George
Bernard Shaw à
propos du mariage plural
Le 11 avril 1933, le grand dramaturge anglais George
Bernard Shaw donnait au Metropolitan
Opera de New York, devant l'Académie des
sciences politiques, une conférence radiodiffusée à travers tous les
États-Unis, au cours de laquelle il déclara :
Si
vous entreprenez une étude de l'histoire des États-Unis
– sans vous en référer aux anciens manuels
qui ne sont que des boîtes à poussière du plus
vil journalisme – mais plutôt à la véritable
histoire de l'Amérique, vous en aurez honte, parce que toute
l'histoire de l'humanité est honteuse. Mais on y trouve quand
même, ici et là, des raisons d'espérer. Je me
demande combien d'entre vous ont jamais étudié
l'histoire des saints des derniers jours : un des épisodes
les plus extraordinaires de colonisation des blancs dans l'histoire
du monde. Vous devriez le faire car vous y verriez des Américains,
mus par d'étranges raisons, arrivant à d'étranges
résultats, si étonnants pour moi que si des Anglais,
mus par de mêmes raisons, arrivaient à de pareils
résultats, j'en serais tout éberlué.
Il
fut un temps où les mormons, n'étant qu'une infime
minorité, risquaient d'être anéantis par leurs
pieux voisins à cause de l'impopularité de leurs
principes. Pourtant ils étaient eux-mêmes très
pieux, ayant été élevés selon un code
rigide de moralité et de sainteté du mariage monogame
des peuples chrétiens de l'Ouest. Eh bien il arriva qu'en
s'adressant à ces gens pieux, hommes et femmes, leurs
dirigeants leur proposèrent d'adopter la polygamie, d'épouser
autant de femmes que leurs moyens le leur permettaient.
Songez
un peu à l'effet produit par une telle déclaration à
de telles gens. Je ne connais pas de passage plus émouvant en
littérature que celui où Brigham Young raconte comment,
après en avoir reçu l'ordre, il commit le péché
de souhaiter d'être à la place d'une dépouille
mortelle dont le cortège passait devant lui à cet
instant. Et pourtant Brigham Young est connu maintenant pour avoir eu
plusieurs femmes et son nom restera gravé dans l'histoire
comme un Moïse américain pour avoir conduit son peuple
dans une terre inhospitalière où il fonda une grande
ville.
En
résumé, rien n'est plus ridicule, rien n'est plus
frivole que de supposer que cette polygamie ressemblait au
libertinage. Si Joseph Smith l'avait proposée en vue de
dérèglement dans les moeurs, les saints des derniers
jours auraient pris les devants sur les ennemis qui l'abattirent.
Non, il la proposait dans un but politique, uniquement. Il leur
dit :
« À
moins d'augmenter en nombre, nous sommes perdus ; et nous ne
pouvons nous multiplier que par la polygamie. Il s'agit donc de
surmonter nos préjugés, quels que soient nos
sentiments, et d'adopter la polygamie si nous voulons sauver l'Église
des saints des derniers jours du nombre imposant de ses ennemis dans
cet État. »
Et
ils y réussirent. Voilà ce qu'il y a de
merveilleux en Amérique. Un groupe d'Américains,
uniquement pour des raisons politiques, a réussi à
changer son mode de vie, à abandonner des idées bien
enracinées, pour des raisons purement politiques. Ça
vous fait rire. J'en suis heureux car chaque fois qu'en cherchant la
vérité je tombe sur le bon filon, cela provoque le
rire. Mais rien de ce que j'ajouterai ce soir n'est aussi
significatif que cette illustration du génie américain
en matière politique.
Sources :
• L'Étoile,
octobre 1938, p. 229
• Rulon S. Howells,
Les
mormons : Aperçu historique – Récit illustré
du mormonisme, Bookcraft, 1957, p. 140-141