Ce soir-là, il décide qu'il ne jouera plus au football le dimanche




Polynésie française

Le 26 février 1992, Lysis Terooatea est relevé après avoir été président de pieu pendant dix ans. Son deuxième conseiller, Erroll Bennett, est appelé comme nouveau président du pieu de Pirae avec Gaston Richmond et Arthur Perry comme conseillers.

Le président Bennett est un héros populaire parmi les membres de l'Église de Polynésie française. Michael R. Otterson a raconté l'histoire de sa conversion dans L'Étoile de mai 1983. Mis en contact en 1977 avec l'Église par son ami Lysis Terooatea, Erroll et sa femme Yolande décident d'être baptisés. Le père d'Erroll est furieux en apprenant la nouvelle : « Si tu te fais baptiser, dit-il, je ne veux plus jamais te revoir. »

Le père d'Erroll n'est pas seulement préoccupé par son changement de religion, mais aussi par le fait que son affiliation à l'Église risque de mettre fin à sa carrière spectaculaire de vedette de football tahitien. À Tahiti, le football est le sport public le plus populaire et, à l'âge de vingt-sept ans, Erroll Bennett est capitaine d'une des meilleures équipes tahitiennes, Central Sport. Comme tel, c'est un héros national.

Sa décision de devenir mormon est un coup dur pour l'institution du football et surtout pour son équipe, qui est en tête de division. La raison de cette réaction est qu'à Tahiti les matches de football ont lieu le dimanche. Et une chose que les entraîneurs, les équipiers et les fans d'Erroll savent, c'est que les mormons ne font pas d'activités sportives le dimanche.

En désespoir de cause, Napoleon Spitz, président de Central Sport et Tahitien puissant et influent, téléphone à Victor Cave, qui à l'époque est le président du pieu de Papeete Tahiti. Le président de pieu ne pourrait-il pas donner à Erroll une dispense pour jouer au football le dimanche ? La réponse du président Cave est polie mais ne laisse pas beaucoup d'espoir : « Vous devrez demander à Erroll. C'est à lui à décider. Il a décidé d'être baptisé, et il vous dira lui-même ce qu'il pense de l'idée de jouer le dimanche ».

Pour Erroll, ce problème n'a aucune importance comparé à celui d'être rejeté par son père. Il estime qu'il doit se réconcilier avec son père avant d'être baptisé. Il reçoit une bénédiction de Noël Tarati, un vieil ami, dans laquelle il lui est promis que son père l'accueillera s'il fait le premier pas.

En approchant de la maison de son père, Erroll voit ce dernier dans le jardin, les larmes aux yeux. « Erroll, supplie son père, pardonne-moi les choses cruelles que je t'ai dites. Tu sais ce que je pense de la perte de ta carrière, mais c'est à toi à décider, et je ne veux plus en parler. »

Erroll et sa femme sont baptisés comme prévu, au cours d'une cérémonie discrète et spirituelle. Ce soir-là, il décide qu'il ne jouera plus au football le dimanche. Le lendemain, il dit à Napoleon Spitz qu'il a décidé de se retirer de l'équipe. La réaction de Spitz est étonnante : « Attends quelques jours, dit-il. Attends que la réunion de la ligue se tienne cette semaine. »

Lorsqu'il apprend la nouvelle quelques jours plus tard, Erroll ne peut en croire ses oreilles. Napoléon Spitz a informé les directeurs de la ligue que l'équipe de football de Central Sport a décidé de ne plus jouer le dimanche. Il explique que les matches du dimanche empêchent les joueurs d'être avec leur famille. Quelle que soit la décision des autres équipes de la ligue, Central ne jouera plus le dimanche. Il s'ensuit un vote, et il est décidé à l'unanimité que la division ne jouera plus le dimanche. Tous les matches auront lieu les soirs de semaine.

Les journalistes sportifs connaissent les raisons de la proposition de Napoleon Spitz. Michael Ferrand, longtemps correspondant sportif pour le journal tahitien La Dépêche, dira : « Il n'était pas facile de changer une tradition bien ancrée. Beaucoup de fans et de reporters furent contrariés par la décision, mais la critique ne fut pas trop sévère. Il faut se souvenir qu'Erroll Bennett était très populaire à Tahiti et qu'aucun journaliste sportif n'allait critiquer ouvertement un héros national ».

Napoléon Spitz, après avoir soigneusement observé les réactions et les répercussions, dira : « Il ne fait pas de doute que les joueurs préfèrent jouer pendant la semaine. Ils ont découvert qu'ils aiment être le dimanche en famille. Même le public a appris à l'apprécier... Cela nous a profité à tous. »

À partir des premiers jours après son baptême, Erroll ne fera jamais de compromission avec ses nouvelles croyances. Il acquiert le respect de toute la collectivité pour son courage à respecter ses principes.

Il se retire honorablement du football dans les années 1980 et continue comme entraîneur de football pour Central Sport. Après son baptême, il oeuvre fidèlement comme membre du grand conseil du pieu de Pirae Tahiti, puis comme évêque et ensuite comme conseiller dans la présidence de pieu.

En ce jour de février 1992, il y a des larmes sur la plupart des visages des membres du pieu de Pirae qui lèvent haut la main pour soutenir Erroll Bennett comme leur nouveau président de pieu.


Source : S. George Ellsworth et Kathleen C. Perrin, Chronique de la foi et du courage – Les saints derniers jours en Polynésie française, 1994, Sandy, Utah, p. 319-321