L'histoire de l'Église en Polynésie française



George Ellsworth





1. La fondation de l’Église dans le Pacifique (1843–1850)
2. Les premiers bastions (1850–1852)
3. Le passage à la direction locale (1852-1892)
4. La reprise en mains par la Mission (1892–1900)
5. Le fonctionnement de la Mission (1900-1945)
6. L'Église en action (1900-1945)
7. L’Église et le monde (1900–1945)





1. La fondation de l’Église dans le Pacifique (1843–1850)

La diffusion du christianisme dans le monde est une des épopées de l’expansion universelle de la civilisation occidentale. Les cultures indigènes ont été modifiées - les unes légèrement, les autres radicalement - par l’introduction des idées et des pratiques occidentales. Les missionnaires chrétiens ont largement contribué à la diffusion de la civilisation occidentale, sous l’impulsion missionnaire donnée par Jésus-Christ à ses disciples.

Jésus a enseigné que Dieu est notre Père et que tous les hommes sont ses enfants, fils et filles de Dieu. Ils possèdent une raison et un libre arbitre divins que notre Père céleste leur a donnés. L’amour paternel inconditionnel de Dieu pour ses enfants s’est exprimé par l’envoi de son Fils bien-aimé, Jésus-Christ, pour enseigner les vérités et les commandements divins, pour mourir pour les péchés de l’humanité et ainsi réconcilier les hommes et les femmes avec Dieu. Comme tous ses fils et ses filles sont précieux aux yeux de Dieu, c’est accomplir l’œuvre de Dieu que d’enseigner son Évangile à tous les enfants du monde.

Après sa résurrection, Jésus a commandé à ses disciples d’aller « jusqu’aux extrémités de la terre » (Actes 1:8) afin que « la repentance en vue du pardon des péchés [soit] prêchée en son nom à toutes les nations » (Luc 24:45-47). Et juste avant son ascension, il a donné ce commandement à ses disciples :

« Allez dans le monde entier et prêchez la bonne nouvelle à toute la création. Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné. Voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru : En mon nom, ils chasseront les démons ; ils parleront de nouvelles langues ; ils saisiront des serpents ; s’ils boivent quelque breuvage mortel, il ne leur fera point de mal ; ils imposeront les mains aux malades et ceux-ci seront guéris. » (Marc 16:15-18)

Matthieu rapporte les instructions de Jésus en ces termes : « Allez, faites de toutes les nations des disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. » (Matthieu 28:19-20).

Ainsi en a-t-il été. Au cours des années qui ont suivi, des générations de disciples ont répandu le christianisme dans tout l’empire romain, dans les États limitrophes, et, avec le temps, au Proche-Orient, en Asie, en Afrique et en Amérique. Un nombre presque illimité d’organisations missionnaires ont mis à exécution le commandement donné par Jésus d’enseigner l’Évangile au dehors.

Le même commandement d’évangéliser le monde fut énoncé par Joseph Smith, fils, prophète et fondateur de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, organisée le 6 avril 1830 à Fayette (New York). Les commandements de Dieu « seront enseign[és] à toutes les nations, familles, langues et peuples » (D&A 42:58). Il fut commandé aux anciens : « Allez dans le monde entier ; et là où vous ne pouvez aller, vous enverrez des gens, afin que le témoignage aille de vous dans le monde entier à toute la création… » (D&A 84:62).

Le mormonisme se répandit d’un ami à l’autre et d’un parent à l’autre dans l’est de l’État de New York, en Nouvelle Angleterre et dans les États du Centre. De New York le mormonisme fut porté au Canada et du Canada en Angleterre. Le missionnaire se rendait là où il avait été jadis, où il connaissait le lieu et les gens et où il avait peut-être des parents ou des amis.

Les hommes recevaient simultanément la prêtrise et l’appel à prêcher. Les missionnaires, aussi bien ceux qui l’étaient de leur propre initiative que ceux qui étaient appelés, consacraient avec enthousiasme le temps libre que leur laissait la ferme ou le magasin pour faire connaître leur foi nouvelle à leurs amis. Les anciens partaient en mission à leurs propres frais, « sans bourse ni sac » comme les apôtres d’autrefois.

Ce n’est que dans les pays garantissant la liberté religieuse que la nouvelle foi pouvait prendre racine et grandir, et même dans ce cas, les saints des derniers jours semblaient toujours porter leur religion aux protestants avant de la porter aux catholiques, aux catholiques avant les Juifs, et aux Juifs avant les païens. Comme nous le verrons, ce n’est que dans les mers du sud que les premiers saints des derniers jours portèrent le message chrétien aux païens. Les hommes étaient encouragés à retourner auprès des amis et des parents qu’ils avaient laissés là où leur métier antérieur ou leurs voyages les avaient conduits, et à les mener dans la nouvelle voie qu’ils avaient trouvée. C’est ainsi qu’a commencé la mission auprès des Polynésiens du Pacifique sud.

C’est essentiellement à la personnalité des premiers missionnaires qui ont résidé dans les îles qu’il faut attribuer le fait que les missionnaires de l’Église ont créé aussi rapidement des communautés dans le Pacifique. Le filet de l’Évangile rassemble toutes sortes de poissons et dans ce cas, la prise était constituée de marins, car ce sont des marins transformés en missionnaires qui ont posé le fondement ferme de l’Église rétablie dans les îles du Pacifique.

Le début de la Mission

C’est avec Addison Pratt que commença la Mission du Pacifique sud. Dans sa jeunesse, il quitta un bon foyer dans le New Hampshire, contre la volonté de son père, et prit une couchette sur un baleinier en route pour les îles Hawaii. À Oahu, il déserta le navire et passa six mois dans l’île en 1822, à travailler pour un des principaux marchands et à apprendre quelques rudiments de la langue. Afin d’assouvir sa soif de voyages et son amour de la mer, il passa les dix années suivantes à naviguer dans le Pacifique, l’Atlantique, les Caraïbes et la Méditerranée sur des baleiniers, des navires marchands et des bâtiments faisant le cabotage. En 1831, il épousa Louisa Barnes et s’installa à Ripley (New York) sur les rives du lac Erié, où il exploita une ferme prospère et faisait, l’été, de la navigation sur le lac. C’est là qu’en 1838 les Pratt reçurent l’Évangile, vendirent leur maison et leurs biens, prirent le chemin de l’Ouest et atteignirent, à la fin de 1841, Nauvoo (Illinois), lieu de rassemblement des convertis mormons.

C’est à Nauvoo qu’Addison Pratt et sa femme, âgés tous les deux de quarante et un ans, et quatre filles de trois à neuf ans, s’installèrent. Pratt y acquit une renommée pour son expérience de la mer. On raconte qu’il travaillait un jour sur le temple et parla avec le prophète, Joseph Smith. Il parla de l’époque où il était à Oahu et dit à quel point les habitants d’Hawaii lui rappelaient les indiens américains. L’appel qu’il reçut plus tard a peut-être son origine dans cette conversation ; il y a eu d’autres suggestions. Le 28 mars 1843, il reçut sa bénédiction patriarcale de Hyrum Smith :

« La prêtrise… sera une bénédiction sur ta tête… et tu iras et viendras sur la face de la terre… ton témoignage t’amènera à l’endroit de l’onction, et tes vêtements seront purs du sang de cette génération, et tu recevras l’onction et la dotation… Tes actes seront écrits dans les chroniques de tes frères… ton nom sera perpétué… de génération en génération… et tenu en honneur jusqu’à la toute dernière génération. »

Après la bénédiction, le patriarche lui dit : « Je crois qu’il vous faut aller à la pêche à la baleine. » L’appel en mission lui parvint le mois suivant.

Le 11 mai, les Douze se réunirent au bureau de Joseph Smith et votèrent qu’Addison Pratt, Knowlton F. Hanks, Noah Rogers et Benjamin F. Grouard devaient aller en mission aux îles Sandwich. » Douze jours plus tard, les missionnaires se réunissaient de nouveau avec les Douze, recevaient des instructions et étaient ordonnés et mis à part. Brigham Young bénit Addison Pratt :

« Afin qu’il soit un messager rapide auprès des nations de la terre, ait pouvoir sur les éléments et ne craigne pas quand les tempêtes se lèvent : N’agis pas avec précipitation ni avec passion, mais reconnais ce qu’il y a de bon en tous, là où tu les trouves ; et ils te porteront et te donneront des présents, etc. ; tu auras pouvoir sur l’équipage des navires et tu reviendras dans ce pays et te réjouiras avec ta famille, si tu es fidèle. »

Benjamin F. Grouard était tout désigné pour cette mission. Comme Pratt, c’était un marin expérimenté. Il était parti de chez lui alors qu’il n’était « qu’un garçon de quatorze ans casse-cou et turbulent » et avait navigué un peu partout dans le monde sur des bateaux américains. Marin de valeur, mécanicien adroit (comme les événements futurs allaient le prouver), il participa à la construction de la chaudière du premier cuirassé américain. Il s’était marié, était devenu membre de l’Église à l’automne de 1841, avait passé le printemps et l’été de 1842 à Nauvoo et, pendant l’automne et l’hiver de 1842-43, était parti en mission dans l’ouest de la Pennsylvanie. En mai 1843, il était de retour à Nauvoo. À vingt-quatre ans, c’était un bel homme, un homme intelligent, sérieux et studieux. Il fut un compagnon énergique, plein de ressources, un excellent compagnon. Pratt et Grouard connaissaient la mer et étaient par conséquent prêts à passer patiemment les jours et les mois d’un long voyage et d’une mission encore plus longue en tant que marins devenus missionnaires parmi un peuple de navigateurs.

Noah Rogers, qui avait alors quarante-six ans, fut nommé président de la Mission. C’était celui qui avait la plus longue expérience de l’Église. Il avait été ordonné grand prêtre et avait connu les persécutions. Il était entré dans l’Église en février 1837 et n’était allé au Missouri en 1838 que pour en être expulsé. Il s’installa à Nauvoo avec sa femme et neuf enfants de cinq à vingt et un ans. Il y fut enlevé par des Missouriens et mis aux fers en prison. Il échappa de peu à la mort.

Le quatrième membre du groupe était Knowlton F. Hanks, un jeune homme de vingt-sept ans, célibataire et affligé de phtisie, ou tuberculose pulmonaire. Sa santé était une source d’inquiétude et on pensait qu’un voyage en mer serait le meilleur remède.

Les missionnaires quittèrent Nauvoo le 1er juin 1843 et se rendirent à New Bedford, Massachussetts, centre de l’industrie baleinière américaine, où ils embarquèrent sur le baleinier Timoleon pour les îles de la Société. Les saints de New Bedford et de Boston apportèrent leur quote-part au prix du voyage et celui-ci fut rendu possible par le don final de 300 dollars fait par P. B. Lewis.

Le Timoleon appareilla le 9 octobre 1843. Le navire n’était pas en mer d’un mois qu’Elder Hanks mourait et était enseveli dans les flots. Le navire traversa l’Atlantique, fit le tour du Cap de Bonne-Espérance, traversa l’océan indien, longea la côte sud de l’Australie et entra dans le Pacifique. Au cours de cette traversée longue et monotone de sept mois, on toucha à terre à deux reprises. Les anciens eurent largement le temps de lire, d’étudier et de s’instruire mutuellement sur les thèmes de l’Évangile. Le 30 avril, ils accostèrent pour la première fois en Polynésie, à l’île de Tubuai, à six cent cinquante kilomètres au sud de Tahiti dans les îles de la Société.

Dès que les habitants de l’île apprirent qu’il y avait des missionnaires à bord, ils réclamèrent à cor et à cri que l’un d’eux reste parmi eux. Les frères furent tellement frappés par la bonté, l’hospitalité et le caractère religieux du peuple qu’ils estimèrent que ce serait négliger leur devoir que de ne pas accéder à leur demande. En conséquence, ce fut Addison Pratt, qui « paraissait le plus vivement désireux, » qui fut choisi pour rester là. Le Timoleon quitta Tubuai le 9 mai et aborda six jours plus tard à Papeete (Tahiti).

Le climat politique et religieux fut à la fois du goût des missionnaires et un sujet de détresse pour eux. Au lieu d’être un paradis comme en rêvaient les romantiques, les îles étaient sur pied de guerre. Les forces françaises combattaient les Tahitiens afin de conquérir les îles. Les missionnaires anglais excitaient les insulaires contre les Français. Bien que la France eût des objectifs impérialistes (elle avait besoin de bases pour son empire), le conflit avait également pour objet la liberté religieuse. La guerre à Tahiti rendait l’œuvre missionnaire impossible, et pourtant ce furent les décrets des Français qui permirent aux saints des derniers jours de pénétrer dans les îles, contrairement aux visées des missionnaires anglais.

La London Missionary Society (LMS), installée dans les îles depuis 1797, considérait qu’elle représentait les intérêts anglais et exerçait une influence politique considérable sur le gouvernement local. Il faut toutefois reconnaître que les missionnaires de la LMS avaient de belles réalisations à leur crédit. Ils avaient appris le tahitien et l’avaient mis par écrit, en assurant ainsi la conservation. Ils avaient traduit beaucoup de textes chrétiens en tahitien. Des abécédaires, des catéchismes, des cantiques, des extraits des Ecritures et, dès 1835, la Bible tout entière, dont les premiers exemplaires imprimés étaient arrivés à Tahiti en septembre 1840. Ils avaient appris à la population à lire. Le paganisme était brisé, les infanticides et les sacrifices humains avaient été abolis et les idoles anciennes avaient été détruites à partir de 1816 environ.

Les maraes – des lieux de culte sacrés, des autels pour les sacrifices et les prières – étaient abandonnés, si pas démolis, les tabous étaient en grande partie éliminés, des maisons avaient été construites et étaient occupées par des familles (cela pour mettre fin à la pratique de dormir en communauté), les danses polynésiennes avaient été interdites (on les considérait comme trop suggestives), la promiscuité sexuelle avait été réduite, la polygamie était éliminée et des lois avaient été décrétées contre l’importation et l’usage d’alcool parmi les chrétiens, des écoles et des églises avaient été établies, le premier baptême avait été accompli en 1819 ; c’est ainsi que la christianisation avait progressé à partir de 1820. Les missionnaires anglais avaient également introduit les institutions politiques et juridiques anglaises. Ils étaient à juste titre fiers et jaloux de leurs réalisations et tenaient à protéger leur domaine.


Ce fut cette attitude protectionniste et des rapports extrêmement étroits entre les services missionnaires et les fonctions politiques qui furent à l’origine du conflit entre les Anglais, les Français et les Tahitiens. Le consul britannique, ancien missionnaire de la LMS, exerça une forte influence sur la reine Pomare IV pour qu’elle adopte une politique antifrançaise et anticatholique. Le conflit se déclencha lorsqu’en 1836, deux prêtres catholiques français abordèrent dans les îles de la Société et furent expulsés sur ordre de la reine Pomare IV. La France intercéda pour protéger ses citoyens et, par une série d’interventions entre 1838 et 1842, installa un protectorat sur les îles, avec l’accord des Britanniques. La plupart des missionnaires anglais quittèrent les îles de la Société. Parmi les autres, les uns accordèrent leur soutien au protectorat tandis que d’autres excitaient les insulaires en leur promettant des armes anglaises pour les soutenir contre les Français. Cette aide ne fut pas donnée et un conflit armé éclata le 21 mars 1844 entre les forces tahitiennes et françaises et dura plus de deux ans jusqu’en décembre 1846. La fin de la guerre fut célébrée le 7 janvier 1847.

L'état de guerre n'était pas propice à l'oeuvre missionnaire, car les gens avaient l'esprit trop occupé par le conflit. Néanmoins l'arrivée des Français et l'installation du protectorat en 1842 furent favorables à l'entrée des missionnaires mormons dans les îles. En proclamant la liberté religieuse pour les catholiques, les Français proclamaient la liberté religieuse pour tous. Le document du 9 septembre 1842, signé par la reine Pomare, disait entre autres :

« 4. Le peuple sera libre de considérer Dieu selon ses désirs.

« 5. Les Églises des missionnaires britanniques qui existent actuellement ne seront pas molestées et les missionnaires britanniques s’acquitteront de leurs fonctions. Il en va de même pour toutes les autres personnes, elles ne seront pas molestées pour leur attitude vis-à-vis de Dieu. »

La tolérance religieuse était arrivée, permettant l’installation du catholicisme, religion nationale des Français. Elle permettait aussi l’entrée légale des mormons dans les îles de la Société. Si le gouvernement tahitien avait été au pouvoir, sous l’influence britannique, les mormons auraient été expulsés aussi rapidement que les prêtres catholiques, et la Mission mormone aurait pris fin avant même d’avoir commencé.

Les anciens se trouvaient néanmoins face à des problèmes. Les Tahitiens ne s’intéressaient qu’à mettre fin à la guerre. Les missionnaires anglais excluaient les mormons des seules églises qui existaient et excitaient les insulaires contre eux. Puis il y eut la tâche difficile d’apprendre la langue. On comprendra que les premiers convertis furent des résidents américains et anglais. Les premiers à être baptisés à Tahiti, le 10 août 1844, furent M. et Mme Seth Lincoln, des passagers du Timoleon. Les progrès furent lents. Elder Grouard comptait neuf convertis après six mois de travail. Il ordonna alors Seth Lincoln ancien et, pour la première fois à Tahiti, bénit la Sainte-Cène le 23 novembre 1844. Le président Rogers amena quelques Tahitiens à croire, mais ils ne voulurent pas obéir. « La raison qu’ils avançaient était qu’ils n’osaient pas, parce qu’ils attendaient l’aide des Anglais contre les Français et qu’ils craignaient que les missionnaires anglais n’exercent contre eux leur influence auprès du gouvernement anglais, s’ils adoptaient nos principes. »

Un peu découragé à Tahiti, le président Rogers embarqua sur un schooner pour Huahine, où il y enseigna sans succès d’octobre à janvier. Grouard quitta Tahiti à la fin de décembre, passa la Noël et le mois de janvier avec Pratt à Tubuai, puis il retourna à Tahiti.

Le premier bastion à Tubuai (1844-1845)

À l’inverse des sombres perspectives que connaissait la Mission de Tahiti, Addison Pratt découvrit, à Tubuai, une situation qui était tout à fait de son goût. Il n’y avait pas de missionnaires dans l’île, et il n’y en avait plus eu depuis très longtemps. Et la conquête française de Tahiti n’avait pas eu de répercussions aussi loin. Les habitants de Tubuai, aussi bien les chefs que les prédicateurs, insistèrent vivement pour que Pratt restât et fût leur instructeur.

Pratt constata que le sabbat était respecté, que l’on priait en privé et en public, que l’on assistait au culte religieux, que l’on demandait la bénédiction sur la nourriture, que l’on désirait apprendre à lire et que l’on se rendait à l’école. En outre, il y avait sept étrangers, américains pour la plupart, qui le reçurent bien.

Pratt fut emmené chez Nabota et sa femme Telii [Terii ?], qui l’adoptèrent comme hoa (ami) pour veiller à tous ses besoins en tout temps et dans toutes les circonstances. « Là où je vais, ils vont, là où je reste, ils restent ; ils considèrent que tout ce qu’ils ont est à moi. » Telii était une femme très habile et très informée. Elle prenait régulièrement soin de ses vêtements, les lavait, les reprisait, les amidonnait et les repassait. Pour augmenter leur réserve de nourriture, Pratt, mettant à contribution ses aptitudes au tir et à la pêche, fournissait quotidiennement au ménage des poules et des canards sauvages tués dans les collines et les marécages ou de temps en temps une anguille pêchée dans un cours d’eau proche. Certains lui donnaient du manioc à vendre comme nourriture aux navires, une truie (elle a maintenant neuf porcelets) et du tissu. Un étranger lui prêta une carabine mauresque prise par les Français à Alger, qu’il utilisait lors de ses expéditions de chasse à l’intérieur des terres. Un capitaine de navire lui donna un petit setter espagnol comme compagnon de chasse.

Dans « cette île grandement bénie et extrêmement belle et agréable, » il était traité « mieux que leurs princes. » Au cours de ses déplacements, ils le prenaient souvent sur leurs épaules et le transportaient de l’autre côté des flaques d’eau à l’aller et au retour du bateau, ne voulant pas qu’il se mouille les pieds. La seule chose qui lui gâchait son séjour, c’était la solitude et l’absence de toute communication avec sa famille et avec l’Église. « Qui aurait pu me décrire les beautés de cette île, la salubrité de son climat, l’abondante diversité de ses fruits tropicaux, la luxuriance de son sol, l’abondance de son gibier, comme les chèvres… (qui) fourmillent par milliers dans les montagnes ; dans les marécages, il y a des nuées de canards et dans les forêts des poules sauvages en abondance. » Et dans les limites du récif corallien, d’une beauté fantastique, la lagune, « lisse comme un étang et claire comme le cristal, » abondait en excellents poissons.


Pour mieux apprendre la langue aussi parfaitement et aussi rapidement que possible, il quitta le village portuaire de Mataura pour s’installer à Mahu, village plus petit du côté sud de l’île, où il serait loin des étrangers et serait obligé de ne parler et de n’entendre que le tahitien. Le roi Tamatoa lui fournit une brochure anglais-tahitien ; la traduction de la Bible par la London Missionary Society l’aida beaucoup également, également, même s’il en vint à considérer la traduction comme imparfaite. L’apprentissage d’une langue étrangère, écrit-il, « n’a rien d’agréable, je peux l’assurer ». « Ce que nous avons pu apprendre de la langue, nous l’avons appris en étudiant dur et non par le ‘don des langues’. » Au bout de cinq ou six mois, « Paraita » (nom tahitien de Pratt) faisait des sermons en public et en tahitien avec « une certaine compétence. »

Dès le début, Pratt se familiarisa avec les coutumes locales et il vécut avec les insulaires comme instructeur, pour enseigner et être instruit. Il allait à leurs écoles et aux services religieux organisés par les missionnaires locaux. Il organisait les services religieux en anglais pour les étrangers résidant dans l’île aussi bien que pour les équipages des navires qui s’arrêtaient pour s’approvisionner. Et, avec le temps, il créa sa propre école pour les Tahitiens, jeunes et vieux. Au début, son programme consistait en des cours quotidiens, des réunions de prière, le lundi, le mercredi et le vendredi soir, et la prédication le dimanche. Le samedi, il le passait tout seul, pendant que la population était occupée à préparer la nourriture pour la semaine suivante.

Dès le mois d’août, Pratt avait décidé de répartir ses efforts entre les deux villages, Mataura et Mahu. Pendant plus d’un an, il alterna son enseignement entre les deux villages, passant une semaine dans chacun d’eux. Et lors des « dimanches de Sainte-Cène » mensuels, la communauté des saints des deux villages se réunissait dans l’un d’eux pour le service religieux. S’il avait eu la chance de commercer avec un navire, il avait du pain avec de la farine pour la Sainte-Cène ; en guise de vin il utilisait du lait de coco. Il éprouvait une grande satisfaction à voir ses fidèles vêtus de « vêtements blancs et propres » chanter les cantiques que Telii et lui leur avaient enseigné et exprimer une dévotion religieuse profonde et sincère. Il enseignait tous les jours les Écritures et était souvent retenu jusqu’à une heure fort avancée pour répondre à des questions concernant la Bible, et pour interpréter et expliquer des passages. Lorsqu’il soignait les malades, il unissait souvent sa foi à celle des insulaires pour pratiquer l’onction et l’imposition des mains ; pour d’autres, il appliquait les remèdes domestiques pratiqués dans l’Amérique jacksonienne ; et dans certains cas, il décidait de laisser faire la nature.


Pour l’apprentissage de la langue, il reçut l’aide de Charles Hill, un Américain, qui lui servait volontiers d’interprète. C’est d’abord par lui que Pratt enseigna le mormonisme aux Polynésiens, et il ne fallut pas longtemps pour que Hill lui-même fût converti. En fait, les premiers convertis vinrent de parmi les étrangers : Ambrose Alexander, baptisé le 16 juin, et, le 22 juillet, Charles Hill, John Layton, William F. Bowen, William Carrington et James Clark.

Pour les missionnaires anglais, c’était un grand miracle, exceptionnel dans toutes les îles du Pacifique, que six des sept marins d’une île se convertissent à la religion, et Pratt fut ému, lui aussi, de voir les larmes de repentir couler sur leurs visages burinés. « Que c’est réjouissant pour moi d’entendre des marins élever la voix pour prier ! » Les premiers convertis locaux furent Nabota et sa femme Telii, Pauma et Hamoe, la femme de Haametua, baptisée le 22 juillet 1844.

Le 29 juillet 1844 était organisée la branche de Tubuai de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours - la première dans le Pacifique - avec onze membres. Charles Hill fut ordonné ancien, John Layton prêtre, William Carrington et James Clark instructeurs et William F. Bowen et Ambrose Alexander diacres. Le dimanche 5 août, Haametua fut baptisé et le premier service de Sainte-Cène eut lieu. Le nombre de baptêmes augmenta jusqu’à ce qu’il y eût, à la fin de février 1845, soixante convertis sur une population d’environ deux cents insulaires.

Il était difficile à Addison Pratt d’éviter de s’impliquer dans une certaine mesure dans la politique des îles. Au bout de dix mois à Tubuai, il écrivit à Brigham Young :

« Le Seigneur a considérablement béni mes faibles efforts pour répandre l’Évangile. J’ai baptisé cinquante-sept personnes dans cette île… Parmi elles, il y a la reine… un vice-roi, sa femme et sa fille… le chef principal et sa femme… et plusieurs chefs subalternes ; vous voyez donc que les rênes du gouvernement sont dans l’Église, et cela m’a amené involontairement dans une situation très délicate, car si vous me permettez cette plaisanterie, je suis premier ministre de l’île. On me demande conseil pour la plupart des affaires juridiques… Je pense qu’il est sage de me tenir le plus possible à l’écart de leurs lois ; en tous cas, je pense que je n’ai rien à voir avec elles, et je leur dis souvent que je ne suis pas venu ici pour faire des lois ou pour les faire exécuter, mais pour prêcher l’Évangile de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ ; et que cela fait, je m’étais acquitté de mon devoir et que ceux qui entraient dans l’Église devraient être gouvernés par les lois de l’Église, et puis c’est tout ; mais on ne me permet pas d’en rester là, et par conséquent je dois faire du mieux que je peux. »

Se conformant aux instructions que Brigham Young lui avait données de rester dans le champ de la mission jusqu’à ce qu’il fût relayé ou relevé, Pratt vécut d’une manière simple parmi le peuple, se mettant à son niveau, apprit sa langue et l’instruisit par la parole et par l’exemple. Il adapta sa vie à celle du peuple, vivant à égalité avec lui. Il ne levait ni taxes, ni impôts. Il n’avait rien de mieux qu’eux en matière de logement ou de nourriture. Les insulaires disaient qu’ils préféraient Pratt aux missionnaires anglais, « car il se contente de vivre comme nous et de partager notre sort. Mais si vous [les missionnaires anglais] vous arrêtez ici, nous allons devoir nous mettre à vous construire des maisons où vous vivrez et où vous ferez votre cuisine, et en plus, des annexes et des porcheries, et il vous faudra tant de services que nous ne pourrons pas avoir le temps de nous occuper de nous-mêmes. » La seule chose qu’il exigeait d’eux, c’était les changements requis pour se conformer à l’Évangile.

Le succès de Pratt à Tubuai ancra la Mission et en garantit la perpétuité. Il était là seul, n’ayant rien d’autre à faire que de vivre parmi les habitants de Tubuai et les instruire. Il n’était pas prêt d’abandonner le champ de la mission et de rentrer chez lui. Son succès encouragea les Elders Rogers et Grouard à persévérer.

À partir de Tahiti

Lorsqu’en février 1845, Noah Rogers et Benjamin Grouard furent de retour à Tahiti, ils décidèrent d’aller dans des îles lointaines dans lesquelles il n’y avait pas de Missions anglaises et qui étaient à l’écart des opérations militaires. Ils se séparèrent donc le 22 avril, Grouard prenant la direction de l’est et de l’île d’Anaa dans les Tuamotu et Rogers prenant le chemin de l’ouest parmi les îles Sous-le-Vent du groupe de la Société.

La visite que Rogers fit dans les îles de l’ouest en avril, mai et juin ne fit qu’augmenter son découragement. Il toucha à Moorea, à Huahine, et ensuite à certaines des îles Cook et des îles Australes, mais n’atteignit pas Tubuai. Dans les îles où il voulait prêcher, les chefs lui apprenaient que les missionnaires anglais leur avaient interdit de recevoir des missionnaires ou des instructeurs s’ils ne leur apportaient pas des lettres de la London Missionary Society.

À la mi-juin, Rogers était de retour à Tahiti, seul, sans succès, sans aucune nouvelle de l’Église ou de sa famille, découragé. Les journaux américains apportés par les navires de passage confirmaient de vagues informations sur des troubles en Illinois et la mort de Joseph Smith. Il craignait pour ses neuf enfants laissés à Nauvoo. Lui-même avait subi des violences de la part des Missouriens en 1840. Il savait ce qui pouvait arriver. L’occasion se présentant, il prit le Three Brothers pour les États-Unis. Il arriva le 29 décembre 1845 à Nauvoo et retrouva sa famille, mais ce fut pour mourir lors de l’exode de Nauvoo au printemps.

Anaa et l’archipel des Tuamotu (1845–1847)

À l’est des îles de la Société se trouvent les atolls étroits et bas et les récifs de l’archipel des Tuamotu, qui s’étirent sur quelque quinze cents kilomètres d’eau. La terre y est rare et peu profonde et elle ne supporte pas grand-chose d’autre que le cocotier. Mais les lagunes peu profondes, alimentées par l’eau extérieure, par les interruptions entre les récifs, accueillent une foule de poissons. Ces habitants des Tuamotu ne peuvent connaître qu’une existence précaire grâce à la noix de coco, aux poissons et à quelques porcs. Pourtant ils comptent parmi les plus robustes, les plus grands, les plus forts de tous les Océaniens. Etant donné le danger qu’il y a à naviguer parmi les récifs bas et à moitié cachés et la maigre pitance qu’on pouvait leur fournir, peu d’étrangers s’y rendaient, et même les missionnaires anglais n’y faisaient que de rares visites, laissant ce qu’il y avait en fait de christianisation entre les mains des prédicateurs tahitiens.

Le premier mai 1845, Benjamin F. Grouard aborda à l’île d’Anaa, ou île de la Chaîne. Des embarcations vinrent à la rencontre de son bateau ; il s’y trouvait des chefs, bien habillés dans leurs vêtements traditionnels. En approchant du rivage, il vit la plage remplie d’insulaires qui attendaient leur arrivée, « criant et caquetant comme un troupeau de dix mille oies sauvages. » « Les cris sauvages de ces fils à moitié civilisés de l’océan » lui firent très peur et « il me semblait, écrit-il, que j’avais pour ainsi dire quitté le monde et me trouvais sur une autre planète parmi une autre espèce d’êtres humains, ou sur le point d’entrer parmi eux. » Il arriva au lieu de débarquement et sauta à terre.

« L’instant d’après j’étais entouré par deux à trois cents natifs des deux sexes et de tout âge : nus, mi-nus et vêtus, hululant, huant, riant et jacassant comme une légion de mauvais esprits. Ils me donnaient l’impression d’être farouches et sauvages ; et en entendant les cris sauvages et effrayants qu’ils poussaient et ne pouvant comprendre le moindre mot à ce qu’ils disaient, je n’étais pas du tout certain de ne pas être devenu une victime pour le sacrifice. Au bout de quelques instants, les chefs qui m’avaient amené au rivage, après avoir amarré leur embarcation, arrivèrent et me dirent en tahitien (langue qu’ils parlent quand ils le veulent) de me rendre au village. La foule des natifs me serrait autant qu’elle le pouvait sans me piétiner, aussi bien devant que derrière, et continuait à hurler sans arrêt, pour manifester sa joie. »

Arrivé chez le chef principal, Grouard fut invité à énoncer sa mission. Ce qu’il fit, disant qu’il était Américain. Les chefs dirent que leur peuple avait aimé les Américains qu’ils avaient eu parmi eux et ils voyaient donc Grouard d’un œil favorable. Le chef déclara :

« Vous êtes le premier missionnaire du pays des blancs qui ne soit jamais venu dans notre pauvre pays pour vivre parmi nous ; les missionnaires anglais de Tahiti n’ont jamais voulu venir, parce que notre pays n’a pas beaucoup de bonnes choses à manger comme ils en ont là-bas. Nous leur avons souvent demandé de venir mais ils nous demandent toujours ce que nous avons comme nourriture ; et lorsque nous disons que nous n’avons que des noix de coco, ils disent qu’ils ne peuvent pas venir, mais nous envoient un natif de Tahiti, et ceux-là, nous ne les voulons pas, car nous avons appris qu’ils sont aussi mauvais ou pires que nous. Et maintenant, puisque vous nous avez aimés au point de venir auprès de nous, nous nous sentons vraiment très heureux et nous allons essayer de vous mettre à l’aise et de vous rendre heureux. »

Grouard s’installa à Matahoa et, le dimanche suivant, 4 mai, il prêcha pour la première fois dans les Tuamotu « les premiers principes de l’Évangile, » en partant de Marc 16 :15-17. « Allez dans le monde entier et prêchez la bonne nouvelle à toute la création… »

Sur Anaa, Grouard ne trouva qu’une centaine de chrétiens sur une population « de deux à trois mille âmes, » et pour lui, « la seule différence entre eux et ceux qui n’avaient pas été baptisés était que lorsqu’un des missionnaires anglais venait recueillir les fonds annuels, ils étaient appelés frères, les autres pas. » Les observances chrétiennes parmi les baptisés « consistaient à prier, à garder le sabbat et à construire des lieux de réunions. Les actes n’étaient rien. » Ils se ressemblaient tous, « mentir, tricher, voler, se débaucher et presque n’importe quelle autre abomination n’était pas considéré comme honteux ou criminel. » Ils avaient la Bible et pouvaient la lire, mais « ils n’en connaissaient pas plus sur son contenu qu’un enfant… »

La présence d’un orometua (missionnaire, instructeur) résident, et d’un mormon américain en plus, suscita une agitation parmi les habitants d’Anaa, et Grouard passa tout son temps à recevoir, jusque tard le soir, des visiteurs dans sa petite chambre et à visiter les villages voisins. Il eut ses premiers baptêmes le 25 mai, trois semaines après son premier sermon. À partir de ce moment-là, leur nombre grandit. Le rite du baptême par immersion en amena des centaines à venir assister à la cérémonie, et les Polynésiens « aspergés » discutaient de cette « hérésie. » Le gouverneur, les chefs, les juges, aussi bien que les humbles, venaient se faire instruire auprès de lui et demandaient le baptême. Après avoir gagné ses premiers convertis dans les villages voisins, il fit une tournée d’un mois des cinq localités principales de l’île : Temarie, Tukahara, Otepipi, Putuahara et Tematahoa ou Naké. Le 1er août, à la fin de cette tournée, il avait baptisé 355 insulaires. À la date du 21 septembre, il avait organisé cinq branches avec dix-sept officiers et 620 membres honorablement connus, tout cela dans les quatre mois qui suivirent son premier baptême.

Grouard avait tant à faire que cela l’amena à demander l’aide d’Addison Pratt, qui était toujours à Tubuai. Il savait qu’une lettre risquait de ne jamais parvenir jusqu’à lui. Il décida donc d’y aller lui-même. À l’aide d’une embarcation polynésienne et d’un navire français, il arriva à Tahiti et envoya un message à Tubuai, où Pratt accéda de grand cœur à la demande et confia la branche de Tubuai à Charles Hill. Il partit pour Tahiti après des fêtes d’adieu et des dons constitués par les produits de l’île, accompagné de son hoa et de la vahiné de celui-ci, Nabota et Telii.

Pratt et Grouard restèrent un mois à Tahiti, enseignant et baptisant dans la région excentrique de Tiarei avant de pouvoir partir pour Anaa, mais ils atteignirent l’île le 3 février 1846.

La joie du peuple ne connut pas de limites lorsqu’il vit Grouard et Pratt revenir avec des amis dans leur île. Des fêtes furent organisées successivement dans chacun des villages. On respecta la pratique de Pratt à Tubuai de passer une semaine dans chacune des branches et de se rendre successivement parmi les insulaires. Pratt se mit immédiatement à créer des écoles pour les jeunes et les vieux, organisa divers services et enseigna aux saints des cantiques et des chants. Nabota et Telii aidèrent considérablement et furent bien entendu de bons compagnons.

Entre le 5 juin et le 18 septembre, Grouard et une grande foule d’amis se mirent en route dans un pahi paumotu (grand bateau à double coque) et rendirent visite aux grandes îles coralliennes situées au nord et à l’est d’Anaa. Les habitants d’Anaa, qui avaient toujours été de bons marins, les avaient précédés et avaient annoncé la visite de « Turuati. » Grouard et son groupe firent douze arrêts dans neuf ou dix îles : Faaite, Fakarava, Kaukura, Makatea, Tikehau, Rairoa (Rangiroa ou Rahiroa), Arutua, Apataki, Toau. Il baptisa dans six d’entre elles, 116 âmes en tout. Ce fut surtout dans ces îles, mais dans une moindre mesure à Anaa, que la Mission fut en contact direct avec des peuples primitifs à peine sortis du paganisme et encore bien éloignés du christianisme.

Le 24 septembre 1846, la première conférence de saints des derniers jours en Polynésie fut organisée dans l’île d’Anaa. Dix branches de l’Église y étaient représentées avec un total de 866 âmes « honorablement connues. » À cette conférence, Addison Pratt annonça aux saints qu’il était décidé à retourner vers l’Église aux États-Unis, à retrouver sa famille et à revenir en Polynésie avec d’autres missionnaires. Il quitta Anaa au milieu de novembre pour Tahiti, où il resta jusqu’à la fin de mars avant de pouvoir prendre passage pour les États-Unis. Entre-temps, il travaillait dans la région de Tiarei et créa une branche à Huuau. Avec le départ de Pratt, qui eut lieu le 28 mars 1847, la première phase de l’histoire de la Mission prit fin.

L'enseignement dispensé

L’enseignement dispensé était celui de l'Église du début de 1843. La seule documentation que possédaient les missionnaires était le Livre de Mormon, les Remarkable Visions d’Orson Pratt et la Voix d’avertissement de Parley P. Pratt. Leur petit assortiment ne tarda pas à être épuisé. Il est peu probable que le Livre de Mormon fut beaucoup utilisé comme moyen d’enseignement. Addison Pratt considérait que c’était « une lente introduction à l’œuvre. » Et, bien entendu, aucun texte mormon en tahitien ne pouvait être offert aux insulaires. Il y avait des missionnaires anglais qui approuvaient l’œuvre de Pratt et fournissaient des livres pour son école.

Le message principal des missionnaires était la croyance en Dieu, le Père éternel, en son Fils, Jésus-Christ, et au Saint-Esprit, essentiellement la doctrine du Christ, ses enseignements et son sacrifice expiatoire. Les missionnaires mettaient l’accent sur la nécessité de se conformer aux enseignements fondamentaux du Christ. Il était, bien entendu, essentiel de croire aux enseignements distincts de Joseph Smith, le prophète : le rétablissement de l’autorité divine, le rétablissement des enseignements et de l’organisation du christianisme primitif avec les mêmes dons, les mêmes pouvoirs et les mêmes bénédictions, et le fonctionnement d’une prêtrise laïque dans les assemblées de saints officiellement constituées.

Il était souvent fait allusion à l’enseignement des « premiers principes de l’Évangile, » c’est-à-dire la foi, le repentir, le baptême par immersion et l’imposition des mains pour le don du Saint-Esprit. Les missionnaires anglais pratiquaient l’aspersion. Les Polynésiens n’avaient jamais vu de baptêmes par immersion, c’est pourquoi, à certains moments, des centaines d’insulaires se rendaient à la plage pour assister à cette ordonnance.

Les enseignements et les pratiques des saints des derniers jours se distinguaient aussi par la Parole de sagesse, c’est-à-dire l’abstinence d’alcool et de tabac. L’alcool était un fléau des Polynésiens, et certains insulaires avaient légiféré contre son importation, mais la tentation était presque omniprésente. À Anaa, lorsque Grouard expliqua que l’usage du tabac était contraire à la volonté du Seigneur, le peuple y renonça, manifestant la ferme résolution de ne jamais plus en prendre. Les missionnaires mormons firent du respect de la Parole de sagesse une des conditions pour être membre de l'Église.

Une autre condition pour être membre de l’Église était la chasteté. Addison Pratt écrit que « le péché de luxure est le péché flagrant de ces îles et ils commencent quand ils sont petits. Je ne cesse pas un seul instant de les mettre en garde contre ce péché, tant les vieux que les jeunes. » Grouard considérait la luxure comme « une abomination aussi naturelle pour eux que la respiration, une vieille pratique païenne. »

Les mormons étaient d’accord avec l’interdiction des danses tahitiennes imposée par les Anglais. Pratt écrivit le 19 juillet 1846 : « Le soir, j’ai jugé et suspendu des membres pour avoir dansé et fumé, ce qui est contraire aux règles de l’Église ; en outre, la danse n’est pas autorisée hors de l’Église. » Plus tard, sous les Français, les lois se relâchèrent et les danses réapparurent.

Si la danse était interdite, le chant était encouragé. Addison Pratt passa beaucoup de temps à enseigner des cantiques et à en traduire les paroles :

« Tous les habitants des îles du Pacifique ont le grand désir d’apprendre la musique des Psaumes et des cantiques. Ils ont une voix très forte et très claire, pas très haute, pas très basse. Ils n’ont pas cette aptitude à la musique qui est si naturelle chez les Africains, mais ils ont une oreille musicale qui leur est propre. Ils gardent remarquablement la mesure en chantant les différentes voix. Ils n’attrapent pas les sons rapidement, mais une fois qu’ils ont appris un air, ils ne se lassent pas de le chanter, se réunissent chez un voisin le soir et chantent sans arrêt le nouvel air jusqu’à minuit. À cause de cela ils ennuient beaucoup Elder Grouard, car il n’a pas beaucoup de patience pour enseigner un air, et ils me font souvent venir de son côté de l’île pour leur apprendre des airs. Mais je suis beaucoup soulagé dans cette tâche par sœur Telii, à qui j’avais appris beaucoup d’airs avant de quitter Tubuai. Et tant que son répertoire n’est pas épuisé, ils me laisseront relativement tranquille. »

Dans son récit quotidien, Pratt parle de nombreuses fois d’imposition des mains aux malades, surtout à Anaa dans les Tuamotu et à Tiarei à Tahiti. Ces témoignages de guérison des malades par son imposition des mains sont nombreux. Mais chaque fois qu’il sentait qu’il y avait un manque de foi, il refusait de donner une bénédiction par ce moyen-là.

Dans l’île d’Anaa, les anciens rencontraient un problème spécial en ce qui concerne la santé des membres : leur corps était possédé par des varua ino (de mauvais esprits). En juillet 1845, Elder Grouard fut appelé au chevet d’une sœur malade.

« Je ris lorsque le messager me dit qu’elle était possédée d’un démon, mais il m’assura que c’était vrai et me supplia de me hâter. Sachant les natifs très superstitieux et n’ayant jamais vu quelqu’un effectivement possédé par un démon, je n’y croyais pas, mais pensai que la personne avait été saisie d’une douleur violente, une colique ou quelque chose de ce genre : mais lorsque j’arrivai à l’endroit où se trouvait cette personne, j’éprouvai une sensation qui me dit qu’il s’agissait d’autre chose que d’une colique. Je n’avais encore jamais vu un spectacle pareil, et cela me secoua ; mais après avoir contemplé quelques minutes cette personne, la crainte me quitta ; je posai alors les mains sur elle et au nom de Jésus-Christ je réprimandai le mauvais esprit et il la quitta immédiatement. Elle se leva, ayant tous ses esprits, et demanda à boire, et au bout de quelques minutes, elle était mieux que jamais. »

Elder Pratt connut des expériences semblables peu après avoir abordé à Tubuai, attestant que l’Église moderne a les mêmes dons que l’Église primitive :

« Aujourd’hui [23 novembre 1844], j’ai administré de l’huile consacrée à frère Pilot. Il était malade depuis plusieurs jours d’une affection rhumatismale dans les jambes et les pieds. Ils étaient considérablement gonflés et très douloureux. Ils avaient été soignés par le médecin natif, mais il disait qu’ils n’allaient pas mieux. Avant de faire l’imposition des mains, je lui demandai s’il était disposé à se passer des soins médicaux et à mettre sa confiance dans le Seigneur. Il dit que oui. Je commençai par lui laver soigneusement les pieds dans de l’eau froide, puis les oignis et leur imposai les mains. Je passai le voir le lendemain matin et le genou et le pied qui étaient le plus enflés et le plus douloureux étaient tout à fait rétablis, mais il restait un peu de douleur dans l’autre, bien que cela allât beaucoup mieux. »

Les cas impliquant des varua ino (mauvais esprits) apparaissaient plus souvent dans les Tuamotu ; néanmoins, Elder Pratt, à Tubuai et à Tahiti, eut beaucoup de témoignages de l’efficacité de la puissance de la foi pour guérir par l’onction d’huile et la bénédiction par l’imposition des mains.

Un des enseignements positifs et pratiques des missionnaires mormons était la morale du travail. Un fonctionnaire du gouvernement d’Anaa demanda à Elder Grouard : « Si quelqu’un entre dans votre Église, doit-il quitter quitter son travail ? Non, dis-je, au contraire, il doit devenir plus industrieux. Comment ? demanda-t-il. Peut-on faire n’importe quelle sorte de travail ? Oui, dis-je, pourvu que ce soit honnête. Bon, dit-il, j’ai un poste au gouvernement ; si j’étais baptisé, qu’est-ce que j’en ferais, le quitter ? Non, dis-je, mais vous devriez être plus attentif et plus diligent à remplir vos fonctions en vérité et en justice. »

Addison Pratt enseigna la doctrine du rassemblement et de l’établissement d’une Sion sur le continent américain. Les insulaires étaient disposés à y aller, mais ils n’en avaient pas les moyens, et la lettre d’Elder Pratt à Brigham Young recommandant que l’on désigne un lieu de rassemblement ne reçut pas de réponse. Malgré cela, les saints envisageaient une Sion insulaire et commencèrent peut-être à se rassembler, car un missionnaire anglais fit la remarque :  « Ils se déversent en grand nombre sur nos avant-postes… [nombre illisible] hommes, femmes et enfants ont abordé à Tubuai et ont obtenu du gouverneur la permission de s’y installer pour lancer une entreprise agricole. »

Un très petit nombre d’allusions faites au passage montre que les missionnaires connaissaient bien les grands points de la doctrine de l’Église et que les insulaires furent initiés à ces principes : « l’apostasie de l’Église primitive »… « la ‘dispensation de la plénitude des temps’ que nous vivons maintenant »… les « prophètes » de nos jours… que les saints des derniers jours « ne dépendent pas totalement de la Bible pour obtenir leur connaissance, mais qu’ils ont aussi une parole plus certaine de la prophétie »… le Livre de Mormon et par conséquent le rétablissement de l’autorité divine (bien qu’elle ne soit pas mentionnée comme telle) et une prêtrise laïque (fonctionnant dans les branches officiellement établies dans l’Église).

Si rien ne prouve que les anciens aient enseigné les principes relatifs au temple et au salut pour les morts, il faut remarquer qu’Addison Pratt fut baptisé pour certains de ses parents décédés avant de quitter Nauvoo. Les missionnaires étaient au courant de la question, comme le montre l’inscription dans le journal de Grouard dans laquelle il se lamente de ne pas avoir de nouvelles de l’Église, surtout à « une époque d’un intérêt si intense où tant de choses sont attendues : le ‘temple’, la ‘dotation’, la prospérité et l’adversité de l’œuvre grande et glorieuse qu’est la nôtre. » À aucun moment le mariage plural des saints des derniers jours ne fut enseigné en Polynésie.

Le succès des missionnaires

Quel a été le succès des missionnaires ? Tubuai et les Tuamotu furent les centres qui connurent le plus grand succès. La plupart des insulaires furent convertis à l’Église. Il y eut à coup sûr des retours aux anciennes pratiques. Si un navire visiteur restait longtemps, il y avait récidive. Puis il y en eut qui se lassèrent, tout simplement. Addison Pratt écrit : « Encore une femme qui a voulu que son nom soit rayé des registres de l’Église. Elle a dit qu’elle était fatiguée d’essayer de servir le Seigneur. Elle a dit qu’elle voulait aller servir le diable de tout son cœur. Et ces natifs savent comment le faire de toutes leurs forces. »

Mais les succès dépassèrent de loin les échecs. Pratt et Benjamin Grouard auraient été heureux d’entendre les compliments faits par d’autres sur leur œuvre. George Platt, missionnaire anglais, écrivit en mai 1855 (trois ans après que les missionnaires mormons eussent quitté le champ de la mission) : « Le groupe de Paumotu semble totalement livré aux mormons. Et les prêtres [catholiques]… les mormons et les prêtres, n’ont pas d’autres livres pour enseigner que les nôtres. J’ai souhaité qu’ils soient bien équipés en livres, car les mormons leur enseignent à lire. » William Howe, un autre missionnaire anglais, passa à Tubuai en l’absence de Pratt et de Grouard : « Il faut que je dise ici qu’il y a trois étrangers, deux Américains et un Anglais, qui habitent dans l’île et dont la conduite est tellement excellente qu’elle a le plus heureux des effets sur la population. Ce que je dis là est tout à fait exceptionnel, mais c’est une constatation qui me ravit, et je prie avec ferveur pour que ce genre de cas se multiplie. » Enfin, un capitaine de navire chevronné, missionnaire anglais et consul américain, dit à Pratt en septembre 1846 : « Ils ont dit qu’on n’avait jamais entrepris de mission dans l’océan Pacifique qui ait rencontré autant de succès que celle-ci et que, compte tenu des moyens dont nous disposions et de l’encouragement que nous recevions de chez nous, c’était un miracle. »


2. Les premiers bastions (1850–1852)

En dépit de leur succès, les Elders Addison Pratt et Benjamin Grouard étaient hantés par une question restée sans réponse : Pourquoi l’Église n’avait-elle pas écrit et ne leur avait-elle pas envoyé l’aide ou le relais promis ? Brigham Young leur avait dit de rester dans les îles jusqu’à ce qu’ils soient relevés ou relayés, mais ces missionnaires isolés n’avaient reçu ni nouvelles, ni relève, ni aide de la part de l’Église. Ils savaient qu’elle avait de graves ennuis. Les navires de passage répercutaient des rumeurs qui donnaient lieu à de grandes craintes pour la sécurité de leur famille et de l’Église à Nauvoo.

Le 5 mars 1846, les Elders Pratt et Grouard reçurent leur première lettre des Douze, de Wilford Woodruff, écrite en novembre 1844 à Nauvoo. Sur le même navire arrivaient les journaux américains de 1845 qui parlaient des menaces de violence et d’expulsion à l’égard des saints de Nauvoo.

En lisant la lettre de Wilford Woodruff, Grouard tira la conclusion que sa femme était retournée à Philadelphie, où il l’avait rencontrée et épousée, et qu’elle l’avait quitté, ainsi que l’Église, et était retournée à son ancien mode de vie. Maintenant qu’il était attaché à son champ de mission, il décida - puisque « il n’est pas bon que l’homme soit seul » - de se marier et de rester dans les îles. Par conséquent, à la mi-avril, il prit Tearo, une jeune Polynésienne, pour épouse. Selon Pratt, c’était « une membre de l’Église, la jeune fille la plus jolie et la meilleure de l’île une pierre brute faite du marbre le plus fin dont la forme est distinguée. » Quant à Pratt, il décida de retourner en Amérique pour retrouver sa famille et obtenir le soutien nécessaire pour la Mission.

Le retour d’Addison Pratt aux États-Unis, 1847-1850 Il fallut trois ans à Addison Pratt pour se rendre aux États-Unis et revenir ensuite dans les îles avec des renforts. Il quitta Papeete le 28 mars 1847. De juin 1847 jusqu’à l’été de 1848, il demeura en Californie à attendre l’information officielle qui lui permettrait de trouver le lieu de rassemblement des saints. Il finit par arriver dans la vallée du lac Salé le 28 septembre 1848, une semaine après que sa famille y fût parvenue de Winter Quarters. Aucun d’eux ne s’attendait à ces heureuses retrouvailles cinq ans et quatre mois après leur séparation à Nauvoo. Le 15 octobre, Elder Pratt présenta à la conférence la lettre que Benjamin Grouard et lui avaient écrite le 19 octobre 1846 à Anaa, qui faisait rapport sur la Mission et demandait de l’aide. Un soutien immédiat fut promis. La conférence vota à l’unanimité « qu’Elder Pratt retourne dans les îles, accompagné par les anciens qui seront désignés plus tard. »

Au mois de juin ou de juillet 1849, un groupe de missionnaires était prêt à partir pour Tahiti, mais il se produisit des retards dus à l’afflux des prospecteurs d’or et de bruits de troubles avec les indiens sur l’itinéraire terrestre. Néanmoins il fallait immédiatement soulager Grouard. Par conséquent, Addison Pratt et James S. Brown, un jeune vétéran du bataillon mormon dans la guerre du Mexique, quittèrent, le 2 octobre, la vallée du lac Salé avec une compagnie de prospecteurs d’or dirigés par Jefferson Hunt, prirent la route de la Californie par l’itinéraire du sud, arrivèrent au début de l’année suivante à San Francisco, s’embarquèrent pour les îles et arrivèrent le 24 mai 1850 à Papeete.

Selon les dispositions prises, une deuxième compagnie d’hommes et de familles quitta la vallée du lac Salé pour les îles de la Société. Il y avait en tout vingt et une personnes, dont sept anciens qui allaient prêcher. Ces familles missionnaires, en compagnie d’autres émigrants, quittèrent la vallée le 7 mai, prirent l’itinéraire terrestre jusqu’à Sacramento et San Francisco, quittèrent ce dernier port en septembre et arrivèrent le 21 octobre 1850 dans l’île de Tubuai.

Certains de ces nouveaux arrivants ne restèrent pas longtemps dans les îles, mais malgré tout, la force missionnaire fut agrandie et revitalisée. Les plus actifs furent les familles Pratt et Crosby, James S. Brown, Sidney Alvarus Hanks, Simeon A. Dunn, Julian Moses et les insulaires Thomas Whitaker, John Hawkins, Ambrose Alexander et John Layton. Ces missionnaires édifièrent sur les fondements posés par Elder Grouard.

Benjamin F. Grouard, missionnaire solitaire (1847-1850)

Pendant l’absence d’Addison Pratt, Benjamin F. Grouard passa la plus grande partie de son temps à Tahiti et à Tubuai. Il travailla en collaboration avec John Hawkins, qui étendit l’œuvre pionnière de Grouard dans les Tuamotu. Des anciens polynésiens fonctionnaient dans les branches de chacun des groupes. Pendant qu’ils étaient en mer en route pour Tubuai, Tearo, femme de Grouard, mourut, lui laissant une petite fille, Sophronia. Grouard épousa alors Nahina, fille d’un chef d’Anaa, qui lui donna trois fils.

Elder Grouard passa beaucoup de temps à régler le problème du transport d’une île à l’autre. Pendant qu’ils étaient à Tahiti, Hill et lui construisirent un bateau, l’Anaura sur le modèle d’un baleinier mais plus grand et muni d’un pont. À Tubuai, on construisit un autre navire, le Messenger, pour le profit de l’Église, mais par suite d’une mauvaise gestion, il fallut le vendre pour payer les dettes encourues, et le bateau devint la possession du roi Tamatoa. Lorsque Pratt arriva à Tahiti, Grouard était à Tubuai, occupé à construire un autre bateau à usage missionnaire, un bateau jaugeant quatre-vingts tonneaux, avec douze couchettes doubles dans une cabine spacieuse construite en tamanu, acajou durable de l’île.

La deuxième phase (1850-1852)

La période s’étendant de l’arrivée à Tahiti d’Addison Pratt et de James Brown en mai 1850 et la fin de l’année fut une période de retards et de malentendus. Lorsque Pratt arriva à terre, il obtint le permis de séjour habituel, alla jusqu’à sa petite branche à Huuau, au-delà de la pointe Vénus, et mit Brown au courant des gens, de la langue et de l’œuvre. Mais au début de juillet, Benjamin Grouard arriva inopinément à Papeete pour être jugé par le gouvernement sur des accusations non spécifiées. Il répondit à toutes les questions et il lui fut permis de retourner à Tubuai, mais il fut interdit à Pratt et à Brown de quitter Tahiti et de prêcher, et on leur dit d’attendre le bon plaisir du gouverneur. Après une longue attente, ils introduisirent de nouveau une demande. Le gouverneur leur dit simplement que tout ce qu’il voulait d’eux et des autres, c’était un rapport écrit concernant leurs enseignements, leur foi et leurs pratiques pour lui permettre de juger s’ils devaient être exclus des îles du protectorat ou recevoir une liberté totale sous la protection du gouvernement français. Les missionnaires s’exécutèrent et, le 6 novembre, une déclaration lui était envoyée.

Le gouverneur posa alors les questions suivantes :

Quels sont les moyens de subsistance des mormons ?
Qui donne aux mormons de la Société le pouvoir de constituer une organisation ?
Quelles sont les formes de gouvernement et de discipline qui régissent la société ?
Quelle garantie de moralité et de bonne conduite exige-t-elle des membres désignés comme missionnaires auprès des étrangers ?
Quelle garantie exigent-ils avant de conférer des titres et des fonctions aux natifs ?
Quels devoirs exigent-ils des étrangers ou des membres natifs, non compris le dogme religieux, dont je ne m’occuperai pas ?
Combien de services religieux organisent-ils hebdomadairement et mensuellement ?
Quelle moralité les mormons prêchent-ils ?

Une fois que ces questions eurent été posées et qu’il eut reçu une réponse satisfaisante, le gouverneur leur donna la permission de résider dans les îles du Protectorat avec le droit à la protection française en se conformant aux lois du pays. Le gouverneur imposa les conditions et les garanties suivantes :

« 1. Les missionnaires mormons se contenteront de prêcher leur religion sans se mêler, sous quelque prétexte que ce soit, aux affaires politiques ou civiles.

« 2. Ils s’abstiendront de parler en chaire contre la religion établie dans les îles du Protectorat et contre les lois et les décrets émanant des autorités.

« 3. Ils ne lèveront aucun impôt, que ce soit sous forme d’argent, de travail, de provisions ou de matériel, sur les habitants des îles du Protectorat.

« 4. Ils n’infligeront de pénalité à personne, que ce soit en argent, en travail, en provisions ou en matériel, en cas de non-respect des règles de la religion qu’ils prêchent

« 5. Ils ne peuvent acquérir de terres au nom de la société sans l’approbation du gouvernement du Protectorat.

« 6. Nul ne peut être autorisé à se joindre à eux en tant que missionnaire mormon dans les îles de la Société sans avoir signé une attestation selon laquelle il souscrit à la présente déclaration En outre, il est de mon devoir de les informer que lorsqu’ils sont constitués en société, ils ne peuvent tenir aucune réunion (sauf le jour officiellement connu comme jour de prière et de prédication) sans la permission des autorités, sous peine d’être poursuivis selon la loi. »

Les missionnaires répondirent en affirmant que :

« 3. Nous exigeons d’eux [les membres de l’Église] qu’ils soient strictement vertueux dans tous les sens du terme, observant les lois du pays où ils demeurent, et nous leur enseignons cela…

« 6. Nous n’avons pas de moment fixé pour le service religieux à part le sabbat. Nous organisons deux conférences par an. À part cela, nous nous soumettons à la volonté du peuple.

« 7. Nous prêchons au peuple et l’exhortons à garder tous les commandements de Dieu et à obéir strictement aux lois du pays où il réside. »

Les réponses faites aux questions satisfirent le gouverneur, et les mormons les signèrent pour manifester leur volonté de respecter les règles imposées par le gouverneur concernant leur séjour. Le nouveau permis de séjour disait explicitement que le missionnaire attestait qu’il « a[vait] les moyens de pourvoir à sa subsistance pendant son séjour à Tahiti. » En d’autres termes, aucun étranger ne pourrait plus vivre aux frais des insulaires et il était interdit aux insulaires d’entretenir les étrangers. Cette nouvelle politique allait créer quelques difficultés aux mormons.

Le 28 janvier 1851, Addison Pratt retrouva sa famille à Tubuai, après l’avoir vue pour la dernière fois en octobre 1849, dans la vallée du lac Salé. Pratt exposa alors les restrictions gouvernementales aux chefs locaux. Les chefs convoquèrent un conseil, décidèrent que les missionnaires seraient les bienvenus, que les insulaires les aideraient à construire des maisons et qu’ils auraient la faculté d’occuper les terres dont ils avaient besoin pour leurs cultures. Les permis français en main et leur protection assurée, les missionnaires mormons s’attelèrent plus vigoureusement à l’achèvement du bateau. Grouard s’occupa de la plupart des pièces métalliques. Jonathan Crosby, beau-frère d’Elder Pratt, aida les autres pour la menuiserie. Pratt fit les voiles. Américains et Polynésiens obtinrent, par leur investissement en travail, une part de la valeur du bateau.

Le bateau missionnaire baptisé Ravaai (le pêcheur), fut terminé à la mi-avril et lancé entre le 18 et le 21 mai. Il n’y avait pas assez de membres de l’Église à Tubuai pour tirer si loin un vaisseau aussi lourd, et les missionnaires durent demander l’aide des insulaires. Mais les non-mormons refusèrent d’aider s’ils ne pouvaient pas organiser une danse et une fête traditionnelles au moment du lancement. Les missionnaires acceptèrent, et les insulaires profitèrent au maximum de la situation, prolongeant le lancement de quatre jours. Ils dansaient, tiraient le navire et festoyaient autour. Le Ravaai pouvait maintenant jouer un rôle central dans la Mission, la soutenant de deux manières : en transportant les anciens d’une île à l’autre, selon que le justifiaient les nécessités et les succès, et faisant du commerce entre les îles pour assurer la dépendance financière.

Une fois le Ravaai lancé, Elder Pratt organisa des conférences à Tubuai (4 mai) et à Huuau, dans l’île de Tahiti (18 mai), au cours desquelles des tâches missionnaires furent données. Thomas Tompkins fut chargé d’aller en Californie obtenir un soutien financier pour la Mission pour répondre aux exigences des Français, obtenir davantage de missionnaires et chercher un lieu de rassemblement en Basse-Californie pour les saints de Polynésie. Il fut voté que Thomas Whitaker présiderait les affaires de l’Église à Tahiti et à Moorea, aidé de Julian Moses et de deux anciens locaux. John Hawkins fut désigné pour présider les affaires de l’Église dans les Tuamotu assisté de James Brown, Simeon A. Dunn et Sidney Alvarus Hanks. Ces dispositions mirent les nouveaux missionnaires avec des étrangers convertis, des hommes ayant des épouses polynésiennes et étant eux-mêmes des résidents à moitié polynésiens – qui connaissaient la langue et le peuple. Les Elders Pratt et Crosby devaient diriger les affaires de l’Église à Tubuai et rendre visite aux îles voisines des Australes. Grouard fut désigné comme capitaine du Ravaai. Il allait transporter les missionnaires selon les nécessités et transporterait en même temps des porcs, du bétail, du jus de citron vert et les produits d’une île à l’autre selon les contrats passés périodiquement.

Ce type d’activités se poursuivit pendant plusieurs mois. Brown et Hanks travaillèrent à Anaa, Hanks et Hawkins, dont la femme était Arutua, rendirent visite aux lointaines Tuamotu. Elder Crosby passa aussi du temps dans ces îles coralliennes. Pratt tint une promesse faite de longue date et s’installa en solitaire dans l’île de Raivavae du 27 octobre au 10 décembre.

Les couples missionnaires

Pendant que les frères profitaient du Ravaai, les sœurs faisaient leurs propres expériences originales à Tubuai. Entre leur arrivée à Tubuai, le 21 octobre 1850, jusqu’au lancement du Ravaai en mai 1851, les nouvelles missionnaires aidèrent à la construction du navire, étudièrent la langue et firent la connaissance des habitants de Tubuai. Une fois le navire lancé et les affectations attribuées, certaines familles retournèrent aux États-Unis.

Les Joseph Busby, Samuel McMertry et Thomas Tompkins furent envoyés chercher une aide supplémentaire. Des sœurs d’Utah, seules Louisa Pratt et sa sœur Caroline Crosby restèrent à Tubuai pour la durée de leur service dans les îles.

Sœur Pratt avait avec elle ses quatre filles. Ellen (dix-huit ans), Frances (quinze ans), Loïs (treize ans), Ann Louise (dix ans), et un jeune garçon, Hiram Clark (quatorze ans), que l’on avait emmené pour rendre service à Emmeline B. Wells. Jonathan et Caroline Crosby avaient leur fils, Alma (treize ans). La réception de ces nouveaux missionnaires, couples et frères seuls, à leur arrivée à Tubuai, fut mémorable. Un concert de Ia ora na (bienvenue) accueillit les nouveaux missionnaires lorsqu’ils abordèrent à Mataura, accueillis par Benjamin Grouard, qui donna à chacun un nom tahitien et les présenta à tout le monde. Louisa s’échappa de la foule pour passer quelques moments sacrés dans le fare pureraa (maison du culte). C’est là que « six années auparavant, mon mari avait l’habitude de prier. Dans la chaire, je m’agenouillai devant le Seigneur pour le remercier de nous avoir protégé la vie à tous pendant que nous traversions les grandes eaux. » Les habitants de Tubuai avaient préparé un grand festin dans le style umu—cuisson dans un four souterrain—composé de taro et de poi, de poisson, de porc et de volaille et des fruits abondants de l’île. La soirée s’était passée au milieu des cantiques chantés par tous. « Je n’avais encore jamais vu une harmonie aussi parfaite. Dieu est dans tout cela, » écrivit-elle.

Les saints de Tubuai avaient préparé des maisons pour les nouveaux missionnaires. « De petites maisonnettes blanches dans les bois, brillant à travers les arbres verts les bâtiments [étaient] bas mais très longs, stuqués au-dedans et au-dehors, avec de la chaux tirée des roches coralliennes ; il ne pourrait y avoir de blanc plus pur que celui-là. »

Sœur Pratt créa un potager de légumes ordinaires avec des semences qu’elle avait apportées. « Tout pousse comme par magie, » écrit-elle. Quand ils manquaient de viande, Addison Pratt allait « chasser les poules sauvages dans les bois, allait chercher des canards dans les plantations de taro et fournissait ainsi de la viande à sa famille. » En outre, il y avait des porcs et des chèvres et aussi du poisson.

Entre-temps les missionnaires faisaient connaissance des pratiques en matière de réunions de l’Église. Caroline Crosby décrit la réunion du sabbat :

« La cloche pour l’église sonna à 7 heures. Nous nous rendîmes tous au fare pure raa, où quelque 80 à 100 personnes étaient réunies pour le culte. Nous fûmes très heureux de voir la correction et l’ordre qui régnaient parmi elles. Elles avaient presque toutes la Bible sous le bras, prêtes à suivre l’orateur là où il pourrait les conduire. Ils ont trois réunions et une école dans le courant de la journée, et en outre nos frères blancs en ont une expressément pour nous. »

Elder Pratt organisait aussi des réunions pour les popaa (étrangers) où il enseignait les premiers principes de l’Évangile pour le profit des enfants. » Souvent les saints d’un village se rendaient dans l’autre pour les réunions et pour rencontrer leurs amis et les missionnaires. Chaque mercredi, au lever du soleil, il y avait une réunion de prière. Sœur Pratt prenait beaucoup de plaisir aux réunions :

« Suis allée au lever du soleil au service matinal. Je profite mieux du service de culte à cette heure-là qu’à n’importe quelle autre. J’ai l’impression de commencer la journée correctement. Les prières nous paraissent sublimes, les chants merveilleux et célestes. Le service religieux dure rarement plus d’un quart d’heure, coutume que j’admire beaucoup. »

Les couples missionnaires remarquèrent aussi le respect et la dévotion des saints de Tubuai. Sœur Pratt écrit :

« Ils ont apparemment beaucoup de plaisir à lire les Écritures et à prier ; ils sont très ponctuels à leurs dévotions familiales Ils se lèvent souvent avant l’aube. La première chose qu’ils font, c’est de réunir la famille et de se mettre à genoux pour prier ; ensuite ils sonnent la cloche et vont à la maison de culte pour lire la Bible. »

La plupart des nouveaux missionnaires furent lents à apprendre le tahitien. Il est certain qu’avant leur arrivée, Louisa Pratt et Caroline Crosby avaient appris quelques mots et quelques expressions par Addison Pratt. Pendant l’hiver de 1848-49, il avait donné un cours de tahitien dans sa cabane du vieux Fort à Salt Lake City.

Ellen Pratt avait beaucoup de succès auprès des insulaires. Elle apprit rapidement la langue, aimait la mer et accompagnait souvent son père sur le Ravaai pour visiter les saints des îles, enseigner, chanter et jouer de l’accordéon. À Tubuai, elle fut pendant des mois l’interprète de sa mère et de sa tante. Quand elles eurent acquis de la compétence dans la langue, les filles Pratt créèrent leur propre groupe d’étudiants à qui elles enseignaient les bonne manières et l’anglais. Lorsqu’elle n’était pas à l’école, la jeune Alma Crosby était la compagne de jeux du fils de la reine. Les filles Pratt s’occupaient aussi d’enfants polynésiens. Lorsqu’Elder Pratt était à Tubuai, il enseignait aussi, apprenant aux enfants la lecture et le calcul. Il observa que « ceux qui vont régulièrement à l’école deviennent très compétents. »

L’enseignement des sœurs, quant à lui, se faisait surtout par l’exemple : « Incapable de leur faire comprendre les préceptes, » observe Caroline. Et Louisa note : « J’ai travaillé toute la matinée à nettoyer mon jardin de devant. Je fais souvent ce genre de chose pour encourager les femmes locales à nettoyer le leur. » Les sœurs Pratt et Crosby dirigeaient la réunion de prière hebdomadaire des femmes et eurent la satisfaction d’apprendre suffisamment bien la langue pour lire les Écritures, chanter les cantiques et prier en tahitien. Ces femmes donnèrent un exemple de la vie au foyer et en famille chez les mormons qui allait se perpétuer pendant des années dans les îles.


Comment les couples et les familles missionnaires s’adaptèrent-ils à cette nouvelle vie ? Sœur Pratt relève particulièrement le « calme profond » de l’île où le seul son était celui des « maillets des vieilles femmes » martelant l’écorce pour faire des tissus Cela rompt la monotonie et est préférable au silence absolu. » Pour sœur Pratt, le temps passait lentement et la routine était « morne, morne, morne. » Sœur Crosby, au contraire, avait le sentiment que « le temps s’est écoulé presque imperceptiblement Cette île est si agréablement située, elle est empreinte d’un tel calme et d’une telle sérénité qu’à mon avis un esprit calme et contemplatif ne pourrait être malheureux. »

Les soirées se passaient souvent en musique. Les saints se rassemblaient dans une des maisonnettes et passaient la soirée à chanter des cantiques (bien que les saints de l’île « apprennent un air jusqu’à épuisement ; » écrit sœur Pratt). Souvent Ellen Pratt, Alma Crosby et Jonathan Crosby jouaient ensemble de leurs instruments : Ellen, l’accordéon, Alma, le violon et Jonathan Crosby, la flûte.

Elder et sœur Pratt se rendaient souvent à cheval d’un village à l’autre pour les affaires de la Mission ou pour se retirer. Un jour, un groupe fit un voyage jusqu’aux petites îles au large de la côte est. Ils explorèrent, firent un festin de type umu et y passèrent la nuit.

La mer à l’intérieur du récif de Tubuai offrait beaucoup d’attractions. Sœur Pratt écrit : « Notre amusement principal est d’être sur la plage, à la fin du jour, quand l’air est frais, et de regarder les enfants jouer dans l’eau, lorsque les brisants se précipitent sur la plage. » Un jour, un groupe partit en canoë jusqu’au récif et alla observer les profondeurs coralliennes, des poissons de toutes formes et de toutes couleurs filant au milieu des cavités. Un autre jour, la famille et les amis escaladèrent la montagne haute de 400 mètres.

À Tubuai, Elder Pratt s’attaqua aux problèmes rencontrés par les missionnaires qui poussaient les femmes et les hommes à plaider pour qu’il y ait un changement. La mission était difficile pour les familles Pratt et Crosby. Les maris étaient partis pendant des périodes prolongées. Addison Pratt fit deux grandes croisières de 41 et 73 jours et Jonathan Crosby fut parti pendant 103 jours lors de sa première mission d’enseignement dans les Tuamotu.

Elder Pratt affronta les plaintes de sa femme concernant sa solitude et sa grande préoccupation pour leur sécurité. Un navire de passage avait déchargé une grosse quantité d’alcool et les non-mormons avaient consacré plusieurs jours à la boire et à la cuver dans la danse, causant une grande crainte aux femmes laissées seules. Les parents éprouvaient aussi beaucoup d’appréhension à propos de leurs enfants. Les jeunes avaient besoin de faire des études et les parents essayaient de les occuper en se rendant utiles. En outre, sœur Pratt se trouvait devant le problème posé par le fait que ses jeunes filles en âge de se marier n’avaient pas de relations masculines convenables. Les mormons américains pouvaient se tahitianiser aussi bien que les protestants anglais. Par une chaude soirée, Ellen et Frances qui, en toute innocence, s’étaient habillées en vêtements polynésiens et s’étaient promenées dans l’île, avaient eu une demande en mariage d’un chef local.

On ne saurait trop insister sur l’influence qu’exercèrent ces familles missionnaires. Comme on le verra plus tard, elle fut de longue durée. Elles avaient enseigné les principes de l’Évangile ; elles avaient enseigné, par l’exemple, les relations familiales, le soin et l’éducation des enfants, la propreté et l’ordre au foyer, la façon de s’habiller, les bonnes manières et des techniques telles que la couture, le tricot et la confection de couvertures. Caroline et Louisa firent une couverture piquée pour la reine.

Chargé de présider à Anaa en juillet 1851, James Brown vit ses efforts parmi les saints compliqués par la présence de quatre prêtres catholiques français vigilants, qui étaient venus dans l’île et avaient créé une paroisse minuscule de trente membres, composée essentiellement d’insulaires au service du Protectorat. Dans ses conversations privées, surprises par les Français, Brown exposait le drapeau américain, racontait ses exploits dans le bataillon mormon et montrait des cartes des États-Unis (les terrains aurifères). Cela et le fait qu’il compatissait aux plaintes des insulaires de ce qu’ils devaient vivre sous le « joug » français et qu’il les encourageait à se rassembler aux États-Unis étaient tout ce dont les Français avaient besoin. Le 28 octobre, il fut arrêté et envoyé enchaîné à Tahiti où il fut emprisonné sur un navire de guerre jusqu’au 15 novembre. Douze jours plus tard, il était expulsé des îles du Protectorat français et reçut l’ordre de quitter Tahiti par le premier vaisseau qui quittait le port. Le consul américain William H. Kelly signa une caution de 40 000 francs pour lui et Benjamin Grouard veilla à ce que « le premier navire à quitter le port » fût le Ravaai. Brown fut emmené à Raivavae, situé à l’époque en dehors des possessions françaises, où il resta pendant dix mois.

À Raivavae, il rencontra beaucoup d’opposition. L’hostilité augmenta jusqu’à ce qu’en mai 1852, au village de Tatake, ses ouailles et lui fussent menacés de mort. Il y eut deux jours de fête et d’hystérie dont le point culminant furent les préparatifs pour brûler Brown vif. Le bûcher fut allumé. Au plus fort du tumulte, Elder Brown les défia

au nom de Dieu. Un couple mormon du village, la mère avec son bébé dans les bras, s’avança et exigea d’être brûlé d’abord, sur quoi les gens commencèrent à se battre entre eux jusqu’à ce que la tombée de la nuit dispersât la foule épuisée. Brown apprit plus tard que lorsqu’il les défia « une lumière brillante » apparut au-dessus de sa tête, lumière que l’on prit pour un signe de la faveur de son Dieu. Il écrit : « Après cela, je fus traité avec un grand respect. » Mais en dépit de tout cela, cela n’intéressait personne d’accepter son message. Il resta à Raivavae cet été-là.

Il ne fait pas de doute que l’expulsion de Brown jeta une ombre sur les autres Américains. Mais d’autres facteurs pesèrent également sur eux pour les décourager et les inciter à abandonner la mission. Des renforts missionnaires étaient prêts à quitter la Californie pour Tahiti, mais lorsqu’ils apprirent l’emprisonnement de Brown, leurs ordres d’appareillage furent annulés. Brown était maintenant d’une utilité limitée. L’œuvre était entretenue principalement par des frères américains mariés avec des insulaires.

Pour les mormons, la politique administrative française était la principale source de détresse : le retour des danses et des « pratiques païennes » polynésiennes et la révocation de l’interdiction de l’alcool, accompagnés par un déclin généralisé de la moralité et du bon ordre dans les îles, causèrent apparemment la ruine de leur œuvre et rendirent tout autre effort futile.

Le point culminant de la politique religieuse française pour les îles du Protectorat arriva lorsque l’assemblée législative de Tahiti passa en mars 1852 une loi qui avait pour effet de subordonner l’Église à l’État. Elle créait les fonctions de ministre de district, celui-ci devant être choisi par les chefs du gouvernement du Protectorat et rendait n’importe qui éligible à cet office, à condition d’être élu par un vote majoritaire. L’élection d’un étranger comme ministre de district devait être soumise à l’approbation du gouverneur.

Ces dispositions avaient pour effet de n’autoriser que les prédicateurs polynésiens élus par les habitants d’un district. Les missionnaires anglais trouvèrent cette politique tellement contraire à leurs principes que tous sauf un quittèrent les îles en 1852.

Toutes ces questions atteignirent un point critique au cours des premiers mois de 1852. Il semblait qu’il n’y eût plus rien d’autre à faire que de se retirer des îles et d’essayer plus tard. Le Ravaai fut préparé pour prendre la mer, peut-être pour emmener les saints aux États-Unis, comme cela avait été envisagé lors de sa construction. Mais les copropriétaires locaux refusèrent de vendre leurs parts à Grouard ou de laisser le navire partir en Amérique tant le bateau était précieux dans les îles. Les missionnaires ne pouvaient rien faire d’autre que vendre.

Le 6 avril, les familles américaines quittèrent Tubuai, pour ne jamais y revenir. Les adieux avaient souvent été répétés au cours de ces derniers jours et des cadeaux d’adieu échangés.

Louisa Pratt, Caroline Crosby et Ellen Pratt rencontrèrent les sœurs au cours de leur réunion de prière des femmes, tenue l’après-midi, et firent leurs adieux. Les bénédictions plurent sur elles. Plus tard, sœur Pratt donna des conseils d’adieu à ses meilleures amies et encouragea le chef Hoatau, ancien dans l’Église, à garder tous les enfants sous leur supervision directe, pour « les protéger le plus possible des tentations. »

Les missionnaires reçurent, semble-t-il, suffisamment de nourriture pour tout le voyage de retour. Le peuple les suivit jusqu’à la plage. Tous pleurèrent abondamment en leur donnant la poignée de main d’adieu. Les saints locaux lancèrent des bénédictions tandis que les familles missionnaires partaient. Le Ravaai traversa les récifs avant la nuit et, alors qu’ils étaient bien en chemin, ils pouvaient encore entendre du rivage « Ia Orana outou, » et « la paix soit avec vous. »

À Tahiti, les frères se mirent à l’ouvrage pour faire des travaux de menuiserie afin de gagner l’argent pour leur passage. Grouard vendit sa part dans le Ravaai pour 400 dollars américains, ce qui paya le passage pour sa famille et celle de Pratt jusqu’aux États-Unis. Le 16 mai 1852, Addison Pratt et sa famille, Benjamin F. Grouard, sa femme Nahina et leurs enfants quittèrent Tahiti sur l’embarcation Callao pour San Francisco. Dix semaines plus tard, le 28 juillet, l’Agate à Tahiti fit payer le prix fort pour emmener en Amérique les Jonathan Crosby « et les frères » (Thomas Whitaker, Ambrose Alexander et peut-être John Layton, chacun avec une épouse tahitienne ; Julian Moses partit très vraisemblablement avec eux, ainsi que Simeon A. Dunn, mais ceci est incertain).

À cette date, les missionnaires mormons qui restaient dans les îles étaient James S. Brown (qui partit en novembre), Sidney Alvarus Hanks (qui se perdit dans les lointaines Tuamotu et ne retourna aux États-Unis que quelque temps après 1857, mais avant 1862) et John Hawkins (qui était un résident des îles lorsqu’il fut converti et resta dans les îles, lien entre le passé et le futur).

Cette Mission mormone de Polynésie avait été créée et entretenue au prix de grands sacrifices personnels. Lors de son premier départ des îles, Addison Pratt fit à ce propos les réflexions suivantes :

« Nous avons affronté la honte de la pauvreté, l’opposition des hommes et des démons et la grave négligence de l’Église et de nos amis d’Amérique traversant des récifs coralliens dangereux, des montagnes glissantes alors que nos orteils dépassaient de nos chaussures et que nos genoux et nos coudes sortaient de nos vêtements, vivant une partie de notre temps de noix de coco et de poisson cru et dormant sur le sol pour obéir aux commandements du Sauveur et prêcher l’Évangile aux natifs des îles des mers du sud. »

En dépit du retrait des frères étrangers, il restait des dirigeants locaux détenteurs de la prêtrise, instruits de l’administration, des pratiques et de la doctrine de l’Église par les frères Pratt et Grouard. Ces frères bien formés allaient continuer du mieux qu’ils pouvaient pendant une période d’intolérance et de persécution.

Les dernières tentatives

Les frères Addison Pratt et Benjamin Grouard firent, en vain, d’autres tentatives encore pour maintenir la Mission. En octobre 1853, ils répondirent à un appel à y retourner, mais à San Francisco ils apprirent que les interdits imposés par les Français rendraient le voyage inutile. Ils mirent Nahina, la femme de Grouard, et son bébé sur un bateau, et elle retourna dans son île où elle se remaria. Grouard épousa une membre d’Utah et vécut ensuite essentiellement en Californie et en Illinois.

Addison Pratt entreprit une quatrième mission en 1856, appelé par les apôtres Amasa M. Lyman et Charles C. Rich. Il arriva le 1er juin à Papeete et se retrouva complètement bloqué par les édits du Protectorat. On ne lui accorda pas la liberté de rendre visite à d’autres îles ou de prêcher à Tahiti.  « Deux chefs, un de l’île d’Anaa et l’autre de Taroa, apprenant qu’il était à Tahiti, s’y rendirent dans l’intention de le ramener avec eux. » Mais le gouverneur désapprouva et dit que « Pratt avait fait là-bas toute la prédication à laquelle il avait droit. » Les mêmes restrictions avaient été imposées aux missionnaires protestants anglais, et ils avaient quitté les îles. Pratt apprit que Sidney Alvarus Hanks s’était caché dans les îles Tuamotu, à l’insu des Français, et qu’il continuait là-bas et avait « baptisé presque tous les habitants d’une île et un grand nombre dans les autres îles. » Lorsque Hanks apprit l’arrivée de Pratt, il se rendit à Tahiti pour le trouver mais n’y réussit pas. Pratt fut très attristé d’apprendre les persécutions qui s’étaient produites et fut encouragé de voir qu’il y en avait qui étaient encore fidèles à la cause. Ne pouvant obtenir la permission d’exercer son ministère, il reprit le bateau après avoir passé environ quatre mois à Tahiti.

Les longues années que Pratt passa à se dévouer pour la Mission polynésienne créèrent des tensions dans sa famille et lorsque vint la guerre d’Utah de 1857-1858, la famille Pratt se divisa. Addison, sa fille Frances et le mari de celle-ci restèrent en Californie. Louisa Pratt et d’autres allèrent en Utah et s’installèrent à Beaver. Les deux parties de la famille correspondirent, échangèrent des cadeaux et se rendirent même visite, mais sinon vécurent à part. Addison Pratt mourut en 1872.

Sidney Alvarus Hanks, le dernier des missionnaires mormons originels, resta dans les îles au moins jusqu’en 1860, à travailler parmi les habitants de l’archipel des Tuamotu, particulièrement à Takaroa et à Takapoto. Démuni de provisions, de vêtements, il était « presque totalement devenu natif. » Une lettre de Hanks, datée de janvier 1857, faisait savoir qu’il était alors dans une île de onze cents habitants et de quelque soixante-dix membres de l’Église. En 1862, il était de retour en Utah et se maria. Il mourut dans une tempête tempête de neige dans les montagnes en mars 1870. Selon sa notice nécrologique, il avait passé (à partir de 1850) « douze ou quatorze ans » dans les îles.

Étrange l’effet qu’exercent les aléas de la fortune sur notre idéal. L’Église chrétienne primitive fut d’abord persécutée, puis tolérée et finit par être persécutrice. Les missionnaires protestants anglais étaient arrivés à Tahiti dans une ambiance de tolérance ; ils devinrent intolérants vis-à-vis de la concurrence. Ce fut cette intolérance qui fut à l’origine de la conquête française. Les Français proclamèrent la tolérance pour que le catholicisme fût toléré, et une fois qu’ils furent fermement établis, ils devinrent moins tolérants à l’égard d’autres cultes. La conquête française avait permis en 1844 à la Mission mormone de s’établir, mais en 1852, la politique française ne permettait plus aux missionnaires étrangers de continuer. Les Polynésiens mormons mormons se révoltèrent contre ce qui était pour eux un empiètement sur leurs libertés religieuses et prirent des mesures qui leur valurent des persécutions.

Dans les îles paradisiaques des mers du sud, les émissaires de la paix apportèrent les querelles du christianisme. Dans les domaines pris pour le Christ par les protestants anglais arrivèrent les mormons proclamant le rétablissement du christianisme. Chose étrange, les insulaires mormons allaient être affligés par des divisions existant au sein du mouvement de rétablissement moderne lui-même.


3. Le passage à la direction locale (1852-1892)

Le départ du président Pratt, de ses compagnons et de leurs familles marqua la fin de la première grande période de l’histoire de l’Église en Polynésie Française et inaugura une deuxième période caractérisée par les efforts héroïques des dirigeants locaux, face à d’énormes problèmes, pour préserver l’organisation et les enseignements de l’Église. Les missionnaires d’Utah n’allaient plus revenir avant 1892. Les dirigeants locaux qui avaient été formés par les Elders Pratt et Grouard et d’autres, assumèrent la pleine responsabilité de l’Église et de l’enseignement de l’Évangile. Avant leur départ, les missionnaires « laissèrent un certain nombre d’anciens natifs qui s’étaient révélés être des hommes de Dieu dignes et œuvrant fidèlement, du mieux qu’ils le pouvaient, dans le ministère. » Les saints, quelque 1500 à 2000 âmes dispersées dans une vingtaine d’îles, étaient, d’une manière générale, « fidèles et zélés. » Malgré une vive opposition et des conditions d’existence difficiles, beaucoup de communautés non seulement survécurent mais réussirent à préserver le mode de vie évangélique. Mais, dépourvus de la supervision fréquente de personnes informées, beaucoup tombèrent dans l’erreur.

Une ère de conflits et de persécutions

Les responsables du gouvernement s’attendaient à ce que, une fois les missionnaires américains partis, les saints insulaires abandonnent leur culte en tant que saints des derniers jours. Mais ceux-ci continuèrent à organiser leurs réunions et à adorer comme avant. Des représentants de l’Église catholique allèrent dans les îles pour installer leur foi, avec le soutien du gouvernement. Des conflits se produisirent. produisirent. Il fut à diverses reprises commandé aux saints de « cesser de prêcher et de prier, » mais en vain. Les dirigeants de diverses communautés insulaires furent amenés à de multiples reprises à Tahiti, où on leur donna le choix entre abandonner leur foi et mettre fin à leurs réunions ou aller en prison. Certains abandonnèrent leur foi ; d’autres allèrent en prison.

Un officier président, Tihoni d’Anaa, fut emmené devant le juge et le choix lui fut donné. Il dit au juge qu’il « préférerait se faire trancher la gorge que d’abandonner sa religion. » On l’envoya un certain temps en prison, puis il retrouva sa liberté. Il retourna à Anaa et continua à travailler dans l’Église. Le gendarme français donna l’ordre de cesser de tenir les réunions et de prier. Malgré les menaces et les persécutions, les saints continuèrent à tenir leurs réunions. Les tensions atteignirent leur paroxysme à Anaa en novembre 1852. Les conflits eurent une conséquence tragique. Un épisode regrettable se produisit à Putuahara, dans l’île d’Anaa.

Tanehopu, membre de l’Église et fonctionnaire dans le gouvernement local, désirait vivement faire son devoir comme officier français. Il fut informé d’une réunion de prière chez frère Tevaitinga. Se conformant aux directives reçues, il exigea qu’il fût mis fin au service. Lorsque les saints refusèrent, il amena un gendarme pour faire respecter son ordre et se fit accompagner de deux prêtres catholiques. Le gendarme, ivre à son arrivée, entra de force et découvrit les membres agenouillés en prière. Il exigea qu’ils misent fin à leur culte « hérétique. » La plupart s’arrêtèrent, mais Taiho, une femme âgée qui était en train de prier à genoux, refusa de se lever. Mis en colère par cette manifestation de désobéissance, il tira l’épée et voulut l’en frapper, mais l’épée resta coincée dans le toit de paille. En une fraction de seconde, pendant qu’il essayait de la détacher, quelqu’un saisit un harpon et l’en transperça. Mortellement blessé, celui-ci tomba à l’extérieur pendant qu’il arrachait le harpon. Il mourut sur-le-champ. Les prêtres, voyant ce qui était arrivé, s’enfuirent, mais une dizaine d’hommes, armés de bâtons les attrapèrent et les battirent. Quelqu’un saisit l’épée du gendarme, tua l’un des prêtres et blessa le second au visage.

Les Français réagirent en envoyant un navire de guerre avec des troupes pour punir les délinquants. Après une brève résistance, les insulaires se rendirent. Ne pouvant découvrir qui avait tué le gendarme et le prêtre, le capitaine de marine fit saisir et pendre publiquement cinq otages. Le reste de ceux qui s’étaient rebellés contre le gouvernement fut emmené à Tahiti et condamné à deux ans de travaux forcés, les uns à faire des routes, d’autres à couper des broussailles et du bois de construction dans les montagnes, d’autres encore à alimenter les chaudières du navire de guerre français.

Une autre fois, après 1862, à Anaa, l’officier résident du village se rendit à Otepipi avec une escorte de dix soldats et arrêta huit frères dirigeants et deux sœurs parce qu’ils prêchaient et priaient. Les sœurs furent enfermées dans le bâtiment gouvernemental et les frères mis en prison pendant une semaine avant d’être libérés. Ils s’habillèrent de leurs plus beaux vêtements et, Bible sous le bras, furent introduits en présence du gouverneur. Après un interrogatoire, les sœurs et les trois frères furent mis en liberté. Tihoni et Maihea furent de nouveau emprisonnés mais libérés le lendemain avec la permission de rentrer chez eux et de prêcher et de prier autant qu’ils le voulaient.

L’intolérance se manifesta aussi à Tubuai, mais lorsqu’une affaire fut transférée à Tahiti, le gouvernement ordonna la mise en liberté des prisonniers et leurs accusateurs furent « condamnés par les autorités françaises. »

L’ère d’intolérance et de persécutions religieuses prit fin au cours des années 1860. En 1862, les protestants français furent invités dans les îles et dès 1867, la liberté de religion régnait de nouveau dans tout le Protectorat.

L’Église survit

Au cours de la période de violentes persécutions religieuses, partiellement pour éviter l’arrestation et aussi pour pouvoir poursuivre les services religieux, les saints insulaires donnèrent de nouveaux noms à leurs groupes, entrèrent dans la clandestinité et tentèrent de continuer.

Avec le temps, on finit par trouver les groupes suivants : israélites, abrahamites, darkites, siffleurs et « mormons. » Les querelles des saints les avaient divisés en factions, chacune marquée par l’exagération ou le rejet d’un enseignement précédemment reçu. La secte « mormone » dirigée par Taoto, rejetait le Livre de Mormon, les Doctrine et Alliances et les prophètes modernes. Les israélites, dirigés par Tiopea, acceptaient ces enseignements, mais ne suivaient pas les abrahamites, dirigés par Tahiri, qui acceptaient le Livre de Mormon, les Doctrine et Alliances et les prophètes modernes, mais considéraient Abraham comme beaucoup plus grand que Jésus-Christ. Tahiri était aussi à la tête des darkites, qui acceptaient les nouvelles Écritures, mais ne les vivaient pas.

En dépit de l’impression d’apostasie que ces groupes donnent, les saints perpétuèrent l’organisation en branches, les formes de culte et l’enseignement de l’Évangile. Les premiers anciens avaient appris aux saints les principes fondamentaux de l’organisation de la prêtrise. Les saints étaient « fidèles et zélés » et connaissaient la procédure de l’Église pour les réunions officielles et pour perpétuer la branche. Il y avait des points faibles, mais l’organisation, la discipline et les enseignements de l’Église persistèrent. Dans trente à quarante îles - surtout les îles Tuamotu, mais aussi Tahiti et Tubuai - des branches de l’Église subsistèrent après l’époque des premiers anciens. Les registres existants, quoique rares, témoignent, d’une part, de la survie des formes originelles et d’autre part des changements qui s’introduisirent à cause de l’absence d’une supervision adéquate.

Takaroa, dans les régions les plus reculées des Tuamotu, était à l’époque un grand centre de l’Église. Alvarus Hanks avait installé son quartier général à Takaroa. Lorsqu’il partit, l’Église demeura. Trente ans plus tard, des visiteurs découvrirent entre 100 et 150 membres y compris les enfants. Chaque dimanche, il y avait trois réunions et une école évangélique :

« Ensuite on tient de nouveau des écoles évangéliques le lundi soir, des réunions générales et des écoles évangéliques le mercredi, une réunion des sœurs le jeudi après-midi et des écoles évangéliques le vendredi après-midi et le vendredi soir Les activités des écoles évangéliques consistent généralement en des questions et des réponses sur des sujets d’Évangile, l’histoire biblique et celle de l’Église. Celui qui donne le cours distribue les questions aux divers élèves lors d’une précédente leçon. Ces leçons sont généralement intéressantes et vivantes, car elles stimulent l’esprit et l’énergie des natifs, qui sont très désireux de donner des réponses correctes. »

Le nombre des réunions était devenu « une vieille habitude chez eux. » Les frères de Takaroa emportaient leurs pratiques religieuses lorsqu’ils se rendaient dans d’autres îles pour prêcher. Selon un observateur :

« …juste avant de monter à bord de la barque pour rejoindre le navire, ils se rassemblèrent sur la plage, chantèrent un cantique, après quoi un des natifs, qui était ancien, se plaça devant les autres et fit une prière brève et appropriée, demandant que les bénédictions de Dieu soient sur nous tous pendant notre voyage à Takaroa. »

Un visiteur apprit qu’il y avait eu « une branche permanente de l’Église à Kaukura depuis le départ des missionnaires américains. » En 1872, on signalait à Hawaï que les mormons des îles de la Société « tiennent régulièrement des réunions. Il semble donc que la bonne semence qui a été semée autrefois soit tombée dans de la bonne terre. » En 1873, deux personnes en visite à Tahiti rencontrèrent les saints à Faaa et décrivirent en détail ce qu’elles découvrirent dans cette Tiona (Sion) mormone. Ils constatèrent que les enseignements et les services de l’Église s’y étaient pleinement perpétués, que des conférences trimestrielles étaient tenues, que la doctrine de l’Église était clairement comprise, « leur moralité impeccable, » les saints manifestant « un comportement pudique que l’on considérerait n’importe où comme parfait » et des relations familiales bien ancrées. Les ménages reflétaient les enseignements des épouses des premiers missionnaires. « Ils ont des réunions trois fois chaque sabbat, ils prennent la Sainte-Cène le premier dimanche du mois, et ce qui est encore mieux, ils manifestent cet authentique esprit de saints des derniers jours qui, plus que toute autre chose, distingue les mormons des autres. »

En 1888, Robert Louis Stevenson visita les îles Tuamotu et fit des commentaires sur les mormons de là-bas. Les catholiques et les mormons des Tuamotu, écrit-il, « se font fièrement face avec un faux air de permanence ; néanmoins ce ne sont que des formes, leur population est en mouvement perpétuel. Le mormon va à la messe avec dévotion ; le catholique écoute attentivement un sermon mormon et demain l’un et l’autre seront sans doute passés dans le camp opposé. » Quand on avait la santé, le catholicisme était « plus au goût du jour, mais à l’approche de la maladie on jugeait prudent de faire sécession. En tant que mormon, on avait cinq chances sur six de guérir ; en tant que catholique, on avait peu d’espoir. » Malgré tout, pour Stevenson, le mormon de Tuamotu « semble être un phénomène tout particulier. Il n’épouse qu’une seule femme, utilise la Bible protestante, observe les formes protestantes de culte, interdit l’usage de l’alcool et du tabac, pratique le baptême des adultes par immersion et, après chaque péché public, rebaptise le récidiviste. »

Cette perpétuation des pratiques et des enseignements de l’Église, on la doit essentiellement aux dirigeants qui avaient une grande influence sur les communautés. Parmi ces dirigeants, il n’y a qu’un petit nombre de noms qui ont survécu. À Anaa, il y avait Tehina et Tihoni, à Katiu, Karere et à Tubuai, Tehake ou Opu. Dans les Tuamotu, il y avait Maihea, un officier président reconnu des branches insulaires. Avec lui, il y avait Mapuhi, qui avait reçu l’Évangile d’Alvarus Hanks. Mapuhi s’était lancé dans le commerce des perles et était devenu riche ; on le considérait comme le principal homme d’affaires des îles Tuamotu. Il possédait trois schooners, des magasins dans presque toutes les îles principales et on l’appelait souvent le roi des Tuamotu, ou le roi des perles. Il avait une maison « soigneusement aménagée » et confortable dans l’île de Takaroa. À Kauehi, c’était Utahia qui présidait.

Ensuite il y avait John Hawkins, parmi les premiers convertis à Tahiti. Il passa le reste de sa vie dans les îles. Les restrictions françaises s’appliquaient également à lui, de sorte qu’il ne pouvait rien faire en public. Il se lança dans le commerce entre les îles et, pendant un certain temps, eut des contacts secrets avec les dirigeants de l’Église dans certaines îles. Avec le temps, il abandonna la vie religieuse, gagna de l’argent et le perdit, et s’installa finalement à Arutua.

L’arrivée de l’Église réorganisée

En Amérique, seize ans après la mort de Joseph Smith, fils, le prophète, un groupe de ses disciples qui n’étaient pas allés dans l’Ouest créèrent une nouvelle Église basée sur certains des enseignements du prophète. En 1860, ce groupe invita Joseph Smith III, « le jeune Joseph, » fils du prophète, à prendre la présidence de la nouvelle Église. Il accepta et fut, jusqu’à sa mort en 1914, président de l’Église réorganisée de Jésus-Christ des saints des derniers jours. En Utah, on les appelait « joséphites, » « réorganisés » ou « RLDS. » En Polynésie, on les appelait kanitos ou sanitos. Les deux Églises, la RLDS d’Iowa et du Missouri et la LDS d’Utah ont une histoire de conflits non seulement en Utah mais aussi dans les Missions, notamment en Polynésie Française.

C’est tout à fait par accident que l’Église réorganisée entra en Polynésie Française. Le 13 décembre 1873, le navire Domingo arriva péniblement au port de Papeete pour y faire des réparations. À bord se trouvaient deux missionnaires de l’Église réorganisée partis de San Francisco pour l’Australie. L’un d’eux, Charles W. Wandell, avait

été longtemps membre de l’Église avant de la quitter pour l’Église réorganisée. Il était devenu saint des derniers jours en 1837 et avait fait des missions, notamment en Australie de 1851 à 1853. Il avait vécu à San Bernardino et à Beaver, où il connaissait très bien la famille Pratt, mais il quitta l’Église, devint persécuteur des saints, entra dans l’Église réorganisée en juillet 1873 et partait maintenant en mission vers son ancien champ missionnaire d’Australie.

À Papeete, Wandell et son compagnon rencontrèrent David Brown, qui les conduisit dans la communauté mormone de Faaa, appelée Tiona, ou Sion. Comme nous l’avons déjà dit, ils y trouvèrent l’Église complètement organisée et en fonctionnement et les enseignements de l’Église y étaient observés.

Avec le peu de temps dont ils disposaient, Wandell et son compagnon introduisirent l’Église réorganisée dans la communauté et baptisèrent cinquante et un membres de la branche de Tiona. Le Domingo quitta Papeete le jour de Noël pour l’Australie.

Wandell demanda l’envoi de missionnaires de l’Église réorganisée dans les îles de la Société ; cet appel demeura sans réponse jusqu’en juin 1878 ; cette année-là, William Nelson fut appelé et ordonné. Il travailla pendant cinq ans, de juin 1878 jusqu’en 1883 environ, revitalisa les communautés existantes et introduisit les membres dans l’Église réorganisée. Il fut remplacé par un apôtre, Thomas W. Smith, qui voyagea considérablement et réorganisa plus de quinze branches qu’il trouva en bon état. À Tahiti, il y eut Papoa, Huuau, Tiarei, Tiona et Tarona. Parmi les îles Tuamotu, il y eut des branches à Kaukura (deux), Rairoa, Makatea, Tikehau, Apataki, Manihi, Takaroa, Takapoto et Hao. Il y eut une branche à Tubuai, dans les Australes. Pendant que Smith était dans les îles, John Hawkins se repentit et fut reçu au baptême dans l’Église réorganisée. Thomas W. Smith et sa femme travaillèrent dans les îles jusqu’en novembre 1887. Luther Devore et Ella, sa femme, entrèrent ensuite en scène, lui comme président de Mission de l’Église réorganisée. À partir de ce moment-là, une succession de couples représentèrent l’Église réorganisée dans les îles. C’était la détresse de l’Église d’Utah en Amérique qui avait donné ces avantages à l’Église réorganisée.


4. La reprise en mains par la Mission (1892–1900)

On racontait dans les îles qu’un vieux Tahitien avait rêvé et prophétisé que deux missionnaires mormons viendraient rétablir la foi et leur rendre de nouveau visite ; qu’ils viendraient de l’ouest et arriveraient à Tahiti. Personne ne croyait vraiment à cette histoire, car les mormons venaient forcément du nord ou de l’est. Mais en Utah, les succès des Elders Addison Pratt et Benjamin Grouard avaient stimulé la création de Missions dans le monde entier. Une Mission fut ouverte en 1850 à Hawaii. De Hawaii, des missionnaires se rendirent en 1863 à Samoa. De Samoa, l’Évangile fut de nouveau introduit dans les îles de la Société par des missionnaires d’Utah venus de l’ouest.

Ce ne fut pas un manque d’intérêt pour les membres de l’Église des îles qui produisit l’apparente négligence pour la Mission des îles de la Société après sa fermeture en 1852.

Ce furent les épreuves que l’Église connut au cours de ces années en Amérique. Les persécutions des saints en Illinois, l’exode qui en résulta dans les grandes plaines et l’installation dans le refuge des montagnes Rocheuses exigèrent toute l’énergie et toute la main d’œuvre des saints. La grande détresse de l’Église dans le désert l’obligea à négliger temporairement les Missions à l’étranger. Les anciens missionnaires étaient pris par leurs propres problèmes. Toute l’énergie était mobilisée pour la colonisation de l’Ouest américain, dans la construction de centaines de villes et de villages. En outre, il est très vraisemblable que les administrateurs de l’Église se souvenaient des restrictions imposées par le gouvernement à l’œuvre missionnaire étrangère dans les îles et pensaient que les restrictions continuaient. Il y avait de nombreux conflits entre la population de l’Utah et le gouvernement des États-Unis. Mais à partir de 1890, l’Utah entra dans une période de compromis. Diverses dispositions furent prises qui permirent l’admission, en 1896, de l’Utah dans les États-Unis sur un pied d’égalité avec tous les autres États. La liberté était arrivée en même temps qu’une plus grande tolérance et plus de paix. Le gouvernement des États-Unis allait maintenant protéger ses citoyens vivant dans les pays étrangers, y compris les missionnaires mormons en Polynésie Française.

L’arrivée des missionnaires d’Utah

Comme nous l’avons déjà mentionné, le succès de la Mission des îles de la Société dans les années 1840 et 1850 conduisit à l’expansion de l’Église dans les îles Hawaii en 1850. De Hawaii, l’Église fut portée à Samoa. Pendant la présidence de William O. Lee (1890-1892) de la Mission samoane, la Première Présidence chercha à étendre les territoires dans lesquels l’Évangile serait enseigné, en particulier les îles de la Société. Par conséquent le président Lee demanda à deux missionnaires récemment arrivés s’ils étaient disposés à accepter un changement d’affectation et à aller à Tahiti pour y rétablir la Mission et l’organisation de l’Église. Les missionnaires choisis étaient William A. Seegmiller et Joseph W. Damron, Jr. Ils acceptèrent et commencèrent à étudier le tahitien. Ils quittèrent Apia le 22 janvier et arrivèrent à Papeete le 27 janvier 1892. La Première Présidence était tellement intéressée par les progrès de la nouvelle Mission des îles de la Société que Joseph Damron, appelé comme président, devait lui faire chaque mois directement rapport.

Ces « étrangers » dans un pays lointain eurent beaucoup de mal à lancer leur œuvre missionnaire. Ils disposaient de peu de moyens financiers, ceux-ci étant limités aux apports de leur famille et de leurs amis au pays. Ils vécurent d’une manière très simple, comptant la plupart du temps sur la générosité de leurs voisins pour les nourrir. Ils étaient démunis de tout. Elder Seegmiller dit qu’ils n’avaient rendu visite à aucune église (après un séjour d’un mois), « parce que nos vêtements sont un peu râpés, » mais ils espéraient avoir de nouveaux vêtements sous peu. La tâche la plus difficile pour eux fut d’apprendre la langue. Ils n’avaient personne pour les instruire et aucune documentation à part la Bible tahitienne de la London Missionary Society. Leurs premiers jours à Tahiti furent caractérisés par le rituel journalier de se procurer de la nourriture, faire des visites, prendre un bain, chercher du courrier et faire un peu de lecture. Ils apprirent peu à peu à s’orienter et commencèrent à parler avec les ecclésiastiques et les insulaires en plus des Américains qu’ils pouvaient rencontrer.

On ne nous dit pas dans quelle mesure les deux missionnaires espéraient pouvoir compter sur des survivants de l’ancienne organisation de l’Église. Ne connaissant pas la langue, ils n’avaient guère d’autre choix que de recommencer à zéro ; en apprenant des mots et des expressions de la langue, ils pourraient apprendre l’existence de survivants de l’Église.

Les missionnaires étaient à Tahiti depuis deux mois lorsqu’ils apprirent l’existence de la communauté de « natifs mormons » à Faaa, à cinq kilomètres à l’ouest de Papeete. Elder Seegmiller parle pour la première fois de Faaa le 17 mars, se bornant à parler de « la difficulté à essayer de parler aux natifs. » Le 24 mars, il était à Faaa à la recherche d’un endroit où loger et il est probable que les missionnaires s’y installèrent le 30 mars mais on ne sait pas combien de temps. On peut imaginer la surprise qu’ils éprouvèrent lorsqu’ils trouvèrent cette communauté de saints polynésiens et leur surprise encore plus grande de voir que l’Église réorganisée était arrivée dans les îles et avait attiré ces gens dans leur organisation. La communauté de Faaa, dirigée par des anciens locaux, traita les missionnaires d’Utah avec gentillesse et les invita à assister à leur service de cantiques. Aussi amicaux qu’ils fussent, ils étaient, on le comprend, « dans une certaine excitation à [leur] sujet. »

Le retour de James S. Brown

Avant d’avoir rencontré les « mormons » réorganisés à Faaa, les missionnaires Joseph Damron et William Seegmiller s’étaient rendu compte qu’ils avaient besoin d’anciens d’anciens expérimentés connaissant les gens et la langue. La Première Présidence les comprit et appela James S. Brown à retourner là-bas, après une absence de quarante ans, et à aider à y rétablir l’Église. Elder Brown avait soixante-cinq ans à ce moment-là, il lui manquait une jambe, et d’une manière générale, n’était pas dans une excellente santé. Elando, son fils, fut appelé à l’aider pendant sa mission. Thomas Jones, fils, fut appelé comme missionnaire à plein temps pour les accompagner. James S. Brown fut mis à part le 8 avril 1892 et nommé pour présider la Mission le 22 avril 1892.

Les trois nouveaux missionnaires arrivèrent à Papeete le 1er juin 1892 et rencontrèrent immédiatement Joseph Damron et William Seegmiller. Un logement fut offert aux nouveaux arrivés. Etant donné que James Brown avait quitté les îles en 1852, suite à un arrêté d’expulsion, il fallut un mois pour résoudre la légitimité de sa présence à des réunions publiques pour prêcher. Le président Brown allait devoir collaborer avec la police et la mettre au courant de toutes ses activités.

Pendant les quatorze mois qui suivirent, il se fit un point d’honneur de rouvrir et d’installer la Mission des îles de la Société. Sous sa direction, les missionnaires retrouvèrent graduellement les communautés restantes de saints des derniers jours. Il orienta surtout sa mission vers ceux qui avaient suivi les ministres de l’Église réorganisée. Il rencontra le plus de personnes possible et en trouva qui se souvenaient de lui lorsqu’il était là quarante ans auparavant. Il alla trouver leurs dirigeants, trouva des membres et leur affirma que « l’autorité était restée dans l’Église [d’Utah] depuis le prophète Joseph jusqu’à l’organisation actuelle. » Il les informa très clairement qu’Addison Pratt, Benjamin F. Grouard et lui faisaient partie de l’Église d’Utah. En faisant appel à la doctrine et à l’histoire, il persuada des gens de reconnaître l’Église dont le siège était en Utah. Il rendit visite aux gens, parla avec eux, tint de temps en temps des réunions publiques et prêcha. Dans la plupart des cas, il fut reçu cordialement, bien que parfois avec froideur ou avec hésitation au début. Il accomplit des mariages, présida à des funérailles, fit l’imposition des mains aux malades et assista à des baptêmes.

Du premier juin à la mi-septembre, il fut à Papeete et à Tautira, répondant presque quotidiennement aux questions posées par des personnes de l’Église réorganisée et supervisant les missionnaires. On le pria de se rendre à Anaa, où il serait bien accueilli. Le souvenir d’Addison Pratt et de Benjamin F. Grouard était toujours vivace dans les îles.

Du 20 septembre à fin novembre 1892, le président Brown et Elder Seegmiller furent à Tubuai sur invitation. Tous les membres de l’Église (à l’exception d’une jeune fille de dix-sept ans) de cette île étaient passés à l’Église réorganisée. Les missionnaires furent traités avec indifférence pendant environ quinze jours, ensuite « plusieurs natifs, qui avaient bien connu le président Brown au cours de sa précédente mission dans ces îles, vinrent le trouver et lui exprimèrent leurs doutes quant à l’Église réorganisée, et après avoir été convaincus de leur erreur par celui qui leur avait apporté la vérité plus de quarante ans plus tôt, ils demandèrent le baptême. Cela ouvrit la porte aux autres, et au bout de peu de temps, les missionnaires avaient baptisé soixante-cinq personnes, dont la majorité étaient dans une situation où elles devaient être baptisées. »

À Mataura, ils rencontrèrent Tehuatehiapa, une femme de 120 ans, qui était aveugle depuis huit ans. « Les gens disaient qu’elle prétendait qu’elle vivrait jusqu’à ce que les serviteurs de Dieu viennent de Salt Lake City. » Elle s’exclama : « J’ai toujours dit que vous reviendriez ! Le Seigneur vous a ramenés et a prolongé ma vie jusqu’à votre arrivée. Je me réjouis extrêmement de la miséricorde du Seigneur. »

Elder Seegmiller, qui pouvait maintenant utiliser la langue, fut laissé à Tubuai quand le président Brown retourna à Papeete.

Entre-temps, à Papeete, les missionnaires avaient rencontré Mapuhi, le « roi des perles. » Il proposa aux Elders Damron et Jones le passage sur son schooner Teavaroa jusqu’à son île natale de Takaroa. Cette proposition ouvrit l’archipel des Tuamotu aux missionnaires. Arrivés à Takaroa le 1er novembre, les missionnaires y découvrirent une grande église en construction depuis 1891 et une branche de l’Église de cent membres. Toutes ces personnes avaient résisté aux missionnaires de l’Église réorganisée. C’est ici qu’était le centre de l’Église dans les Tuamotu. Les missionnaires furent invités à dire ce qu’ils venaient faire. Le 6 novembre, les insulaires acceptèrent officiellement Damron et Jones comme leurs missionnaires. Dans le mois, quelque trente-trois convertis s’étaient ajoutés par le baptême.

Les missionnaires apprirent qu’il y avait des branches de saints des derniers jours fidèles dispersées dans tout l’archipel, dirigées par le vieux Maihea, qui prétendait que son autorité remontait à l’époque où Pratt et Grouard étaient dans les îles. C’était lui qui avait convoqué une conférence de tous les saints pour le 6 janvier 1893 dans l’île de Faaite.

Lorsqu’il arriva de Tubuai à Papeete, James Brown fut informé des succès et de la conférence prévue pour le 6 janvier. Les missionnaires lui demandèrent d’être là. Il quitta Papeete le 15 décembre et arriva à Takaroa le 26 décembre. Il fit un bref voyage supplémentaire à Faaite, où il fut invité à passer l’épreuve de son appartenance à l’Église. Elder Damron décrit l’événement comme suit :

« Quelques minutes après avoir abordé, nous avons reçu la visite d’une délégation à la tête de laquelle se trouvait un vétéran âgé et aveugle appelé Maihea, qui joue depuis longtemps le rôle de président des membres de l’Église dans les différentes îles de ce groupe. La première question qu’il a posée au président Brown a été celle-ci : 'Êtes-vous le vrai Iakobo (James) qui nous a apporté l’Évangile il y a quarante ans ?' Deuxièmement : 'Représentez-vous maintenant le même Évangile qu’avant ?' Il proposa diverses questions et finalement, pour s’assurer qu’il s’agissait du véritable 'Iakobo', il demanda où se trouvaient différents villages à Anaa, l’île où Elder Brown avait travaillé au cours de sa précédente mission. Convaincu, il dit avec une joie indicible : 'Nous vous recevons comme notre père et notre dirigeant, mais si vous n’étiez pas revenu personnellement, nous aurions refusé de recevoir tous les missionnaires étrangers, car il y a eu tant de faux instructeurs parmi nous qui en ont détourné beaucoup de l’Évangile du Christ'… Elder Brown, maintenant accepté par le peuple, pouvait assumer son rôle de président et diriger la conférence. »

La première conférence des saints, dans le système renouvelé, eut lieu, à juste titre, dans les Tuamotu. La conférence commença le 6 janvier 1893 à Faaite et dura deux jours. Les membres s’étaient rassemblés de tous côtés. La lagune était remplie de barques et de canots. Quelque 425 saints de dix branches de l’Église étaient représentés, comme suit : Anaa, 25 ; Faaite, 26 ; Fakarava, 50 ; Takaroa, 160 ; Kauehi, 11 ; Raraka, 27 ; Aratika, 21 ; Katiu, 20 ; Tubuai, 65 ; Tahiti, 10.

James S. Brown présida et dirigea la session d’ouverture du vendredi matin. Elando Brown fit la prière d’ouverture. Le président Brown parla « donnant de bonnes instructions. Il… recommanda aux saints d’éviter toutes les puissances mauvaises qui conduisent aux ténèbres. » Il demanda que « tous ceux de l’assemblée qu’il avait vus et connus autrefois se lèvent. Dix-sept vétérans aux cheveux gris se levèrent immédiatement. » Elder Damron parla lors de la première session. L’assemblée chanta « O belle Sion, » qu’Elder Damron avait traduit et enseignée aux saints. La prière d’ouverture fut faite par Thomas Jones. Au cours de la session du vendredi après-midi, l’assemblée chanta et il y eut des discours par les Elders Damron et Brown. La prière d’ouverture fut faite pat frère Terogomaituti et la prière de clôture par frère Maihea.

La conférence se poursuivit le 7 janvier avec des discours par le président Brown et Elder Damron. Pour répondre aux besoins des missionnaires, les frères Tehina d’Anaa et Karere de Katiu furent ordonnés anciens. La prière de clôture fut faite par Elando Brown.

Au cours de la session de l’après-midi, les frères Tafanau d’Anaa et Damron parlèrent. Elder Damron s’étendit sur la personnalité de Dieu. Le président Brown donna quelques brefs encouragements. La conférence fut suspendue et reprit à Anaa le 6 avril 1893. Tous chantèrent « l’Esprit du Dieu saint. » La prière de clôture fut faite par le président Brown.

Après la conférence de Faaite, le président Brown se rendit à Anaa et y fit le tour des villages qu’il avait si bien connus au cours de sa première mission. C’est là qu’eut lieu la conférence prévue pour le 6 avril 1893. Les orateurs ne manquèrent pas de parler de la consécration du temple de Salt Lake City qui se produisait à l’heure même où ils se réunissaient. Les saints leur réservèrent d’abord une réception mitigée, mais celle-ci ne tarda pas à devenir cordiale, même avec le gouverneur de l’île.

Pendant qu’il était à Anaa, au moment de la conférence, le président Brown apprit l’arrivée à Papeete de huit missionnaires venus de Sion, envoyés en réponse à sa demande. Lorsque les moyens de transport le permirent, il retourna à Papeete, où il arriva le 6 mai, accueilli par les nouveaux missionnaires.

Pendant les semaines qui suivirent, il devint de plus en plus clair pour le président Brown que sa mission touchait à sa fin. Il avait fait à peu près tout ce qu’il pouvait. Lors d’un conseil des anciens qui eut lieu le 25 juin, son retour au foyer fut recommandé. En conséquence, le 8 juillet, il s’embarqua avec son fils, Elando, à Papeete pour l’Amérique. Ils arrivèrent chez eux en Utah à la mi-août. Il estimait que la prophétie de Lorenzo Snow concernant son succès s’était réalisée : « Que j’y serais prospère et que j’aurais la bénédiction d’avoir plus de pouvoir et d’influence que jamais auparavant ; que le Seigneur serait avec moi pour me soutenir et me consoler, et qu’il serait pourvu aux besoins de ma famille. »

James Brown avait établi un lien solide entre le passé et le présent. La Mission avait été réinstallée et l’organisation de l’Église avait été rétablie. Le soin était laissé aux futurs présidents de Mission et dirigeants locaux d’aider les saints des îles à mieux connaître et à vivre plus complètement les principes de l’Évangile de Jésus-Christ.

La mise en route

Pendant les années 1890, cinq présidents de Mission dirigèrent les saints polynésiens. En outre, une bonne vingtaine de missionnaires travaillèrent dans les îles au cours de ces mêmes années. Chacun apprit le tahitien. La Mission dut résoudre le problème de l’accès aux églises et du droit d’organiser des réunions publiques.

Le problème de l’utilisation des bâtiments de l’Église existants se présenta lorsque le président Brown visita Tubuai et tenta d’utiliser l’église qu’Addison Pratt avait construite, bien qu’elle fût utilisée à ce moment-là par l’Église réorganisée. Brown s’adressa à la police. « Le chef de la police, consultant les livres, nous fut favorable, disant que l’Église réorganisée n’était pas reconnue. Nous apprîmes que des décisions semblables avaient été prises dans l’archipel des Tuamotu. Le gouverneur français estima que nous étions les premiers à être arrivés, que les églises nous appartenaient et que nous avions le droit d’y enseigner notre doctrine sans en être empêchés. »

Cette règle l’emporta jusqu’au moment où E.A. Martin, administrateur résident des Tuamotu, céda aux pressions profrançaises (catholiques et protestants) et refusa aux missionnaires le droit de prêcher ou d’enseigner sans avoir une licence. L’affaire Martin occupa les missionnaires pendant la plus grande partie de 1895.

Le problème de la licence

Tous les étrangers étaient tenus d’obtenir un permis de séjour ; et tous les ecclésiastiques une licence pour prêcher et enseigner. À juste titre, le gouvernement cherchait à exclure les resquilleurs et les irresponsables qui voulaient exploiter, maltraiter ou abuser les Polynésiens. En outre « cinq formes seulement de religion étaient légalement reconnues à Tahiti et dans ses dépendances, à savoir : les catholiques romains, les protestants, les juifs, les bouddhistes et les mahométans. » En outre, lorsque cette crise se produisit, il y avait une lettre d’instructions du secrétaire d’État américain, William M. Evans, datée de 1885 et adressée à tous les fonctionnaires diplomatiques de n’accorder aucune protection aux missionnaires mormons. Par conséquent, lorsque les missionnaires demandèrent à Mr Doty d’intercéder en leur faveur, « cela le mit dans une situation assez délicate, mais il estima que c’était son devoir de les protéger, ce qu’il fit, et il eut le plaisir d’apprendre plus tard que ses mesures avaient l’agrément du gouvernement de Washington. »

Le gouverneur français Papino n’avait rien non plus contre les missionnaires ; il devait suivre ses instructions. « Il croyait que l’influence des missionnaires dans les différentes îles avait relevé le niveau moral des natifs et dit qu’il ferait jouer son influence personnelle en leur faveur pour obtenir cette licence du gouvernement français. » Mais transmettre une demande à Paris allait prendre beaucoup de temps. J. Lamb Doty, le consul américain, aida énergiquement les missionnaires. Pour lui, leur histoire dans les îles était « irréprochable, » et il estimait qu’ils avaient droit à une protection complète. Mais les catholiques et protestants français, qui étaient puissants, firent pression contre les Américains, parce qu’ils voulaient exclure les Églises américaines. E. A. Martin appartenait à ce clan et appliqua vigoureusement la loi.

En mars 1895, il eut une réunion avec Eugene M. Cannon et Carl J. Larsen, Jr., et leur ordonna de cesser de prêcher ou d’enseigner, sous peine d’amende et d’emprisonnement sans comparution devant un tribunal et sans qu’aucune accusation écrite n’ait été portée contre eux, refusant en même temps de leur délivrer un permis. Le même mois, également à Takaroa, il fut interdit à Thomas Jones, Jr. et à George F. Despain d’organiser, le 6 avril, une conférence de diverses branches de l’Église. Le résident Martin ordonna à la police de veiller à ce que la conférence n’ait pas lieu et commanda à Jones et à Despain d’obtenir dans les trois mois une licence pour prêcher, sinon ils seraient mis à l’amende, emprisonnés et bannis. Il les considérait comme des vagabonds, venus flatter le peuple pour avoir de la nourriture et pour vivre aux crochets des insulaires, des bons à rien qui n’avaient rien à faire dans leur propre pays.


Représentant et défendant les missionnaires contre les accusations du résident Martin, qui leur reprochait entre autres d’essayer d’éviter de payer les impôts, le gouverneur Papino rappela « le traité qui avait été signé entre les deux gouvernements et qui permettait aux citoyens américains de voyager librement dans les possessions françaises tant qu’ils respectaient les lois du pays et se conduisaient correctement et qui accordaient les mêmes droits aux Français en Amérique. » Les missionnaires américains n’avaient « enfreint volontairement ou sciemment aucune loi de la République française ; » aucune notification d’impôt ne leur avait été envoyée et lorsque c’était le cas, ils le payaient le jour même. Elder Cutler avança cet argument : « Nos enseignements sont de nature à créer dans le public une attitude qui aidera considérablement les autorités de cette Colonie à en gouverner la population, à en augmenter la stabilité et à assurer la paix domestique car, pour être membre honorablement connu dans l’Église, il est absolument nécessaire d’être bon citoyen de l’État, honnête, respectueux des lois, économe et industrieux. » Il cita ensuite le deuxième article de foi.

Martin n’en démordit pas. Il ordonna aux chefs de district du groupe des Tuamotu d’interdire aux anciens ou aux missionnaires étrangers des Églises adventiste et mormone « de prêcher, s’ils ne pouvaient pas montrer une licence signée par le gouverneur. » Il fut cependant permis aux missionnaires polynésiens de poursuivre leur travail. Se conformant à des instructions reçues du département d’État américain, le consul Doty parvint à un accord avec le gouverneur. Le rapport de Doty au département d’État concernant cet accord dit :

« À la réception de votre dépêche, j’ai eu avec le gouverneur un nouvel entretien dans lequel je l’ai mis au courant du point de vue de notre gouvernement et des mesures prises par le résident du groupe des Tuamotu dans l’affaire mentionnée plus haut. Le gouverneur a répondu que le résident faisait de l’excès de zèle et n’avait pas reçu pour instructions de lancer un tel décret. Après une longue discussion, le gouverneur a finalement consenti à permettre aux missionnaires américains de reprendre leur œuvre comme précédemment en attendant la réponse de Paris aux demandes de reconnaissance envoyées par les Églises adventiste et mormone. »

Le consul quitta le gouverneur avec le sentiment que la reconnaissance allait prendre beaucoup de temps et qu’il risquait d’y avoir encore des difficultés et des inconvénients pour les missionnaires. Ceux-ci se remirent à prêcher et à enseigner en public, rencontrant le bon millier de saints des derniers jours qui vivaient dans les îles Tuamotu et les îles de la Société.

L’apprentissage de la langue

La première tâche de tous les nouveaux missionnaires était d’acquérir une connaissance active du tahitien. Ils n’avaient pas grand-chose d’autre que la Bible tahitienne de la London Missionary Society. Il n’existait pas de grammaire ni de dictionnaire. Le missionnaire pouvait faire des progrès en lisant en même temps la version anglaise de la Bible, la King James, et la Bible tahitienne de la LMS. Il fallait souvent six mois ou plus pour qu’un missionnaire puisse prendre la parole devant les saints. Les choses progressèrent néanmoins considérablement pour tout le monde grâce à Daniel T. Miller, qui non seulement était doué mais avait une formation approfondie en linguistique.

Il avait étudié les langues étrangères en Europe et pouvait lire et parler le français, l’allemand, le grec et le latin et était professeur de linguistique à l’Académie Young à Logan (Utah) lorsqu’il fut appelé, le 16 juin 1896, à être président de la Mission tahitienne. Deux jours après son appel, il épousa Hattie Knowlton. Un mois plus tard, Leonidas Kennard et lui quittaient Salt Lake City pour Papeete. La connaissance qu’avait Elder Miller de la langue et de la culture françaises fut un élément important dans les bonnes relations avec le gouvernement français, un élément qui fut parfois perdu dans les années ultérieures.

Il créa un programme efficace d’apprentissage de la langue. Il apprit lui-même le tahitien et en aida d’autres à l’apprendre. Le grand projet fut la traduction du Livre de Mormon en tahitien. Elle fut répartie à égalité entre quatre missionnaires : Daniel T. Miller, William H. Chamberlin, fils, David Neff et Israel E. Willey. Lorsque chacun d’eux eut fini sa tâche, les traducteurs se réunirent à Papeete pour examiner le premier jet. Il fut étudié, révisé, harmonisé et remanié. Lorsque, le 15 juillet 1899, il fut relevé et quitta Papeete, le président Miller avait sous le bras le manuscrit du Livre de Mormon en tahitien. Une fois rentré au pays, il apprit la triste nouvelle que sa femme était morte d’une appendicite le 6 août, pendant qu’il était en mer. Il ne se remaria pas.

Elder Chamberlin poursuivit son œuvre. Peu après être devenu président de la Mission, il « entreprit des efforts parmi les natifs pour réunir l’argent pour publier la traduction. » Le 16 octobre 1899, à Hikueru, il écrivit dans son journal : « Aujourd’hui et demain, le peuple va aller à la pêche aux perles pour trouver le moyen d’aider à la publication du Livre de Mormon. »

C’est à Daniel T. Miller, à David Neff, à Eugene M. Cannon et à Frank Cutler qu’échut la tâche de publier le Livre de Mormon tahitien. Ce fut fait en 1904 à Salt Lake City.

Les missionnaires travaillèrent aussi à la traduction des Doctrine et Alliances. Au cours des années, la traduction des textes de l’Église, entre autres des cantiques, fut une expression importante du service missionnaire.

L’apprentissage de la langue joua toujours un rôle important chez les missionnaires mormons. Thomas Jones, fils, qui alla dans les îles avec James Brown et son fils, passa de nombreux mois dans l’île corallienne isolée de Hao, à quelque huit cents kilomètres à l’est de Tahiti, à apprendre la langue.

Il décrit la vie du missionnaire dans les lointaines Tuamotu ainsi que la pauvreté du peuple, le manque de confort, le travail nécessaire pour obtenir de quoi subsister :

« Vous voulez savoir comment je vis ici ?… Nous nous levons de notre lit, qui est constitué de planches de pin, à 6.30 heures du matin et nous mangeons du pain (quand nous en avons ; nous nous en passons quand nous n’en avons pas) et de l’eau chaude ou « thé mormon » comme on appelle cela ici. À 7 heures nous sommes à l’école. Nous avons 10, 15, 20 ou 50 élèves, hommes et femmes, le dernier nombre lorsque les gens se rassemblent de toutes les parties de l’île. Nous leur faisons mémoriser et expliquer les versets d’Ecriture, et bien que vous nous traitiez de païens, nous pouvons prouver et citer plus d’Écritures que vous autres, les saints civilisés. Nous répétons une phrase et ils la répètent après nous en chœur, et on continue ainsi jusqu’à ce qu’ils puissent répéter le verset eux-mêmes… Au bout d’une heure et demie, l’école est terminée sauf s’ils veulent consacrer encore une heure à parler des Écritures, ce qui n’est pas rare.

« Ensuite, si c’est mon tour de faire la cuisine (ce qui est le cas tous les deux jours), je mets notre boy à l’ouvrage (il est le meilleur de l’île) et nous faisons un feu de joie, cuisons notre pain sur des pierres ou le faisons frire si nous avons du poisson, de la graisse ou du lard, nous mettons le poisson sur les braises brûlantes et vers 10 heures ou 10 heures 30 du matin, nous avons à manger. C’est la mode française et nous sommes maintenant en France. Une fois le dîner terminé, il y a les malades à visiter. Il n’y a peut-être que trente ou quarante personnes dans le village et pourtant il y a toujours quelqu’un qui est malade. Il y a eu ici six décès depuis les deux derniers mois dans une population d’environ quatre cents personnes. La plupart de leurs maux sont des désordres stomacaux dus à une vie irrégulière.

« Nous disposons ensuite de quelques heures (si nous ne sommes pas interrompus par un natif qui vient nous trouver avec une « pensée » ou une « question ») que nous passons à étudier la langue, à lire les Écritures, les journaux et les lettres du pays et à chercher de la nouvelle matière pour des sermons. À 3 heures de l’après-midi, nous avons de nouveau une réunion de témoignages ou des cours. Nous avons deux réunions de témoignages et six réunions de cours par semaine, quatre réunions le dimanche et de treize à quinze réunions par semaine. Les réunions de témoignage durent généralement entre une heure et demie et trois heures, chacun ayant son mot à dire sur quelque chose ; certaines réflexions sont opportunes d’autres ne le sont pas. Ensuite il faut préparer le souper ; après quoi nous visitons les saints et les malades, chantant et conversant et parlant Écritures avec eux. »

La visite d’Andrew Jenson

De temps en temps la Mission avait la chance de recevoir la visite d’officiers venus du siège de l’Église à Salt Lake City. La première visite de ce genre fut celle d’Andrew Jenson, historien-adjoint de l’Église, qui rendit visite à la Mission des îles de la Société entre le 3 février et le 1er avril 1896 dans le cadre de la mission qu’il avait « vis-à-vis de tous les champs missionnaires de l’Église. » Il devait réunir les registres de l’Église et obtenir le plus de renseignements possibles sur l’histoire de l’Église dans les lieux où il se rendait. Frank Cutler, président de la Mission, dirigea les visiteurs et traduisit et interpréta pour frère Jenson.

L’historien fut impressionné par les hommes âgés avec qui il parla, qui se souvenaient avoir rencontré Benjamin F. Grouard et Sidney Alvarus Hanks. Il rendit visite aux branches de l’Église qui avaient fonctionné de manière constante depuis le départ des missionnaires américains en 1852. Il assista à leurs services religieux, se joignit à eux dans les prières et les cantiques et enseigna l’histoire de l’Église chaque fois que le président Cutler l’y invitait. À Takaroa, le principal centre des saints dans les Tuamotu, frère Jenson et le président Cutler furent invités chez Mapuhi et prirent part aux services religieux qui s’y pratiquaient depuis les années 1850. Ils y virent en construction « une des plus belles églises des îles Tuamotu, constituée de murs en pierres coralliennes, terminée en septembre 1895. »



5. Le fonctionnement de la Mission (1900-1945)

Dès 1900, le mode de vie des saints des derniers jours polynésiens et la forme des activités missionnaires étaient bien établis et ne tardèrent pas à être habituels ou institutionnalisés. Il y eut peu de changements dans la vie des insulaires mormons entre le début du siècle et la fin de la Seconde Guerre mondiale (1945). Plusieurs facteurs contribuèrent à maintenir ce mode de vie dans la Mission. De temps en temps les missionnaires étaient limités dans leurs activités par les autorités gouvernementales, bien qu’il y eût des périodes particulièrement cordiales, en fonction de l’attitude des autorités et des missionnaires. Le grand obstacle était l’apprentissage de la langue, que ce fût le français ou le tahitien, que l’on n’arrivait pas à surmonter avant six mois à un an. Tant que l’on ne connaissait pas correctement la langue locale, on ne pouvait pas s’attendre à ce que les insulaires comprennent le message des missionnaires. Les transports étaient tellement rares et irréguliers que lorsqu’il fallait absolument voyager, cela prenait énormément de temps. Il était habituellement très difficile pour le président de Mission ou un président de district de se déplacer pour visiter toutes les branches ou tous les anciens. Les travailleurs étaient si peu nombreux et le territoire si vaste que certaines branches dispersées voyaient rarement un missionnaire blanc. En outre, les missionnaires recevaient tant d’appels au cours de leur service que le prosélytisme venait en second rang par rapport à d’autres devoirs.

Réduction du territoire de la Mission

Lorsque la Mission des îles de la Société fut rouverte en 1892, elle englobait les habitants de six groupes d’îles : celles de la Société (îles Sous-le-Vent et îles Du Vent), les îles Australes (Tubuai et d’autres), l’archipel des Tuamotu, les Marquises, les îles Gambier et les îles Cook. Ces îles étaient sous la souveraineté française, à l’exception des îles Cook qui appartenaient à la Grande Bretagne. Les saints des derniers jours étaient dispersés dans une trentaine d’îles appartenant à ces groupes : toutefois ils étaient principalement concentrés dans l’archipel des Tuamotu et dans l’île de Tubuai. À la date du 31 décembre 1895, il y avait 984 saints des derniers jours dans les îles, et au début du siècle, il y en avait environ 1000. Sur une population de 429 âmes à Tubuai, 159 étaient des saints ; sur une population totale de 4743 âmes dans les Tuamotu, 905 étaient membres. Ainsi donc, les saints des derniers jours constituaient le cinquième de la population des îles. Il n’y avait qu’un petit groupe de saints à Tahiti. Le territoire de la Mission fut considérablement réduit en 1903 par l’élimination des îles Marquises, Gambier et Cook.

Beaucoup d’énergie et de talent avaient été consacrés à essayer d’introduire l’Évangile parmi les habitants de ces trois groupes d’îles. Des missionnaires capables avaient fait tout ce qu’ils pouvaient, mais les insulaires, qui « sont de très braves gens… sont entièrement sous la domination de la société missionnaire anglaise et on leur enseigne de n’avoir aucune relation avec aucune autre Église. » Pendant cinq années ou plus, de mai 1899 à 1903, les missionnaires de l’Église furent présents, apprenant la langue, écrivant et traduisant des ouvrages, et se faisant des amis, sans grand succès. Malgré tout, il faut garder en mémoire les noms de ces missionnaires. E. L. Cropper, Eli Holton et James S. Jones travaillèrent dans le village principal de Taiohae dans l’île de Nuku Hiva, dans les Marquises, et L. A. Miner et L. A. Harper enseignèrent à Mangareva, dans le groupe des Gambiers. Les elders suivants travaillèrent dans les îles Cook, jusqu’à quatre ans à Rarotonga et Aitutaki : Marvin W. Davis, Osborne J. P. Widtsoe, Benjamin A. Johnson, Thomas Loveland et Heber J. Heiner. Elder Widtsoe écrivit une brochure en rarotongan et en imprima deux mille exemplaires à Tahiti en juillet 1900. Elle était intitulée : Te Akakatu-akaou-anga i te Ekalisia a Jesu Meta i te Tuatau Openga Nei.


Le 20 novembre 1903, Edward S. Hall, président de la Mission, reçut une lettre de la Première Présidence disant que « l’on devait fermer toutes les parties de la Mission où les missionnaires avaient passé un an ou plus sans faire de convertis. » Cette politique fut appliquée, et les îles Marquises, Gambier et Cook furent fermées à l’œuvre missionnaire, car en dépit du fait que les missionnaires y avaient passé jusqu’à quatre années, il n’y avait pas eu un seul converti.

Les relations avec le gouvernement

Au cours des années, les missionnaires américains d’Utah s’entendirent bien, la plupart du temps, avec le gouvernement colonial français. Les mauvaises relations étaient habituellement centrées sur l’un ou l’autre des problèmes suivants :

1. Les missionnaires étaient accusés d’exercer une influence politique dans les élections locales et de tourner le peuple contre le gouvernement.

2. Les Français craignaient que les missionnaires américains n’américanisent les insulaires. Il y avait des bruits qui disaient que les missionnaires ordonnaient leurs convertis citoyens américains. Les Français craignaient qu’il n’arrive la même chose à Tahiti que ce qui était arrivé dans les îles Hawaii et que les États-Unis ne prennent possession du territoire.

3. Les gouverneurs étaient perturbés par la quantité d’argent recueillie auprès des membres locaux de l’Église et envoyée hors du pays.

4. Les problèmes que le gouvernement rencontrait avec les missionnaires mormons pouvaient être réduits en diminuant le nombre de visas accordés pour leur permettre de résider à Tahiti.

Trop souvent les missionnaires américains de l’Église à Tahiti ne se rendaient pas compte qu’ils n’avaient pas le droit d’être là, qu’ils ne résidaient dans les îles que par la grâce du gouvernement français. Ils étaient là parce qu’ils en avaient la permission, et cela, uniquement tant qu’ils ne perturbaient pas la paix et obéissaient à toutes les règles, réglementations et lois. Les missionnaires devaient apprendre à être neutres, tolérants et patients. Ils devaient faire la distinction entre être Américain et être mormon.

Comme nous l’avons déjà vu, les choses dépendaient en grande partie de la personnalité et de l’humeur du gouverneur et des autres autorités gouvernementales. Il était très important d’avoir le soutien et l’amitié des consuls des États-Unis, qui étaient toujours heureux de représenter les missionnaires américains et de les défendre, eux et leur œuvre, devant les magistrats français. L’aide des consuls était particulièrement utile lorsque le président de Mission ne connaissait pas le français et ne pouvait s’exprimer directement lui-même.

Il y avait de temps en temps des événements qui donnaient aux missionnaires l’occasion de prouver au gouvernement leur utilité et leur serviabilité. Il y avait toujours les petits accrochages qui se produisaient entre les représentants des confessions religieuses existant dans les îles, les saints des derniers jours, les sanitos (l’Église réorganisée), les catholiques, les protestants. En mars 1904, les missionnaires mormons Corbridge et Peck eurent l’occasion, à Mangareva, dans les îles Gambier, de se montrer conciliants. Un garçon, membre de l’Église qui vivait avec les missionnaires, mourut. Pendant que l’on portait le corps pour l’enterrer, les catholiques se l’approprièrent pour leur rite. On se disputa le corps, et les catholiques finirent par l’emporter. Le consul américain en appela au gouverneur, qui demanda aux missionnaires « de laisser tomber l’affaire si c’était possible. » Ils cédèrent et furent bien vus pour leur volonté de coopérer.

Le président de Mission

La personnalité centrale dans l’histoire de la Mission était le président de Mission. Celui-ci présidait aux activités de prosélytisme des missionnaires aussi bien que les assemblées des saints polynésiens dispersés parmi les branches. Il était responsable des affaires de l’Église dans les îles, de tous les aspects des activités missionnaires et de l’administration de l’Église. Il communiquait avec la Première Présidence de l’Église à Salt Lake City. Il recevait les nouveaux missionnaires, leur enseignait leurs devoirs, les affectait à leur champ de mission, leur rendait visite à leur poste, supervisait leurs activités, tenait conseil avec eux et dirigeait toutes les affaires de l’Église.

L’un de ces présidents, Ole B. Peterson, fait ce commentaire concernant la fonction de président de Mission : « Pendant cette mission, j’ai eu beaucoup de belles expériences, et outre que j’enseignais l’Évangile aux natifs, j’étais leur père, leur arbitre, leur pacificateur, leur avocat et leur médecin de famille. » En outre, il publiait le journal de la Mission, écrivait et traduisait.

Les présidents de Mission étaient choisis et nommés par la Première Présidence d’entre les anciens missionnaires de Tahiti qui connaissaient le français et le tahitien. Lorsqu’on appelait l’ancien missionnaire comme président de Mission, il avait éventuellement fait des études supplémentaires, s’était marié et avait vraisemblablement des enfants en bas âge. Les premiers présidents de Mission des années 1890 remplissaient des mandats de treize à trente-cinq mois ; bientôt la durée du service fut uniformisée à trois ans. La vie de famille accompagnait le président de Mission et les couples missionnaires. Le greffier de la Mission était heureux d’écrire : « 21 mai 1906. À trois heures du matin, sœur Wilkinson a donné le jour à une petite fille… C’est la première petite missionnaire à naître dans les îles. » Et ensuite : « Dimanche 12 août 1906. À onze heures du soir, sœur Hall (femme d’Edward S. Hall) a donné le jour à un beau petit garçon. C’est le premier garçon né en mission de parents venus de Sion. » Lorsque la famille de Frank Cutler arriva, ils avaient trois enfants, la famille de William Seegmiller en avait quatre.

La femme du président de Mission était mise à part comme présidente de la Société de secours de Mission, avec pour devoir de former et de superviser les Sociétés de Secours de branche.

Les bâtiments du siège de la Mission

De 1895 à 1906 inclus, le président de Mission habita dans une maisonnette louée dans « un petit faubourg tranquille » de Papeete, « entourée de beaux palmiers et de plantes tropicales. » Le foyer de la Mission était le cœur de l’administration de l’Église. C’est là que résidaient le président de Mission avec sa femme et ses enfants. C’est là que vivaient trois à cinq missionnaires affectés au bureau de la Mission : le secrétaire de Mission et d’autres employés. C’est là que l’on recevait les missionnaires à leur arrivée et qu’on les instruisait de la façon de procéder et des règles de la mission ainsi que de la langue. C’est là que les divers instructions et messages venus du siège de l’Église en Utah étaient traduits sous forme de programmes et d’activités dans le champ de la mission.

Traditionnellement le foyer de la Mission se trouvait à côté d’une église utilisée pour les réunions de branche et de Mission. C’est ce genre de complexe qui fut créé en 1905 et 1906 à Papeete. La Première Présidence fournit la plus grande partie de l’argent. Le président de Mission, Edward S. Hall, avait reçu mandat d’agir pour l’Église, de sorte que les biens achetés par lui étaient transférés par acte à Joseph F. Smith, président de l’Église. Les transactions commencèrent le 2 mars 1905 avec l’achat d’un terrain à Papeete au coin de la rue Brea et de la rue Dumont d’Urville (22 m sur 47 m en façade et 35.50 m sur 47 m au fond) à Melle Céline Bonnet pour 9000 francs français. Les gens donnèrent à cette propriété le nom d’Orovini. En juillet, le président Hall fut appelé à Salt Lake City pour mettre la dernière main aux dispositions en vue de la construction des deux bâtiments. Son absence dura trois mois et demi, au cours desquels il se maria, vit les plans des bâtiments dessinés et approuvés et prit les dispositions nécessaires pour l’achat et le transport de bois et d’autres matériaux de construction. Le bâtiment de la Mission devait être une maison de neuf pièces ; l’église aurait environ 9 m sur 18. James S. Noall, un menuisier, fut appelé à faire une mission de bâtisseur pour faire les élévations.

La construction commença le 8 novembre, une fois que les terres basses et marécageuses eurent été comblées. Le président et les missionnaires démarrèrent le travail en aidant à la pose des fondations. Le 22 novembre, les fondations de pierrailles, de sable et de chaux étaient terminées et les travaux de charpente commençaient. Le 5 janvier, le foyer de la Mission était suffisamment terminé pour que les missionnaires pussent s’y installer pour dormir. Avec le temps la construction ralentit. Les maux de tête de frère Noall l’empêchaient de travailler comme il l’avait fait précédemment. Il fut relevé et renvoyé chez lui. Malgré tout, le 22 avril 1906, « le soir, une réunion des missionnaires eut lieu dans la nouvelle maison et elle fut consacrée au Seigneur pour abriter ses serviteurs dans cette partie de la Mission. » Entre-temps, les travaux continuaient sur l’église et le 17 septembre 1906, les dernières boiseries étaient terminées et on commençait à peindre. L’église fut terminée pendant la conférence d’octobre. Les bâtiments furent érigés pour le prix de 11 100 dollars américains. Le consul américain estima que l’investissement avait une valeur de 15 000 dollars-or.

En vue de l’achèvement du foyer de la Mission et de l’église, le président Hall souhaita avoir, si possible, des représentants de toute la Mission lors des services de consécration. La branche de Papeete était petite. Les bâtiments étaient pour tous les saints de la Mission. Les fonctionnaires du gouvernement local étaient à juste titre fiers des bâtiments. Le 12 septembre 1906, le président Hall alla trouver le gouverneur et obtint la permission de rassembler le peuple à Papeete et de tenir la conférence d’octobre. Quelque 150 saints étaient présents, dont 120 venaient des Tuamotu.

L’Église fut consacrée le soir du 5 octobre 1906 devant une salle bondée de saints et de beaucoup de visiteurs blancs. Tous les missionnaires de la Mission étaient là. Un millier de visiteurs ou plus entouraient le bâtiment, ne pouvant entrer. Le président Hall dirigea la cérémonie. Le programme était le suivant :

Cantique par les membres, sans l’orgue : Ua haaputuputu maira te feia parau tia
Cantique natif avec l’orgue : Te pou ra mai o te Merahi
Discours en tahitien par A. L. Clawson
Cantique natif accompagné à l’orgue : Te Tomoraa fare
Prière de consécration en tahitien par le président Hall
Chant natif avec l’orgue : Tei Desereta
Discours par Toae a Maire
Cantique en anglais par les missionnaires : Tout au sommet des monts
Discours en anglais par Jos. T. Wilkinson
Cantique de clôture : Le grand Dieu se manifeste
Prière de clôture par Taipu, président de la branche de Hao.

La conférence eut lieu dans l’église pendant les trois journées qui suivirent. Trois réunions eurent lieu chaque jour, avec des activités de classe le soir, sauf le dimanche soir, où une réunion anglaise eut lieu. Étant donné les nombreuses personnes présentes, la conférence fut qualifiée de « grand succès. »

Pour rendre visite aux saints dispersés au loin dans les branches et aux missionnaires, il fallait que le président de Mission ait beaucoup de résistance, de foi, d’ingéniosité et d’endurance pour obtenir une place sur les navires de commerce et passer d’une île à l’autre. La note suivante dans le registre de la Mission à la date du 13 janvier 1902 donne une petite idée de cet aspect de la vie missionnaire dans les îles :

« Le président, Jos. Y. Haight, est arrivé aujourd’hui après quatre mois de visite dans les îles Tuamotu. Il allait bien et signale avoir rendu visite aux îles de Fakarava, Takapoto, Takaroa, Taenga, Hao, Ravehere et Anaa, rencontrant les saints qui vivaient dans les branches de ces îles. Dans certaines branches les saints se sentaient bien et essayaient de vivre leur religion, dans d’autres il y avait beaucoup de laisser-aller. »

L’imprimerie de la Mission

Une institution importante au foyer de la Mission, c’était l’imprimerie. La Mission avait besoin de documents imprimés, de littérature évangélique en tahitien, que les missionnaires pouvaient distribuer lors de leurs visites dans les îles et parmi les saints. En conséquence, l’Association des anciens missionnaires d’Utah réunit 300 dollars américains pour acheter du matériel d’imprimerie qu’elle envoya en cadeau à Papeete, où on le reçut le 13 décembre 1903. Un an et demi plus tard, Joseph T. Wilkinson et sa femme arrivaient à Papeete ; « il est imprimeur de métier et a été envoyé pour faire marcher l’imprimerie de la Mission. » À partir de ce moment-là, on appela des imprimeurs à partir en mission à Papeete pour assurer la publication de la Mission.

Ole B. Peterson fut appelé, le 30 octobre 1910, comme imprimeur pour un mandat de trois ans et demi. Il définissait ses devoirs comme suit : réparer et nettoyer la presse, composer, distribuer les caractères, couper le papier, imprimer et plier le papier, adresser et expédier les papiers, imprimer les reçus et les leçons de l’Évangile et relier de petits livres. Il apprit le tahitien en sept mois et passa du temps à écrire des plans de leçons d’École du dimanche et à travailler à la traduction de l’histoire du prophète Joseph Smith. En plus de ses devoirs, il passa du temps avec les missionnaires. Sa femme passait la plus grande partie de son temps à s’occuper de jumeaux nés le 20 juillet 1912, le même jour où sœur Fullmer donna le jour à une fille.


La presse d’imprimerie était installée au bureau de la Mission et presque tous les travaux d’impression de la Mission se faisaient là-bas. La publication principale était le journal de la Mission, Te Heheuraa Api (La nouvelle révélation), publié mensuellement. Créé en 1907, le petit journal était décrit comme suit : « Beaucoup de personnes lisent son message mensuel d’informations évangélique et beaucoup de ses colonnes ont permis d’apporter le message de l’Évangile à un grand nombre de personnes qui n’auraient sinon pas voulu écouter les missionnaires. Une petite place est réservée dans chaque numéro pour les événements du jour et ce détail, à lui seul, a été un puissant atout dans l’acquisition de nouveaux abonnés. »

Les missionnaires utilisaient le journal dans leurs visites aussi bien aux non-membres qu’aux membres, proposant un abonnement lorsque c’était possible. Le président Fullmer exhortait ses missionnaires à « travailler dans l’intérêt du journal et à prêcher l’Évangile. » En 1929, il y avait plus de treize cents abonnés. Le travail de George P. Coleman et de Horace Hess est rapporté le 10 janvier 1931 comme suit : « Ces deux frères venaient de revenir d’avoir travaillé dans l’île de Makatea. Ils n’y restèrent pas longtemps mais vendirent 119 abonnements au journal et firent rapport d’un voyage très réussi, même si la possibilité d’y tenir une réunion leur fut refusée. » La publication continua jusqu’en 1961.


Des ouvrages très divers sortirent de presse en tahitien. Ora Hyer écrit en mai 1914 : « L’année dernière, nous avons imprimé beaucoup de choses, notamment une nouvelle édition de notre livre de cantiques. Ce petit livre est un ouvrage très valable. Il contient 123 cantiques, la plupart des traductions des cantiques de l’Église. Depuis le début, notre imprimerie se finance elle-même et ses finances sont actuellement saines. » En 1922, ils finirent d’imprimer mille exemplaires d’une nouvelle brochure, Te Haereraa Piti mai o te Mesia. En 1923 fut publié un nouveau manuel pour les collèges de la prêtrise, E Buka Haapiiraa no te Autahuaraa Api, un ouvrage adapté de Gospel Themes d’Orson F. Whitney. En 1925, on imprima des calendriers, qui devaient être donnés avec un abonnement d’un an à Te Heheuraa Api.

« Ils sont imprimés sur du carton rose avec un bord orange, et l’illustration montre Joseph Smith recevant les plaques d’or. » La Mission créa une grammaire et un lexique en français, tahitien et anglais, ouvrage très utile aux missionnaires apprenant le tahitien. La même année, 1925, on imprimait trois cents exemplaires de la traduction en tahitien par Ole B. Peterson de la History of Joseph Smith de George Q. Cannon, qui devait servir de manuel de leçons. En 1929, la presse publiait une brochure intitulée Le baptême est-il essentiel au salut ? et trois cents exemplaires d’un nouveau livre de cantiques tahitien. Et en 1930, 250 exemplaires du livre Parau Tuotapapa no Iosepha Semita étaient imprimés. En 1931, le livre A Tahitian Grammar d’Ernest Rossiter et le lexique d’Ole B. Peterson étaient révisés, combinés et publiés en un seul livre par Harrison B. Conover, ancien missionnaire tahitien.

Pour des raisons administratives, la Mission fut divisée en trois conférences géographiques, appelées plus tard districts, qui furent placées sous la direction d’un président de district, ordinairement un missionnaire chevronné, qui était responsable devant le président de Mission. Le président de district supervisait le travail des missionnaires affectés à son district. Les trois conférences étaient les Tuamotu inférieures, les Tuamotu supérieures et les Australes. En 1927, deux nouveaux districts furent créés ayant pour centres Takaroa et Hao. La Mission était dorénavant composée de quatre districts : Tahiti, Tubuai, Nord Tuamotu et Tuamotu.

Le missionnaire

C’est sur les épaules du missionnaire que reposait la responsabilité d’intégrer pleinement les convertis dans l’Église. Appelé d’entre les jeunes anciens des pieux de Sion en Amérique, le missionnaire était mis à part à Salt Lake City, prenait le train jusqu’à San Francisco et se rendait de là par bateau à vapeur ou par voilier à Papeete (Tahiti). Voici comment Edward S. Hall décrit cette partie de la procédure : « Lorsque les nouveaux missionnaires arrivent dans cette Mission, on les envoie dans les différentes îles travailler avec des missionnaires qui connaissent déjà bien la langue locale. Ils vont deux par deux d’une île à l’autre, prêchant l’Évangile et faisant tout ce qui se révèle nécessaire dans les diverses branches. »

En 1904, lorsque le président Hall écrivit cela, il y avait douze missionnaires dans la Mission : quatre voyageant dans le groupe des Tuamotu, quatre dans les Marquises, deux dans le groupe des Gambier et deux à Tubuai. Une petite assemblée à Papeete organisait chaque dimanche un service religieux. Pendant les quarante années qui suivirent, le nombre de missionnaires traditionnel fut de douze et pouvait comprendre le président de Mission et sa femme. Les missionnaires travaillaient habituellement trois ans.

La première tâche du missionnaire était d’apprendre le tahitien. L’idéal était de connaître le tahitien et le français, mais il était rare qu’un missionnaire ou même qu’un président de Mission parle les deux langues. Et alors que le gouvernement imposait l’usage du français, les missionnaires mormons apprenaient et utilisaient pour la plupart le tahitien, essentiellement parce que c’était la langue que parlaient presque exclusivement les saints dispersés.

Nul n’arriva aussi bien préparé pour apprendre le tahitien que Daniel T. Miller, dont nous avons déjà parlé, et William H. Chamberlin. Le biographe de Chamberlin décrit comme suit ses premiers contacts avec la langue :

Il se lança immédiatement dans l’acquisition de la langue locale, ayant, pour l’aider, comme il le dit : « une grammaire moderne en manuscrit, traduite du français, en plus d’un dictionnaire, de documentation et de beaucoup d’occasions de converser avec les natifs. » Au bout d’un mois, il avait progressé au point de pouvoir entreprendre son premier voyage missionnaire parmi les natifs. Ce voyage fut un tour de l’île de Moorea qu’il entreprit le 3 septembre et termina une semaine plus tard. À son retour à Tahiti, il fit son premier sermon en tahitien lors d’une réunion à Pirae et, plus tard au cours de ce mois, fit un deuxième tour de l’île de Moorea.

Il fallait, à la plupart des missionnaires, six à douze mois pour apprendre la langue. Le missionnaire qui se débrouillait dans la langue pouvait aider à la préparation des brochures, des instructions, des traductions, des sermons pour les missionnaires qui venaient d’arriver et des plans et des leçons que l’on allait utiliser dans les écoles. Joseph Young Haight (1901), écrivit et publia Te Arata’i (Le guide), qui contenait des instructions aux officiers et aux membres de l’Église, proposait des formes de prière et reproduisait quelques extraits des Doctrine et Alliances. Adelbert Clawson (1905-6) fit un voyage aux Tuamotu où il réussit à réunir de la généalogie et des registres. I.E. Willie passa du temps à traduire des extraits du livre Succession in the Presidency, de B.H. Roberts, pour les aider dans leur étude de la question joséphite. Elder Chamberlin utilisa de diverses façons sa maîtrise de la langue.

« Il traduisit différents cantiques et en arrangea et en composa d’autres. Il note ainsi à la date du 23 septembre 1898 : « J’ai créé des cantiques de nouvel an adaptés à des airs natifs » et, le 31 décembre, « on a bien chanté. Parmi les cantiques, il y a les deux que j’ai composés pour l’occasion. » Le 6 avril 1899, il écrit : « Après la deuxième réunion, les membres se sont entraînés à chanter ma traduction de « O mon Père. » Il écrivit aussi un certain nombre de brochures de l’Évangile en tahitien, parmi lesquelles il y en avait une sur « le rétablissement de l’Évangile » et une sur « les premiers principes de l’Évangile. » Il note à propos de la seconde que quatre mille exemplaires furent publiés en décembre 1899. »

En janvier 1900, il avait fini d’écrire et avait imprimé 3000 exemplaires d’une brochure en tahitien intitulée Te hoe parau iti no te Evanelia.

Bien que la responsabilité principale des missionnaires fût d’enseigner l’Évangile à quiconque voulait bien les écouter, ils étaient appelés à rendre toute une série d’autres services. Ils dirigeaient les réunions de l’Église et donnaient les cours de religion. Ils donnaient des conseils aux dirigeants et aux membres. Ils faisaient du prosélytisme dans l’île et vendaient des exemplaires ou des abonnements au journal de la Mission. Ils participaient à la construction d’églises. Ils rendaient visite aux malades, jouaient le rôle de médiateurs dans les querelles, prenaient les dispositions nécessaires pour les mariages, baptisaient et confirmaient les membres et bénissaient les bébés et les adultes. Ils pouvaient aussi bien participer à l’organisation des conférences qu’à la préparation de pièces de théâtre telles que Te Haapiiraa, qui enseignaient des principes de l’Évangile adressés aux saints et intéressaient aussi les non-membres de l'Église.

Les branches avaient des officiers locaux de l’Église, mais étaient supervisées par les missionnaires. Ceux-ci étaient si utiles dans les activités de branche que les relations avec le président de branche et les membres étaient délicates et demandaient de la diplomatie. C’est ainsi que les missionnaires travaillaient essentiellement avec les saints convertis dans les branches établies ; le prosélytisme était secondaire.

Les missionnaires organisaient aussi parfois des écoles, surtout dans les premières années et avant que le gouvernement français n’installe les siennes. En mai 1904, le président Hall décrit comme suit la situation des écoles à Tahiti :

« Le gouvernement a maintenant des écoles à Tahiti, et on enseigne aux enfants à lire et à écrire en français. On n’autorise pas l’enseignement dans les langues natale ou anglaise, sauf dans les Écoles du dimanche. C’est pourquoi on a créé des Écoles du dimanche pour enseigner l’Évangile dans toutes les îles où il y a des branches officielles de l’Église. Il est très difficile d’obtenir le succès désiré, parce que les saints se déplacent continuellement d’une île à l’autre. Le peuple aime beaucoup la musique et a beaucoup de plaisir à chanter. Ils ont une très belle voix, mais ils ont besoin d’être formés et c’est ce que les missionnaires s’efforcent continuellement de faire. Nous faisons traduire certains cantiques de l’Église en langue locale, et les saints aiment beaucoup les chanter. »

Au cours de la décennie qui suivit, la plupart des missionnaires étaient occupés d’une manière ou d’une autre à instruire les jeunes dans les écoles. En 1913, on notait que Ora Hyer était à Hikueru où il avait fondé une école ; Lewis E. Westover et John L. Davis étaient à Takaroa et enseignaient là-bas ; Montrose Killpack et J. Elvin Pearson étaient à Niau ou Hikueru et Ira Hyer et Otto Stocks étaient à Tubuai en train de créer une école pour les enfants et l’œuvre missionnaire en général parmi ces populations. Mais cette activité prit fin le 17 août 1914, lorsque le gouverneur des Tuamotu interdit aux missionnaires d’enseigner dans aucune des écoles des Tuamotu. Une nouvelle loi avait été passée, stipulant que « seuls les citoyens français ser[aie]nt autorisés à enseigner dans les écoles des îles. » Les écoles de l’Église ne tardèrent pas à être fermées.

Le bien-être de la Mission était évalué par les statistiques fournies par les missionnaires et les présidents de branche : conversations sur l’Évangile, familles visitées, brochures distribuées, abonnements souscrits au journal, exemplaires du Livre de Mormon vendus, nombre de réunions supplémentaires tenues, nombre de baptêmes accomplis. En avril 1914, le secrétaire de la Mission observait : « La Mission ne s’est jamais mieux portée en matière de dîme et d’offrandes… Nous avons assurément le droit de dire que notre Mission progresse. »

Au cours des années, avec la diminution du nombre des missionnaires, ceux-ci étaient principalement stationnés dans les grandes îles de l’archipel des Tuamotu et à Tubuai. Un missionnaire pouvait s’attendre à être transféré deux fois ou plus au cours de ses trois années, mais il y a des exemples de missionnaires qui restèrent toute leur mission dans une seule île ou deux.

Les missionnaires habitaient une chambre unique dans une maison ou une maison d’une seule chambre séparée d’une famille locale. La cuisine était proche. La famille pouvait s’intéresser spécialement à eux et prendre soin d’eux de diverses manières. De toutes façons le missionnaire avait un mode de vie assez proche de la vie tahitienne, à l’exception des vêtements où c’était la tenue américaine qui était de rigueur.

Ils étaient à pied, sauf s’ils avaient acheté un cheval. Le transport entre les îles était rare et lent. Ils devaient utiliser essentiellement les produits locaux. Mais leur principale préoccupation semble avoir été le manque de courrier. Il pouvait se passer des semaines et plus vraisemblablement des mois entre deux distributions de courrier. Celui-ci dépendait encore de la bonté du capitaine d’un navire et de l’itinéraire emprunté par celui-ci, toujours susceptible d’être retardé ou changé. En dépit du fait qu’ils étaient isolés du monde extérieur, la communication se produisait parfois par l’inspiration. Floyd M. Packer raconte l’expérience suivante :

« Pendant que je travaillais dans l’île de Hikueru, Elder Hess me réveilla vers deux heures du matin, disant que je pleurais. Qu’est-ce qui se passait ? On était le 16 septembre 1831. Je lui dis que la femme de mon frère venait de décéder. Il essaya de me persuader que je me trompais, que ce n’était qu’un rêve. Je lui dis que je l’avais vue dans un cercueil, mon frère debout d’un côté et ma mère de l’autre. Quelques mois plus tard, lorsque nous retournâmes au siège de la Mission, le président Burbidge m’appela dans son bureau et me dit qu’il avait de tristes nouvelles pour moi. Je lui dis que je savais ce que c’était. Ma belle-sœur était décédée le 16 septembre. Oui, c’était bien ce qu’il avait à m’apprendre. Comment le savais-je ? Je lui racontai ce qui était arrivé, puis je lus mon courrier et une lettre confirma ce que j’avais vu en songe cette nuit-là. »

Il se produisait des maladies et des accidents. En dépit des tribulations subies, aucune n’eut pour résultat la mort d’un missionnaire. Beaucoup signalèrent qu’ils avaient senti une influence protectrice pendant toute leur mission.

Robert M. Johnson raconte ce qui lui arriva en 1936, pendant qu’il travaillait à la construction de l’église de Hao :

« Nous avions terminé les élévations, y compris les pignons. Les murs avaient 45 centimètres d'épaisseur. Nous étions en train d'installer les chevrons depuis le sommet des murs jusqu'aux poutres qui allaient d'un pignon à l'autre. J'étais debout au sommet du mur de droite et je passais le chevron au missionnaire qui les fixait à la poutre au sommet, lorsqu'un des chevrons que je tenais glissa et me fit perdre l'équilibre, et je me mis à tomber en arrière, vers le sol qui était à environ quatre mètres cinquante en-dessous de moi. Je crus que c'était la fin lorsqu'un pouvoir ou des mains furent placées sur mon dos et que je fus remis à ma place de départ. Ce fut une expérience spirituelle extraordinaire pour moi, jeune missionnaire. »

Les qualités nécessaires au bon missionnaire furent définies par le président Ernest C. Rossiter dans une lettre à un autre président de Mission :

« Nous avions un jeune missionnaire de Sion qui réussit à convertir et à baptiser 100 personnes. Ses conversions provenaient essentiellement de la profonde humilité qu'il avait devant le Seigneur. Il abordait les gens dans le véritable esprit d'amour et de bonté. Son attitude devant les gens était sincère et pleine de compassion et de pardon pour leurs faiblesses. Il savait conquérir les cœurs et l'Esprit du Seigneur était avec lui aussi bien lorsqu'il contactait les gens que lorsqu'il était au foyer avec les autres missionnaires. Si tous nos missionnaires pouvaient acquérir le charme chrétien, quelle force cela aurait pour la conversion.

Ces sentiments font écho aux termes de la révélation donnée par Joseph Smith à son père concernant l'œuvre missionnaire : «Et la foi, l'espérance, la charité et l'amour, avec le seul souci de la gloire de Dieu, le qualifient pour l'œuvre. Souvenez-vous de la foi, de la vertu, de la connaissance, de la tempérance, de la patience, de la bonté fraternelle, de la sainteté, de la charité, de l'humilité, de la diligence. Demandez et vous recevrez ; frappez et l'on vous ouvrira. » (Doctrine et Alliances 4:5-7).

En 1895, Frank Cutler avait une équipe de huit missionnaires. Pendant les années 1890 (1892-1899), quelque quarante-cinq missionnaires étaient arrivés. En janvier 1900, William Chamberlin avait une équipe de vingt-deux missionnaires répartis dans les tles et leurs habitants comme suit : Frederick T. Yeates, I. E. Willey et Grant Andrus à Hikueru, dans les Tuamotu ; Edgar L Cropper et Eli Holton à Taiohae, à Nuku Hiva, dans les îles Marquises ; Osborne Widtsoe et Marvin W. Davis à Rarotonga, dans les tles Cook ; Guardillo Brown et Thomas H. Pratt à Tubuai, dans les îles Australes ; Ezra T. Hatch et C. J. Hansen à Bora Bora, dans les îles Sous-le-Vent ; Isaac L. Wright et Parley Allred à Raiatea, dans les tles Sous-le-Vent (de la Société) ; William B. Taylor et James T. Mills à Tahiti, district de Hitiaa ; Andrew Mortensen, fils, et R. A. Dowdle à Tahiti, district de Tautira ; William C. McGregor et Benjamin A. Johnson à Tahiti, district de Papara ; William H. Chambertin, Ammon T. Rappley et Joseph Y. Haight à Tahiti, Papeete ; Timi a Punau à Mangareva et Toae, Tautira, Tahiti.

L'œuvre des missionnaires fut appréciée par les Français, car il y eut collaboration au cours des années, et fut soutenue par les consuls américains. Lors d'une conversation qui eut lieu le 9 mars 1918, le consul britannique à Tahiti, le Dr Walter J. Williams « fit la réflexion que la chose qu'il admirait par excellence dans l'Église mormone était que c'était une religion pratique de tous les jours et que ce qu'il y avait de plus remarquable chez elle était l'effet qu'elle avait sur ses membres. Il dit aussi que c'était quelque chose de tout à fait merveilleux de voir les jeunes missionnaires mormons s'en aller dans le monde pour consacrer les meilleurs années de leur jeunesse à leur Église sans rétribution, et en outre, que tout en se mêlant à toutes sortes de gens, ils ne s'identifiaient pas à eux. Il conclut en disant que c'étaient les meilleurs jeunes gens qu'il eût jamais rencontrés en ce monde et qu'il tirait son chapeau à l'Église mormone et aux mormons. »


6. L'Église en action (1900-1945)

L'objectif principal de la Mission était la conversion des Polynésiens à l'Évangile rétabli de Jésus-Christ et «le perfectionnement des saints» par l'obéissance aux principes de l'Évangile rétabli (Éphésiens 4:11). Une fois converti, comment vivait le membre polynésien ? Qu'est-ce qui le distinguait des autres ? Quelles activités de l'Église caractérisaient sa vie ? Sa vie de tous les jours changeait-elle à la suite de sa conversion ? Voici une enquête sur la vie religieuse des saints polynésiens.

Les branches

Le nombre de saints des derniers jours et le nombre de branches changèrent très peu au cours des années 1900-1945. Pendant les premières décennies, la Mission avait un personnel d'une douzaine de missionnaires, qui baptisèrent 195 convertis avec une moyenne de 20 par an. Au cours des années 1920-1940, la Mission compta en moyenne 16 missionnaires. Le total des baptêmes s'éleva à 623, avec une moyenne d'environ 30 par an pour la Mission. Pendant la même période, le total des membres ne changea pas beaucoup. En 1920, il y avait 1591 membres, en 1940 il y en avait 1511. Mais pendant les années 1930, le nombre de membres s'accrut de 430 personnes, pour passer de 1181 à 1511. Le nombre de branches passa de 16 à 22. Le nombre de détenteurs de la Prêtrise de Melchisédek passa de 88 à 130, soit une moyenne d'environ 6 par branche. La population de chaque branche variait en moyenne de 93 à 130. Un rapport sur les branches couvrant la période de juillet 1895 au 31 décembre 1900 signale treize branches dans les Tuamotu et une à Tubuai.

Chaque branche était sous la présidence d'un frère local. Les Écoles du dimanche étaient organisées dans quatre branches et les Sociétés de secours dans six. Selon ce rapport, les branches comptaient une moyenne de quarante membres.

Chaque branche avait ses propres officiers. Une présidence de branche (un président et deux conseillers) présidait partout ; un président ou un surintendant présidait l'École du dimanche ; une présidente et deux conseillères présidaient la Société de secours. Le nombre d'officiers d'organisations variait en fonction de la population de la branche, des détenteurs de la Prêtrise de Melchisédek et de l'expérience.

Lorsque Andrew Jenson, l'historien de l'Église, rendit visite en 1896 aux Tuamotu, il y fut suffisamment longtemps pour observer les saints dans leurs réunions et laisser cette description :

« Dimanche, 1er mars (1896) Takaroa. Nous avons assisté à trois réunions générales, à une école évangélique et à une réunion de prêtrise avec les saints de Talcaroa. Nous avons également pris la Sainte-Cène, utilisant de la chair de coco au lieu de pain et du lait de coco au lieu de vin ou d'eau. Les saints de cette Mission sont fidèles à aller aux réunions. Dans la plupart des branches, ils tiennent trois réunions et une école évangélique chaque dimanche. Ensuite on tient aussi des écoles évangéliques le lundi soir; des réunions générales et des écoles évangéliques le mercredi, une réunion de sœurs le jeudi après-midi et des réunions évangéliques le vendredi après-midi et le vendredi soir.

« Les missionnaires ont essayé de diminuer le nombre des réunions,
mais les natifs ne sont pas d'accord, car c'est une vieille habitude chez eux de tenir des réunions et des écoles dans cet ordre-là. Les activités des écoles évangéliques consistent généralement en des questions et des réponses sur des sujets de l'Évangile, sur la Bible et l'histoire de l'Église. Celui qui dirige l'école, distribue les questions aux différents élèves lors d'une précédente leçon. Ces écoles sont généralement intéressantes et vivantes, car elles stimulent l'esprit et l'énergie des natifs qui sont vivement désireux de donner les meilleures réponses possibles. Chaque fois qu'ils sont présents, les frères de Sion dirigent habituellement ces écoles. »

Au cours des premières années, Addison Pratt et Benjamin Grouard avaient célébré la Sainte-Cène une fois par mois à une réunion du dimanche. En mars 1901, il fut décidé que la Sainte-Cène serait administrée une fois par dimanche plutôt qu'une fois par mois. Le changement fut introduit à Papeete et ensuite étendu à toute la Mission.

Un des premiers projets de toutes les branches était la construction d'une église pour les services religieux et d'une salle culturelle pour les fêtes. Les saints se prétendaient à juste titre propriétaires des églises construites du temps de P91tt, de Grouard et de leurs disciples, s'opposant aux prétentions des Réorganisés qui utilisaient les églises qu'ils avaient trouvées à leur arrivée. Les branches de l'Église des Tuamotu construisirent leurs propres églises, souvent avec l'aide substantielle des missionnaires. L'église de Takaroa, commencée en 1891 et de nouveau en 1901 avec l'aide constante des missionnaires, fut finalement terminée et consacrée le 1er avril 1910 par William A. Seegmiller. L'église de Takapoto, construite à peu près au même moment, fut renversée par le cyclone du 25 mars 1905. En avril 1913, une nouvelle église était consacrée à Hao.

Pendant les années 1930, trois nouvelles églises furent construites à Tubuai, une pour chaque branche : la première, pour la branche d'Haramea, fut consacrée en octobre 1931, la seconde, pour la branche de Mahu, fut consacrée en octobre 1933 (elle fut construite en 76 jours) ; la troisième, pour la branche de Taahueia, fut consacrée en octobre 1935. Simultanément, on construisait deux églises dans les Tuamotu, une à Hao et une à Vahitahi. On construisait églises furent entièrement construites en bois : « les arbres étaient coupés, équarris, sciés en long et rabotés, tout cela à la main, seule forme d'énergie utilisée dans les îles. » Certains bâtiments étaient construits de pierres, de formation corallienne, extraites de l'océan par des plongeurs. « Entre 1920 et 1948, l'Église construisit au moins douze églises, cinq salles culturelles, appelées Fare Putuputuraa, ou lieu de rassemblement, et un certain nombre de petites maisons pour les missionnaires. » Les saints travaillèrent longtemps et de toutes leurs forces à construire leurs églises. Une construction tout à fait remarquable fut celle d'un bureau de Mission et d'une église à Papeete, comme déjà mentionné.


Le bureau de la Mission et l'église de Papeete un fois construits, il fut temps de redonner vie à la branche de Papeete. La semaine qui suivit la consécration, le vendredi, la branche de Papeete fut organisée. Il est possible qu'elle ne fonctionnait plus depuis quelques mois, car le 20 avril1905, un jeudi, le registre dit : «Le vieux Tamaiti Pirae a été relevé aujourd'hui comme président de la branche de Papeete pour cause de vieillesse, et a pris le bateau avec sa famille pour retourner dans sa patrie à Tubuai. Il a rempli fidèlement un appel qu'il a détenu pendant de nombreuses années.» Un an et demi plus tard, le 12 octobre 1906, la branche de Papeete était organisée avec Toae a Maire comme président et Morere a Patea et Punua comme conseillers. Frère Punua fut également appelé comme président de l'École du dimanche. Le dimanche 14 octobre, ces officiers furent soutenus et mis à part et l'École du dimanche commença. Beaucoup de personnes y assistaient. L'enseignement à l'École du dimanche était donné dans quatre classes.

Le but des dirigeants de la Mission était d'assurer l'autonomie des branches et, lorsqu'on y parvenait, c'était une cause de réjouissances. Combien de temps les officiers détenaient-ils un poste ? Aucune étude ne répond à cette question. Il se peut que ce soit l'inertie qui ait provoqué la désorganisation et la réorganisation en vint à être considérée comme « une première ». Quoiqu'il en soit, le 6 avril 1924, l'École du dimanche de la branche de Papeete fut « organisée » pour « la première » fois, et Tita a Tehua (ou Emile Huri a Tehua) fut soutenu et mis à part comme surintendant avec Tetavahi a Mariteragi et Marcel Bonnet comme conseillers. Une semaine plus tard, une Société de secours était organisée dans cette branche. Terai a Tefanau fut soutenue et mise à part comme présidente avec Taumatagi a Mariteragi et Katupu a Tehinaturoa comme conseillères et Taha a Toae comme secrétaire. C'était, disait-on, la première organisation permanente de la Société de secours depuis au moins dix ans.

Le président, Alma O. Burton, organisa la première société d'amélioration mutuelle des jeunes gens et des jeunes filles (SAMJG et SAM JF) de la Mission. Il le fit tandis qu'il rendait visite à Takaroa entre le 11 octobre et le 10 novembre 1926. Orientées vers les jeunes de l'Église, les SAM furent d'abord mal acceptées par les membres plus âgés, mais ils ne tardèrent pas à participer aux réunions avec les jeunes. La SAM aida considérablement les jeunes à rester pratiquants dans l'Église, quelque chose qui avait été difficile jusqu'alors. La Primaire fut créée le 10 mai 1939 dans la branche de Papeete avec Simone Bonnet comme présidente. L'École du dimanche, la Société de secours et la Primaire existaient déjà dans les branches lointaines avant d'arriver à Papeete.


Les activités de société ne se limitaient pas à ces organisations auxiliaires de l'Église. Il y avait diverses occasions où on se réunissait pour le profit de tous. Pendant bien des années, les saints polynésiens se rassemblèrent au bureau de la Mission pour le réveillon de nouvel an pour y passer la soirée avec une collation (la préférence allait à la crème glacée et à la pastèque), pour chanter et rendre leur témoignage. Les missionnaires américains célébraient tout naturellement les fêtes américaines comme en témoigne cet événement en date du 27 novembre 1930 :

« Un grand dîner de Thanksgiving a été préparé aujourd'hui par sœur Burbidge. Les invités étaient M. Garretty, le consul américain, et sa femme, M. et Mme Sterling, missionnaires adventistes du septième jour et M. Roland. Cela a plu à tout le monde et après le repas, M. Garretty a joué du piano pour nous. »

Les présidents de la Mission contribuèrent au développement de la Mission grâce à leurs talents et à leurs qualifications personnels. L'œuvre de LeRoy Mallory est un exemple frappant de ce processus. Pendant qu'il faisait sa première mission à Tahiti (1919-1922), Ernest C. Rossiter, son président de Mission, l'avait chargé d'organiser et de former une fanfare dans l'île de Takaroa. L'Église de Salt Lake City fournissait les instruments. Etant donné que la plupart des insulaires ne pouvaient pas lire la musique, ce fut difficile, mais frère Mallory était un homme dévoué et talentueux. Cette entreprise « constituait pour les jeunes une distraction saine ». La fanfare jouait pour les conférences et l'amusement des membres aussi bien que lors des manifestations publiques et était bien reçue partout.

Pendant sa deuxième mission (1933-1937), cette fois en tant que président de Mission, Mallory organisa de nouveau cette fanfare de vingt-six membres. Il mit à sa tête Taumata a Mapuhi, qui avait été formé au Church College de Nouvelle-Zélande. La fanfare connut de nouveau un grand succès. Elle fit plusieurs voyages à Tahiti et en août 1934, elle fut invitée par le gouvernement à se rendre en novembre à Fakarava pour assurer la musique d'une grande journée de manifestations culturelles. Elle s'y rendit, remporta le premier prix, une médaille, et 125 francs. Elle était très appréciée par tous les milieux. En mars 1951, le président Mallory, lors de sa troisième mission, l'organisa une fois de plus. Composée de trente-six musiciens, elle joua à de nombreuses manifestations de l'Église aussi bien que lors des manifestations publiques à Tahiti. Pour la parade de la fête de la Bastille, le 14 juillet, on lui demanda d'ouvrir les festivités et d'être en tête de la parade.


La qualité de la vie religieuse et spirituelle était très variée parmi les saints. Ce qui les caractérisait habituellement, c'étaient les manifestations visibles de leur adhésion. La vie des saints des derniers jours fidèles était marquée par le respect de la parole de sagesse, la loi de chasteté, le respect du sabbat et la participation au service du dimanche et à d'autres programmes de l'Église. La plupart étaient consciencieux, mais certains étaient négligents. Les missionnaires signalaient être bien traités par les natifs, mais ils ne semblaient pas beaucoup s'intéresser à ce que nous avions à leur dire ». Certains saints « essayaient de vivre leur religion », tandis que d'autres « vivent comme cela leur tente, rejettent les autres [enseignements] ». Les infractions flagrantes obligeaient à se séparer d'eux. Le 6 avril 1902, à une conférence à Hao, le président de Mission excommunia trente-six personnes pour fornication et apostasie.

Conférences

Si les branches tenaient leurs réunions hebdomadaires pour leurs propres membres, les conférences organisées par le président de Mission attiraient l'assistance volontaire de membres de l'Église éloignés et extrêmement dispersés. Imitant quelque peu les conférences générales organisées en avril et en octobre à Salt Lake City, les conférence dans les îles avaient lieu moins régulièrement. Elles comportaient des services religieux consistant en sermons et en cantiques, en réunions d'affaires relatives à l'Église et à ses fonctions temporelles et spirituelles et en des réunions du soir pour chanter des cantiques, réciter et jouer les Écritures. Les conférences contribuaient à promouvoir la moralité, les qualités de citoyen et le bon ordre public. Les membres s'assemblaient paisiblement pendant plusieurs jours. Les conférences attiraient des centaines de saints polynésiens.

Avec les années, elles devinrent un élément majeur dans la vie religieuse des saints. Les caractéristiques principales étaient toujours maintenues, mais les présidents de Mission ajoutaient leurs propres programmes. Un excellent rapport sur une conférence tenue en avril l914 à Papeete fut rédigé par Ora Hyer, greffier de la conférence :

« Notre conférence semi-annuelle a eu lieu les 4, 5, 6, 7 et 8 avril à Papeete (Tahiti). Elle a été sous la présidence de Franlclin J. Fullmer. Tous les anciens de Sion qui se trouvaient dans la Mission étaient présents, ainsi que les deux sœurs.

« La première réunion de la conférence fut une réunion générale de prêtrise. On entendit les rapports de toutes les branches et beaucoup de questions concernant le bien-être de la Mission furent proposées à la réunion et traitées. Le président Fullmer passa brièvement en revue le travail accompli au cours de l'année écoulée et donna beaucoup d'instructions concernant notre œuvre. Plusieurs réunions furent tenues chacun des jours prévus poui la conférence et les autorités générales et locales furent soutenues à l'unanimité.

« Le dimanche soir, 5 avril, il y eut une assemblée de l'École du dimanche à laquelle assistèrent plus de deux cents jeunes gens, outre de nombreuses personnes plus âgées. La réunion était constituée de brefs discours très vivants qui s'adressaient essentiellement aux jeunes gens et à l'œuvre de l'École du dimanche.

« L'œuvre de l'année à venir fut définie par le président Fullmer, qui montra les avantages que l'on retire de l'œuvre de l'École du dimanche. Il annonça qu'un plan complet avait été mis au point pour l'année à venir et qu'il fallait le suivre strictement. Il exprima son regret de ce que l'École du dimanche ait été tellement négligée dans le passé et exprima l'espoir que dorénavant notre œuvre dans ce domaine allait être un des principaux moyens de guider les jeunes dans l'Évangile.

« La conférence de la Société de secours eut lieu le 4 avril et cinq banches y furent représentées. D'excellents rapports furent faits, montrant que les saints locaux étaient, de cœur et d'esprit, dans la ligne de cette grande œuvre. Beaucoup de temps avait été consacré à coudre pour les pauvres et les nécessiteux et à prendre soin d'eux, tant pour les non-membres que pour les nôtres.

« Chaque soirée de la conférence fut occupée par « Te mau Haapiiraa ». Les jeunes de différentes branches ayant été entraînés à des exercices sous forme de questions et réponses, chaque soir de conférence un des sujets suivants étaient splendidement traité par les jeunes. « Le royaume de Dieu », « Le châtiment éternel », « Succession dans la présidence », « Le baptême des petits enfants », « La chute d'Adam », etc.

« Ces activités avaient lieu au début de la soirée, après quoi tout le monde se rendait sur la pelouse à l'extérieur pour passer quelques heures à chanter. Ces chants étaient toujours une sorte de concours : un choeur chantait suivi d'un autre jusqu'à ce que tous aient eu leur tour, chacun essayant de mieux chanter que les autres. De temps en temps un bref discours par un des frères natifs sur un point de doctrine ou un verset de la Bible était prévu. Chaque soir des centaines d'auditeurs remplissaient nos jardins pour écouter les chants et nous nous faisions un devoir de mettre en évidence l'un ou l'autre principe de l'Évangile.

« La conférence prit fin le huit et tout le monde se réjouit des bonnes choses qui avaient été dites et faites. Beaucoup avaient parcouru de longues distances en bateau pour assister à la conférence et tous estimaient que le voyage en valait la peine. »

Les conférences continuèrent au cours des années dans toute la Mission. Les assemblées semi-annuelles étaient déplacées d'île en île. On organisa aussi des conférences de branche. Les missionnaires se réjouissaient de voir arriver ces festins spirituels et travaillaient dur pour les préparer.

Les 4, 5 et 6 avril l910, William A. Seegmiller organisa une conférence à Takaroa. Une nouvelle présidence de branche fut installée, des baptêmes furent accomplis, des enfants bénis, des frères ordonnés à la prêtrise et des instructions données. Mohi fut désigné comme nouveau président de branche avec Marere comme premier conseiller et Pou a Moo comme deuxième.

En avril l913, une conférence eut lieu à Hao. C'était le président Fullmer qui présidait ; Toae a Maire dirigeait. Pendant la conférence, deux enfants furent baptisés et confirmés, un Polynésien fut ordonné ancien, deux frères polynésiens furent mis à part comme missionnaires voyageurs, deux bébés furent bénis et des affectations missionnaires furent attribuées ou changées. La conférence fut spéciale pour les saints de Hao, car on consacra leur église. La prière de consécration fut faite par Toae a Maire.

Le 6 avril 1930, le centenaire de l'Église fut commémoré par une réunion spéciale du genre conférence et les représentations théâtrales du soir furent très variées. En 1931, une pièce en quatre actes, « Le 6 avril 1830 » fut représentée et les soirées suivantes, les enfants jouèrent une opérette. À la conférence d'avril 1935 participait la fanfare des jeunes de Takaroa. Le soir du 4, la fanfare donna un concert public dans le parc et le gouverneur de Tahiti y assista. Le 8, le groupe musical embarqua dans un car, suivi de deux cents saints, et fit le tour de l'île, jouant dans chaque district. Partout on en fit l'éloge en disant que c'était « le meilleur orchestre des îles de la Société ». Une conférence en 1935 à Hikueru eut un tel effet sur les personnes présentes qu'elles regrettaient de devoir se séparer. «C'est pourquoi les jeunes se rassemblèrent et décidèrent de se réunir le lundi et le mardi soir et de mettre sur pied des programmes consistant en des chansons, de la musique de guitare et du théâtre.

Les réunions spéciales organisées par les présidents de Mission pour former les missionnaires ressemblaient à ces conférences. En 1936, LeRoy R. Mallory réunit tous les missionnaires à Papeete pour les former. Et en 1940 Kenneth R. Stevens réunit les missionnaires pour trois semaines de formation intensive avec des périodes d'étude de l'Évangile, des préparations de discours et des exposés en anglais et en tahitien.

Les conférences et le gouvernement

Au cours des premières années du 20e siècle, les conférences générales posaient un problème à l'administration gouvernementale des îles. Le fait de rassembler un grand nombre de Polynésiens de leurs îles vers les centres lointains et la dislocation de l'économie locale que cela provoquait des mois d'affilée étaient un sujet de préoccupation. M. Cox, le gouverneur faisant fonction, ne voulait pas que les visiteurs imposent le fardeau de leur entretien aux habitants d'une île donnée. Il était contre la perte de tant de travail et prétendait que les conférences suscitaient de l'extravagance parmi le peuple. Il craignait aussi les désordres politiques. Ces préoccupations amenèrent le gouvernement à publier, le 14 avril 1904, une loi qui interdisait aux habitants des Tuamotu d'aller d'une île à l'autre et exigeait que tous les étrangers s'inscrivent, leur interdisant d'aller dans d'autres îles sans permission. Cette loi mit fin aux conférences. Elle affectait essentiellement les habitants des Tuamotu, la plus grande concentration de saints des derniers jours.

Les insulaires marquèrent bien entendu leur désaccord et invoquèrent la liberté politique. « Sommes-nous citoyens de la République française sans avoir la liberté d'aller d'une île à l'autre ? Sommes-nous des esclaves ? » Joseph F. Burton, chef de l'Église réorganisée dans les îles, eut la responsabilité de plaider l'affaire devant William F. Doty, le consul américain, qui défendit les mormons et les réorganisés devant le gouverneur. L'affaire fut débattue pendant le reste de l'année.

On invoquait la discrimination religieuse (les réunions catholiques inter-îles étaient autorisées), mais d'autres facteurs étaient en jeu. Le sentiment anti-américain était généralisé. On craignait en France que les îles ne s'américanisent et qu'elles ne soient reprises en main par les États-Unis comme c'était le cas pour les îles Hawaii. Les dirigeants du gouvernement pensaient que « les citoyens français deviennent des citoyens américains… ils pensent que vous les avez ordonnés pour qu'ils deviennent citoyens américains ». Le capitaine Burton écrivit de longues lettres bien construites au consul américain, qui les présenta au gouverneur, mais sans grand succès, jusqu'à l'arrivée d'un nouveau gouverneur.

Le 22 février 1905 arriva P. Emile Julien, le nouveau gouverneur. Dans la quinzaine, le capitaine Burton lui rendit visite et lui fit part de la correspondance des quelques mois écoulés. Le gouverneur lui demanda de solliciter son approbation par écrit. Burton s'exécuta et obtint l'approbation le 27 mars 1905. Il est évident que l'affaire avait été portée par le département d'État des États-Unis, à Washington D. C., au gouvernement français de Paris, et que les résultats avaient été favorables aux missionnaires américains : « dorénavant ils organiseraient leurs conférences annuelles à tout endroit choisi par eux, et ils pourraient jouir d'une liberté religieuse totale ».

M. Doty, le consul, fit rapport du changement de politique au département d'État. L'attitude du nouveau gouverneur vis-à-vis des missionnaires américains « et leurs convertis locaux, comptant environ 12 000 personnes, serait très favorable à leur égard et leur assurerait des droits égaux à ceux des missionnaires catholiques et protestants français et à leurs convertis ». Sa politique fut approuvée à Paris et fut peut-être même dictée par Paris. Les conférences reprirent et continuèrent à être un élément très important dans les services des saints des derniers jours.

Au cours de ces années, les missionnaires américains d'Utah s'entendirent la plupart du temps assez bien avec le gouvernement français. Les Américains durent apprendre qu'ils étaient en Polynésie française par le bon plaisir du gouvernement français et qu'ils n'étaient pas là de plein droit, mais en avaient simplement la permission tant que les missionnaires respectaient l'ordre public et obéissaient à toutes les règles, tous les règlements et toutes les lois. Il n'était pas toujours facile pour les Américains de comprendre le pourquoi des règlements français. L'exercice de la tolérance, du respect des lois et la patience l'emportaient généralement. Il était très important pour les missionnaires d'avoir le soutien et l'amitié de William E. Doty, consul des États-Unis.

À Tubuai (1898-1947)

Dès que ce fut possible, les missionnaires nommèrent des anciens locaux pour présider les branches. James S. Brown organisa, le 10 octobre 1892, la branche de Tubuai et mit à part Teaatamanu a Otihi comme président. Une École du dimanche fut organisée le 14 juin 1896 avec Aporani a Faremehameha comme surintendant et Tehetua Otutu comme secrétaire.

Ahua était une figure marquante à Tubuai. Les registres rapportent qu'en juillet 1898, il était officier président à Tubuai et qu'il avait de sérieux ennuis avec les deux missionnaires qui travaillaient là-bas. Les missionnaires avaient trouvé Ahua « d'un abord très difficile dès le départ », la question principale étant de savoir qui présidait, des missionnaires ou d'Ahua. En 1898, les missionnaires le disqualifièrent, ainsi que quelques partisans. Ahua mit l'affaire entre les mains du gendarme, qui fit rapport du conflit au gouvernement, Ahua exigeant le bannissement des missionnaires. Pendant deux mois, le gouvernement parla de bannir les missionnaires de Tubuai. Ahua alla présenter son affaire à Papeete. Les missionnaires en parlèrent à M. Hart, le consul américain faisant fonction, lequel apprit ensuite du bureau du gouverneur que celui-ci « ne voulait pas se mêler de cela ». Les problèmes n'étant pas résolus, Ahua et cinq de ses partisans furent excommuniés. En dépit de cela, Ahua et ses partisans maintinrent la branche et les services religieux qu'ils avaient créés.

Ainsi, pendant des années, les branches divisées persistèrent, les missionnaires faisant de temps en temps rapport de ce qui arrivait. Le 19 mars 1901, Parley Allred écrivit qu'il « se sentait très découragé par la façon dont les saints considéraient l'œuvre des missionnaires et leur désir de vivre selon l'idée qu'ils se faisaient de l'Évangile, n'acceptant que ce qui leur plaisait et rejetant ce qui s'appliquait directement à eux et à leur méchanceté ». Le 14 août 1903, O. W. Earl, à la fin de ses deux années à Tubuai, signale que « les choses se présentent assez bien et [qu']il y a eu certaines améliorations parmi le peuple au cours des deux dernières années ». Le président E. S. Hall, après une visite à Tubuai en décembre 1904, « trouva la branche… en piteux état. Il n'y avait aucune vie
nulle part ».

Les années passèrent et les divisions restèrent, produisant à coup sûr un mauvais effet sur tous les saints de Tubuai. Peu après son arrivée dans les îles, William A. Seegmiller emmena avec lui Isaac Hunt à Tubuai pour travailler auprès d'Ahua et de son peuple. Celui-ci se réunit le dimanche 13 novembre 1909. « Nous eûmes trois réunions avec eux, elles furent splendides », écrit le président. Le peuple fut profondément affecté. Allait-il falloir rebaptiser les partisans d'Ahua ? Le président de Mission dit que oui. Mais Ahua prétendit qu'ils n'avaient pas péché et que s'il fallait les rebaptiser, il faudrait aussi rebaptiser ceux de Mahu. Mais ceux-ci n'avaient jamais été exclus. Aucun des deux partis ne céda. « C'est ainsi que notre mission auprès d'eux fut un échec. » Le président Seegmiller resta encore deux semaines, laissant Elder Hunt à Tubuai.

Le président Seegmiller porta la difficulté devant la Première Présidence. Joseph F. Smith, président de l'Église, répondit, et le président Seegmiller envoya Elder Hunt à Tubuai pour résoudre le différend. Il arriva le 27 décembre 1910, se mêla au peuple pendant les festivités, alla aux réunions de la branche de Mahu le dimanche 8 janvier et lut la lettre du président Smith. Le 12 janvier, il rencontra Ahua, qui fut satisfait du contenu de la lettre : « Recevez les de nouveau dans l'Église sans baptême à condition qu'ils aient toujours le désir de vivre l'Évangile et ne se soient pas rendus coupables de conduite immorale. » La réunion pour régler les affaires eut lieu le dimanche 22 janvier 1911 à Taahueia. Presque tout le monde était là. Elder Hunt tint quatre réunions. La lettre fut lue et expliquée. Il demanda que l'on soutienne par vote la proposition que l'on était disposé à reprendre dans l'Église tous les partisans d'Ahua. « Toutes les mains se levèrent. »

Quinze jours plus tard, le 5 février, à une réunion de jeûne, la branche fut réorganisée parmi les partisans d'Ahua. Taroarii fut soutenu comme président de la branche de Taahueia. De bons sentiments régnèrent et il y eut beaucoup de réjouissances. Le peuple était « de nouveau un dans l'Évangile ». Toutes les difficultés étaient réglées. Elder Hunt quitta Tubuai le 2 mai 1911 pour Tahiti.

Le 17 janvier 1913, lorsqu'il rendit visite à Tubuai, Franklin Fullmer, président de Mission, signala que l'Église « marchait bien » là,bas. Il avait baptisé quarante-trois personnes, notamment des enfants qui étaient arrivés à l'âge de responsabilité.

L'histoire de la branche de Tubuai met en évidence des périodes d'échec aussi bien que de succès. La branche de Tubuai fut sans missionnaires américains pendant environ quatre ans, période qui prit fin en 1917. Il y avait eu des querelles, des divisions et un esprit d'apostasie qui avaient eu pour résultat que la branche avait été négligée. Mais en 1918, les missionnaires « recommencèrent une grande offensive et depuis janvier 1918 beaucoup de missionnaires diligents et patients ont oeuvré continuellement à ramener le peuple sur la bonne voie ». Leurs efforts furent couronnés de succès et en 1919, les missionnaires réorganisaient la branche de Tubuai. Une conférence fut tenue les 4,
5 et 6 octobre.

L'Église continua à Tubuai jusqu'en 1938, époque à laquelle le gouvernement décréta une loi qui « interdisait à tout non résident de se rendre dans l'île de Tubuai, dans les Australes ». Du 8 août 1939, jour où les missionnaires quittèrent Tubuai, jusqu'au 9 août 1947, huit ans plus tard presque jour pour jour, aucun missionnaire ne travailla dans cette île. Pendant cette période, Teao a Nauta, ancien mis à part le 28 mai 1939 par Rufus K. Hardy, poursuivit l'œuvre missionnaire.


Isolés et livrés à eux-mêmes, les saints polynésiens conservèrent leurs coutumes ancestrales, mais assimilèrent de plus en plus les nouvelles façons de penser et de se conduire introduites par les missionnaires. Aussi isolés qu'ils aient pu se considérer, ils étaient néanmoins influencés par les événements du monde extérieur, tant humains que naturels.


7. L’Église et le monde (1900–1945)

Tandis qu’ils adaptaient leur ancien mode de vie au nouveau mode de vie chrétien enseigné par les missionnaires, les saints des îles étaient aussi influencés par les événements de l’extérieur. Pendant la première moitié du vingtième siècle, les Polynésiens furent considérablement influencés par des catastrophes naturelles au pays et par des guerres dans les pays lointains.

Comment on subsistait dans les Tuamotu

Les îles coralliennes presque submergées de l'archipel des Tuamotu permettent tout juste de survivre. Le sol qui ne dépasse le niveau de la mer que de quelques mètres, ne présente qu'une mince couche de terre sur laquelle ne pousse pas grand-chose d'autre que le cocotter. Les eaux translucides de la lagune permettent d'apercevoir une foule de poissons multicolores. Pour obtenir de l'eau, l'homme dépend de la noix de coco et des eaux de pluie captées sur les toits et entreposées dans des réservoirs. La vie est donc basée sur le cocotier, les porcs, le poisson et les poules. Mais l'ingéniosité a permis d'assurer un maigre complément financier grâce aux cocotiers et aux profondeurs des récifs coralliens : la nacre et l'huître perlière.

Le cocotier est la source de richesse, la vie même des îles du Pacifique. Ses usages domestiques sont presque illimités. Aucune partie de l'arbre n'est perdue. Il donne le lait de coco (une source importante de liquide), d'autres boissons et des matériaux avec lesquels on fait des bâtiments, du mobilier, des vêtements, des chapeaux, des paniers, de la corde, des médicaments, des produits de teinture, du savon et des bougies, pour n'en citer que quelques-uns. La plus grande partie de la récolte part dans le commerce extérieur. Pour préparer la récolte pour l'envoi, les amandes de coco sont pilées et séchées au soleil. Maintenant appelée coprah, l'amande de coco est mise en sacs et échangée avec les marchands faisant la navette entre les îles contre du sucre, du kérosène, des hameçons, de la levure, de l'indienne, des allumettes, des conserves et peut-être un peu d'argent liquide.

Une autre source de revenus pour certains insulaires découle de la récolte de la nacre, de l'huître perlière, que l'on trouve dans quelques îles des îles Tuamotu. L'huître perlière se trouve essentiellement dans l'eau claire des lagunes, à l'intérieur des atolls dans douze mètres d'eau environ. La saison commence généralement en mars, et pendant une période allant jusqu'à soixante jours, une partie de la lagune est ouverte aux plongeurs sans équipement, pour pêcher les huîtres. On engage des flottes de barques dans chacune desquelles il peut y avoir jusqu'à dix plongeurs. Ceux-ci travaillent par couples. Après s'être huilé le corps, le plongeur descend nu, ne portant qu'une ceinture pour retenir le panier dans lequel on met les huîtres perlières. Certains plongeurs utilisent une pierre de lestage d'environ vingt kilos, fixée à une corde par laquelle on les fait descendre. Les femmes passent pour être plus habiles à plonger que les hommes, partiellement parce que la graisse de leur corps les protège des profondeurs glacées. Les plongées commencent au lever du soleil et continuent jusqu'à midi. Une équipe de pêcheurs peut s'attendre à retirer environ trois tonnes de coquillages par jour. Un coquillage sur mille contient une perle. Les plongeurs doivent négocier le paiement avec les marchands.

Aussi providentielle que soit la mer, elle est toujours potentiellement dangereuse et cause à certains moments des ravages.

Les désastres naturels

Parmi les grandes expériences des habitants des Tuamotu, il y avait les rassemblements annuels pour participer à la pêche aux perles ou y assister. Hikueru et Marokau étaient les centres de la récolte des perles et de la nacre. Des centaines d'insulaires s'y rassemblaient, venant de très loin, de Hao à l'est à Kaukura à l'ouest, pour se livrer aux activités lucratives de la pêche aux perles et des échanges avec les marchands. Les habitants de Hikueru, dont la grande communauté de saints de l'Église, se joignaient aux saints en visite et à d'autres venus d'autres îles. H. J. Sheffield Jr, président de district, et son compagnon, Joseph E. Allen, veillaient sur les affaires de l'Église.

Ces rassemblements et le fait que les saints des derniers jours se mêlaient à d'autres causaient un comportement contraire aux enseignements des missionnaires : la boisson,
les « danses malpropres » et les « abominations ». Elder Sheffield fut tellement anéanti devant la perversion qu'il voyait parmi les habitants de Hikueru, qu'il se sentit contraint de prophétiser lors d'un discours en décembre. Il raconte : « L'esprit de prophétie vint sur moi et je prophétisai, au nom de Jésus-Christ et par le pouvoir de la sainte prêtrise, que s'ils ne se repentaient pas rapidement, une grande destruction et de grandes afflictions s'abattraient sur eux. »

Alors que la pêche battait son plein, un cyclone se déclencha et fit rage pendant des jours. Un gigantesque raz de marée inonda la plus grande partie de l'archipel des Tuamotu, laissant dans son sillage la désolation et des centaines de morts. Quelque quatre-vingts îles furent touchées par l'ouragan. Ce furent Hikueru, Hao et Marokau qui furent les plus durement touchées. Hao et Marokau furent dépeuplées.

Ce furent les mercredi, jeudi et vendredi 14, 15 et 16 janvier 1903 que le cyclone connut sa force maximale, avec des vents allant de 110 à 150 kilomètres heure. Le centre du cyclone toucha Hikueru le mercredi lorsque, vers 10 heures du matin, de la pluie et un terrible vent du nord-ouest accompagnés d'énormes marées menacèrent l'île. À treize heures, la mer envahissait l'île et la lagune. Le volume de la mer augmenta jusqu'à ce que vers 3 heures de l'après-midi, les éléments réduisent les bâtiments en petits morceaux et les jettent dans la mer. Certaines maisons furent remplies d'eau, d'autres furent emportées par la mer. Les gens s'enfuirent vers le côté de l'île qui était sous le vent pour s'y mettre en sécurité, mais en vain.

Ce soir-là, la tempête se calma légèrement, mais reprit de la vitesse pendant la nuit et augmenta dans le courant du jeudi. La mer devint plus tumultueuse, les vagues devinrent de plus en plus hautes, emportant un bâtiment après l'autre. Le jeudi fut la pire journée pour les survivants, qui n'avaient aucune protection, leurs maisons, leurs biens et leurs vêtements ayant disparu, tandis qu'ils étaient eux-mêmes battus par le vent et la pluie, le vent changeant constamment de direction. À la tombée de la nuit, il ne restait plus aucun bâtiment debout, tous avaient été balayés dans la lagune, le vent et l'eau emportant tout avec eux, déracinant les arbres et les jetant dans la lagune, écrasant les gens.


La nuit du jeudi fut une nuit de terreur sans mélange. Le raz de marée remplit la lagune au ras-bord jusqu'à ce que celle-ci le renvoie à l'océan. Des débris, des détritus, des morceaux de bâtiments et des blocs de corail coupants détachés des récifs de l'atoll volaient de tous côtés dans un vent soufflant de 110 à 150 km/h, constituant un grave danger pour la vie.

Des gens furent balayés dans la lagune ou dans la mer, terriblement blessés par les débris et les blocs de corail. Des cocotiers tombèrent sur des gens, les mutilant, les tuant ou les maintenant sous les vagues jusqu'à ce qu'ils se noient.

« Les parents attachèrent leurs petits enfants à leur dos et cherchèrent un refuge. Les vagues déferlèrent par-dessus leur tête et lorsqu'elles se retirèrent, les bébés et les petits enfants avaient succombé. Avec des gémissements, le père ou la mère s'efforçait vainement de garder le cadavre de son mort bien-aimé, mais finalement il fallait l'abandonner. S'étant attaché à des cocotiers, certains finirent par tomber avec eux ; d'autres en réchappèrent en s'attachant temporairement, étant capables à d'autres moments de saisir quelque chose d'autre et arrivant ainsi entre les brisants à atteindre un lieu sûr après des heures de lutte. »

Une femme « escalada un des grands cocotiers et attacha son bébé aux branches, s'agrippant au tronc de l'arbre en-dessous de l'enfant du mieux qu'elle le pouvait. Ils y restèrent pendant deux heures, subissant une véritable torture, jusqu'à ce qu'ils fussent finalement sauvés.»

Le vendredi matin, la mer se calma suffisamment pour permettre aux survivants de contempler un tableau plus dur à supporter que la terreur de la nuit précédente. « Des cadavres horriblement mutilés étaient éparpillés partout… les gémissements et lamentations s'entendaient partout… beaucoup de corps étaient coincés dans la barrière de corail… et à la surface de l'eau on voyait les requins dévorer de nombreux corps, tandis que dans la lagune, des corps flottaient sur les débris. » Le peuple avait tout perdu, y compris, pour la plupart d'entre eux, leurs vêtements.

Les Elders Sheffield et Allen, nus jusqu'au pantalon, avaient survécu à la nuit en s'attachant l'un à l'autre et en se ligotant au sommet d'un cocotier. Par chance, l'arbre resta bien enraciné. Elder Sheffield dit qu'il réprimanda la tempête au nom du Seigneur et pria Dieu de la faire cesser ; en moins d'une demi-heure, le vent tombait et la mer devenait calme.

Les missionnaires se mirent à la recherche de gens qu'ils pouvaient aider. Le vendredi, il fallait s'occuper des morts. On rassembla pour les enterrer les corps des gens, des porcs, des poules et des chiens qui n'avaient pas été emportés par la mer. On dressa immédiatement un abri devant servir d'hôpital sous la direction du Dr Brunati, l'administrateur résident faisant fonction. C'est là qu'on transporta les blessés. Le Dr Brunati confia aux ecclésiastiques la tâche d'ensevelir les morts. Les missionnaires travaillèrent à cette tâche avec d'autres, chacun d'eux enterrant jusqu'à vingt corps par jour.

L'eau fraîche était d'importance capitale pour les survivants. Gilbert, le pasteur de l'Église réorganisée, aidé des Elders Sheffield et Allen, créa avec de vieux réservoirs et des tuyaux une machine à distiller. La machine produisit efficacement jusqu'à sept cent cinquante litres d'eau fraîche par jour à partir de l'eau de mer.

Le nombre des victimes était énorme. On estima que 1700 à 1800 personnes s'étaient rassemblées à Hikueru pour la récolte. Un millier de ces personnes étaient des pêcheurs de perles. Près de la moitié s'étaient noyés. Hikueru perdit 379 personnes dans la tempête. La population tout entière de Hao fut balayée, soit 261 victimes. Une centaine de saints des derniers jours furent tués. Des fonctionnaires du gouvernement estimèrent plus tard les pertes matérielles à « un demi-million de dollars ».

Un des premiers rapports fit le compte suivant des victimes. La liste donne aussi une idée des îles lointaines représentées à la pêche aux perles : Amanu, 17 ; Hikueru, 9 ; Kaukura, 12 ; Makemo, 14 ; Takapoto, 16 ; Hao, 262 ; Takaroa, 4 ; Tahiti et Européens, 8 ; Raroia, 8 ; Marokau, 22 ; Taenga, 1 et Katiu, 3.

Un autre rapport donnait le nombre de victimes suivant : 373 personnes trouvées mortes à Hikueru ; 95 à Marokau ; 15 à Takume ; 12 à Raroia ; 12 à Napuka ; 3 à Amanu et 5 à Hao.

Une estimation officielle notait que pas moins de 600 personnes étaient mortes dans la tempête, le cinquième de toute la population du groupe des Tuamotu.

Les visiteurs de Hao s'étaient installés sur un motu sur la rive sud de Hikueru. C'est parmi ces gens que 262 personnes périrent « balayées tantôt dans la lagune, tantôt vers la haute mer », horriblement tailladées par le corail et les débris : gros bois de construction, plaques de fer provenant des toits, arbres déracinés. On remarqua que « ceux qui avaient survécu étaient ceux qui avaient pu quitter le village principal et traverser plusieurs étendues basses et dangereuses où les vagues inondaient la lagune, marchant dans l'eau jusqu'au cou ».

Les survivants, démunis de nourriture, de vêtements et d'abri, ayant perdu tous leurs biens, ne pouvaient faire autre chose que soigner leurs blessures et attendre qu'on vienne à leur rescousse. Certains survivants souffraient encore de la rougeole. Le lundi suivant, 19 janvier, le voilier de sauvetage Teiti arriva avec un chargement de nourriture tahitienne : taro, bananes, pommes de terre, patates douces, melons, la première nourriture depuis le mardi précédent, soit depuis six jours. La nourriture fut répartie entre les gens. Trois jours plus tard, le vapeur Excelsior arrivait pour transporter les gens dans leur île d'origine et les
habitants de Hikueru survivants vers un autre endroit parce que Hikueru n'était plus habitable pour des humains. Le navire arriva le mardi suivant, 27 janvier, à Papeete.

Les Elders Sheffield et Allen furent emmenés sur l'Excelsior à Papeete, au bureau de la Mission, où ils reçurent des habits convenables.

L'île ne s'était pas encore remise des effets du cyclone de 1903 que d'autres cyclones, ou ouragans, accompagnés de raz de marée s'abattirent sur les îles. Le samedi 25 mars 1905, un cyclone balaya les îles Tuamotu pendant trois jours, causant beaucoup de dégâts. L'église de Takapoto fut renversée. Kaukura fut touchée le 5 avril 1905.

Un an plus tard, les îles étaient de nouveau frappées. Le soir du 7 février 1906, la mer commença à se soulever jusqu'au lendemain matin, lorsque la marée haute inonda tout le front de mer de Papeete. Le vent souffla en ouragan pendant deux heures environ. « La ville de Papeete fut inondée et 327 bâtiments furent détruits, entre autres le consulat américain et le bâtiment abritant le gouvernement français. » Tous les bâtiments construits le long du front de mer furent détruits, mais la navigation dans le port souffrit peu parce que le vent soufflait vers la mer. Une des premières estimations évaluait le nombre de sans-abri à 1500 personnes. La Mission joséphite – une grande église et beaucoup de maisons en bois – fut entièrement balayée. Les biens de l'Église ne furent pas endommagés du tout – ils étaient situés plus haut et les montagnes les protégeaient du vent direct.

Les inondations sapèrent les fondations du consulat américain et le bâtiment ne tarda pas à s'effondrer. Le consul était en tournée dans l'île, mais sa mère, sa sœur et son jeune neveu étaient là et furent immédiatement sauvés par les missionnaires mormons et emmenés au bureau de la Mission. Les missionnaires allèrent ensuite au secours des archives du consulat, sauvant les registres, bien qu'ils fussent endommagés par l'eau. M. Doty, le consul, fut impressionné par les missionnaires et reconnaissant de ce qu'ils avaient sauvé les registres. Il écrivit au président Joseph F. Smith :

Corps consulaire des États-Unis, Tahiti, S. I.
15 février, 1906

M. Joseph F. Smith, président

M., J'ai le grand plaisir de vous informer que pendant le cyclone et le raz de marée de Papeete, Tahiti, du 8 février, les missionnaires « mormons » ont rendu, au péril de leur vie, un service remarquable au consulat américain pour sauver les archives. Il s'agit de MM Hall, Peck, Clawson, Pierson, Tibbetts, Miner, Wilkinson, Noall et Huffaker. Mme Hall et Mme Wilkinson ont aussi manifesté de la bonté et de l'hospitalité à mon égard et à ma famille pendant les trois jours où nous avons été leurs hôtes.

Les missionnaires ont donné un splendide exemple de loyauté envers les intérêts de leur pays à l'étranger. J'ai signalé leur bravoure et leurs services distingués au département d'État.

Je vous félicite d'avoir d'aussi nobles représentants dans cette communauté insulaire. Je suis heureux que le bureau de la Mission soit presque terminé ; c'est un splendide édifice.

Avec ma très haute considération,

Respectueusement vôtre,
WILLIAM F. DOTY,
Consul.

Presque toutes les îles de l'archipel des Tuamotu furent endommagées. Au village de Takaroa, seule la grande église de pierre resta ; tous les autres bâtiments disparurent et beaucoup de personnes moururent. C. A. Brewerton et S. A. Bunker étaient à Faaite quand le cyclone arriva. Ils purent sauver leur vie en grimpant à des cocotiers à une hauteur dominant le niveau du raz de marée. Tout ce qu'ils avaient fut emporté par les flots. Les îles Tuamotu souffrirent considérablement. La plupart des îles subirent une grande destruction et de grands dommages, la perte étant estimée à deux millions de dollars pour toute la Polynésie française. Le consul rapporte : « C'est l'industrie de la noix de coco et du coprah qui souffrira le plus ; il y a beaucoup de chances qu'au cours des neuf ou dix prochains mois, ces exportations soient réduites au moins de moitié. Les importations de bois de construction, de tôles ondulées et de quincaillerie seront particulièrement actives pendant un certain temps, de même que les denrées alimentaires ».

Les saints tahitiens étaient vivement désireux d'aider les saints des Tuamotu souffrant des effets du cyclone de février 1906. Ils cherchèrent donc des occasions d'envoyer du matériel pour les soulager. L'occasion leur fut donnée lorsque le consul anglais se prépara à envoyer le schooner de la Mission protestante à Takaroa pour aller chercher des marins du grand navire anglais qui y avait fait naufrage. D'après le rapport, « Nous prîmes nos dispositions pour y embarquer un missionnaire avec une tonne de farine pour les saints de Takaroa, celle-ci devant être payée partiellement par les missionnaires et partiellement par la Mission. Mais lorsque le pasteur protestant en fut informé, il dit qu'un missionnaire mormon ne pouvait pas embarquer mais que nous pouvions leur confier la farine. Mais les choses que l'on envoie de cette façon sont si souvent détournées que l'on n'envoya pas de farine du tout. »

Le jour du nouvel an 1926, un cyclone de forte intensité s'abattit sur les îles de la Société et dévasta pendant cinq jours beaucoup d'îles, détruisant les récoltes de coco, de bananes et de vanille, les maisons et les ponts. La population, privée de cultures de rapport, en souffrit économiquement pendant des années.

Ziona : Le rêve d'un lieu de rassemblement

L'énorme destruction causée par les cyclones et les ouragans et la dispersion des saints insulaires amenèrent les présidents de Mission à rêver à la possibilité de rassembler les saints dans un endroit qui serait le leur. Un des premiers à recommander cette mesure fut Edward S. Hall, qui avait jeté son dévolu sur un terrain situé à Taravao (l'isthme), qu'il alla visiter en avril 1905 et de nouveau en mars 1906. Le consul américain était au courant du projet et le décrivit dans un rapport en date du 5 décembre 1905 :

« Nous avons appris que les mormons inaugureront bientôt une grande plantation sucrière dans cette région dans le but humanitaire d'offrir des occasions profitables de travail et un logement convenable aux natifs des îles Tuamotu dont la vie semble être menacée par les tempêtes. »

Au cours des années, jusqu'en novembre 1913, les présidents de Mission cherchèrent un terrain approprié pour la réalisation de ce rêve. L'espoir grandit. Ora Hyer, secrétaire de la Mission, dit en mai 1914 :

« On parle depuis longtemps de colonisation dans cette Mission et il semble bien maintenant que nous allons bientôt avoir un lieu de rassemblement. Il y a déjà un certain temps que le président Fullmer, à la demande de la Première Présidence, recherche un endroit convenable. Lors de la conférence qui vient de se terminer, il a été décidé à l'unanimité de faire un effort pour obtenir un grand territoire dans le district de Haapape. Nous espérons que la prochaine conférence d'avril se passera dans notre nouveau lieu de rassemblement et qu'entre-temps beaucoup y seront installés en permanence. »

Après cela, les registres ne parlent plus de rien : le rêve ne se réalisa pas.

Les saints insulaires pendant la Première Guerre mondiale

La Première Guerre mondiale, du fait qu'elle se déroulait très loin de là, n'eut que peu d'effets sur la vie des saints polynésiens ; ce furent la Mission et l'œuvre missionnaire qui furent influencées. La nouvelle du déclenchement de la Première Guerre mondiale en Europe en août 1914 ne tarda pas à parvenir à Tahiti. La colonie française devait s'attendre à être invitée à fournir des soldats pour combattre auprès de leurs compatriotes français du continent. Mais la guerre alla aussi jusqu'à Tahiti. Le 22 septembre 1914, deux navires de guerre allemands, le Gneisenau et le Scharnhorst, apparurent au large de Papeete et exigèrent de l'eau. Les insulaires refusèrent et ouvrirent le feu sur les navires depuis leur fort. Les deux navires de guerre répondirent en coulant la canonnière française Zélée et le vapeur Walkure, qui se trouvaient à ce moment-là au port. La population de Papeete se retira dans les montagnes derrière Papeete et dans les districts voisins. Quarante-neuf obus furent tirés sur Papeete, réduisant le fort au silence et détruisant une grande partie du quartier commercial. Deux insulaires furent tués. Un obus ou un fragment toucha une colonne du portique de l'église.

À part cet incident, les îles ne connurent pas grand-chose de la guerre, si ce n'est les prix élevés des produits alimentaires et le bas prix du coprah et d'autres produits. Toutefois, pour soutenir la guerre en France, le gouvernement français réquisitionna en janvier et en juin 1914 quelque huit cents soldats français et polynésiens des îles de la Société.

Le 6 avril 1917, lorsque les États-Unis déclarèrent la guerre à l'Allemagne et devinrent les alliés de la France, le gouverneur de Papeete donna un banquet en l'honneur de M. Layton, le consul américain, et de tous les Américains de Papeete. Le président Rossiter et tous les missionnaires étaient présents.

Des soldats de Tahiti combattirent dans les tranchées et sur une troupe de cent hommes venus de Papeete, quarante-deux seulement survécurent pour être renvoyés au pays. En chemin, les quarante-deux hommes firent étape à Salt Lake City où ils furent reçus par d'anciens missionnaires tahitiens, qui payèrent leurs frais d'hôtel, leur firent faire du tourisme et organisèrent des banquets en leur honneur. Ils arrivèrent chez eux à Papeete le 30 avril 1918.

La guerre prit fin le 11 novembre 1918 avec l'Armistice, suivi de négociations de paix qui débouchèrent sur le Traité de Versailles, signé le 28 juin 1919.

Bien que les habitants du paisible Pacifique eussent « entendu et ressenti si peu de chose », «néanmoins nous nous réjouissons et rendons grâce avec le monde entier ».

L'épidémie de grippe espagnole

La guerre s'accompagne de mort, de famine et de peste (voir Apocalypse 6:2-8). En 1918, la grippe espagnole se répandit rapidement dans le monde. La maladie éclata à Tahiti le 25 novembre 1918 et se répandit dans les îles voisines à l'exception du groupe des Tuamotu, tuant de trois mille huit cents à quatre mille personnes en un seul mois. Presque tout le monde fut immédiatement frappé par la maladie :

« Les Tahitiens mouraient si vite qu'il devenait impossible d'ensevelir leurs morts. On creusa donc une grande fosse dans le cimetière. Les camions à benne plate passaient quotidiennement devant les maisons des natifs ; on y chargeait les morts et on les transportait au cimetière, on les mettait dans la fosse, on versait du goudron bouillant sur les corps puis on y mettait le feu. Ils étaient ainsi incinérés. Cette méthode fut utilisée pour des raisons sanitaires. »

Des familles entières périrent ; d'innombrables enfants restèrent orphelins. Les personnes légèrement atteintes aidaient celles qui étaient plus affligées. Ce fut le cas des missionnaires de Papeete : William Orton, John Monk, Albert Touse, Glenn Hubbard, Scott Robertson, }esse Hislop et Andrew Steedman. Ces hommes étaient jour et nuit en route, allant de maison en maison, portant des médicaments et de la nourriture, baignant, nourrissant, « faisant beaucoup de choses que d'autres refusaient de faire, s'occupant des morts et nettoyant les maisons contaminées ».

Dix à quinze membres de l'Église seulement moururent. Les missionnaires creusèrent leur tombe, firent leur cercueil, les conduisirent au cimetière et les ensevelirent. « Parmi les saints qui moururent, ily eut Teua a Tahiri, Mahia a Toae, Maupiha, Ropati a Tona, Taroina, Paul Vahine Taivi, Rua, et Timitangi, et un petit nombre d'autres qui étaient arrivés sur le bateau de Tubuai pendant l'épidémie. Albert Touse et Scott Robertson jouèrent le rôle d'infirmiers de nuit à l'hôpital que les résidents anglais et américains de Papeete avaient ouvert au profit des insulaires affligés. Comme
il était déconseillé de se rassembler en grands groupes, la conférence générale du 6 avril 1919 ne fut pas tenue, mais les branches organisèrent leur propre conférence.


Ernest C. Rossiter

Pendant la Première Guerre mondiale, c'était Ernest C. Rossiter qui était président de Mission. Il avait déjà fait une Mission dans le district belge de la Mission des Pays-Bas de 1905 à 1907, et dans la Mission des États du nord de 1907 à 1908. Il connaissait le français, ce qui devait lui permettre de converser avec les dirigeants de Tahiti ; il n'était encore jamais allé à Tahiti. Il était marié depuis quatre ans lorsqu'il fut appelé, et frère et sœur Rossiter furent mis à part le 16 février 1915.

Le président Rossiter se donna pour tâche première d'apprendre le tahitien, y consacrant dix-huit heures par jour pendant ses six premiers mois à Tahiti jusqu'à ce qu'il puisse parler avec les insulaires. Sa femme et lui écrivirent tous deux le récit de ce qu'ils avaient vécu au cours de leur mission, de sorte que nous avons un meilleur compte rendu de leur service que pour la plupart des autres présidents. Le président Rossiter avait une grande force spirituelle ; il ressentait l'inspiration de l'Esprit, dirigeait avec inspiration et avait le don de guérison.

L'équipe missionnaire se composait du président et de sa femme, Venus, et de sept à dix autres personnes. Lorsqu'elle ne l'accompagnait pas pour visiter les îles, sœur Rossiter était au bureau de la Mission. Le 19 février 1918, elle commença à enseigner l'orgue à Teura a Taitua a Makui, son premier élève. Elle espérait former d'autres élèves prometteurs ramenés des îles. Au bureau de la Mission, il y avait toujours un seul missionnaire, parfois aussi un couple. Depuis 1916, les autres missionnaires étaient répartis entre Hikueru, Takaroa et Marokau.

Le premier affrontement du président Rossiter avec le gouvernement fut au sujet du journal de la Mission. Apparemment, en 1915, il était préparé, traduit et imprimé à Salt Lake City et il rapportait les nouvelles du monde et notamment les nouvelles du front. En avril 1915, le gouvernement ordonna la suspension du journal jusqu'après la guerre, parce qu'il violait les directives concernant la censure en temps de guerre. Le président Rossiter rencontra le gouverneur, éclaircit leurs relations, et le journal continua mais se limita à ce qui avait trait à l'Église à Tahiti. En février 1938, il demanda au gouverneur le droit de créer une école et d'y enseigner.

Il rencontra un plus grand succès en avril 1917, lorsqu'il obtint du gouverneur la décision d'accorder à l'Église le statut d' « Église autorisée dans ces îles ». Le président tint conseil avec le gouverneur à ce sujet. Celui-ci demanda un rapport écrit sur l'Église dans les îles, un jeu de statistiques et un énoncé des croyances et des enseignements de l'Église. Le rapport fut bien reçu, et le gouverneur eut le plaisir de remettre aux missionnaires « une licence légale pour enseigner l'Évangile, faisant de notre Église une Église autorisée dans ces îles ». Aucun président avant lui n'avait été en mesure d'obtenir une licence légale. Le gouverneur avait été impressionné par l'effort de l'Église à Hikueru pour débarrasser les saints de leurs dettes et il dit : «Tant que vous faites cela pour le peuple, je serai avec vous. »

Le problème de la dette à Takaroa

Les habitants de Takaroa connaissaient beaucoup de problèmes graves. Leurs cocotiers étaient malades, les branches étaient desséchées et les noix de coco tombaient avant d'être mûres. Cela fit presque disparaître les revenus que procurait cette source essentielle. Les membres se querellaient. Les problèmes de terrains causaient des difficultés. Les saints ne respectaient pas la Parole de sagesse, ne payaient ni la dîme ni les offrandes et n'honoraient pas leur prêtrise. Les couples vivaient ensemble sans être mariés. Beaucoup de membres étaient écrasés par d'énormes dettes de longue durée vis-à-vis des compagnies marchandes. Pendant la saison de pêche, les plongeurs obtenaient les coquillages et utilisaient le revenu de leur travail pour la nourriture et le vêtement et rentraient chez eux sans rien avoir pour payer leurs dettes passées ou pour subvenir aux besoins de l'année à venir.

Le conseil des chefs de village présenta le problème au président Rossiter. Leur porte-parole dit : « Ereneta, nous essayons depuis de nombreux mois de réunir de l'argent pour payer nos dettes aux marchands blancs… Ils menacent de saisir notre plantation si nous ne leur payons pas ce que nous leur devons. Nous participons chaque année à la saison de la pêche aux perles, mais nous rentrons chez nous plus endettés vis-à-vis des marchands qu'avant notre arrivée. Comme vous le voyez, nous avons cruellement besoin de votre aide pour sauver tous nos biens. »

Le président Rossiter fut profondément touché par cette supplique et, poussé par l'Esprit, jeûna et pria pendant trois jours pendant qu'il étudiait la situation et observait. Il trouva un plan qu'il présenta au peuple. Les saints semblaient être devenus humbles et repentants. « Ils avaient oublié Dieu, Dieu les avait oubliés. »

Pour que le plan fonctionne, le président demanda au peuple de s'engager à obéir aux principes de l'Évangile aussi bien qu'aux conditions du plan. Il promit que s'ils obéissaient, Dieu les bénirait, eux et leurs plantations.

Le plan était celui-ci : les saints feraient leur propre pêche aux perles, contourneraient complètement les marchands blancs, et les plongeurs mormons affecteraient l'excédent de leurs revenus aux dettes de la communauté. Les missionnaires superviseraient toutes les opérations. Les saints acceptèrent.

Le président Rossiter alla à Papeete consulter le gouverneur, expliqua son plan aux principaux marchands (qui l'encouragèrent), loua un navire à Maxwell and Company et acheta pour 10 000 dollars de fournitures en vue de la saison de pêche.

À Takaroa, le président Rossiter demanda aux gens de tout mettre sur le bateau : maison, objets ménagers, animaux et effets personnels. Puis ils se rendirent à la pêcherie de Hikueru. Ils y installèrent un nouveau village, ordonné et propre. Mapuhi, qui gérait un magasin d'approvisionnement, obtint à Papeete un bon pour marchandises s'élevant à environ 4000 dollars pour les plongeurs. À Hikueru, on construisit aussi un grand entrepôt à coquillages avec un coffre pour chaque plongeur. À la fin de la journée, chaque plongeur était crédité de quinze livres de coquillages à 10 cents la livre, que le plongeur utilisait pour sa ration quotidienne d'alimentation et d'autres produits de première nécessité. Le reste des coquillages était gardé dans des coffres, chaque pêcheur ayant le sien propre. Ce reste fut utilisé pour payer la dette.

Cette opération se poursuivit pendant trois saisons de pêche, d'août à novembre 1916, 1917 et 1918 (ou 1915, 1916 et 1917). Elle connut une grande réussite. Lorsqu'il rendit visite à Takaroa en juin 1916, le président Rossiter trouva la branche « en bon état et la puissance de Dieu » manifestée à plusieurs reprises. « Un grand nombre de nos gens se sont repentis et ont cessé de faire usage du tabac, de l'alcool et du café. Ils virent aussi sept couples mariés et huit personnes baptisées, cinq enfants, deux hommes et une femme. » À la fin, toutes les dettes furent remboursées.

Le gouverneur fut impressionné par le village mormon et l'entreprise de liquidation des dettes. À son arrivée, il fut accueilli par le drapeau français tricolore battant au vent et un groupe d'insulaires chantant « La Marseillaise ». Le gouverneur dit au président Rossiter : « Tant que vous continuerez comme vous le faites maintenant, je serai toujours votre ami. »

À la fin de chaque saison de pêche, le transport était fourni pour ramener les gens dans leur pays. Des dispositions furent prises pour payer les plongeurs qui avaient fait une si grande partie du travail. En retournant à Takaroa, ils constatèrent que « les feuilles des cocotiers, qui auparavant étaient d'un vert maladif, avaient pris une teinte jaunâtre intense et que les noix étaient plus abondantes sur chaque arbre que jamais auparavant ». Les promesses du président Rossiter s'étaient toutes accomplies.

Les églises

Pendant l'administration Rossiter, les contributions continuèrent. Le 8 novembre 1918, « la belle église » de Hikueru, construite pour le prix de 6000 dollars américains, fut consacrée. Quelque sept cents saints et deux cents visiteurs, plus les Européens présents pour la saison de plongée, assistèrent au service de consécration.

« Après la cérémonie, un banquet fut offert à tous sous une grande tonnelle qui avait été construite à cette fin. La fête continua pendant trois jours avec une réunion le matin, un banquet à midi et des programmes faits par les différentes branches le soir. Plusieurs tonnes de fruits et de légumes de Tahiti, trente porcs, huit tortues, un bateau de noix de coco et une quantité indéterminée de poissons et de pains furent fournis pour les jours de festivité. Les missionnaires avaient fait la plus grosse partie du travail de construction de l'église. »

Les conférences continuèrent à être les activités favorites de l'Église. Le 6 avril 1917, à Raroia, fut organisée une conférence pour les gens de Takaroa et de Raroia. Deux cent cinquante saints de Takaroa et d'autres îles étaient présents. La conférence se caractérisa par les réunions et les fêtes habituelles, des baptêmes et des confirmations, ainsi que des mariages.

Traductions

L'éternel problème était le manque de publications de l'Église en français ou en tahitien. Les saints et les personnes enseignées par les missionnaires avaient le journal de la Mission mais pas grand-chose d'autre comme ouvrages de l'Église. Les présidents de Mission et des missionnaires doués consacrèrent beaucoup de temps à répondre à ce besoin. Le président Rossiter apporta ici sa quote-part. Le 22 mars 1918, il finit la traduction de quarante-quatre pages d'un Haapiiraa (leçons) sur le Livre de Mormon. Mille exemplaires furent imprimés pour les Écoles du dimanche de la Mission. Il traduisit ensuite Two Thousand Gospel Quotations, par le juge H. H. Rolapp. Le président et sœur Rossiter furent relevés le 17 juin 1919. Le président renvoya sa famille au pays et il resta pour terminer une grammaire tahitien-anglais qu'il espérait avoir prête pour l'impression en septembre.

La visite de David O. McKay

David O. McKay, membre du Collège des douze apôtres, fut la première Autorité générale à visiter la Polynésie française. Avec Hugh J. Cannon, président du pieu de Liberty à Salt Lake City, il visita, entre 1920 et 1921, toutes les Missions du monde. Ils arrivèrent en avril 1921 à Papeete (Tahiti) et y restèrent quelques jours.

Malheureusement, Leonidas H. Kennard, le président de Mission, était à Tubuai et ne put obtenir de place pour Tahiti. David O. McKay et Hugh J. Cannon souhaitaient rencontrer les saints des Tuamotu mais ne purent obtenir le schooner dont ils avaient besoin, de sorte qu'après avoir passé quelques jours à Tahiti, ils poursuivirent leur voyage vers la Nouvelle-Zélande. Lorsqu'il revint à Tahiti, le président Kennard continua jusqu'en Nouvelle-Zélande où il traita avec Elder McKay des questions relatives à la Mission.

Elder McKay avait pu constater par lui-même que la Mission avait besoin d'un bateau. En Nouvelle-Zélande, le président Kennard examina les possibilités d'acheter un schooner pour la Mission. « On décida qu'il fallait un bateau d'environ 80 tonneaux pour notre Mission, et deux compagnies de Nouvelle-Zélande nous firent des offres. » On demanderait à d'autres aussi de faire des offres. Le coût estimé dépassait ce que l'Église estimait pouvoir dépenser à l'époque pour un bateau.

Pendant son séjour en Polynésie, Elder McKay entendit l'histoire d'un certain capitaine Vaio que l'on répétait souvent dans les cercles tahitiens. C'était un membre de l'Église et il était capitaine d'un navire gouvernemental. Un jour, le gouverneur du territoire vint inspecter le bateau. L'équipage nettoya celui-ci de fond en comble et prépara une collation pour une réception. Vint le moment de lever un toast en l'honneur du gouverneur. On posa un verre de vin devant chaque invité à une exception près. Le capitaine Vaio reçut un verre de limonade. Un de ses collègues protesta, prétendant que le gouverneur serait offensé si le capitaine levait un verre de limonade au moment du toast. En dépit de ces protestations, il tint à ne boire que de la limonade.

Avant le toast, il expliqua au gouverneur pourquoi il allait lever un verre de limonade au plus haut fonctionnaire du gouvernement du territoire. « Je suis membre de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Les lois de mon Église m'interdisent l'alcool et le tabac. Tous les dimanches j'instruis les jeunes de mon Église et je ne pourrais en toute conscience leur enseigner un principe que je ne respecte pas moi-même. C'est pour cela que je lève un verre de limonade en votre honneur. » Après le toast, le gouverneur, homme d'une éducation parfaite, remercia l'équipage pour son accueil exemplaire. Puis il se tourna vers le capitaine Vaio et dit : « Je suis heureux de voir que vous respectez les idéaux de votre Église. Je voudrais qu'il y ait plus d'hommes de votre calibre pour assurer la bonne direction de notre flotte administrative. » Elder McKay fut impressionné par le courage manifesté par ce membre de l'Église qui donna l'exemple à beaucoup d'autres.


La visite de Rufus K. Hardy

En 1939, les saints eurent la bénédiction d'une expérience toute particulière lors de la visite de Rufus K. Hardy, un des sept présidents des soixante-dix. Elder Hardy avait rempli trois missions en Nouvelle-Zélande, connaissait la langue et le peuple maori et transféra son amour des Maoris aux Tahitiens. Il arriva le 2 mai 1939 à Papeete et pendant les mois de mai et de juin, visita les îles lointaines, rendant visite aux communautés de saints.

Dans son groupe il y avait Kenneth R. Stevens, le président de Mission, lona, sa femme, et leurs trois filles, ainsi que Doyle L. Green et Howard L. Randall. À partir du 8 mai, ils se rendirent sur le schooner Denise à Niau, Fakarava, Nihiru, Hikueru, Hao, Tubuai et Tahiti. Partout où ils allaient, ils visitèrent les saints et tinrent les réunions appropriées : générales, de Sainte-Cène, de prêtrise et de Société de secours. Elder Hardy constata que la plupart des branches étaient complètement organisées et que les réunions de prêtrise et de Société de secours, d'École du dimanche, de SAM et de Primaire avaient lieu. Partout Elder Hardy et son groupe reçurent une réception royale avec des fêtes, des leis et des représentations polynésiennes.

À Tubuai, nota Elder Hardy, « beaucoup de travail a été fait ici pour la construction d'une belle grande église ainsi que d'une salle culturelle ». Le soir de leur arrivée, il y eut une haapiiraa hohoa (leçon spéciale). Les jours suivants, ils visitèrent les trois branches de l'île : Ziona, Mahu et Taahueia. À Ziona, les saints avaient préparé un « banquet somptueux. Ce soir-là nous découvrîmes encore des talents d'art dramatique. » Les trois branches « ont de splendides églises faites en pierres, bien éclairées, aérées, bien entretenues et entourées de fleurs ; même les clôtures sont décorées de guirlandes de fleurs plantées par les sœurs de la Société de secours. C'était extrêmement beau ». Ils rendirent visite ou logèrent chez frère et sœur Tetavira a Tahiata et Teriinui a Tahiata. Lors de leur conférence du dimanche, les membres des trois branches se réunirent. Le soir il y eut des haapiiraa (leçons) bien préparées et bien présentées.

C'est à Tubuai en particulier qu'Elder Hardy fut conscient du passé historique. « Nous étions certains que nous avions parcouru le même territoire qu'Elder Pratt en 1844, lorsqu'il aborda ici et décida de rester avec les habitants de Tubuai, laissant ses compagnons de continuer vers Tahiti. »

Pendant qu'il était à Tubuai, le président Stevens fit lire à Elder Hardy une lettre qu'il avait reçue du gouvernement de l'Océanie française concernant le ministère des missionnaires étrangers. Elle disait : « Dans le règlement strict en vigueur, le séjour dans les îles Australes est interdit aux personnes qui ne sont pas nées dans ces îles… dont les adeptes natifs doivent assumer la direction. » Par conséquent, lors de la conférence du dimanche, Teao a Nauta fut soutenu et mis à part pour continuer l'œuvre missionnaire à Tubuai en l'absence des missionnaires. Elder Hardy donna son assentiment :

« Toutes les organisations de l'Église sont apparemment en bon état et toutes les branches prospèrent sous la direction des présidences de branche. Nos Sociétés de secours fonctionnent. La SAM marche et la Primaire fait un travail tout à fait exceptionnel dans les trois branches. Par conséquent, vu la décision du gouverneur, qui semble juste puisque toutes les confessions sont traitées de la même façon, Teao a Nauta assurera la direction. Les branches continueront à prospérer et l'œuvre de Dieu est entre les mains de dirigeants capables. »

Le lundi 5 juin, Elder Hardy tint une réunion à Tahiti, qui commença à 8 heures du matin et continua jusque 4 heures de l'après-midi. « Chacun des missionnaires parla de son travail, de ses espérances et de ses aspirations. » Faisant le point de ce qu'il avait vécu au cours de ces deux mois, Elder Hardy observa que, compte tenu des années que les missionnaires ont passées dans les îles, « les progrès… que l'on aurait dû faire ne sont pas visibles ». Il était d'avis que la Mission pouvait marcher avec moins de missionnaires (il y en avait alors vingt-quatre et il recommanda de réduire leur nombre à seize) et que les missionnaires remplissaient dans les branches des rôles qui empêchaient la formation et l'épanouissement d'une direction locale. Il recommanda aux missionnaires de ne pas habiter chez les saints et de ne pas utiliser la haapiiraa comme moyen d'enseignement. Le gouvernement accepta le nombre maximum de seize missionnaires. Elder Hardy quitta les îles le 22 juin 1939.

La Mission pendant la Seconde Guerre mondiale

La Seconde Guerre mondiale, au départ un conflit entre puissances européennes, ne tarda pas à s'étendre au Pacifique, impliquant la Polynésie française, les États-Unis et les pays du monde entier. Le déclenchement des hostilités se produisit en septembre 1939, lorsque les Allemands envahirent la Pologne. Deux jours plus tard, la France et la Grande Bretagne déclaraient la guerre à l'Allemagne. Les Allemands lancèrent leur Blitzkrieg (guerre éclair) contre la France, et les forces allemandes entrèrent le 13 juin à Paris. La France capitula. Mais les Français ne se laissèrent pas facilement soumettre. Le gouvernement qui traitait avec Hitler s'installa à Vichy et fut à partir de ce moment-là appelé le gouvernement de Vichy, ou la France de Vichy, sous la présidence du maréchal Henri-Philippe Pétain. Mais d'autres, avec le général Charles de Gaulle, déclarèrent la France libre. Une partie d'entre eux alla combattre les Allemands en Afrique du Nord, les autres entrèrent dans la clandestinité pour les combattre en France.

La Tahiti française se trouva devant un choix : s'allier à la France de Vichy ou à la France libre. Le gouvernement organisa un plébiscite pour le début septembre. Le peuple vota. Le résultat fut 5.564 voix pour la France libre et de Gaulle contre 18 pour le gouvernement de Vichy.

La guerre eut un effet profond sur la nation. Le président Stevens fut relevé le 11 avril 1940 et remplacé le 1er juillet par Eugene M. Cannon. Le président Cannon arriva le 3 août. Les rênes de l'administration de la Mission lui furent confiées pendant les trois jours suivants, et la famille Stevens et les missionnaires quittèrent les îles le 7 août. Le président Cannon n'était en fonction que depuis 68 jours lorsqu'il reçut, le 14 octobre, un câble de la Première Présidence lui enjoignant de renvoyer dès que possible tous les missionnaires chez eux, afin d'y être réaffectés. Les restrictions que le temps de guerre imposait aux déplacements et les difficultés de communication rendirent très difficiles les dispositions pour le retrait des missionnaires, retrait rendu encore plus compliqué par le fait que Raymond W. Young dut être opéré d'urgence d'une appendicite le 16 octobre.

En
même temps qu'il négociait le transport vers les États-Unis, Dean W. Haslem, secrétaire de la Mission, faisait les préparatifs pour fermer la Mission. Il clôtura tous les comptes des branches et des abonnements au journal, mit à jour les registres historiques et créa du matériel pour les leçons pour toutes les auxiliaires pour plusieurs années. Le président Cannon laissa à Ah-ni a Mariteragi, ancien local éminent et digne de confiance, la responsabilité de la Mission jusqu'à ce que les remplaçants pussent venir de Salt Lake City. Les dispositions pour le voyage purent finalement être prises. La Mission fut fermée le 19 novembre 1840, et la Bonecia, avec le président et sœur Cannon et douze missionnaires, quitta le port de Papeete sous les adieux du la Ora na d'un millier de personnes en larmes rassemblées sur le front de mer.

Pour présider la Mission pendant la guerre, l'Église appela l'ancien président de Mission Ernest C. Rossiter. Il arriva le 6 juin 1941 à Papeete, avec sa femme et son fils. Ils y trouvèrent Ah-ni a Mariteragi, qui veillait aux affaires de la Mission. Le président Rossiter le maintint en fonction et l'appela à présider la branche de Papeete et à apporter son aide dans les affaires de la Mission afin de lui permettre, à lui, de parcourir la Mission et de visiter les saints des îles lointaines.

Cela laissa Venus Rossiter seule une grande partie du temps, et son asthme s'aggrava dans le climat humide jusqu'à ce que le président Grant estime qu'il était sage de la relever, ce qu'il fit en octobre 1942. Mais le transport ne fut possible que plus d'un mois plus tard, lorsqu'en décembre, le président Rossiter, en réponse à ses prières, obtint des places pour elle et pour son fils pour les États-Unis.

Le président Rossiter était maintenant seul. La branche de Papeete était en bonnes mains. Il n'y avait plus de missionnaires étrangers dans la Mission. Par conséquent il appela des frères et des sœurs locaux comme missionnaires. Ce furent Tuehe a Timo, Teipo a Maire, Julliet a Haapairai, Keha a Malumuh, Garono a Turoa, Heia a Mapuhi et Tefanaki a Tukarua.

Les magasins du programme d'entraide de l'Église envoyèrent cinquante-six caisses de nourriture à Papeete pour le profit des saints, ce qui aida beaucoup de familles pendant les années difficiles de la guerre.

À Takaroa, des bâtiments étaient en construction. Le président Rossiter y passa trois mois, de mars 1944 jusqu'en été, travaillant aux bâtiments avec la population. Mais le lourd travail qu'il faisait là mit sa santé gravement en danger.

À son retour à Papeete (vraisemblablement en juin), il rencontra « une grave épidémie de dengue » introduite dans les îles par les soldats. Le président Rossiter se mit à soigner les malades mais fut lui-même atteint. Il était seul au bureau de la Mission à l'exception de Ah-ni a Mariteragi, qui se rendait utile mais n'était pas infirmier. Avec le temps la crise passa et la fièvre tomba, mais il en resta affaibli, continua à perdre du poids, toujours sous l'effet de la maladie. Les semaines et les mois passèrent sans qu'il n'y ait d'amélioration, sans qu'il puisse y échapper ni recevoir de meilleurs soins médicaux. Les médecins lui recommandèrent de quitter immédiatement Tahiti pour sa santé. Mais il n'en avait pas les moyens. En réponse à ses prières, le sentiment lui vint : « Frère Rossiter, envoie un câble à la Première Présidence. Elle t'aidera. »

En réponse au câble, la Première Présidence fit appel au sénateur américain Elbert Thomas et à l'homme de loi Ernest L. Wilkinson, à Washington D. C., qui usèrent de leur influence auprès de la marine américaine pour qu'elle envoie un avion amphibie de la Samoa américaine à Tahiti, et cela dans les deux jours de l'envoi du câble par le malade. Le président Rossiter fut transporté à Samoa où il resta trois semaines avant d'être transféré à l'île de Canton et de là à Hawaii pour une hospitalisation de quatre semaines et ensuite à San Francisco. Après y avoir passé un mois, on le considéra comme suffisamment rétabli pour qu'il puisse quitter l'hôpital et rentrer chez lui.


Après dix mois d'hospitalisation, il rentra enfin en Utah en mai 1945. Le 15 février précédent, un « jour de jeûne et de prière » en sa faveur avait été organisé parmi les anciens missionnaires. Frère Rossiter considéra « que c'était le jour même où la dengue avait relâché son étreinte sur [lui] ».

La guerre était toujours en cours au début de 1945, et le président Rossiter ne put retourner à Tahiti. L'Église appela Edgar Bentley Mitchell, un ancien missionnaire, à présider la Mission. Mitchell arriva à Papeete le 17 février 1945. Il n'y avait plus eu de missionnaires là-bas depuis plus de quatre ans et plus de président de Mission depuis l'été précédent. Le président Mitchell fut seul jusqu'au 8 novembre, jour où sa femme, Ruth, et leurs enfants arrivèrent. On n'affecta deux missionnaires à la Mission qu'en juin
1946, près d'un an après la fin de la guerre. Avec l'arrivée de la paix et du président Mitchell, accompagné par deux anciens présidents de Mission chargés d'acheter
du terrain et de construire des bâtiments, une ère nouvelle commença pour la Mission.


Note de la Rédaction

Pour poursuivre l'histoire jusqu'en 1982, voir : Yves Perrin, L'histoire de l'Église en Polynésie française.