La
culture biblique dans
laquelle le
Livre de Mormon est paru
Timothy L. Smith
Point n’est besoin
de voir plus loin que les sectes revivalistes qui régnaient en
Amérique pour découvrir pourquoi les tout premiers
missionnaires mormons ont trouvé directement des gens pour les
écouter au sujet de leur livre sacré. Les appels fermes
à la justice et à l'obéissance personnelles aux
exigences morales des Écritures judéo-chrétiennes
étaient, en 1830, les motifs dominants de toutes les
confessions protestantes. De plus, toutes les sectes américaines
avaient leur théorie au sujet de l'histoire ancienne et future
des Indiens et des Juifs.
Ces intérêts
et ces croyances étaient également prédominants
parmi les pasteurs méthodistes, congrégationalistes et
baptistes desservant des assemblées dans et autour du
Cheshire, dans le nord de l’Angleterre. Le Journal de Heber C.
Kimball, où se trouve le récit de sa mission en
Grande-Bretagne, montre comment l’épanouissement de
l'étude biblique et des théories millénaristes y
avait préparé le terrain à une première
évangélisation mormone. Il raconte que même les
ecclésiastiques de l’Église anglicane disaient à
leurs assemblées que les enseignements des saints des derniers
jours révélaient les mêmes principes que les
apôtres d’autrefois avaient enseignés.
Le Livre de Mormon donne
aussi des indications précises sur plusieurs sujets que les
Écritures chrétiennes semblent avoir laissés peu
clairs, notamment le baptême par immersion et les promesses
selon lesquelles tous les croyants, et pas simplement les apôtres,
peuvent « être remplis du Saint-Esprit »,
que les croyants chrétiens peuvent être rendus purs de
cœur (comme John Wesley l’avait souligné le siècle
précédent), que tout le monde, et pas simplement les
« élus », peut faire l'expérience
de recevoir le salut en répondant librement à une grâce
accordée gratuitement et que l’obéissance et les
œuvres de justice sont le fruit de cette expérience. Le
livre affirme aussi la véracité des récits
bibliques concernant la dispersion d'Israël en affirmant que les
indigènes Américains proviennent de descendants de
Joseph et de Juda.
Le pouvoir de persuasion
des nouvelles Écritures et des missionnaires qui les ont
exposées résidait donc dans leur témoignage de
croyances qui étaient essentielles pour les sectes
protestantes évangéliques tant dans l’Amérique
jacksonienne que dans l’Angleterre victorienne de l’époque.
Parley P. Pratt, l’un de ces premiers missionnaires mormons,
disait à ses auditeurs anglais que deux erreurs dans
l'interprétation de la Bible avaient causé une
incertitude généralisée. L’une d’elles
était la croyance que l'inspiration directe par le
Saint-Esprit n'était pas prévue pour toutes les époques
de l'Église et l'autre était que les Écritures
juives et chrétiennes contenaient toute la vérité
nécessaire au salut ainsi qu’une règle suffisante
pour la foi et la pratique.
Certains diacres et
anciens du XIXe siècle et un petit nombre de pasteurs
évangéliques se débattaient contre la tentation
grave de douter de la vérité et de la pertinence de
grandes parties du livre sur lequel on leur avait enseigné à
faire dépendre leur destin éternel. C’est vrai
que les détails des histoires racontées dans les deux
livres sacrés étaient radicalement différents.
Mais ils s’adaptaient merveilleusement l’un à
l’autre. Et leur structure morale, l'histoire qu'ils
racontaient sur Jésus, leur promesse de salut et leur
description des derniers jours de l'humanité étaient
remarquablement semblables. Bien que les nouvelles Écritures
eussent des ressemblances avec l’arminianisme évangélique
aux dépens des idées calvinistes longtemps dominantes
dans l’Amérique coloniale, il en allait de même
des enseignements dispensés au début du XIXe siècle
par beaucoup de protestants, même presbytériens, sans
parler des méthodistes et des disciples du Christ. Les saints
des derniers jours déclaraient que, par la voix de deux
témoins, la Bible et le Livre de Mormon, la vérité
était confirmée, tout comme le prophète Néphi
1 l’avait prédit (cf. 2 Né. 29:8).
Aux yeux de certains qui
ne sont pas membres de l'Église, le Livre de Mormon renforce
l'autorité de l'Écriture sainte de cinq manières
importantes. La toute première en importance est l'affirmation
du volume que la religion chrétienne est basée sur les
Ancien et Nouveau Testaments. Le livre affirme ce que les recherches
bibliques récentes rendent certain : la continuité
de la théologie, de l'éthique et de la spiritualité
que les deux testaments ont proclamées. Dans le Livre de
Mormon, Jésus est le Seigneur qui a donné la loi à
Moïse et le Christ ressuscité est identique au Messie
d'Ésaïe le prophète. Il remet exactement le même
message de rédemption, de foi et d'une nouvelle vie de justice
par le Saint-Esprit que le Nouveau Testament lui attribue.
Deuxièmement, le
Livre de Mormon renforce la vision unificatrice de la religion
biblique, la fondant sur la conviction d'une humanité commune
que les histoires de la création déclarent, que la
promesse de Dieu à Abraham implique et que Jésus
affirme. Le millénarisme puritain a pu inspirer une conception
ethnocentrique de la destinée anglo-saxonne, mais l'image du
futur dans le Livre de Mormon va tout à fait à
l’opposé. Elle envisage une conversion mondiale des
croyants et leur rassemblement final dans le royaume de Dieu. Cela
commence là où la « paroisse mondiale »
de John Wesley s’arrête.
Troisièmement, le
lien biblique qui rattache la sainteté à l'espérance
de salut, tant individuel que social, trouve aussi sa confirmation
dans le Livre de Mormon. Il est certain que les méthodistes
n'avaient pas l’exclusivité de ce rattachement, car les
prédicateurs baptistes, les congrégationalistes de
Charles G. Finney, les disciples du Christ d'Alexander Campbell et
des unitariens comme William E. Channing l'ont affirmé. Les
anciens Néphites écoutaient la parole de leurs
prophètes et attendaient la seconde venue de Jésus-Christ,
le Fils de la Justice. Quand il est apparu à leurs descendants
dans le Nouveau Monde, Jésus a répété
d’une manière encore plus claire les paroles du sermon
sur la montagne qu'il avait proclamé dans le Vieux.
Quatrièmement, la
traduction par Joseph Smith d'un livre sacré ancien a
contribué à amener à maturité un autre
mouvement, qui grandissait depuis longtemps chez les puritains, les
piétistes, les quakers et les méthodistes, celui de
restaurer dans la doctrine chrétienne l'idée de la
présence du Saint-Esprit dans la vie des croyants. Charles G.
Finney en vint finalement à croire, par exemple, que le
baptême du Saint-Esprit ou l'expérience de la
sanctification complète remédierait aux insuffisances
de la justice et de l’amour qu’il voyait chez ses
convertis. C’était, bien entendu, aussi le cas pour
presque tous les méthodistes. Les observateurs tant de
l’intérieur que de l’extérieur de l'Église
rétablie ont témoigné que dans les premières
années quelque chose d’apparenté aux phénomènes
de pentecôte modernes se produisait au moins le cercle
intérieur des saints. Dans les années 1830, les
évangéliques de plusieurs traditions ont
considérablement étendu leur utilisation de l'exemple
du jour de la Pentecôte pour déclarer que la puissance
de Dieu est à l’œuvre dans le monde.
Cinquièmement, le
Livre de Mormon a eu sa part dans le rétablissement de
certaines espérances chrétiennes que dans les derniers
temps les prophéties bibliques s’accompliront
littéralement. Ceux qui par la foi et le baptême
deviennent des saints seront inclus parmi le peuple de Dieu, choisis
à la « onzième heure ». Eux aussi
doivent se rassembler en Sion, une nouvelle Jérusalem pour le
Nouveau Monde, et dans une Jérusalem rétablie dans le
Vieux ; et le Christ reviendra effectivement.
Quelles que soient les
interprétations de la King James Version des Écritures
que les saints des derniers jours aient élaborées plus
tard, le rôle de soutien mutuel de la Bible et du Livre de
Mormon était au cœur de la pensée de Joseph
Smith, des premiers missionnaires et de leurs convertis.
Bibliographie
Kimball,
Heber C. Journal. Nauvoo, Ill., 1840.
Smith,
Timothy L. "The Book of Mormon in a Biblical Culture."
Journal of Mormon History 7 (1980) :3-21.
Article tiré de l'Encyclopédie du mormonisme, Macmillan Publishing Company, 1992, traduction Marcel Kahne, source www.idumea.org, avec autorisation