Les bois d'Ézéchiel

 


Keith H. Meservy

 

 

 

 

      Des générations de missionnaires ont cité cette Écriture :

 

      « Toi, fils de l'homme, prends une pièce de bois, et écris dessus : Pour Juda et pour les enfants d'Israël qui lui sont associés. Prends une autre pièce de bois, et écris dessus : Pour Joseph, bois d'Éphraïm et de toute la maison d'Israël qui lui est associée.

 

      « Rapproche-les l'une de l'autre pour en former une seule pièce, en sorte qu'elles soient unies dans ta main » (ÉzéchieI 37:16-17).

 

      Pour un saint des derniers jours, cette Écriture montre qu'Ézéchiel savait que le bois de Joseph, le Livre de Mormon, serait joint au bois de Juda, la Bible, dans les derniers jours pour aider le Seigneur à susciter le rétablissement d'Israël. Il est vrai que les interprètes de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours n'ont pas pu s'accorder sur le genre de « bois » qu'Ézéchiel avait à l'esprit, soit des baguettes à encoches, soit des rouleaux, soit des sceptres. Néanmoins, l'Église, avec l'aide de D&A 27:5, a gardé la conviction que chaque « bois » représente un volume d'Écritures.

 

      Cette interprétation ne va pas sans contestation. Des érudits de la Bible qui ne sont pas membres de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours ont maintenu que l'interprétation traditionnelle chrétienne de « bois » par bâton ou sceptre est mieux en accord avec ce qu'Ézéchiel dit. Ils montrent qu'immédiatement après la prophétie concernant les bois, le Seigneur déclare qu’il prendra les Israélites d'entre les nations où ils sont allés, qu’il les fera revenir sur leur territoire, qu'il fera d'eux une seule nation, qu'ils auront tous un même roi, qu’ils ne formeront plus deux nations et qu'ils ne seront plus divisés en deux royaumes (voir Ézéchiel 37:21-22).

 

      Ils en concluent qu'il est clair que la réunion des deux sceptres tribaux symbolise la réunification des tribus divisées. L'interprétation du prophète Joseph Smith a semblé si étrange et tellement en désaccord avec son contexte que les critiques ont taxé l’interprétation des saints des derniers jours d'interprétation d'Écriture hors contexte pour prouver un point.

 

      Au vu de ce genre de critiques, Harold B. Lee a réaffirmé la position de I’Église en 1968 lorsqu'il a déclaré aux instructeurs de séminaire et d'institut qui s'étaient assemblés à l'université Brigham Young : « D'après les rapports, certains enseignent que le bois de Joseph ne fait pas allusion au Livre de Mormon et que Doctrine et Alliances, section 5, qui le déclare ne doit pas être pris littéralement. À Dieu ne plaise que des instructeurs parmi vous enseignent une telle doctrine ou permettent qu'on l'enseigne sans que vous ne réagissiez, vous qui connaissez la vérité et qui avez un témoignage » (Viewpoint of a Giant, BYU, 18 juillet 1968, p. 6, publié par le Département des séminaires et des instituts de religion).

 

      Des découvertes passionnantes récentes confirment actuellement que l’interprétation de Joseph Smith est correcte, ce qui n'était pas possible en 1830. Mais avant de commenter ces nouvelles découvertes, regardons rapidement quelques points linguistiques. Le mot hébreu utilisé dans Ézéchiel est etz, dont le sens de base est bois.

 

      Etz apparaît environ trois cents fois dans le texte hébreu.


      Quand nous regardons dans la traduction grecque de la Bible, la Septante, faite par des Juifs pour des Juifs au troisième siècle avant Jésus-Christ nous trouvons que etz est traduit par ksylon (bois) 249 fois, mais par dendron (arbre) seulement 15 fois. Ces traducteurs connaissaient l’hébreu et ressentaient leur langue natale. Ils considérèrent évidemment « bois » comme le premier sens de etz.

 

      Il est doublement surprenant dans ces conditions de découvrir que ces traducteurs de la version grecque n'ont pas utilisé bois dans ce chapitre 37 qui est d'une importance cruciale. Ils ont préféré I’emploi de rabdos (bâton). Ce qui est très caractéristique, c'est que c'est le seul endroit dans toute la Bible grecque où etz est traduit rabdos.

 

      Pourquoi ont-ils fait ainsi ? La réponse est de première importance puisque cette traduction unique est celle dont dépend la majorité de nos interprètes modernes pour la compréhension de ce passage.

 

      Les exégètes ont émis l'hypothèse que le traducteur avait été influencé par l'histoire contenue dans Nombres 17:16-17, où le Seigneur demandait au chef de chaque famille d'inscrire son propre nom sur son bâton (rabdos) et de le laisser dans le Tabernacle pour la nuit. Le lien avec le nom de famille est évident. Et l'on trouve cette prophétie à la fin du chapitre 37 d'Ézéchiel à propos de la réunification des royaumes. La seule difficulté dans cette explication, c'est que le mot traduit par bâton dans les Nombres n'est pas etz mais matteh, mot parfaitement hébreu qui signifie littéralement bâton. Si c'est donc ce qu'Ézéchiel voulait dire, pourquoi n'a-t-il pas utilisé matteh ?

 

      Dans ces conditions, les découvertes des archéologues et des linguistes d'Iraq prennent une nouvelle signification.

 

      La nation moderne d'Iraq comprend presque toute la Mésopotamie, creuset des anciens royaumes d'Assyrie et de Babylonie. En 593 av. J.-C., quand Ézéchiel fut appelé comme prophète, il vivait en exil en Babylonie parmi les nombreux Juifs qui avaient été emmenés en captivité par Neboukadnetsar. En parcourant les rues de Babylone, il aurait vu le scribe appuyant avec un stylet en biseau sur des tablettes d'argile molle pour écrire en utilisant l'écriture que nous appelons cunéiforme (en forme de coin). Mais les érudits de notre époque savent que d'autres genres d'annales étaient tenus en Mésopotamie : sur papyrus, sur parchemin et sur tablettes de bois. Bien que seules les tablettes d'argile aient résisté aux millénaires, les écrivains parlaient d'autres supports d'écriture dans leurs annales sur tablettes d'argile.

 

      Les archéologues modernes savent ce qu'étaient le papyrus et le parchemin, mais ces tablettes de bois, comment étaient-elles ? Comment pouvait-on inscrire des caractères cunéiformes sur du bois ? Les érudits ont essayé de conclure que les Mésopotamiens devaient peindre les signes cunéiformes sur le bois.

 

      Cette conclusion fut abandonnée il y a quelques années quand San Nicolo découvrit deux tablettes d'argile dans les archives du temple d'Eanna à Ourouk au sud de la Babylonie, l'une remontant à 596 av. J.-C. et l'autre à 582 av. J.-C. Leurs auteurs mentionnaient tous deux que l'on prenait de la cire d'abeille (et certaines autres substances inconnues de San Nicolo) dans les réserves du temple pour remplir leurs tablettes de bois. Remplir ? San Nicolo se souvint que les Romains et les Grecs faisaient, pour tenir des annales, des tablettes de bois et de cire dans des planches dont la surface avait été évidée et dont les bords ressortaient afin de contenir une mince couche de cire. Les scribes écrivaient sur de la cire. Quand deux tablettes étaient réunies, les bords saillants protégeaient les surfaces portant des inscriptions. Les Babyloniens auraient-ils pu en faire autant ? San Nicolo comprit que pour quelqu'un qui écrivait en signes cunéiformes, c'était à peu près la même chose d'écrire sur de la cire avec un stylet que d'écrire sur de l'argile, tandis que la peinture sur des tablettes de bois aurait impliqué une technique totalement différente. Il conclut que les tablettes babyloniennes de bois pour écrire étaient des tablettes enduites de cire et, en 1948, publia sa conclusion aux savants du monde. Il émit l'hypothèse que la raison pour laquelle aucune tablette de cire n'avait été trouvée était qu'elles devaient être très fragiles. Mais après des années, à l'étonnement des archéologues concernés, une découverte faite sur le territoire de l'ancienne Assyrie confirma à la lettre sa théorie.

 

      La découverte faite sous la direction de l'archéologue Max Mallowan, eut lieu dans une couche de boue au fond d'un puits à Nimroud, ville connue sous le nom de Kalah dans la Bible. La première découverte fut une tablette plate d'ivoire carrée de 150 millimètres sur 150 millimètres et de 12 millimètres d'épaisseur ; elle était cassée. À la fin de la journée, les ouvriers avaient retrouvé l'autre moitié de cette tablette brisée. Quand ils eurent fini leur travail, ils trouvèrent les fragments de deux jeux complets de tablettes, l'un d'ivoire et l'autre de noyer, comportant chacun seize tablettes. Les deux jeux étaient faits de tablettes de mêmes dimensions : 330 x 152 x 12 millimètres.

 

      Toutes les surfaces des tablettes étaient évidées sur 2,5 millimètres de profondeur, laissant un rebord de 12 millimètres de large en saillie tout autour.

Les surfaces concaves pouvaient ainsi être remplies de cire dont on trouva quelques fragments gaufrés qui adhéraient encore à la tablette, ou bien étaient mélangés à la boue à proximité.

 

      La boue avait rendu illisible la majeure partie du texte mais la preuve n'en était pas moins là et un fragment comportait encore des caractères cunéiformes lisibles.

 

Les tablettes de support dont la surface extérieure n'était pas couverte de cire portait la marque de charnières des deux côtés, ce qui prouvait que les seize tablettes de chaque jeu avaient jadis été jointes comme un paravent japonais que l'on peut replier. Tout ce travail constituait de si vastes annales que Mallowan put annoncer sa découverte en disant que c'était le spécimen de livre le plus ancien.

      Les analyses en laboratoire ont fourni des détails supplémentaires quant au produit qui recouvrait les tablettes. Il était constitué d'une mesure de sulfure d'arsenic pour quatre mesures de cire. Le sulfure d'arsenic doit être l'autre substance que San Nicolo n'avait pas pu identifier à partir des tablettes d'argile qu'il avait lues. Il servait à garder la cire suffisamment molle pour que le stylet fasse une empreinte nette et il donnait aussi une belle surface jaune. Et la petite écriture nette conservée sur un seul fragment de cire est si serrée que les trente surfaces auraient pu contenir approximativement 7500 lignes de texte.

 

      L'inscription portée sur la couverture de l'un des livres en bois dit : « Palais de Sargon, roi du monde, roi d'Assyrie. Il fit inscrire les mots Enuma Anu Enlil sur une tablette d'ivoire et la mit dans son palais de Dour-Sharroukîn ». Quand Sargon mourut en 705 av. J.-C., le palais fut pillé et les tablettes furent détachées les unes des autres, probablement pour prendre les charnières qui étaient peut-être d'or. Les tablettes « sans valeur » furent ensuite jetées dans le puits.

 

      Cette découverte confirme, à elle seule l'hypothèse de San Nicolo. Les érudits ont appris grâce aux références cunéiformes à is le'u que des tablettes de bois avaient été utilisées dans l'ancienne Babylonie dès 1700 ans av. J.-C. Et mille ans plus tard, on s'en servait en Assyrie pour copier des textes religieux, des rites, des comptes rendus et des ordres royaux, pour inscrire le nom des individus et pour enregistrer les détails d'une propriété, le connaissement d'un navire ou le registre d’une distribution d'huile.

 

      Dès qu'on eut identifié un jeu de tablettes, les érudits reconnurent que les bas-reliefs assyriens fournissaient la preuve de leur utilisation. Ils apparaissent aussi sur des monuments de la même époque de la civilisation araméenne au nord de la Mésopotamie. On ne connaît pas encore d'exemples chez les Hittites mais San Nicolo remarqua que les Hittites, qui utilisaient aussi une écriture cunéiforme, disaient qu'ils inscrivaient certaines de leurs annales sur le bois et ils avaient un terme particulier pour désigner le scribe qui le faisait.

 

      Depuis longtemps les érudits classiques savaient que les Grecs et les Romains utilisaient des tablettes de cire. Zacharie inscrivit le nom de son fils, Jean-Baptiste, sur l'une de ces tablettes (Luc 1:63). Et elles continuèrent à servir en Europe au moins jusqu'au quatorzième siècle ap. J.-C. En bref, l'utilisation de tablettes de cire pour écrire était un procédé plutôt commun chez les anciens et qui se prolongea pendant plusieurs millénaires (d'environ 1700 av. J.-C. à 1400 ap. J.-C.) et dans de nombreuses cultures.

 

      En quoi cela nous aide-t-il en ce qui concerne le verset d'Ézéchiel ? Eh bien, tous ceux qui sont concernés s'accordent à dire que toute interprétation de ce passage doit correspondre à ce que nous savons de la langue et doit aussi être en harmonie avec ce que nous savons du contexte de la prophétie car le contexte détermine le sens.

 

      Le contexte d'Ézéchiel, c'est le monde babylonien, ses coutumes et ses usages ; sa langue, c'est l'hébreu, qui est une langue de la même racine que le babylonien. Le babylonien is est de la même racine que le mot hébreu etz, et les deux signifient bois. Le fait que la tablette d'ivoire est appelée dans le texte du pays d'Akkad un is le'u fait de shin piri une « tablette de bois faite d'ivoire d'éléphant », ce qui semble être une contradiction absurde, montre que is le’u ne signifiait plus « tablette de bois » mais « tablette à écrire », quelle qu'en fût la composition. De même, le mot latin pour livre, liber, signifiait à l'origine « écorce d'arbre ». Cependant un libraire à notre époque n'est plus un spécialiste en écorce d'arbre ! Avec cela à l'esprit, nous voyons comment nous pourrions traduire ÉzéchieI 37:15-17 :

 

      « La parole de l'Éternel me fut adressée, en ces mots :

 

      « Et toi, fils de l'homme, prends un feuillet de tablettes de bois et écris dessus : Juda et les fils d'Israël qui lui sont associés. Prends un autre feuillet et écris dessus : Joseph, feuillet d'Éphraïm et de toute la maison d'Israël qui lui est associée.

 

      « Rapproche-les l'un de l'autre, pour en former un seul bloc, en sorte qu'ils soient unis dans ta main ».

 

      Cette traduction est fidèle à ce que nous savons maintenant de la langue et de la culture d'Ézéchiel. C’est d’ailleurs la traduction qui apparaît dans la New English Bible, traduction financée par les principales Églises protestantes et par les sociétés bibliques dans les îles Britanniques. C'est pourquoi, il n'est plus nécessaire de se sentir sur la défensive lorsque l'on considère les « bois » comme des « annales ». En fait, la situation est actuellement renversée : ceux qui ont interprété ces « bois » comme étant des sceptres, ou quoi que ce soit d'autre, doivent maintenant expliquer comment ils peuvent maintenir Ézéchiel dans son contexte en traduisant ainsi.

 

      Peu après la mise au jour des tablettes de bois par Mallowan dans l'ancien puits, les parois du puits s'effondrèrent, enterrant presque le vieil homme qui avait été descendu au moyen d'une corde jusqu'au fond. Outre le fait de reconnaître leur chance d'avoir trouvé les tablettes et d'avoir remonté l'ouvrier avant que le puits ne s'écroule, Mallowan rapporte qu'il pense que le simple fait de trouver ces tablettes fut pour eux une chance supérieure à la normale : « La conservation de cette matière organique au fond d'un puits… semble presque un miracle, mais cela s'explique par les propriétés de la boue. Cette chance exceptionnelle nous a permis de sauver de l'oubli un ensemble de documents qui, bien qu'ils aient dû se trouver jadis dans une centaine d'autres villes du Moyen-Orient, n'ont été conservés qu'en une seule. Nous avons ici la plus ancienne preuve connue de ce qui a dû être un support habituel d'écriture ».

 

      Une chance exceptionnelle ? Un miracle ? Pas plus grand que le fait que le prophète Joseph Smith, dans l'arrière-pays du comté de New York, au début du dix-neuvième siècle, ait interprété un passage de la Bible d'une manière contraire à l'interprétation logique et habituelle du passage pour ne trouver de confirmation que dans les découvertes du vingtième siècle. C'est merveilleux comme des détails de ce genre font que tout l'Évangile rétabli ressort plus nettement, montrant à nouveau l'étendue et la profondeur de l'inspiration qui a caractérisé le ministère bien trop bref de Joseph Smith.

 

 

Sources :


Tambuli, décembre 1983

L’Étoile, décembre 1983, p. 23-29

Ensign, février 1987, p. 4-14