L'île oubliée




L'église de Taenga construite en 1931


En 1976, quelques jours seulement avant la première conférence interrégionale de Tahiti avec la participation du président de l'Église, Spencer W. Kimball, un groupe de plus de cinquante personnes se présente au bureau de la mission de Tahiti Papeete. Le président de mission, Raymond Baudin, connaît bien les saints des divers groupes d'îles de la Polynésie française, mais il ne connaît aucune de ces personnes.

Il suppose que c'est un groupe d’amis de l’Église qui souhaite assister à la conférence. Ils se présentent, disant qu'ils habitent Taenga, dans les îles Tuamotu, et disent qu'ils sont saints des derniers jours. Le président Baudin n'est pas informé que des membres de l'Église vivent dans cette île, et il n'a aucun certificat de membres concernant des personnes vivant là-bas. Mais on lui dit que presque toute la population de Taenga est membre de l'Église et que tous les habitants de Taenga ont fait les trois jours de voyage à Tahiti par voilier pour voir Spencer W. Kimball, le prophète du Seigneur !

Bien qu'il soit difficile de comprendre comment on a pu perdre de vue une île tout entière de membres de l'Église, il faut noter que les années précédentes, les membres de l'Église avaient émigré et s'étaient déplacés dans les Tuamotu, ce qui avait compliqué la tenue des registres. En outre, l'île de Taenga, qui compte alors une population de moins de cent personnes, n'est pas une des îles les plus prospères des Tuamotu. Elle n'a pas été touchée par l'essor économique des îles voisines. Et pendant des décennies après cet événement, Taenga n'aura ni aérodrome ni communications téléphoniques avec le monde extérieur et, sans service régulier par bateau, les déplacements avec cette île resteront difficiles.

Les membres fidèles de Taenga expliquent que la dernière visite qu'un président de mission leur a faite est celle de Joseph R. Reeder à la fin des années 1950. Au cours des quinze années suivantes, les dirigeants de mission de Tahiti ont perdu la trace de la petite branche de Taenga. Bien que la branche ait fini par ne plus fonctionner officiellement et que les réunions ne se tiennent que de manière informelle, les membres ont conservé leur foi. Ils continuent à entretenir l'église vieillissante de 6 mètres sur 9 construite en 1931. « Nous avons toujours vécu l'Évangile du mieux que nous pouvions », dit sœur Teuruhei Buchin du groupe de Taenga. Frère Kaheke Temanu explique qu'il a la foi qu'un jour la petite île recevra la visite du président de mission. Il a même construit une petite résidence dans l'île dans le seul but de recevoir le visiteur espéré. Il n'est donc pas surprenant que lorsque ces membres inébranlables ont appris, on ne sait comment, qu'un prophète du Seigneur venait à Tahiti, ils aient été poussés à faire le difficile voyage, en amenant avec eux des cadeaux artistiquement ouvragés, preuve de leur amour et de leur respect pour les offrir au président Kimball.

Peu après la conférence interrégionale et le retour des saints de Taenga dans leur île, le président Baudin fait cette visite longtemps attendue à Taenga. Pendant qu'il est là-bas, il réorganise une branche de l'Église dans l'île. Il appelle comme président de branche Kaheke Temanu et loge dans la maison que ce dernier a construite pour cette occasion tant attendue. Puis des missionnaires sont envoyés à Taenga.

Lorsque la branche se remet à fonctionner officiellement, les membres retournent aux réunions et dix convertis sont baptisés. Lorsque dix ans plus tard, en 1986, une nouvelle église est consacrée, sept personnes seulement ne sont pas membres de l’Église sur les soixante-seize habitants de Taenga.

L’histoire de l’Église nous apprend que l’île de Taenga n’en était pas à sa première expérience de longue autonomie sans émissaires de l’Église : Le 1er mai 1845, Benjamin Grouard, premier missionnaire envoyé en Polynésie française, arrive sur l'atoll voisin d'Anaa et sur une période de cinq mois baptise près de 620 personnes et organise plusieurs branches. Il se rend également à Taenga et convertit la population. En 1852, le gouvernement français interdit le prosélytisme dans les Tuamotu, protectorat qu'il vient d'acquérir. L’interdiction dure 20 ans pendant lesquels les saints locaux sont sans contact avec l'Église. Ils continuent tout seuls à faire connaître l'Évangile. Ils font œuvre missionnaire dans presque tous les atolls de la partie occidentale de l'archipel et réussissent à convertir un nombre considérable d'habitants.


Sources : L’Étoile, février 1987, p. 16-20 ; S. George Ellsworth et Kathleen C. Perrin, Chronique de la foi et du courage – Les saints derniers jours en Polynésie française, 1994, Sandy, Utah, p. 258-59, 304