Histoire de l'Église





Première partie : 1820-1831, Antécédents, fondation et période de New York, par Richard L. Bushman et Larry C. Porter

Deuxième partie : 1831-1844, Périodes de l’Ohio, du Missouri et de Nauvoo, par Milton V. Backman, fils et Ronald K. Esplin

Troisième partie : 1844-1877, périodes de l’exode et du début de l’Utah, par Leonard J. Arrington et Dean L. May

Quatrième partie : 1878-1898, Fin de la période pionnière d’Utah, par Gene A. Sessions et William G. Hartley

Cinquième partie : 1898-1945, Transitions : Période du début du vingtième siècle, par Richard W. Sadler et Ronald W. Walker

Sixième partie : 1945-1990, période internationale suivant la Deuxième Guerre mondiale, par James B. Allen et Richard O. Cowan





Première partie : 1820-1831 : Antécédents, fondation et période de New York, par Richard L. Bushman et Larry C. Porter

La création de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours commence dans les années 1820 par des événements qui se produisent principalement dans l’État de New York. Le prophète Joseph Smith reçoit sa première vision en 1820, obtient les plaques d’or du Livre de Mormon sur la colline Cumorah en 1827, reçoit l’autorité de la prêtrise en 1829 et organise officiellement l’Église le 6 avril 1830. Avant que celle-ci ne quitte New York pour l’Ohio au début de 1831, elle aura été organisée et sa direction de base aura été clairement établie.

Dans ses années formatrices, l’Église naissante va surtout apprendre à compter sur la révélation pour la diriger. Joseph Smith, qui est jeune et peu instruit, ne prétend pas élaborer la doctrine de la nouvelle Église tout seul. Des révélations directes de Dieu le conduisent pas à pas. L’idée sans doute la plus révolutionnaire dans l’Église est sa croyance en une révélation chrétienne au-delà de la Bible. Les saints des derniers jours n’ont jamais douté de l’inspiration de la Bible ; elle a été un principe essentiel dès le commencement. Leur expérience va cependant les amener à se rendre compte que Dieu a aussi parlé à des prophètes qui n’étaient pas repris dans ce canon conventionnel d’Écriture : c’est le Livre de Mormon qui va le leur montrer (2 Né. 29:10-14) et ils vont entendre Joseph Smith parler avec la même autorité que les apôtres et les prophètes bibliques. En conséquence, les saints des derniers jours vont commencer à concevoir autrement la révélation et le principe de la révélation continue va considérablement déranger les autres chrétiens, mais, dès le commencement, rien ne sera plus fondamental pour l’Église.

L’histoire de l’Église commence par la famille de Joseph Smith, père, et de Lucy Mack Smith, parents du prophète, qui, avec des milliers d’autres habitants de la Nouvelle-Angleterre se répandent dans l’État de New York au début du dix-neuvième siècle à la recherche de meilleures terres. Ils apportent leur intensité religieuse calviniste, mais avec une ardeur modifiée par les nouvelles conditions de vie de l’Amérique républicaine et pluraliste. Ils ont longtemps recherché sans succès une religion sur laquelle ils pouvaient compter. Le nombre croissant de confessions chrétiennes et une foule de nouvelles influences intellectuelles provenant des Lumières font qu’il est plus difficile d’adopter une foi religieuse que quand le congrégationalisme prédominait en Nouvelle-Angleterre. Joseph Smith commence sa recherche du salut par la question de savoir quelle Église est la vraie. Cette question s’impose probablement à lui à cause de l’incertitude de ses parents et de la multiplicité des Églises – presbytérienne, baptiste, méthodiste, quaker – dans son propre village.

Au début du printemps de 1820, poussé par des réveils religieux évangéliques, Joseph Smith demande à Dieu de lui indiquer la vraie religion. Bien que n’ayant que quatorze ans, il a confiance en la promesse biblique qu’il pourra obtenir une réponse (Ja. 1:5). Il va dans les bois près de chez lui, se met à genoux et prie. Dans ses récits de l’événement, il témoigne que la réponse qu’il reçoit l’étonne. Dieu le Père et Jésus-Christ apparaissent et lui disent de ne se joindre à aucune des Églises existantes. Il reçoit l’assurance que Dieu l’agrée, s’entend dire beaucoup de choses qu’il ne peut pas mettre par écrit, après quoi la vision prend fin, le laissant accablé. Les saints des derniers jours considèrent cette révélation du Père et du Fils comme l’événement qui inaugure le rétablissement de l’Évangile.

Pendant trois ans et demi, Joseph ne reçoit aucune autre communication des cieux. Se demandant s’il ne s’est pas disqualifié pour cause d’indignité, Joseph se livre à la prière le soir du 21 septembre 1823, quand, à son grand étonnement, un ange lui apparaît dans la chambre et annonce qu’il est Moroni et qu’il vient avec des instructions de Dieu. Il lui parle d’annales écrites sur des plaques d’or donnant l’histoire des anciens habitants de l’Amérique. Le Sauveur ressuscité, Jésus-Christ, était apparu à ces gens et leur avait donné la plénitude de l’Évangile. L’ange ajoute que les plaques ont été enterrées dans une colline près de chez Joseph. Au cours de la nuit, il revient à trois reprises, remettant le même message de base et ajoutant chaque fois d’autres informations. Bien qu’épuisé, Joseph se rend le lendemain à la colline et trouvé les plaques déposées dans une boîte en pierre juste au-dessous de la surface du sol, mais il ne lui est pas permis de les retirer. L’ange apparaît de nouveau et lui dit qu’il doit revenir le même jour, le 22 septembre, l’année suivante. Pendant les quatre années qui suivent, Joseph va scrupuleusement retourner à cet endroit. Le 22 septembre 1827, il est finalement autorisé à prendre possession des plaques.

Les événements de l’intervalle de quatre ans entre 1823 et 1827 vont sans aucun doute aider Joseph Smith à mûrir en vue des responsabilités et des difficultés qu’il va rencontrer plus tard. Certains indices font penser que son père se livrait à la chasse aux trésors, une activité courante parmi les fermiers pauvres de la Nouvelle-Angleterre qui espéraient découvrir, grâce à la magie, de l’argent enterré, et Joseph devra se dégager des idées erronées de cette superstition. L’ange dit à Joseph qu’une des raisons pour lesquelles il a dû attendre pour recevoir les plaques d’or est que son esprit s’est attardé sur leur valeur monétaire (PWJS, p. 7). En novembre 1825, Joseph et son père travaillent brièvement avec un homme appelé Josiah Stowell de South Bainbridge (New York) qui croit qu’un trésor espagnol se trouve à Harmony (Pennsylvanie), près du fleuve Susquehannah. L’entreprise ne donne rien et les Smith prennent graduellement leurs distances par rapport aux fouilles de leurs voisins à la recherche d’argent, pour se concentrer sur la mission religieuse décrite par l’ange. Conséquence heureuse des travaux entrepris à Harmony, Joseph y rencontre Emma Hale et l’épouse le 18 janvier 1827. Entre-temps, Alvin, son frère aîné, décède ; Joseph se fait arrêter en 1826 comme « glass looker » en vertu d’une loi new-yorkaise qui rend illégal « le fait de dire la bonne aventure ou l’endroit où l’on peut trouver des objets perdus ou volés » (voir la définition légale de « Disorderly Persons », The Justice’s Manual, Albany, New York, 1829, p. 144) et ses parents perdent leur ferme parce qu’ils n’arrivent pas à effectuer le dernier paiement sur leur hypothèque. Ces malheurs, ainsi que d’autres expériences, vont approfondir et fortifier le jeune homme qui apprend à discerner le bien du mal et à supporter l’opposition.

Une fois que Joseph a obtenu les plaques en 1827, les voisins curieux et parfois malveillants de Manchester et de Palmyra le mettent dans l’impossibilité de commencer le travail de traduction. Ils fouillent de fond en comble la maison et la grange des Smith et ce n’est qu’en déplaçant et en cachant constamment les plaques qu’il réussit à assurer leur sécurité. Il lui a été strictement défendu de les montrer à qui que ce soit, mais cela ne satisfait pas les chercheurs de curiosités. Alva, le frère d’Emma, propose son aide ; il transporte le couple avec ses affaires et les plaques – cachées dans un tonneau – à Harmony, en Pennsylvanie, à deux cents kilomètres de là, où le père d’Emma habite. Joseph obtient de son beau-père, Isaac Hale, un terrain et une petite maison. C’est là que la traduction va commencer.

Martin Harris, un voisin de Palmyra bien disposé, va s’intéresser suffisamment aux plaques pour rendre visite à Joseph à Harmony. Avec les plaques, Joseph a reçu un instrument appelé interprètes, ou urim et thummim, qui va lui permettre de traduire les caractères gravés sur les plaques métalliques. Joseph copie quelques caractères que Martin va porter à des linguistes à Albany et à New York pour vérifier le travail de Joseph. Il y a une certaine confusion au sujet de ce qui s’est passé lors de ces entretiens, mais il ne fait pas de doute que Martin Harris a été satisfait. Quand il revient à Harmony, il se propose pour écrire sous la dictée pendant que Joseph traduit. Entre le 12 avril et le 14 juin 1828, ils vont à eux deux remplir 116 pages de manuscrit. C’est à ce moment-là que Harris, qui subit les doutes de sa femme au sujet de l’existence des plaques, demande la permission de lui montrer le manuscrit ainsi qu’à quatre autres membres de la famille. Joseph Smith cède à contre-cœur. Plusieurs semaines se passent sans aucune nouvelle de Martin. Joseph décide alors de se rendre chez ses parents à Manchester (New York) pour lui demander des comptes. Martin, désespéré, lui avoue qu’il ne retrouve pas le manuscrit. Cédant aux instances de son entourage, il a montré le manuscrit aux voisins contrairement à ce qui avait été convenu et quelqu’un l’a volé.

À l’occasion de cette crise, Joseph reçoit, par l’urim et le thummim, une révélation dans laquelle le Seigneur le réprimande vertement. Il le tient plus que Martin pour responsable de la perte du manuscrit. « Tu n’aurais pas dû craindre l’homme plus que Dieu », lui dit-il (D&A 3:7). Martin ne transcrira plus pour Joseph, et à partir de ce moment-là jusqu’au printemps de 1829, Joseph avance peu dans la traduction. En avril, Oliver Cowdery, un jeune instituteur qui a pris pension chez les Smith à Manchester, entend parler du Livre de Mormon. Ayant lui-même reçu une vision du Seigneur et des plaques, il est persuadé que l’œuvre est divine et se propose pour remplir les fonctions de secrétaire (PWJS, p. 8). À partir du 7 avril 1829, Joseph et Oliver, vont travailler ensemble presque constamment jusqu’à ce que la traduction soit finie en juin, un peu plus de deux mois plus tard.

Au cours de la traduction d’une partie de 3 Néphi, qui décrit la façon de baptiser, Joseph et Oliver se demandent s’ils n’ont pas besoin, eux aussi, de baptême. Comme il en a pris l’habitude, Joseph demande des instructions à Dieu. Le 15 mai 1829, alors que Oliver et lui sont occupés à prier, un messager céleste leur apparaît. Il se présente comme étant Jean-Baptiste et leur confère la Prêtrise d’Aaron, qui leur donne l’autorité de baptiser. Avec cette nouvelle autorité et sous la direction de l’ange, les deux hommes se baptisent mutuellement dans la Susquehannah. Cette révélation crée un principe important dans l’Église, à savoir que des ordonnances divines telles que le baptême ne peuvent être accomplies que par les personnes qui ont reçu l’autorité dans la prêtrise par ordination. Jean-Baptiste dit à Joseph et à Oliver qu’ils recevront plus tard une seconde prêtrise, une prêtrise supérieure appelée Prêtrise de Melchisédek. Plus tard, Pierre, Jacques et Jean leur apparaissent au bord de la Susquehannah, quelque part entre Harmony et Colesville (New York) et les ordonnent apôtres.

Arrivée la fin mai 1829, l’opposition religieuse contre Joseph s’est développée à Harmony et Oliver et lui vont avoir besoin d’un endroit plus calme pour travailler. Oliver écrit à un ami, David Whitmer, qui accepte de les installer dans la ferme familiale à Fayette (New York). Emma les y rejoint peu après. Le copyright du Livre de Mormon est obtenu le 11 juin 1829 et la traduction est bientôt terminée. Au moment où ils finissent le livre, Joseph Smith apprend par la révélation que d’autres seront autorisés à voir les plaques d’or. Le Livre de Mormon lui-même promet des témoins et les associés de Joseph sont avides de savoir qui va avoir ce privilège. Martin Harris, David Whitmer et Oliver Cowdery sont choisis ; l’ange Moroni leur montre les plaques et ils entendent la voix de Dieu leur déclarer que l’ouvrage a été traduit par le pouvoir de Dieu. Quelques jours plus tard, à Manchester, Joseph Smith reçoit l’autorisation de montrer les plaques à huit autres hommes. Ils vont les examiner de manière approfondie et les soupeser. Les déclarations de ces deux groupes de témoins seront imprimées sur les dernières pages de l’édition de 1830 du Livre de Mormon et apparaissent sur les premières pages de toutes les éditions récentes.

La recherche d’un imprimeur disposé à publier le Livre de Mormon s’avère laborieuse. Les gens de Palmyra, qui se méfient de Joseph Smith, se coalisent pour intimider l’imprimeur local, Egbert B. Grandin, en menaçant de ne pas en acheter d’exemplaires. D’autres, comme Lucy Harris, l’épouse de Martin, contestent les mobiles financiers de Joseph. Après être allé jusqu’à Rochester pour entrer en contact avec des imprimeurs, Joseph persuade Grandin d’accepter le travail. La garantie de Martin Harris a raison des hésitations de Grandin. Le 25 août 1829, Harris hypothèque sa ferme, s’engageant à payer $3.000 pour 5.000 exemplaires. Joseph et Martin espèrent vendre assez d’exemplaires pour lever au moins $3.000, mais Martin finira par devoir vendre 60 hectares pour tenir son engagement. La composition commence en août 1829 et les exemplaires terminés sont disponibles le 26 mars 1830.

La publication du Livre de Mormon est l’aboutissement du travail qui occupe Joseph Smith depuis qu’il a reçu les plaques en 1827. Entre-temps, les révélations qu’il reçoit l’informent que la traduction du Livre de Mormon n’est pas la fin de sa mission divine. Il doit aussi organiser une Église. Samuel Smith avait été baptisé à Harmony fin mai 1829 ; Hyrum Smith, David et Peter Whitmer, fils, et d’autres avaient été baptisés en juin dans le lac Seneca. Ils avaient commencé à se réunir et ils avaient enseigné et avaient essayé de persuader tous ceux qui demandaient des renseignements. Le 6 avril 1830, chez Peter Whitmer, père, à Fayette (New York), Joseph Smith organise l’Église de Jésus-Christ. Six hommes s’inscrivent comme membres en la présence de plus de cinquante personnes. Le groupe soutient deux officiers comme dirigeants de l’Église, Joseph Smith comme premier ancien et Oliver Cowdery comme deuxième ancien. Joseph reçoit aussi les titres de voyant, de traducteur et de prophète. En outre, une révélation prévoit l’ordination d’anciens, de prêtres, d’instructeurs et de diacres comme prêtrise laïque. Certaines des personnes laïques présentes lors de l’organisation sont ordonnées ce jour-là et, dès le départ, l’Église ne prend aucune disposition pour créer un clergé spécial.

Trois groupes de croyants sont organisés en branches de l’Église débutante peu après son organisation : un à Fayette, un autre à Manchester dans la vieille maison des Smith et un troisième à Colesville, dans le sud de l’État de New York, près de la ferme de Josiah Stowell (dans la circonscription de South Bainbridge, comté de Chenango), ancien employeur et partisan loyal de Joseph. Les membres de la famille de Joseph Knight, qui ont fourni à Joseph et à ses collaborateurs de la nourriture et des vêtements pendant la traduction, habitent à Colesville et constituent le noyau de la branche. Joseph et Emma retournent dans leur maison de Harmony, mais se réunissent avec les trois branches lors de conférences trimestrielles prescrites tenues à la ferme de Peter Whitmer en juin et en septembre 1830.

Pendant l’été de 1830, les ennuis commencent. À deux reprises, Joseph est convoqué devant les tribunaux pour trouble de l’ordre public. Les deux fois il est acquitté. Mais ce qui perturbe davantage Joseph, c’est que certains de ses propres disciples mettent en cause son autorité et prétendent à leurs propres révélations et à leurs propres prérogatives. Hiram Page, mari de Catherine Whitmer et ordonné instructeur en juin 1830, écrit une série de révélations qu’il prétend venir de Dieu. Bien qu’encore jeune et inexpérimenté, Joseph se rend compte de la confusion et du danger que présente un grand nombre de voix essayant de parler avec autorité. À la conférence de septembre à Fayette, Joseph reçoit une révélation qui détermine qu’une seule personne, approuvée par le consentement commun, doit recevoir des commandements et des révélations pour l’Église entière (D&A 20:65 ; 28:1-3, 11-13). Hiram Page n’a pas cette autorisation. Après avoir entendu Joseph, la conférence le confirme comme révélateur unique pour l’Église (D&A 28:2 ; D. Cannon et L. Cook, dir. de publ., Far West Record, Salt Lake City, 1983, p. 3). Ce principe qui veut que la révélation pour toute l’Église vienne de l’homme soutenu comme prophète est, aujourd’hui encore, la pratique de l’Église.

Dans les six mois qui suivent l’organisation de l’Église, des convertis s’ajoutent en petit nombre. Samuel, frère de Joseph Smith, s’en va avec des exemplaires du Livre de Mormon à donner à ceux que cela intéresse. Joseph Smith, père, rend visite à ses frères, sœurs et parents dans le comté de St Lawrence (New York), où la plupart d’entre eux habitent, pour leur dire ce qui est arrivé. Ces expéditions donneront plus tard des conversions, mais très peu au moment même. Parley P. Pratt, un fermier de l’Ohio, croit que Dieu l’a conduit à la maison de Hyrum Smith, frère de Joseph, pour qu’il puisse s’informer sur le Livre de Mormon.

L’entreprise missionnaire la plus réussie de l’époque est lancée en septembre et octobre 1830, quand Oliver Cowdery, Peter Whitmer, fils, Parley Pratt et Ziba Peterson sont appelés à instruire les Indiens. Le Livre de Mormon présente un intérêt particulier pour les Indiens américains parce que c’est un document religieux de l’Amérique antique, et les quatre sont chargés de porter ce message aux Indiens qui sont occupés à s’assembler dans le territoire à l’ouest du Missouri. La mission va cependant être notable autant pour ce qui se passe en cours de route que pour la prédication aux Indiens. Après avoir quitté New York, les missionnaires s’arrêtent dans la région de Mentor-Kirtland dans le nord-est de l’Ohio près de l’ancienne ferme de Pratt. Avant de devenir membre de l’Église, Pratt avait fait partie du mouvement campbellite, qui était en train de devenir l’Église des Disciples du Christ. Ce groupe croit qu’il faut adhérer rigoureusement aux enseignements et aux pratiques de l’Église du Nouveau Testament, éliminant tous les ajouts ultérieurs. Les enseignements de Joseph Smith séduisent beaucoup d’entre eux parce que sa doctrine contient pour eux le rétablissement pur du vrai christianisme. Quelque 130 personnes vont se convertir, dont le prédicateur campbellite principal de la région, Sidney Rigdon. En quelques semaines, les quatre missionnaires vont presque doubler le nombre des membres de l’Église. Ils poursuivent leur chemin cet hiver-là vers le territoire indien, endurant de grandes souffrances au cours de leur long voyage à pied de St Louis à travers le Missouri. Dans l’ouest du Missouri, ils vont trouver une région dans laquelle l’Église commencera bientôt à s’installer. Ils enseignent aussi chez les Delaware et les Shawnee jusqu’à ce que les autorités gouvernementales leur ordonnent de cesser à cause d’une interdiction de faire du prosélytisme auprès des tribus.

Peu après le départ des missionnaires de l’Ohio pour l’Ouest en décembre 1830, Sidney Rigdon part pour New York, accompagné d’Edward Partridge. Ils apportent la nouvelle des conversions en Ohio et insistent auprès de Joseph Smith et des membres pour qu’ils aillent s’installer là-bas. Joseph est disposé à prendre la suggestion au sérieux à cause des révélations qu’il a reçues au sujet du rassemblement de l’Église (D&A 37:1-4 ; 38:31-33). En effet, pendant le reste du siècle, les convertis à l’Église vont se réunir dans un lieu de rassemblement central, d’abord en Ohio, puis au Missouri, en Illinois et finalement en Utah. Une autre révélation traite de l’avènement de Jésus-Christ et des destructions qui vont s’abattre sur le monde avant que cet événement ne se produise. Elle dit qu’avant ces tribulations, le peuple de Dieu sera « rassemblé en un seul endroit à la surface de ce pays » (D&A 29:8). Une autre révélation parle d’une ville de Sion qui doit être construite quelque part dans l’Ouest (D&A 28:9). Ces allusions amènent les membres de l’Église à se rendre compte qu’ils ne vont pas demeurer longtemps à New York.

Quand une révélation arrive en décembre 1830 (D&A 37) leur disant de partir pour l’Ohio, la plupart l’acceptent. À une conférence tenue le 2 janvier 1831, des directives et une révélation supplémentaire (D&A 38) sont données pour le déménagement. Le prophète, Emma et quelques autres partent les premiers et arrivent à Kirtland le 1er février 1831 pour préparer l’arrivée des autres. La branche de Colesville, sous Newel Knight, la branche de Fayette, sous la mère du prophète et Thomas Marsh et la branche de Manchester, sous Martin Harris, se rendent en Ohio en des convois distinct pendant avril et mai 1831. À la mi-mai, pratiquement tous les mormons de New York des branches citées sont à Kirtland.

 
Bibliographie

Backman, Milton V., Jr., Eyewitness Accounts of the Restoration, éd. rév. Salt Lake City 1986.

Bushman, Richard L., Joseph Smith and the Beginnings of Mormonism, Urbana, Ill., 1984.

Madsen, Truman G., éd. invité, BYU Studies 9, printemps 1969, p. 235-404 (numéro entièrement consacré aux origines des saints des derniers jours à New York). 

Porter, Larry C., « A Study of the Origins of The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints in the States of New York and Pennsylvania, 1816-1831 », thèse de doctorat université Brigham Young, 1971.

Smith, Lucy Mack, History of Joseph Smith, dir. de publ. Preston Nibley, Salt Lake City, 1958.

Whittaker, David J., “Sources on Mormon Origins in New York and Pennsylvania”, Mormon History Association Newsletter n° 43, mars 1980, p. 8-12.




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Deuxième partie : 1831-1844 : Périodes de l’Ohio, du Missouri et de Nauvoo, par Milton V. Backman, fils et Ronald K. Esplin
 
En octobre 1830, quatre missionnaires en route pour prêcher aux Indiens à l’ouest du Missouri présentent l’Évangile rétabli aux communautés du nord-est de l’Ohio. Avant de reprendre leur voyage, ils baptisent quelque 130 convertis, organisent les nouveaux membres en petites « branches » et nomment des dirigeants pour chaque groupe. Trente-cinq de ces membres habitent à Kirtland (Ohio), localité située directement à l’est de ce qui est aujourd’hui le Cleveland métropolitain.

Sidney Rigdon, prédicateur restaurationiste de cet endroit devient membre de l’Église en novembre 1830 et informe Joseph Smith du succès des missionnaires. À la suite de cela, le prophète consulte le Seigneur et reçoit des révélations (D&A 37:3 ; 38:32) appelant les convertis de l’Église récemment organisée à New York à se rassembler en Ohio. Sa famille et lui sont à Kirtland dès le début de février 1831 et quelque deux cents saints de New York l’auront suivi quand arrive l’été, faisant du nord-est de l’Ohio le premier lieu de rassemblement des saints.

La plupart des saints de New York et beaucoup des premiers convertis de l’Ohio ne vont pas rester en Ohio. Pendant l’été de 1831, Joseph Smith se rend à la frontière du Missouri et désigne Independence (comté de Jackson, Missouri) comme deuxième lieu de rassemblement. Les saints des derniers jours s’attendent à ce qu’une ville sainte, une nouvelle Jérusalem, soit fondée dans une nouvelle Sion nord-américaine, une ville de refuge contre les tribulations qui vont affliger les méchants dans les derniers jours (D&A 29:7-9 ; 45:65-71 ; 57:1-3). Sidney Rigdon consacre le pays pour le rassemblement et Joseph Smith précise l’emplacement exact où un temple sera construit, et, après en avoir nommé divers autres pour superviser le rassemblement en Sion, retourne en Ohio.

À Hiram (Ohio), un village d’agriculteurs situé à une cinquantaine de kilomètres au sud de Kirtland, Joseph Smith travaille à sa traduction inspirée de la Bible, une entreprise qui va assurer son écolage. La nécessité dans laquelle il se trouve de demander, dans l’esprit de la prière, des éclaircissements sur certains passages et certains points de doctrine va fréquemment susciter de nouvelles révélations et apporter une nouvelle compréhension. Après avoir été battus et enduits de goudron et de plumes par des émeutiers en mars 1832, le prophète et Sidney Rigdon, qui lui sert de secrétaire, vont s’installer avec leurs familles à Kirtland.

Les deux lieux de rassemblement du début des années 1830 auront chacun eu un but différent. Bien que les saints des derniers jours émigrent vers la frontière du Missouri pour poser les fondements d’une nouvelle Sion, le siège administratif de l’Église, responsable de la direction du programme missionnaire et de la construction du premier temple, reste en Ohio. Il y a une certaine concurrence entre les deux centres, les deux ayant besoin de ressources et de membres et les deux voulant la présence du prophète Joseph Smith. Mais, comme l’explique la révélation, les buts des deux sont complémentaires : la « dotation d’en haut » promise associée au temple de Kirtland est un préalable au succès en Sion (D&A 105:9-13, 33). Joseph Smith résidera à Kirtland jusqu’en 1838, restant en contact avec les membres du Missouri par courrier et messager, et s’y rendant cinq fois pour instruire les membres de l’Église en ce qui concerne la politique, les programmes et la croyance.

Au comté de Jackson, les saints des derniers jours publient deux périodiques, The Evening and The Morning Star et The Upper Missouri Advertiser, et essayent de mettre sur pied un ordre économique unique basé sur la consécration et l’affectation d’intendances sur des propriétés et d’autres actifs, suivant les directives données par révélation à Joseph Smith. Les désaccords au sujet des exigences juridiques et l’égoïsme individuel vont entraver la mise en œuvre du système, mais l’obstacle de base est que les saints ont trop peu de capital et très peu à consacrer. Malgré tout, certains participants sont inspirés par les idées fondatrices et les idéaux qui sous-tendent l’effort vont laisser un legs important.

Bien qu’émigrant dans l’ouest du Missouri pour construire une ville de paix et de refuge, les saints des derniers jours rencontrent une forte hostilité. Les colons déjà installés considèrent ces nouveaux venus comme une menace à leur propre manière de vivre. Les Missouriens se plaignent que les mormons cherchent à influencer les esclaves, que leur mode de vie « de l’Est » est incompatible avec la frontière du Missouri, qu’ils sont une menace économique et politique, que leur amitié pour les Indiens menace la sécurité de la région et qu’ils ont des croyances religieuses peu orthodoxes. Ces accusations révèlent un conflit culturel important entre les saints immigrés et les « vieux » colons. L’immigration rapide des saints des derniers jours dans le comté de Jackson intensifie les tensions, ce qui va donner lieu à des affrontements.

Des violences s’étant produites pendant l’été de 1833, le gouverneur Daniel Dunklin envoie une milice locale dans la région pour rétablir la paix. Pensant que la milice va protéger tous les colons, les saints des derniers jours rendent leurs armes à cette force militaire. Mais les autres Missouriens ne seront pas désarmés, laissant les membres de l’Église sans défense. Au début de novembre 1833, les émeutiers chassent plus de mille saints des derniers jours du comté de Jackson, les forçant à abandonner leurs maisons et leurs fermes. La plupart d’entre eux traversent le fleuve Missouri pour se réfugier au comté de Clay.

Entre novembre 1833 et l’été de 1836, le comté de Clay va être le lieu de rassemblement principal des saints des derniers jours au Missouri. Pendant ces années, les membres de l’Église vont essayer sans succès d’obtenir réparation pour la perte de leurs propriétés du comté de Jackson. Ils vont aussi demander la protection du gouvernement pour une tentative de retour à leurs terres. En 1834, croyant que le gouverneur Dunklin a accepté d’accorder l’aide de la milice de l’État pour seconder leurs propres efforts, les membres de l’Église réunissent une petite force paramilitaire venant d’Ohio et d’ailleurs pour accompagner les réfugiés du Missouri lors de leur retour au comté de Jackson. Le camp de Sion, nom donné à l’expédition, n’obtiendra pas l’appui du gouverneur et se dissoudra en juin plutôt que de provoquer un conflit armé.

Bien qu’ayant échoué dans son but premier, le camp de Sion aura un effet profond sur beaucoup de ses participants et aura son importance sur le long terme. Pour la plupart, la marche forcée d’Ohio au Missouri, plus de 1300 kilomètres par une chaleur humide, aura été le défi physique le plus difficile de leur vie. Cela fera encore plus mal à certains de se rendre compte que, malgré cette épreuve, ils n’auront pas aidé les saints du Missouri à retourner dans leurs terres. Ils vont critiquer le leadership de Joseph Smith et l’expérience contribuera plus tard à leur dissidence. Mais pour beaucoup de participants, le camp de Sion aura été une occasion sans pareille de vivre jour et nuit avec le prophète du Seigneur – réminiscence de l’Israël antique sous Moïse. L’expérience va les unir à Joseph et les uns aux autres et c’est du creuset du camp de Sion que vont sortir beaucoup de dirigeants futurs de l’Église. Les deux réactions représentent des conceptions divergentes de la façon dont un prophète doit diriger et de la façon dont une société basée sur la révélation et la prêtrise doit être organisée – des divergences qui vont s’exacerber plus tard à Kirtland.

La révélation qui dissout le camp de Sion réoriente l’attention sur l’Ohio et sur la nécessité de terminer sans retard le temple de Kirtland (D&A 105). Avant de retourner en Ohio, Joseph Smith organise un pieu au Missouri et nomme une présidence et un grand conseil, l’équivalent de ce qu’il a fait à Kirtland le mois de février précédent. Bientôt, plusieurs dirigeants de l’Église du Missouri vont partir pour Kirtland pour aider à la construction du temple.

Tous les intéressés savent que le séjour des saints au comté de Clay est provisoire. Le retour au comté de Jackson étant maintenant peu probable, la pression monte pour qu’ils trouvent un autre endroit. Exhortés par les dirigeants de la communauté à partir avant que les violences n’éclatent, la plupart des saints des derniers jours vont émigrer vers le nord et créer à Far West un nouveau siège de l’Église dans l’Ouest. Répondant à ce mouvement de milliers de saints des derniers jours vers le nord-ouest inhabité du Missouri, le gouvernement du Missouri va créer, vers la fin de 1836, deux nouveaux comtés, Caldwell et Daviess. Comme la plupart des saints des derniers jours s’installent à Caldwell, on va l’appeler le comté mormon.

Joseph Smith enseignera plus tard qu’un des premiers buts du rassemblement des fidèles à n’importe quelle époque est de construire une maison du Seigneur où pourront être révélées les ordonnances de son temple. Pendant que la construction du temple progresse, la population des saints à Kirtland va passer d’une centaine d’âmes en 1832 à plus de 1.500 en 1836. Les saints des derniers jours arrivent de la Nouvelle Angleterre, de New York et d’ailleurs pour aider à la construction de la maison du Seigneur, dans laquelle, leur a-t-il été promis dès janvier 1831, ils seront dotés du pouvoir d’en haut (D&A 38:32).

En mars 1836, le temple de Kirtland est achevé et consacré et, pendant les mois qui précèdent et suivent la consécration, les saints vont jouir d’une période de Pentecôte peu commune. Dans le temple, une semaine après sa consécration, les clefs de la prêtrise vont être conférées à Joseph Smith et à Oliver Cowdery lors de visitations de Moïse, Élias et Élie. Les bénédictions et les instructions reçues dans le temple sont particulièrement importantes pour les missionnaires, dont les voyages de prosélytisme au départ de Kirtland pendant les années 1830 s’étendent du Canada au sud américain et, en 1837, aux îles Britanniques, outre une œuvre missionnaire intensive en Ohio.

Tandis que son siège reste à Kirtland, l’Église va connaître un développement doctrinal et administratif majeur. Un certain nombre parmi les révélations les plus importantes des Doctrine et Alliances vont été données dans les régions de Kirtland et de Hiram, notamment la vision de la résurrection et des trois degrés de gloire (D&A 76), la loi de consécration et d’intendance (D&A 42), la Parole de Sagesse, parfois appelée la loi de santé du Seigneur (D&A 89), des révélations sur la prêtrise et sur son organisation (D&A 84, 107) et la venue du millénium (D&A 1, 29, 88, 133). Beaucoup de ces révélations constituent la réponse aux questions soulevées par la traduction de la Bible faite par Joseph Smith. Joseph Smith reçoit aussi une révélation concernant le mariage plural (D&A 132), mais elle ne sera mise par écrit qu’en 1843. Le livre d’Abraham, qui ne sera publié qu’en 1842, résulte de l’acquisition par le prophète en 1835 d’une collection de momies et de papyrus venus d’Égypte.

Comme la croissance nécessite un développement de l’organisation, une série de révélations commande la création de dirigeants locaux et généraux de l’Église. Il s’agit de l’office d’évêque en 1831, de la Première Présidence de l’Église en 1832 et d’un grand conseil permanent en 1834. En février 1835, le Collège des douze apôtres et le collège des soixante-dix sont organisés, choisis principalement parmi les vétérans du camp de Sion. Les deux collèges ont la responsabilité du prosélytisme. Bien qu’il soit dit que les Douze viennent en second par rapport à la Présidence, leurs tâches immédiates sont de diriger l’œuvre des soixante-dix et de superviser l’Église à l’extérieur de ses pieux organisés.

La révélation commande aussi aux dirigeants de l’Église d’étudier abondamment dans beaucoup de domaines de la connaissance en vue de leur ministère et ordonne qu’une école des prophètes soit organisée dans ce but (D&A 88:77-80, 118-141). L’attitude et les impératifs exprimés dans la révélation vont exercer une grande influence non seulement dans la création de cette première école patronnée par l’Église mais aussi dans l’attitude de l’Église vis-à-vis des études et de l’éducation pendant toute son histoire.

La publication de The Evening and The Morning Star, interrompue au Missouri par l’expulsion hors du comté de Jackson, va reprendre pendant près d’un an à Kirtland. Le Latter Day Saints’ Messenger and Advocate, successeur du Star, sera le premier périodique de l’Église à publier certaines des lettres d’Oliver Cowdery traitant de l’histoire de Joseph Smith. Les Doctrine et Alliances, contenant beaucoup de révélations données à Joseph Smith, sont publiées en 1835 à Kirtland.

La promulgation de nouveaux points de doctrine et la création d’une hiérarchie dans l’Église vont offenser certains saints des derniers jours qui préfèrent la foi moins compliquée qu’ils avaient embrassée dans la petite enfance de l’Église. Ceux qui ne partagent pas la vision du prophète Joseph Smith d’une nouvelle société organisée sous la prêtrise vont aussi être perturbés par le nombre accru de directives que les dirigeants de l’Église donnent aux membres dans les questions temporelles et par la participation importante du prophète aux affaires économiques. L’effondrement d’une Société de Sécurité de Kirtland non dotée d’une charte patronnée par les dirigeants de l’Église va contribuer à pousser le mécontentement à son maximum. Des procès vont être intentés à Joseph Smith, des menaces vont être proférées contre sa vie et contre celle de ses partisans les plus vigoureux et un certain nombre de membres en vue dans l’Église vont apostasier. Au milieu de cette agitation, le prophète va envoyer certains de ses partisans les plus fidèles en mission dans les îles Britanniques. Là, en moins d’un an, ils feront plus de 1.500 convertis et jetteront les bases pour que des milliers d’autres les suivent.

En 1837, les saints des derniers jours dépassent en nombre les autres résidants de la circonscription de Kirtland. Cette année-là, des candidats mormons sont élus à tous les principaux offices de la ville sauf celui d’agent de police. Beaucoup de membres de l’Église de Kirtland sont relativement pauvres et vivent dans des groupes de petites maisons provisoires. Certains non-mormons s’irritent de cet afflux de pauvres et d’une direction de l’Église qui leur semble antidémocratique et donc anti-américaine. Des rivalités économiques et politiques apparaissent, accompagnées de menaces et d’actes de violence. La pression monte à l’extérieur pour que les mormons quittent Kirtland au moment même où de violentes dissensions internes assaillent l’Église. En janvier 1838, Joseph Smith, Sidney Rigdon et d’autres dirigeants de l’Église dont la vie est menacée fuient vers l’ouest du Missouri, suivis graduellement par la plupart des résidants de Kirtland et du voisinage qui sont membres de l’Église.

En 1837-1838, l’émigration des saints vers l’ouest du Missouri augmente rapidement. Cette croissance déclenche une agitation accrue parmi les voisins qui craignent une domination économique et politique de la part des mormons et qui voient dans l’afflux une menace contre leur mode de vie. Les griefs qui ont été exprimés en 1833 par les citoyens du comté de Jackson vont se répéter et s’amplifier. Les rumeurs et les accusations deviennent la base d’actes d’intolérance. Certains insistent sur le fait que puisque le comté de Caldwell a été créé pour les mormons, les saints des derniers jours ne doivent pas s’installer en dehors des frontières de ce comté.

L’affrontement décisif est déclenché par une bataille qui éclate quand des voyous essaient d’empêcher les saints de voter à Gallatin (comté de Daviess). Des rapports exagérés sur cette mêlée provoquent une agitation qui ne cesse de grandir et mènent à la formation de groupes d’émeutiers décidés à chasser tous les mormons du comté de Daviess. Les émeutiers menacent aussi les saints des derniers jours habitant à DeWitt (comté de Carroll) jusqu’à ce que, le 11 octobre 1838, ils soient forcés d’abandonner leurs maisons et leurs fermes. Pendant qu’ils sont en route vers le bastion mormon de Far West, les réfugiés sont continuellement harcelés et plusieurs meurent.

Le gouverneur Lilburn Boggs ayant rejeté les demandes de protéger les saints de DeWitt, les dirigeants de l’Église mobilisent la milice du comté de Caldwell et se préparent à se protéger. Certains membres des Danites, organisés à l’origine pour aider au développement de la communauté mormone, se livrent à des activités paramilitaires, brûlant notamment le siège des émeutiers à Gallatin et à Millport qui les avaient menacés de destruction. Entre-temps, une milice locale force les saints des derniers jours à abandonner leurs fermes dans le comté de Ray et menacent de tuer des membres de l’Église accusés d’être des espions. Pour essayer d’empêcher que la menace ne soit exécutée, une unité de la milice du comté mormon de Caldwell affronte, le 25 octobre, celle de Ray à la Crooked River. Des hommes sont tués de part et d’autre et de folles rumeurs parlant de raids mormons jettent de l’huile sur le feu dans la contrée. Le 27 octobre, sans aucun examen des accusations et des contre-accusations, le gouverneur Boggs accuse les membres de l’Église d’être à l’origine des hostilités et commande à la milice de l’État d’exterminer les mormons ou de les chasser de l’État. Trois jours plus tard, le massacre de Haun’s Mill, au cours duquel plus de deux cents miliciens attaquent une colonie minuscule de saints des derniers jours et en tuent froidement dix-sept, rend évidente la probabilité que l’ordre de Boggs sera exécuté littéralement.

Face à des forces de milice écrasantes, les saints des derniers jours se rendent à Far West et acceptent de quitter l’état. Quelque 10.000 membres de l’Église sont forcés de quitter le Missouri, la plupart en hiver et au milieu d’une hostilité intense. Prenant la direction de l’est, ils vont traverser le fleuve Mississippi vers l’Illinois. Après avoir subi d’immenses pertes de propriété et certaines pertes en vies humaines, la plupart atteignent, au début de 1839, Quincy et d’autres localités de l’ouest de l’Illinois dont les résidants offrent aide et abri.

Entre-temps, les dirigeants de l’Église au Missouri sont arrêtés et accusés de trahison. La plupart seront rapidement libérés, mais dix seront emprisonnés sans procès pendant l’hiver de 1838-1839, certains à la prison de Richmond et d’autres à la prison de Liberty. Pendant la demie année de son séjour à la prison de Liberty, le prophète Joseph va mettre sur papier certains des écrits inspirés les plus pénétrants et les plus éloquents de sa carrière (D&A 121-23), et il en sortira en avril 1839 avec une compréhension claire de ce qu’il doit faire pour terminer sa mission d’une manière satisfaisante et bien décidé à faire ce qu’il faut pour cela.

Les saints prennent des dispositions pour acheter des terres pour un nouveau lieu de rassemblement des deux côtés d’une courbe du fleuve Mississippi au nord de Quincy. Nauvoo va remplacer le hameau de Commerce et devenir le siège de l’Église. Beaucoup de membres s’installent aussi de l’autre côté du fleuve dans le comté de Lee, en Iowa.

Tourmentés par la malaria, les saints de la région de Nauvoo vont chercher à faire face à de plus grands problèmes en même temps qu’ils en sont encore à se démener pour créer une communauté viable après le désastre du Missouri. Essayant d’obtenir réparation pour les pertes du Missouri, le président Joseph Smith va rendre visite aux dirigeants politiques nationaux à Washington, D.C, mais l’accent mis sur les droits des États exclut l’aide fédérale. En dépit de la maladie et de la pauvreté, neuf membres du Collège des douze apôtres remplissent un appel à faire du prosélytisme dans les îles Britanniques. Ils arrivent en Angleterre au début de 1840 et pendant les quinze mois qui vont suivre ils vont voir près de 5.000 convertis se joindre aux quelque 1.500 qu’ils ont trouvés à leur arrivée. L’année suivante, Orson Hyde, un apôtre, visite Jérusalem et consacre la Palestine au rassemblement des Juifs.

En Angleterre, les Douze créent le Latter Day Saints’ Millennial Star et publient un livre de cantiques et une deuxième édition du Livre de Mormon, fondant par la même occasion ce qui va devenir un centre important de publications mormones pendant le demi-siècle qui va suivre. Les Douze lancent en 1840 l’émigration des convertis britanniques vers l’Amérique et pendant les six années suivantes, près de 5.000 personnes émigrent vers Nauvoo. Sous la direction de Brigham Young, le Collège des Douze devient une force administrative efficace pendant cette mission. Quand ils retournent à Nauvoo, ils reçoivent de nouvelles responsabilités. En août 1841, Joseph Smith annonce que les Douze se tiennent maintenant « à côté de la Première Présidence » et leur juridiction est étendue de manière à comprendre la supervision des pieux de l’Église aussi bien que des régions de mission.

Drainant les marécages et accueillant un nombre de plus en plus important de colons, les saints de Nauvoo créent une communauté prospère qui finira par compter presque 12.000 âmes, rivalisant avec Chicago pour être la plus grande ville de l’Illinois. La construction et la croissance alimentent l’économie, la vie culturelle prospère et les saints mettent sur pied la communauté religieuse la plus importante de leur brève histoire. Ayant appris par expérience qu’ils ne peuvent pas compter sur la bonne volonté des autres pour les protéger, ils recherchent des garanties institutionnelles. Dans les chartes de Nauvoo, le gouvernement de l’État d’Illinois assure les protections que constituent l’autonomie locale, un système judiciaire municipal et une milice urbaine. Décidés à ne plus jamais être sans défense comme ils l’ont été au Missouri, ils font de leur Légion agréée de Nauvoo la plus grande milice de l’Illinois.

Joseph Smith va se trouver, comme cela n’arrive quasiment jamais, dans une situation de pouvoir politique aussi bien qu’ecclésiastique, remplissant à divers moments les fonctions de conseiller municipal, de maire, de général commandant de la Légion de Nauvoo et de rédacteur du principal journal local, le Times and Seasons. Ces postes lui laissent toute latitude pour fonder une société sacrale et pour accomplir les choses qu’il considère comme les plus essentielles à sa mission.

Après avoir reçu, en 1836, des clefs supplémentaires de la prêtrise dans le temple de Kirtland, Joseph Smith désire vivement voir arriver le jour où il pourra remplir ses responsabilités en ce qui concerne le temple et donner des enseignements et des ordonnances supplémentaires aux saints. Quand il sort de la prison de Liberty, il est convaincu que le temps qui lui reste pour le faire est court et que Nauvoo sera sa dernière occasion. Dès que les saints se sont regroupés et sont en sécurité dans leur nouvelle demeure, il commence à exposer un ensemble d’enseignements, d’ordonnances et de schémas d’organisation supplémentaires – dont beaucoup ont trait au temple – qui vont éloigner les saints encore plus de leurs propres idées précédentes et des croyances de leurs voisins. Ce processus commence par une révélation importante en janvier 1841 (D&A 124) qui, entre autres, lance la construction du temple de Nauvoo et va continuer pendant plus de trois ans. En avril 1844, juste trois mois avant sa mort, le processus est complet.

À Nauvoo, Joseph Smith fait des exposés sur la nature de la Divinité et sur l’origine et la destinée du genre humain, mettant l’accent sur la notion de progression éternelle dans le contexte du plan du salut. Enseignant que le salut est accessible à tous, il introduit les ordonnances par procuration pour les personnes décédées, notamment le baptême pour les morts. Malgré le fait qu’il rencontre une certaine résistance à la nouveauté en matière de doctrine et de pratique, poussé qu’il est par le pressentiment qu’il doit éviter tout retard, le Prophète commence en 1841-1842 à introduire le mariage plural et les ordonnances sacrées du temple en privé à un petit nombre d’associés de confiance, dont les membres du Collège des Douze, qui devront plus tard les enseigner aux membres de l’Église dignes une fois le temple achevé.

Parmi les nouveautés les plus importantes dans le domaine de l’organisation à Nauvoo, il y a la fondation, en mars 1842, de la Société de secours, une organisation de bienfaisance sociale et religieuse pour les femmes. La Société de secours donne aux femmes une structure qui va faciliter les œuvres caritatives et la fraternité entre femmes. Chose plus importante encore, elle va mettre les femmes en relation étroite avec l’organisation de la prêtrise et contribuer à les préparer aux futures expériences du temple. Les premières paroisses de l’Église sont fondées à Nauvoo et des responsabilités supplémentaires sont définies pour les évêques. Le conseil des cinquante sera le dernier élément d’organisation créé par Joseph Smith. Bien qu’il ait joué un rôle pratique utile pendant plusieurs années après son organisation en mars 1844, sa plus grande importance est qu’il fournit un modèle de gouvernement pour le futur royaume de Dieu sur terre.

Depuis le temple jusqu’au conseil des cinquante, les membres du Collège des douze apôtres vont se tenir aux côtés du Prophète comme ses conseillers et ses assistants les plus proches. Prévoyant le jour où les saints pourraient avoir besoin d’un asile plus sûr dans l’isolement de l’Ouest, Joseph Smith, en février 1844, charge les Douze de mener une expédition pour trouver un tel endroit, mais met, peu après, le projet en attente. Il veut d’abord qu’ils aillent dans l’Est pour une mission plus politique. Quand les démarches auprès des candidats à la présidence lors des élections nationales présidentielles proches ne révèlent personne qui soit disposé à défendre les droits des mormons, le prophète Joseph Smith lance sa propre campagne présidentielle, élaborant un programme électoral pour faire connaître ses idées et s’exprimer au nom de son peuple. Pendant leur prosélytisme d’été habituel, les Douze et d’autres partisans vont se rendre dans l’Est, combinant prédication et campagne électorale. Avant leur départ, vers le 26 mars 1844, Joseph Smith leur donne ses dernières instructions. Il déclare qu’il leur a maintenant donné toutes les clefs de la prêtrise qu’il possède et qu’il est de leur responsabilité d’assumer la charge du royaume tandis que lui se reposera. Il sera assassiné avant leur retour de l’Est.

Bien que Nauvoo grandisse rapidement, les travaux sur ses projets de construction les plus ambitieux, le temple de Nauvoo et l’hôtel de la Maison de Nauvoo, traînent, en partie à cause du manque de capitaux. L’espoir de faire de Nauvoo un centre industriel ne se réalisera pas pour la même raison. Mais le succès continu du prosélytisme et l’afflux d’immigrés combinés avec la solidarité et le courage au travail des saints des derniers jours vont transformer Nauvoo en un concurrent redoutable sur les plans économique et politique par rapport aux autres villes du comté de Hancock.

Les voisins de Nauvoo qui lui étaient hostiles ont aussi d’autres sujets de se plaindre. L’organisation théocratique de la communauté des saints, avec son unité de but manifeste et son autonomie locale, suscite le ressentiment. La tendance des saints des derniers jours à voter en bloc pour les candidats locaux et de l’État qui sont le plus susceptibles de les favoriser va leur aliéner aussi bien les whigs que les démocrates. La puissante milice de Nauvoo provoque l’envie et la méfiance. Le fait que le système juridique de la ville protège Joseph Smith des poursuites judiciaires le fait accuser de se mettre hors de portée de la loi.

Comme cet état de choses augmente l’hostilité des adversaires de l’Église, Thomas Sharp, rédacteur d’un journal de la localité voisine de Warsaw, fait de son Warsaw Signal la voix de ces préoccupations et entreprend une croisade sputenue contre Joseph Smith et Nauvoo. Au printemps de 1844, plusieurs anciens compagnons mécontents prennent fait et cause pour les antimormons pour monter une offensive contre le prophète dans Nauvoo même. Ils publient un journal, le Nauvoo Expositor, qui attaque l’Église et lance des accusations incendiaires contre Joseph Smith. Le conseil municipal de Nauvoo décrète le journal danger public et commande au shérif de le détruire, une mesure qui cause la fureur des ennemis du prophète et sert de base à son arrestation. Le 27 juin 1844, Joseph et son frère Hyrum sont assassinés à la prison de Carthage, chef-lieu du comté, pendant qu’ils attendent d’être jugés.

Le prophète Joseph Smith a jeté les fondements doctrinaux et les bases de l’organisation de l’Église moderne et a préparé Brigham Young et le Collège des douze apôtres à construire sur la base qu’il a créée. Son ministère et sa mission sont terminés.

 
Bibliographie

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Underwood, Grant, “Millenarianism and the Early Mormon Mind”. Journal of Mormon History 9, 1982, p. 41-51.


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Troisième partie : 1844-1877 : Périodes de l’exode et du début de l’Utah, par Leonard J. Arrington et Dean L. May 


Le martyre de Joseph et de Hyrum Smith, le 27 juin 1844, provoque une crise majeure. Conséquence immédiate de la perte de leur prophète fondateur, beaucoup de saints des derniers jours, choqués, connaissent une crise de la foi : Quelqu’un peut-il prendre sa place ? Le Seigneur va-t-il continuer à être avec l’Église ? Tout le monde ne voit pas non plus directement qui doit diriger : Sera-ce Sidney Rigdon, conseiller de Joseph Smith dans la Première Présidence ? Le Collège des douze apôtres, dirigé par Brigham Young ? Quelqu’un d’autre ? Celui qui héritera de la direction de l’Église devra affronter la tâche de résoudre les tensions existant dans l’Église et les adversaires puissants de l’extérieur.

Au moment de l’assassinat, la plupart des membres du Collège des Douze sont en mission dans l’Est des États-Unis. Sidney Rigdon, qui a quitté Nauvoo pour Pittsburgh juste avant le martyre, revient le 3 août et prétend prendre la direction en tant que « Tuteur ». Trois jours plus tard plusieurs des Douze, dont Brigham Young, arrivent juste à temps pour une réunion tenue le 8 août déjà convoquée pour décider de la tutelle. Rigdon parle le premier, avançant ses prétentions. Il est suivi de Brigham Young, qui affirme que c’est la responsabilité des Douze de diriger l’Église en l’absence de Joseph et d’édifier sur les fondements qu’il a posés. La grande majorité votera pour soutenir les Douze. Beaucoup affirmeront que Brigham Young a été transfiguré devant eux, parlant avec la voix du prophète décédé et ayant son apparence et sa façon d’être.

Le vote du 8 août règle définitivement la question de la succession : personne d’autre n’a pu prétendre de manière convaincante avoir l’autorité ou la pleine confiance du Prophète. Le vote soutient le Collège des Douze, avec Brigham Young à sa tête, en tant que dirigeants de l’Église, mais cela ne va pas déboucher immédiatement sur une nouvelle Première Présidence ; cela viendra plus tard, après que les Douze auront terminé le temple de Nauvoo et trouvé une nouvelle patrie pour l’Église dans l’Ouest, responsabilités dont ils estiment qu’ils doivent s’acquitter en tant que collège. Le vote ne satisfera pas non plus ceux qui aspirent à une façon d’être des saints des derniers jours mais sans les innovations de Nauvoo qu’ils considèrent comme douteuses et que les Douze vont conserver – des choses telles que l’accent mis sur le temple, les nouveaux points de doctrine dont le mariage plural et l’unité des affaires temporelles et ecclésiastiques sous la prêtrise. Certaines de ces personnes vont brièvement en suivre d’autres qui se proclament dirigeants, mais beaucoup vont simplement s’éloigner. Des années plus tard, certains se grouperont pour former l’Église réorganisée de Jésus-Christ des saints des derniers jours avec une orientation tout à fait différente de celle de Joseph Smith à Nauvoo ou des Douze dans le Grand Bassin.

Les priorités des Douze sont de terminer le temple de Nauvoo tout en se préparant en privé à l’exode vers l’Ouest qu’ils se sont engagés à retarder jusqu’à ce que les saints aient reçu les ordonnances du temple. Les saints vont tellement se rallier derrière le temple que la pierre angulaire sera mise en place en mai 1845 et l’édifice sera prêt pour les ordonnances en décembre. En fin de compte, près de 6.000 hommes et femmes recevront les ordonnances du temple avant de partir pour l’Ouest. Au printemps de 1845, l’achèvement du temple étant proche, les dirigeants de l’Église commencent les préparatifs pour partir dans l’Ouest. En septembre, peu de temps après que des violences d’émeutiers éclatent contre les colonies périphériques autour de Nauvoo, les Douze annoncent publiquement que les saints vont tous partir.

Brigham Young est soutenu dans ces efforts par huit des Douze, ceux-là mêmes qui ont œuvré à l’étranger sous sa direction en 1840-1841, et par les membres du Conseil des cinquante. Organisé en mars 1844 par Joseph Smith, le Conseil de cinquante a participé à deux activités majeures avant sa mort : des négociations secrètes avec la République du Texas pour y créer éventuellement des colonies et une campagne publique pour soutenir la candidature de Joseph Smith à la présidence des États-Unis. Plus de soixante-quinze pour cent des membres survivants du Conseil original des cinquante soutiendront Brigham Young, mais William Smith, John E. Page, Lyman Wight, tous apôtres, et William Marks, le président de pieu de Nauvoo, feront dissidence et n’accepteront jamais le temple ni l’exode vers le Grand Bassin et ses implications. Le Conseil des cinquante, quant à lui, aidera à organiser l’exode hors de Nauvoo et, au début de l’Utah, contribuera à fonder une théocratie économique et politique.

L’exode commence en février 1846, avant que de nouvelles hostilités n’éclatent. Pendant tout le printemps et l’été, un flot de chariots traverse les prairies de l’Iowa. Les saints des derniers jours ne sont pas encore installés en Iowa quand un officier militaire des États-Unis arrive le 26 juin avec une demande pour que 500 volontaires participent à la campagne contre le Mexique. Bien que parfois considéré comme une oppression imposée aux mormons réfugiés par le gouvernement des États-Unis, l’appel est en réalité le résultat de négociations secrètes avec James Polk, président des États-Unis. S’il est vrai que le bataillon leur enlève 500 hommes valides, il va apporter $70.000 bien nécessaires qui seront utilisés pour aider les familles des hommes et pour financer le programme général de l’exode.

Comme l’évacuation de Nauvoo et la traversée de l’Iowa ont occupé la plus grande partie de la saison pendant laquelle on peut voyager, les saints se préparent à passer l’hiver sur les bords du fleuve Missouri. Ils créent des colonies provisoires à Winter Quarters, sur la rive occidentale du fleuve, aujourd’hui Florence, dans le Nebraska, banlieue d’Omaha, et sur la rive est à Kanesville, renommée plus tard Council Bluffs, en Iowa. Les préparatifs de la grande migration vers les bassins intérieurs de l’Amérique du Nord vont s’y poursuivre. Le 14 janvier 1847, Brigham Young annonce une révélation selon laquelle les saints doivent s’organiser « en compagnies [de cent, de cinquante et de dix], avec l’alliance et la promesse de garder tous les commandements… du Seigneur, notre Dieu » (D&A 136:2-3). Le 5 avril 1847, il emmène le premier convoi de pionniers au départ de Winter Quarters.

Après un voyage de trois mois, les éclaireurs entrent dans la vallée du Grand Lac Salé. Trois jours plus tard, le 24 juillet 1847, Brigham Young entre dans la vallée. Le 28 juillet, il indique un emplacement pour un temple et annonce aux 157 pionniers que « c’est le bon endroit », voulant dire que lui et les saints ont prévu un long séjour à proximité du Grand Lac Salé.

Après son retour d’Utah à Winter Quarters en octobre 1847, Brigham Young pose aux apôtres la question de la réorganisation de la Première Présidence. Bien qu’aucune révélation écrite n’autorise explicitement les Douze à réorganiser la présidence, beaucoup considèrent que ce droit est implicite dans la révélation de 1835 concernant l’autorité de ce collège par rapport à la Première Présidence (D&A 107:21-24). Les Douze soutiennent Brigham Young comme président de l’Église, avec Heber C. Kimball et Willard Richards comme conseillers, mesure ratifiée plus tard ce mois-là par les membres de l’Église lors d’une conférence spéciale à Kanesville et l’année suivante à Salt Lake City.

En Utah, Brigham Young se met en devoir de réaliser le rêve de Joseph Smith de créer un refuge permanent pour les saints. Cela comprend la création d’un État politique dans lequel l’Église jouera un rôle dominant. La nature théocratique de ce gouvernement ressort du fait qu’un grand conseil de l’Église, présidé par John Smith, oncle de Joseph Smith, gérera à la fois les affaires religieuses et civiles dans la vallée du lac Salé depuis l’automne de 1847 jusqu’au retour de Brigham Young dans la vallée en septembre 1848, quand les Douze et le Conseil des cinquante assumeront la direction.

Au cours des derniers mois de 1848, le Conseil des cinquante commence les discussions en vue de la mise sur pied d’un gouvernement plus permanent. Prévoyant que le Grand Bassin deviendra un territoire des États-Unis, le Conseil examine les mérites respectifs d’une demande au Congrès pour obtenir le statut de territoire ou celui d’état. Il opte d’abord pour le territoire mais peu après, en juillet 1849, se basant sur les précédents au Texas et en Californie, il demande à devenir un État et commence à organiser l’État provisoire de Deseret. Brigham Young est élu gouverneur et d’autres autorités de l’Église constituent l’exécutif et le judiciaire et une grande partie du législatif. Le gouvernement se réunit en décembre 1849, et l’État de Deseret va fonctionner comme État autonome au sein du domaine national jusqu’au 28 mars 1851, date à laquelle il va être officiellement dissous et remplacé par le Territoire d’Utah, qui avait déjà été créé dans le cadre du Compromis national de 1850.

Les frontières de l’État de Deseret sont vastes, englobant tout l’Utah actuel, la majeure partie du Nevada et de l’Arizona, plus d’un tiers de la Californie et des parties de l’Oregon, de l’Idaho, du Wyoming, du Colorado, et du Nouveau-Mexique. Pour assurer le contrôle de ce territoire, Brigham Young va entreprendre un programme vigoureux de colonisation, qui, avant sa mort en 1877, aura créé près de 400 colonies, et un système énergique de prosélytisme, en particulier dans les îles Britanniques et en Scandinavie, avec des milliers de convertis, dont presque 90.000 vont émigrer en Utah avant la fin du siècle. L’Église favorise, organise et gère cette immigration. Pour le profit de ceux qui sinon n’auraient pas le moyen de se payer le voyage, l’Église crée le Fonds perpétuel d’Émigration. Créée en 1850 par l’État de Deseret, pendant les trente-sept années qui vont suivre, la Compagnie du Fonds perpétuel d’Émigration va lever des fonds et utiliser les ressources de l’Église pour aider quelque 26.000 émigrants d’Europe à atteindre les montagnes de l’Ouest.

C’est avec l’État de Deseret que l’Église se sera rapprochée le plus de son but de réaliser le modèle théocratique précédemment conçu par Joseph Smith. Les autorités de l’Église remplissent des postes civils importants. Quand les juges désignés par le gouvernement fédéral auront quitté le territoire en 1851, les tribunaux des successions, avec des évêques comme juges, auront juridiction dans le civil et le pénal. La volonté derrière tout cela est que l’influence des saints sur la vie politique du territoire élimine les persécutions qui se sont maintes fois produites. Bien plus tard, le succès même de cette société théocratique va créer des conflits moins violents mais finalement plus dangereux avec la société américaine.

Une pratique inséparable du sempiternel conflit avec le gouvernement fédéral sera celle du mariage plural. Bien que la polygamie ait été pratiquée en privé avant l’exode, les dirigeants de l’Église en auront retardé l’aveu public jusqu’en 1852. En août de cette année-là, à une conférence spéciale de l’Église à Salt Lake City, Orson Pratt, un apôtre, annoncera officiellement le mariage plural comme point de doctrine et de pratique de l’Église. Une longue révélation sur le mariage pour l’éternité et sur la pluralité des épouses, dictée par Joseph Smith le 12 juillet 1843, sera publiée après cette annonce (D&A 132). Considérant que c’est une obligation religieuse que les frères fidèles épousent plus d’une femme, les saints des derniers jours croient que la polygamie est protégée par la garantie constitutionnelle de la liberté religieuse. Il n’y a, à l’époque, aucune loi fédérale contre la polygamie, et l’incorporation territoriale de l’Église lui permet de « célébrer des mariages compatibles avec les révélations de Jésus-Christ » (Arrington et Quinn, p. 261). Dans certaines localités, jusqu’à vingt à vingt-cinq pour cent de la population des saints finiront par vivre dans des ménages polygames, la plupart des hommes qui ont pratiqué la polygamie ayant une à quatre épouses plurales.

Pendant les quelques premières années, la vie dans leur nouveau refuge dans l’Ouest semble précaire. Un hiver doux en 1847-1848 est suivi de gelées printanières et d’un été décourageant. Ensuite la sécheresse endommage et une invasion de sauterelles dévore une bonne partie des cultures. Beaucoup croient qu’ils n’auront sauvé un reste de leurs cultures que grâce à l’intervention miraculeuse d’un grand nombre de mouettes qui descendent sur les champs et dévorent les sauterelles. Cependant, après l’hiver difficile de 1848-1849, les pionniers pourront faire, la plupart des années, des récoltes suffisantes pour tenir l’hiver suivant. Une aubaine inattendue se présente en 1849 quand des centaines de voyageurs en route pour les gisements d’or de la Californie passent par l’Utah et s’empressent d’échanger des produits manufacturés rares, des animaux épuisés et même de la farine contre les produits locaux. Entre-temps, les premières colonies sont suffisamment bien installées pour que puisse commencer la colonisation dans toute la région des montagnes Rocheuses.

Les saints vont fonder des dizaines de colonies, au début surtout dans ce qui est maintenant l’Utah. La première zone colonisée est une région centrale s’étendant au nord et au sud du siège de l’Église à Salt Lake City le long du bord occidental des montagnes. Les colonies suivantes vont se trouver dans les vallées plus hautes de montagne de la région, telles que les vallées de Cache et de Heber. Presque en même temps, d’autres colonies vont être fondées dans des régions plus éloignées en réponse à des besoins particuliers comme la fondation d’une industrie métallurgique (Parowan, janvier 1851, Cedar City, novembre 1851), la création de stations le long des itinéraires d’immigration (San Bernardino, 1851, achat de Fort Bridger, 1855), les missions auprès des Indiens (fort Lemhi dans l’Idaho actuel, Las Vegas, Nevada, Fort Supply en 1853, dans le Wyoming actuel et la mission d’Elk Mountain dans le centre-est de l’Utah, le tout en 1855), la culture de plantes de climat chaud, comme le coton et le sucre (St-George, 1861) ou, plus tard, la recherche d’un refuge pour les familles polygames.

Le motif le plus commun pour la colonisation est la nécessité de trouver des terres pour une population croissante de fermiers, un besoin qui sera à l’origine de la colonisation de la plupart des emplacements favorables en Utah dès 1880 aussi bien que d’autres dans le nord de l’Arizona, le sud-ouest du Colorado, le nord-ouest du Nouveau-Mexique, l’ouest du Wyoming et le sud-est de l’Idaho. On ouvre souvent de nouvelles régions par un « appel en mission », ce qui signifie que des colons installés sont invités à entreprendre une mission patronnée par l’Église pour fonder une colonie. Une fois la colonie mère établie, les régions voisines sont colonisées spontanément par les jeunes devenus adultes à la recherche de terres à cultiver.

La fondation d’un empire dans l’Ouest ne va pas se faire sans conflits ni difficultés. Une période de sécheresse prolongée en 1855 va être suivie d’une invasion catastrophique de sauterelles. L’insécurité ainsi créée va sans doute alimenter les flammes de la réforme de 1856-1857, une période de remise en question intense et d’engagement renouvelé. Les sermons enflammés et parfois immodérés de la Réforme intensifieront les inquiétudes des pionniers quand, au début de 1857, sur la foi de rapports exagérés selon lesquels les mormons sont en rébellion, James Buchanan, président des États-Unis commande secrètement l’envoi d’une armée de 2.500 soldats fédéraux en Utah. Agissant sans avoir fait d’enquête, Buchanan relève Brigham Young de ses fonctions de gouverneur, poste auquel Young avait été redésigné, même après l’annonce, en 1852, de la polygamie. Malheureusement, Buchanan fait tout en secret, interrompant même le courrier à destination de l’Utah pour donner aux troupes l’avantage de la surprise.

Quand il reçoit la confirmation confidentielle de la décision du gouvernement, Brigham Young commande à tous les missionnaires de retourner en Utah, fait fermer les missions et abandonner les colonies les plus isolées. Habitués aux persécutions de la part des milices d’état, les saints des derniers jours voient dans l’avance des forces armées vers l’Utah le prélude au pillage, au viol et au massacre. Pendant qu’ils se préparaient à la résistance armée, une hystérie de guerre balaie le territoire.

Lorsque qu’elle approche de Fort Bridger, l’avant-garde de l’expédition d’Utah se heurte aux saints qui lui opposent la politique de la « terre brûlée ». Les raids mormons saisissent et brûlent les convois fédéraux d’approvisionnement et détruisent le fourrage devant les troupes en marche. L’arrivée opportune de fortes chutes de neige embourbe l’armée pour l’hiver, donnant aux médiateurs, et particulièrement à Thomas L. Kane, du temps pour une conciliation. Pendant ce temps, le président Young ordonne l’abandon des colonies du nord de l’Utah et organise « l’Exode vers le Sud ». S’ils doivent quitter leur refuge, les saints des derniers jours laisseront le Grand Bassin aussi désertique qu’ils l’ont trouvé. Les négociations réussissent avant le printemps, juste au moment où l’armée se remet en mouvement. Alfred Cumming est installé comme gouverneur et, le 12 juin 1858, Brigham Young accepte le pardon pour sa soi-disant rébellion. Quinze jours plus tard, le général Albert Sidney Johnston fait traverser à ses troupes une Salt Lake City abandonnée et dresse un Camp Floyd isolé à soixante-cinq kilomètres au sud-ouest. La guerre d’Utah va être qualifiée, à juste titre, de gaffe de Buchanan.

L’hystérie de guerre aura pour conséquence désastreuse le massacre de Mountain Meadows de septembre 1857, pour lequel les dirigeants locaux du sud de l’Utah s’unissent aux Indiens pour massacrer un convoi de colons en route pour la Californie. Il est prouvé que l’ordre de Brigham Young était de laisser les voyageurs passer en paix, mais sa recommandation va arriver trop tard pour empêcher le massacre et les autorités locales vont faire croire à une attaque par les Indiens. Répondant aux accusations que des blancs sont impliqués, le président Young invite le nouveau gouverneur à enquêter, mais celui-ci considère que si des blancs sont impliqués, ils bénéficieront du pardon en vertu de l’amnistie générale accordée en 1858. Par la suite, quand de plus amples renseignements se feront jour, certains des principaux protagonistes seront excommuniés de l’Église et l’un d’eux, John D. Lee, sera condamné par un tribunal fédéral et exécuté.

Bien que préoccupé par la guerre de Sécession, le gouvernement fédéral s’intéresse néanmoins au Territoire d’Utah. En 1862, Fort Douglas est créé à l’extrémité est de Salt Lake City, sous la direction de Patrick Edward Connor, un anti-mormon virulent. Connor et ses troupes sont chargés de garder les itinéraires de transport, mais ils publient aussi le Union Vedette, une publication agressivement anti-mormone, encouragent les exploitations minières et favorisent l’immigration de non-mormons dans le Territoire. En 1863, les troupes de Connor attaquent un groupe d’Indiens Shoshones du nord sur la Bear River, dans le nord de la Cache Valley, tuant quelque 250 hommes, femmes et enfants.

La décennie suivant la guerre d’Utah est une ère d’expansion générale pour l’Église. En 1862, le Congrès décrète une loi interdisant la polygamie dans les territoires et dissolvant l’Église, mais elle ne sera pas appliquée avant Reynolds contre les États-Unis en 1879. Les immigrants de l’Église continuent d’arriver par milliers et Brigham Young continue d’implanter des colonies pour les recevoir. Mais l’afflux régulier de non-mormons en Utah et la construction d’un chemin de fer transcontinental annoncent de futurs défis à la domination par les mormons de leur empire du Grand Bassin.

L’achèvement du chemin de fer transcontinental s’accompagne à la fois de possibilités nouvelles et de problèmes. Brigham Young s’attend depuis longtemps à la fin de l’isolement physique et, par certains côtés, l’encourage. En 1852 et en 1854, les saints demandent au Congrès qu’un chemin de fer transcontinental passe par l’Utah. Il simplifierait l’immigration et permettrait aux dirigeants de l’Église d’établir des liaisons ferroviaires reliant beaucoup de colonies éloignées à Salt Lake City. Le 1er juillet 1862, quand le Pacific Railroad Act est promulgué, le président Young souscrit pour $10.000 d’actions auprès de la Union Pacific Railroad Company nouvellement organisée, dont il devient l’un des directeurs en 1865.

Si le chemin de fer permet aux immigrants de l’Église d’atteindre plus facilement l’Utah, il encourage aussi l’immigration de non-mormons. La fin de l’isolement menace également l’indépendance économique et politique de l’Utah. Pour renforcer l’économie locale et retarder la création d’un milieu d’affaires non-mormon puissant, les autorités de l’Église ont longtemps lutté pour décourager l’importation de produits manufacturés venus de l’Est des États-Unis. Elles vont maintenant lancer une campagne énergique pour décourager l’achat de produits de luxe importés, notamment le thé, le café, l’alcool et le tabac et réinsister sur la révélation de 1833 donnée à Joseph Smith déconseillant l’utilisation de ces produits.

En dépit de l’opposition opiniâtre de Brigham Young au développement de l’extraction de métaux précieux en Utah, l’approche du chemin de fer relance l’enthousiasme pour l’exploitation des richesses minières de l’Utah. Sous la direction de plusieurs hommes d’affaires et intellectuels en vue de l’Église tels que William Godbe, Edward W. Tullidge et Eli B. Kelsey, un « Nouveau Mouvement » se développe dans l’Église contre ce qu’ils appellent « l’autocratie de la prêtrise ». Ces hommes écrivent des articles persuasifs dans le Utah Magazine, recommandant l’exploitation des ressources minières de l’Utah afin de maintenir l’industrie sous le contrôle local (et donc mormon). Brigham Young, qui prévoit un résultat différent, dénonce les « Godbeites », les accusant d’inciter à la domination « gentile » de l’Utah. Par la suite, Godbe, dont le manque d’orthodoxie doctrinale pose un problème supplémentaire, est excommunié. Bien qu’ayant rejeté la solution godbeite, Brigham Young reconnaît les réalités de la nouvelle situation économique et lance une série de programmes pour renforcer la solidarité spirituelle et l’indépendance économique.

Une partie du programme de Brigham Young comprend l’organisation de l’École des Prophètes en 1867. L’École des Prophètes originelle avait été fondée en 1833 par Joseph Smith pour donner un enseignement aux adultes et pour se préparer pour le temple. Dans l’organisation d’Utah, les discussions sur la théologie s’accompagnent de l’adoption d’un programme économique. Les Écoles des Prophètes enseignant aux propriétaires fonciers les méthodes pour s’assurer des titres de propriété, sollicitent des contributions en main d’œuvre et en fonds pour financer des chemins de fer secondaires, créent des coopératives de vente et de fabrication locales, poussent à la diminution des salaires pour permettre une plus grande exportation des marchandises d’Utah, organisent le boycott des établissements des gentils hostiles et exigent des membres qu’ils s’engagent à observer la Parole de Sagesse. Les Écoles passent aussi des contrats avec les chemins de fer de l’Union Pacific et du Central Pacific pour créer l’infrastructure de la ligne transcontinentale en Utah, limitant ainsi l’afflux de travailleurs non-mormons et apportant des revenus en argent liquide aux saints des derniers jours. Au bout de quelques années, avec le changement de la situation économique, ces organisations vont graduellement disparaître.

Ce qui va être plus permanent que les Écoles des Prophètes, ce sont les organisations que Brigham Young crée pour les femmes et les jeunes de l’Église. Entre la renaissance de la Société de secours en 1867 et la mort de Brigham Young une décennie plus tard, la présidente générale, Eliza R. Snow, aidant les évêques à constituer les organisations locales, la société se répand dans toutes les colonies de l’Église du Grand Bassin. En plus de ses buts charitables, la Société de secours travaille avec les Écoles des Prophètes pour encourager l’industrie locale et déconseiller l’achat des importations. Parmi les réalisations principales de la Société de secours, il y a le commencement d’un programme de stockage du blé, le lancement de la culture de la soie, la fondation du Woman’s Exponent, la construction de salles pour la Société de secours dans la plupart des colonies, la mise sur pied d’un magasin de distribution pour les industries locales et l’appui impressionnant de la formation médicale des femmes. Les dirigeantes de la Société de secours participent aussi activement à la campagne pour le suffrage des femmes et en Utah les femmes vont être les secondes après les femmes du Wyoming à recevoir le droit de vote.

En 1869, Brigham Young crée, pour les jeunes filles, une organisation portant le nom peu maniable de « Département des jeunes demoiselles de l’Association coopérative de retranchement ». Il exhorte les jeunes filles à éviter toute extravagance et à « cesser d’accorder [leur] clientèle au négociant qui envoie [leur] argent hors du Territoire pour de beaux vêtements faits dans l’Est » (Susa Young Gates, History of the Young Ladies Mutual Improvement Association of the Church, p. 9, Salt Lake City, 1911). La Société d’amélioration mutuelle des Jeunes Filles, comme on l’appellera plus tard, va devenir une organisation s’occupant principalement d’activités culturelles, sociales et religieuses.

Après l’achèvement du chemin de fer transcontinental en 1869, l’Union Pacific et le Central Pacific ne respectent pas leurs engagements contractuels concernant l’infrastructure. Les pertes pour l’économie mormone sont massives : $500.000 en liquide et des pertes cumulées encore plus grandes pour les sous-traitants, les commerçants et les ouvriers. Pour essayer de compenser ces pertes, les dirigeants de l’Église financent des chemins de fer dans le territoire en utilisant le fer, le matériel de construction et le matériel roulant pour une valeur d’un demi million de dollars dont la Union Pacific en faillite s’était servi pour payer ses obligations. Ces chemins de fer apporteront du profit en Utah, mais leur succès ne soulagera pas complètement l’amertume que les saints auront ressentie à l’égard des revers causés par le chemin de fer transcontinental.

En plus d’intensifier son appel à pratiquer l’industrie locale et à boycotter les marchands non-mormons au moment où le chemin de fer se rapproche de l’Utah, Brigham Young met sur pied un système coopératif de vente. En octobre 1868, il organise la Zion’s Cooperative Mercantile Institution (ZCMI) pour « apporter des marchandises ici et les vendre aussi bon marché qu’il est possible de le faire et que les bénéfices soient répartis parmi l’ensemble du peuple » (Arden Olsen, History of the Mormon Mercantile Cooperation in Utah, p. 80, thèse de doctorat, université de Californie, Berkeley, 1935). Largement soutenu, le nouveau grand magasin va devenir une entreprise profitable qui reste le plus grand détaillant de Salt Lake City. Des succursales sont créées dans beaucoup de localités, de même que d’autres coopératives : tanneries, meuneries, laiteries, boucheries, banques, usines sidérurgiques, scieries, fabriques de laine et usines de coton. Tout cela va aider les saints à retarder d’une décennie la mainmise « extérieure » que l’arrivée du chemin de fer présage.

Le succès remarquable du Mouvement Coopératif va inspirer à Brigham Young l’idée qu’une renaissance de « l’Ordre uni d’Hénoc », longtemps son but, pourrait maintenant être réalisable. Inauguré par Brigham Young pendant l’hiver de 1873-1874, le Mouvement de l’Ordre est inspiré par le désir d’imiter les tentatives de vivre la loi de consécration dans les années 1830 et par le succès de la coopérative de Brigham City. Sous la direction de Lorenzo Snow, Brigham City était devenue autonome à quatre-vingt-cinq pour cent, effectuant pratiquement toute l’agriculture, la construction, la fabrication et le commerce dans la région environnante. Presque toute la population était employée dans les divers départements de la coopérative et était rémunérée par des produits plutôt que par de l’argent liquide. La Coopérative de Brigham City avait eu tant de succès qu’elle n’avait quasiment pas été affectée été par la panique financière de 1873.

Brigham Young lance donc le mouvement de l’Ordre Uni et plus de 200 ordres sont créés dans tout l’Utah, le sud de l’Idaho, le nord de l’Arizona et le Nevada. Du fait qu’il laisse le fonctionnement de ces ordres entre des mains locales, plusieurs types différents apparaissent. Certains, comme Orderville, dans le sud de l’Utah, sont presque totalement communaux. Dans les villes plus grandes, où les ordres communaux fortement structurés sont impossibles, les diverses paroisses financent différentes entreprises coopératives, telles que des fermes ou des usines et échangent ensuite les produits. Les manifestations de l’Ordre Uni d’Hénoc varient, mais elles représentent un effort véritable du peuple pour devenir « un » comme le commandaient les premières révélations. Comme dans le cas de presque toutes les entreprises volontaires de cette nature, ces ordres vont finir par se dissoudre en raison de tensions internes et de pressions externes. Le mouvement lui-même prend fin en 1877, bien que quelques ordres, comme celui d’Orderville, continuent pendant une décennie encore.

Avant sa mort en 1877, Brigham Young aura vu la réalisation d’une de ses aspirations les plus sacrées : l’achèvement d’un temple en Utah. Toute l’importance des temples et de leurs ordonnances remonte à la période de Nauvoo, quand Joseph Smith a introduit le baptême pour les morts, le mariage pour l’éternité et un ensemble d’instructions religieuses et d’alliances appelé dotation. Depuis l’abandon du temple de Nauvoo en 1846, Brigham Young rêve d’un temple dans l’Ouest. En arrivant dans la vallée, il consacre, à Salt Lake City, un terrain pour un temple, mais il faudra quarante ans pour terminer cet imposant édifice. En attendant, une Maison des dotations provisoire, construite en 1855, fournira un endroit pour les ordonnances sacrées. Après avoir décidé de construire un édifice moins imposant dans le sud, Brigham Young consacrera le temple de St-George, achevé le 6 avril 1877. Pendant la décennie qui suivra sa mort, deux temples supplémentaires seront construits en Utah (Logan et Manti) avant que le temple de Salt Lake City ne soit finalement consacré en 1893.

Après la consécration du temple de St-George, Brigham Young lance une réorganisation massive de l’Église, principalement au niveau local, clarifiant et redéfinissant, par la même occasion, les responsabilités de la prêtrise. Toutes les paroisses et tous les pieux sont touchés et la plupart reçoivent de nouveaux dirigeants.

Quand il meurt, le 29 août 1877, Brigham Young a amené les saints des derniers jours à un point culminant de croissance dans leur retraite et leur royaume de montagne. Ses dernières paroles, « Joseph ! Joseph ! Joseph ! » sont appropriées pour quelqu’un qui a vécu sa vie, comme il le disait souvent, en tant qu’apôtre de Jésus-Christ et de Joseph Smith. À sa façon parfois inflexible, Brigham Young aura travaillé pendant plus de quarante ans pour atteindre les buts de Joseph Smith. Les saints sont parvenus à un pouvoir économique et politique unifié, même s’ils vont bientôt être forcés de se plier face à une pression fédérale persistante. Chose plus importante encore, en affrontant courageusement leurs difficultés et en poursuivant leurs rêves dans le désert, ils sont devenus un peuple fort, solidaire et plein de foi. Attaché à l’idéal évangélique quel qu’en soit le coût, il laissera un héritage qui continue à inspirer les saints des derniers jours du monde entier.
 
Bibliographie

Ouvrages généraux sur cette période : Leonard J. Arrington, Brigham Young, American Moses, New York, 1985 et Great Basin Kingdom, Cambridge, Mass., 1958 ; Eugene E. Campbell, Establishing Zion : The Mormon Church in the American West, 1847-1869, Salt Lake City, 1988 ; Dean L. May, Utah : A People’s History, Salt Lake City, 1987 et un bref compte rendu dans Leonard J. Arrington et D. Michael Quinn, “The Latter-day Saints in the Far West, 1847-1900”, dans F. Mark McKiernan, Alma R. Blair et Paul M. Edwards, dir. de publ., The Restoration Movement : Essays in Mormon History, Lawrence, Kans., 1973, p. 257-270.

En plus de nombreux articles sur le sujet dans le Journal of Mormon History, BYU Studies, Dialogue, Sunstone et le Utah Historical Quarterly, voir : Richard E. Bennett, mormons at the Missouri 1846-1852, Norman, Okla., 1987, pour la période débouchant sur la colonisation de l’Utah ; Wallace Stegner, The Gathering of Zion, New York, 1964, récit classique de migration vers l’Utah ; Leonard J. Arrington, Feramorz Y. Fox et Dean L. May, Building the City of God : Community and Cooperation Among the mormons, Salt Lake City, 1976, qui se concentre sur le communautarisme ; et Norman F. Furniss, The Mormon Conflict, 1850-1859, New Haven, Conn., 1960, la meilleure étude sur la Guerre d’Utah.


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Quatrième partie : 1878-1898 : Fin de la période pionnière d’Utah, par Gene A. Sessions et William G. Hartley
 
Pendant la période de croissance, de problèmes graves et de changements marquants de 1878-1898, l’Église affronte de nombreuses difficultés sous les présidents de l’Église John Taylor et Wilford Woodruff. La décision de la Cour suprême en 1879, confirmant la législation contre la polygamie introduit une décennie d’une application de plus en plus féroce de lois de plus en plus dures. Face à la persécution par le gouvernement et dans une tentative d’obtenir l’autonomie en accédant au rang d’état, l’Église prend des mesures pour mettre fin à la pratique du mariage plural et pour abandonner son contrôle jadis ferme de la politique et de l’économie du Territoire d’Utah. Dans les années 1890, le Territoire d’Utah et ses résidants mormons prennent le chemin de « l’américanisation ».

Bien que cette période soit caractérisée par son affrontement prolongé avec le gouvernement fédéral, elle l’est aussi de manière frappante par la croissance. La population de l’Église double (de 115.065 à 229.428), de même que le nombre de pieux (20 à 40) et de paroisses (252 à 516). Les colonies de saints vont jusqu’au Mexique et au Canada. Les efforts missionnaires augmentent et le nombre de missions s’accroît (de 8 à 20). L’activité des collèges de la prêtrise devient plus ordonnée et plus normalisée. Les Autorités générales assistent régulièrement aux conférences trimestrielles de pieu et aux conférences de paroisse. Les organisations auxiliaires se généralisent dans les pieux et les paroisses, et des présidences et des bureaux généraux d’auxiliaires sont désignés. L’Église termine aussi trois temples, portant le total en Utah à quatre.

Après la mort du président Young en août 1877, le Collège des douze apôtres n’organise pas immédiatement une nouvelle Première Présidence. John Taylor préside l’Église comme président des Douze jusqu’en octobre 1880. Sous sa direction, les Douze achèvent la réorganisation des paroisses et des pieux commencée par le président Young.

Ils étendent aussi les organisations auxiliaires. En 1880, ils choisissent trois des leurs (Wilford Woodruff, Joseph F. Smith et Moses Thatcher) pour former une surintendance générale de la Société d’amélioration mutuelle des Jeunes Gens (SAMJG) et pour superviser de nouveaux bureaux ou comités centraux de la SAMJG créés d’abord pour les comtés et plus tard pour les pieux. L’Association de Retranchement des Demoiselles devient en 1878 la Société d’amélioration mutuelle des Jeunes Filles (SAMJF) avec la création de bureaux dans les pieux à partir de cette année et le début, en 1880, d’une organisation dans toute l’Église avec Elmina S. Taylor comme présidente. La Primaire, une nouvelle organisation pour le profit des enfants, est lancée en 1878 à Farmington (Utah). Après que d’autres paroisses ont copié le programme, une Primaire est créée en 1880 au niveau de l’Église, dirigée par Louie B. Felt. Eliza R. Snow, présidente de la Société de secours, continue à diriger l’œuvre de toutes les femmes dans l’Église, qui comprend maintenant la SAMJF et la Primaire. George Q. Cannon, de la Première Présidence, reste, tout au long de cette période, surintendant général des Écoles du Dimanche. Les Écoles du Dimanche, la Société de secours, et la SAM sont organisées dans les îles Britanniques et en Scandinavie à partir de la fin des années 1870 et du début des années 188.

Les complications juridiques entourant la succession du domaine de Brigham Young deviennent un gros problème pour les Douze. Lorsque la législation fédérale avait sévèrement limité les avoirs fonciers de l’Église, le président Young avait été à la tête d’un mélange compliqué de biens personnels et de propriétés de l’Église. En 1879, ses héritiers et l’Église finiront par régler la question par compromis en dehors des tribunaux.

En 1880, son cinquantième anniversaire, l’Église proclame une année de jubilé, modelée sur une coutume hébraïque antique, pour soulager les pauvres. Elle efface des livres pour $802.000 de dettes auprès du Fonds perpétuel d’Émigration, la moitié du total encore dû. En plus de distribuer du bétail et des moutons aux nécessiteux, les autorités remettent aux pauvres dignes la moitié de leur dîme impayée. La Société de secours prête aussi près de 1250 tonnes de blé provenant de ses réserves pour aider les fermiers touchés par la sécheresse.

Après avoir dirigé l’Église pendant trois ans, John Taylor et les Douze réorganisent, en octobre 1880, une Première Présidence : John Taylor, président de l’Église, avec George Q. Cannon et Joseph F. Smith, qui avaient précédemment fait partie de la Première Présidence sous Brigham Young, comme conseillers.

Les révélations données au président Taylor en 1882 et 1883 conduisent à une réorganisation des soixante-dix. Pour la première fois, les soixante-seize collèges locaux sont organisés sur une base géographique, inscrivant tous les soixante-dix dans leurs limites respectives. En outre, entre 1884 et 1888, vingt-cinq nouveaux collèges sont créés. Cette réorganisation redonne une vitalité aux soixante-dix, et le nombre de soixante-dix qui remplissent une mission à plein temps augmente directement après la mise en application du changement.

Cette période voit aussi une augmentation des publications liées à l’Église. Deux nouveaux magazines desservent les jeunes : The Contributor (1879-1896) pour les jeunes gens et The Young Woman’s Journal (1889-1929) pour les jeunes filles. Le Morgenstjernen (1882-1885), une publication historique en danois, continue en anglais sous le titre The Historical Record (1886-1890). L’École du Dimanche publie son premier cahier de musique (1884) et le Livre de Mormon paraît pour la première fois dans une traduction suédoise (1878). En 1880, l’Église accepte par vote la Perle de grand prix comme Écriture, ce qui lui donne le quatrième de ses ouvrages canoniques. Elle publie aussi, en 1879, des éditions du Livre de Mormon et des Doctrine et Alliances, avec les divisions en chapitres et versets, les correspondances et les notes d’Orson Pratt.

Le président Taylor met aussi en application un nouveau programme économique. Moins rigidement structuré que les ordres unis précédents, il assure l’équilibre entre l’entreprise privée et la planification économique de groupe. La Chambre centrale de Commerce de Sion stimule l’activité économique coopérative en favorisant le commerce, en cherchant de nouveaux marchés, en fournissant des informations aux fermiers et aux fabricants, en empêchant une concurrence nuisible à l’industrie locale et parfois en réglementant les salaires et les prix. Les chambres de commerce de pieu travaillent en coordination avec l’agence centrale. Malheureusement, en 1885, les croisades antimormones vont forcer ces chambres de commerce à se dissoudre. Edward Hunter, pionnier et évêque président, qui est en fonction depuis les années 1850, décède en 1883 et est remplacé en 1884 par William B. Preston.

Pendant les années 1880, la Société de secours continue à élaborer des programmes qui ont commencé dans les années 1870: entreposage de blé, entretien des salles de Société de secours et des magasins de distribution de paroisse, gère des programmes de formation d’infirmières et d’obstétrique, supervise les organisations pour les enfants et les jeunes filles, veille au bien-être spirituel des femmes de l’Église et améliore le soin permanent des pauvres. Les nouveautés sont l’ouverture, en 1882, de l’hôpital de Deseret, deuxième hôpital d’Utah, le premier géré par l’Église. La mort de d’Eliza R. Snow en 1887 marque la fin d’une ère pour la Société de secours ; en 1888, Zina Diantha H. Young la remplace comme présidente.

Malgré des problèmes graves, les dirigeants de l’Église tiennent toujours à apporter les bénédictions des temples à un plus grand nombre de saints. Pour ajouter à l’unique temple en fonctionnement à St-George, John Taylor consacre, le 17 mai 1884, le temple de Logan, deuxième en Utah. Construit principalement à l’aide de dons en argent, en matériaux et en main d’œuvre, il va coûter $800.000 environ. Un troisième temple, à Manti (Utah), construit pour un coût de près de $1 million, est consacré en 1888 par Lorenzo Snow, membre du Collège des Douze. Les travaux continuent aussi sur le grand temple de Salt Lake City, commencé en 1853, mais achevé seulement en 1893.

La colonisation se poursuit. Entre 1876 et 1879, pas moins de cent nouvelles colonies sont créées en dehors de l’Utah et plus de vingt à l’intérieur du Territoire. Les colonies de saints en Arizona augmentent rapidement. Les pieux créés en 1878 et 1879 à proximité de la Little Colorado River sont absorbés, en 1887, par les pieux nouvellement créés de St-Johns et de Snowflake. Entre-temps, le long des Gila et Salt Rivers, les pieux de St-Joseph et de Maricopa sont créés 1883. De nouvelles colonies de saints apparaissent au Nevada, dans l’est de l’Utah, où le pieu d’Emery est créé en 1882 et dans le sud-est de l’Utah et les régions voisines du Colorado et du Nouveau-Mexique, où le pieu de San Juan est créé en 1883. Beaucoup de convertis venus des États du sud s’installent dans la San Luis Valley, dans le centre-sud du Colorado et, en 1883, leurs colonies deviennent le pieu de San Luis.

Les poursuites judiciaires en matière de polygamie amènent les dirigeants de l’Église à fonder des colonies au Mexique et au Canada, hors de portée des lois des États-Unis. Après la visite du président Taylor en 1885 au Mexique, des centaines de saints vont affluer au Chihuahua et créer des villages dans une région que l’on appelle encore aujourd’hui « les colonies mormones » du Mexique. Ces colonies font d’abord partie de la mission mexicaine. En une décennie, plus de 3.000 saints vont s’y installer, d’autres colonies vont être fondées et en décembre 1895, le pieu de Juarez est créé pour diriger les saints dans les colonies mexicaines.

Sur instructions du président Taylor, Charles Ora Card, président du pieu de Cache, découvre en 1886 un lieu de refuge dans le sud de l’Alberta pour les colons de l’Église. Le printemps suivant, des colons venus d’Utah fondent Cardston, à vingt-deux kilomètres au nord de la frontière des États-Unis. Des colonies apparaissent tout près à Aetna (1888) et à Mountain View (1893). En juin 1895, le pieu d’Alberta devient le premier pieu organisé en dehors des États-Unis (à l’exception du pieu de Salt Lake City, alors situé en territoire mexicain).

L’œuvre missionnaire connaît un succès impressionnant et apporte des problèmes frustrants. Entre 1879 et 1889, l’Église gère, au Mexique, une petite mission qui connaît quelque 242 convertis. En Nouvelle-Zélande, une branche est organisée en 1883 chez les Maoris. En 1884, Jacob Spori ouvre la mission turque, qui comprend la Palestine. Le nombre des missionnaires à destination de l’Europe augmente. Le rassemblement de convertis européens en Utah continue en dépit de la publicité anti-mormone qui incité les autorités américaines à demander aux gouvernements européens d’empêcher les mormons d’émigrer. Aucune suite ne sera donnée à cette demande.

Après l’organisation d’une mission des États du Sud en 1875, les conversions donnent de temps en temps lieu à des violences. Les missionnaires sont chassés de certaines localités et, en 1879, des émeutiers de Géorgie tuent Joseph Standing. En 1884, à Cane Creek, au Tennessee, des émeutiers assassinent deux missionnaires et deux résidants qui manifestent de l’intérêt pour l’Église.

Voulant voir leur histoire racontée équitablement, les dirigeants de l’Église fournissent des renseignements considérables à l’historien californien Hubert Howe Bancroft. La History of Utah de Bancroft (1889) est l’une des premières histoires écrites par un véritable historien non mormon à traiter l’Église avec impartialité.

En 1879, la Cour suprême confirme le caractère constitutionnel de la loi contre la Bigamie de 1862, affirmant l’illégalité du mariage plural. De nouvelles lois sont passées, les poursuites deviennent plus acharnées et les maris et pères polygames se retrouvent devant quatre choix : abandonner leurs familles, entrer dans la clandestinité, affronter les poursuites judiciaires ou quitter les États-Unis. En dépit de cette crise, le président Taylor, déclarant que quand les lois de l’homme et celles de Dieu sont en conflit, il obéit à Dieu, refuse d’abandonner ses propres familles plurales ou de dire aux autres frères d’abandonner les leurs. Les attaques contre la polygamie, souvent menées par des organisations religieuses, viennent de toutes parts. Quand les groupes nationaux de femmes insistent auprès du président Rutherford B. Hayes pour qu’il poursuive les polygames de l’Utah, 2.000 femmes de l’Église signent une résolution affirmant que le mariage plural est une pratique religieuse protégée en vertu de la Constitution.

L’hostilité entre les saints et les gentils couve au niveau national et en Utah. La pression publique amène le Congrès à passer en 1882 la loi Edmunds, qui impose jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et $500 d’amende pour polygamie et jusqu’à six mois et $300 d’amende pour cohabitation illégale. Les personnes pratiquant la polygamie ou la cohabitation illégale perdent leurs droits civiques, ne pouvant faire partie d’un jury, détenir une fonction publique et voter. La loi crée un conseil de cinq commissaires pour gérer l’enregistrement des électeurs et les élections. Elle déclare légitimes les enfants nés des polygames avant le 1er janvier 1883 et donne au président le pouvoir d’accorder des amnisties à sa discrétion.

La Commission d’Utah commence son travail en 1882 en déclarant que quiconque a jamais pratiqué le mariage plural, même avant la loi de 1862 contre la bigamie, ne peut pas voter. Comme la commission exige des électeurs de faire un « serment-test » jurant qu’ils ne violent pas la loi, dans l’année la loi va priver de leurs droits plus de 12.000 saints des derniers jours. Mais en 1885, la Cour suprême des États-Unis décidera que ce serment-test est anticonstitutionnel.

La croisade judiciaire contre des polygames va gravement perturber la société de l’Église en Utah, en Idaho et en Arizona. Les polygames et leurs familles vont beaucoup en souffrir, de même que l’Église comme organisation. Des maris et des pères sinon respectueux des lois – et certaines épouses et certains enfants – se réfugient dans une « clandestinité » mormone, se déplaçant fréquemment d’un endroit à l’autre pour échapper aux federal marshalls pourchassant les « cohabs ». Les saints créent des cachettes secrètes dans les maisons, les granges et les champs, des codes pour s’avertir mutuellement et des guetteurs à l’affût des marshalls. Les « deps » (deputy marshalls, officiers de police adjoints) fédéraux se déguisent en marchands ambulants ou en recenseurs et engagent leurs propres guetteurs pour interroger les enfants et les voisins et pour violer la vie privée des foyers. Des récompenses sont offertes pour chaque cohab capturé. Les familles souffrent, en particulier les épouses livrées à elles-mêmes pour entretenir les cultures tandis que leurs maris se cachent. Les épouses qui refusent de témoigner contre leurs maris sont incarcérées. Hommes, femmes et enfants connaissent de longues périodes de privation et de peur.

En Utah, entre 1884 et 1893, 939 saints iront en prison sur des accusations relatives à la polygamie. En Idaho et en Arizona les saints sont poursuivis avec la même férocité. Quand les prisons de l’Arizona sont pleines, les cohabs sont envoyés dans un pénitencier de Detroit. Un Utahan, Edward M. Dalton, est tué par un adjoint lancé à sa poursuite, ce qui aigrit les saints contre le gouvernement. Ce sera aussi le cas suite à une décision de la Cour suprême des États-Unis qu’un homme qui a cessé de vivre avec son épouse mais qui lui a fourni nourriture et abri est coupable de cohabitation.

La croisade perturbe considérablement les activités normales de l’Église. Le président Taylor évite de se faire arrêter en voyageant. Dans son dernier sermon public, il condamne ce qu’il qualifie d’outrage judiciaire, après quoi il entre dans la clandestinité. Plusieurs apôtres vont en exil, faisant des missions spéciales dans des régions isolées de l’Ouest, au Mexique, au Canada et à Hawaï. Plusieurs autres font une mission en Europe et auprès des Amérindiens. Beaucoup de présidents de pieu et d’évêques essaient de même d’éviter l’arrestation.

Entre 1884 et 1887, des conférences générales sont tenues à Provo, à Logan et à Coalville plutôt qu’à Salt Lake City, pour aider les participants à éviter l’arrestation. Peu d’Autorités générales sont présentes. Franklin D. Richards, un apôtre qui ne risque pas l’arrestation parce que son épouse plurale est morte, préside certaines des conférences. Les épîtres générales du président Taylor et du président Cannon donnent des directives aux conférences.

Le président Taylor dirige l’Église par lettre. Pendant plus de deux ans, il va rester dans la clandestinité, séparé de la plus grande partie de sa famille et de ses amis. Il meurt caché à Kaysville (Utah), le 25 juillet 1887, après avoir été Autorité générale pendant près de quarante-neuf ans. À sa mort, les marshalls fédéraux auront fait des descentes dans presque toutes les colonies d’Utah, des centaines de saints se seront réfugiés au Mexique ou au Canada et presque tous les dirigeants auront dû se cacher. À son enterrement à Salt Lake City, on l’honorera comme double martyre dont le sang a été versé à la prison de Carthage avec Joseph et Hyrum Smith et qui est ensuite mort en exil à cause de la persécution du gouvernement.

Une fois de plus, le Conseil des Douze, dirigé par Wilford Woodruff, le doyen des apôtres, va prendre le gouvernail de l’Église et en orienter le cours, en grande partie depuis la clandestinité jusqu’à ce qu’il organise une nouvelle Première Présidence à la conférence générale d’avril 1889. Wilford Woodruff devient président de l’Église et George Q. Cannon et Joseph F. Smith sont ses conseillers. Ce sera la dernière fois que les Douze auront postposé la réorganisation de la Première Présidence à la mort du président. En décembre 1892, le président Woodruff, déclarant qu’un retard prolongé n’est pas agréable au Seigneur, invite Lorenzo Snow, le doyen des apôtres, à réorganiser immédiatement à sa mort.

Les dirigeants politiques nationaux, voyant que l’Église ne se plie pas à la loi, le Congrès décrète en 1887 une mesure plus radicale, la loi Edmunds-Tucker, qui vise à détruire l’Église en tant qu’entité politique et économique afin de forcer les saints à abandonner le mariage plural. La loi dissout l’Église en tant qu’entité juridique, exige la confiscation de toute propriété dépassant $50.000, dissout la Compagnie du Fonds perpétuel d’Émigration et en réclame la propriété, et met fin à la Légion de Nauvoo (milice territoriale). Pour faciliter les poursuites, la loi exige la présence obligatoire des témoins aux procès et confirme qu’il est légal de forcer les épouses à témoigner contre leurs maris. Les juges de validation du comté, qui procèdent à la constitution des jurys, doivent être nommés par le président des États-Unis. Des fonctionnaires désignés par le fédéral prennent la direction des écoles. Des tribunaux de validation certifient tous les mariages. Le décret déshérite tous les enfants nés des mariages pluraux un an ou plus après le passage de la loi. Le suffrage des femmes est aboli et un nouveau serment-test est élaboré. Personne ne pourra voter, faire partie d’un jury ou exercer un mandat public sans signer un serment de soutien des lois contre la polygamie.

Les représentants fédéraux de la loi s’efforcent avec zèle d’arrêter et emprisonner les dirigeants de l’Église. Le président Woodruff reste dans la clandestinité près de St-George (Utah), dirigeant l’Église par courrier et par réunions privées. George Q. Cannon, premier conseiller du président Woodruff, est arrêté en février 1886, obtient sa libération sous caution, puis disparaît dans la clandestinité jusqu’en 1888 quand il se rend à un juge plus clément. Il passe 175 jours en prison et paie une amende de $450. Les visites étant permises en prison, il peut gérer beaucoup d’affaires de l’Église et d’affaires personnelles. Il supervise les Écoles du Dimanche et finit d’écrire une biographie de Joseph Smith. Sa présence donne du courage aux autres cohabs de la prison. Les saints des derniers jours considèrent ces prisonniers comme des martyrs et leur offrent une réception de gala quand ils sont libérés.

Les arrestations sont un problème, mais ce qui fait le plus de tort à l’Église, c’est son incapacité d’acquérir et d’utiliser des fonds pour promouvoir son œuvre et la perte des droits politiques. Pour protéger de la confiscation des biens personnels fonciers pour une valeur de $3 millions, l’Église demande à des membres éminents de prendre en charge la propriété de certains biens à titre d’administrateurs. Des associations sans but lucratif se créent pour détenir les propriétés, notamment les trois temples de l’Utah. Des associations de paroisse et de pieu reprennent les églises, les maisons de dîme et le bétail locaux de l’Église. Beaucoup de pieux créent des académies avec la dîme que l’Église leur confie.

Les receveurs fédéraux confisquent pour environ $800.000 de propriétés non confiées à des privés ou à des associations et ensuite rendent à l’Église certaines propriétés à titre locatif, comme le Temple Block à Salt Lake City. Les dirigeants de l’Église mettront à l’épreuve le caractère constitutionnel des confiscations, mais en 1890 la Cour suprême confirmera la nouvelle loi par un vote de 5 contre 4. La destruction économique de l’Église paraît certaine.

Cette croisade économique va de pair avec un assaut politique. Toutes les femmes, des milliers de saints masculins et tous les immigrants convertis ayant perdu leurs droits civiques, les politiciens anti-mormons prennent le contrôle des gouvernements d’Ogden et de Salt Lake City. En Idaho, pratiquement tous les membres de l’Église ont perdu leurs droits civiques par un serment-test exigeant d’eux qu’ils disent sous serment qu’ils ne croient pas ou n’appartiennent pas à une Église qui croit au mariage plural. Quand la Cour suprême confirme en 1890 le serment-test de l’Idaho, les anti-mormons présentent au Congrès le projet de loi Cullom-Struble qui veut ôter leurs droits civiques à tous les saints des derniers jours de partout.

Économiquement paralysée, ses membres privés de leurs droits politiques, l’Église se trouve devant des perspectives d’avenir catastrophiques si elle ne met pas fin à sa pratique du mariage plural. Le président Woodruff consulte les dirigeants et prie avec ferveur pour savoir quoi faire. Après réception d’une révélation divine, il publie, le 24 septembre 1890, le Manifeste qui annonce la fin officielle du mariage plural. « Le Seigneur, par la vision et la révélation, m’a montré très exactement ce qui se produirait si nous n’arrêtions pas cette pratique, dira plus tard le président Woodruff. Il m’a dit exactement quoi faire, et ce que serait le résultat si nous ne le faisions pas » (Deseret Evening News, 14 nov. 1891). Le Manifeste affirme que l’Église a mis fin à l’enseignement du mariage plural et ne permet pas de nouveaux mariages pluraux. Le président Woodruff déclare qu’il se soumet aux lois du pays et invite les membres de l’Église à faire de même. À la conférence générale du 6 octobre 1890, l’Église accepte le Manifeste. Celui-ci sera intégré aux Doctrine et Alliances en 1908.

Parlant pour la Première Présidence, George Q. Cannon explique qu’une révélation de 1841 est d’application en 1890 ; elle donnait pour instructions aux membres de l’Église que quand des « ennemis tombent sur eux et les empêchent d’accomplir cette œuvre, voici, il me convient de ne plus la requérir de la part de ces… hommes, mais d’accepter leurs offrandes » (D&A 124:49). La plupart des saints accepteront la nouvelle directive, mais pas facilement et pas tous. En effet, un nombre limité de nouveaux mariages pluraux vont se faire au cours de la décennie suivante jusqu’à ce que les dirigeants de l’Église déclarent que quiconque persiste dans cette pratique risque l’excommunication.

Avec la publication du Manifeste, les hostilités s’apaisent et l’Église écrit une nouvelle ère de coopération. Il sera généralement admis que les maris ne seront pas tenus de répudier leurs épouses plurales et leurs enfants, et les procureurs locaux deviendront très cléments quand il s’agira de punir ceux qui sont accusés de polygamie. Benjamin Harrison, président des États-Unis, qui, en 1891, visite l’Utah et serre la main au président Woodruff, accorde, en 1893, une amnistie limitée aux saints suivie d’une amnistie générale accordée, en 1894, par Grover Cleveland. Après le Manifeste et les amnisties, les Autorités générales vont reprendre leurs fonctions administratives normales.

Voulant obtenir le statut d’État pour l’Utah, les dirigeants de l’Église invitent les saints d’Utah à se joindre aux partis politiques nationaux et à devenir démocrates ou républicains. Un Congrès républicain passe, en 1894, une loi d’habilitation que le président démocrate Grover Cleveland signe. L’Utah écrit une nouvelle constitution qui interdit le mariage plural et assure la séparation de l’Église et de l’État. Le 4 janvier 1896, l’Utah devient un état, presque cinquante ans après que Brigham Young a réclamé ce statut.

En 1896, les Autorités générales acceptent un « Manifeste politique » stipulant qu’aucune d’elles ne se présentera pour un poste élu sans l’approbation préalable des autorités présidentes de l’Église. Quand Moses Thatcher, un apôtre, refuse de signer le document, il est relevé du Collège des Douze.

Pendant les années 1890, le nombre de missionnaires de l’Église va presque tripler. Dans le Pacifique, l’œuvre missionnaire pénètre à Samoa en 1888 et au Tonga en 1891. En 1898, la mission australasienne est divisée en mission australienne et mission de Nouvelle-Zélande. Certains saints hawaïens émigrent en Utah et créent une colonie à Iosepa, dans l’ouest de l’Utah. L’œuvre missionnaire reprend en Californie en 1892 et dans l’Est des États-Unis en 1893. Le prosélytisme continue en Europe, bien que l’émigration en provenance de là diminue de 50% dans les années 1890 par rapport aux années 1880. Dans les années 1890, l’Église, bien ancrée en Amérique et occupant la plupart des bonnes terres dans l’Ouest, demande que l’émigration prenne fin et que les convertis d’outre-mer édifient des pieux dans leur patrie plutôt que de se rassembler en Sion.

La loi Edmunds-Tucker renforce les écoles d’État, qui excluent l’enseignement de la religion. En réaction, l’Église commence à donner des cours de religion après école dans les églises et fonde des académies ou des lycées dans les colonies plus importantes. Entre 1888 et 1891 on ouvre trente et une académies de l’Église en Utah, en Idaho, en Arizona, au Canada et au Mexique.

Les années 1890 voient les femmes de l’Église étendre leur action et démontrer leurs droits politiques. Continuant leur affiliation aux mouvements des femmes dans l’Est, elles deviennent membres du Conseil national des femmes et trouvent auprès de leurs collègues de l’Est des alliées importantes dans leur combat contre la privation des droits civiques. Les efforts soutenus par la Société de secours pour obtenir le droit de vote ont pour résultat que le suffrage des femmes est garanti dans la Constitution de l’État d’Utah de 1895.

Après quarante ans, la construction du temple de Salt Lake City est terminée et le temple est consacré en avril 1893. Après de brèves portes ouvertes le 5 avril, première occasion donnée aux non-membres de visiter un temple, l’édifice sacré est consacré le 6 avril, quarante ans après la pose de la pierre angulaire. Le service de consécration sera répété entre le 6 avril et le 18 mai et comprend cinq sessions réservées aux enfants en dessous de l’âge du baptême ; quelque 75.000 saints des derniers jours seront présents. Ensuite les membres de l’Église n’entreront dans le temple que pour accomplir des ordonnances pour les vivants et les morts. L’année suivante, le président Woodruff annonce par révélation que les groupes de familles n’ont plus besoin d’être scellés par adoption à des dirigeants éminents de la prêtrise, mais qu’ils doivent être scellés par lignage en remontant aussi loin que possible dans le temps. En conséquence, les membres vont commencer à faire leur généalogie et à accomplir des ordonnances de scellement pour leurs ancêtres sur plusieurs générations. L’Église crée la Société généalogique d’Utah pour aider des chercheurs.

En 1893, le Chœur du Tabernacle de Salt Lake City, pendant qu’il fait une grande tournée, chante à l’Exposition universelle de Chicago et remporte le deuxième prix dans un concours important. La Première Présidence entière accompagne le chœur, ce qui est la première fois qu’un président de l’Église se rend dans l’Est depuis l’émigration vers l’Ouest presque cinquante ans plus tôt. Cette représentation inaugure une nouvelle image publique de l’Église, bien que cette même année l’Église se voie refuser une représentation au Parlement mondial des Religions, également réuni à Chicago.

Il y aura d’autres événements importants sous la direction de Wilford Woodruff : en novembre 1896, le jour de jeûne mensuel de l’Église passe du premier jeudi au premier dimanche du mois, une pratique qui existe encore aujourd’hui ; en 1897, la coutume du rebaptême prend fin. La même année, Wilford Woodruff, lui-même pionnier de 1847, préside la commémoration par toute l’Église de l’entrée dans la vallée du lac Salé cinquante ans auparavant. Salt Lake City organise des célébrations avec des défilés, des programmes, et l’inauguration d’un monument à Brigham Young.

Pendant les années 1890, l’Église et l’Utah entrent, économiquement aussi bien que politiquement, dans la société américaine. Beaucoup d’entreprises coopératives deviennent privées et la plupart des commerces patronnés par l’Église sont vendus ou se lancent dans la concurrence en tant qu’entreprises productrices de revenus. Mais l’intégration dans l’économie nationale ne se fait pas sans douleur. La précédente confiscation des propriétés et la diminution du paiement de la dîme provoquées par la croisade contre la polygamie ont fait beaucoup de mal à l’Église, de même que la dépression nationale de 1893. Les dirigeants sont forcés d’emprunter massivement aux financiers de l’Est pour payer les dettes et satisfaire aux obligations et en 1898 les dettes de l’Église dépassent $1.250.000. Cependant, en dépit de la dette et d’une dépression nationale, l’Église favorise et investit dans des industries de base telles que la fabrication de sucre de betteraves, l’énergie hydroélectrique et un choix d’entreprises minières et de transport pour étendre la base économique du Grand Bassin et profiter aux collectivités des saints des derniers jours.

Avec la fin des mariages pluraux et le fait que l’Utah devient un État et entre dans le système général américain en matière de politique et de finances, les saints des derniers jours entrent de plein pied dans une nouvelle ère. Quelque chose qui donne une idée du changement est la réponse de l’Église à la guerre hispano-américaine de 1898: la Première Présidence invite les jeunes gens de l’Église à soutenir l’effort national, démontrant ainsi le patriotisme et la loyauté des saints.

Wilford Woodruff décède le 2 septembre 1898, à San Francisco, à l’âge de quatre-vingt-onze ans. Selon ses instructions, une nouvelle Première Présidence est immédiatement désignée, Lorenzo Snow devenant le cinquième président de l’Église.

 
Bibliographie

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Lyman, Edward Leo. Political Deliverance : The Mormon Quest for Utah Statehood, Urbana et Chicago, 1986.

Roberts, B. H. A Comprehensive History of the Church of Jesus Christ of Latter-day Saints, Century 1. Vol 6. Provo, Utah, 1965 (réimpression).


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Cinquième partie : 1898-1945 : Transitions : Période du début du vingtième siècle, par Richard W. Sadler et Ronald W. Walker
 
L’Église aborde le vingtième siècle en état de siège et dans l’isolement. L’expérience des saints jusqu’ici est constituée d’une fondation, d’un exode vers l’Ouest américain isolé, de la création à cet endroit d’un royaume spirituel et temporel de Dieu et d’affrontements avec une société américaine peu compréhensive et souvent hostile. Pourtant l’année 1898 est une plaque tournante. Après la mort de Wilford Woodruff en septembre, Lorenzo Snow (1898-1901) lui succède et entreprend une série de changements visant à produire un renouveau et une redéfinition. Avec ses successeurs, Joseph F. Smith (1901-1918) et Heber J. Grant (1918-1945), il réagit aux changements radicaux de la première moitié du vingtième siècle et s’efforce de préserver les vieilles valeurs dans un monde en mutation rapide. Il en résulte qu’au milieu du siècle l’Église est acceptée et intégrée dans la société américaine, et qu’elle est plus vigoureuse et plus vivante que personne sauf ses défenseurs les plus vigoureux aurait pu le prévoir un demi-siècle plus tôt.

Les finances constituent le problème le plus urgent. La croisade contre la polygamie a gravement détérioré les revenus et les capitaux, d’abord par l’incarcération des dirigeants qui gèrent normalement les dons et en second lieu par la saisie et la mauvaise gestion des biens de l’Église. La panique de 1893 et la dépression qui en est résultée ont encore aggravé la situation. Espérant fournir de l’emploi et stimuler l’économie locale, les dirigeants ont emprunté de l’argent pour financer des travaux publics et des entreprises commerciales. Le président Snow met rapidement fin à cette pratique. Son administration sabre dans les dépenses, vend les biens non essentiels et exhorte les disciples fidèles à augmenter leurs contributions financières.

Il annonce de manière spectaculaire cette nouvelle politique lors d’une tournée de prédication dans le sud de l’Utah. En mai 1899, parlant aux membres assemblés à St-George, il promet que s’ils se conforment fidèlement au code de la dîme, un code de l’Église qui existe de longue date, ils en seront bénis et que cela libérera en même temps l’Église de ses dettes. Une année après la campagne du président Snow en faveur de la dîme, les revenus de l’Église auront doublé. Les dirigeants invitent aussi à faire des dons en argent liquide au lieu de denrées en nature et instituent des procédures systématiques de dépenses et d’apurement. Grâce à ces réformes, le président Smith pourra annoncer, dès 1907, que l’Église est enfin sortie de dettes. Les recettes annuelles de dîme s’élèvent à $1,8 millions, alors qu’en 1898 la dette de l’Église était de $1.25 millions. De plus, l’Église a des propriétés pour plus de $10 millions. L’Église n’aura plus jamais recours au déficit budgétaire, même pendant la grande Dépression.

Les réformes du président Snow n’excluent pas la détention de biens d’investissement ni l’administration d’entreprises par des dirigeants et des directeurs de l’Église. Certaines entreprises, comme le Deseret Telegraph, la Utah Light and Railway Company et le Saltair Resort au Grand Lac Salé seront privatisées, mais l’Église investira particulièrement dans les entreprises qui font progresser ses buts sociaux ou institutionnels. Elle conserve le Deseret News et, au début des années 1920, les dirigeants créent l’une des premières stations radio du pays, qui deviendra plus tard radio KSL. Le Salt Lake Theater, le théâtre pionnier, est rendu à l’Église pour donner des spectacles autorisés – mais ce sera pour fermer au début de la Dépression par manque de rentrées et à cause de ce que les dirigeants de l’Église considèrent comme un déclin des valeurs théâtrales. 

S’inspirant du précédent de la maison de Nauvoo, on construit l’hôtel Utah de Salt Lake City pour détourner les touristes des hôteliers non mormons hostiles et pour améliorer l’image de l’Église. La Beneficial Life Insurance Company fournit des assurances bon marché. La Utah Sugar Company, transformée en Utah-Idaho Sugar Company, continue à fournir aux fermiers locaux un marché pour leur récolte la plus importante en argent liquide, tandis que la Zion’s Cooperative Mercantile Institution (ZCMI) et la Zion’s Savings Bank & Trust fournissent au public des services de la vente au détail et des services bancaires concurrentiels. Cette politique altruiste d’investissement est également pratiquée à un niveau plus vaste. Les dirigeants de l’Église font partie du conseil d’administration d’autres sociétés importantes pour la région.

Ces investissements et les préoccupations sociales qu’ils expriment remontent à l’idéal pionnier de préoccupation pour le bien-être de la collectivité. Ce n’est d’ailleurs par le seul reste du passé. Le mariage plural continue à être un problème perturbant pour les saints des derniers jours et attire l’attention de tout le pays sur l’Église, en particulier pendant les mandats des présidents Snow et Smith. Si beaucoup de membres ont pu croire que le Manifeste de 1890 a mis fin au mariage plural, d’autres interprètent la déclaration comme un simple transfert de la responsabilité de sa pratique de l’Église à l’individu. En conséquence, de 1890 à 1904 certains mariages pluraux vont continuer, quoique à un niveau considérablement réduit. De plus, si certains maris cessent de vivre avec leurs épouses plurales, la plupart estiment avoir l’obligation morale et spirituelle de continuer de s’occuper de leurs familles.

Cette confusion et cette ambiguïté débordent sur la politique. En 1898, B.H. Roberts, membre du premier conseil des soixante-dix, et mari de trois épouses, est élu à la chambre des représentants des États-Unis. La Salt Lake Ministerial Association [association de pasteurs] et des organisations semblables dans d’autres endroits vont se servir de l’élection de Roberts pour concentrer l’attention sur la poursuite du mariage plural, accusant l’Église de ne pas respecter les accords qui ont permis à l’Utah de devenir un état. Des pétitions anti-Roberts contenant sept millions de signatures inondent le Congrès et la Chambre finit par lui refuser son siège.

Plus grave encore est le cas de Reed Smoot. L’élection en 1903 de Smoot, membre monogame du Collège des douze apôtres au Sénat des États-Unis provoque une fois de plus un tollé national. La commission sénatoriale sur les privilèges et les élections commence en 1904 des audiences sur Smoot, mais le Congrès se concentre plus souvent sur l’Église elle-même. Est-ce que l’Église et l’État sont vraiment séparés en Utah ? L’Église contrôle-t-elle la conduite de ses membres ? Incite-t-elle à la polygamie et à la cohabitation polygame ? Pendant l’enquête, qui va durer deux ans, Joseph F. Smith et d’autres dirigeants vont témoigner devant le comité. D’autres, comme Matthias F. Cowley et John W. Taylor, soupçonnés d’accomplir des mariages pluraux depuis le Manifeste, refusent. Pour mettre fin à la polémique et démontrer la bonne volonté de l’Église de faire de la question une affaire de discipline, le président Smith annonce un « Second Manifeste » qui interdit formellement tout futur mariage plural. Il exige aussi la démission de Cowley et de Taylor du Conseil des Douze. En 1907, le Sénat, suite à un vote serré, permet à Smoot de conserver son siège.

Le mariage plural ne va quand même pas disparaître entièrement, même devant la politique maintenant résolue du président Smith et plus tard du président Grant. Les frères Cowley et Taylor, par exemple, vont subir une action disciplinaire supplémentaire pour poursuite des mariages pluraux, le premier en étant « disqualifié » tandis que Taylor, après avoir pris une épouse plurale supplémentaire, sera excommunié. Leur conduite est semblable à celle d’un nombre de plus en plus important d’anciens mormons au vingtième siècle. Qualifiés de fondamentalistes, ils préfèrent accepter l’excommunication automatique plutôt que d’abandonner le mariage plural ou de renoncer à d’autres pratiques du dix-neuvième siècle. À la différence de la généralité des saints des derniers jours, qui sont renforcés dans leur croyance en la révélation donnée aux prophètes du jour et abordent donc les temps nouveaux d’une manière nouvelle, les Fondamentalistes affrontent le monde moderne en regardant en arrière.

La question du mariage plural ne disparaît pas non plus dans la presse populaire. Pendant la première décennie du vingtième siècle et même plus tard, l’Église va être harcelée publiquement par les journalistes à scandale et les adversaires politiques en Utah. Les journaux, les périodiques et le cinéma, tant en Europe qu’aux États-Unis, vont faire du sensationnel (souvent romancé) avec la polygamie, décrire les dirigeants de l’Église comme des autocrates et traiter l’Église d’antiaméricaine et antichrétienne. Les vieilles accusations d’atrocités commises par les Danites et d’expiation par le sang refont surface. En Utah, l’assaut est mené par deux anciens sénateurs américains, Frank J. Cannon et Thomas Kearns, qui se servent du Salt Lake Tribune pour lancer des attaques virulentes contre Smoot et l’Église et pour soutenir l’American Party. Ce parti politique antimormon éphémère dominera le gouvernement de Salt Lake City de 1905 à 1911.

L’Église va essayer d’affronter ce barrage d’insultes malgré la violence de l’opposition. Les premiers efforts vont consister à transformer le Saltair Resort et le Temple Square de Salt Lake City en centres pour visiteurs. Avec les orgues et le Chœur du Tabernacle mormon comme attractions, ce dernier site va, dès 1905, recevoir annuellement 200.000 visiteurs. À partir de ce moment-là, le nombre de visiteurs va augmenter rapidement. Quand c’est possible, les dirigeants publient des réfutations dans les journaux à sensation. En outre une réfutation systématique sera lue en 1911 pendant la conférence générale de l’Église. La réplique la plus compétente et la plus durable viendra de B.H. Roberts. De 1909 à 1915, il publie une série d’articles sur l’histoire mormone dans le périodique Americana. Ils seront plus tard rassemblés pour constituer les six tomes de la Comprehensive History of the Church de Roberts.

De plus en plus, des hommes et des femmes extérieurs à l’Église vont aussi défendre les saints des derniers jours. Déjà en 1900, C. C. Goodwin, ancien rédacteur du journal antimormon Salt Lake Tribune et détracteur de longue date, qualifie franchement les mormons d’efficaces, prospères et généralement agréables. L’éminent sociologue Richard T. Ely fait l’éloge de la vie de groupe des saints. Morris R. Werner publie une biographie de Brigham Young où l’on ne retrouve pas les stéréotypes et l’hostilité antérieurs. Ces ouvrages qui rompent avec les habitudes vont être suivis d’autres. À la fin des années 1920, le président Grant peut concéder que l’on peut mettre dans les médias quasiment tout ce que l’Église pourrait demander. En fait, le magazine Time met le président Grant en couverture, tandis que les studios de Hollywood font des films aussi favorables que Union Pacific et Brigham Young. 

Le changement d’attitude du public est dû en partie à l’intégration des membres de l’Église dans la société américaine. Les saints des derniers jours du dix-neuvième siècle avaient étendu leurs colonies agricoles dans tout l’Ouest montagneux et même au Canada et au Mexique, mais leurs communautés agraires étaient souvent des enclaves provinciales très unies. Par contre, du fait de l’émigration des saints vers l’extérieur au vingtième siècle, les membres de l’Église vont maintenant fréquenter leurs concitoyens américains en milieu urbain. Pendant les années 1920, par exemple, le pourcentage de saints des derniers jours vivant dans l’Intermountain West diminue tandis que celui des saints vivant sur la côte occidentale américaine augmente. En 1923 est créé le pieu de Los Angeles, premier pieu moderne en dehors de la zone culturelle mormone traditionnelle. Entre 1919 et 1927, le nombre de saints des derniers jours en Californie augmente de moins de 2.000 à plus de 20.000. La dispersion de l’Église au vingtième siècle commence tout d’abord par la migration d’un grands nombre vers la Côte ouest, ensuite et de plus en plus vers l’Est et le Midwest.

Le contact direct avec les voisins diminue les barrières culturelles, religieuses et même émotionnelles, permettant aux mormons et aux non-mormons de mieux s’apprécier. Le nombre de plus en plus important d’Américains prospères qui sont aussi saints des derniers jours ou nés en Utah accélère le processus. Maud Adams connaît un immense succès en incarnant Peter Pan dans un spectacle à grand succès. Les inventions de Philo T. Farnsworth sont à l’origine de la télévision. Cyrus Dallin et Mahonri Young se distinguent dans les arts.

Les saints des derniers jours sont particulièrement attirés vers les affaires publiques. Edgar B. Brossard devient membre et puis président de la Commission tarifaire des États-Unis. J. Reuben Clark, Jr., parvient aux échelons supérieurs de la bureaucratie du Département d’État et termine sa carrière au gouvernement comme ambassadeur au Mexique. Pendant le New Deal, Marriner S. Eccles est président du système de la Réserve fédérale. James H. Moyle est adjoint du Secrétaire au Trésor de 1917 à 1921, tandis que William Spry est commissaire aux terres publiques de 1921 à 1929. Heber M. Wells est trésorier du US Shipping Board. Richard W. Young devient commissaire des États-Unis aux Philippines et reviendra de la Première Guerre mondiale en tant que premier général de l’armée régulière que compte l’Utah. Pour les membres d’une minorité religieuse jadis persécutée, chaque succès personnel de ce genre est le signe que l’Église est de plus en plus acceptée et que son prestige s’accroît. Les « gens du dehors » deviennent des « gens du dedans ».

Deux membres de l’Église ont une influence disproportionnée dans la création de la nouvelle image de l’Église. L’un d’eux est Reed Smoot. Distant, mais honnête et tout à fait inlassable dans son dévouement aux devoirs du gouvernement et aux intérêts de l’Église, Smoot restera trente ans au sénat. Président du puissant Comité des finances du sénat, il exerce une influence majeure dans la politique économique américaine. Plus que n’importe quel autre saint des derniers jours dans les services publics, il personnifie l’Église, apaisant les doutes au sujet de son patriotisme et de son intégrité par sa personnalité et sa présence.

L’autre est le président Heber J. Grant. Il est dans les affaires par goût et c’est son premier métier. Ses manières simples et son sens des affaires charment une époque vouée à l’esprit d’entreprise. Les non-mormons apprécient tout particulièrement ses discours. Quand il termine une allocution devant le San Francisco Commonwealth Club, il est applaudi par des cris de « Encore ! Encore ! » Quand il parle à la deuxième conférence de l’agriculture, de l’industrie et de la Science de Dearborn, les « Chemurgicians » lui font à deux reprises une ovation. Son ministère de relations publiques est plus que faire des discours. Il organise des tournées du Chœur du Tabernacle. Il fait personnellement visiter Salt Lake City à des personnalités de renommée nationale dans les affaires et la politique et cultive leur amitié. Il rend visite à la Maison Blanche aux présidents des États-Unis Warren G. Harding, Calvin Coolidge, Herbert Hoover et Franklin D. Roosevelt. Si le président Grant est respecté par son propre peuple, les non-mormons l’aiment et l’idéalisent aussi.

La croissance vigoureuse de l’Église pendant cette période témoigne de ce que son image est plus positive. La population va plus que tripler pendant le demi-siècle ; les totaux des années 1900 à 1945 passent de 268.331 à 979.454. Avant 1898 l’Église avait organisé 37 pieux (16 seront supprimés) ; en 1945, 116 autres auront été ajoutés. Le nombre de missionnaires de l’Église change et augmente en conséquence, rajeunissant, attirant plus de célibataires et, après 1898, comprenant un nombre croissant de jeunes filles. À la fin du siècle, on appelle moins de 900 missionnaires par an ; en 1940, il y en aura 2.117.

L’œuvre missionnaire continue à être une préoccupation importante. La nouvelle mission la plus ambitieuse est le Japon, ouvert en 1901 par des missionnaires dirigés par Heber J. Grant, alors apôtre. Trois ans plus tard, la mission mexicaine est rouverte. Les années 1920 vont voir plus de 11.000 convertis de langue allemande. Néanmoins c’est des régions d’expression anglaise que viennent la plupart des convertis : de Grande-Bretagne, du Canada et des États-Unis et c’est la mission des États du Sud qui a le plus de succès. Malheureusement, là comme ailleurs, les missionnaires sont soumis à des actes de violence physique. Au début du siècle, le nombre annuel de baptêmes de convertis était de 3.786 ; un demi-siècle plus tard, il atteint 7.877.

L’Église cherche à rendre son prosélytisme plus efficace. Au lieu d’être envoyés sans « bourse ni sac », la plupart des missionnaires sont maintenant soutenus financièrement par leur famille ou leur assemblée locale. Des cours de formation des missionnaires sont organisés dans les académies et les universités de l’Église. Au milieu des années 1920, on inaugure un « Foyer de mission » à Salt Lake City pour les sœurs et les anciens qui partent. Les missionnaires y reçoivent pendant quinze jours des leçons sur le régime alimentaire, l’hygiène, les bonnes manières et surtout les techniques missionnaires et la doctrine de l’Église. La période produit aussi de nouvelles brochures missionnaires. Charles W. Penrose écrit une série intitulée Rayons de Lumière vivifiante, James Talmage écrit La grande Apostasie et Ben E. Rich écrit Une Discussion amicale. Pour conserver l’esprit de son héritage et pour aider à raconter son histoire, l’Église achète des sites importants pour les débuts de son histoire : la prison de Carthage en Illinois (1903), où Joseph Smith et son frère Hyrum ont été tués, une partie de l’emplacement du temple d’Independence (Missouri) (1904), le lieu de naissance de Joseph Smith à Sharon (Vermont) (1905-1907) et la ferme des Smith à Manchester (New York) (1907). À chacun de ces endroits, l’Église construira par la suite un centre pour visiteurs.

Ce qui caractérise sans doute plus l’époque que l’expansion, c’est la consolidation interne. La succession de Lorenzo Snow à la présidence est symptomatique. Pour la première fois, l’accession du doyen des apôtres au poste de président de l’Église se fait en quelques jours au lieu des interrègnes d’environ trois ans du passé. Conscient de la complexité croissante de l’Église, le président Snow exhorte les Autorités générales à consacrer leur temps plein à leur ministère. En 1941, il ne s’agit plus simplement d’une question d’efficacité de la direction, mais d’expansion. « La croissance rapide de l’Église ces derniers temps, la création d’un nombre toujours plus grand de paroisses et de pieux… [et] la nécessité constamment pressante d’augmenter le nombre et l’efficacité de nos missions », remarque la Première Présidence en 1941, « ont donné lieu à un service apostolique de la plus grande magnitude » (CR d’avr. 1941, p. 94-95). En réponse à ces nouvelles exigences, cinq hommes sont nommés Assistants des Douze. Contrairement aux officiers à court terme qui continuent à occuper la plupart des postes de l’Église, les officiers « généraux » de l’Église, une trentaine, sont maintenant rétribués et accomplissent un ministère à temps plein pour le reste de leur vie.

Le gouvernement de la prêtrise va aussi changer. La première moitié du siècle assiste à une décentralisation graduelle de la prise de décision, les dirigeants de pieu et les dirigeants locaux recevant une autorité accrue. L’Église réduit la taille des pieux pour les rendre plus fonctionnels et met davantage l’accent sur « l’enseignement de paroisse ». Avec des districts plus petits et un nombre plus grand de garçons et d’hommes affectés à l’enseignement, le pourcentage des familles recevant des visites mensuelles passe de 20% en 1911 à 70% une décennie plus tard. Finalement, et c’est un changement important par rapport à la pratique pionnière, les membres sont invités à porter les conflits profanes devant les tribunaux civils et pénaux plutôt que devant les tribunaux de l’Église. Jadis le moyen de trancher les problèmes sociaux et économiques, les tribunaux de l’Église s’occupent maintenant exclusivement de discipline religieuse.

Les collèges de la prêtrise sont renforcés. Les réunions de prêtrise se tiennent maintenant chaque semaine et la qualité des réunions est améliorée grâce à des manuels de cours créés au niveau central. En 1906, Joseph F. Smith élabore un programme d’avancement progressif dans la prêtrise pour les jeunes gens. Sous condition de dignité, les jeunes gens reçoivent l’ordination à l’office de diacre à l’âge de douze ans, d’instructeur à quinze et de prêtre trois ans plus tard. De leur côté, les hommes dignes reçoivent l’office d’ancien et de grand prêtre, ce qui change la pratique du dix-neuvième siècle de nommer une majorité de soixante-dix parmi les adultes. En 1910, les collèges de grands prêtres et de soixante-dix sont réalignés pour coïncider avec les frontières de pieu, ce qui permet aux autorités locales d’exercer une meilleure direction.

La tendance à la consolidation se manifeste aussi dans les organisations auxiliaires de l’Église. Les programmes des jeunes, précédemment informels, divers et administrés localement, cèdent de plus en plus la place à des programmes de groupes d’âge centralisés et à des programmes d’études unifiés. La Primaire des enfants ne dessert plus les jeunes plus âgés, tandis que la Société d’amélioration mutuelle des Jeunes Gens (SAMJG) et sa contre-partie chez les jeunes filles (SAMJF) comprend lles adolescents à partir de douze ans. On utilise d’abord les programmes nationaux des Boy Scouts et des Campeuses pour les jeunes membres de la SAM, mais on ne tardera pas à abandonner ce dernier programme en faveur d’un programme interne. Les programmes d’activité prennent de plus en plus d’importance. Maintenant que l’École du Dimanche et les collèges de prêtrise donnent une formation doctrinale, la SAM se tourne de plus en plus vers la danse, le théâtre, la musique et le sport. Le siège de l’Église crée un magazine pour chaque auxiliaire : La Primaire a le Children’s Friend (1902) l’École du Dimanche, le Juvenile Instructor (1900), qui deviendra l’Instructor (1929). La SAMJG a l’Improvement Era (1897), la SAMJF le Young Woman’s Journal (1889) ; en 1929, les deux fusionnent et l’Improvement Era     devient la publication des deux. Les articles, les cours et les programmes sont périodiquement passés en revue et coordonnés. Par exemple, un Comité général de coordination de l’Église et le Comité consultatif social s’unissent pour publier un rapport crucial et de grande envergure en 1921.

La Société de secours connaît ces mêmes tendances. Ses trois premières présidentes du vingtième siècle, c à d Zina D. H. Young (1888-1901), Bathsheba W. Smith (1901-1910) et Emmeline B. Wells (1910-1921), se souvenaient toutes de l’organisation de Nauvoo. Pour elles, les réunions des femmes devaient être spontanées, spirituellement actives et conçues localement. Mais le nouveau siècle va redéfinir leur vision. En 1901, quelques plans de leçons sont créés provisoirement. Douze ans après, avec la recommandation d’un comité de coordination de l’Église, les dirigeantes de la Société de secours vont adopter un programme d’études uniforme prescrit. Elles mettent aussi en application un jour uniforme de réunion (le mardi), des registres et un message mensuel pour les instructrices visiteuses qui font des visites mensuelles dans les foyers. En 1915, un magazine officiel de la Société de secours remplace le semi-indépendant Woman’s Exponent, qui était l’organe de la Société de secours depuis 1872. Bien que la Première Présidence approuve au début la poursuite de la pratique de la guérison par la prière par les femmes, souvent entreprise de matière impromptue lors des réunions, celle-ci va diminuer et sera abolie au milieu du siècle. Autre signe de centralisation sous la direction de la prêtrise, la Société de secours est abritée dans le Bishop’s Building et reçoit de plus en plus ses directives de l’Épiscopat Président plutôt que de la Première Présidence. Bien que la Société de secours ait précédemment joué un rôle dans l’élaboration et la supervision de la Primaire et de la SAMJG, cette supervision des auxiliaires des enfants et des jeunes prend fin.

Clarissa S. Williams (1921-1928), Louise Y. Robison (1928-1939) et Amy Brown Lyman (1940-1945), présidentes successives de la Société de secours, collaborent à ces changements. Parlant pour le modernisme et l’efficacité, elles et leurs comités consultatifs abandonnent des tâches du passé telles que l’industrie locale, la culture de la soie et la vente au détail par magasin de distribution, en faveur de l’action au sein de la collectivité, de l’œuvre sociale « scientifique » ou professionnellement qualifiée, des campagnes contre l’alcool, le tabac et la délinquance et, pendant la grande Dépression, le secours public. Ce dernier effort est crucial. « Dans la mesure où les organisations de Société de secours dans les paroisses fonctionnent en coopération avec les collèges de la prêtrise et les épiscopats », déclare Harold B. Lee, qui dirige les efforts d’entraide de l’Église, « il y a, dans cette même mesure, un programme de sécurité [entraide] dans cette paroisse » (Relief Society Magazine 24, 1e mars 1937, p. 143). Ces efforts répondent à l’idéal féminin mormon du début du vingtième siècle. Les femmes doivent encourager, adoucir et aider. Tandis que les dirigeantes des femmes continuent à jouer un rôle actif au Conseil national et international des femmes, les femmes ordinaires sont moins actives dans les rôles politiques, sociaux et professionnels que dans le ménage.

Plusieurs problèmes doctrinaux sont réglés, autre indication que la systématisation est en cours. À partir des premières années de l’administration de Lorenzo Snow, les autorités de l’Église débattent du point de savoir avec quelle rigueur la Parole de Sagesse, la révélation de 1833 sur la santé, doit être respectée. En 1921, on tranche la question en faisant de l’abstinence d’alcool, de tabac, de thé et de café l’une des conditions d’admission dans les temples. Pendant les trois premières décennies du siècle, le code de santé va inciter la plupart des saints des derniers jours à soutenir la Prohibition au niveau local, de l’État et national.

En 1909, la Première Présidence publie une déclaration visant à clarifier la position de l’Église sur l’évolution. La déclaration ne traite pas de la façon dont la création a eu lieu, mais soutient que « Adam était le premier homme et qu’il a été créé à l’image de Dieu. » Mais le sujet continue à poser problème. Avec la question de la haute critique biblique, elle va causer, en 1911, la démission de trois professeurs de l’université Brigham Young et, deux décennies plus tard, des discussions privées intensives parmi des dirigeants de l’Église.

En 1916, la Première Présidence et le Collège des Douze publient un deuxième exposé doctrinal important intitulé « le Père et le Fils ». Apparemment occasionné par des pamphlets antimormons accusant les dirigeants de l’Église de conférer la divinité à Adam, la déclaration définit les rôles respectifs des deux premiers membres de la Divinité. Peu avant sa mort, Joseph F. Smith reçoit une vision de l’œuvre missionnaire et de l’existence spirituelle dans l’au-delà, qui sera par la suite incluse en tant que section 138 dans les Doctrine et Alliances. En plus des sujets spécifiques, la doctrine et l’histoire générales de l’Église reçoivent un traitement systématique, souvent pour la première fois, par des ouvrages tels que Doctrine de l’Évangile, du président Smith, Les Articles de Foi et Jésus le Christ, de James E. Talmage et les trois tomes de New Witnesses for God de B.H. Roberts.

Comme sa population est toujours essentiellement américaine, l’Église est particulièrement affectée par les événements qui se produisent pendant cette période aux États-Unis. Presque dès le début, l’administration du président Grant connaît des temps difficiles. L’agriculture et l’exploitation minière, deux des industries principales de l’Utah, s’effondrent dans les années 1920 et particulièrement dans les années 1930 pendant la grande Dépression. Le président Grant économise soigneusement les finances de l’Église, réduisant les dépenses et les projets de construction. Utilisant ses contacts avec le commerce et les dirigeants politiques du pays, il maintient à flot les principales entreprises appartenant à l’Utah et à l’Église. Il se préoccupe aussi du saint individuel. Après une préparation soigneuse, il annonce en 1936 le programme d’entraide de l’Église, qui essaie d’obtenir l’autonomie et les moyens de subsistance pour les nécessiteux en fournissant aussi bien du travail que les denrées nécessaires.

En dépit des temps difficiles, l’Église maintient ses fonctions premières. Juste avant l’affaissement économique, elle construit un bâtiment imposant de quatre étages à Salt Lake City. Des temples sont construits à Hawaï (1919), à Cardston (Alberta, Canada) (1923) et à Mesa, en Arizona (1927). L’éducation retient aussi l’attention. Entre 1875 et 1911, l’Église crée trente-quatre académies polyvalentes. Cependant, au fil des années, la détresse financière et l’acceptation croissante de l’instruction publique produisent des changements et beaucoup d’académies ferment ou sont reprises par l’État. L’Église ne va cependant pas abandonner entièrement son rôle éducatif. Un programme de séminaire hors école pour les lycéens est lancé en 1912, et pendant les années 1920, des instituts de religion sont créés à l’intention des étudiants d’université, le premier à l’université d’Idaho.

Les guerres du vingtième siècle montrent le chemin que l’Église a parcouru par rapport à l’aliénation et à l’isolement du dix-neuvième siècle. Les saints des derniers jours soutiennent l’effort de guerre lors de la guerre hispano-américaine et l’intervention des États-Unis dans les deux guerres mondiales du vingtième siècle. Lors de la première, la Première Présidence publie une déclaration affirmant la loyauté des saints des derniers jours et télégraphie aux dirigeants locaux pour inviter à l’enrôlement. L’Utah sera l’un des premiers États à atteindre son contingent initial. La participation à la Première Guerre mondiale sera encore plus substantielle. Incertaine, au départ, du rôle qui lui incombe, l’Église àva finalement aider les Utahans à donner plus que la quote-part financière réclamée par le gouvernement pour l’état. En septembre 1918, l’Utah aura plus de 18.000 hommes sous les armes, dont près de la moitié volontaires. La participation à la Seconde Guerre mondiale sera plus réservée, peut-être à cause des appréhensions privées du président Grant et de son conseiller J. Reuben Clark à propos de la politique du New Deal. Néanmoins, en avril 1942, 6% de toute la population de l’Église en Amérique sera sous les drapeaux ou dans les industries liées à la défense ; d’autres s’engageront au Canada, en Grande-Bretagne et en Allemagne.

Bien que chacun des conflits connaisse certains courants pacifistes et même de l’opposition, la tendance générale est de reconnaître la nécessité de faire preuve de loyauté envers le gouvernement constitué. « L’Église est et doit être contre la guerre », déclare la Première Présidence en avril 1942. Pourtant quand « la loi constitutionnelle… appelle les hommes de l’Église au service armé du pays auquel ils doivent leur allégeance, leur devoir civique suprême exige qu’ils donnent suite à cet appel » (CR, p. 88-97).

Bien qu’il soit difficile d’évaluer la vie religieuse, les statistiques donnent une idée de l’impact de l’Église sur la vie quotidienne de son peuple. L’assistance aux réunions révèle une croissance vigoureuse tout au long de cette époque. En 1920, l’assistance hebdomadaire moyenne à la réunion de Sainte-Cène est de 16% ; en 1930, 19% ; en 1940, 23% et en 1950, 25%. Symptomatique de l’idéal familial de l’Église, le taux des naissances chez les saints dépasse la moyenne nationale, de même que le taux des mariages. Il ne fait aucun doute que le code de santé de l’Église se reflète dans le fait qu’en 1945 le taux de mortalité des saints est à peu près la moitié de la moyenne nationale.

Une étude plus précise des statistiques révèle que dans les premières décennies du vingtième siècle le nombre de naissances par famille de saints diminue, que l’âge au moment du mariage augmente et que le taux des divorces reflète souvent la tendance nationale – à la traîne mais allant dans la même direction que la tendance nationale, comme si l’assimilation était simplement incomplète.

Le demi-siècle aura apporté l’intégration sociale, culturelle et politique, la croissance et la consolidation, et des programmes qui ont redéfini et ont appliqué de nouveau des idéaux plus anciens de l’Église. Mais l’époque révèle aussi des indications que les membres de l’Église ne sont pas immunisés contre de grands courants tels que la laïcisation et même le matérialisme. Pour l’observateur, au milieu du siècle, les questions de base sont toujours là : L’Église pourra-t-elle préserver ses valeurs et son énergie traditionnelles ? Ou son entrée dans le monde moderne coûtera-t-elle au mouvement son identité et sa mission ?

 
Bibliographie

Survols de la période : 

Alexander, Thomas G. Mormonism in Transition : A History of the Latter-day Saints, 1890-1930. Urbana et Chicago, 1985.

Allen, JamesB. et Glen M. Leonard, The Story of the Latter-day Saints. Salt Lake City, 1976.

Arrington, Leonard J. et Davis Bitton. The Mormon Experience. New York, 1979.

Cowan, Richard O. The Church in the Twentieth Century. Salt Lake City, 1985.

Département d’Éducation de l’Église. Histoire de l’Église dans la Plénitude des temps. Salt Lake City, 1989.

Roberts, B. H. A Comprehensive History of the Church of Jesus Christ of Latter-day Saints. Salt Lake City, 1930.

Programmes, politique et enseignements de l’Église durant cette période :

Alexander, Thomas G. “Between Revivalism and the Soicial Gospel : The Latter-day Saints Social Advisory Committee, 1916-1922.” BYU Studies 23, Hiver 1983, p. 19-39.

Id., “The Reconstruction of Mormon Doctrine : From Joseph Smith to Progressive Theology”. Sunstone 5, juillet-août 1980, p. 24-33.

Id., « ‘To Maintain Harmony’ : Adjusting to External and Internal Stress, 1890-1930 ». Dialogue 15, Hiver 1982, p. 44-58.

Hartley, William G. “The Priesthood Reform Movement, 1908-1922”. BYU Studies 13, Hiver 1973, p. 137-156.

Hefner, Loretta L. « This Decade Was Different : Relief Society’s Social Services Department, 1919-1929 ». Dialogue 15, Automne 1982, p. 64-73.


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Sixième partie : 1945-1990 : Période internationale suivant la Deuxième Guerre mondiale, par James B. Allen et Richard O. Cowan
 
Pendant toute sa vie et son ministère, le message principal de George Albert Smith sera un message d’amour. Il n’est donc que naturel que ce soit au cours de son administration que des marchandises soient envoyées d’Amérique en Europe pour soulager les souffrances des saints après la Deuxième Guerre mondiale, particulièrement ceux d’une Allemagne dévastée par la guerre. En 1946, Ezra Taft Benson, du Conseil des douze apôtres, fait rouvrir la mission européenne et y dirige les secours de l’Église. Il trouve des branches désorganisées, des églises détruites et beaucoup de membres sans abri. La plupart ont tout perdu et partout il y a un besoin pressant de nourriture et de vêtements. Le service d’entraide de l’Église va devenir un facteur important de la remise à flot de beaucoup de saints aussi bien que de certains non-membres.

Puisque la guerre a tout remis à plus tard, depuis l’œuvre missionnaire jusqu’à la construction de bâtiments, il va falloir remettre partout les programmes de l’Église sur pied et leur redonner de la vigueur. Le nombre des missionnaires est rapidement reconstitué et des centaines d’églises sont construites. La moitié de toutes chapelles en service au milieu des années 1950 sont érigées au cours des années suivant la Deuxième Guerre mondiale, une période où plus de la moitié de toutes les dépenses de l’Église va à des chantiers de construction.

L'ÉGLISE DEVIENT INTERNATIONALE. La fin de la Deuxième Guerre mondiale marque l’aube d’une ère nouvelle dans l’histoire de l’Église dont un thème dominant est la croissance internationale. En 1947, la population de l’Église atteint le million, et en 1990 le total est de plus de sept millions. La croissance est particulièrement forte le long de la Côte Ouest de l’Amérique, en Amérique latine et, après 1978, en Afrique. En 1950, l’Église a 180 pieux organisés, dont près de la moitié en Utah ; en 1990, il y a 1.700 pieux, dont moins d’un quart sont en Utah. En 1950, l’Église est organisée dans moins de 50 pays ou territoires, mais en 1990, elle est passée à 128. En 1950, moins de 8% de l’Église vit en dehors des États-Unis et du Canada, mais quarante ans après, le chiffre est d’approximativement 35%. Pendant la même période, le nombre de missionnaires passe de 6.000 à 40.000 et le nombre de temples passe de huit, dont un seulement en dehors des États-Unis, à quarante-quatre, dont vingt-trois en dehors des États-Unis.

Cette croissance remarquable est le résultat d’efforts renouvelés pour accomplir la révélation donnée à Joseph Smith « que le royaume… devienne une grande montagne et remplisse toute la terre » (D&A 109:72). Au début de son administration, le président David O. McKay, le premier à voyager autant comme président de l’Église, visite les missions d’Europe, d’Amérique latine, d’Afrique et du Pacifique Sud, consacrant deux emplacements de temples en Europe et annonçant qu’un temple sera construit en Nouvelle-Zélande. En 1955, il déclare que l’Église doit « faire tous les efforts raisonnables et réalisables pour mettre à la portée des membres dans ces missions éloignées toutes les possibilités éducatives et spirituelles qu’elle a à offrir » (CR avr. 1955, p. 25). Construire des temples, augmenter le nombre de missions, organiser des pieux dans le monde entier, persuader les saints d’édifier Sion dans leur pays plutôt que d’émigrer en Amérique et enfin remettre la direction de l’Église entre les mains de la population locale de chaque pays, voilà toutes les mesures importantes qu’il faudra prendre pour atteindre ce but. En outre, on va mettre de plus en plus l’accent sur l’appel de missionnaires locaux qui, dans certaines régions, remplaceront essentiellement les missionnaires américains.

La croissance ne se produira cependant pas sans problèmes, dont le moindre n’est pas de décider quels sont les pratiques, les enseignements et les programmes qui constituent vraiment l’essence de l’Évangile et quels sont ceux qui sont le reflet de la culture américaine dans laquelle l’Église s’est développée. Pour ouvrir les yeux des membres, des Américains en particulier, sur la nécessité de définir l’Évangile en termes de principes universels, les dirigeants de l’Église vont s’exprimer avec une fréquence croissante. En 1971, par exemple, Bruce R. McConkie rappellera à certains saints américains qu’à l’époque du Nouveau Testament, même les apôtres étaient tellement endoctrinés dans l’idée que le plan du salut se limitait à un peuple particulier qu’ils ont eu du mal à le porter aux païens, et il appliquera la leçon à l’Église moderne. Il invitera les saints américains à dépasser leurs idées reçues, même s’il y aura « en chemin des luttes et certaines difficultés, certains préjugés et certaines incertitudes ». Les autres peuples, fera-t-il remarquer, « ont d’autres antécédents que nous, ce qui n’a aucune importance pour le Seigneur…. Avoir des coutumes sociales différentes n’est pas plus étonnant que parler des langues différentes… Et le Seigneur connaît toutes les langues » (Palmer, p. 143, 147). En 1987, Boyd K. Packer rappellera à un groupe de dirigeants de l’Église : « Nous ne pouvons pas entrer [dans divers pays] avec une Église d’Utah de 1947 ! Il se peut que nous ne soyons pas prêts à porter l’Évangile parce que nous ne sommes pas prêts à porter (et qu’ils ne sont pas prêts à recevoir) toutes les choses que nous avons emballées avec lui comme bagages supplémentaires » (tel que cité dans Dialogue 21, automne 1988, p. 97). Le but est d’ennoblir des gens appartenant à des cultures et ayant des perspectives diverses pour qu’ils trouvent plus complètement la vraie fraternité au sein des limites spirituelles communes de l’Église.

En 1974, le président Spencer W. Kimball invite les membres à « allonger la foulée » en portant l’Évangile à toute la terre. Il les exhorte à prier que les barrières soient levées. Il désigne David M. Kennedy, anciens secrétaire au trésor et ambassadeur extraordinaire, comme représentant international de l’Église pour travailler avec les gouvernements à résoudre les problèmes qui ont gêné les activités de l’Église. En 1977, l’Église est légalement reconnue en Pologne et en 1985, un temple est consacré en République démocratique allemande. Les révolutions politiques spectaculaires de 1989-1990 ouvrent d’autres pays du Bloc de l’Est et conduisent au commencement de l’œuvre missionnaire de l’Église en Union Soviétique.

L’un des changements radicaux du vingtième siècle est la révélation reçue par le président Spencer W. Kimball en juin 1978, accordant les bénédictions de la prêtrise à tous les membres masculins dignes. Résultat d’une prière longue et fervente, la révélation signifie que « le jour promis depuis si longtemps est venu où tous les hommes fidèles et dignes de l'Église pourront recevoir la Sainte Prêtrise… sans considération de race ou de couleur » (Doctrine et Alliances : Déclaration officielle - 2). Tout de suite, des noirs dignes sont scellés dans les temples et beaucoup recevront des affectations comme missionnaires et dirigeants. Au Ghana et au Nigeria, où les noirs plaidaient depuis des années pour l’établissement de l’Église, celle-ci se développe rapidement, mais elle s’étend aussi dans d’autres régions qui comptent de grandes populations noires. La première Autorité générale noire, Helvécio Martins, du Brésil, sera soutenu à la conférence générale de l’Église en avril 1990.

CHANGEMENTS ADMINISTRATIFS. Les changements administratifs nombreux répondent aussi aux besoins d’une Église en pleine croissance. En 1967, les pieux sont organisés en régions. À partir de 1975, plusieurs régions sont organisées en interrégions et en 1984, des présidences d’interrégion, chacune constituée de trois Autorités générales, se voient confier la responsabilité des pieux dans le monde entier.

En 1975, le président Kimball annonce l’organisation du premier collège des soixante-dix, dont les membres sont Autorités générales de l’Église, à savoir les anciens Assistants des Douze. En 1989, le deuxième collège des soixante-dix est organisé ; ces Autorités générales sont appelées pour trois à cinq ans. En 1978 commence la pratique d’élever les membres des soixante-dix à l’éméritat pour des raisons de santé ou d’âge, et l’année suivante le patriarche de l’Église accède aussi à l’éméritat.

Les Autorités générales prennent aussi des mesures pour coordonner plus efficacement les programmes de l’Église et, à partir de 1961, mettent davantage l’accent sur la « coordination de la prêtrise ». Sous la présidence de Harold B. Lee, des comités au siège de l’Église planifient, élaborent et révisent les programmes d’études et les activités pour toutes les organisations ou groupes d’âge. Ils définissent plus soigneusement les rôles propres à chaque organisation et éliminent les doubles emplois. Les dirigeants se concentrent sur le foyer, endroit le plus efficace pour enseigner et appliquer les principes de l’Évangile. L’accent est remis sur la soirée familiale et, à partir de 1965, on publie des manuels attrayants fournissant des aides aux leçons.

Au début des années 1970, il y a aussi un regroupement des responsabilités administratives au siège de l’Église. Les organismes sont groupés en plusieurs grands départements, chacun sous la juridiction d’une ou plusieurs Autorités générales, la gestion générale des opérations étant assurée au jour le jour par des professionnels à temps plein. Par exemple, l’entraide, les services sociaux et les programmes de santé sont regroupés pour former le Département d’Entraide. Le symbole visible de ce regroupement est le nouveau bâtiment des bureaux de l’Église de vingt-huit étages à Salt Lake City, réunissant la plupart des unités administratives. En 1970, les fonctions de la Prêtrise d’Aaron et de la Société d’amélioration mutuelle des Jeunes Gens sont combinées. En 1971, le programme des publications est regroupé. Les magazines en d’autres langues que l’anglais sont unifiés en 1967 et leur contenu standardisé à l’exception des sujets locaux.

D’autres changements se produisent du fait que la croissance internationale rapide augmente le nombre des voyages et la charge administrative des dirigeants de l’Église. Dans les années 1970, les présidents de pieu sont autorisés à « mettre à part » les missionnaires à plein temps, ordonner les évêques et les patriarches et consacrer les églises. Les Autorités générales se réunissent moins fréquemment en conférence avec les pieux mais, à partir de 1971, l’Église commence à tenir des « conférences interrégionales » où une délégation d’Autorités générales rencontre les saints rassemblés d’une région géographique. En 1979, le nombre des conférences de pieu par an est réduit de quatre à deux, et dans les années 1980 des conférences régionales ou multirégionales remplacent les conférences interrégionales.

L’ÉDUCATION DANS L’ÉGLISE. Entre 1950 et 1990, le nombre total d’inscriptions aux programmes éducatifs de l’Église passe de 38.400 à 442.500. Les inscriptions à temps plein à l’université Brigham Young montent en flèche de 5.400 en 1950 à presque 25.000 en 1975, le maximum possible. Plutôt que de consacrer des montants toujours plus élevés aux études supérieures, l’Église emploie de plus en plus les fonds à satisfaire les besoins plus fondamentaux liés à la croissance mondiale. L’expansion principale dans l’enrôlement se produit dans le domaine de l’éducation religieuse. Depuis le début du vingtième siècle, les étudiants des localités à prédominance mormone suivaient des cours de séminaire « hors école » dans des bâtiments contigus à leur école secondaire. Dans les années 1950, en commençant en Californie, le séminaire « matinal » va se tenir dans des bâtiments de l’Église près des écoles secondaires publiques. Après 1968, dans les régions où les membres sont encore plus dispersés, les jeunes vont recevoir de quoi faire le « séminaire d’étude à domicile ». L’Église augmente aussi le nombre d’instituts de religion placés à côté des campus universitaires. En 1990, il y a des programmes de séminaire ou d’institut dans soixante-quatorze pays.

L’Église accorde aussi une attention particulière à la vie religieuse des étudiants d’université. En 1956, le premier pieu estudiantin, avec douze paroisses, est organisé sur le campus de l’université Brigham Young. Cela rend accessibles des services de l’Église qui répondent directement aux besoins des étudiants et qui donnent de plus nombreuses occasions d’assurer une direction. Le plan s’étendra à d’autres endroits où il y a assez d’étudiants pour le justifier. L’idée est d’assurer une plus grande croissance spirituelle, et dans des domaines statistiquement mesurables comme le mariage au temple et l’assistance aux réunions, les paroisses estudiantines viennent en tête dans l’Église.

Dans certaines régions du Pacifique et de l’Amérique latine, des régions où la croissance de l’Église est particulièrement rapide et où l’instruction publique est limitée, l’Église en revient à son ancienne pratique de fonder des écoles pour l’instruction religieuse et d’assurer un enseignement élémentaire. Elle fonde quarante écoles primaires et secondaires au Mexique et crée une faculté de premier cycle à la périphérie de Mexico. Lorsque de meilleurs établissements d’enseignement public apparaîtront, l’Église fermera beaucoup de ces écoles.

PROGRAMME DE CONSTRUCTION. Les nouvelles assemblées ont besoin de nouveaux bâtiments. Même si deux ou trois paroisses se partagent la plupart des bâtiments, l’Église se trouve dans la nécessité de construire plus d’une nouvelle église par jour. Les coûts potentiels sont énormes et dans beaucoup de régions les saints locaux ne sont pas en mesure de lever leur quote-part.

Une solution apparaît quand l’Église se trouve devant une pénurie de main-d’œuvre pendant qu’elle bâtit des bâtiments scolaires dans le Pacifique Sud. À partir de 1950, elle appelle des jeunes gens en tant que « missionnaires bâtisseurs » pour faire don de leur main d’œuvre pendant deux ans. Tandis qu’ils construisent des bâtiments à un coût beaucoup moindre, les constructeurs expérimentés leur enseignent des techniques de construction ; les missionnaires bâtisseurs apprennent aussi auprès des constructeurs expérimentés des compétences commercialisables. Dans les années 1950 et 1960, les missionnaires bâtisseurs construisent des écoles et des chapelles dans le Pacifique Sud, l’Amérique latine, l’Europe et ailleurs. Plus tard, pour réduire au minimum les coûts de construction et d’entretien, le département des constructions élaborera une série de plans standardisés qui peuvent être adaptés à différents endroits et agrandis si nécessaire.

Bien que les fonds généraux de l’Église aident à la construction et à l’entretien des églises, il est attendu des assemblées locales qu’elles contribuent non seulement en main d’œuvre, mais aussi une partie importante de l’argent nécessaire, cela en plus du paiement de la dîme et des offrandes habituelles. Pour soulager le fardeau financier pesant sur les assemblées locales, la part supportée par les saints locaux diminue graduellement jusqu’à ce qu’en 1989, les contributions locales ne soient plus requises.

À partir des années 1980, les nouvelles églises sont généralement plus petites et parfois plus austères que les plus anciennes, mais cela permet à l’Église de construire des centaines d’églises par an et surtout de fournir des lieux de réunion bien nécessaires dans les régions en voie de développement. C’est aussi un mouvement vers l’égalité. L’argent qui aurait pu être consacré à la construction de bâtiments plus coûteux dans des régions riches est plutôt utilisé pour fournir des lieux confortables pour le culte dans toute l’Église.

LA TECHNOLOGIE ET L’ÉGLISE. L’Église cherche activement à maîtriser les découvertes étonnantes de la technologie moderne pour améliorer ses capacités administratives et pour mieux diffuser son message spirituel. Depuis qu’elle a installé, en 1962, son premier ordinateur au Département financier, elle se sert de cette technologie d’innombrables façons, notamment dans la conception architecturale, un système automatisé de certificats de membre, une comptabilité automatisée, le traitement des dossiers des missionnaires, la tenue des registres au niveau général et local, et en fournissant des ressources pour la recherche historique et généalogique.

Il n’est pas d’activité de l’Église qui ait ressenti l’impact de la technologie moderne autant que l’œuvre généalogique. Comme la population de l’Église augmente, le besoin de moyens plus efficaces pour recueillir et traiter les noms pour l’œuvre du temple s’accroît également. Le Département généalogique (maintenant Département d’histoire familiale) microfilme les registres d’état civil de partout dans le monde, les rendant disponibles dans sa bibliothèque de Salt Lake City et dans des centaines de centres d’histoire familiale dans le monde entier. Dans les années 1960, le Département généalogique commence aussi à utiliser l’ordinateur pour organiser les noms obtenus à partir de ces documents. Depuis 1978, des membres de l’Église désignés pour cela consacrent quatre heures ou plus de service hebdomadaire à « extraire » des renseignements des microfilms pour l’œuvre du temple. Le Département d’histoire familiale crée aussi le PAF (Personal Ancestral File), un programme généalogique automatisé couramment utilisé et commence à rendre les données généalogiques principales disponibles sur des disques laser.

La technologie touche encore le temple autrement. Le cinéma et la technologie de la vidéo permettent de présenter plus efficacement les instructions du temple. Ceci pouvant se faire dans une seule salle au lieu de l’ancienne série de quatre salles, les temples peuvent être construits plus petits et leur construction peut ainsi être moins coûteuse, ce qui va permettre à plus de membres dans le monde entier d’avoir un temple près de chez eux. La nouvelle technologie permet aussi de présenter les ordonnances simultanément en plusieurs langues si besoin est.

L’effet de la télévision sur les communications de l’Église et son image publique est spectaculaire, lui aussi. Les conférences générales de l’Église sont d’abord diffusées en 1949 sur KSL Television à Salt Lake City et dès le milieu des années 1960, une ou plusieurs sessions de chaque conférence sont télévisées partout aux États-Unis. Dans les années 1980, l’Église élabore un système de communication par satellite relié aux centres de pieu dans le monde entier, de sorte que les saints des derniers jours vont pouvoir regarder la conférence et les autres programmes créés par l’Église.

L’ŒUVRE MISSIONNAIRE. En 1990, plus des deux-tiers de la croissance annuelle de l’Église viennent des baptêmes de convertis. Quelque 30.000 des plus de 40.000 missionnaires à plein temps sont des jeunes gens de dix-neuf à vingt et un ans ; des femmes célibataires de vingt et un ans ou plus et des couples ayant atteint l’âge de la retraite constituent la majeure partie du reste.

Une attention considérable est apportée à l’amélioration des techniques et des capacités missionnaires. Après beaucoup d’expérimentation, un plan systématique basé sur une série de leçons est officiellement adopté dans les années 1950. Après beaucoup d’améliorations et de modifications, en 1990, le plan se concentre moins sur la mémorisation de la part des missionnaires et plus sur leur capacité de compter sur l’Esprit dans la présentation du canevas mis à leur disposition.

Les missionnaires reçoivent aussi une formation plus efficace, particulièrement dans les langues. En 1963, une mission de formation linguistique, plus tard connue sous le nom de centre de formation des missionnaires est créée près de l’université Brigham Young et cinq ans plus tard un programme semblable s’ouvre près de l’université de l’Église à Hawaï. En 1990, les missionnaires reçoivent une formation linguistique et missionnaire intensive dans quatorze centres de formation des missionnaires de par le monde, quoique 75% environ d’entre eux aillent au centre de Provo.

Les innovations dans le programme missionnaire comprennent une incitation à plus d’activités en dehors du prosélytisme et de service chrétien. En 1971, par exemple, les « missionnaires des services de santé » commencent à enseigner l’ABC de l’alimentation, de l’hygiène et de la prévention des maladies, particulièrement dans les pays en voie de développement. En 1990, tous les missionnaires sont invités à passer deux à quatre heures par semaine au service de la collectivité, en plus du prosélytisme. En outre, les couples missionnaires d’âge mûr sont souvent affectés à des services non missionnaires tels que les services de santé et l’entraide, la formation des dirigeants, le personnel des centres pour visiteurs d’autres activités de relations publiques, l’aide aux personnes se présentant dans les divers centres d’histoire familiale de l’Église, les missions de service au temple et les missions d’enseignement.

QUESTIONS D’INTÉRÊT PUBLIC ET DE SOCIÉTÉ. Bien que l’Église ait essayé de prendre ses distances par rapport à toute participation directe à la politique, les dirigeants de l’Église prennent néanmoins de temps en temps officiellement position sur les questions de moralité. La Première Présidence déplore publiquement l’invasion croissante de la pornographie, la pratique répandue du contrôle des naissances, l’avortement et le déclin général de la moralité, notamment le nombre croissant des divorces et l’importance de plus en plus grande de l’homosexualité. En 1968, l’Église s’implique directement dans le processus politique de l’Utah en s’opposant ouvertement à la vente de boissons alcoolisées. Elle fait aussi des déclarations publiques en faveur des lois sur la fermeture le dimanche et les lois des États sur le droit au travail et contre les loteries d’État.

Au milieu du conflit intense sur les droits civiques qui caractérise les États-Unis dans les années 1960, la Première Présidence demande ouvertement « l’égalité civique complète pour tous les enfants de Dieu » et invite expressément les saints des derniers jours à travailler pour les droits civiques des noirs. Dans les années 1970, quand la polémique concernant les droits de la femme s’intensifie en Amérique, la Première Présidence prend publiquement position en faveur de l’égalité complète des femmes devant la loi mais, en même temps, s’oppose publiquement au Equal Rights Amendment (l’amendement sur l’égalité des droits) qu’elle considère comme opposé à la famille. La Première Présidence se préoccupe aussi vivement de la moralité de la course aux armements nucléaires et la dénonce officiellement en 1980 et de nouveau en 1981.

Contrairement à ce qui s’est passé au début du vingtième siècle quand la plupart des saints des derniers jours vivaient essentiellement en milieu rural, depuis le milieu du siècle, la plupart vivent dans des centres urbains. Le mode de vie effréné des grandes villes crée des tensions émotionnelles supplémentaires et un éventail d’attractions et de tentations a tendance à écarteler la famille. En réaction à ces besoins et à d’autres, l’Église institue une série de programmes sociaux. Depuis 1919, la Société de secours gère une agence d’adoption et propose des foyers d’accueil pour les enfants défavorisés. Elle va être étendue. Le service de placement des étudiants indiens, créé dans les années 1950 sous la présidence de Spencer W. Kimball, offre à des milliers de petits Amérindiens l’avantage d’aller dans de bonnes écoles tout en vivant dans l’environnement sain de familles de l’Église. Un programme « de guidance de jeunes » conseille les familles dans le besoin. Ces trois programmes, qui sont tenus par la loi d’employer les travailleurs sociaux professionnels autorisés, sont fusionnés en 1969 pour former le Département des services sociaux de l’Église. Ce département patronne aussi des camps de jour pour jeunes, des programmes pour les membres en prison et de la consultance pour ceux qui abusent de l’alcool ou de la drogue.

Les dirigeants de l’Église commencent aussi à se préoccuper davantage des besoins spéciaux des célibataires. Qu’ils soient divorcés, veufs ou ne se sont tout simplement jamais mariés, leurs besoins sociaux et spirituels ne sont souvent pas satisfaits par les activités traditionnelles de l’Église orientées vers le couple et la famille. Dans les années 1970, des programmes spéciaux pour les jeunes adultes seuls aussi bien que pour les personnes seules plus âgées sont créés sous les auspices de la prêtrise et de la Société de secours. Sous le patronage de conseils autonomes de paroisse, de pieu et de région, ils vont à des bals et à d’autres activités culturelles et ont de meilleures occasions de faire la connaissance d’autres membres de leur âge qui partagent leurs intérêts. En outre, des paroisses pour jeunes adultes sont organisées, d’abord dans le pieu d’Émigration à Salt Lake City, et puis dans d’autres régions.

RETOUR AUX FONDEMENTS. Un des appels de clairon du président Ezra Taft Benson aux saints dans les années 1980 est le retour aux valeurs traditionnelles. Il invite en particulier à l’étude régulière du Livre de Mormon comme moyen de fortifier la foi au Christ et d’avoir un guide pour affronter les difficultés du jour. Mais son appel n’est qu’une des manifestations des efforts que font les dirigeants modernes de l’Église pour répondre aux problèmes sans cesse plus complexes du monde et pour conduire les saints dans un retour aux fondements.

En 1972, le cours des adultes, celui de Doctrine de l’Évangile à l’École du Dimanche, entreprend l’étude systématique des ouvrages canoniques. Les Écritures sont les seuls manuels et elles doivent être étudiées successivement au cours d’une période de huit ans (de quatre ans par la suite). Bientôt tous les programmes d’études de l’Église sont rattachés aux Écritures. Pour soutenir le programme d’études et inciter à l’étude individuelle des Écritures, les dirigeants de l’Église procèdent à la publication de nouvelles éditions des ouvrages canoniques, chacun muni de renvois aux autres. La publication par l’Église, en 1979, de la King James Version de la Bible contient une annexe importante de 800 pages qui comprend un dictionnaire de la Bible, un guide par sujet de toutes les Écritures, des cartes et des extraits de la traduction de la Bible par Joseph Smith. En 1981, de nouvelles éditions des autres ouvrages canoniques paraissent avec des aides supplémentaires à l’étude.

Le thème du « retour aux fondements » trouve aussi un écho dans beaucoup d’autres changements de la politique et des programmes de l’Église. En 1980, le système des réunions de l’Église est regroupé en un bloc unique de trois heures le dimanche en remplacement du système traditionnel des réunions de prêtrise et d’École du Dimanche le matin, de réunion de Sainte-Cène en fin d’après-midi ou en soirée et de réunions des auxiliaires pendant la semaine. Cette mesure simplifie les problèmes de transport de beaucoup de membres, mais les dirigeants de l’Église soulignent que l’objectif central est de laisser plus de temps aux familles pour étudier les Écritures ou se livrer ensemble à d’autres activités convenant au sabbat.

À partir de 1990 aux États-Unis et au Canada et de 1991 dans d’autres régions du monde, il n’est plus demandé aux membres de faire des dons au budget de paroisse et de pieu ; tous les frais de fonctionnement des unités locales seront payés avec la dîme et les offrandes. Ce système uniforme permet une plus grande égalité, réduisant beaucoup de budgets de fonctionnement locaux tout en en augmentant d’autres. En expliquant la nouvelle politique, Boyd K. Packer, du Conseil des douze, qualifiera cela de « correction de trajectoire » inspirée, un élément de l’effort global pour en revenir aux fondements (Ensign 10, mai 1990, p. 89-91). La métaphore pourrait très bien être appliquée à une grande partie de ce qui s’est produit depuis 1945.

D’une manière générale, les membres de l’Église acceptent bien ces changements et y voient une occasion de progresser davantage spirituellement. En conséquence, en 1990, l’Église se prépare plus rapidement que jamais à s’adapter à des nationalités, à des groupes de langues et à des cultures divers. Les dirigeants de l’Église continuent à souligner les points de doctrine traditionnels, mais les discours de conférence générale ont de plus en plus tendance à définir ce qu’est un saint en termes de ce que M. Russell Ballard caractérise, en avril 1990, comme étant des « choses petites et simples » : l’amour, le service, le foyer, la famille et le culte du Sauveur (Ensign 10, mai 1990, p. 6-8). Ce sont là les principes universels qui constituent l’essence de ce que signifie être saint des derniers jours.

(Articles tirés de l'Encyclopédie du mormonisme (Macmillan Publishing Company, 1992), traduction : Marcel Kahne, source : www.idumea.org, avec autorisation)