L'univers des
anti-mormons
Marcel
Kahne
Introduction
Les hommes n'aiment pas
qu'on pense autrement qu'eux, c'est bien connu. Et s'il y a un
domaine où cette intolérance est particulièrement
aiguë, c'est bien celui de la religion. Dans le passé, on
a massacré, torturé et brûlé ceux que l'on
considérait comme hérétiques, c'est-à-dire
ceux qui croyaient quelque chose d'autre que la majorité de
leurs concitoyens. Le plus invraisemblable dans tout cela, c'est que
ces violences, du moins dans le monde chrétien, ont été
commises au nom d'un Dieu d'amour qui enseignait : « Tu
aimeras ton prochain comme toi-même », « tout
ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de
même pour eux », « je suis doux et humble
de cœur » et « soyez donc parfaits comme
votre Père céleste est parfait ». Les
hommes, de toute évidence, sont parfaitement capables de
croire une chose et de pratiquer le contraire, et de ne pas voir ce
que cela peut avoir d'illogique.
Tout
nouveau mouvement religieux a été victime de
persécutions, au moins dans ses premières années.
On pouvait donc s'attendre à ce qu'il en soit de même
pour l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers
jours et c'est ce qui s'est passé. Elle a eu sa part de
persécutions physiques (lynchages, expulsions, spoliations),
mais ce qui est le plus étonnant, c'est l'intensité de
la croisade que l'on mène contre elle dans les publications
depuis le début et qui ne fait que s'accentuer. L'encyclopédie
du mormonisme signale que, « depuis
l'organisation de l'Église en 1830 jusqu'en 1989, 1931 livres,
romans, brochures, tracts et feuillets ont été publiés
en anglais. De nombreux autres bulletins d'information, articles et
lettres ont été diffusés. Depuis 1960, le nombre
de ces publications a augmenté de manière
spectaculaire… plus de la moitié ont été
publiés entre 1960 et 1990 et le tiers entre 1970 et
1990[i] ».
Étant donné le nombre d'ouvrages divers qui paraissent
chaque année, on a largement dépassé aujourd'hui
les 2000. Rien qu'aux Etats-Unis, quelque 150 organisations
antimormones (auxquelles il faut ajouter une foule de sites sur
l'internet) ont été recensées. Créées
soit par d'anciens mormons, soit par des groupes protestants, elles
se sont donné pour unique vocation de diffuser de la
littérature contre l'Église.
Qu'est-ce
qu'un antimormon ?
Le
fait que quelqu'un n'est pas d'accord avec les mormons ou exprime son
désaccord avec eux ne fait pas forcément de lui un
antimormon. Un antimormon est quelqu'un qui lutte activement contre
l'Église, soit par des publications, soit en ayant recours aux
médias ou les deux. L'antimormon typique consacre des années
de sa vie à lutter contre l'Église. Le couple
d'ex-mormons Tanner le fait depuis 1959, le pasteur Wesley P. Walters
y a consacré 30 ans de sa vie, Walter Martin a publié
et fait des conférences et des émissions à la
radio et à la télévision jusqu'à sa mort,
etc.[ii]
Une deuxième
caractéristique des antimormons, c'est que la cause est
entendue d'avance. Ils ne condamnent pas l'Église à la
suite de leurs recherches, ils font des recherches pour condamner
l'Église. Le chercheur honnête réunit tous les
faits, pour et contre, et leur donne un éclairage égal.
L'antimormon ne retient que les éléments qu'il peut
utiliser en faveur de sa thèse.
Une
troisième caractéristique des antimormons est que, pour
eux, la fin justifie les moyens. La fin, c'est discréditer
l'Église, sa doctrine et ses dirigeants. Les moyens, c'est
sélectionner les sources, tronquer les textes cités
et/ou les sortir de leur contexte pour en modifier le sens. Un
exemple classique est l'accusation que 3915 changements ont été
apportés à l'édition originale du Livre de
Mormon et l'on vous dit que puisque le livre a été
traduit par la révélation divine, on ne devrait pas y
changer un iota. Il y a là deux infractions à la
probité intellectuelle. Premièrement, il y a rétention
d'information : on ne vous dit pas que les changements ont été
apportés par Joseph Smith lui-même lors de la seconde
édition. On ne vous dit pas non plus que ces changements sont
des corrections grammaticales, des corrections de fautes
d'impression, des remplacements de mots n'ayant aucune influence sur
le sens du texte ou de la doctrine[iii].
Deuxièmement, il y a volonté d'entraîner le
lecteur dans une fausse logique, à savoir qu'on ne peut pas
changer un iota à un texte traduit par la révélation.
Ils ne sont pas compétents pour en parler puisqu'ils nient la
révélation de nos jours et n'ont donc aucune expérience
de la révélation. En outre, ils sont en contradiction
avec eux-mêmes puisqu'ils considèrent que la Bible,
parole révélée de Dieu, est inerrante,
c'est-à-dire qu'il ne s'y trouve pas la moindre erreur, alors
qu'il est bien établi que l'on n'a pas les textes originaux et
que le texte actuel est le résultat d'un choix entre des
milliers de variantes.
Une
technique à laquelle les antimormons ont souvent recours,
c'est de faire croire aux membres de l'Église que celle-ci
leur cache des choses et que, grâce à eux, les
antimormons, les membres vont enfin être mis au courant. Or,
quelles sont les sources de l'information des antimormons ? Les
archives que l'Église a soigneusement conservées et
qu'elle met gracieusement à la disposition des chercheurs. Si
l'Église avait voulu cacher quelque chose, n'aurait-il pas été
plus simple de détruire les archives sensibles ou de les
rendre
inaccessibles au public ? Sont-elles inaccessibles aux membres
de l'Église ? Dans les années 1970, à
l'époque où je croisais le fer avec un imprimeur
apostat qui envoyait régulièrement de la littérature
antimormone à ses anciens coreligionnaires, je me suis procuré
les sources qu'il utilisait, pour vérifier ses citations. Je
n'ai eu aucune peine à obtenir des ouvrages tels que Journal
of Discourses, 28 volumes contenant les discours des Autorités
générales de 1853 à 1886, Times and Seasons, 5
volumes, journal paraissant à Nauvoo, History of the Church,
Documentary History of the Church, une photocopie d'une page du
manuscrit de la History of the Church dont on prétendait que
le contenu avait été falsifié avant impression
et même une photocopie de l'unique numéro du journal
antimormon de Nauvoo, le Nauvoo Expositor. Tout le monde peut donc se
procurer ce qu'il veut, si cela l'intéresse, grâce à
la politique de l'Eglise de conserver soigneusement toutes les
archives historiques qu'elle peut, et de les mettre à la
disposition de qui veut. Mieux encore, le coût a cessé
d'être un obstacle avec la mise sur CD de plusieurs milliers de
livres par F.A.R.M.S. (Infobase Library) et par Deseret Book Co.
(Gospelink)[iv].
Il y a eu, grosso modo,
deux tendances dans l'antimormonisme. La première a été
le recours à la diffamation, à raconter des choses
horribles sur Joseph Smith, sur les mormons et sur leurs dirigeants,
à exploiter le sensationnalisme. Bien entendu, les excès
mêmes de ce genre de littérature lui enlevaient toute
crédibilité et les antimormons les plus réfléchis
l'ont abandonné pour donner la préférence à
l'image du chercheur posé, méthodique et scientifique,
ce qui est de nature à impressionner davantage le lecteur non
averti. Ce qui ne veut pas dire que les tenants de l'autre procédé
ont disparu, tant s'en faut.
Il y a aussi l'aspect
« activisme » qui doit être mentionné.
Que l'on tienne une conférence générale, ils
sont aux entrées à distribuer de la littérature
antimormone ; que l'on inaugure une nouvelle église, ils
sont là à faire le piquet ; que l'on construise un
nouveau temple, ils ameutent toute la région ; ils
tiennent des séminaires où ils attaquent la théologie
de l'Église, publient des livres et des brochures, font des
films, parlent à la radio et à la télévision,
font campagne pour exclure l'Église du monde chrétien.
Ils font tant et si bien que les gens prennent les mormons pour des
monstres. Je n'exagère pas. Dans l'avion qui me transportait
de Denver à Salt Lake City, il y avait devant moi un pasteur
qui m'a proposé de la « good Christian
literature ». Quand j'ai dit : Volontiers, je suis
mormon, il m'a immédiatement tourné le dos. À
mon retour, tandis que j'attendais une correspondance à
l'aéroport de Denver, j'ai engagé la conversation avec
une femme assise à une table où elle proposait de la
littérature pour les Juifs messianiques (groupe protestant
cherchant à convertir les Juifs). Quand je lui ai dit que
j'étais mormon, elle s'est mise à pousser de hauts
cris, comme si elle avait vu le diable en personne. Quand j'ai voulu
échanger quelques mots avec une femme près de Temple
Square, pensant que c'était une mormone qui allait aussi à
la conférence, je me suis fait invectiver et je me souviens
encore du ton de haine avec lequel elle a prononcé les mots
« their prophet », qui était à
l'époque le président Kimball, l'homme le plus gentil
que l'on puisse imaginer.
Il
convient enfin de mentionner l'existence d'intellectuels marginaux
qui ne croient plus en la divinité du Livre de Mormon ni aux
visions de Joseph Smith et contestent différents points de
doctrine et de politique de l'Église. Certains sont encore
membres de l'Église, beaucoup ne le sont plus. Ils s'expriment
dans des livres, dont certains sont publiés par la maison
d'édition « Signature Books », qui se
défend cependant d'être antimormone, mais aussi dans des
périodiques tels que Dialogue et Sunstone (qui accueillent
cependant aussi les articles de personnes fidèles à
l'Église). C'est, somme toute, un petit monde plutôt
malheureux, qui veut rester fidèle à la tradition
mormone, mais voudrait la refaçonner
à son goût et se heurte à la résistance de
l'Église[v].
Quelques
auteurs antimormons
Il n'entre pas dans mes
intentions de faire un inventaire complet du monde des antimormons.
Il faudrait plusieurs volumes et cela n'apporterait rien à
personne. Le but de cet article est d'inciter ceux qui entrent en
contact avec la littérature antimormone ou avec les
antimormons eux-mêmes à être sur leurs gardes, à
ne pas les prendre pour des bienfaiteurs de l'humanité et à
ne pas prendre ce qu'ils disent pour vérité démontrée
sans le vérifier. Je me bornerai donc à mentionner ce
qui me paraît être l'essentiel.
E.
D. Howe et la théorie Spaulding
Le
premier ouvrage antimormon important à être publié
fut Mormonism Unvailed, de Eber D. Howe, paru en 1834. À
l'origine de ce livre, un certain Philastus Hurlbut, excommunié
deux fois pour immoralité et décidé à se
venger de Joseph Smith. Il fut désigné par un comité
pour réunir toutes les informations possibles contre le
prophète. Il alla trouver les voisins de Joseph Smith et
réunit 72 attestations qui présentaient la famille
Smith sous un jour peu avantageux, des attestations suspectes parce
que trop ressemblantes[vi].
C'est également lui qui fut à l'origine de la théorie
Spaulding. Ayant appris l'existence du manuscrit écrit par le
pasteur Salomon Spaulding, qui décéda en 1816 sans
l'avoir publié, il persuada sa veuve de le lui prêter
afin de s'en servir pour faire croire que Joseph Smith l'avait
utilisé pour écrire le Livre de Mormon. Étant
donné sa réputation fort peu reluisante, Hurlbut ne
pouvait publier le livre sous son nom et le confia donc à Eber
D. Howe, propriétaire du Telegraph de Painesville. Howe publia
le livre sous son nom, mais ne rendit jamais le manuscrit à la
veuve Spaulding. Le Telegraph, avec ses archives, fut racheté
en 1839-40 par L. L. Rice. En 1884, J. H. Fairchild, président
de l'Oberlin College, demanda à Rice de rechercher de la
documentation pour lui dans les archives du journal. C'est au cours
de ces recherches que Rice découvrit le manuscrit Spaulding.
Il en fit une copie qu'il envoya à Joseph Smith III, fils du
prophète et président de l'Église réorganisée,
et il envoya l'original à Fairchild pour conservation à
la bibliothèque de l'Oberlin College, à Columbus, Ohio.
L'Église réorganisée s'empressa de publier le
manuscrit en 1885 pour montrer qu'il n'avait rien à voir avec
le Livre de Mormon[vii].
Il y a donc plus d'un siècle que la théorie Spaulding
est périmée, mais il se trouve toujours des faiseurs de
livres et d'articles superficiels sur les sectes, plus soucieux de
faire de l'argent que de faire du travail sérieux, pour
perpétuer cette légende et l'offrir en pâture à
un public qui ne demande de toutes façons qu'à les
croire. Il y a donc gros à parier que l'histoire Spaulding
nous accompagnera jusqu'à la Seconde Venue.
I.
Woodbridge Riley et View
of the Hebrews
L'impossibilité
pour un homme aussi peu scolarisé que Joseph Smith d'écrire
un ouvrage aussi complexe que le Livre de Mormon continua à
hanter les non-mormons qui s'intéressaient à la
question, mais ne voulaient pas ajouter foi à l'explication
donnée par Joseph Smith lui-même. La théorie
Spaulding écartée, il fallait trouver une autre source
d'inspiration au prophète. En 1903, I. Woodbridge Riley, dans
son livre The Founder of Mormonism, proposa des parallèles
avec un ouvrage d'Ethan Smith, View of the Hebrews, publié en
1823, dans lequel l'auteur défend la théorie, populaire
à l'époque, que les Indiens d'Amérique sont les
descendants des dix tribus perdues (une chose que le Livre de
Mormon n'affirme nulle part). Plusieurs auteurs mormons ont examiné
cette hypothèse. Il y a d'abord eu B. H. Roberts, Autorité
générale de l'Église, qui le fit dans le cadre
d'une étude qui n'était pas destinée à la
publication (voir plus loin) et qui aligna, en 1922, 26 ressemblances
entre View of the Hebrews et le Livre de Mormon[viii].
Ensuite, en 1985, John W. Welch a dressé une liste de 84
différences entre les deux ouvrages, démontrant
l'impossibilité d'un plagiat de la part de Joseph Smith[ix].
Enfin L. Ara Norwood, faisant la critique d'un ouvrage de
l'antimormon David Persuitte, visant à démontrer
l'influence de View of the Hebrews sur le Livre de Mormon, a prouvé
statistiquement que, si l'on se base sur l'argumentation de
Persuitte, 296 versets seulement du Livre de Mormon sur les
6578 que compte le livre, soit 4,49%, auraient pu être
influencés par View of the Hebrews[x].
Fawn
Brodie
En
1945, Fawn Brodie, nièce de David O. McKay, neuvième
président de l'Église, publia No Man Knows my History,
qui fit d'elle pendant longtemps l'autorité incontestée
et définitive sur Joseph Smith et sur l'Église. Elle
rejetait naturellement tout le surnaturel, voyait dans le Livre de
Mormon un reflet des préoccupations du 19e siècle et
déclara même que la vocation religieuse de Joseph Smith
ne s'affirma que bien après la parution du livre. Brodie
n'avait aucune formation comme historienne. Elle était
diplômée en littérature anglaise. De plus, elle
avait un penchant pour la « psychohistory », ce
qui l'amenait à prétendre savoir ce qui se passait dans
l'esprit de Joseph Smith, ce qu'étaient ses motivations et
comment il avait évolué psychologiquement. En bref,
elle mélangeait histoire, roman et vision personnelle des
choses. Le monde extérieur applaudit. Les mormons
protestèrent. Hugh Nibley écrivit en 1946 une critique
brève mais dévastatrice intitulée No
Ma'am That's Not History.
Personne n'y fit attention. Brodie avait, une fois pour toutes, réglé
son compte à l'imposteur Joseph Smith, c'était tout ce
qui comptait. En 1974, à l'occasion du bicentenaire des
États-Unis, Brodie publia une biographie de Thomas
Jefferson[xi],
en utilisant les mêmes procédés que pour Joseph
Smith. Cette fois, c'était à un monstre sacré
qu'elle s'attaquait, un président des États-Unis, et
pas n'importe lequel. Il y eut des protestations, qui allaient dans
le même sens que celles des mormons trente ans plus tôt.
Les historiens spécialistes de Jefferson déclarèrent
que le livre de Brodie était basé sur « des
demi-vérités, des suppositions non justifiées et
des interprétations gravement faussées de faits
connus ». Ils l'accusèrent aussi de ne tenir aucun
compte des faits qui n'allaient pas dans le sens de ses idées
préconçues. Ils conclurent que Brodie « ne
peut pas dépouiller… Jefferson de ses lauriers,
mais peut griffonner des graffiti sur sa statue. Il est regrettable
que les vilains mots soient aussi difficiles à effacer et il
est choquant que la griffonneuse soit aussi richement
récompensée »[xii].
Ed
Decker
En
1983, l'apostat Ed Decker sortit un film intitulé The God
Makers (les faiseurs de dieux), qui fut montré dans les
paroisses protestantes un peu partout aux États-Unis. Ce film
fut suivi, en 1984, d'un livre du même nom et, plus tard, de
deux autres films, The God Makers II et Temple of the God Makers. Le
contenu en était si scandaleux qu'il fut condamné par
la direction régionale de l'Anti-Defamation League de B'nai
B'rith (mouvement juif) et par le bureau régional de l'Arizona
de la National Conference of Christians and Jews[xiii].
Antimormon rabique, Decker ne s'en tint pas là. Le 25 juillet
1986, accompagné d'un groupe de ses partisans, il tenta de
présenter une pétition aux dirigeants de l'Église,
exigeant que les mormons cessent de se donner le nom de chrétiens.
Comme les bureaux étaient fermés ce jour-là, ce
fut finalement son associé Richard
Baer qui la remit le 8 août. La pétition comportait près
de 21.000 signatures et la campagne n'était pas terminée[xiv].
Lorsque l'Église entreprit la construction du Jerusalem Center
for Near Eastern Studies, l'Institut d'études du Proche-Orient
de l'université Brigham Young à Jérusalem,
Decker se rendit sur place et passa The God Makers à une
sous-commission de la Knesset pour essayer, en vain, d'entraîner
le gouvernement israélien dans son camp. Au Ghana, il persuada
le gouvernement de Jim Rawlins de suspendre les activités de
l'Église en juin 1989 et le film The God Makers passa à
la télévision nationale ghanéenne une semaine
avant la publication du décret. Les missionnaires furent
expulsés, les bâtiments mis sous scellés et les
réunions interdites pendant près de dix-huit mois. Il
convainquit aussi le gouvernement du Chili que le mormonisme n'était
pas constitutionnel et provoqua la fureur de ses auditoires chiliens
en liant l'Église au FBI, à la CIA et à la
politique internationale. Le résultat fut que, entre 1984 et
1990, plus de 200 églises mormones furent la cible d'attentats
à la bombe[xv].
Jerald
et
Sandra Tanner
Le
couple Jerald et Sandra Tanner, deux ex-mormons convertis au
protestantisme, se situent dans l'autre catégorie par rapport
à Decker, qu'ils désapprouvent. Ils ont commencé
à publier contre l'Église à partir de 1959 et
sont toujours occupés à le faire. Ce sont des
antimormons professionnels qui ont ouvert une librairie et ont donc
fait de l'antimormonisme leur gagne-pain. Ils jouissent d'une haute
considération dans les milieux antimormons et ont publié
en 1964 un livre intitulé Mormonism: Shadow or Reality? (Le
mormonisme : ombre ou réalité ?) remis
plusieurs fois à jour, ainsi que d'autres ouvrages et
articles. Ils vendent aussi de vieux documents qui sont normalement
d'accès difficile. Leur créneau est : l'Église
mormone cache des choses à ses membres. C'est donc dans les
archives de l'histoire de l'Église qu'ils vont chercher l'eau
pour leur moulin. Attention : les citations sont tronquées,
les sources sélectionnées, l'information triée,
la logique tendancieuse[xvi].
Deux cas montrent à quel point il faut se méfier
d'eux : le cas Roberts et le cas Nelson :
B.
H. Roberts a-t-il perdu la foi ?
Brigham
H. Roberts, Autorité générale, membre du Conseil
des Soixante-dix, auteur de la Comprehensive History of the Church,
une histoire monumentale de l'Église en six volumes et de
nombreux autres ouvrages, était un homme hautement respecté
dans l'Église, un esprit incisif et un interlocuteur
redoutable dans les débats. En 1922, un certain M. Couch
écrivit à un ami membre de l'Église pour lui
poser des questions sur le Livre de Mormon. La lettre fut transmise à
James E. Talmage et, par lui, à B. H. Roberts. Roberts décida
de faire un inventaire de toutes les objections que l'on pourrait
opposer au Livre de Mormon et de chercher à y répondre,
ce qui, pour certaines d'entre elles, était impossible à
son époque. Les résultats de l'étude furent
envoyés à la Première Présidence et aux
Douze, avec une lettre d'accompagnement énonçant le
point de vue de Roberts[xvii].
Le texte de Roberts n'était pas destiné à la
publication, mais les Tanner le publièrent en 1980, sans bien
entendu la lettre d'accompagnement, qui aurait réduit leur
argument à néant, en affirmant que le grand B. H.
Roberts avait perdu la foi au Livre de Mormon. Ils ne publièrent
pas non plus les nombreuses déclarations que Roberts fit de
1922 à sa mort (le 27 septembre 1933) qui montrent qu'il resta
fidèle à son témoignage du Livre de Mormon
jusqu'à la fin[xviii],
se rendant ainsi coupables de cacher la vérité à
leurs lecteurs.
Dee
Jay
Nelson
Un
des chapitres de Mormonism: Shadow or Reality? est intitulé
« La chute du Livre d'Abraham » et est consacré
à prouver que le livre d'Abraham est un faux. L'auteur en est
un certain Dee Jay Nelson, un ex-mormon qui se dit égyptologue[xix].
Nelson
a, pendant douze ans, parcouru les États-Unis, gagnant sa vie
à faire des conférences contre l'Église. En
1980, il arrive à Mesa (Arizona) à l'invitation d'une
organisation d'ex-mormons. Il y fait deux conférences
auxquelles assiste un couple mormon, Robert et Rosemary Brown. Il
étale ses titres et compétences, se proclamant
« World's leading authority on Egyptology » (la
plus grande autorité du monde en égyptologie) et invite
ses auditeurs à vérifier l'authenticité de ses
dires. Les Brown décident de le prendre au mot. Ils
enregistrent la conférence et se mettent au travail. Quand ils
ont terminé, ils constatent qu'au cours de sa conférence,
qui a duré deux heures, Nelson a fait 95 déclarations
fausses ou trompeuses[xx].
Aucun de ses titres n'est authentique. Il n'a même pas terminé
ses études secondaires. Et les Tanner dans tout cela ?
Étaient-ils au courant ? Les Brown sont intrigués
par le fait qu'alors que tout le monde qualifie Nelson de Dr Nelson
ou de Prof. Nelson, les Tanner ne lui donnent jamais ces titres. Une
lettre de Sandra Tanner à un certain Richard Ball leur apprend
qu'ils étaient au courant. Les Brown informent les Tanner de
leurs découvertes. Ils en avertissent aussi Moody Press,
l'éditeur des Tanner, qui leur fait savoir qu'ils devront
réviser en conséquence les futures éditions de
leurs ouvrages sinon ils ne seront plus réimprimés. Les
Tanner n'auront d'autre choix que de s'exécuter[xxi].
La
spécialité des Tanner est d'attaquer la crédibilité
de l'Église en ayant recours à des documents
historiques que le lecteur ordinaire aura des difficultés à
trouver, sachant que la plupart des gens ne chercheront jamais à
vérifier ou à s'assurer qu'ils les interprètent
bien. Mais on ne vérifie pas l'authenticité d'une
religion en allant chercher dans son histoire. On la vérifie
en fonction de ses affirmations doctrinales et en les comparant aux
Écritures. Edward K. Watson écrit à ce sujet :
« Je détermine la crédibilité de
Jerald et Sandra Tanner en fonction de la façon dont ils
utilisent des documents facilement accessibles (c'est-à-dire
les Écritures). C'est là qu'ils étalent de
manière flagrante et répétée soit leur
incapacité de comprendre une herméneutique et une
exégèse convenables, soit qu'ils ne font rien d'autre
que se livrer à de la malhonnêteté[xxii] ».
« Pensez
maintenant à cette déclaration d'un tiers, un savant
non mormon qui a passé de nombreuses années de travail
intensif à étudier l'Église : voici ce que
Lawrence Foster, maître de conférences d'histoire
américaine à l'Institut de Technologie de Géorgie,
a à dire concernant les Tanner : 'Tant qu'ils ne seront
pas disposés à se conformer à la déontologie
de la recherche et aux règles d'une courtoisie élémentaire,
ils ne peuvent guère s'attendre à de la sympathie de la
part d'historiens sérieux. Les Tanner ont adopté à
maintes reprises une attitude pharisaïque, refusant d'être
équitables en appliquant, dans leurs actes, leurs écrits
et leurs croyances, la même discipline d'une rectitude absolue
dans le discours que celle qu'ils exigent du mormonisme… Les
Tanner semblent jouer un tour de passe-passe habile dans lequel ils
changent à leur gré les critères d'évaluation
de manière que la conclusion soit toujours la même :
négative'[xxiii] ».
Wesley
P. Walters
Wesley
P. Walters était un pasteur qui consacra trente ans de sa vie
à dénicher tout ce qu'il pouvait sur les origines de
l'Église. Sa contribution principale à l'antimormonisme
fut de
proposer la théorie que la Première Vision n'avait pas
pu se produire en 1820, parce que le réveil religieux dont
parle Joseph Smith dans son histoire n'aurait pas eu lieu en 1820,
mais en 1824. On trouvera tous les détails dans www.idumea.com
dans « Quand
on réinvente le mormonisme ».
Walter
Martin
Un
autre antimormon qui s'est énormément démené
contre l'Église est Walter Martin. Auteur de The Maze of
Mormonism et de The Kingdom of the Cults, il se faisait appeler « Dr
Walter Martin », alors qu'il n'avait aucun des diplômes
dont il se réclamait. Il prétendait également
avoir été ordonné pasteur baptiste, ce qui était
faux. Il se vantait en outre d'être descendant de Brigham
Young, ce qui aussi était un mensonge[xxiv].
Ses informations étaient fantaisistes, mais c'était un
tribun qui avait l'art de remuer les foules. Dans un article de
Newsweek, le livre de Martin, Kingdom of the Cults était
repris parmi les livres religieux les plus populaires de l'époque.
À l'époque, il en avait vendu 319.350 exemplaires à
$14.95, ce qui faisait $4.477.282 brut… À cela il faut
ajouter que le Christian Research Institute fondé par lui
n'était qu'un petit bureau loué avec un petit parking
pour deux ou trois voitures. Le CRI avait servi de prétexte à
Martin pour procéder à une levée de fonds qui
avait abouti, pour les années 1979 à 1982, à des
rentrées brutes de $12.000.000, non taxés puisqu'il
s'agissait d'une organisation religieuse. On ne dit pas ce qu'est
devenu cet argent[xxv].
Des
temps meilleurs en perspective ?
Y aura-t-il jamais un
dialogue véritable entre les mormons et ceux en dehors de
l'Église qui se revendiquent du Christ ?
Une
première expérience a eu lieu en 1997, lorsque le
protestant Craig L. Blomberg et le mormon Stephen E. Robinson ont
entrepris ce dialogue, un dialogue honnête et courtois, avec un
véritable désir d'écoute réciproque. De
cette expérience a découlé un livre intitulé
How Wide the Divide? A Mormon and an Evangelical in
Conversation[xxvi].
Les mormons étaient ravis. Les antimormons, furieux, comme en
ont témoigné les commentaires sur Internet, les
critiques hostiles, les programmes radio invitant à ne pas
lire le livre et plusieurs librairies fondamentalistes protestantes
refusant de mettre le livre en rayon. On peut avoir une idée
des sentiments qui animent ces gens quand on lit ce commentaire d'un
antimormon écrivant dans la revue antimormone The Evangel, à
propos d'un de ces libraire : « Le gérant de
notre librairie chrétienne locale - Dieu le bénisse - a
dit qu'il préférerait encore vendre Mein
Kampf ! »[xxvii]
Par contre, le contenu de FARMS Review of Books, vol. 11, n°2,
1999, est un modèle de ce que l'on voudrait voir se passer. La
revue donne la parole aux protestants Paul L. Owen et Carl A. Mosser,
qui exposent en 102 pages leur critique du livre de Blomberg et
Robinson, les mormons Blake T. Ostler, puis William J. Hamblin et
Daniel C. Peterson font la critique du même livre et enfin les
mormons David L. Paulsen et Daniel C. Peterson répondent à
Owen et Mosser, le tout dans un esprit de dialogue véritable.
L'échange
aura au moins eu le mérite de montrer que le dialogue est
possible entre gens convenables et modérés. Le
sera-t-il avec les autres ? Owen et Mosser ont en tous cas
compris l'enjeu véritable, car ils ont adressé une
sévère mise en garde au monde protestant, lui
reprochant de sous-estimer la compétence de ses interlocuteurs
mormons et l'avertissant que s'il ne se mettait pas sérieusement
à l'ouvrage pour les contrer valablement,
il finirait par perdre la bataille[xxviii].
En conclusion, les deux
recommandations suivantes sont de mise quand vous vous trouvez face à
de la littérature anti-mormone :
Dites-vous toujours que
la citation que l'on vous présente peut être tronquée
ou tirée de son contexte. N'en tenez aucun compte si vous ne
pouvez pas la vérifier.
Ne prenez pas le
raisonnement qu'on vous propose pour argent comptant. Demandez-vous :
Où veut-on me mener ? Qu'est-ce qu'on veut que je ne voie
pas ?
------------------------------------------------
NOTES
[i]
Encyclopedia
of Mormonism, Daniel H. Ludlow, dir. de publ., New York, Macmillan
Publishing Company, 1992, vol 1, pp. 45, 50 (italiques ajoutés).
[ii]
Plus
près de chez nous, le pasteur Christian Piette, auteur de deux
ouvrages anti-mormons, m'a déclaré avoir étudié
le mormonisme pendant cinq ans, à raison de trois heures par
jour. Quand je lui ai demandé si, à la suite de cette
étude intensive, il avait découvert ne serait-ce qu'une
seule bonne chose sur les mormons, il m'a répondu « non »,
sans hésiter.
[iii]
Voir
F.A.R.M.S., Book of Mormon Critical Text, 2e éd., 1986.
[iv]
Notons
cependant qu'il n'est pas nécessaire au salut des saints des
derniers jours qu'ils aient accès à toutes les archives
de l'Église, ni qu'ils connaissent tout de son histoire. Après
tout, les protestants ont-ils chez eux les ouvrages de Luther ou de
Calvin ou a-t-on mis à leur disposition le recueil complet des
sermons de leurs pasteurs depuis le commencement du protestantisme ou
une histoire complète du protestantisme, y compris les faits
les moins connus ? Attend-on des catholiques qu'ils aient chez
eux le compte rendu de tous les conciles, de toutes les bulles
papales, de l'œuvre complète de saint Augustin ou de
saint Thomas d'Aquin et l'histoire complète de l'Église
catholique dans ses moindres détails ? Ce sont les
Écritures qui constituent la documentation nécessaire
et c'est là un débat que les antimormons évitent
soigneusement. Cela dit, et c'est une ironie des choses, personne
plus que les mormons ne s'est intéressé à
l'histoire de sa religion. Les études tous azimuts faites par
des chercheurs mormons sont légion.
[v]
Leurs
homologues de l'Église réorganisée ont eu plus
de succès. Là ils étaient majoritaires et ont
amené leur Église à rejeter le Livre de Mormon
ainsi que tout ce qui était distinctivement mormon, pour
rejoindre les rangs du protestantisme, abandonnant même le nom
d'Église Réorganisée de Jésus-Christ des
saints des derniers jours et le remplaçant par « Communauté
du Christ ».
[vi]
Richard
Lloyd Anderson, “Joseph Smith's New York Reputation
Reappraised”, BYU Studies 10/3, printemps 1970, pp. 283-314.
[vii]
Pages
introductrices du texte imprimé et publié par l'Église
réorganisée de Jésus-Christ des saints des
derniers jours, Lamoni (Iowa), 1885.
[viii]
John
W. Welch, “Finding Answers to B. H. Roberts Questions and 'An
Unparallel'”, F.A.R.M.S. Preliminary Report, 1985, p. 32.
[ix]
Welch,
“An Unparallel”.
[x]
L.
Ara Norwood, critique de David Persuitte, Joseph Smith and the
Origins of the Book of Mormon, dans Review of Books on the Book of
Mormon, F.A.R.M.S., vol. 2, 1990, pp. 194-195.
[xi]
Brodie,
Thomas Jefferson, An Intimate History.
[xii]
Tiré
d'un article du magazine Time, du 17 février 1975, en ma
possession.
[xiii]
Robert
et Rosemary Brown, They Lie in Wait to Deceive, Brownsworth
Publishing Co. 1995, vol IV, pp. 66-68.
[xiv]
Daniel
C. Peterson et Stephen D. Ricks, Offenders for a Word, Salt Lake
City, Aspen Books, 1992, p. 4.
[xv]
Daniel
C. Peterson, critique du livre d'Ed Decker, Decker's Complete
Handbook on Mormonism, Review of Books on the Book of Mormon,
vol. 7, n°2, 1995, pp. 63-66.
[xvi]
Voir
notamment, sur www.idumea.com, « Commentaire
sur les Témoins du Livre de Mormon »
de Matthew Roper.
[xvii]
On
trouvera le contenu de cette lettre sur www.idumea.com dans l'article
de Roper, « Commentaire
sur les témoins du Livre de Mormon ».
[xviii]
Voir
Truman Madsen, “B. H. Roberts, His Final Decade: Statements
About the Book of Mormon” FARMS ROB-33, 1985, un recueil de
quelque 93 pages, reproduisant 54 discours, articles, etc. prononcés
par Roberts au cours des dix dernières années de sa
vie, montrant que sa foi au Livre de Mormon était intacte.
Truman G. Madsen et John W. Welch, “Did B. H. Roberts Lose
Faith in the Book of Mormon?” (B.H. Roberts a-t-il perdu la foi
dans le Livre de Mormon ?) FARMS, MAD-85 reproduisent le texte
de l'étude de Roberts, “A Book of Mormon Study”.
[xix]
« Comment ?
Vous ne connaissez pas D. J. Nelson ? » s'écriera
Christian Piette au téléphone. « Un des plus
grands égyptologues du monde ! » Je ne le
connaissais pas. Ce n'est que plusieurs années plus tard que
j'ai appris pourquoi.
[xx]
Robert
et Rosemary Brown, They Lie in Wait to Deceive, vol. 1.
[xxi]
Robert
et Rosemary Brown, They Lie in Wait to Deceive, vol. 1., pp. 161-162.
[xxii]
Watson,
“Tanner Worship and Real Scholarship”, Apologia, vol. 1
n° 9, déc. 1998, p. 18 (FAIR).
[xxiii]
Christopher
Tabor, “What God Has Said, and What Men Now Interpret Him to
Have Said”, Apologia, vol. 3, n° 2, février 2000, p.
7 (FAIR).
[xxiv]
Robert
et Rosemary Brown, They Lie in Wait to Deceive, vol. 3.
[xxv]
Tabor,
p. 6.
[xxvi]
Quelle
est la largeur du fossé ? Dialogue entre un mormon et un
protestant.
[xxvii]
F.A.R.M.S.
Review of Books, vol. 11, n° 2, 1999, p. 103.
[xxviii]
Carl
Mosser et Paul Owen, “Mormon Scholarship, Apologetics, and
Evangelical Neglect - Losing the Battle and Not Knowing It?”
Trinity Journal, 19/2, 1998, pp. 179-205 (Traduction disponible sur
www.idumea.org/Etudes/Critiques/Erudits_mormons.htm).