ces changements et y voient une occasion de progresser
davantage spirituellement. En conséquence, en 1990, l’Église
se prépare plus rapidement que jamais à s’adapter
à des nationalités, à des groupes de langues et
à des cultures divers. Les dirigeants de l’Église
continuent à souligner les points de doctrine traditionnels,
mais les discours de conférence générale ont de
plus en plus tendance à définir ce qu’est un
saint en termes de ce que M. Russell Ballard caractérise, en
avril 1990, comme étant des « choses petites et
simples » : l’amour, le service, le foyer, la
famille et le culte du Sauveur (Ensign 10, mai 1990, p. 6-8). Ce sont
là les principes universels qui constituent l’essence de
ce que signifie être saint des derniers jours.
(Articles tirés de l'Encyclopédie du mormonisme (Macmillan Publishing Company, 1992), traduction : Marcel Kahne, source : www.idumea.org, avec autorisation)