Le mariage plural

 

 

William E. Berrett

 

Historien

 

 

 

 

      À Nauvoo, le prophète révéla un certain nombre de doctrines. Elles avaient trait au mariage et à l'œuvre du temple et séparaient encore plus les saints du reste du monde.

 

      Une de ces doctrines fut particulièrement responsable de la persécution qui s'abattit sur l'Église. Ce fut celle du mariage plural par sanction divine. Dès 1831, Joseph Smith affirma avoir eu une révélation sur ce sujet et en parla à un petit nombre d'associés intimes. Elle ne fut toutefois pas mise par écrit à l’époque, ni pratiquée de façon générale ni même annoncée publiquement. En 1840, la doctrine fut enseignée à un petit nombre de frères dirigeants qui, avec le prophète, épousèrent secrètement d'autres femmes l'année suivante. Ce caractère secret ne put pas être gardé longtemps, néanmoins la doctrine ne fut pas discutée ouvertement. Cet état de choses produisit de graves calomnies en dehors de l'Église.

 

 

La révélation sur le mariage

 

      Le 12 juillet 1843, le prophète fit mettre par écrit et lire au grand conseil de Nauvoo la révélation sur « l'éternité de l'alliance du mariage et du mariage plural » (Doctrine et Alliances, section 132). Aucune doctrine, sans doute, de la jeune Église ne causa autant de dissensions dans et en dehors de l'organisation. Il est bon que nous prenions quelques instants pour examiner la façon dont elle fut reçue.

 

      Pendant des années, après avoir été mis au courant de la doctrine par la révélation divine, Joseph ne put se résoudre à la pratiquer ni à enseigner à d'autres de le faire. La société anglo-saxonne tout entière était opposée au mariage plural, quoique celui-ci n'eût jamais été interdit, que ce fût par l'État ou par la Constitution fédérale. Même après s'être installé à Nauvoo, lorsque le prophète dit avoir reçu du Seigneur le commandement de mettre la loi du mariage plural en vigueur, il hésita à le faire. Soir après soir, il fit les cent pas le long de la berge du Mississippi, accompagné parfois par son frère Hyrum, se débattant avec le problème. Il était convaincu de ce que la pratique de la doctrine attirerait sur l'Église de violentes persécutions et l'amènerait finalement à perdre la vie.

 

      On ne pourrait commettre de plus grande erreur que de penser que Joseph Smith, Brigham Young ou l'un quelconque des dirigeants de l'Église ait accueilli avec joie la doctrine du mariage plural ou l'ait introduite par désir voluptueux. Brigham Young dit plus tard : « Si on m'avait demandé ce que j'aurais choisi lorsque Joseph Smith révéla cette doctrine (la pluralité des épouses), j'aurais dit, à condition que cela ne diminuât pas mon salut : ‘ Je ne veux avoir qu'une seule femme… Je ne désirais pas reculer devant aucun devoir, ni manquer si peu que ce fût de faire ce qu'il m'était commandé, mais c'était la première fois de ma vie que j'avais souhaité la mort et pendant longtemps j'eus du mal à surmonter ce sentiment » (Discours prononcé le 14 juillet 1855 à Provo. Voir Roberts, Comprehensive History of the Church, vol. 2, p. 102).

 

      John Taylor, qui devint le troisième président de l'Église, ajoute : « J'avais toujours nourri des idées strictes concernant la vertu, et j'estimais, en temps qu'homme marié, que c'était là pour moi, en dehors de ce principe, une chose affreuse à faire. L'idée d'aller demander à une jeune fille de m’épouser alors que j'avais déjà une femme ! Voilà bien une chose propre à émouvoir les sentiments au plus profond de l'âme humaine. J'avais toujours entretenu la chasteté la plus stricte... Avec les sentiments que j'avais nourris, rien moins que la connaissance de Dieu et les révélations de Dieu et leur véracité n'aurait pu m'inciter à obéir à un tel principe » (Roberts, The Life of John Taylor, p. 100).

 

      Pour Heber C. Kimball et sa femme, Vilate, le commandement du prophète que Heber prenne une autre femme fut une épreuve extraordinairement difficile. Ce commandement fut caché pendant un certain temps à la femme de Heber. Vilate remarqua qu'il était extrêmement soucieux. Elle affirma qu'en réponse à sa prière concernant ce qui causait tant de soucis à son mari, elle reçut une vision du monde éternel. Nous ne savons pas ce qu'elle vit, mais en tout cas, elle devint par la suite partisane convaincue de la doctrine du mariage plural.

 

      Si la doctrine causa une telle crise chez les hommes les plus fermes de l'Église, quoi d'étonnant qu'un grand nombre d'hommes se refusassent à la recevoir. Seul le secret qui entoura sa pratique empêcha une apostasie générale dans l'Église en 1844. Lorsque la doctrine fut publiquement proclamée dans les champs de mission, l'opposition à l'Église s'accrut considérablement et eut souvent recours à la violence de la populace.

 

      Le caractère secret qui entourait l'introduction de la pratique produisit de grossiers mensonges et des accusations d'adultère. Ce fut un facteur extrêmement important qui contribua à rendre tant les mormons que les non mormons hostiles au prophète. Aucun des enseignements de l'Église ne se heurtait d'une manière aussi directe à l'ordre social de l'époque ni ne suscitait une hostilité aussi violente.

 

 

Circonstances de l'introduction du mariage plural

 

      Il faut se souvenir que la doctrine du mariage pour le temps et l'éternité, contenue à la section 132 de Doctrine et Alliances, avec toutes les bénédictions qui sont promises, n'implique pas nécessairement le mariage plural. La doctrine que le mariage peut être éternel lorsque cette alliance est accomplie par la prêtrise de Dieu est un apport sans pareil à la pensée religieuse et donne un sens précis à la philosophie mormone.

 

      Nous devons garder à l'esprit les principes fondamentaux de la philosophie que Joseph Smith introduisit. Premièrement, le but premier de l'existence est de développer la personnalité humaine à sa capacité maximale de bonheur. Deuxièmement, cette acquisition de qualités divines s'accomplit au mieux lorsque les individus passent par l'expérience de la paternité ou de la maternité et partagent les responsabilités d'un foyer. Ces relations maritales s'obtiennent pour le temps et pour l'éternité quand elles sont sanctionnées par Dieu via la prêtrise. Joseph Smith enseigna que ceux qui se mariaient pour le temps et l'éternité pouvaient, après avoir acquis leur exaltation, continuer à procréer des enfants d'esprit et devenir finalement comme des dieux pour ces enfants.

 

      Bien entendu, en vertu d'un tel plan, le meilleur développement du genre humain s'accomplirait là où tous les hommes et toutes les femmes, mentalement et physiquement aptes au mariage, contracteraient mariage et deviendraient parents. Etant donné que les sexes sont de nombre approximativement égal dans les conditions normales, c'est le système monogame, un homme, une femme, qui existe normalement. C'est ce genre de loi que le Seigneur donna aux Néphites : « …car tout homme parmi vous n'aura qu'une femme ; et de concubine il n'en aura aucune » (Livre de Mormon, Jacob 2:27).

 

      Dans les premiers temps de l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, un nombre plus grand de femmes que d'hommes étaient devenues membres de l'Église. C'était vrai de la période de Nauvoo et cela demeura vrai pendant un certain nombre d'années après l'arrivée des saints en Utah (Roberts, Comprehensive History of the Church, vol. 3, pp. 291, 488).

 

      Cela demeura vrai tant que les convertis constituèrent la masse des membres de l'Église. Les saints étaient un peuple aussi isolé que s'ils avaient été dans une île de la mer. Les mariages en dehors de l'Église étaient déconseillés. Il n'y avait pas suffisamment d'hommes. Beaucoup de femmes devaient vivre et mourir célibataires, privées de l'occasion de développement qu'apportent le mariage et le foyer. Ce ne fut pas pour arrêter la prostitution que le mariage plural fut introduit. Ce ne fut pas pour satisfaire ses passions ou celles de ses disciples que Joseph Smith enseigna et pratiqua cette doctrine. Les hommes et les femmes qui contractaient le mariage plural étaient parmi les gens les plus moraux que le monde ait connus. Il est vrai que chez les premiers mormons la prostitution était inconnue, mais cela aurait également été vrai chez un peuple de ce genre si le mariage plural n'avait jamais été pratiqué.

 

      Le mariage plural ne fut jamais à aucun moment une loi générale pour l'Église tout entière, et ne fut jamais à aucun moment pratiqué par plus de deux pour cent de la population masculine. Le président détenait la clef de la pratique de ce mariage, et seuls ceux qui étaient censés être capables de vivre la loi dans la justice avaient la permission de le contracter. Le fait que les femmes excédentaires de l'Église furent absorbées dans la vie de famille est un fait indéniable. Que les meilleurs membres de l'Église et du monde sont sortis de ces foyers pluraux est également indéniable. Ce qui est triste, c'est qu'un petit nombre d'entre eux abusèrent de la loi et de la confiance qui leur étaient données et alimentèrent les calomnies et les railleries contre l'Église.

 

      En dépit des raisons sociales que l'on peut avancer pour justifier le mariage plural, il faut reconnaître qu'il était directement opposé aux traditions du peuple tant dans l'Église qu'en dehors d'elle. Le caractère secret même qui s'y attachait empêchait que toute explication fût donnée à ces gens. Les bruits les plus vagues étaient multipliés et augmentés par les commérages.

 

 

Le prophète s'attend à la crise

 

      Le prophète savait que l'ordre social qu'il envisageait susciterait une opposition violente en Illinois. Les expériences de l'Église en Ohio et dans le Missouri l'avaient bien montré. La présence des mormons en grand nombre dans une partie quelconque de l'Amérique colonisée de l'époque aurait produit un résultat semblable. Et ceci non pas parce qu'il était difficile de s'entendre avec les mormons, ni parce que les non mormons étaient des gens mauvais, mais parce que les enseignements de l'Église et l'ordre social existant étaient si directement opposés. C'était pour se préparer à cette inévitable opposition et peut-être dans une certaine mesure pour l'éviter que Joseph Smith avait écrit la remarquable charte de Nauvoo et en avait assuré le passage. C'est pour se préparer contre les arrestations illégales qu'il tint absolument à ce qu'il y eût tribunal municipal indépendant à Nauvoo. Ce fut pour protéger son peuple de l'inévitable violence de la populace qu'il organisa et forma la célèbre Légion de Nauvoo.

 

      Il ne croyait d'ailleurs pas non plus que même ces précautions protégeraient longtemps son peuple. Il prévoyait une opposition écrasante inévitable. Dès 1842, il commença à rechercher une partie non colonisée de l'Amérique où son peuple pourrait réaliser sa « Sion » sans conflit. Son attention se tourna nécessairement vers l'Ouest, et, cette année-là, il prononça une célèbre prophétie à un groupe de saints à Montrose (Iowa). Dans son journal du 6 août, nous lisons : « Je prophétisai que les saints continueraient à subir de nombreuses afflictions et seraient chassés dans les Montagnes Rocheuses, que beaucoup apostasieraient, que d'autres seraient mis à mort par nos persécuteurs ou perdraient la vie par suite de l'exposition aux intempéries ou à la maladie, et certains d'entre vous auront l'occasion d'aller aider à installer des colonies et bâtir des villes et voir les saints devenir un peuple puissant au milieu des Montagnes Rocheuses » (History of the Church, Periode 1, Vol. 5, p. 85).

 

 

Le mariage plural

 

      À une conférence qui se tint les 28 et 29 août 1852 à Salt Lake City, la doctrine du « mariage plural » fut annoncée pour la première fois en public. La révélation faite à Joseph Smith sur ce sujet fut lue, et Orson Pratt fit un discours du point de vue de la Bible. Les limites et les restrictions de la loi énoncées par la révélation moderne furent expliquées. Comme nous l'avons déjà dit, un certain nombre des frères dirigeants pratiquaient déjà cette doctrine. Après cette conférence, d'autres personnes reçurent du président Young, qui détenait les clefs de cet ordre du mariage, l'autorisation de le pratiquer. Dans certains cas, le président exhorta les dirigeants de l'Église à se marier et à fournir un foyer aux femmes dignes de la communauté qui s'étaient vu refuser l'occasion d'obtenir ce développement de personnalité qui découle du mariage.

 

      Nous avons déjà parlé de la philosophie de la doctrine du mariage plural. À la fin de la première année de migration en Utah, le nombre de femmes dépassait le nombre d'hommes (voir Roberts, Comprehensive History of the Church, vol. 3, p. 291). Cet excès de la population féminine persista pendant un demi-siècle. Dans la pratique mormone du « mariage plural », ces femmes étaient absorbées dans la vie familiale de diverses communautés. La pratique était nécessairement limitée, deux pour cent des hommes éligibles pour le mariage seulement ayant plus d'une femme. La loi n'était pas non plus applicable à la population générale du territoire ni même aux membres en général de l'Église. Seuls les hommes qui obtenaient la sanction du président, lequel gardait à l'esprit la personnalité et la dignité de l'individu, pouvaient épouser une deuxième femme, et ce, uniquement avec le consentement de la première.

 

      Dans l'application d'une telle loi sociale, il se produisit des irrégularités et des abus. La pratique de cette doctrine exigeait une mesure d'abnégation et un dévouement désintéressé pour le principe qui dépassaient les possibilités de la plupart des gens.

 

 

Éveil de l’opposition

 

      La pratique du mariage plural ou, comme on l'appelait erronément, de la « polygamie », produisit des remous considérables dans la presse et devint le centre des attaques des ennemis de l'Église contre celle-ci. Comme l'Utah était un territoire des États-Unis et que les lois des territoires sont déterminées par le Congrès, la discussion de la « polygamie » fut portée devant cette institution et devint l'argument principal contre l'admission de l'Utah comme État.

 

      Les attaques contre l'Église devinrent si violentes que le Congrès, sous l'influence de politiques et de la presse, passa en 1862 une « loi contre la bigamie », dont le but était de supprimer la « polygamie » chez les mormons.

 

      Le 8 juillet 1862, le président Lincoln signa l'acte et rendit le fait de contracter un mariage plural punissable d'une amende de 500 dollars ou de cinq ans de prison ou les deux.

 

      Dans l'ensemble, le président et les membres du Congrès n'étaient pas hostiles aux mormons, mais ils étaient opposés à la pratique de la polygamie. Le programme politique sur lequel Lincoln fut élu, contenait un point condamnant la pratique de la polygamie.

 

      Par amitié pour les mormons, dont il avait fait la connaissance en Illinois, le président Lincoln négligea de nommer des officiers pour imposer l'application de la loi contre la bigamie.

 

      Les ennemis de l'Église, qui cherchaient sa destruction, ne se contentèrent pas de laisser tomber le problème. La loi contenait une disposition interdisant à un groupement religieux dans un territoire de détenir des biens fonciers dont la valeur dépasserait 50 000 dollars. Ceci avait pour objectif direct l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. Une tentative du gouverneur Harding d'Utah en 1863 de faire punir Brigham Young en vertu de cette loi échoua, la constitutionnalité de la loi tout entière étant douteuse.

 

      L'agitation contre la polygamie augmenta au cours des années, mais ce ne fut qu'en 1874 que la constitutionnalité de la « loi contre la polygamie » fut essayée et que l'on tenta de l'appliquer. Les mormons étaient certains que la loi était anticonstitutionnelle et que si un procès était porté devant les instances supérieures, elle serait proclamée telle et l'état incertain des affaires serait éclairci. En conséquence, George Reynolds, secrétaire privé de Brigham Young, se porta volontaire pour mettre la loi à l'épreuve. Les officiers fédéraux du territoire semblaient tout aussi désireux d'éclaircir l'affaire par un procès amical. En conséquence, Reynolds fut inculpé. Il se présenta volontairement devant le tribunal et fournit la preuve des faits par lesquels il avait enfreint la loi. Il fut estimé coupable condamné à un an de prison et reçut l'ordre de payer une amende de 500 dollars. Appel fut fait à la Cour Suprême du territoire où il fut refusé sous prétexte que la Chambre des mises en accusation qui avait inculpé Reynolds était illégale.

 

 

Constitutionnalité des lois contre la bigamie

 

      La constitutionnalité de la loi n'étant toujours pas décidée, un deuxième procès eut lieu en 1875 devant Alexander White, juge suprême d'Utah. La nature amicale du procès précédent était tout à fait absente, l'accusation devenant violente vis-à-vis de l'accusé, et l'accusé à son tour refusant de fournir les éléments permettant de prouver qu'il y avait eu violation de la loi. Toutefois une condamnation fut obtenue, et Reynolds reçut la lourde condamnation de 500 dollars d'amende et deux ans de travaux forcés au pénitencier. La Cour Suprême d'Utah confirma le décret et appel fut fait à la Cour Suprême des États-Unis, qui, à la surprise de l'Église et de beaucoup de juristes experts en constitution, confirma la constitutionnalité de la loi. Ce fut un coup terrible pour l'Église, et le début d'une période de persécutions intenses. La décision ne tomba toutefois que le 6 janvier 1879. Entre temps, Brigham Young était mort, et le collège des douze apôtres devenait l'autorité présidente de l'Église. Une tentative de rouvrir le procès de George Reynolds et une pétition pour que le pardon lui fût accordé échouèrent. Il fut mis en prison le 16 juin 1879. 

 

      En octobre 1880, la Première Présidence fut de nouveau organisée avec John Taylor comme président de l'Eglise. C'est sous son administration que tomba toute la violence de la campagne contre « la bigamie ». Après la mort de Brigham Young et surtout après la décision de la Cour Suprême dans le cas Reynolds, les ennemis de l’Église oeuvrèrent pour obtenir la fin de la polygamie et écraser l'Église. Leur agitation et leurs mensonges reproduits dans la presse eurent pour résultat le passage d'une nouvelle législation ayant pour but de supprimer les pratiques polygames. En mars 1882, le Congrès passa le « Edmunds' Bill » qui amendait la « loi contre la bigamie » de 1862. Cette mesure ajoutait à l'offense punissable des mariages pluraux ou « vie polygame », ce que l'on définissait comme « une cohabitation illégale ». La loi privait du droit de vote ou de détenir des offices publics tous ceux qui vivaient dans la polygamie. De plus, la possibilité de faire partie d'un jury était refusée à toute personne qui seulement professait croire en la doctrine du mariage plural.

 

      En outre, cette loi déclarait vacants tous les offices d'enregistrement et tous les offices électifs dans le territoire et prévoyait des officiers fédéraux à leur place. La loi Edmunds privait virtuellement l'Utah des droits d'auto-gouvernement qui étaient devenus un facteur caractéristique du gouvernement des territoires. La loi fut rendue rétroactive du point de vue des droits civiques, de sorte que quiconque avait vécu la loi du mariage plural était privé du droit de vote, qu'il la vécût encore ou pas.

 

      Une campagne de violentes persécutions commença contre les hommes qui avaient contracté le mariage plural avant ou après le passage de la loi. Cette campagne dura pendant toute l'administration du président Taylor. Des centaines de domiciles furent violés, les maris et pères envoyés au pénitencier. Parce qu'elles refusaient de témoigner contre leur mari, des femmes furent envoyées en prison pour « insulte au tribunal ». Après la sévère condamnation prononcée contre Rudger Clawson en octobre 1884, se développa ce qu'on appela la « législation discriminatoire ». Cette décision des tribunaux permettait de prononcer des condamnations séparées contre un homme pour chaque journée où on le trouvait coupable de vivre avec une femme plurale.

 

      Cette décision des tribunaux eut pour conséquence de chasser les dirigeants de l'Église en exil, car elle revenait à proclamer qu'un homme qui pratiquait la polygamie, ou même essayait de pourvoir aux besoins de ses diverses épouses, pouvait, par une accumulation de condamnations séparées, être envoyé en prison à vie.

 

      Cette « politique discriminatoire » fut condamnée par la Cour Suprême des États-Unis dans le cas de Lorenzo Snow, qui se présenta devant elle en février 1887.

 

 

La loi Edmunds-Tucker

 

      En mars 1887, le Congrès passa une mesure encore plus draconienne pour supprimer la polygamie, mesure appelée la « loi Edmunds-Tucker ». Cette loi permettait la dissolution de l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, qui enseignait la doctrine, et de la Compagnie du fonds perpétuel d'émigration. Les biens de ces corporations reviendraient au gouvernement fédéral et seraient utilisés au profit des écoles du territoire. Seuls étaient exemptés de la loi les cimetières et les bâtiments et terrains à fonction exclusivement culturelle. Cette loi fut dénoncée au Congrès par beaucoup de non mormons notables, mais le mouvement populaire contre la polygamie en assura le passage.

 

      Le United States Marshal Dye se chargea des biens fonciers et personnels de l'Église. Pour conserver l'usage des bureaux de la dîme et du bureau de l'historien, l'Église fut obligée de payer au gouvernement un loyer annuel de 2400 dollars. Quatre cent cinquante dollars par mois furent payés pour conserver l'usage de la Guardo house et on ne put obtenir l'usage de Temple Square qu’en payant une location élevée.

 

      Pendant cette période, l'Église eut de grosses difficultés financières. Elle ne pouvait pas emprunter le moindre dollar. Seul le paiement fidèle des dîmes lui permit d'affronter la tempête. Des lieux de cachette, généralement appelés « underground », la Première Présidence exilée dirigeait les affaires de l'Église. John Taylor mourut en exil le 25 juillet 1887 à Kaysville en Utah.

 

      Après la mort de John Taylor, la croisade contre la polygamie continua, mais avec une grande tolérance de la part des officiers. Le président Grover Cleveland pardonna à un certain nombre d'hommes qui avaient reçu des condamnations extraordinairement sévères, parmi lesquels Charles Livingston, Rudger Clawson et Joseph H. Evans.

 

      En Idaho et en Arizona, l’opposition contre la polygamie devint intense. En 1885, la Législature de l'Idaho passa une loi qui privait de leurs droits électoraux tous les membres de l'Église qui enseignaient pareille doctrine, ce qui privait tous les mormons du droit de voter ou de détenir des offices, qu'ils pratiquassent ou non la polygamie. Bien que mise en doute, la constitutionnalité de la loi fut maintenue par la Cour Suprême des États-Unis dans une décision rendue le 3 février 1890. Un projet de loi du même genre, appelé le « Stubble Bill », fut introduit au Congrès pour le territoire d'Utah. Même des non mormons éminents d'Utah s'y opposèrent, et il fut rejeté.

 

 

Le Manifeste

 

      Au sein de ces difficultés éprouvantes, Wilford Woodruff, qui avait été soutenu comme président de l'Église le 7 avril 1889, invoqua le Seigneur en prière. Il reçut en réponse une révélation suspendant le « mariage plural ».

 

      Les lois contre la polygamie avaient imposé aux membres de l'Église un dilemme. Ils devaient désobéir, soit à la loi divine, soit à la loi du pays. La révélation fut pour eux un soulagement. Le 25 septembre 1890, le président Woodruff proclamait son célèbre « Manifeste » qui mettait fin à la célébration des mariages pluraux dans l'Église et demandait aux saints d'obéir à la loi du pays. À la conférence d'octobre, le « Manifeste » fut soutenu et devint ainsi obligatoire pour l'Église.

 

      À cette conférence, le président Woodruff déclara : « Je tiens à dire à tout Israël que la mesure que j'ai prise en publiant ce Manifeste ne l'a pas été sans prière fervente devant le Seigneur… Je n'ignore pas les sentiments qui ont été suscités par ce que j'ai fait… Le Seigneur ne me permettra jamais, ni à moi, ni à aucun autre qui remplit le poste de président de cette Église de vous conduire dans l'erreur. Ce n'est pas dans le programme. Ce n'est pas dans la volonté de Dieu. Si je devais l'essayer, le Seigneur m'ôterait de ma place ».

 

      Le résultat du Manifeste fut un changement notable dans l'attitude vis-à-vis de l'Église. Le 4 janvier 1893, le président Harrison fit une déclaration d'amnistie à ceux qui avaient contracté des « mariages polygames » avant le 1er novembre 1890. Les restrictions contre le droit vote furent supprimées et en 1893, les biens personnels de l'Église étaient rendus à leurs propriétaires légitimes. Trois ans plus tard, lorsque l'Utah reçut le statut d'État, les biens fonciers qui avaient été confisqués furent de même rendus à l'Église.

 

 

Bibliographie

 

1. Roberts, Comprehensive History of the Church, vol. 2, p. 92-110 ; vol. 5, p. 287-294 ; 295-301 ; 471-474 (notes 29, 30) ; 541-545 (notes 7, 8) ; vol. 6, p. 226-229 (étude exhaustive du mariage plural ou polygamie).

 

2. Memoirs of John R. Young, p. 242-263 (commentaires et incidents sur la polygamie ; les rapports de John R. Young avec ses quatre femmes, leurs enfants, etc. Aperçu des persécutions contre la polygamie et les polygames).

 

3. Idem, p. 305-317 (croisade contre le mariage plural. Incidents et histoires racontés par les Federal Marshals et les Deputies occupés à dénigrer et à poursuivre judiciairement les polygames mormons).

 

 

Source : William E. Berrett, L'Église rétablie, 1961, p. 157-159 et 275-278 de l'édition française de 1973, p. 166-168 et 297-300 de l'édition française de 1985