L'économie et la technologie

dans le Livre de Mormon



Daniel C. Peterson



 
Le Livre de Mormon donne des renseignements sur trois peuples américains préhispaniques. Bien que ses auteurs ne donnent pas une image détaillée de la culture économique et matérielle de leurs sociétés, de nombreux détails accessoires sont préservés dans le récit. Dans beaucoup de cas, bien que pas dans tous, l'archéologie confirme les détails généraux. Les problèmes que l’on a encore à faire entrer le Livre de Mormon dans son cadre ancien présumé sont dus sans aucun doute à la rareté des informations fournies dans le livre lui-même et au caractère incomplet des données archéologiques.
 
Tester ce que le Livre de Mormon dit au sujet de la culture matérielle précolombienne est plus difficile qu’on pourrait le croire au premier abord. Par exemple, c'est un fait historiquement bien établi que les techniques artisanales peuvent se perdre ; on ne peut donc pas considérer sans risque de se tromper que les technologies mentionnées pour les populations limitées du Livre de Mormon ont survécu après la destruction des Néphites. On ne peut pas non plus considérer que l’on a réussi à transférer les technologies du Vieux Monde dans le Nouveau. Beaucoup d’artisanats devaient être inconnus des petits groupes de colons, et même parmi les techniques qui ont été transportées de l’autre côté de la mer, beaucoup ont pu ne pas s’avérer utiles ou adaptables dans le nouvel environnement. On ne peut même pas avoir la certitude que les techniques attestées dans les premières parties du Livre de Mormon ont survécu dans l'histoire ultérieure au sein du livre lui-même.
 
L'économie des peuples du Livre de Mormon paraît, dans l'ensemble, avoir été relativement simple. Bien que beaucoup de Néphites et de Jarédites aient vécu dans des villes de taille modeste (un fait dont la plausibilité a été augmentée par les recherches récentes), leurs sociétés étaient basées sur l’agriculture. Le commerce est mentionné pour certaines époques, mais il était entravé par des guerres fréquentes. Dans les périodes rarement mentionnées de liberté de déplacements, les barrières aux échanges commerciaux tombaient et les Lamanites et les Néphites prospéraient comme on pouvait le prévoir (par exemple, Hél. 6:7-9).
 
En dépit de la base agraire de l'économie, la richesse se manifestait sous forme de troupeaux de gros et de petit bétail, de vêtements coûteux, d’or, d’argent et de « choses précieuses » plutôt que de terres (Jcb. 2:12-13 ; Én. 1:21 ; Jm. 1:8 ; Mos. 9:12 ; Al. 1:6, 29 ;17:25 ;32:2 ; Ét. 10:12). L'idéologie des principaux peuples du Livre de Mormon a sans aucun doute contribué à ce phénomène : Ils se considéraient comme un reste juste obligé d’abandonner ses demeures confortables et de partir dans le désert à cause de ses convictions religieuses. Puisque des populations entières semblent s'être déplacées souvent, les terres ne devaient pas être une source stable de richesse (2 Né.. 5:5-11 ; Om. 12-13, 27-30 ; Mos. 9 ;18:34-35 ; 22 ; 24:16-25 ; Al. 27 ; 35:6-14 ; 63:4-10 ; Hél. 2:11 ; 3:3-12 ; 4:5-6, 19 ; 3 Né. 3:21-4 :1 ; 7:1-2). Idéalement, la richesse devait être partagée avec les pauvres et pour le bien commun, mais ce que l’on observe le plus souvent, ce sont les contrastes marqués entre riches et pauvres.
 
L'agriculture dans le Livre de Mormon portait sur le bétail et la culture. Par exemple, au cinquième siècle av. J.-C., le peuple néphite « laboura la terre, et cultiva toutes sortes de grains, et de fruits, et éleva de nombreux troupeaux, et des troupeaux de toutes sortes de bétail de toute espèce, et des chèvres, et des chèvres sauvages, et aussi beaucoup de chevaux » (Én. 1:21). Au deuxième siècle av. J.-C., le peuple de Zénif cultive le maïs, le blé, l'orge, le « néas » et le « shéum » (Mos. 9:9 ; cf. Al. 11:7). Le maïs était et est l’aliment de base du régime alimentaire de la plupart des populations indigènes d'Amérique. Certains des autres points énumérés restent moins sûrs. Ce n’est qu’en 1982 que l’on a publié des éléments de preuve démontrant la présence de cultures d’orge précolombiennes dans le Nouveau Monde (Sorenson, 1985, p. 184). Le « néas » n'est pas identifiable ; mais le mot « shéum » semble apparenté au vieux she-um akkadien, un grain probablement du type orge.
 
La mention dans le Livre de Mormon de chevaux en Amérique précolombienne a donné lieu à beaucoup de critiques et l’on ne dispose à ce jour d’aucune réponse définitive à cette question. Les données linguistiques suggèrent que le « cheval » du Livre de Mormon ne doit pas forcément désigner l'equus, mais pourrait désigner un autre quadrupède pouvant être monté par l’homme, comme le donne à penser l'art mésoaméricain (Sorenson, 1985, p. 295). Il existe, en outre, des données archéologiques auxquelles on n’a pas prêté grande attention qui tendent à montrer que dans certaines régions le cheval du pléistocène américain a pu survivre jusque dans les temps du Livre de Mormon (Update, juin 1984).
 
La plupart des transports se faisaient manifestement à dos d’homme ; dans les deux contextes où le Livre de Mormon mentionne des « chars » il s'avère que leur utilisation a été très limitée (Al. 18:9-12 ;20:6 ; 3 Né. 3:22). Les chars ne sont jamais mentionnés dans un contexte militaire. La roue n’est mentionnée nulle part dans le Livre de Mormon (sauf dans une citation d'Ésaïe). Cela veut dire qu’on ne sait pas ce que pouvaient être les « chars » néphites. On nous dit que les Néphites utilisaient des « routes » et des « grandes routes » (3 Né.. 6:8). Certains saints des derniers jours pensent qu’il doit s’agir là des systèmes routiers considérablement attestés du Mexique antique. Des « bateaux » de forme inconnue ont été utilisés au milieu du premier siècle av. J.-C. pour faire du cabotage dans « la mer de l’ouest » (Al. 63:6) et pour transporter le bois de construction vers le nord (Hél. 3:10) et il semble évident que les voyages maritimes étaient parfois importants (Hél. 3:14). Le texte mentionne aussi les perles fines comme articles coûteux (4 Né. 1:24).
 
Il est question de « soie » et de « fin lin retors » (par exemple dans Al. 1:29 ; Ét. 10:24) en même temps que du tissu simple (de coton ?). Il est peu probable que la « soie » ait été produite par des vers à soie comme en Chine, mais des tissus du même genre étaient connus, du moins en Mésoamérique. Par exemple, au Guatemala on se servait de la fibre de la plante d'ananas blanc, et chez les Aztèques de poils de lapin pour faire des tissus semblables à la soie. Bien que le lin n'ait apparemment pas été connu en Amérique avant l'arrivée des Espagnols (le linge était fait de lin dans le Vieux Monde), plusieurs tissus d’origine végétale ayant des caractéristiques semblables sont bien attestés en Amérique antique (Update, nov. 1988).
 
Quand on lit le Livre de Mormon ou n'importe quel autre texte provenant d'une culture étrangère ou antique, il faut veiller à éviter de se méprendre sur ce qui est inconnu sur la base de ce qui est connu. Par exemple, on dit que les Néphites se servaient d’ « argent » mais comme les Israélites du temps de Léhi ne savaient pas battre monnaie, « l’argent » néphite n’était probablement pas sous forme de pièces.
 
Alma 11 décrit un système bien intégré de mesures de capacité pour matières sèches et d’unités de métal pesé ; certains analystes ont fait remarquer que le système esquissé est étonnamment simple, efficace et rationnel (Smith). Dans sa configuration mathématique binaire et son utilisation d'orge et d'argent comme moyens monétaires de base, le système néphite rappelle les systèmes semblables connus en Égypte et dans les lois babyloniennes d'Eshnunna (personnel de F.A.R.M.S., « Weights and Measures » ; Update, mars 1987).
 
Les Néphites ne parlent de fabrication d’armes en « acier » et en « fer » que pendant leurs quelques premières générations (2 Né. 5:15 ; Jm. 1:8) ; le fer n’est mentionné que comme un métal ornemental « précieux » du temps de Mosiah (Mos. 11:8). On ne sait pas au juste ce que ces termes signifient à l'origine. De l’ » acier » et du « fer » et d'autres métaux jarédites sont mentionnés deux fois mais ne sont pas décrits (Ét. 7:9 ;10:23). Les armes du soldat ordinaire étaient nettement plus simples : des pierres, des massues, des lances et l'arc et la flèche (par exemple, Al. 49:18-22).
 
La simplicité relative de la société dans le Livre de Mormon n'implique pas une absence d’évolution selon les normes antiques. Par exemple, il semblerait que l'instruction n'ait pas été rare parmi les Néphites ou les Jarédites. Les dirigeants fondateurs des migrations étaient à coup sûr instruits et il est dit des Néphites, au milieu de leur histoire, qu’ils avaient produit « beaucoup de livres, et beaucoup d’annales de toute espèce » (Hél. 3:15). Par contre, les Lamanites et les Mulékites tenaient moins bien leurs annales (Om. 1:17-18 ; Mos. 24:4-6 ; Hél. 3:15). Les Jarédites et les Néphites tenaient leurs annales les plus sacrées sur des plaques de métal presque impérissables, bien que certains de leurs livres aient été écrits sur des supports inflammables (Al. 14:8). Les plaques que Joseph Smith avait en sa possession, et que lui et d'autres témoins oculaires contemporains ont décrites, semblent tout à fait relever de la compétence des métallurgistes préhispaniques (Putnam ; Sorenson, 1985, p. 278-288) et il y a, pour la façon dont elles ont été enterrées, de riches précédents dans le Vieux Monde (Wright).

Article tiré de l'Encyclopédie du mormonisme, Macmillan Publishing Company, 1992, traduction Marcel Kahne, source www.idumea.org, avec autorisation