La
science et la foi
Henry
Eyring (1901-1980)
Chimiste
théoricien,
auteur
de la théorie du complexe activé et de l'équation
d'Eyring
On
m 'annonce comme homme de science. Mais j'aime aussi me considérer
comme disciple de Jésus-Christ. Pour moi, il n'y a pas eu de
sérieuses difficultés à concilier les principes
de la science avec les principes de la religion, car l'une et l'autre
s'occupent des vérités éternelles.
Cependant,
il y a beaucoup de personnes, parmi les jeunes surtout, qui
considèrent le champ de la science et le champ de la religion
comme entièrement distincts et sans rapport l'un avec l'autre.
De
fait, dans les deux champs, il y a des gens qui ont nui à la
cause qu'ils servent en enseignant que les deux activités sont
opposées et ne peuvent être harmonisées l'une
avec l'autre.
Je
désire adresser mes propos à ceux qui sont troublés
par un conflit intérieur entre l'enseignement traditionnel de
la foi chrétienne et l'essence de l'éducation moderne,
qui se propose d'explorer, de disséquer, de prouver à
la froide lumière des faits et du raisonnement. Je crois que
beaucoup de jeunes ont appauvri leur vie en niant imprudemment la foi
de leurs pères dans leur désir d'être ce qu'ils
appellent scientifiques et objectifs.
Je
crois aussi que quelques théologiens ont, sans le vouloir,
favorisé cette révolte en prenant une position trop
dogmatique, en étouffant le désir honnête et
réfléchi des jeunes de savoir.
Je
déclare que la religion vraie n'a jamais été
étroite. La religion vraie englobe l'homme et l'univers dans
lequel il vit. Elle s'occupe des relations de l'homme avec lui-même,
avec les autres hommes, et avec Dieu. Elle est donc illimitée,
aussi vaste que cette éternité qu'elle promet aux fils
de Dieu qui s'en rendent dignes. « Soyez parfaits, comme
votre Père, qui est au ciel, est parfait » [Matthieu
5:48]. Quel encouragement pour tout homme, dans ces paroles du
Maître, à se développer, à faire effort, à
apprendre, à chercher, à aller de l'avant !
Dans
sa recherche incessante de la vérité, l'homme a
découvert et partiellement exploré cinq mondes. Ces
mondes diffèrent par la nature des unités d'espace et
de temps dont nous avons besoin pour les décrire. Dans le
monde pratique quotidien, nous nous servons de centimètres et
de secondes. Dans le monde chimique des molécules et des
atomes, les électrons accomplissent leurs révolutions
en millionièmes de seconde, tandis que cent millions d'atomes
placés côte à côte n'occupent que quelques
centimètres.
À
l'intérieur du noyau d'un atome, nous entrons dans un
troisième monde où les événements se
produisent un million de fois plus vite, et où les distances
sont mille fois plus petites que dans l'atome. Dans le quatrième
monde, les astronomes mesurent les révolutions des planètes
en années, et l'unité de distance, l'année
lumière, est de dix mille millions de kilomètres.
Enfin,
nous arrivons au monde spirituel où le temps se mesure en
éternités et où l'espace est infini. Ainsi, en
pensée, nous passons de l'infiniment petit à
l'infiniment grand.
Or,
chose curieuse, il y a de bonnes gens qui voudraient vous faire
croire que l'homme qui conçoit ces choses merveilleuses et qui
les domine en partie, n'est rien que la poussière de la terre,
à laquelle son corps retourne. Pour moi, c'est inconcevable.
Je
suis heureux de représenter un peuple qui, dans toute son
histoire, a encouragé le savoir dans tous les champs où
il est honorable de s'instruire, un peuple qui lit dans ses Écriture,
« La gloire de Dieu, c'est l'intelligence ou, en d'autres
termes, la lumière et la vérité »
[D&A 93:36] ; « Il est impossible à un
homme d'être sauvé dans l'ignorance » [D&A
131:6] ; « Quel que soit le degré
d'intelligence que nous atteignions dans cette vie, il se lèvera
avec nous dans la résurrection » [D&A 130:18].
Nous
avons reçu l'ordre divin suivant : « Enseignez
diligemment, et ma grâce vous accompagnera, afin que vous soyez
instruits plus parfaitement de la théorie, des principes, de
la doctrine, de la loi de l'Évangile, de tout ce qui a trait
au royaume de Dieu, qu'il est opportun que vous compreniez ; des
choses qui se trouvent dans le ciel, sur la terre et sous la terre ;
des choses qui ont été, des choses qui sont, des choses
qui doivent arriver sous peu ; des choses qui se passent au
pays, des choses qui se passent à l'étranger ; des
guerres et des perplexités des nations, et des jugements qui
sont sur le pays ; et aussi d'une connaissance des pays et des
royaumes. » [D&A 88:78-79]
Voilà
l'esprit de la religion vraie : l'effort de connaître tout
ce qui est du ciel et de la terre.
À
une époque d'incertitude comme la nôtre, l'effort pour
comprendre la place de l'homme dans le plan de l'univers progresse à
pas de géants. Ce problème n'est pas abordé que
dans les laboratoires ; c'est dans le domaine spirituel que
seront données de nombreuses réponses. Il importe que
tous les hommes de bonne volonté emploient leur énergie,
leur talent et leur savoir dans leur champ propre, s'aidant les uns
les autres à construire un monde meilleur, ce monde que les
hommes de foi de toutes les époques ont envisagé et ont
essayé de réaliser.
Naturellement,
le savant n'est pas en général un spécialiste de
la religion. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'est pas croyant. Un
grand nombre des célèbres pionniers de la science ont
été des hommes de foi dont la remarquable compétence
dans leur spécialité n'a fait que renforcer leur
sentiment qu'il existe un vaste monde spirituel au-delà de
notre connaissance terrestre.
Il
est toujours difficile de désigner le plus grand savant. Parmi
les mathématiciens on choisit généralement
Archimède, Newton et Gauss. On connaît peu les idées
religieuses d'Archimède ; mais nous sommes renseignés
sur l'attitude des deux autres. Au sujet de Newton, le mathématicien
I. T. Bell, dans son livre Les mathématiciens, dit :
« Newton
croyait fermement à un créateur omniscient de
l'univers, et savait son incapacité (comme l'enfant sur le
rivage) de sonder l'océan dans ses profondeurs. Il était
donc persuadé qu'il y avait non seulement beaucoup de choses
dans le ciel hors de portée de sa philosophie, mais aussi
beaucoup de choses sur la terre qui demeurent inconnues, et il se
rangeait à l'attitude généralement acceptée
de son temps (considérée comme le bon sens même),
la croyance à la création selon la tradition. »
Le
grand mathématicien Gauss a dit : « Il y a des
problèmes à la solution desquels j'attacherais beaucoup
plus d'importance qu'à ceux des mathématiques ;
par exemple, ceux qui touchent à la morale, à nos
relations avec Dieu, ou à notre destinée et à
notre avenir. »
On
pourrait citer d'autres noms. Naturellement, ce ne sont pas tous ceux
qui se sont fait un nom dans la science qui ont été
religieux. Mais je crois que la plupart d'entre eux ont eu l'humilité
et la franchise de reconnaître qu'il y a des forces dans la vie
des hommes, et des influences s'exerçant sur eux qui sont
réelles et puissantes, bien qu'eux, les savants, ne les
connaissent pas et qu'elles échappent à l'expérience.
La
plupart d'entre eux se refuseraient à dire qu'une chose n'est
pas parce qu'ils ne la comprennent pas ; et ils ne voudraient
pas nier la validité des expériences spirituelles des
autres, parce qu'elles ne sont pas leurs.
Il
est intéressant de se demander quelles méthodes
s'offrent à celui qui cherche la vérité
religieuse. Les quatre évangiles disent l'histoire du Fils de
Dieu qui est venu en ce monde, a vécu une vie exemplaire, est
mort, et est ressuscité. Si on les accepte comme vrais, ces
documents entraînent la nécessité impérieuse
d'être religieux.
À
l'encontre des expériences de laboratoire, il est impossible
de reproduire l'histoire, parce que nous ne savons pas d'une façon
précise ce que les événements signifiaient. Dans
ce sens, la religion diffère des sciences de laboratoire comme
la chimie et la physique, et ressemble davantage à
l'astronomie ou à la géologie historique, où il
nous faut accepter en partie des suppositions. En fin de compte,
cependant, si notre enquête est assez large et assez soigneuse,
nous pouvons être également sûrs de nos
conclusions finales.
Le
Seigneur lui-même a indiqué la marche à suivre
lorsqu'il a dit : « Si un homme veut faire sa
volonté, il saura si la doctrine est de Dieu, ou si je parle
de mon propre chef » [Jean 7:17].
Il
suggérait donc aux jeunes qui inclinent à décrier
la religion au cours de leurs études, qu'ils pourraient
enrichir leur vie en cultivant la foi et l'intérêt pour
les choses de l'esprit. Cette foi ne leur enlèvera pas la
faculté de réussir dans d'autres domaines, mais elle
élargira leur pensée et donnera de la profondeur à
leur caractère.
Qu'on
me permette de dire que la science a rendu service à la
religion. L'esprit scientifique est l'esprit de recherche, l'effort
d'atteindre la vérité. En dernière analyse, cet
esprit est aussi l'essence de la religion. Le Sauveur a dit :
« Demandez et il vous sera donné ; cherchez et
vous trouverez ; frappez et on vous ouvrira »
[Matthieu 7:7]. En fait, le savant a réaffirmé ce grand
principe posé par le Maître, et ainsi il a donné
une nouvelle impulsion à la religion.
La
science a aussi renforcé la religion en aidant à
séparer le blé de l'ivraie. Autrefois, les hommes
religieux croyaient leur foi liée à la croyance que la
terre était plate. Cependant, lorsqu'il fut établi
qu'elle est ronde, ils s'aperçurent que leurs notions
religieuses fondamentales avaient survécu au changement. À
vrai dire, les grands principes de la foi ne s'affirmèrent que
mieux lorsqu'ils eurent été dégagés d'un
fatras de notions fausses.
Récemment,
nous avons été obligés d'abandonner l'ancien
déterminisme de la mécanique classique aussi bien que
l'idée de l'indestructibilité de la matière. Le
déterminisme mécanique signifiait que si on lui donnait
l'état de l'univers à un certain moment, un
mathématicien consommé pourrait calculer l'état
des choses à tout autre moment du temps. Cela supprimait le
grand principe religieux du libre-arbitre. Or, la mécanique
des quanta a introduit le principe de l'incertitude. Ce principe
élimine la possibilité de prédire l'avenir avec
exactitude, et tend à confirmer la doctrine chrétienne
essentielle que l'homme possède la liberté du vouloir
comme un don divin.
Avec
la bombe atomique, on relève un fait découvert
précédemment dans la théorie de la relativité
et dans les expériences de laboratoire. Ce fait est que la
matière ne peut disparaître qu'en réapparaissant
sous forme d'énergie. Cette libéralisation de nos
conceptions au sujet de la matière confirme la doctrine que
l'esprit est une forme subtile de la matière.
De
même que la science s'est montrée utile à la
religion, la religion sous sa forme la plus belle a favorisé
le développement de la science. Je citerai encore un passage
des Écritures modernes : « Ce qui est de Dieu
est lumière ; et celui qui reçoit la lumière
et persévère en Dieu reçoit davantage de
lumière ; et cette lumière devient de plus en plus
brillante jusqu'au jour parfait. » [D&A 50:24]
S'il
y a un grand principe fondamental dans la religion chrétienne,
c'est le principe du progrès éternel : qu'il n'y a
pas de fin au progrès de l'homme qui cherche la vérité.
La mort n'est pas la fin ; ce n'est qu'une étape dans la
grande marche en avant rendue possible par la rédemption
effectuée par le Sauveur. C'est là l'esprit de la
science vraie : la recherche constante, éternelle.
Ce
n'est pas tout. La doctrine chrétienne de la valeur de
l'individu a rendu possible la liberté qui assure la
prospérité de la science. C'est une chose grave pour
les hommes de science que la liberté sur terre soit
restreinte. Si la liberté est restreinte, la recherche est
rétrécie.
En
conclusion, j'établirai un dernier point. La méthode
scientifique qui nous a permis de déchiffrer si brillamment
les mystères de ce monde doit être complétée
par quelque chose, si nous voulons jouir pleinement des avantages que
nous donne le savoir.
C'est
la grande mission et le devoir de la religion d'enseigner aux hommes
« le chemin, la vérité, et la vie »
[Jean 14:6], afin qu'ils puissent utiliser les découvertes du
laboratoire pour leur bien et non pas pour leur destruction. Nous
avons besoin de plus de spiritualité, de celle qui conduit à
la fraternité. Il faut que cette spiritualité aille la
main dans la main avec le progrès de notre temps.
Dieu
veuille qu'en explorant les mystères de son œuvre, nous
apprenions aussi les grandes vérités
religieuses, que notre génération tend à
négliger. Ainsi nos efforts pourront devenir pour nous une
bénédiction.
Source :
L'Étoile,
octobre 1950, p.
16-20