Le monde des Jarédites
Hugh
Nibley
CHAPITRE 1 : Un monde crépusculaire
CHAPITRE 2 : Le départ
CHAPITRE 3 : Jared dans les steppes
CHAPITRE 4 : La culture jarédite, splendeur et honte
CHAPITRE 5 : Ils prennent les armes
CHAPITRE 6 : Un héritage permanent
CHAPITRE UN : Un monde crépusculaire
Note de l’auteur : La forme
épistolaire, de cette série d’articles est le style dans lequel
l’auteur présente le plus communément ses idées. « Bien que le
Professeur F », à qui ces lettres sont adressées, soit un anthropologue
purement fictif d’une université de l’Est [des États-Unis], il est
typique de bien des correspondants réels et les lettres elles-mêmes ne
sont pas moins typiques. Si « F.» paraît anormalement humble et ouvert,
c’est parce qu’il serait insensé, du fait de l’espace limité dont nous
disposons, de nous lancer dans des controverses longues et inutiles.
Le problème[1]
Cher professeur F.,
Je vous ai averti que vous trouveriez
le Livre de Mormon plein de choses étranges et curieuses. N’hésitez pas
à me dire ce que vous pensez et, surtout, n’ayez pas peur d’offenser ma
sensibilité religieuse. Le Livre de Mormon a les reins solides : plus
on l’approfondit, mieux il se porte. Vous pouvez taper dessus comme sur
un ballon, comme beaucoup l’ont fait, je peux vous garantir que vous
serez épuisé bien avant d’avoir pu l’érafler.
Pour ce qui est de votre première
objection, vous dites que cela vous chiffonne que le Livre de Mormon
essaie apparemment de faire remonter l’origine des tribus indiennes à
une unique ville du Proche-Orient et à une époque aussi récente que 600
av. J. C. À vos yeux, c’est vouloir tout expliquer d’une manière trop
simple et trop limitée. C’est aussi mon avis. Mais puisque vous venez
seulement de commencer à lire le Livre de Mormon, je vous exhorte
vivement à continuer à le lire ! Une grande surprise vous attend dans
l’avant-dernier livre. Loin d’être simplifiée à l’extrême, cette
étrange histoire est extrêmement variée et compliquée. Comme vous le
savez, les missionnaires des premiers temps de l’Église, en
recommandant le Livre de Mormon au monde, disaient que c’était «
l’histoire des Indiens », les Indiens étant l’un des rares sujets sur
lesquels les Américains en général possédaient quelques renseignements
et sur lesquels on pouvait facilement éveiller leur intérêt. En
réalité, le Livre de Mormon est moins l’histoire des Indiens que celle
de leurs lointains ancêtres – de gens, qui, à beaucoup d’égards,
différaient autant d’eux que nos ancêtres celtiques de nous. L’histoire
des Indiens commence seulement là où le Livre de Mormon prend fin;
avant cela, elle traite surtout des grandes nations bâtisseuses de
villes du sud, sur lesquelles vous en savez tellement plus que moi.
Mais avant même d’approcher de votre
fascinant domaine, le Livre de Mormon a pas mal de choses à dire sur
une autre culture, une culture qui a beaucoup été étudiée de nos jours
et peut toujours être examinée de première main, à savoir celle des
Arabes du désert, que l’on nous met sous les yeux dans le premier livre
de Néphi avec un réalisme et une clarté qui, je le crois, en disent
long sur l’authenticité de l’ouvrage. Ce même livre nous donne
également un aperçu de la vie des « Juifs » prospères et civilisés « de
Jérusalem » à l’époque de Sédécias, aperçu plus court, il est vrai,
mais pas moins clair ni moins précis que la description de la vie dans
le désert.
Déjà, vous le voyez, ce document
remarquable propose de donner des renseignements sur pas moins de
quatre cultures extrêmement différentes. Je vous laisse le soin de
décider si une description précise de l’une d’elles, n’importe
laquelle, à l’exception peut-être de certaines tribus indiennes, aurait
été possible à partir des sources dont on disposait à l’époque de
Joseph Smith. Mais c’est sur la culture numéro cinq que je voudrais
maintenant attirer votre attention. La dernière histoire que l’on
trouve dans le Livre de Mormon, qui a pour titre le livre d’Éther, est,
à mon avis, encore plus merveilleuse que la première. Elle nous conduit
dans le monde crépusculaire de la protohistoire où les empires
asiatiques, silhouettes vaguement discernables et à moitié décrites,
commencent seulement à prendre, à notre époque, une forme
reconnaissable. Comme vous le savez, mon faible naturel pour tout ce
qui est vague et imprécis m’a irrésistiblement attiré vers ce dangereux
secteur, et je me suis rendu coupable d’un certain nombre de longs
articles sur des questions que les gens sensés prétendent inaccessibles
à tout examen. Libre à vous d’en rire, mais si vous pensez que je
dépasse, moi, les bornes, que diriez-vous d’un homme qui essayerait de
faire un récit de la vie dans ce monde préhistorique d’après ce que
l’on en savait il y a cent vingt ans !
Du même pas assuré et posé qui nous a
fait traverser les sables de l’Arabie (et vous devez nous accorder que
c’était un exploit merveilleux), l’auteur du Livre de Mormon nous
conduit maintenant dans un monde si lointain, si absolument différent
de tout ce qui se trouve à la portée du savant biblique ou classique,
que si nous voulons le suivre, nous devons acquérir un tout nouvel
attirail pour le voyage. Je pense que nous sommes d’accord pour dire
qu’il faudrait beaucoup de formation pour acquérir la base nécessaire
pour composer le premier livre de Néphi. Imaginez maintenant un homme
suffisamment fou pour essayer, après des efforts aussi colossaux,
d’écrire encore une histoire de ce genre, égale en longueur et en
détails mais cette fois sur une race de gens tout à fait différente,
vivant à une époque extrêmement éloignée de l’autre et dans un cadre
géographique entièrement différent ! Autant que je le sache, même
Joseph Smith n’a jamais attiré l’attention de qui que ce soit sur cet
exploit prodigieux ; nous le considérons tous comme naturel. Vous allez
cependant vite vous apercevoir que l’auteur d’Éther n’aurait pas pu
trouver grand chose comme aide dans la matière utilisée pour écrire 1
Néphi. Au contraire, cette première expérience ne pouvait que tendre à
embarrasser toute tentative d’essayer une nouvelle histoire, laquelle
exigerait une formation et une préparation tout à fait nouvelles.
Ce que l’auteur d’Éther doit fournir,
ce n’est pas une nouvelle intrigue, mais des accessoires et des décors
entièrement nouveaux. Chaque siècle connaît ses guerres, ses traités,
ses migrations, etc, mais toujours dans un cadre différent, de sorte
que la mise à l’épreuve d’un document historique réside, comme nous
l’avons si souvent souligné, non dans l’histoire qu’il raconte, mais
dans les petits détails mentionnés au passage, que seul un témoin
oculaire pourrait avoir vus. L’histoire de Jared et celle de Léhi ont
le même thème, celui bien connu du juste qui fait sortir son peuple
d’un monde condamné et méchant. Il n’y a rien d’original à cela. C’est
également l’histoire de Noé, d’Énoch, d’Abraham, de Moïse, de «
I’Église dans le désert » et, tant que nous y sommes, de l’Église
rétablie. Mais quel cadre ! Quelles institutions et pratiques étranges
! Comment pourrons-nous jamais vérifier un sujet aussi abscons ? Il va
falloir se démener un peu et je vous conseille donc de vous préparer à
un long siège.
Comme vous le savez, j’ai la
regrettable habitude d’écrire des lettres épouvantablement longues
(vingt pages déjà) ou rien du tout. Puisque vous avez mis la machine en
route en accusant le Livre de Mormon de proposer une histoire simpliste
des Indiens, je ne lâcherai votre poignet palpitant que lorsque, pareil
à Hamlet, je vous aurai forcé à contempler un certain nombre de
tableaux étranges et troublants. Si les Jarédites avaient vécu dans le
vide, leur histoire serait aujourd’hui hors de portée de la critique.
Mais ils ne vivaient pas dans le vide : le livre d’Éther nous dit
qu’ils perpétuèrent dans le Nouveau Monde les coutumes et les vices qui
avaient fleuri dans l’ancien. Ainsi donc, si seulement nous pouvions
trouver ce que les gens fabriquaient dans la mère patrie à cette époque
reculée, nous aurions notre « contrôle » pour l’histoire d’Éther. Telle
est, vous vous en souviendrez, la manière dont nous avons traité le
problème de Léhi dans le désert : nous avons découvert ce qui se
passait dans le monde que Néphi était censé décrire et puis nous avons
comparé les données avec ce que Néphi avait à nous dire. La tâche de
contrôler les activités de Léhi a été fortement simplifiée par le fait
que les Bédouins d’Arabie font les choses aujourd’hui essentiellement
comme ils les faisaient de son temps. Ce que nous trouvons en Asie
centrale – le pays de Jared – ce sont des coutumes tout aussi stables.
Oui, mais, vous entends-je déjà
grogner, et les preuves ? Lire l’arabe, je le reconnais, est une chose,
zézayer le chaste mongol en est une autre. De cet endroit isolé qu’est
l’Utah, il n’est pas possible de faire plus qu’effleurer le sujet ;
mais si vous voulez vous hâter de consulter les bibliographies
d’ouvrages classiques tels que McGovern et Vernadsky, vous verrez que
même eux n’ont guère fait plus. Tant que n’apparaîtra pas quelqu’un de
compétent pour traiter des documents difficiles, un classique qui soit
également sinologue, indologue, expert en sémitique, turc, slave, que
sais-je encore, bref un autre Vambery, nous devrons nous contenter de
baser nos suppositions sur la documentation limitée que nous avons à
notre disposition. Tout ce que nous avons comme justification, c’est
qu’elle suffit, comme dans le cas de Léhi, à prouver ce que nous
voulons prouver, rien de plus. Et qu’allons-nous prouver ? Que
certaines choses étranges et inusitées décrites dans Éther ont
réellement pu se produire telles que décrites, parce qu’elles se sont
réellement produites – d’une manière caractéristique et répétée – dans
les régions culturelles même où, selon le Livre de Mormon, les
Jarédites ont acquis leur culture et leur civilisation.
Et quelle est cette « documentation »
à laquelle nous avons si vaguement fait allusion ? On la trouve à
diverses périodes. Pour illustrer, disons qu’il y a une coutume étrange
– celle de la cour royale ou de la chasse, par exemple – qui est
décrite dans Éther. Nous trouvons la même coutume décrite par des
voyageurs modernes en Asie centrale (source numéro un) ; des marchands
chrétiens et musulmans, des géographes et des missionnaires signalent
la même coutume étrange dans la même région au Moyen Âge (source numéro
deux) ; ensuite nous remontons encore de sept ou huit cents ans et
voici : les espions et les ambassadeurs de la cour byzantine décrivent
la même coutume (source numéro trois, etc.), pour laquelle nous
commençons maintenant à éprouver un certain respect ! En remontant le
cours des siècles, nous voyons que des historiens classiques depuis
Cassiodore jusqu’à Hérodote, séparés d’un bon millier d’années,
mentionnent la même coutume, et puis, lorsque nous reculons de quinze
cents à deux mille ans encore, nous la retrouvons dans les documents
des Assyriens et des Babyloniens. Et finalement, les archéologues
russes trouvent des traces de la même chose à l’époque préhistorique. À
partir de ces nombreux repères, nous pouvons tracer, pour ainsi dire,
une courbe régulière remontant jusqu’aux Jarédites et en déduire, sans
risque de nous tromper, que lorsqu’il décrit les institutions mêmes que
l’on retrouve dans ces documents de l’Asie ancienne, le livre d’Éther
s’appuie sur de bonnes bases. Néanmoins, dans chaque cas, ce sera à
vous de juger, car tout ce que nous pouvons donner pour le moment,
c’est un échantillonnage des preuves. Vous devrez peut-être encore
attendre trente ans pour avoir le reste.
Veuillez remarquer que nous limitons
notre curiosité au genre de choses qui se sont produites. L’époque et
le lieu exacts d’un événement donné ne nous intéressent pas. De telles
choses prêtent toujours à controverse et, dans le cas des Jarédites,
c’est troop vague pour qu’on puisse ne serait-ce que se risquer à
émettre des conjectures. Souvenez-vous que ces gens vivaient dans un
milieu extrêmement éloigné du courant de l’histoire du monde ; à une
époque que l’on ne peut dater, ils ont tiré leur culture de la source
commune, et, à partir de ce moment-là, se sont retrouvés livrés à
eux-mêmes jusqu’au moment où ils ont disparu de la terre. Quelle
différence cela fait-il qu’ils aient eu une bataille dans un endroit ou
dans un autre, une année ou une autre ? L’important, c’est qu’ils ont
eu des batailles et, pour ce qui nous intéresse, que ces batailles
respectaient les techniques de combat propres à l’Asie centrale. Ce qui
nous préoccupe, c’est la façon dont les choses se font.
Le premier chapitre de notre texte
d’Éther nous avertit que nous ne devons pas être dogmatiques en matière
de chronologie. À trois reprises dans la liste généalogique de trente
noms remontant jusqu’à « la grande tour », on trouve le mot «
descendant », une fois où cela peut couvrir plusieurs générations
(Éther 1:23; 10:9), et deux fois de manière interchangeable avec le mot
« fils » (Éther 1:6, 16; cf. 10:31; 11:23). Comme vous le savez, en
hébreu et dans d’autres langues, « fils » et « descendant » se rendent
tous deux par le même mot très courant. Un seul et même mot fait du
Juif moderne et d’Isaac des « fils » d’Abraham – on comprend le mot
d’une manière différente dans chaque cas, mais on ne l’écrit pas
différemment. Une personne qui est limitée à un texte écrit n’a aucun
moyen de savoir à quel moment ben doit être pris dans le sens de « fils
» au sens littéral et quand il signifie simplement « descendant ». Les
anciens Hébreux savaient parfaitement bien quand il fallait faire la
distinction : comme les Arabes et les Maoris, ils apprenaient leurs
annales par cœur, et quand on parlait d’un certain patriarche, on
présumait que l’auditeur connaissait son lignage jusqu’à son prochain
descendant important, les listes écrites n’étant qu’un simple schéma
pour établir les relations entre les lignages particuliers – le nom
d’un patriarche suffisait pour indiquer son lignage, lequel n’avait pas
besoin d’être écrit en entier. Sir Leonard Woolley a un certain nombre
de choses intéressantes à dire à ce sujet dans son livre Abraham. Or
Éther prouve, du moins pour les saints des derniers jours, que « fils »
et « descendant » étaient tous deux utilisés dans les généalogies
antiques, qui ne présentent donc pas une filiation ininterrompue de
père à fils. On nous dit que la généalogie que l’on trouve dans Éther
appartient à la deuxième partie d’un document et que « la première
partie de ces annales... existe parmi les Juifs » (Éther 1:3). Nous
pouvons donc considérer les généalogies de l’Ancien Testament comme
étant la partie la plus ancienne de cette même liste et nous nous
trouvons donc devant la possibilité, dont beaucoup ont longtemps
soupçonné l’existence, que, dans les généalogies bibliques, ben doive
tantôt être interprété comme voulant dire « fils » et tantôt comme
voulant dire « descendant », bien que les hommes aient depuis longtemps
perdu la connaissance qui permettait aux dirigeants d’autrefois de
faire la distinction nécessaire. Il en résulte évidemment que nos
généalogies bibliques, telles que nous les lisons aujourd’hui, sont
probablement beaucoup trop courtes.
Soit dit en passant, la généalogie
d’Éther, chapitre 1, explique pourquoi ni le frère de Jared ni ses
enfants ne sont jamais nommés (on ne nous dit même pas combien de fils
il avait, quoique les propres fils de Jared soient indiqués par leur
nom). Ceci m’intriguait jadis, puisque le frère de Jared est de loin le
personnage le plus important du Livre. Cela tient évidemment au fait
que celui qui a écrit ceci est un descendant direct de Jared (Éther
1:2, 32), et ne raconte que l’histoire de son propre lignage. Si nous
entrions dans les quatre-vingt-huit versions que donne Andree de
l’histoire du déluge ou les soixante-quatre récits contradictoires de
la dispersion énumérés par Von Schwarz, cela se ferait au détriment du
laconisme et de la concision qui donnent à nos petites notes toute leur
valeur. Reléguons donc ce genre de choses à la décente obscurité d’une
note de fin de chapitre[2]. À ce propos, tant que vous tenez absolument
à ce que l’on vous fournisse la preuve de tout, vous ne pouvez faire
objection à une référence occasionnelle en petits caractères. L’ennui
dans l’histoire de Babel, c’est qu’on nous en dit si peu de choses.
Quelques courts versets énigmatiques de la Genèse ne suffisent pas par
eux-mêmes pour justifier les reconstructions dogmatiques et les
théories fantaisistes qui ont fait rage à propos de la tour. Éther a le
soutien des conclusions les plus récentes, basées sur Genèse 10, que
lorsque l’on construisit la tour, le peuple était déjà « dispersé au
loin sur la terre après le déluge » depuis un certain temps[3]. Il est
intéressant de constater que tous les récits sont très vagues sur le
point de savoir où vivait la famille humaine avant le déluge, la
meilleure version, celle de Berossos, racontant que « les survivants du
déluge sont ‘perdus’ et doivent apprendre par révélation divine où ils
sont »[4].
Lorsque notre source décrit une
région particulière comme étant « cette contrée où il n’y avait jamais
eu d’homme » (Éther 2:5), cela implique que des hommes avaient déjà
certainement été dans d’autres contrées. En outre, le peuple de Jared
n’était guère disposé à partir de chez lui, et lorsqu’il fut finalement
« chassé du pays », il emmena des troupeaux de gros et de petit bétail,
et des semences de toute espèce, en même temps que la connaissance et
l’artisanat (il emmena même des livres) nécessaires pour fonder une
grande civilisation – tout cela étant le produit nécessaire d’une
économie établie depuis longtemps et largement répandue. Dans les pages
d’Éther, la civilisation nous apparaît pleinement épanouie et même
décadente. C’est en vain que l’on chercherait de nombreux signes
d’évolution dans le Livre de Mormon. Je sais que c’est agiter une cape
rouge devant les sociologues, mais cela tient seulement au fait que les
sociologues ne lisent pas les documents historiques, lesquels, si
seulement ils le savaient, sont les inépuisables notes prises sur le
terrain et en laboratoire, du genre humain. Pour les gens dont la
conception du monde découle des questionnaires et des manuels, il
paraît incroyable que l’antique civilisation dynastique de Sumer, par
exemple, soit tellement en avance sur les cultures ultérieures que, «
comparé avec elles, tout ce qui vient plus tard semble presque
décadent; l’artisanat a dû atteindre une stupéfiante perfection. »[5].
On a du mal à croire que la grande civilisation babylonienne, au cours
des nombreux siècles pendant lesquels elle fleurit, faisait simplement
roue libre, en jouant les pique-assiette sur les réalisations d’une
civilisation beaucoup plus ancienne, qui normalement aurait dû être «
primitive » ; pourtant c’est exactement l’image que nous donne Meissner
dans sa grande étude[6]. Il est contraire aux règles que ces
réalisations artistiques pour lesquelles l’Égypte est le plus connue :
les portraits incomparables, les merveilleux récipients de pierre, les
tissages exquis, soient parvenus à leur point culminant à l’aube même
de l’histoire égyptienne, à la période pré-dynastique, et pourtant
c’est bien le cas. C’est dans les dynasties les plus anciennes, pas
dans les dynasties postérieures que la perfection technique et le goût
artistique des Égyptiens en bijouterie, en mobilier, en céramique, etc.
sont le plus « avancés ». « Voilà une chose très étrange », disait
récemment une autorité britannique, « dans la littérature, le meilleur
dans chaque genre vient d’abord, vient tout d’un coup et ne revient
plus jamais. C’est là une idée déroutante, dérangeante, inacceptable
pour des gens qui défendent une doctrine simpliste de l’évolution. Mais
je pense qu’on doit la reconnaître pour vraie. Dans les choses les plus
grandes de chaque genre de littérature, le chef d’oeuvre est sans
précédent, unique, incomparable et dorénavant sans rival[7]. Plus
impressionnant encore est le rapport de l’égyptologue Siegfried Schott
: « Maintes et maintes fois, dans le développement de la culture
égyptienne, les monuments d’une période nouvelle présentent quelque
chose de jusqu’alors inconnu, dans un état de perfection complètement
développé. » Il donne comme exemple l’apparition soudaine des textes
des pyramides, « la naissance surprenante de l’architecture des temples
et de ses décorations murales, sans aucune forme préalable pour en
indiquer un développement antérieur », les bâtiments de Zoser, à
Sakkara, les grandes pyramides elles-mêmes, et les reliefs des temples
qui manifestent, dès leur première apparition, une maîtrise complète de
la technique et du style[8]. Les peintures les plus anciennes du genre
humain ne sont-elles pas sans égales à ce jour ? Veuillez noter que
nous ne sommes en mesure de juger que les choses qui, par hasard, ont
survécu depuis ces temps reculés. Nous supposons que ces peuples
étaient grossiers et primitifs dans toutes les autres choses, jusqu’à
ce que certaines de ces autres choses apparaissent et montrent qu’ils
sont loin en avance sur nous. Nous devons reconnaître, par exemple, que
la taille de la pierre par certains chasseurs paléolithiques n’a jamais
été égalée depuis leur temps ; il se fait que les outils de pierre sont
tout ce qui a survécu de ces gens – avons-nous le droit de leur refuser
la perfection dans d’autres choses ? Y a-t-il une raison de penser que
leur travail du bois ou du cuir étaient inférieurs ? Quiconque a une
instruction moderne, vous dira sans hésitation que les tissages les
plus anciens de nos ancêtres ont dû être vraiment très grossiers. Mais
lorsque, contre toute attente, on a découvert certains de ces tissus,
les experts français les ont examinés soigneusement et ont déclaré
qu’ils valaient les matériaux les plus fins que nous sommes capables de
produire aujourd’hui[9]. Les seules armes qui ont survécu aux temps
préhistoriques conviennent bien plus à leur usage qu’un fusil moderne.
La plus mortelle de toutes les armes de chasse reste aujourd’hui encore
la flèche à tête de pierre (et non pas à tête d’acier). Dans mes
travaux récents sur les flèches marquées, j’ai eu l’occasion de réunir
une quantité impressionnante de preuves dans ce domaine[10]. Eyre a
récemment fourni pas mal de preuves pour montrer que nos ancêtres «
primitifs » jouissaient de bien plus de sécurité, de confort et de
plaisir dans la vie que nous[11]. En outre, vous qui êtes
anthropologue, vous savez parfaitement bien que les gens arriérés et
primitifs peuvent avoir des pouvoirs mentaux qui égalent ou dépassent
les nôtres. Regardez les aborigènes australiens d’Elkin ou, s’ils sont
trop éloignés, je peux vous mener auprès de certains Indiens qui dans
certaines choses peuvent nous donner l’impression que nous sommes des
crétins. Si cela ne nous écartait pas trop de notre propos, je pourrais
vous montrer que le dogme de l’avancement évolutif de la race humaine
dans son ensemble n’est rien d’autre qu’un diplôme impressionnant que
le dix-neuvième siècle s’est accordé à lui-même avec les palmes
académiques. L’homme moderne se proclame être un génie, qui, s’étant
épinglé à lui-même le ruban bleu sur son revers de veston, se met en
devoir de décerner toutes les autres récompenses selon que les divers
candidats sont plus ou moins semblables à lui.
Je vous entends déjà dire : « Oui,
mais il doit y avoir eu une longue évolution derrière toutes ces
anciennes réalisations. » C’est là une chose que vous devez prouver, et
non pas supposer, si vous êtes un savant. Ce qui est certain à ce jour,
c’est que (a) on n’a pas découvert leur passé évolutif, et (b) il n’y a
aucune trace d’amélioration ultérieure au cours de tous ces milliers
d’années. Que les biologistes parlent donc d’évolution ; pour
l’historien, elle n’a pas de sens. En effet, le professeur Van der
Meer, qui est sans doute le spécialiste vivant le plus éminent de la
chronologie antique, ne peut que regretter « l’influence d’une théorie
de l’évolution que l’on a eu le malheur d’introduire dans l’étude de
l’histoire ancienne »[12].
Je suppose que je vous ai maintenant
mis dans un tel état que vous refuseriez de continuer à lire même si
j’avais le temps d’en écrire davantage. Je vous laisse maintenant en
vous promettant des attractions futures, si toutefois vous êtes disposé
à continuer la discussion. Ayez la bonté de me manifester vos réactions
à toutes ces paroles, et je me conduirai en conséquence.
La Tour[13]
Cher professeur F.,
En réponse à mon barrage d’artillerie
du 17 écoulé, vous m’accusez « d’accepter avec naïveté et crédulité
l’histoire de la Tour de Babel ». Je m’y attendais. La plupart des gens
croient très naïvement que Lincoln a écrit le discours de Gettysburg,
mais le fait qu’ils l’acceptent d’une manière absolument dépourvue de
sens critique ne l’empêche pas d’être vrai. Vous pouvez accepter
n’importe quelle histoire naïvement ou vous pouvez la voir avec un
esprit critique. Que diriez-vous si je vous accusais d’être très simple
et crédule parce que vous rejetez l’histoire de la Tour ? La pierre
angulaire de « l’érudition saine » à notre époque est la doctrine
confortable que la réponse non ne peut jamais être tout à fait aussi
mauvaise que la réponse oui, proposition qui, à ma connaissance, n’a
jamais été démontrée. Excusez-moi si je parais récalcitrant, mais je
trouve étrange que le talent par excellence qui est le plus apprécié et
le plus récompensé dans ces cercles où l’on entend éternellement parler
de « l’esprit chercheur » et de l’importance de « découvrir
personnellement » est le don et le pouvoir de considérer les choses
comme acquises. Même nos intellectuels mormons sont convaincus que la
manière d’impressionner les Gentils n’est pas d’acquérir la maîtrise de
leurs outils critiques (rares sont ceux qui connaissent ne serait-ce
que le latin !) mais simplement de s’en remettre pour tout à leur
opinion.
Repensez, mon cher ami, au premier
acte de l’histoire écrite. Qu’est-ce qui frappe notre regard lorsque le
rideau se lève ? Des gens qui construisent partout des tours. Et
pourquoi construisent-ils des tours ? Pour arriver au ciel. La tour
était, pour utiliser la formule babylonienne, le markas shame u
irsitim, le « Iieu de liaison du ciel et de la terre », endroit unique
où l’on pouvait établir le contact avec les mondes supérieurs et
inférieurs[14]. Cela vaut non seulement pour la Babylonie, mais
également pour le monde antique tout entier, comme je l’ai montré d’une
manière impitoyablement longue dans mon étude récenter sur « l’Etat
hiérocentrique »[15]. Les tours étaient des montagnes artificielles,
comme vous le dira n’importe quel manuel, et un complexe de temples ne
pouvait pas s’en passer. Les travaux de Dombart, Jeremias, Andrae,
Burrows et d’autres nous épargneront la peine de vous montrer ces tours
répandues partout dans l’ancien monde pour permettre aux hommes
d’atteindre le ciel[16]. Les légendes les concernant sont légion, mais
elles rentrent toutes dans le même cadre : au commencement une race
ambitieuse d’hommes a essayé d’atteindre le ciel en escaladant une
montagne ou une tour ; elle a échoué et puis s’est mise en devoir de
conquérir le monde. Une version tout à fait typique de l’histoire est
une variante que l’on trouve dans les écrits apocryphes juifs et
chrétiens dans lesquels les fils de Seth (les anges, dans certaines
versions), désirant vivement récupérer le paradis qu’Adam avait perdu,
montèrent sur le mont Hermon, et y menèrent une vie d’ascétisme
religieux, se donnant le nom de « Veilleurs » et de « fils d’Elohim ».
C’était une tentative d’établir l’ordre divin et elle échoua, la
colonie aigrie descendit de la montagne pour enfreindre l’alliance,
épouser les filles de Caïn et engendrer une race « d’hommes notoires
pour les meurtres et les pillages ». Décidés à posséder la terre s’ils
ne pouvaient posséder le ciel, les hommes de la montagne nièrent avoir
échoué, contrefirent la prêtrise et forcèrent les habitants de la terre
à accepter les rois qu’ils leur imposaient[17]. Cette histoire, vous la
reconnaîtrez comme étant une variante évidente du cycle extrêmement
ancien et répandu du Chasseur Fou, dont j’ai traité dans un article sur
l’origine de l’Etat[18]. Le Chasseur Fou, vous vous en souviendrez,
prétendit être le souverain légitime de l’univers, défia Dieu à un
concours de tir à l’arc et construisit une grande tour du haut de
laquelle il espérait lancer ses flèches dans le ciel. Sir James Frazer
a réuni un grand nombre de versions amérindiennes de cette histoire
pour illustrer les parallèles de l’Ancien Monde, car on rencontre cette
histoire chez les chasseurs primitifs du monde entier[19]. Dans (Genèse
10:9), nous lisons que Nimrod, « vaillant chasseur devant l’Eternel
»[20], fonda le royaume de Babel, et au chapitre suivant que Babel
était le nom de la tour construite pour atteindre le ciel. Ce Nimrod
semble être l’archétype originel du Chasseur Fou[21]. Son nom
représente en tous temps pour les Juifs le symbole même de la révolte
contre Dieu et de l’autorité usurpée; c’est lui qui « devint chasseur
d’hommes », établit une fausse prêtrise et une fausse royauté sur la
terre en imitation du gouvernement de Dieu et « fit pécher tous les
hommes »[22]. Un écrit chrétien très ancien raconte comment les
descendants de Noé se livrèrent une guerre acharnée après sa mort, pour
voir qui posséderait sa royauté ; finalement quelqu’un du sang de Cham
l’emporta, et c’est de lui que les Égyptiens, les Babyloniens et les
Perses tirent leur prêtrise et leur royauté. « De la race de Cham, dit
le texte, en vint un par la succession magique (opposée à la succession
sacrée) appelé Nimrod, qui était un géant contre le Seigneur... que les
Grecs appellent Zoroastre et qui gouverna le monde, forçant tous les
hommes, par ses faux arts magiques, à reconnaître son autorité[23]. Le
Chronicon Paschale rapporte une tradition très répandue selon laquelle
ce géant qui construisit Babylone n’était pas seulement le premier roi
de Perse, le Cosmocrator terrestre, mais aussi le premier homme à
enseigner à tuer et à manger les animaux, croyance également exprimée
dans le Coran[24]. Il y a une autre tradition courante selon laquelle
la couronne de Nimrod était un faux, et qu’il gouverna sans en avoir le
droit sur la terre sur tous les fils de Noé, et ils furent tous sous
son pouvoir et à sa discrétion; il ne suivit pas les voies du Seigneur
et fut plus corrompu que tous les hommes qui l’avaient précédé[25] ».
On peut juger de l’antiquité de ces histoires grâce à un très ancien
récit babylonien parlant d’un roi mauvais qui fut le premier à mélanger
« petits et grands… sur le tertre » et les fit pécher, s’acquérant le
titre de « roi du noble tertre » (cf. la tour), « dieu de l’illégalité
», dieu du non gouvernement[26].
Dans les toutes premières traditions
indo-européennes, ce personnage est un Dahhak, « type du dregvant,
l’homme du Mensonge et le roi des fous », qui siégea sur le trône
pendant mille ans et obligea tous les hommes à inscrire leur nom dans
le livre du Dragon, les assujettissant ainsi à lui[27]. Cela nous
rappelle la tradition très antique selon laquelle, lorsqu’il succéda à
Adam dans la prêtrise, Seth commanda que l’on tienne un registre
spécial, que l’on appela le livre de vie et qui était caché des fils de
Caïn. Le Livre du Dragon en était l’imitation[28]. Il y a une tendance
constante dans les documents anciens à confondre Jemshid, fondateur du
royaume terrestre et père du genre humain, non pas avec Adam, mais avec
le faux Adam ou usurpateur[29]. Dans le livre d’Éther, le nom de Nimrod
est attaché à « la vallée qui était située du côté du nord » et qui
menait « dans cette contrée où il n’y avait jamais eu d’homme » (Éther
2:2, 5), qui correspond très bien à la personnalité légendaire de
Nimrod, chasseur fou des steppes. Le nom de Nimrod a toujours dérouté
les philologues, qui n’ont jamais pu le situer, bien que Kraeling
accepte maintenant la théorie très controversée d’Eduard Meyer qui veut
que le nom soit égypto-lybien, ce qui va très bien avec notre propre
croyance concernant la malédiction de Cham[30], mais à la fin du siècle
dernier, l’explorateur et savant Emin trouva ce nom attaché à des
légendes (pour la plupart de l’espèce Chasseur fou) et à des noms de
lieu dans la région du Lac Van, le grand système de vallées situé au
nord de la Mésopotamie supérieure[31]. Je n’affirme pas le moins du
monde que le légendaire Nimrod ait jamais existé. Comme je vous l’ai
déjà dit, je m’intéresse uniquement au genre de choses qui s’est
produit, et après avoir examiné des centaines de légendes de toutes les
parties du monde antique, toutes racontant substantiellement la même
histoire, je pense qu’on aurait du mal, étant donné l’évidence, à nier
qu’il y ait eu un événement commun derrière elles. En outre l’événement
semble avoir été unique.
Comment cela ? J’ai dit plus haut que
nous trouvons des tertres et des tours, accompagnés de rituels, dans
tout le monde antique ; j’irai maintenant plus loin et je dirai que ces
tertres et ces tours et les grands complexes cultuels qui les
accompagnent n’étaient pas autant d’inventions locales indépendantes,
mais en réalité des imitations tirées en fin de compte d’un original
unique. Tous les grands sanctuaires nationaux de l’Antiquité ont une
légende fondatrice racontant, comment, au début, ils ont été apportés à
travers les airs d’un pays lointain et mystérieux. Et ce pays lointain
se révèle toujours avoir été en Asie centrale. Notre Othinn norvégien
vient du pays des géants à l’est, le culte national grec du pays des
Hyperboréens, loin au nord-est de la Grèce, les gens du Proche-Orient
situaient dans une mystérieuse montagne blanche du nord le siège de
leur culte primordial, les Chinois dans le paradis ou la montagne de
l’Ouest, etc. Vous pouvez énumérer les diverses légendes fondatrices et
les faire remonter selon votre bon plaisir jusqu’à un lieu d’origine
unique[32]. Je trouve étrange que le père fondateur et summus deus de
chaque nation de l’Antiquité ait été déclaré quelque part être un
charlatan et un imposteur, un vagabond errant venu de loin dont les
prétentions à l’autorité suprême ne peuvent résister à un examen trop
attentif. Pensez au défi lancé par Prométhée à Zeus, au chantage auquel
se livre Loki sur la personne d’Othinn, à la louche « justification
d’Osiris », à la terreur du tout-puissant Anu lorsque Tiamat conteste
son autorité, et ainsi de suite[33]. Passez en revue ces légendes et
vous verrez dans tous les cas que l’usurpateur vient d’Asie centrale.
Même Ésaïe (Ésaïe 14:12-14) Esaïe 14 :12-14) rappelle qu’au
commencement l’adversaire lui-même éleva son trône « sur la montagne de
l’assemblée, à l’extrémité du septentrion », et y prétendit être «
semblable au Très-Haut ». Pour tout cela on indique une origine unique
; qu’elle soit historique ou rituelle, cela ne change pas grand chose.
Il y a un aspect du cycle de Nimrod
qui est trop intéressant pour qu’on le laisse de côté, surtout pour un
anthropologue. C’est la tradition du vêtement volé.
Le vêtement volé
Nimrod prétendait à sa royauté pour
avoir vaincu ses ennemis[34] ; mais il prétendait à sa prêtrise parce
qu’il possédait « Ie vêtement d’Adam ». Le Talmud nous assure que c’est
en vertu de la possession de ce vêtement que Nimrod put prétendre avoir
le pouvoir de gouverner sur toute la terre, et qu’il était assis dans
sa tour tandis que les hommes venaient l’adorer[35]. Les écrivains
apocryphes, juifs et chrétiens ont pas mal de choses à dire sur ce
vêtement. Pour citer l’un d’eux : « Les vêtements de peau que Dieu fit
pour Adam et sa femme lorsqu’ils sortirent du jardin furent donnés…
après la mort d’Adam... à Énoch »; de là ils passèrent à Metuschélah,
et ensuite à Noé, à qui Cham les vola pendant que le peuple quittait
l’arche. Le petit-fils de Cham, Nimrod, les obtint de son père
Cusch[36]. Quant à l’héritage légitime de ce vêtement, un fragment très
ancien récemment découvert dit que Michel « dévêtit Énoch de ses
vêtements terrestres et mit sur lui son vêtement angélique »,
l’emportant dans la présence de Dieu[37]. Ce vêtement d’Énoch était
censé être le vêtement de peau même que Jean-Baptiste portait, appelé
par les premiers chrétiens, « Ie vêtement d’Élias[38] ». Une « Vie de
Jean-Baptiste » arabe dit que Gabriel l’apporta du ciel à Jean comme
étant le « vêtement d’Élie » ; « il remontait, dit Jean Chrysostome, au
commencement du monde, à l’époque qui précédait celle où Adam avait
besoin d’être couvert. C’était donc le symbole du repentir[39] ».
D’autres croyaient que c’était ce même vêtement que Hérode et plus tard
les Romains mirent sous clef lorsqu’ils voulurent empêcher le peuple de
le mettre sur un candidat de son propre choix et racontent comment les
Juifs essayèrent de s’emparer du vêtement par la force et de le mettre
sur Jean-Baptiste, le faisant ainsi leur grand prêtre à la place
d’Hérode[40]. Quelle qu’en soit l’origine, le port d’un vêtement de
repentir, symbolisant la vie de l’homme dans son état déchu, était
connu des chrétiens les plus anciens et pratiqué par certains cultes
ultra-conservateurs jusqu’à l’époque moderne[41].
Soit dit en passant, l’histoire du
vêtement volé, telle que la racontent les vieux rabbins, y compris le
grand Éléazer, demande une lecture tout à fait différente de cette
étrange histoire que l’on trouve dans Genèse 9 que celle que l’on
trouve dans notre Bible. Ils semblaient penser que le ‘erwath de Genèse
9:22 ne signifiait pas du tout « nudité » mais devait recevoir le sens
originel de sa racine qui est « couverture de peau ». Ainsi lu, nous
devons entendre par là que Cham prit le vêtement de son père pendant
qu’il dormait et le montra à ses frères, Sem et Japhet, qui en prirent
un patron ou une copie (salmah), ou encore un vêtement tissé qui lui
ressemblait (simlah) qu’ils se mirent sur leurs propres épaules, après
avoir rendu le vêtement de peau à leur père. En s’éveillant, Noé
reconnut la prêtrise de deux fils, mais maudit celui qui avait essayé
de le dépouiller de son vêtement. Par un genre extrêmement courant de
substitution, le simlah de Genèse 9:23 pouvait très facilement
représenter un tsimlah original, une copie, imitation, patron ou par un
type de transposition tout aussi commun salmah, un vêtement ou manteau,
comme dans Michée 2:8. Même tel qu’il est, simlah signifie seulement un
vêtement tissé et ne peut absolument pas désigner le vêtement originel
de peau. Telle est apparemment la source de la légende généralement
répandue selon laquelle Cham vola le vêtement de Noé et prétendit
posséder la prêtrise en vertu de ses insignes illégitimes. Les
descendants de Cham, Cusch et Nimrod – tous les deux Africains, bien
que Nimrod dans ses errances se fût dirigé vers l’Asie[42] – eurent la
même prétention. Il est intéressant que, selon certaines Écritures
anciennes, que les saints des derniers jours affirment avoir été
rendues par la révélation à notre époque, Pharaon (qui représente la
lignée afro-asiatique de Cusch-Nimrod), fut béni quant à la royauté,
mais maudit quant à la prêtrise, et il offrit à Abraham le droit de
porter ses propres insignes royaux, dans l’espoir qu’Abraham lui
rendrait le compliment en permettant au pharaon de porter ses insignes
sacerdotaux (Abraham 1:26-27). Selon une tradition très ancienne, le
pharaon convoita la prêtrise de Moïse, tout comme Nimrod convoita celle
d’Abraham, et on disait que les pharaons d’Égypte se vêtaient d’un
vêtement de peau « pour montrer que leur origine était plus ancienne
que le temps lui-même[43] ».
Selon le Talmud, le « grand succès de
Nimrod à la chasse provenait du fait qu’il portait le vêtement de peau
que Dieu avait fait pour Adam et Eve[44] ». Il y a une tradition qui
veut que Nimrod, devenu jaloux de son rival chasseur Ésaü (tant pis
pour la chronologie !), lui tendit une embuscade mais fut battu par
Ésaü, lequel lui coupa la tête et « prit les précieux vêtements de
Nimrod... grâce auxquels Nimrod régnait sur tout le pays (ou toute la
terre !), et courut les cacher dans sa maison ». Ces vêtements, dit le
rapport, n’étaient rien moins que le droit d’aînesse qu’ Ésaü vendit
plus tard à Jacob[45].
De tout dela découlent deux
conclusions importantes : (1) que toute reconstitution historique de
tout ce qui s’est réellement passé est hors de question, ce qui est
venu jusqu’à nous étant une masse de légendes et de rapports
contradictoires et (2) que ces légendes et rapports contradictoires
sont néanmoins d’accord sur certains points principaux, qu’ils sont
très anciens, et que les Juifs les plus savants considéraient qu’ils
présentaient des sujets d’une grande importance dont la signification a
échappé aux époques ultérieures. Les prêtres et les rois de l’Antiquité
portaient certainement des vêtements[46] de ce genre, et le vêtement de
peau était souvent imité dans les pièces tissées[47] ; en fait, le
vêtement de peau était lui-même considéré comme remplaçant un vêtement
encore plus ancien fait avec les feuilles du ficus religiosus[48].
C’est sans scrupule que je vous
conduis dans ces chemins détournés et perdus du passé. Vous avez
souvent proclamé que c’est votre obligation professionnelle de vous
intéresser à tout et surtout à l’insolite. On peut cependant aller trop
loin, et il est grand temps que je vous montre à quel point le livre
d’Éther est un document sobre, réaliste et sensé. Revenons à Babel.
[1] La 1e partie de « The World of
the Jaredites », [Le monde des Jarédites] IE [Improvement Era,
prédécesseur de l’Ensign] 54, septembre 1951, pp. 628-30, 673-75,
commençait ici.
[2] Richard Andree, Die Flutsagen,
Braunschweig, Bieweg, 1891; Franz von Schwarz, Sintfluth und
Völkerwanderungen, Stuttgart, Enke, 1894, pp. 358 & passim.
[3] Emil G. Kraeling, « The Earliest Hebrew Flood Story », JBL 66, 1947, pp. 290, 280-85.
[4] Id., p. 285.
[5] Albrecht Götze, Hethiter, Churriter und Assyreer, Oslo, Aschehoug, 1936, p. 11.
[6] Meissner, Babylonien und
Assyrien, 2 vols., Heidelberg, Winter, 1926, illustre la dépendance
permanente de toute la civilisation bablyonienne postérieure vis-à-vis
de la culture des premiers colons de la vallée, p. ex., dans la
littérature, 2:154-55; cf. Alexandre Moret, Histoire de l'Orient, 2
vols., Paris, Presses Universitaires, 1929-36, 1:130.
[7] A. Richards, cité par A. C. Bouquet, Comparative Religion, 6e éd., Baltimore, Penguin, 1962, p. 24.
[8] Siegfried Schott, Mythe und
Mythenbildung im alten Ägypten, Leipzig, Hinrich, 1945; réimpression
Hildesheim, Olm, 1964, pp. 10-11.
[9] « La finesse des fils est telle
qu'avec nos machines les plus récentes, nous ne l'avons guère dépassée.
» Lacasine, cité par Moret, Histoire de l'Orient, 1:66. Le tissu le
plus ancien connu présente un degré de perfection élevé, F.-M.
Bergounioux et André Glory, Les Premiers Hommes, Paris, Didier, 1952,
pp. 388-90.
[10] La supériorité de la flèche à
pointe de pierre a été pleinement démontrée par Saxton Pope, Hunting
with the Bow and Arrow, New York, Putnam, 1947.
[11] Wilhelm Schmidt, « The Injury
Done to the Study of Primitive Man by Evolutionary Preconceptions »,
dans Edward Eyre, dir. de publ., European Civilization, 7 vols.,
Oxford, Oxford University Press, 1934-38, 1:36-51. « Les artistes
paléolithiques », dit Moret, Histoire de l'Orient 1:23, « ont dû vivre
à une époque où ils pouvaient travailler de manière continue, en
sécurité et dans la permanence. » Nous pourrions les envier !
[12] P. van der Meer, The Ancient Chronology of Western Asia and Egypt, Leiden, Brill, 1947, p. 13.
[13] La 2e partie de « The World of the Jaredites », IE 54, octobre 1951, pp. 704-6, 752-55, commençait ici.
[14] Alfred Jeremias, Handbuch der altorientalischen Geisteskultur, Leipzig, Hinrich, 1913, pp. 33-34, 48, 51, 55-57, 92, 128.
[15] Hugh W. Nibley, « The Hierocentric State », WPQ 4, 1951, pp. 226-53.
[16] On trouvera les traitements
classiques de la tour dans Jeremias, Handbuch der altorientalischen
Geisteskultur, pp. 7, 85-86, 149-50, 230, 236, 275, 286-89, 319, citant
de nombreuses autorités; Alfred Jeremias, Das Alte Testament im Lichte
des Alten Orients, 3e éd., Leipzig, Hinrich, 1916, pp. 168-80; Theodor
Dombart, Der Sakralturm, Munich, Beck 1920; Dombart, « Der Babylonische
Turm », Das Alte Orient 29, 1930, Heft 2; Eric Burrows, « Some
Cosmological Patterns in Babylonian Religion », dans Samuel H. Hooke,
dir. de publ., The Labyrinth, Londres, Society for Promoting Christian
Knowledge, 1935, pp. 45-70, et en bas, n. 19.
[17] Enoch 6:2-8; The Book of Jasher
9:20-39; E. A. Wallis Budge, The Chronography of Bar Hebraeus, 2 vols.,
Oxford, Oxford University Press, 1932, 1:3-4.
[18] Hugh W. Nibley, « The Arrow, the Hunter, and the State », WPQ 2, 1949, pp. 339-40.
[19] Id., 339-43; cf. Wilhelm Nestle, « Legenden vom Tod der Gottesverächter », ARW 33, 1936, pp. 246-69.
[20] Le vague « devant l’Eternel » de
la Bible, "(Genèse 10:9) cache la véritable signification, rendue par «
contre l’Eternel » par les auteurs rabbiniques et les premiers auteurs
chrétiens; sur ce thème, voir Karl Preisendanz, « Nimrod », dans RE
17:624. Au sujet des crimes de Nimrod, voir Nibley, « The Arrow, the
Hunter, and the State », pp. 339-41.
[21] Sous la direction de Nimrod, les
hommes dirent: « Nous monterons au ciel, et nous le frapperons (Dieu)
avec des arcs et des lances; et Dieu connut toutes leurs œuvres… et il
vit la ville et la tour qu’ils construisaient », Jasher 9:20; cf. G.
Sale, The Koran, Philadelphie, Lippincott, 1870, p. 269. On signale la
même coutume et la même arrogance à propos des anciens Thraces,
Hérodote, Histoires IV, p. 94.
[22] Voir l’article « Nimrod », JE
9:309-11; cf. 1 Enoch 10:7-10 sur Azazel, le chasseur fou à qui « sont
attribués tous les péchés », qui « a conduit les anges dans leur
recherche des filles des hommes », etc. Preisendanz, « Nimrod », p. 624.
[23] Clément de Rome, Homilia (Homélie) IX, 3-5, dans PG 2:241-44.
[24] Chronicon Paschale 36, dans PG
92:145. Coran 16:5, 66; 33:70-72; 40:79 parle de la consommation
d’animaux. Cf. Chronicon Anonymi 3, dans PL 3:680
[25] Mahbub, (Agapius) of Menbij,
Alexandre Vasiliev, dir. de publ., Kitab al-Unwan, dans PO 5:631;
Budge, Chronography of Bar Hebraeus 1:8; à propos de Nimrod,
l’usurpateur qui « tua son père et prit sa mère pour épouse », Charles
M. Doughty, Travels in Arabia Deserta, New York, Random House, 1937,
2:32, p. 657.
[26] W. St. Chad Boscawen, « The Legend of the Tower of Babel », TSBA 5, 1876, pp. 303-12.
[27] A. J. Carnoy, Indian/Iranian Mythology, vol. 6 de Mythology of All Races, Boston, Marshall Jones, 1917, p. 321.
[28] Selon l’historien perse
Tha'labi, Kitab Qisas al-Anbiyya, Le Caire, Mustafa al-Babli al-Halabi
wa-Awladuhu, A. H., 1345, p. 33.
[29] Ad-Diyarbakri, Tarikh al-Khamis,
Le Caire, A. H., 1283, 1:67; Clément Huart et Louis Delaporte, L'Iran
antique, Paris, Michel, 1952, pp. 454-55.
[30] Preisendanz, « Nimrod », p. 626.
Kraeling, « The Earliest Hebrew Flood Story », p. 289, n. 28; Eduard
Meyer, Geschichte des Altertums, 5 vols., Stuttgart, Cotta, 1925-58,
vol. 2, pt. 2, pp. 31-32.
[31] O. Emin, Izsledovania i Statyi, Moscou, 1896, pp. 301-3.
[32] J’ai traité de ce sujet d’une
manière assez détaillée dans mon article « The Hierocentric State »,
WPQ 4, 1951, pp. 226-253. On trouvera un passage en revue de diverses
montagnes primordiales de ce genre dans Theodor H. Gaster, Thespis, New
York, Schuman, 1950, pp. 184-85, 169-71; H. R. Hall, « Notices of
Recent Publications », JEA 10, 1924, pp. 185-187.
[33] C. J. Gadd, Ideas of Divine Rule
in the Ancient East, Londres, Oxford University Press, 1948, pp. 1-3;
Dahhad-Jemshid en est un exemple typique, Carnoy, Indian/Iranian
Mythology, pp. 321-22.
[34] Jasher 7:39-46.
[35] Jeremias, Das Alte Testament im
Lichte des Alten Orients, 159-60, citant bin Gorion et le Pirke de R.
Eliezer; « Nimrod », JE 9:309; Preisendanz, « Nimrod », p. 627.
[36] La citation est tirée de Jasher
7:24-30; d’autres sont données dans « Nimrod », JE 9:309-11, cf.
Jeremias, Das Alte Testament im Lichte des Alten Orients, pp. 159-60.
[37] August F. von Gall, Basileia tou Theou, Heidelberg, Winter, 1926, p. 330, citant 2 Enoch 22:8.
[38] Robert Eisler, Iesous Basileus
ou Basileusas, 2 vols., Heidelberg, Winter, 1929-30, 2:33-38. Eisler,
33, cite la tradition que Jean-Baptiste portait l’habit de peau, 'or,
(Genèse 3:21) au lieu de l’habit de lumière originel, ('or) porté avant
la chute; divers cultes anciens, interdisant l’abattage d’animaux,
changèrent l’habit de peau en habit de poils, id., (Genèse 2:16, 34,
118-19), cf. Friedrich Dieterici, dir. de publ., Thier und Mensch vor
dem König der Genien, Leipzig, Hinrich, 1879; réimpression Hildesheim,
Olms, 1969, pp. 22, 97.
[39] Jean Chrysostome, Commentarius
in Sanctum Matthaeum Evangelistam, Commentaire sur Matthieu) 10, 4 dans
PG 57:188-89; ceci et la vie anonyme de Jean-Baptiste sont tous deux
cités dans Eisler, Iesous Basileus 2:36, n. 6. Selon le R. H. Charles,
Book of Jubilees, Jérusalem, Makor, 1972, 3:30-31, écrit au 2e s. av.
J.-C., dorénavant cité sous le nom Jubilés, « c’est à Adam seul qu’il
[Dieu] a donné pour couvrir sa honte... À cause de cela, il est
prescrit sur les tablettes célestes concernant tous ceux qui
connaissent le jugement de la loi, qu’ils doivent couvrir leur honte et
ne doivent pas se dénuder comme le font les païens. »
[40] Eisler, Iesous Basileus,
2:78-81; Josèphe, Histoirs ancienne des Juifs, 3:182-87, cf. Eusèbe,
Historia Ecclesiastica, (Histoire ecclésiastique) I, 6, dans PG
20:533-36.
[41] Eisler, Iesous Basileus, 2:35,
78, 109-10; von Gall, Basileia tou Theou, pp. 330-32, cit. Apocalypse
de Baruch grecque, (3 Baruch) Baruch 4:16; 1 Enoch 62:15; 2 Enoch 22:8;
"Apocalypse 3:4-5; " Apocalypse 16:11; les Mandéens croyaient que le
vêtement de Jean-Baptiste serait donné à tous ceux qui étaient admis au
salut, Eisler, Iesous Basileus, 2:33, cf. Odes de Salomon 25:8; et
l’écrit apostolique du 2e s. publié par Carl Schmidt, Gespräche Jesu
mit seinen Jüngern nach der Auferstehung, Leipzig, Hinrich, 1919, p.
72. Lié au baptismi vestamentum des premiers chrétiens, Tertullien, De
Baptismo, (Du baptême) p. 13, dans PL 1:1323, 1215).
[42] Voir ci-dessus, n. 7; cf. Joseph Poplicha, « The Biblical Nimrod and the Kingdom of Eanna », JAOS 49, 1929, pp. 304-5.
[43] Selon des auteurs apocryphes, la
véritable raison pour laquelle Abraham fut expulsé d’Egypte fut son
refus de faire l’échange. Dieterici, Thier und Mensch, 112; A. Wünsche,
Salomons Thron und Hippodrom Abbilder des Babylonischen Himmelsbildes,
Ex Oriente Lux 2, 3, Leipzig, Pfeiffer, 1906, p. 26. Il y a pas mal de
documentation égyptienne qui traite de cette coutume d’échange royal de
vêtements et d’honneurs, mais nous n’avons pas le temps d’approfondir
cela ici. Je voudrais simplement attirer l’attention sur le fait que
nous nous trouvons ici dans un monde de coutumes et de notions bien
établies, quelque bizarres qu’elles puissent paraître au profane.
[44] « Nimrod », JE 9:309: « Quand
les animaux virent [Nimrod] revêtu de ces habits, ils se couchèrent
devant lui, de sorte qu’il n’eut aucun mal à les attraper. »
[45] Jasher 27:2-13.
[46] Ci-dessus n. 29; les prêtres,
les membres de la famille royale et les morts égyptiens étaient tous
revêtus du vêtement classique de peau du sacredoce égyptien; cf. T. J.
C. Baly, « Notes on the Ritual of Opening the Mouth », JEA 16, 1930,
pp. 173-186. Le kaunakes des Sumériens était un vêtement épais de peau,
qui ne convenait absolument pas au climat de la Babylonie et a, pour
cette raison, été considéré comme la preuve que les Sumériens venaient
du nord, Moret, Histoire de l'Orient 1:21, n. 81; vs. George A. Barton,
« Whence Came the Sumerians? » JAOS 49, 1929, pp. 263-64. Montague R.
James, The Apocryphal New Testament, Oxford, Clarendon, 1924, p. 414;
cf. p. 412, on a trouvé, en 1939, sur les vêtements du roi, une
statuette d’ambre montrant le roi d’Assyrie portant les insignes du
souverain sacrificateur juif, « A Unique Example of Assyrian Sculpture:
A Portrait in Amber », ILN, 7 janvier 1939, p. 25.
[47] Plus tard, le prêtre égyptien ne
porta plus de « peau de léopard, mais une tunique serrante de lin fin
en forme de peau de léopard », H. R. Hall, « The Bronze Statuette of
Khonserdaisu in the British Museum », JEA 16, 1930, p. 1, cf. T. J. C.
Baly, « Notes on the Ritual of Opening the Mouth », 178. Les chrétiens
syriens disaient que le vêtement donné à Adam était en coton, la « peau
» de l’arbre, Eisler, Iesous Basileus, 2:34; ce point de doctrine,
disent-ils, n’était connu que de Moïse, « qui appelait le coton ‘peau’,
parce que parmi les arbres il prend la place de la peau » ; de là
l’idée que Jean-Baptiste tirait ses vêtements des arbres. Les Juifs
conservèrent des traces de l’ancien vêtement dans leurs phylactères et
dans les tsitsit, les quatre fils que tous les Juifs avaient autrefois
au bord de leur vêtement, Ferris J. Stephens, « The Ancient
Significance of Sisith », JBL 50, 1931, pp. 59-70. Comparez avec
l’Irham des musulmans dans John L. Burckhardt, Travels in Arabia, 2
vols., Londres, Colburn & Bently, 1831, 1:104-5, 163-64.
[48] Références dans Eisler, Iesous Basileus, 2:34, n. 11.
CHAPITRE DEUX : Le départ
La dispersion
Le livre d’Éther, dans sa description
du déracinement et de la dispersion, depuis la tour, d’une population
nombreuse, nous la montre s’en allant non pas individuellement mais par
groupes, et pas simplement des groupes de familles, mais des groupes
d’amis et d’associés : « tes amis et leurs familles, et les amis de
Jared et leurs familles » ("Éther 1:41). Il n’y avait pas de raison de
laisser la langue de Jared sans la confondre s’il n’y avait personne à
qui il pourrait parler, et son frère invoqua le Seigneur pour que ses
amis puissent également conserver la langue. Ceci s’appliquerait
néanmoins à n’importe quelle autre langue : si chaque personne devait
parler une langue rien que pour lui et partir tout à fait seul, les
races auraient été non pas simplement éparpillées mais tout à fait
annihilées[1]. Nous ne devons pas tomber dans le vice classique qui
consiste à lire dans les Ecritures des choses qui ne s’y trouvent pas.
Notre texte ne dit absolument pas que tout le monde s’est tout à coup
mis à parler une nouvelle langue. Il nous est dit dans le livre d’Éther
que les langues furent confondues avec et par la « confusion » du
peuple : « Invoque le Seigneur, dit Jared (Éther 1:34), afin qu’il ne
nous confonde pas de telle sorte que nous ne puissions comprendre nos
paroles » (italiques ajoutés). Cette précision est significative pour
plus d’une raison. Comment peut-on dire que « nous ne pouvons
comprendre nos paroles » ? Les mots que nous ne pouvons pas comprendre
peuvent être des syllabes qui n’ont pas de sens ou peuvent être dans
une langue étrangère, mais dans l’un ou l’autre cas, ce ne sont pas nos
paroles. La seule manière pour nous de ne pas comprendre nos propres
paroles c’est que des mots qui sont réellement les nôtres changent de
sens parmi nous. C’est exactement ce qui arrive lorsque les gens et par
conséquent les langues sont soit « confondus », c’est-à-dire mélangés,
soit éparpillés. Dans le récit d’Éther, la confusion des gens ne doit
pas être séparée de la confusion de leur langue ; elles sont, et ont
toujours été, un seul et même processus : le Seigneur, nous dit-on
(Éther 1:35-37), « ne confondit pas la langue de Jared ; et Jared et
son frère ne furent pas confondus... et le Seigneur eut compassion de
leurs amis et de leurs familles aussi, de sorte qu’ils ne furent pas
confondus ». Il est clair que « confondre », tel que le mot est utilisé
dans le livre d’Éther, doit être pris dans son sens véritable et
littéral de « déverser ensemble », « mélanger ensemble », si l’on se
rapporte à la prophétie qui se trouve dans (Éther 13:8, qui dit que «
Ie reste de la maison de Joseph sera édifié dans ce pays... et il ne
sera plus confondu », le mot signifiant ici mêlé à d’autres peuples,
culturellement, linguistiquement ou autrement.
Il y a encore une autre expression
biblique importante à laquelle notre texte apporte un éclaircissement
bienvenu : Éther ne dit pas que « toute la terre avait une seule langue
et les mêmes mots » (Genèse 11:1), mais il nous donne une indication
intéressante sur la manière dont il faut comprendre ce passage. Tout
comme « fils » et « descendant » sont le même mot en hébreu et peuvent
par conséquent être facilement confondus par des traducteurs (qui en
fait n’ont pas la possibilité de savoir, à part le contexte, dans quel
sens il faut comprendre le mot), de même « terre » et « pays » sont le
même mot, le eretz bien connu. Étant donné que le livre d’Éther, qui ne
parle que des Jarédites, note que « il n’y avait aucun des beaux jeunes
fils ni des belles jeunes filles sur la surface de toute la terre qui
se repentît de ses péchés » (Éther 13:17), il semblerait que
l’expression courante « toute la terre » (kol ha-aretz) de l’Ancien
Testament ne doive pas toujours être prise dans le sens de globe tout
entier. Il est certainement tout aussi légitime de penser que l’époque
de Péleg a été le moment où, comme le décrivent les vieux écrivains
juifs, « Ies enfants de Noé commencèrent à diviser la terre entre
eux[2] », que d’imaginer sans la moindre autorité la dérive des
continents ou le déchirement du globe terrestre. La première réaction
qu’a le lecteur d’un texte ancien et fragmentaire devient ordinairement
un credo qu’il garde toute sa vie, même si les recherches et la
révélation se sont combinées dans les derniers jours pour discréditer
cette solution évidente et facile des mystères. Lorsque nous
l’examinons, le livre d’Éther, comme 1 Néphi, a tout d’un récit sobre
qui s’en tient aux faits et n’a jamais été censé être un tremplin pour
l’imagination ; par exemple, notre document n’attribue pas la
dispersion du peuple, comme on pourrait le croire innocemment, à la
confusion des langues. Lorsque le frère de Jared eut été assuré de ce
que lui, son peuple et leur langue ne seraient pas confondus, la
question de savoir s’ils seraient chassés du pays restait encore à
résoudre : C’était un autre problème, et il est évident que la langue
qu’ils parlaient avait aussi peu à voir avec leur expulsion du pays
qu’avec leur destination. C’est quelque chose d’autre qui va chasser de
chez eux les Jarédites réticents. Qu’est-ce qui a pu les forcer à
partir ? Pour être sobre et fidèle aux faits, l’histoire n’a pas besoin
de se cantonner au monotone, au normal et au quotidien. La confusion et
la dispersion des gens de la tour ne fut pas l’évolution lente du
processus historique. Elle fut soudaine et terrible, et le livre
d’Éther donne l’indication la plus claire possible de ce qui l’a causée.
Mais ceci introduit un thème dont il m’est impossible de parler brièvement. Réservons-le pour une autre lettre.
Une note sur le temps[3]
Cher F.,
Il est réjouissant de savoir que vous
avez enfin lu le livre d’Éther et que vous avez découvert qu’il n’est
pas, en dépit de son nom, « du chloroforme en caractères d’imprimerie
». Le sujet que vous contestez maintenant, « le récit extravagant et
outré de la façon dont ils ont traversé l’océan », est celui-là même
auquel ma dernière lettre voulait en venir. Nous avons terminé, vous
vous en souviendrez, par l’observation que c’est quelque chose
d’effroyable qui a dû chasser les Jarédites du pays. Qu’était-ce ?
Les burans de l’Asie centrale sont
toujours terribles. Les voyageurs anciens et modernes racontent des
histoires presque incroyables mais uniformes sur ces vents terrifiants
qui déplacent presque quotidiennement d’énormes masses de sable, de
poussière et même de gravier d’une partie du continent à l’autre[4].
Les grands dépôts de lœss sur les bords orientaux et occidentaux de
cette vaste région témoignent de tempêtes de sable encore plus
terribles qui accompagnèrent la dessiccation du pays après l’époque
glaciaire. Mais c’est quand le climat du monde connaît un
bouleversement, comme cela a été le cas un certain nombre de fois dans
le cours de l’histoire, que les sables qui soufflent de l’Asie font
tomber de puissants empires en ruines, ensevelissent de grandes villes
presque du jour au lendemain et dispersent les tribus dans toutes les
directions pour envahir et submerger les civilisations plus favorisées
de l’Est et de l’Ouest. Le temps qu’il fait en Asie est le grand
mécanisme moteur central de l’histoire du monde. Ce n’est que ces
dernières années que les hommes ont commencé à faire le lien entre les
grandes migrations de l’histoire, ainsi que les guerres et les
révolutions qui les ont accompagnées, et ces grandes crises
climatiques, comme le grand vent et la sécheresse de 2300-2200 av. J.-C
et les inondations mondiales de 1300 av. J.-C, que nous savons
maintenant s’être produits dans le courant de l’histoire écrite[5].
Ceux qui étudient la société ont été à ce point hypnotisés par la
facilité avec laquelle tous les imprévus de la vie peuvent être
expliqués en fonction des principes de l’évolution, que la fureur des
éléments et l’effondrement des empires passent inaperçus dans leurs
graphiques et leurs manuels. Alors qu’ils ont sous les yeux des
exemples aussi visibles que le nez au milieu de la figure, ils
dédaignent néanmoins de reconnaître des choses aussi bassement
sensationnelles que les épidémies et les tremblements de terre, et ils
ne veulent pas non plus reconnaître la vitesse effrayante avec laquelle
les scènes de l’histoire du monde changent.
Sir Aurel Stein, dans son livre
Lou-Lan, a décrit les maisons et les rues désertes de cette ville se
trouvant exactement dans le même état qu’il y a quatorze siècles,
lorsque leurs habitants furent chassés par une sécheresse si soudaine
et si terrible que ni le bois des arbres fruitiers, ni les tissus les
plus délicats n’ont pourri depuis[6]. La grande ville d’Etsina fut tout
aussi soudainement abandonnée il y a six cents ans et ne fut retrouvée
qu’en 1908 : « Toute vie naturelle mourut. Les arbres de la forêt se
jetèrent sur le sol [parlant évidemment des vents terribles]... et il
s’éleva des tempêtes qui ensevelirent bientôt le pays sous le sable. »
Aujourd’hui encore, les arbres sont là non décomposés, « comme des
momies desséchées au soleil, morts, nus et gris... ils étaient étendus
par milliers sur une vaste région, qui était autrefois une forêt
ombragée... nous sommes passés devant d’autres ruines de fortifications
abandonnées, et avec d’étranges sensations, nous avons déterré des
objets qu’aucun être humain n’avait touché pendant plus de six cents
ans...[7] »
Le même voyageur qui raconte cela allait être témoin oculaire de la répétition de cette tragédie asiatique bien connue :
« Un jour, nous avons rencontré un
village sart abandonné où les digues nouvellement jetées et les
terrassements inachevés témoignaient de la lutte désespérée qu’avait
menée l’ancienne population pour retenir l’eau en voie de
disparition... Mais un jour était venu où il n’y avait plus eu d’eau.
Les animaux se tenaient près des points d’eau et cherchaient en vain de
l’humidité, les femmes pleuraient dans les maisons, et les hommes se
rassemblaient dans la mosquée pour prier Allah pour obtenir le miracle
qui seul pouvait sauver leurs nombreuses maisons [cf. Éther 1:38]. Mais
il ne se produisit pas de miracle ; le village n’obtint pas d’eau et,
dans la dernière extrémité de la famine, le peuple jeta ses possessions
les plus indispensables sur les chevaux et les ânes restants et quitta
rapidement ses foyers et le pays de ses pères pour suivre son aksakal
[l’ancien du village, cf. le frère de Jared] dans les terres brûlées
par le soleil à la recherche désespérée d’eau[8]. »
Le sort des malheureux vagabonds est
décrit en ces termes : « Plus tard, nous avons rencontré de temps en
temps de petits groupes de ces anciens paysans, qui, maintenant,
nomades malheureux, erraient dans les steppes. Les fugitifs avaient été
obligés de se répartir en petits groupes, puisqu’aucun cours d’eau ne
pouvait les desservir tous...[9] ».
N’est-ce pas là en miniature
l’histoire de la dispersion ? Vous savez comment les ancêtres des
Étrusques furent chassés d’Asie mineure par la sécheresse et se
dirigèrent vers l’ouest, à la recherche d’une terre promise. Ce n’était
pas simplement de l’eau que recherchaient ces gens, mais une terre
meilleure, et surtout de meilleurs pâturages. Dans l’épopée des Bani
Hilal, on nous montre comment l’une des plus grandes tribus arabes fut
chassée de chez elle par sept années de vents brûlants, et comment elle
chercha une terre promise, tout d’abord en Asie centrale et puis au
Maroc. C’est lorsque le reste du monde fut frappé de famine que
l’Égypte devint le refuge des patriarches, car « il y avait du blé en
Égypte ». Comme vous le savez, il y a deux points ou centres de
rayonnement classiques à partir desquels toutes les migrations de
l’Antiquité ont pris leur élan : le cœur de l’Asie et (à un bien
moindre degré) le désert arabe. N’est-il pas remarquable que les
migrations du Livre de Mormon prennent leur départ dans ces deux mêmes
centres ?
Vous devez dépasser l’idée que
l’histoire avance à un rythme lent et même majestueux. Ce n’est pas
vrai. La calamité soudaine qui s’est abattue sur un village asiatique
en 1927 a frappé maintes et maintes fois dans le passé, dispersant les
habitants de grandes capitales et les transformant en vagabonds sur la
terre, « et lorsque la tempête s’apaisait, les sables volants se
solidifiaient de nouveau, et les nomades terrifiés trouvaient la face
tout entière de la nature transformée en de nouvelles formes.[10] » Et
de toutes les nombreuses villes et de tous les nombreux empires
dispersés par une bouffée soudaine d’air brûlant, c’est Babel, la ville
de la tour, qui a laissé derrière elle le dépôt le plus riche de
légendes et de traditions.
Eusèbe, dans son Chronicon, qui,
chose surprenante, s’est révélé être une des sources les plus dignes de
confiance de l’histoire orientale ancienne, cite la Sibylle et lui fait
dire que « lorsque tous les hommes parlaient une seule langue, certains
d’entre eux construisirent une haute tour de manière à monter jusqu’au
ciel, mais Dieu détruisit la tour par des vents puissants[11] ». Deux
siècles plus tard, Théophile d’Antioche donne une version plus complète
de l’histoire, citant la Sibylle en vers : « Après le cataclysme, les
villes et les rois eurent un nouveau commencement, de cette manière. La
première ville de toutes fut Babylone... et un homme du nom de Nimrod
en devint le roi... comme à cette époque les hommes avaient tendance à
se disperser, ils se consultèrent au lieu de consulter le Seigneur, et
décidèrent de construire une ville et une tour dont le sommet
arriverait au ciel, de sorte que leur nom puisse être glorifié... Ainsi
parle la Sybille : Mais lorsque les menaces du grand Dieu
s’accomplirent, menaces dont il avait averti les mortels à l’époque,
ils construisirent une tour en pays assyrien. Ils parlaient tous
autrefois la même langue et voulaient monter aux cieux étoilés. Mais
immédiatement l’Immortel fit une forte pression sur les coups de vent,
de sorte que le vent renversa la grande tour et poussa les mortels à
lutter les uns contre les autres. Et lorsque la tour fut tombée, les
langues des hommes furent divisées en de nombreux dialectes, de sorte
que la terre se remplit de différents royaumes d’hommes[12]. « Le Livre
des Jubilés (2e s. av. J.-C.) dit comment « le Seigneur envoya un vent
puissant contre la tour et la renversa sur la terre, et voici c’était
entre Assur et Babylone dans le pays de Schinear, et ils lui donnèrent
le nom de ‘Renversement’[13]. » L’historien persan zélé et érudit
qu’était Tha’labi (mort en 1030 apr. J.-C.), rapporte que le peuple fut
dispersé de la tour par une sécheresse terrible accompagnée de vents
d’une telle vélocité qu’ils renversèrent même la tour[14]. « Quarante
ans après l’achèvement de la Tour », dit Bar Hebraeus, qui réunit une
vaste quantité de traditions en Asie centrale au treizième siècle, «
Dieu envoya un vent et la Tour fut renversée et Nemrodh y mourut[15].
La description de perturbations atmosphériques violentes accompagnées
de bouleversements sociaux, de la dispersion de tribus et d’un
changement de langues ne peut que remonter à un événement réel ; non
seulement c’est le genre de choses auquel on s’attendrait, mais on sait
aussi très bien que cela s’est produit maintes et maintes fois – il n’y
a aucune raison de douter qu’une grande ville appelée Babel ait connu,
il y a longtemps, le même destin que les gens de ‘Ad et Thamud, de
Lou-Lan, d’Etsingol ou des Nasamonéens[16].
Mais le Livre de Mormon ? Contraste
frappant avec l’histoire de Léhi, où les seules terreurs rencontrées au
cours du voyage par terre et par mer étaient normales et familières, y
compris un typhon, nous avons dans l’histoire de la migration jarédite
un état de choses très insolite. Le Seigneur commanda à Néphi de
construire « un bateau », un bateau ordinaire, dont ses frères étaient
certains qu’il ne pourrait jamais le finir. Pourtant le bateau fut
terminé et la famille mit à la voile. Les frères de Néphi, en dépit de
toutes leurs moqueries, n’eurent apparemment pas de commentaires
méprisants à faire sur le genre de bateau qu’il construisait. Nous en
concluons que c’était, comme on l’appelle à diverses reprises,
simplement « un bateau », quoique, étant terrien, Néphi eut besoin
d’être spécialement guidé (1 Néphi 17:8). Or le peuple de Léhi dut
traverser au moins deux fois et probablement trois ou quatre fois plus
d’eau que les Jarédites, et un navire ordinaire lui suffit pour cela.
Mais les barques de Jared étaient des navires tout à fait
extraordinaires. Le Seigneur donna au constructeur des instructions
spéciales pour tous les détails. Elles devaient être submersibles et
cependant flotter très légèrement à la surface des vagues. « Elles
étaient petites, et elles étaient légères sur l’eau » et cependant
construites de manière à résister à une pression terrible : «
extrêmement étanches », « étanches comme un plat », avec des trous
d’aération spéciaux et scellés que l’on ne pouvait pas ouvrir lorsque
la pression de l’eau à l’extérieur était plus grande que la pression
d’air à l’intérieur. Le Seigneur expliqua pourquoi il serait nécessaire
de construire de tels vaisseaux: parce qu’il était sur le point de
déchaîner des vents d’une violence incroyable qui, le moins qu’on en
puisse dire, feraient de la traversée un cauchemar effrayant. Toute
fenêtre, dit-il en guise d’avertissement, volera en éclats ; il ne sera
pas question de faire du feu ; « vous serez comme une baleine au milieu
de la mer; car les vagues montagneuses se jetteront sur vous... vous ne
pouvez traverser ce grand abîme sans que je ne vous prépare contre les
vagues de la mer, et les vents qui sont sortis, et les flots qui
viendront. »
« Que veux-tu donc que je prépare
pour vous, pour que vous ayez de la lumière lorsque vous serez
engloutis dans les profondeurs de la mer ? » (Éther 2:23-25). Il ne
s’agissait pas ici d’une traversée normale ni d’une tempête brève et
passagère... « le vent ne cessa jamais de souffler vers la terre
promise pendant qu’ils étaient sur les eaux » (Éther 6:8) – « Ie
Seigneur Dieu fit en sorte qu’un vent furieux soufflât sur la surface
des eaux... ils furent de nombreuses fois ensevelis dans les
profondeurs de la mer, à cause des vagues montagneuses qui déferlaient
sur eux, et aussi des grandes et terribles tempêtes qui étaient causées
par la violence du vent » (Éther 6:5-6; italiques ajoutés). Notre récit
montre d’une manière parfaitement claire que le groupe allait passer
pas mal de temps en dessous de la surface de la mer ! Il est évident
que des vents aussi phénoménaux et continuels ne peuvent avoir été une
simple perturbation locale, et nous pouvons supposer sans grande
crainte de nous tromper que le livre d’Éther nous décrit ces mêmes
super-vents que l’on dit avoir accompagné et peut-être causé la
destruction de la tour.
Le livre d’Éther nous dit clairement
qu’au moment de la dispersion le monde fut balayé par des vents d’une
violence colossale. Il y a trois sources principales qui permettent de
vérifier ceci : (1) les vieilles traditions concernant la tour, qui
mentionnent presque toujours les vents, (2) les études des
paléoclimatologues qui, coordonnées avec les documents historiques,
montrent que le monde a connu à diverses reprises des changements
climatiques catastrophiques dans les 6000 dernières années, par exemple
la grande sécheresse mondiale et les tempêtes de vent vers 2200 av.
J.-C, la terrible sécheresse de 1000 av. J.-C, les inondations
également violentes de 1300 av. J.-C et le Fimbulwinter de 850 av.
J.-C, etc., et (3) les comptes rendus historiques proprement dits de
lieux qui ont subi le même sort que Babel, montrant que ce n’est pas là
un événement fantastique mais véritablement caractéristique dans
l’histoire du monde. Un bon exemple de ce genre de document historique
est la Cosmographie de Qazwini, qui dit comment, au Moyen Âge, le grand
dôme de Bagdad, lequel « dôme était le symbole (‘alam) de Bagdad et la
couronne du pays, et la réalisation principale des fils d’Abbas »,
s’écroula pendant un grand vent de tempête. Les savants ont souvent
fait remarquer que la tour de Babel était justement l’un de ces
symboles de la puissance et de l’unité de ses constructeurs (Genèse
11:4)[17].
Non seulement la Bible ne fait pas
mention des vents, mais le Livre de Mormon lui-même le fait seulement
au passage, quoique très nettement, pour expliquer pourquoi les bateaux
jarédites furent construits comme ils le furent et en décrivant le
voyage par mer. Le fait même que ce détail soit simplement mentionné en
passant est un argument puissant en faveur de l’authenticité du récit.
La route de l’exil[18]
Partis de la plaine de Schinear, les
Jarédites se dirigèrent vers le nord et passèrent dans une vallée qui
doit son nom à Nimrod, le grand chasseur, et de là « dans cette contrée
où il n’y avait jamais eu d’homme » (Éther 2:5). Cela a dû les conduire
dans la région des grandes et larges vallées où le Tigre, l’Euphrate,
le Kura et l’Araks ont leur source, un « centre d’où rayonnent des
vallées et des routes auxquelles l’Euphrate doit son importance comme
grande route de pénétration commerciale et militaire[19] ». La présence
fréquente, dans cette région, du nom de Nimrod, que nous avons déjà
relevée, n’est peut-être pas sans importance véritable, car il n’est
pas de phénomène historique qui ait été démontré aussi formellement que
la ténacité extrême des noms de lieux. Dans de nombreux cas, les noms
de lieux encore utilisés parmi les paysans ou les nomades illettrés, se
sont révélés remonter aux temps préhistoriques.
Le point de savoir si le groupe est
parti vers l’est ou vers l’ouest à partir de la vallée de Nimrod n’est
pas d’importance majeure, quoiqu’un certain nombre de choses militent
en faveur d’un itinéraire vers l’est[20]. Il y a par exemple la grande
longueur du voyage : « Pendant ces nombreuses années nous avons été
dans le désert » (Éther 3:3); pareille situation implique non seulement
de vastes régions d’errance, mais un terrain favorable à des nomades
éleveurs de bétail et une « contrée où il n’y avait jamais eu d’homme
», conditions auxquelles les régions asiatiques se conforment beaucoup
mieux que les européennes. La chose la plus révélatrice, c’est le fait
que « Ie vent ne cessa jamais de souffler vers la terre promise pendant
qu’ils étaient sur les eaux; et c’est ainsi qu’ils furent poussés par
le vent » (Éther 6:8). Qu’ils soient partis des rivages de l’Orient ou
des rivages de l’Occident, les Jarédites devaient nécessairement
traverser l’océan entre le 30e et le 60e parallèle nord où les vents
dominants sont des vents d’ouest d’un bout à l’autre du monde. Puisque
la cause de ces vents se rattache à la révolution de la terre et au
froid relatif des régions polaires, on peut supposer que les mêmes
vents régnaient du temps de Jared que du nôtre. On ne peut évidemment
pas être trop dogmatique là-dessus, car le climat a changé au cours des
âges, et il se produit aussi des tempêtes anormales ; cependant, la
constance extrême du vent suggère fortement des vents dominants de
l’ouest et la traversée du Pacifique Nord, puisque, si les voyageurs
avaient tenté l’Atlantique, cela aurait signifié avoir constamment le
vent debout. La longueur du voyage par mer, 344 jours, ne nous dit rien
puisque les navires, quoique poussés par le vent, n’utilisèrent
apparemment pas de voiles : les ouragans presque perpétuels auraient
rendu les voiles impossibles même s’ils en avaient eu. Mais le fait que
le groupe resta presque un an sur l’eau, même avec les vents en poupe,
fait certainement penser au Pacifique et rappelle de nombreuses
histoires de jonques chinoises qui, au cours des siècles, ont été
poussées, sans rien pouvoir y faire, par le vent pour finir, après
avoir passé environ une année en mer, par s’échouer sur les plages de
la côte occidentale de l’Amérique[21]. En outre, nous ne devons pas
oublier qu’une montagne d’une « hauteur extrême » se trouvait près de
l’endroit de l’embarquement jarédite (Éther 3:1) et qu’il n’y a pas de
montagnes de ce genre sur la côte atlantique de l’Europe, comme il y en
a en de nombreux endroits du rivage asiatique. Mais à l’est comme à
l’ouest, de la Baltique au Pacifique, « du désert de Gobi et de la
frontière de la Corée au Danube inférieur et aux Carpates », un seul
mode de vie règne depuis l’aube de l’histoire, conditionné par un type
de terrain remarquablement uniforme[22]. Un certain nombre d’études
faisant autorité dans ce qu’on appelle l’Art des Steppes, et les
fouilles des Russes au cours des années récentes, ont confirmé les
suppositions les plus extravagantes quant à l’étendue, l’antiquité et
l’uniformité des cultures de la steppe. La culture keltéminaire
nouvellement découverte, par exemple, semble relier les unes aux autres
toutes les grandes langues de l’Europe et de l’Asie centrale en un
enchaînement préhistorique unique et vaste qui englobe non seulement la
famille indo-européenne mais aussi la touranienne et même les antiques
langues non aryennes de l’Inde[23]. L’Asie est le pays classique des
tribus et des nations errantes, avec un type commun de culture et de
société qui, comme nous le verrons, se retrouve parfaitement chez les
Jarédites.
Seul le livre d’Éther voit les
paysages maintenant secs et poussiéreux sous un aspect inattendu : « Et
il arriva qu’ils voyagèrent dans le désert et construisirent des
barques, dans lesquelles ils traversèrent de nombreuses eaux, étant
continuellement dirigés par la main du Seigneur. Et le Seigneur ne leur
permit pas de s’arrêter au-delà de la mer dans le désert, mais il
voulut qu’ils continuassent jusqu’à la terre de promission... » (Éther
2:6-7; italiques ajoutés). La traversée de nombreuses eaux en étant
constamment dirigés est surprenante, « Ia mer » en question n’étant
apparemment qu’une – quoique la plus redoutable – des nombreuses eaux à
traverser. Or, il est de fait que dans les temps anciens, les plaines
de l’Asie étaient couvertes de « nombreuses eaux » qui ont maintenant
disparu, mais dont l’existence a été signalée jusque bien avant dans
les temps historiques ; elles étaient évidemment bien plus abondantes
encore du temps de Jared. A l’époque d’Hérodote encore, le pays des
Scythes (région dans laquelle le peuple de Jared se rendit tout
d’abord) présentait de redoutables barrières d’eau à l’émigration : «
La face du pays était sans doute très différent de ce qu’il est
maintenant, dit Vernadsky, les fleuves étaient beaucoup plus profonds
et il restait encore de l’époque glaciaire de nombreux lacs qui se
transformèrent plus tard en marécages[24]. » En effet, la théorie émise
par Pumpelly sur le développement de la civilisation à partir de
cultures oasiennes présuppose l’existence de vastes mers intérieures,
maintenant disparues, mais dont l’existence a été bien attestée même
jusque dans les annales chinoises qui parlent de « vastes étendues
d’eau, dont le Lob Nor et d’autres lacs rétrécis et petits lacs
saumâtres de montagne sont tout ce qui en reste[25] ». L’assèchement
constant du cœur de l’Asie depuis la fin de la dernière époque
glaciaire est un des faits de base de l’histoire, et certains experts
le considèrent même comme la source de l’histoire du monde. Mais c’est
une découverte relativement récente. Celui qui a écrit le livre d’Éther
a montré une perspicacité remarquable en mentionnant des eaux plutôt
que des déserts le long du chemin des émigrants, car la plupart des
déserts sont d’origine très récente, tandis que presque toutes les eaux
antiques ont complètement disparu. Il nous suffit de nous souvenir que
Sven Hedin a découvert qu’il y a des lacs qui se déplacent
littéralement en Asie centrale !
[1] Parmi les traditions de la
dispersion, on trouve aussi la tradition du juste dont la langue n’a
pas été changée. Certains rabbins, dit Bar Hebraeus, dans E. A. Wallis
Budge, The Chronography of Bar Hebraeus.
[2] Jubilés 8:8.
[3] La 3e partie de « The World of the Jaredites », IE 54, novembre 1951, pp. 786-87, 833-35, commençait ici.
[4] Jean de Pian de Carpini commence
son récit de ses voyages en Asie Centrale au 13e siècle en décrivant
ces vents, dans Manuel Komroff, dir. de publ., Contemporaries of Marco
Polo, New York, Liveright, 1928, p. 4. Des explorateurs modernes tels
que G. N. Roerich, Trails to Inmost Asia, New Haven, Yale University
Press, 1931, p. 49, les mentionnent à diverses reprises, p. ex.: « Nous
approchions du grand bassin désertique de l’Asie intérieure et chaque
souffle de vent apportait de la poussière provenant de sa vaste étendue
de sable », pp. 110, 193-95, 404, etc.
[5] On pourra trouver un bon
traitement général des grands changements climatiques de l’histoire
ancienne dans C. E. P. Brooks, Climate Through the Ages, Londres, Benn,
1926); A. R. Burn, Minoans, Philistines, and Greeks, New York, Knopf,
1930); Christopher Dawson, The Age of the Gods, Londres, Murray, 1928;
J. L. Myres, « The Ethnology and Primitive Culture of the Nearer East
and the Mediterranean World », dans Edward Eyre, dir. de publ.,
European Civilization, 7 vols., Oxford, Oxford University Press,
1934-38, 1:94-95, 103; J. B. S. Haldane, « A Biologist Looks at England
», Harpers 175, August 1937, pp. 286; V. Gordon Childe, New Light on
the Most Ancient East, New York, Praeger, 1953, ch. 2.
[6] Aurel Stein, Serindia, 5 vols.,
Oxford, Clarendon, 1921; réimpression Delhi, Matilal Banarsidass,
1980-83, 1:369-449; Aurel Stein, Innermost Asia, 3 vols., Oxford,
Clarendon, 1928, 1:214-16.
[7] Henning Haslund, Men and Gods in Mongolia, New York, Dutton, 1935, pp. 106-10.
[8] Id., pp. 176-77.
[9] Id., p. 177.
[10] Id., p. 106.
[11] Eusèbe, Chronicorum I, 4, dans PG 19:116
[12] Théophile d’Antioche, Ad
Autolycum II, 31, dans PG 6:1101; virtuellement le même texte dans les
Livres Sibyllins, 3:98-107, dans R. H. Charles, Apocrypha and
Pseudepigrapha of the Old Testament, 2 vols., Oxford, Clarendon, 1912,
2:380-81. On trouve l’idée que la tour fut construite expressément pour
unifier le genre humain qui avait tendance à se disperser, dans Livres
Sibyllins, 5:423: « touchant les nuages eux-mêmes et vue de tous, pour
que tous les fidèles et tous les justes puissent voir la gloire du Dieu
invisible ». Emil G. Kraeling, « The Earliest Hebrew Flood Story », JBL
66, 1947, p. 283, dit à propos de cette idée: « C’est là une
philosophie primitive et pourtant profonde concernant la nature de la
ville orientale. » Le point de savoir si Babel était une tour ou une
ville est un détail, id., pp. 280-83, puisque les deux vont normalement
de pair. Malgré tout, Dieu a maudit le projet parce qu’il était
entrepris par les hommes de leur propre chef, sans le consulter: «
Malheur à toi, Babylone, au trône d’or et aux sandales d’or, toi qui
pendant maintes années fus reine, seule souveraine du monde, autrefois
si grande et si cosmopolite », Livres Sibyllins 5:434-5.
[13] Jubilés 10:26.
[14] Tha'labi, Qisas al-Anbiyya, p. 43.
[15] Budge, Chronography of Bar Hebraeus, 1:8.
[16] Pour 'Ad et Thamud, R. A.
Nicholson, A Literary History of the Arabs, Cambridge, Cambridge
University Press, 1930, pp. 1-3; Hérodote, Histoires II, 31-32. La
soudaineté de la chute de Babylone, maîtresse du monde, a laissé une
impression indélébile dans l’esprit des hommes, qui ont appliqué le nom
de cette ville comme « mot de code » à toutes les métropoles mondiales
condamnées depuis lors, p. ex., Rome, Alexandrie.
[17] Le passage est dans E. Harder, Arabische Chrestomathie, Heidelberg, Goos, 1911, p. 166.
[18] La 4e partie de « The World of
the Jaredites », IE 54, décembre 1951, pp. 862-63, 946-47, commençait
ici. A l’origine, cette livraison commençait par le paragraphe suivant,
dont le contenu de base apparaît au dernier paragraphe de la section
précédente: « Ainsi, vous pensez que mon récit du Grand Vent est un peu
tiré par les cheveux. Je ne prétends pas que la tour a été renversée
par le vent, je relève simplement que les anciens avaient une tradition
très anciennne, répandue et persistante que sa chute s’est accompagnée
de grands vents. Je relie cela à la description des vents dans le Livre
d’Ether. Toutefois, pour vous montrer que pareille chose est possible,
je vous propose un parallèle historique. Qazwini, dans sa Cosmographie,
dit que le grand dôme de Bagdad était un signe et un symbole de la
puissance et de l’unité du pays. Les spécialistes ont souvent fait
remarquer que la Tour de Babel était un symbole du même genre. Qazwini
nous apprend en outre que ce grand édifice fut détruit par un vent
terrible – du moins, il dit qu’il tomba pendant un ouragan et nous
laisse tirer nos conclusions. »
[19] Alexandre Moret, Histoire de l'Orient, 2 vols., Paris, Presses Universitaires, 1929-36, 1:306.
[20] Voir appendice 1
[21] Voir Charles E. Chapman, A History of California: The Spanish Period, New York, Macmillan, 1926, pp. 21-30.
[22] La citation vient de Louis
Marin, préface à G. N. Roerich, Trails to Inmost Asia, New Haven, Yale
University Press, 1931, p. ix.
[23] V. Altman, « Ancient Khorezmian
Civilization in the Light of the Latest Archaeological Discoveries,
1937-1945 », JAOS 67, 1947, pp. 81-85.
[24] George Vernadsky, Ancient
Russia, New Haven, Yale University Press, 1943, pp. 15-16. Au 12e s.,
il était possible d’empêcher les invasions du grand royaume d’Asie
Centrale, le Khwarazm en inondant le pays, Karl A. Wittfogel et Fêng
Chia-Shêng, « History of Chinese Society Liao », TAPS 36, 1946, p. 647.
[25] Raphael Pumpelly, Explorations in Turkestan, 2 vols., Washington, Carnegie Institution, 1908, 2:286; cf. 1:66, 70-75
CHAPITRE TROIS : Jared dans les steppes
Le peuple en marche
Le récit de « la traversée des
plaines » par Éther est une idylle asiatique. Il n'y manque rien
d'essentiel. Tout d'abord, la steppe est noire de « troupeaux, mâles et
femelles, de toute espèce » et si nous y regardons de plus près, la
volaille, le poisson et même les abeilles et « les semences de toute
sorte » ne manquent pas. En outre, le frère de Jared reçoit le
commandement d'admettre dans sa compagnie ceux qu'il a envie d'emmener
: « ... et aussi Jared, ton frère, et sa famille; et aussi tes amis et
leurs familles, et les amis de Jared et leurs familles » (Éther 1:41).
Voilà encore un contraste frappant avec l'histoire de Léhi :
contrairement aux gens des sables, ces anciens ne constituent pas leurs
sociétés sur la base de la parenté par le sang. Les amis de Jared et
les amis de son frère sont deux groupes séparés, ce qu'ils ne seraient
pas s'ils étaient parents. Apparemment, quiconque est un ami est un
partisan et membre de la tribu, et cette règle, chose significative,
est la loi fondamentale de la société asiatique depuis les temps les
plus anciens connus, lorsque la formule « je les ai comptés parmi mon
peuple » était appliquée à tous les peuples qu'un roi pouvait
soumettre, quelles que fussent leur race ou leur langue[1].
Toutes ces familles, avec leurs
troupeaux et leurs bagages, traversèrent les vallées et partirent dans
les plaines dans l'intention et l'espoir de devenir « une grande nation
» et de trouver une terre promise; toutes choses en quoi ils sont des
nomades asiatiques typiques de la vieille école, comme le montreront
quelques exemples.
Ammianus Marcellinus, écrivant au
quatrième siècle de notre ère, compare les Alains en marche à « une
ville mouvante ». Tous les peuples de l'Asie émigrent de la même façon,
explique-t-il, en poussant devant eux de vastes troupeaux, montés à dos
de bête, leur famille et leur mobilier suivant dans de grands chariots
tirés par des bœufs. En dépit de leur richesse en bétail, dit Ammianus,
ils chassent et pillent en chemin[2]. Les Huns, qui battirent et
supplantèrent les Alains, conservèrent les mêmes coutumes, comme le
firent à leur tour leurs successeurs, et ainsi de suite[3], jusqu'à ce
qu'au treizième siècle, William de Rubruck, voyageant comme espion et
observateur pour Louis IX de France, utilise presque les mêmes mots
qu'Ammianus : « Le lendemain nous rencontrâmes les charrettes des
Scacatai chargées de maisons, et je pensai qu'une grande ville venait à
ma rencontre. Je m'étonnai également en voyant les immenses troupeaux
de bœufs, de chevaux et de moutons[4]. » Dans notre siècle, Pumpelly
décrit comment « mille familles kirghizes descendirent des défilés des
environs, leurs longues caravanes de chameaux caparaçonnés et
surchargés de richesses nomadiques, et chaque caravane avec ses
troupeaux de moutons et de chèvres, de chameaux, de bétail et de
chevaux...[5] ». Notez que les troupeaux de tous ces gens se
composaient de toutes les espèces d'animaux, ce qui est pour nous un
mélange presque inconcevable : « des troupeaux de toute sorte », dit
Éther, qui semble savoir de quoi il parle. Si vous voulez remonter dans
le temps, vous trouverez à une époque bien plus lointaine d'Ammianus
que lui ne l’est de la nôtre, les annales des rois assyriens
fourmillant des mêmes immenses troupeaux de bétail, de moutons, de
chevaux, de chameaux et d'êtres humains, le tout pêle-mêle et
traversant les plaines soit comme prisonniers de conquérants puissants,
soit comme chercheurs d'évasion et de sécurité dans une terre
promise[6]. C'est un tableau touchant et tragique que celui des tribus
errantes cherchant éternellement de nouvelles patries, des terres
promises où elles pourraient s'établir et devenir de « grandes nations
». Presque sans exception, ces gens, si terribles qu'ils nous
apparaissent, à nous, ou aux tribus plus faibles qui se trouvaient sur
leur chemin, étaient en réalité des réfugiés qui avaient été chassés de
leurs fermes et de leurs pâturages d'origine par la pression d'autres
tribus encore, qui, en fin de compte, avaient été obligées de partir
par la nécessité commune que les conditions climatiques imposent de
temps en temps aux usagers des herbages marginaux et sous-marginaux[7].
Si les Jarédites mélangeaient leur
bétail, ils semblent également avoir mélangé leurs métiers et,
pourrait-on bien se demander, quels étaient-ils : chasseurs, bergers ou
fermiers ? Vous pourriez poser la même question à propos d’une
quelconque société asiatique normale et obtenir la même réponse : ils
sont les trois. McGovern fait remarquer à diverses reprises que les
tribus des steppes ont en tout temps été à la fois des chasseurs, des
bergers et des fermiers[8]. Et dans mes récentes études sur l'État,
j'ai montré qu'ils étaient par-dessus le marché les premiers bâtisseurs
de villes. Toutes les tribus dont nous venons de parler, par exemple,
étaient des chasseurs experts, bien qu’aucune d'elles ne manquât
d'animaux en abondance. Un cas typique est celui des Mandchou-Solons
qui, lorsque la peste détruisit leurs troupeaux, se lancèrent dans
l’agriculture, et cependant ils « ne labourent pas plus que la faim ne
les y oblige et, les années où le gibier est abondant, ils ne labourent
pas du tout[9] », c'est-à-dire que ce sont des chasseurs, des éleveurs
ou des cultivateurs selon que l'exigent ou le permettent les
conditions. Veillons donc à ne pas trop simplifier notre image de ce
qu'était la vie dans les premières civilisations et concevoir des idées
à la Cecil B. De Mille à propos d'une situation « primitive » qui n'a
jamais existé.
Ce qui est remarquable, c'est que
toute mention de troupeaux de quelque espèce que ce soit est
manifestement absente de l'histoire de Léhi, bien que celle-ci soit
racontée avec force détails. Quel contraste surprenant ! Un groupe
fuyant Jérusalem en secret pour mener une vie de chasse et de maquis
dans le désert et mourant presque de faim, l'autre acceptant les
volontaires, pour ainsi dire de tous les côtés, dans une sorte de front
massif, poussant devant lui d'innombrables animaux et emportant tout
depuis les bibliothèques jusqu'aux ruchers et aux réservoirs de
poissons ! Il serait difficile de concevoir deux types de migration
plus diamétralement opposés, et cependant chacun correspond
parfaitement aux us et coutumes rapportés au cours de l'histoire pour
la partie du monde dans laquelle le Livre de Mormon le situe.
Mais comment les Jarédites ont-ils pu
emporter tout ce matériel ? De la même manière que les autres
Asiatiques l'ont toujours fait : dans des chariots. Et quels chariots !
« Mesurant un jour l'écartement entre les ornières marquées par les
roues d'un de leurs chariots, rapporte William de Rubruck, j’ai
découvert qu'il était de six mètres... J’ai compté vingt-deux bœufs
dans un attelage, tirant une maison sur un chariot... l'essieu du
chariot était de taille énorme, comme le mât d'un navire[10]. » Marco
Polo a vu les maisons des Tartares montées « sur une sorte de chariot à
quatre roues[11] ». Dix-sept cents ans avant Marco Polo, Xénophon a vu,
sur les plaines d'Asie, d'énormes chariots tirés par huit couples de
bœufs[12], et mille ans plus tôt encore on nous raconte comment les
Philistins entrèrent en Palestine avec leurs familles et leurs
possessions chargées sur d'immenses véhicules aux roues pleines tirées
par quatre bœufs[13]. Aujourd'hui encore, ce genre archaïque de chariot
survit dans les immenses chariots cérémoniels de l'Inde et les énormes
voitures dans lesquelles des hommes de la plaine tels que les Buriats
transportent leurs dieux à travers les steppes[14]. Mais pouvons-nous
dire que le chariot peut être aussi vieux que les Jarédites ?
Selon toute probabilité, oui. Nous
avons maintenant quelques échantillons d'une telle antiquité qu'on
arrive à portée de voix du déluge lui-même, et que ces véhicules ont
déjà acquis la forme et la perfection qu'ils vont garder sans
altération profonde pendant des milliers d'années. Les attelages et les
chariots des tombes royales d'Ur, le char d'el-Agar trouvé en 1937, la
voiture de Khafaje, les ornières de chariots préhistoriques visibles
partout, tout cela va dans le sens de la grande antiquité du chariot et
de son origine en Asie centrale[15]. Le dernier véhicule cité, datant
du quatrième millénaire av. J.-C., était tiré par des chevaux et
justifie Gertrud Hermes dans sa conclusion que le cheval n'était pas
seulement connu « mais véritablement utilisé, du moins dans certains
endroits, comme animal de trait avec des chars de guerre » à une date
étonnamment reculée[16].
H. G. Wells a fait un jour une
description frappante d'un homme primitif se balançant au bout d'une
branche et atterrissant à sa grande surprise sur le dos d'un cheval
occupé à paître qui par hasard passait sous son arbre. Pareil
événement, croit-il, expliquerait très logiquement la découverte de
l'art de la cavalerie. C'est bien possible, mais ce n'est pas ainsi que
cela s’est passé, selon le consensus auquel on est parvenu
actuellement, qui est que « partout la traction a précédé le
chevauchage ». Mieux encore, McGovern raconte comment, à une date
relativement récente, « Ies Scythes et les Sarmates ont eu l'idée
brillante et originale de monter l'animal qu'ils avaient longtemps eu
l'habitude de conduire[17] ». On s'accorde généralement à dire que les
véhicules tirés par des bœufs étaient plus anciens que ceux tirés par
des chevaux, mais les uns et les autres remontent au quatrième
millénaire av. J.-C., et bien qu'il ait été possible aux Jarédites
d'aller à pied, comme les Mongols eux-mêmes au sixième siècle av. J.-C.
encore, il ne leur aurait pas été possible dans de telles circonstances
d'emmener des cages, des ruches et des réservoirs de poissons. Il n'y a
pas la moindre objection à ce qu'ils aient utilisé des chariots,
surtout du fait que les animaux ne manquaient pas pour les tirer.
À propos de Deseret[18]
Cher professeur F.,
Le personnage de loin le plus
intéressant et le plus attrayant du convoi de Jared est deseret,
l'abeille. Nous ne pouvons passer à côté de cet insecte sans jeter un
coup d'œil sur son nom et sa signification possible, car notre texte
manifeste pour deseret un intérêt qui dépasse de loin le respect auquel
a droit l'exploit de transporter des insectes, aussi remarquable que
cela soit. Le mot deseret, nous dit-on (Éther 2:3), « par
interprétation, est une abeille », le mot venant clairement de la
langue jarédite, puisque Éther (ou Moroni) doit l'interpréter. Or,
c'est là une coîncidence remarquable que le mot deseret, ou quelque
chose qui y ressemble très fort, ait joui d'une position rituelle
importante parmi les fondateurs de la civilisation égyptienne
classique, qui l'associaient de très près au symbole de l'abeille. Le
peuple, l'auteur de la Seconde Civilisation, comme on l'appelle, semble
être entré en Égypte depuis le nord-est dans le cadre de la même grande
expansion de peuples qui envoya les créateurs de la civilisation
babylonienne classique vers la Mésopotamie[19].
Nous voyons donc les fondateurs des
deux principales civilisations-mères de l'Antiquité entrer dans leur
nouvelle patrie au même moment environ, venant d'un centre commun,
apparemment ce même centre d'où les Jarédites partirent, eux aussi,
mais nous en reparlerons plus tard. Ce qui nous intéresse ici, c'est
que les pionniers égyptiens apportaient de leur patrie asiatique un
culte et un symbolisme complètement développés[20]. Il semble qu'un de
leurs principaux objets de culte ait été l'abeille, car le pays qu'ils
colonisèrent d’abord en Égypte prit dorénavant le nom de « pays de
l'abeille » et était désigné dans l'écriture hiéroglyphique par l'image
d'une abeille, et d'autre part tous les rois d'Égypte, « en leur
capacité de roi de la Haute et de la Basse Égypte » portaient le titre
: « ceIui qui appartient au roseau et à l'abeille[21] ». Dés le début,
les spécialistes des hiéroglyphes se sont demandé quelle valeur de son
il fallait donner à l'image de l'abeille[22]. Selon Sethe, dès le
Nouvel Empire, les Égyptiens eux-mêmes avaient oublié le mot
originel[23], et Grapow dit que le titre honorifique qu’est celui de
l'abeille est « illisible[24] ». N'est-il pas étrange qu'un mot aussi
courant et aussi important ait été oublié ? Que s’est-il passé ?
Quelque chose qui n'est pas rare du tout dans l'histoire du culte et du
rituel, à savoir le fait que l'on évitait ou interdisait délibérément
de prononcer le mot sacré. Nous savons que le signe de l'abeille
n'était pas toujours écrit mais que, « pour des raisons
superstitieuses, on lui substituait[25] » parfois l'image de la
Couronne rouge, la majesté de la Basse Égypte. Si nous ne connaissons
pas le nom original de l'abeille, nous connaissons le nom de cette
Couronne rouge, le nom qu'elle portait lorsqu'elle fut substituée à
l'abeille. Ce nom était dsrt (on ne connaît pas les voyelles, mais nous
pouvons être sûrs qu'elles étaient toutes brèves; le « s » de dsrt
avait un son fort, dont la meilleure représentation serait peut-être «
ch », mais désigné par un caractère spécial, un « s » surmonté d'un
minuscule coin par lequel les Égyptiens désignaient à la fois leur pays
et la couronne qu'ils servaient. Maintenant lorsque la couronne
apparaît à la place de l'abeille, on l'appelle parfois bit «
abeille[26] », et cependant l'abeille, bien qu'étant l'équivalent exact
de la couronne, n'est jamais, en vertu du même principe, appelée dsrt.
Ceci révèle certainement un refus délibéré de le prononcer, surtout
parce que dsrt veut dire également « rouge », mot spécialement
applicable aux abeilles. Si les Égyptiens ne tenaient pas à dessiner
l'image de l'abeille « pour des raisons superstitieuses », ils
hésiteraient certainement à prononcer son vrai nom. Dans le sens de «
rouge », on pouvait prononcer le mot sans crainte, mais jamais dans le
sens de « abeille ». Un parallèle bien connu saute immédiatement aux
yeux. À ce jour, personne ne sait comment il faut prononcer le nom
hébreu de Dieu, YHWH, parce qu'aucun bon Juif n'oserait le prononcer
même s'il le savait, mais au lieu de cela, lorsqu'il voit le mot écrit,
il lui substitue toujours un autre mot, Adonaï, pour éviter de
prononcer le son terrible du Nom. Cependant, la combinaison des sons
HWH est une racine verbale très courante en hébreu et comme telle
constamment utilisée. Il y a d'autres exemples de substitution de ce
genre-là en hébreu, et il a dû y en avoir beaucoup dans les
hiéroglyphes qui, comme le fait remarquer Kees, sont en réalité un
langage à double sens.
Il y a un autre fait remarquable qui
montre aussi que les Égyptiens évitaient délibérément d'appeler
l'abeille deseret tout en appliquant le nom aux choses qu'elle
symbolisait et même qui lui étaient substituées. Le symbole de
l'abeille se répandit dans d'autres directions à partir de sa patrie
d'origine, quelle qu'elle ait été, jouissant d'une place éminente dans
les mystères royaux des Hittites, apparaissant dans cette archive
vivante de la préhistoire qu'est le Kalevala et survivant même dans les
rites pascals de certaines nations. Partout ici, l'abeille est l'agent
grâce auquel le roi ou héros mort ressuscite d'entre les morts, et
c'est en relation avec cela que l'abeille figure aussi dans les rites
égyptiens[27]. Or, le peuple originel de « deseret », les fondateurs de
la Seconde Civilisation, « Ies intellectuels d'On » prétendaient que
leur roi, et lui seul, possédait le secret de la résurrection. C'était
là en fait la pierre angulaire de leur religion; ce n'était rien moins
que « Ie secret du roi », le pouvoir sur la mort par lequel il détenait
son autorité tant parmi les hommes que dans l'au-delà[28]. Si l'abeille
avait un rôle quelconque dans les rites profondément secrets de la
résurrection royale de l'Ancien Empire – et comment pourrions-nous
autrement expliquer sa présence dans les versions ultérieures et plus
populaires des mêmes rites ? – on comprend pourquoi son nom et son
office véritables ont été soigneusement cachés du monde. En outre, le
fait que la couronne de dsrt est la « couronne de l'abeille » est, me
semble-t-il, clairement indiqué par l'élément le plus frappant de la
couronne, à savoir la longue antenne qui sort de sa base et qui, dans
les dessins les plus anciens ne se termine pas par une boucle savamment
tracée comme plus tard, mais ressemble exactement aux antennes
extrêmement longues et bien visibles des plus anciennes abeilles
hiéroglyphiques. Certains entomologues ont prétendu que le signe de
l'abeille n'est pas une abeille du tout, mais un frelon, et certains
égyptologues l'ont en conséquence lu dans ce sens; mais cela ne fait
que rendre l'affaire plus mystérieuse puisqu'elle laisse les Égyptiens
friands de miel sans mot pour abeille, indiquant que le nom était
soumis à une censure totale. Je suis personnellement persuadé que la
désignation archaïque et rituelle de l'abeille était deseret, un « mot
de pouvoir » trop sacré pour être confié au vulgaire, étant une des
clefs du « secret du roi ».
Dans certaines éditions du Livre de
Mormon, bien que pas dans la première, le mot deseret a une majuscule,
car les éditeurs ont reconnu que c'est en réalité un titre, « qui, par
interprétation, est une abeille », tout à fait distinct des « essaims
d'abeilles » qui furent également emmenés. Dans ce cas, on pourrait
être justifié, mais nous n'y insisterons pas, si on voyait en Deseret
le symbole national ou pour ainsi dire le totem du peuple de Jared[29],
puisque l'auteur de nos annales semble y attacher une importance toute
particulière. Àtravers les brumes de la préhistoire, il nous semble
vaguement distinguer les tribus s'éloignant d'un centre commun quelque
part au nord de la Mésopotamie pour implanter une civilisation comme
dans diverses régions de la terre. « Toutes les grandes migrations,
sans aucune exception, écrit Eduard Meyer, qui ont à plusieurs reprises
dans le cours de l'histoire du monde changé la face du continent
eurasiatique... se sont dirigées vers les régions lointaines de l'ouest
à partir d'un point d'Asie centrale[30]. » Et de toutes ces grandes
vagues d'expansion, les plus importantes se déplaçaient sous l'égide de
l'abeille donneuse de vie.
Nous n'avons toutefois pas besoin de
nous lancer dans des conjectures pour présenter des arguments
intéressants à propos de deseret. Énumérons les faits connus et
restons-en là. (1) Les Jarédites, dans leurs errances, ont emporté «
une abeille » qu'ils appelaient dans leur langue deseret, aussi bien
que « des ruches d'abeilles ». (2) Les fondateurs de la Seconde
Civilisation d'Égypte avaient l'abeille comme symbole de leur pays, de
leur roi et de leur empire auxquels ils appliquaient la désignation
deseret ou quelque chose de très apparenté[31]. (3) Ils n'ont jamais
appelé l'abeille elle-même dsrt, mais le signe qui est souvent « pour
des raisons superstitieuses » écrit à sa place est désigné par ce nom.
(4) Le signe de l'abeille était toujours considéré par les Égyptiens
comme très sacré : « En tant que déterminant, dit Sethe, il est
significatif de remarquer qu'il est toujours placé avant n'importe
lequel des autres...[32] ». Comme on le sait bien, cette priorité est
la prérogative des objets les plus sacrés dans la rédaction des
hiéroglyphes. Son caractère extrêmement sacré et son rôle de rituel
strictement secret expliquent amplement, pour ne pas dire exigent, la
volonté de ne pas exprimer son vrai nom dans la lecture des textes.
Pour en venir aux temps modernes, le
moins que l'on puisse dire, c'est que c'est une coïncidence très
parlante que quand le peuple du Seigneur a émigré vers une terre
promise en ces derniers jours, il a appelé le pays Deseret et a choisi
l’abeille comme symbole de sa société et de son gouvernement. Le Livre
d'Éther est bien entendu directement responsable de ceci, mais il est
difficile de voir comment le livre a pu produire une répétition aussi
frappante de l'histoire sans avoir lui-même une base historique réelle.
Lorsqu'un document historique d'une période quelconque cite des
personnes et des institutions qui ont véritablement existé, il est
toujours supposé que le document, du moins en ce qui concerne ces
choses, a des liens authentiques avec le passé. Deseret et l'abeille
semblent toutes deux parfaitement chez elles dans le monde
crépusculaire de la préhistoire, se cachant et s’expliquant
alternativement l'une l'autre, mais jamais très éloignées l'une de
l'autre. Les nombreux liens et parallèles qui doivent finalement
éclaircir la question attendent encore d'être examinés. Qu'il suffise
pour le moment de montrer que ces indices existent réellement.
En tant que naturaliste, vous
protesterez certainement ici en disant que l'abeille était inconnue
dans l'Amérique antique, ayant été introduite pour la première fois
dans le Nouveau Monde par l'homme blanc au dix-septième siècle. Il y a
sept allusions aux abeilles ou au miel dans le Livre de Mormon, et sans
exception toutes appartiennent à l'Ancien Monde. Les nomades de Léhi,
affamés de douceurs, se réjouirent extrêmement, comme le font toujours
les Arabes, à la découverte de miel, mais cela se passait en Arabie.
Les Jarédites emportèrent des ruches d'abeilles de Babel dans le désert
pour un voyage de plusieurs années, mais il n'est pas fait mention
d'abeilles dans le fret de leurs bateaux (Éther 6:4), omission
importante, puisque ailleurs notre auteur se donne la peine de les
mentionner. La survivance du mot abeille dans le Nouveau Monde après
que les abeilles elles-mêmes eussent été laissées en arrière est un
phénomène qui a beaucoup de parallèles dans l'histoire du langage, mais
le Livre de Mormon ne mentionne nulle part que des abeilles ou du miel
aient existé sur le continent américain.
La civilisation asiatique et jarédite ancienne : une vue générale
Quelques lignes plus haut, j'ai
suggéré que les Jarédites n'étaient qu'une des « diverses tribus qui se
répandirent dans toutes les directions à partir d'un centre commun...
pour implanter une civilisation protohistorique commune dans diverses
régions de la terre ». Je parlais en fonction des dernières recherches,
et il ne m'est pas venu à l'esprit au moment même que le tableau de la
grande dispersion est exactement celui que décrivent la Bible et le
Livre de Mormon. Si nous devons les croire, au commencement, une
civilisation unique s'est répandue dans le monde entier et les
historiens ont maintenant appris que tel a réellement été le cas. Les
savants ne discutent plus du point de savoir si c’est l'Égypte ou la
Mésopotamie qui a été le véritable fondateur de la civilisation, car
nous savons maintenant que l'une et l'autre dérivaient d'une source
commune, « une civilisation mondiale, répandue sur un immense
territoire et qui n’était absolument pas localisée en Orient ». Avec la
découverte des cimetières royaux d'Ur, les savants ont commencé à se
douter que l'Égypte et la Babylonie ont tiré leur civilisation « d'une
source commune inconnue » qui, « du moins au commencement », unissait
toutes les civilisations du monde en une civilisation mondiale unique,
dont toutes les civilisations ultérieures ne sont que les variations
sur un thème[33]. Dans mes études récentes sur l'origine du super-État,
j'ai essayé de montrer que le cœur et le centre originel de cette
civilisation mondiale doit être situé quelque part en Asie centrale,
lieu à partir duquel les hordes conquérantes ont périodiquement débordé
sur les régions provinciales ou périphériques de l'Inde, de la Chine,
de l'Égypte et de l'Europe pour y établir des dynasties royales et
sacerdotales. Et maintenant, il semblerait que le Nouveau Monde doive
être inclus dans ce système asiatique, car le professeur Frankfort
rapporte que « dans des cas aussi frappants que le bronze chinois
ancien ou le dessin de la sculpture mexicaine ou des indiens américains
du nord-ouest, on doit compter, dans une plus grande mesure que la
plupart d'entre nous n'étaient jusqu'à présent disposés à l'admettre,
avec la possibilité qu'il y ait eu une diffusion en provenance de
l'Europe orientale et du Proche-Orient[34] ». Il y a quelques années,
ceci aurait été de la haute trahison pour les archéologues américains.
Maintenant c'est une indication de plus de l'unité de la civilisation
mondiale qui, nous commençons à nous en rendre compte, était aussi
caractéristique de l'histoire ancienne que de l'histoire moderne.
Dans le cas des Néphites, il était
possible de situer exactement les centres de culture de l'Ancien Monde
d'où sortait leur civilisation. Pouvons-nous faire la même chose pour
les Jarédites ? Je le pense, car ils venaient de cette région qui
servait dans les temps anciens de véritable lieu de recrutement pour
les invasions mondiales. C'est à cet endroit-là qu'appartient leur
culture et c'est là qu'elle s'insère. Il est encore trop tôt pour
essayer une description détaillée de la vie à l'époque de la
dispersion. « L'archéologie de l'Asie centrale nomade est encore dans
sa tendre enfance » écrit G. N. Rœrich, une nouvelle branche de la
science de l'histoire est en train de naître, dont le but sera de
formuler les lois qui édifieront l'État nomade et d'étudier les restes
d'un grand passé oublié[35]. » Mais le tableau général commence à
prendre forme. Je vais vous en esquisser brièvement les grands traits.
Le fait de base, c'est l'espace – de
gigantesques étendues d’herbages, de bois et de montagnes que les
chasseurs et les bergers ont sillonnées depuis des temps immémoriaux,
empiétant sur le territoire les uns des autres, faisant des raids sur
les installations les uns des autres, se volant mutuellement le bétail,
échappant de peu et poursuivant tour à tour. Quand les temps sont bons,
les tribus se multiplient et il y a surpopulation; quand les temps sont
mauvais, ils sont forcés d'envahir leurs terrains mutuels à la
recherche d'herbe. Le résultat est un chaos chronique, situation qui a
été un défi permanent au génie et à l'ambition d'hommes qui avaient le
talent de diriger. Périodiquement, le Grand Homme apparaît en Asie pour
unir les membres chamailleurs de sa tribu en un dévouement fanatique à
sa personne, soumettre ses voisins les uns après les autres et
finalement, en écrasant une grande coalition, mettre fin à toute
résistance, et amener enfin « la paix et l'ordre » dans le monde. Les
étendues sans fin des steppes et l'absence de toute frontière naturelle
réclament les talents d'un homme d'État de grande envergure, l'idée et
la technique de l'empire étant en fait tous les deux d'origine
asiatique. Pendant un certain temps, un esprit unique réussit presque à
gouverner le monde, mais un règlement de comptes se produit rapidement
lorsque le Grand Homme meurt. Pendant que ses ambitieux parents se
ruent sur le trône, l'empire mondial s'effondre promptement: l'espace,
la force qui a produit le super-État, le détruit maintenant en
permettant aux héritiers et aux prétendants mécontents et comploteurs
de s'en aller chacun de son côté vers des régions lointaines fonder de
nouveaux états en espérant, avec le temps, absorber tous les autres et
rétablir la domination mondiale. Le chaos des steppes n'est pas le
désordre primitif de petites tribus sauvages entrant accidentellement
de temps à autre en collision dans leurs errances. C'est plutôt, et
cela a toujours été, un jeu d'échecs astucieux, joué par des hommes
d'une ambition illimitée et de facultés intellectuelles formidables
ayant à leur disposition de puissantes armées[36].
Mais revenons-en aux Jarédites. Leur
histoire tout entière est celle d'une lutte féroce et implacable pour
le pouvoir. Le livre d'Éther est une chronique ancienne typique, une
histoire militaire et politique avec, au passage, des clins d’œil sur
la richesse et la splendeur des rois. Vous remarquerez que la structure
tout entière de l'histoire jarédite est axée sur une succession
d'hommes forts, dont la plupart sont des personnages assez terribles.
Peu d'annales aussi laconiques sont lestées d'un tel poids de
méchanceté. Les pages d'Éther sont assombries par des intrigues et une
violence d'une facture strictement asiatique. Lorsqu'un rival au trône
est battu, il s'en va tout seul dans le désert et attend son heure tout
en rassemblant une « armée de proscrits ». Pour ce faire, il « entraîne
» de son côté des hommes en leur distribuant cadeaux et pots-de-vin.
Les forces ainsi acquises, il se les assure en leur imposant des
serments terribles. Lorsque l'aspirant au trône devient suffisamment
fort pour liquider ses rivaux par l'assassinat, la révolution ou une
bataille rangée, l'ancien bandit et hors-la-loi devient roi et doit à
son tour compter avec une nouvelle fournée de rebelles et de
prétendants. C'est exactement comme si on lisait l'ouvrage sombre et
déprimant d'Arab Shah, La vie de Timour, biographie d'un conquérant
asiatique typique, avec ses sombres allusions au surnaturel et surtout
aux œuvres du diable. C'est un tableau étrange et sauvage de politique
cauchemardesque que décrit le livre d'Éther, mais, historiquement
parlant, c'est un tableau profondément vrai. Prenez quelques exemples
tirés de l'Ancien Monde.
Dans les plus anciens documents du
genre humain, nous trouvons le dieu suprême, fondateur de l'État et du
culte, occupé à « se frayer un chemin vers le trône par la bataille,
souvent par la violence contre les prédécesseurs de sa famille, ce qui
implique généralement des incidents atroces et obscènes[37] ». On voit
ainsi que « Ies abominations des anciens », sur lesquelles Éther a pas
mal de choses à dire, ont une antiquité respectable. Il y a maintenant
d'amples raisons de croire que les plus anciens empires que nous
connaissons n'étaient absolument pas les premiers et que le processus
bien connu remonte aux temps préhistoriques : « Les empires ont dû être
formés et détruits à ce moment-là comme ils devaient l'être plus
tard[38] ». Ces empires « n'étaient pas le résultat d'une expansion ou
d'un développement graduels, mais devenaient rapidement des empires
énormes sous la direction d'un seul grand homme, observe McGovern, et
sous le règne de ses successeurs déclinaient lentement mais sûrement »,
quoique dans beaucoup de cas ils « se désintégrassent immédiatement
après la mort de leurs fondateurs[39] ».
Le fugitif qui rassemble des forces
dans le désert[40] en attirant à lui des gens appartenant à son rival
est un procédé strictement conventionnel dans les steppes. C'est ainsi
que tout grand conquérant commence. Lu Fang, « le chef d'une petite
bande militaire, moitié soldats, moitié bandits » fut, il y a deux
mille ans, près de conquérir les empires hun et chinois, et il y serait
parvenu si certains de ses propres officiers ambitieux ne l'avaient pas
abandonné tout comme il en avait abandonné d'autres[41]. C’est après
avoir dépouillé son frère du trône qu'Attila « chercha à soumettre les
principaux pays du monde[42] », et, après sa mort, deux de ses
descendants s'en allèrent dans le désert et y rassemblèrent autour
d'eux « des armées de proscrits », chacun espérant s'adjuger l'empire
mondial[43]. Vous vous souviendrez que Gengis Khan vécut pendant des
années comme proscrit et bandit tout en rassemblant autour de lui les
forces qui allaient dominer tous ses rivaux, et que ces forces étaient
bel et bien soutirées aux armées des rivaux eux-mêmes. Dans le système
nomade, « Ies chefs, les bagadours et les noyans, s'efforçaient de
devenir indépendants en attirant à eux des sujets et des partisans[44]
». Les grands souverains d’Asie sont régulièrement passés de la
situation risquée de chef de bande à celle à peine moins risquée de
monarque du monde – et retour – dans un monde où « chacun était rempli
du désir de devenir un prince indépendant » et tous les princes de
devenir seigneur de tous[45]. « Les aventuriers les plus hardis
s'empressaient de s’attrouper autour de la bannière du nouveau chef
prospère de leur race », au commencement comme de nos jours, où tous
les jeunes d'Asie centrale se sont ralliés à la bannière du jeune Ma
Chung-Ying, quinze ans, lequel « mûrissait calmement un plan visant à
la conquête du monde entier[46] ».
Non seulement la pratique jarédite
qui consiste à « entraîner » à ses côtés les partisans d'un rival tout
en se créant une armée dans le désert est dans la meilleure tradition
asiatique, mais la méthode utilisée est également dans la meilleure
tradition reconnue[47]. C'est ainsi qu'Akish unit ses partisans autour
du noyau de sa famille (les conquérants asiatiques ont fanatiquement
l'esprit de famille) en prodiguant les dons, car « Ie peuple d'Akish
était aussi avide de gain qu'Akish était avide de pouvoir; c'est
pourquoi les fils d'Akish lui offrirent de l'argent, moyen par lequel
ils entraînèrent la plus grande partie du peuple après eux » (Éther
9:11). Ce furent les fils de Gengis Khan qui, vous vous en souviendrez,
firent la plus grande partie de sa campagne pour lui, et dès le début
le secret de son pouvoir, c'était l'immense réserve d’objets précieux
qu'il avait toujours près de son trône et à l'aide desquels il
récompensait, selon la coutume immémoriale des steppes, tous ceux qui
se joignaient à lui[48]. Au sixième siècle, Ménandre, ambassadeur
romain à la cour du Grand Khan, vit cinq cents chariots pleins d'or,
d'argent et de vêtements de soie qui accompagnaient le monarque dans
ses errances[49], car « l'antique loi des Khans » était que nul n'entre
les mains vides en la présence du souverain et ne le quitte sans
récompense[50]. Le processus typique de l'impérialisme de la steppe,
selon Vernadsky, commence par « Ia richesse accumulée entre les mains
d'un chef capable », qui lui permet d'étendre sa popularité parmi les
clans du voisinage[51]. Tous les observateurs du système asiatique ont
commenté sur le zèle ardent avec lequel les hommes des steppes se
consacrent à deux objectifs : la puissance et le gain. L'un et l'autre
sont inséparables, bien entendu, et chacun engendre l'autre, mais nulle
part le gouvernement tout entier n'est mis sur une base aussi
franchement mercenaire qu'en Asie, où les ambassadeurs les plus vénaux
de l'Ouest ont été embarrassés aussi bien par la franchise que par
l'astuce de leurs hôtes asiatiques pour qui toute vie n'est qu'une
transaction commerciale. Le fait que cette caractéristique est propre à
la société jarédite, se révèle dans le fait que les mobiles jumeaux du
pouvoir et du gain reçoivent beaucoup plus d'attention dans le livre
d'Éther qu’en n’importe quel autre endroit du Livre de Mormon, comme le
montre un coup d'œil sur la concordance.
Mais si le chef ambitieux acquiert
des adhérents par la corruption, il les garde à lui par des serments.
Le serment est la pierre d'angle de l'État asiatique comme de l'État
jarédite. Akish nous fournit encore une fois un excellent exemple :
« Et il arriva qu'Akish rassembla
dans la maison de Jared toute sa parenté et lui dit: Me jurerez-vous
que vous me serez fidèles dans ce que je vais vous demander ? Et il
arriva qu’ils lui jurèrent tous, par le Dieu du ciel, et aussi par les
cieux, et aussi par la terre, et par leur tête, que quiconque refusait
l'aide qu’Akish désirait perdrait la tête... Et Akish leur fit prêter
les serments donnés par ceux d'autrefois qui cherchaient aussi le
pouvoir, serments transmis depuis Cain... » (Éther 8:13-15).
Notez que l'on fait remonter
explicitement ces terribles serments à l'Ancien Monde. Les textes les
plus anciens de « la plus vieille langue du monde », selon Hommel, sont
des incantations « ayant la conclusion stéréotypée : ‘que cela soit
juré (ou conjuré) par le nom du ciel, que ce soit juré par le nom de la
terre !’[52] » Il ressort clairement, de la foule de documents qui ont
paru dans les dernières années pour nous enseigner les voies des hommes
à l'aube de l'histoire, que les serments, les conspirations et les
combinaisons étaient de pratique courante depuis le commencement.
Quelle meilleure illustration pourrait-on en demander que le grand
cantique du nouvel an babylonien, le « Enuma Elish », dans lequel
Tiamat, visant au gouvernement de l'univers, « entraîne » de son côté
les dieux, de sorte qu'ils « conspirent sans cesse jour et nuit »
contre le souverain légitime et « se rassemblent en une armée pour
livrer bataille ». Lorsqu'il apprit la nouvelle, le vrai roi demeura
assis sur son trône « sombre et silencieux, sans dire un mot », puis «
il se frappa la cuisse, se mordit les lèvres, domina sa voix » et
finalement donna l'ordre d'assembler son armée, laquelle, par
acclamation officielle, fit serment de fidélité à son chef Mardouk[53].
Cette histoire, qui remonte au début des choses (le texte proprement
dit vient de la première dynastie babylonienne)[54], n'est pas une
simple fantaisie primitive; c'est le tableau authentique et familier du
grand khan qui apprend qu'un parent et rival lève une armée contre lui
dans le désert.
L'histoire de la montée et de la
carrière de tout grand conquérant est une longue série de serments
terribles contractés et violés. Les plus solennels de ces serments sont
scellés en buvant du sang, comme lorsque « Ie roi des Commains… ordonna
que [l'empereur de Constantinople] et son peuple… fussent saignés, et
chacun but alternativement le sang de l'autre[55] ». L'étude des plus
anciennes annales d'Asie nous conduit, comme l'étude des plus anciennes
langues, dans un monde de serments et d'alliances[56]. Et pourquoi
devrait-il en être ainsi ? L'explication en est simple, car le but du
serment c'est de lier: le mot égyptien qui veut dire « serment », pour
donner un exemple, est simplement ankh, originellement un « nœud ».
Dans un monde aux vastes espaces libres et à la population limitée, où
les nomades errants peuvent opter pour l'indépendance en chassant les
animaux ou en poussant le bétail sur des herbages sans limites, comment
peut-on lier les hommes à un endroit ou à un chef ? Il faut les lier
par des serments, parce qu'il n'y a aucun autre moyen de les retenir.
Bien entendu, on faisait l'impossible pour rendre le serment aussi
contraignant, c'est-à-dire aussi terrible que possible, et, bien
entendu, de tels serments étaient rompus dès que cela convenait. La
facilité avec laquelle les hommes des steppes peuvent passer d'un camp
à l'autre a toujours maintenu leurs rois dans un état d'éveil
soupçonneux, de sorte que la monarchie asiatique est constamment
enveloppée dans une atmosphère étouffante – et très jaréditique – de
soupçons et d'intrigues.
Mithra gouverne, dit l'Avesta, en
vertu de ses dix mille espions, qui font que lui seul, de tous les
rois, ne peut être dupé[57]. C'est l'institution des « yeux du Roi et
des oreilles du Roi » perfectionnée par les Perses et héritée par les
monarques de beaucoup de pays. Le succès de toute conspiration contre
une royauté qui est tellement sur ses gardes dépend par conséquent
avant tout du secret et de la surprise, et c'est pourquoi nous avons
comme adjonction et nemesis inévitables de la royauté asiatique la
société secrète, imprégnant toute vie d'un sentiment paralysant
d'insécurité, comme le note Hœrnes, et renversant dynasties et empires
en une seule nuit[58]. Le cadeau que l'Asie a fait au monde a bien
souvent sauvé le monde du gouvernement de l'Asie, car combien de
conquérants assyriens, perses ou mongols n'ont pas été obligés de
tourner le dos à l'Occident au moment où ils étaient sur le point de
conquérir le monde, pour étouffer les incendies des révoltes allumés
par les conspirations secrètes de parents derrière leur dos ! La
constitution normale de l'empire asiatique, écrivent Huart et
Delaporte, est « un despotisme tempéré par des détrônements et des
assassinats », dans lesquels le clergé joue le rôle principal[59]. Pour
le meilleur ou pour le pire, tout souverain des steppes, quelque grands
que soient son pouvoir et son prestige personnels, doit compter avec la
présence d'une catégorie de prêtres ambitieux et puissants,
ordinairement des shamans. Même Gengis Khan, le plus puissant de tous,
fut presque renversé de son trône par un grand prêtre ambitieux, et à
l'aube de l'histoire, plus d'un grand prêtre de ce genre s'est adjugé
le gouvernement[60]. Le cas du frère de Shared, dont le « grand prêtre
l'assassina tandis qu'il était assis sur son trône » (Éther 14:9) est
par conséquent tout à fait typique et ce n'est pas une simple
coincidence. Car non seulement on nous dit que le système fut hérité «
de ceux d'autrefois » et perpétué par les mêmes méthodes des sociétés
secrètes, des pactes familiaux, des corruptions, des serments, des
assassinats, etc. que dans l'Ancien Monde, mais on nous donne encore
une image claire du cadre dans lequel tout ceci se passe.
On nous dit, par exemple, qu'un fils
du roi Akish, furieux contre son père à cause de la mort inhumaine de
son frère, qu'on avait laissé mourir de faim (comme c'est typique !),
s'en alla se joindre aux armées sans cesse croissantes du roi déposé,
Omer, qui, depuis qu'il avait été renversé par « une combinaison
secrète d'Akish et de ses amis », demeurait dans des tentes et
rassemblait des forces pour revenir (3 Éther 9:3, 9). Notez la fluidité
manifeste de la société jarédite, la possibilité pour de grands groupes
de gens d’errer çà et là dans un continent peu habité. Notez aussi
comme la géographie « de la face de ce pays du nord » correspond bien à
celle qui existait sous les mêmes latitudes de l'autre côté du monde,
où l'on trouve en grande partie le même paysage. Ceci, nous le verrons
plus tard, est très significatif, car cela montre qu'il est fort
possible qu'une bonne partie du mode de vie indien trouve son origine
chez les chasseurs et les nomades d'Asie à une date très reculée. La
thèse même qui a souvent été proposée comme l'argument le plus fort
contre le Livre de Mormon, c'est le Livre de Mormon lui-même qui est le
premier à l'avancer ! Mais nous y reviendrons plus tard.
[1] Hugh W. Nibley, « The Hierocentric State », WPQ 4, 1951, pp. 245-46.
[2] Ammianus Marcellinus, Rerum Gestarum XXXI, 2, surtout les sections 18-22.
[3] Voir la description frappante
dans Priscus Rhetor, De Legationibus Romanorum ad Gentes, dans PO
113:7-9. Écrit en 433 apr. J.-C.
[4] William of Rubruck, ch. 12, dans
Manuel Komroff, dir. de publ., Contemporaries of Marco Polo, New York,
Liveright, 1928, p. 76.
[5] Raphael Pumpelly, Explorations in Turkestan, 2 vols., Washington, Carnegie Institution, 1908, 2:260.
[6] David D. Luckenbill, Ancient
Records of Assyria and Babylonia, 2 vols., Chicago, University of
Chicago Press, 1926-27, vol. 1.
[7] Le sentiment d’être perdu et à la
recherche d’une terre promise a toujours dominé chez les nomades d’Asie
et est finement illustré dans une étude récente sur les Kirghizes,
Semen I. Lipkin, Manas Vyelikodushnyi, Moscou, Sovietski Posaty, 1947.
[8] William M. McGovern, The Early
Empires of Central Asia, Chapel Hill, University of North Carolina
Press, 1939, pp. 73-78. Cf. Pumpelly, Explorations in Turkestan 1:39,
41, 67-69.
[9] Henning Haslund, Men and Gods in Mongolia, New York, Dutton, 1935, p. 264.
[10] William of Rubruck, ch. 2, dans Komroff, Contemporaries of Marco Polo, p. 59.
[11] T. Wright, dir. de publ., The Travels of Marco Polo, Londres, Bohn, 1854, 129, livre 1, ch. 47.
[12] Comme source, Alexandre Moret, Histoire de l'Orient, 2 vols., Paris, Presses Universitaires, 1929-36, 2:584, n. 150.
[13] Xénophon, Cyropédie VI, 1, 52, 29, où il décrit les immenses chariots-tours de bois utilisés à la guerre.
[14] M. A. Czaplicka, Aboriginal Siberia, Oxford, Clarendon, 1914, pl. 16.
[15] Xénophon, Cyropédie VI, 1, 27,
note que « dans les temps anciens, les Mèdes, les Syriens, les Araméens
et tous les habitants de l’Asie faisaient usage de ces chariots qui ne
survivent aujourd’hui que chez les Cyrénéens. »
[16] Gertrud Hermes, Anthropos 31,
1925, pp. 94, cf. 32, 1926, pp. 105-27. Pour le char de Tel Agrab,
découvert après la parution de l’ouvrage faisant autorité d’Hermes,
voir Henri Frankfort, « Revelations of Early Mesopotamian Culture »,
ILN, 6 décembre 1937, pp. 794-95.
[17] McGovern, The Early Empires of
Central Asia, p. 47; Meissner, Babylonien und Assyrien, 2 vols.,
Heidelberg, Winter, 1926, 1:93.
[18] La 5e partie de « The World of the Jaredites », IE 55, janvier 1952, pp. 22-24, commence ici.
[19] Voir, d’une manière générale, Moret, Histoire de l'Orient, vol. 1.
[20] Id., 1:173.
[21] Alan H. Gardiner, Egyptian
Grammar, Oxford, Oxford University Press, 1950, pp. 73-74. Le carex est
le signe de la Haute-Égypte et l’abeille, celui de la Basse-Égypte. Ce
sujet est traité en grand détail dans Hugh W. Nibley, Abraham in Egypt,
Salt Lake City, Deseret, 1981, pp. 225-45.
[22] Voir les suppositions de W.
Pleyte, « La Guêpe », ZASA 4, 1866, pp. 14-15; Kurt H. Sethe, « Über
einen vermeintlichen Lautwerth des Zeichens der Biene », ZASA 30, 1892,
pp. 113-19; Karl Piehl, « La Lecture du Signe (Abeille) », ZASA 36,
1898, pp. 85.
[23] Sethe, « Über einen vermeintlichen Lautwerth des Zeichens der Biene », pp. 117.
[24] Adolf Erman et Hermann Grapow, Aegyptisches Handwörterbuch, Berlin, Reuther & Reichard, 1921, pp. 223.
[25] Gardiner, Egyptian Grammar, p.
504. Le « t » final de deseret est la forme du féminin, qui ne fait pas
partie de la racine, celle-ci étant dsr. On ne peut néanmoins pas
l’omettre pour désigner l’abeille, la couronne ou la Basse-Égypte, tous
mots qui sont féminins. Le texte original disait à cet endroit: « La
substitution était naturelle, car l’abeille, comme la couronne rouge,
était identique à la majesté de la Basse-Égypte. »
[26] Erman et Grapow, Wörterbuch der aegyptischen Sprache, 1:435.
[27] Theodor H. Gaster, Thespis, New
York, Schuman, 1950, pp. 364-67. Dans ses notes sur le mythe de
Telepinu, Gaster attire l’attention sur les liens qui relient les rites
de l’abeille dans tout le monde antique. Sur l’abeille dans le rituel
chrétien, voir L. Duchesne, Origines du culte chrétien, 5e éd., Paris,
Boccard, 1920, p. 266.
[28] Moret, Histoire de l'Orient, 1:175-180, 189, 207-22, 230-37, surtout pp. 257-58.
[29] En Égypte, « les rois du Nord étaient incarnés dans le totem de Bouto : une abeille (bit) »; id., 1:178.
[30] Eduard Meyer, Geschichte des Altertums, 2e éd., Stuttgart, Cotta, 1928, vol. 2, 1e partie, p. 36.
[31] Erman et Grapow, Wörterbuch der aegyptischen Sprache, 1:434.
[32] Sethe, « Über einen
vermeintlichen Lautwerth des Zeichens der Biene », p. 118; « Als
Determinativ steht es aber, was zu beachten ist, stets allen anderen
voran. » [En tant que déterminant, elle précède, et il faut y faire
attention, toujours tous les autres.]
[33] Moret, Histoire de l'Orient, 1:12.
[34] Henri Frankfort, Cylinder Seals, Londres, Macmillan, 1939, p. 311.
[35] G. N. Roerich, Trails to Inmost Asia, New Haven, Yale University Press, 1931, p. 123.
[36] On trouvera un traitement
général de ce thème dans Ellsworth Huntington, Mainsprings of
Civilization, New York, Wiley, 1945, pp. 187-207.
[37] C. J. Gadd, Ideas of Divine Rule in the Ancient East, Londres, Oxford University Press, 1948, p. 1.
[38] George Vernadsky, Ancient Russia, New Haven, Yale University Press, 1943, p. 27.
[39] McGovern, The Early Empires of Central Asia, 116-117, p. 124.
[40] La 6e partie de « The World of
the Jaredites », IE 55, février 1952, pp. 92-94, 98, 100, 102, 104-105,
commençait ici. L’article originel dans le magazine commençait comme
ceci: « Cher F.: Pour poursuivre le thème de ma lettre: En ce qui
concerne le fugitif qui rassemble des forces dans le désert en
détournant des gens de son rival, il y avait, au premier siècle, Lu
Fang. »
[41] McGovern, The Early Empires of Central Asia, pp. 224-26.
[42] C. C. Mierow, The Gothic History of Jordanes, Princeton, Princeton University Press, 1915, pp. 101-3; ch. 35.
[43] C’étaient Dinzio, id., 129-131; ch. 53, et Mundo, id., pp. 137-38; ch. 58.
[44] B. Ya. Vladimirtsov, The Life of Chingis-Khan, New York, Houghton Mifflin, 1930, p. 3.
[45] Fikret Isiltan, Die
Seltschuken-Geschichte des Akserayi, Sammlung Orientalistischer
Arbeiten 12, Leipzig, Harrassowitz, 1943, p. 88.
[46] La première citation est de E.
S. Creasy, History of the Ottoman Turks, 2 vols., Londres, Bentley,
1854-56, 1:5, la deuxième, de Sven Hedin, The Flight of Big Horse,
trad. F. H. Lyon, New York, Dutton, 1936, p. 16. Cf. Mildred Cable, The
Gobi Desert, New York, Macmillan, 1945, pp. 222-32.
[47] F. E. A. Krause, Cingis Han,
Heidelberg, Winter, 1922, p. 13. Michael Prawdin, The Mongol Empire,
Londres, Allen & Unwin, 1940, pp. 47-49. On trouve une description
de la technique utilisée pour détourner les partisans d’un autre dans
Al-Fakhari, Al-Adab al-Sultaniah wal-Daula-l-Islamiah, Le Caire, p. 5.
[48] Prawdin, The Mongol Empire, p. 86
[49] Menander Protector, De Legationibus Romanorum ad Gentes 8, dans PG 113:888.
[50] Selon Odoric de Pordennone, ch.
18, dans Komroff, Contemporaries of Marco Polo, pp. 249-50 « la loi
antique » des Khans dit, « Tu n’apparaîtras pas les mains vides en ma
présence », avec pour conséquence que « Aucun Mongol, aujourd’hui,
n’entrait dans la tente de son souverain sans être richement récompensé
», Prawdin, The Mongol Empire, p. 86. La nature strictement mercenaire
de toute l’affaire est bien décrite par Peter Patricius en 230 apr.
J.-C., dans PG 113:665-68, et par Priscus, en 449 apr. J.-C., dans PG
113:748-52. E. A. Wallis Budge, The Chronography of Bar Hebraeus, 2
vols., Oxford, Oxford University Press, 1932, 1:505, raconte comment
Baidu, le Mongol, quand il voulut supplanter son frère sur le trône
d’Asie, « rendit les hommes riches par des dons et il rendit les hommes
splendides par des vêtements royaux. » C’est ainsi qu’il s’assurait
leur allégeance. On pourrait citer des parallèles innombrables.
[51] Vernadsky, Ancient Russia, p. 80.
[52] Fritz Hommel, Ethnologie und Geographie des alten Orients, Munich, Beck, 1926, pp. 22-23.
[53] Je suis le texte de René Labat, Le poème babylonien de la création, Paris, Maisonneuve, 1935, pp. 98-101.
[54] Id., p. 24.
[55] Mémoires de Saint Louis, dans
Jean de Joinville, Chroniques des Croisades, trad. angl., Londres,
Bohn, 1848, p. 482. L’histoire tout entière de Gengis Khan est une
longue succession de serments terribles, dont le plus solennel est
prêté avec un sac plein de sang, pour suivre Krause, Cingis Han, pp.
17-18, 23-24, etc. Hérodote, Histoires IV, p. 64, décrit les serments
prêtés en buvant du sang par les Scythes deux mille ans plus tôt.
[56] Moritz Hoernes, Natur und
Urgeschichte des Menschen, 2 vols., Vienne, Hartleben, 1909, 1:582, qui
traite de la situation dans les sociétés préagraires en général.
[57] James Darmesteter, The Zend-Avesta, 3 vols., Oxford, Oxford University Press, 1895, 2:135, 140, Yasts 15:63; 21:82.
[58] Hoernes, Natur und Urgeschichte
des Menschen 2:418. Le lecteur doit se rappeler que les confréries et
les sociétés secrètes ont toujours été le fondement du gouvernement et
de la religion asiatique, qu’elle soit chamaniste, (p. ex. le Bn),
lamiste ou bouddhiste, de Pékin au Caire.
[59] Clément Huart et Louis Delaporte, L'Iran antique, Paris, Michel, 1952, p. 399.
[60] J’ai une longue note sur ce sujet dans mon article, Hugh W. Nibley, « Sparsiones », CJ 40, 1945, p. 526, n. 70.
CHAPITRE QUATRE : La culture jarédite, splendeur et honte
Un monde de prisons
Les Jarédites, comme leurs cousins
asiatiques, et au contraire des Néphites, étaient des monarchistes
convaincus, et leur monarchie est le despotisme asiatique bien connu
auquel rien ne manque. Où pourrait-on trouver le suzerain asiatique
typique croqué plus parfaitement que dans les quatre versets qui
décrivent le règne de Riplakish (Éther 10:5-8) ? La lubricité et la
cruauté, la magnificence et l’oppression, tout y est. Ce genre de
choses était bien connu du temps de Joseph Smith – après tout, Hajji
Baba parut en 1824 – mais le livre va loin au-delà du tableau
conventionnel pour nous montrer des institutions tout à fait étrangères
à l’expérience des Occidentaux.
C’est le cas de la pratique, souvent
mentionnée dans le livre, qui consiste à garder un roi prisonnier
pendant toute sa vie, le laissant engendrer et élever des enfants en
captivité, alors même que les fils ainsi élevés chercheront presque à
coup sûr à venger leur père et à prendre le pouvoir quand ils
deviendront majeurs. C’est ainsi que Kib est fait prisonnier par son
propre fils, engendre encore d’autres enfants en captivité et meurt de
vieillesse, toujours prisonnier. Pour venger Kib, son fils Shule vainc
le mauvais fils Corihor auquel il permet toutefois de garder du pouvoir
dans le royaume ! Shule, à son tour, est fait prisonnier par Noé, fils
de Corihor, pour être ensuite kidnappé de sa prison et remis au pouvoir
par ses propres fils. Et ainsi de suite: « Seth... demeura toute sa vie
en capitivité... Moron demeura en captivité tout le reste de ses jours
et il engendra Coriantor. Et Coriantor demeura tout le reste de sa vie
en captivité... et... engendra Éther, et il mourut, ayant demeuré toute
sa vie en captivité[1]. » Cela nous semble être un système parfaitement
ridicule, et cependant il est conforme à un usage asiatique immémorial.
C’est ainsi que quand Baidu et Kaijatu se disputèrent le trône d’Asie,
les conseillers de ce dernier déclarèrent, lorsqu’il acquit l’ascendant
: « Il est juste qu’il [Baidu] soit mis sous le joug du service et soit
gardé en esclavage pendant toute la période de sa vie, pour que sa main
ne puisse jamais s’étendre pour tuer ou faire du mal. » Kaijatu ne
suivit pas ce conseil, et il eut à s’en mordre les doigts, car bientôt
son frère organisa un coup d’état et le mit, lui, dans une tour pour le
restant de ses jours, mais refusa de le tuer[2]. L’expression « mis
sous le joug du service » nous rappelle que dans le livre d’Éther on
oblige les rois à « servir de nombreuses années en captivité » (Éther
8:3; 10:15; 10:30). Benjamin de Tudèle raconte comment le calife, chef
spirituel de toute l’Asie occidentale, prit des dispositions pour que «
les frères et les autres membres de la famille du calife » vécussent
une vie d’aisance, de luxe et de sécurité : « Chacun d’eux possède un
palais à l’intérieur de celui du calife, mais ils sont tous entravés
par des chaînes de fer, et un officier spécial est désigné pour diriger
chaque maison, pour les empêcher de se révolter contre le grand roi[3].
» Gengis Khan, au début de sa carrière, fut mis au pilori et emmené
avec la cour d’un prince rival comme prisonnier permanent – sa fuite
fut presque surhumaine. Son descendant, Timour, et sa femme furent
également faits prisonniers permanents et maintenus dans une étable par
un souverain rival[4]. À un moment difficile, le shah de Perse fut
incapable de venir à l’aide du même Timour comme allié parce que,
expliqua-t-il, « son neveu Mansour lui avait volé son armée et l’avait
jeté en prison », et cependant il pouvait écrire des lettres[5]. Quand
il vainquit son frère Alluddine dans leur lutte pour l’empire
seldjoucide, Izzudine le mit en prison; mais lorsque, au bout de sept
ans, Izzudine mourut, son frère fut immédiatement libéré et mis sur le
trône sans qu’il y eût une voix dissidente : On l’avait gardé pendant
tout ce temps-là derrière les barreaux par simple précaution[6] ! Il
était de coutume chez les rois turcs, comme on l’a récemment prouvé
alors que les savants en ont douté pendant longtemps, de permettre à
leurs rivaux battus de s’asseoir sur leur trône le jour, mais de les
enfermer dans des cages de fer pour la nuit[7] ! Ces seigneurs des
steppes, comme le chef mamelouk qui rappela à l’ordre un général
arriviste en le faisant amener à la cour dans une cage[8], suivaient
les traces de rois beaucoup plus anciens. Sennachérib rapporte à propos
d’un rival, qui n’était rien moins que le roi de Babylone, que « on le
jeta enchaîné dans une cage et on me l’amena. Je le liai dans la porte
du milieu de Ninive comme un pourceau[9]. » Et Assurbanipal dit du roi
d’Arabie : « Je l’ai mis dans un chenil. Je l’ai enchaîné avec des
chacals (?) et des chiens et je l’ai fait garder la porte de
Ninive[10]. » En remontant aux plus anciens de tous les documents, nous
trouvons une vaste catégorie de légendes, partout dans le monde ancien,
racontant comment au commencement un dieu victorieux lia et emprisonna
les membres rebelles de sa famille, ne les tuant pas, puisqu’ils
appartenaient à sa propre nature divine; les plus anciens mythes de
Zeus et d’Osiris viennent tout de suite à l’esprit[11]. Vous
remarquerez que les rois emprisonnés dans Éther le sont tous par les
membres de leur famille.
À l’emprisonnement permanent des rois
est apparentée l’institution des travaux forcés en prison. Riplakish «
obtint tous ses beaux ouvrages, oui, c’est-à-dire qu’il fit raffiner
son or fin en prison; et il fit exécuter toutes sortes de fins travaux
en prison » (Éther 10:7). Le travail en prison, nous dit-on, c’était
cela ou payer des impôts ruineux (Éther 10:6). Dès le début, les
Assyriens utilisèrent un système assez semblable. Tiglath Pileser III
dit : « Je leur imposai un tribut et des impôts... J’emmenai leurs
chevaux, leurs mules, leurs chameaux, leur bétail, leurs moutons et
leurs ouvriers innombrables... Tous les artisans habiles, je les
utilisai astucieusement au mieux. J’imposai au pays de Nairi des taxes
féodales, des travaux forcés et des surveillants[12]. » Notez la
combinaison des taxes et des travaux forcés, tout comme dans Éther.
Même les rois doivent servir, comme, nous l’avons vu, c’était le cas
chez les Jarédites : « Les rois, leurs gouverneurs, je les soumis à mes
pieds et je leur imposai des corvées[13]. » Les souverains ultérieurs
d’Asie continuèrent la tradition, les Scythes considérant tous les
peuples comme leurs esclaves et leurs successeurs parthes asservissant
les habitants de vastes régions à peiner dans leurs grandes fermes de
travail[14]. Alors qu’en Asie occidentale, Alaric et Attila traitaient
tous les hommes comme leurs serfs[15], à l’est du Wei, les conquérants
faisaient travailler un million de captifs pendant cent ans dans des
grottes pour produire « toutes sortes de fins travaux[16] ». « Dans une
maison construite dans ce but », dit Marco Polo, décrivant comment cela
se fait dans une partie de l’Asie, « tous les artisans sont obligés de
travailler pendant un jour de la semaine au service de sa Majesté[17]
». Chaque membre de la famille du Grand Khan « recevait un certain
nombre d’ouvriers spécialisés, d’artisans, d’artistes et ainsi de
suite, qui étaient à son entière disposition et qu’il installait où il
voulait[18] ». Tamerlan se réserva des artistes de ce genre, surtout
des orfèvres et des travailleurs de verre, les obligeant à s’installer
dans des camps de prisonniers à Samarkande, à peu près de la même
manière dont Assur-Nazir-Pal avait asservi les travailleurs araméens
3000 ans plus tôt[19]. Même à notre époque, le Ja Lama forçait tous
ceux qui tombaient en son pouvoir, « fonctionnaires tibétains… pèlerins
mongols, lamas… marchands chinois… chefs kirghizes » aussi bien qu’une
foule innombrable de soldats et de paysans, « à travailler à construire
des bâtiments, des tours et des murs » à sa gloire[20].
Nous ne devons pas perdre de vue les
programmes de construction ambitieux des rois jarédites, car rien n’est
plus typique des anciens souverains de l’Orient, où même les légendes
préhistoriques ressassent la question des constructions avec une
persistance remarquable[21] ». Coriantum « bâtit beaucoup de villes
puissantes » (Éther 9:23); Riplakish le magnifique « construisit
beaucoup d’édifices spacieux » ("Éther 10:5) et Morianton « construisit
beaucoup de villes, et le peuple devint extrêmement riche… en bâtiments
» (Éther 10:12). C’est étrange que des rois guerriers et nomades se
montrent passionnés de construction, et c’est un fait en Asie comme en
Amérique : « Les villes sortaient de terre comme des champignons en
l’honneur du Khan du jour, la plupart d’entre elles restant inachevées
et tombant rapidement en ruines. On rassemblait dans ce but des armées
d’artisans [encore une pratique jarédite]… puis le Khan mourait et de
la future gloire il ne restait rien qu’un tas de ruines...[22] » Une
façon de faire absurde et peu rentable qui menait souvent à la ruine
financière et à la révolution, comme nous l’apprenons dans les pages de
Bar Hebraeus et aussi par l’exemple de Riplakish dans le Livre de
Mormon (Éther 10:5-8) : « Il eut beaucoup d’épouses et de concubines,
et mit sur les épaules des hommes ce qu’il était pénible à porter; oui,
il leur imposa de lourds impôts; et avec les impôts, il construisit
beaucoup d’édifices spacieux... et... le peuple se souleva contre
lui... de sorte que Riplakish fut tué et que ses descendants furent
chassés du pays. » J’ai parlé, dans un article récent, de cette étrange
passion pour la construction, mais ce sur quoi je veux attirer
l’attention ici, c’est sur la ressemblance exacte entre la pratique
jarédite et celle de l’Ancien Monde. Soit dit en passant, les femmes et
les concubines sont un élément important du tableau, car elles sont le
principal sujet de dépense et la cause principale de la ruine
financière parmi les souverains des steppes, où il était de règle que
tout roi montre sa richesse et sa puissance par le nombre de ses femmes
et de ses concubines, dont chacune devait posséder un camp complet et
une cour à elle[23].
Les dépenses et le soin particuliers
affectés au trône royal de Riplakish (Éther 10:6) sont encore une
touche authentique. On disait que le plan du trône royal avait été
révélé par le ciel à Gudea, le célèbre patesi de Lagash, et en tous
temps on a cru d’une manière générale en Asie qu’il ne pouvait y avoir
qu’un seul vrai trône au monde, et qu’une personne non autorisée qui
tentait de s’asseoir dessus subirait des blessures graves[24].
L’importance du trône[25] est bien illustrée dans l’histoire qui
raconte comment le Mongol Baidu « fut induit en erreur par les
flagorneurs, et il devint lui-même orgueilleux et magnifique... il fit
venir le grand trône qui était à Tabriz... et il l’installa dans le
voisinage d’Aughan, et il monta et s’assit dessus, et s’imagina que
dorénavant son royaume était assuré[26] ». Très célèbre est l’histoire
qui raconte comment Merdawij de Perse chercha à prendre le titre et la
gloire du Roi de l’Univers au neuvième siècle, érigea un trône en or
sur le modèle des anciens monarques perses, et crut sottement que
c’était le trône qui lui donnait la majesté[27]. À propos du trône du
Grand Khan, Carpini écrit : « Il y avait aussi une haute estrade
construite en planches, où était placé le trône de l’empereur, trône
qui était très curieusement travaillé dans de l’ivoire, où il y avait
aussi de l’or et des pierres précieuses… Et il était arrondi dans le
dos[28]. » Le « trône extrêmement beau » de Riplakish était quelque
chose de ce genre, car on peut montrer que les trônes d’autrefois, où
qu’on les trouve, que ce soient des trônes-dragons, des trônes-paons,
des trônes-griffons ou même la sédile curule romaine, tout cela remonte
au vieux modèle d’Asie centrale[29].
L’épisode de Salomé
Il y a, dans le livre d’Éther, le
récit d’une intrigue qui présente des parallèles très antiques et très
répandus (qui n’ont toutefois été découverts que récemment). C’est
l’histoire de la fille de Jared. Il s’agit d’un Jared plus récent qui
se révolta contre son père, « flatta beaucoup de gens, par ses paroles
rusées, jusqu’à ce qu’il eût gagné la moitié du royaume... emmena son
père en captivité » après l’avoir battu à la guerre, « et le fit servir
en captivité » (Éther 8:2-3). En captivité, le roi eut d’autres fils
qui inversèrent finalement la situation en défaveur de leur traître de
frère et battirent ses forces au cours d’une escarmouche de nuit. Ils
lui épargnèrent la vie quand il leur eut promis d’abandonner le
royaume, mais c’était sans compter avec la fille de Jared, une jeune
fille ambitieuse qui avait lu, ou du moins demandé à son père si lui
avait « lu les annales que [leurs] pères [avaient] apportées à travers
le grand abîme », récit très instructif des moyens par lesquels les
hommes d’autrefois obtinrent « des royaumes et une grande gloire ».
« N’a-t-il pas lu les annales que nos
pères ont apportées à travers le grand abîme ? Voici, n’y a-t-il pas un
récit concernant ceux d’autrefois qui, par leurs plans secrets,
obtinrent des royaumes et une grande gloire ? Ainsi donc, que mon père
fasse venir Akish, fils de Kimnor; et voici, je suis belle, et je
danserai devant lui, et je lui plairai, de sorte qu’il me désirera pour
épouse; c’est pourquoi, s’il te demande de me donner à lui pour épouse,
tu diras: Je te la donnerai si tu m’apportes la tête de mon père, le
roi » (Éther 8:9-10).
Historiquement parlant, tout ce qu’il
y a à retirer de cette histoire, c’est qu’elle n’a absolument rien
d’original. C’est ainsi qu’il doit en être. La demoiselle demande à son
père s’il a lu « les annales » et lui rappelle qu’il y trouve un
certain récit qui décrit comment « ceux d’autrefois... obtinrent des
royaumes ». En conséquence, elle élabore un plan qui permet de
comprendre de quoi il était question dans « le récit ». Il y était
question d’une façon de faire habituelle (car « royaumes » est au
pluriel) dans laquelle une princesse danse devant un étranger
romantique, gagne son cœur, et l’incite à décapiter le roi régnant, à
l’épouser et à monter sur le trône. La sinistre fille de Jared applique
le plan à fond. Ayant fait décapiter son grand-père et mettre son père
sur le trône, elle épouse ensuite l’assassin, Akish, qui, ayant
maintenant été « asserment[é] par le serment des anciens [de nouveau le
vieux système]... obtin[t] la tête de son beau-père, tandis qu’il était
assis sur son trône » (Éther 9:5). Et qui l’amena à commettre ce
nouveau crime ? « Ce fut la fille de Jared qui lui mit dans le cœur de
redécouvrir ces choses d’autrefois, et Jared le mit dans le cœur
d’Akish » (Éther 8:17). Elle influença tout d’abord Akish par son père
Jared, mais lorsqu’il fut devenu son mari, Akish agit, bien entendu,
directement sous son influence pour liquider le rival suivant. Selon le
système antique (car Éther insiste sur le fait que tout cela remonte
aux « anciens »), Akish, dès qu’il deviendrait évident qui serait son
successeur, serait marqué comme étant la prochaine victime, et
effectivement nous le voyons tellement soupçonneux à l’égard de son
propre fils, qu’il le met en prison et le fait mourir de faim; mais il
y avait d’autres fils, et ainsi « il commença à y avoir une guerre
entre les fils d’Akish et Akish », qui se termina par la ruine totale
du royaume (Éther 9:12). Bien des années plus tard, la vieille
machination fut remise à la mode par Heth, qui « commença à adopter de
nouveau les plans secrets d’autrefois », détrôna son père, « Ie tua
avec sa propre épée; et il régna à sa place » (Éther 9:26-27).
C’est là en effet une tradition
étrange et terrible que cette manière de se succéder sur le trône, et
cependant il n’est pas de tradition mieux attestée dans le monde
antique que le rituel de la princesse dansante (représentée par la
prêtresse salmé des Babyloniens, d’où le nom Salomé) qui conquiert le
cœur d’un étranger, l’amène à l’épouser, à décapiter le vieux roi et à
monter sur le trône. J’ai constitué autrefois un énorme dossier sur
cette horrible femme et j’ai même fait une conférence sur elle lors
d’une réunion annuelle de l’American Historical Association[30]. On
trouve tout sur le sordide triangle du vieux roi, du concurrent et de
la beauté dansante dans Frazer, Jane Harrison, Altheim, B. Schweitzer,
Farnell et d’autres spécialistes du folklore[31]. Ce qu’il faut
remarquer spécialement, c’est qu’il semble qu’il y ait réellement eu un
rite de succession d’une grande antiquité qui suivait ce modèle. C’est
l’histoire qui est à la base des rites d’Olympie, de l’Ara Sacra et des
danses lascives et choquantes des hiérodules rituelles dans tout le
monde antique[32]. Bien qu’il ne soit pas sans parallèles historiques
réels, comme Iorsqu’en 998 de notre ère, la sœur du calife obtint comme
don la tête du gouverneur de Syrie[33], l’épisode de la princesse
dansante est en tout temps essentiellement un rituel, et le nom de
Salomé n’est peut-être pas un accident, car son histoire est loin
d’être unique. Assurément le livre d’Éther est sur le terrain le plus
ferme que l’on puisse imaginer quand il attribue le comportement de la
fille de Jared à l’inspiration de textes rituels – des instructions
secrètes sur l’art de déposer un roi vieillissant. La version jarédite
est, soit dit entre parenthèses, très différente de l’histoire de
Salomé dans la Bible, mais concorde avec beaucoup de récits plus
anciens qui nous sont parvenus dans les plus vieux documents de la
civilisation.
L’acier, le verre et la soie
Avant de nous attaquer aux annales
militaires sombres et déprimantes qui constituent le gros de l’histoire
jarédite, comme de toute histoire ancienne, nous aurons maintenant
l’agréable devoir d’examiner brièvement les quelques allusions que le
Livre de Mormon fait au passage à la culture matérielle de cette
étrange nation.
Il y a quelques années, votre
objection la plus véhémente à l’histoire Jarédite aurait certainement
été ses allusions désinvoltes au fer et même à l’acier (Éther 7:9) à
une époque où on était censé n’avoir aucune idée de ce qu’étaient le
fer et l’acier. Aujourd’hui la protestation sera assez faible, même
dans les secteurs qui sont « toujours sous l’influence d’une théorie de
l’évolution que l’on a eu le malheur d’introduire dans l’étude de
l’histoire ancienne[34] ». Rien n’illustre mieux l’inutilité de vouloir
essayer d’appliquer la règle mécanique, ingénieuse et pratique du
progrès à l’histoire que la situation actuelle des âges du métal. Je
vous renvoie à la récente étude de Wainwright sur « L’Apparition du Fer
». Vous y apprendrez que l’emploi du fer est aussi primitif que celui
de n’importe quel autre métal : « En utilisant des morceaux de
sidérolithe, pendant qu’ils étaient encore à l’ère chalcolitique, les
Égyptiens prédynastiques ne faisaient absolument rien d’extraordinaire.
Les Esquimaux en faisaient autant (bien que dans les autres cas cela ne
se soit fait qu’à l’Âge de l’Os), aussi bien que les Indiens
néolithiques d’Ohio. Les Sumériens d’Ur étaient à l’époque au début de
I’Âge du Bronze, ce qui ne les empêcha pas de retomber plus tard dans
l’Âge du Cuivre[35]. » Cette possibilité de rechute est très
significative : Il n’y a pas de raison pour que d’autres nations ne
puissent rétrograder au même titre que les Sumériens. Mais les morceaux
de sidérolithe n’étaient pas la seule source préhistorique, car « il
s’avère maintenant que, quoique ne s’y intéressant pas, l’homme a pu, à
une époque extrêmement reculée, faire fondre son propre fer à partir de
ses minerais et en fabriquer des armes[36]. » Mais comment des hommes
ont-ils pu faire une aussi grande découverte ou transmettre un art
aussi difficile sans s’y intéresser ? Nous ne pouvons que croire qu’il
y a eu quelque part des gens qui s’y sont réellement intéressés, et il
se fait que ces gens-là, comme nous le verrons bientôt, demeuraient
dans la patrie d’origine des Jarédites. Il n’y a assurément plus aucune
raison de refuser le fer aux Jarédites s’ils le voulaient. Une lame de
couteau mésopotamienne « d’origine non météorique » et fixée dans une
poignée a été datée avec certitude au vingt-huitième siècle av. J.-C.;
du fer de la Grande Pyramide remonte à 2900 av. J.-C. et « a peut-être
été extrait d’un minerai[37] ». Cependant, les Égyptiens, loin de se
spécialiser dans le fer, n’ont jamais fait beaucoup attention à ce
métal sauf dans leurs rituels primitifs, dernier endroit où l’on se
serait attendu à l’y trouver si c’était une invention tardive. Bien que
Wainwright lui-même ait découvert à Gerzah, en Égypte, des perles de
fer qui « remontent à environ 3500 ou plus tôt ... en fait, l’Égypte
fut le dernier pays du Proche-Orient à entrer dans I’Âge du Fer, et ce,
seulement sous l’intensification des influences du nord[38] ». En fait,
en 1000 av. J.-C., « I’Égypte reste encore à l’Âge du Bronze[39] ».
Ayant prouvé que le travail du fer est aussi vieux que la civilisation,
les Égyptiens se mettent ensuite, à la grande consternation des
évolutionnistes, en devoir de prouver que la civilisation est
parfaitement libre de l’ignorer. Ce sont les Asiatiques qui ont en
réalité tiré le plus grand parti du fer. Dès 1925 av. J.-C., un roi
hittite avait un trône de fer, et dans les inventaires des temples
hittites, « c’est le fer qui est le métal ordinaire, et non le bronze,
auquel on est accoutumé dans les autres pays du Proche-Orient[40] ». Si
nous nous dirigeons plus vers l’est, dans la région d’où proviennent
les Jarédites, nous voyons que la manufacture du fer est si avancée au
moment de la période d’Amarna que le monarque local peut envoyer au roi
d’Égypte deux splendides poignards « dont la lame est en khabalkinu »,
le mot étant ordinairement traduit par « fer »[41]. Bien que la
traduction ne soit pas absolument certaine, les allusions littéraires à
l’acier sont très anciennes. Le Zend Avesta parle constamment de
l’acier, et l’acier vient avant le fer dans les quatre âges de
Zarathustra[42], ce qui fait penser à la doctrine védique que le ciel
fut créé à partir de l’acier et que l’acier était le « métal bleu-ciel
» des tout premiers Égyptiens et Babyloniens[43]. Les légendes des
tribus d’Asie sont pleines d’oiseaux, de flèches et d’autres objets
magiques en fer et en acier, et le fondateur de la dynastie Seldjoucide
d’Iran était, comme nous l’avons noté, appelé Arc-de-Fer ou
d’Acier[44]. Le travail du fer est pratiqué en Asie centrale même par
des tribus primitives, et Marco Polo dit qu’ils exploitent « I’acier »
plutôt que le fer[45]. Quand on peut entendre par « acier » toute forme
de fer très résistant, la formule chimique correcte de ce métal se
trouve dans les objets d’acier de Ras Shamra, qui remontent jusqu’au
14e siècle av. J.-C.[46] Si nous voulions faire remonter ce métal
jusqu’à son lieu et à sa date d’origine, nous nous trouverions selon
toute probabilité dans le monde des Jarédites, car leur pays était
celui de Tubal-Caïn « Ie coin nord-ouest le plus extrême de la
Mésopotamie », qui est, observe Wainwright, approuvant l’histoire de
Genèse 4:22, « le pays le plus ancien où nous savons que des réserves
de fer manufacturé étaient conservées et distribuées au monde[47] ».
C’est dans cette région et non en Égypte que nous devons chercher les
espèces les plus anciennes aussi bien que les meilleures de travail
antique du fer, même si les Égyptiens connaissaient le fer au moins dès
3500 av. J.-C.
L’exemple du fer, de l’acier et du
bronze est instructif. Ils ne se sont pas développés par degrés
imperceptibles pour conquérir le monde en un triomphe sans cesse
croissant au cours des âges, mais apparaissent pleinement développés
pour être utilisés dans un endroit et interdits dans l’autre, prospérer
à une époque et être abandonnés à l’époque suivante[48]. Il en va de
même d’un autre produit attribué aux Jarédites et que, jusqu’à ces
dernières années, on croyait avoir été une invention relativement
tardive. Du temps de Joseph Smith, et longtemps après, il n’y avait pas
un seul savant qui n’acceptât sans réserve l’histoire de l’origine du
verre racontée par Pline[49]. J’étais autrefois intrigué par le fait
que la mention, dans (Éther 2:23), de « fenêtres, (qui) voleraient en
éclats » ne peut avoir trait qu’à des fenêtres de verre, puisque aucune
autre sorte ne serait étanche tout en restant fenêtre, et qu’elles
devraient être fragiles pour pouvoir voler « en éclats ». En outre,
Moroni, en parlant précisément de « verre transparent » dans (Éther
3:1), suit probablement Éther. Cela voudrait dire que l’invention du
verre est bien plus ancienne qu’on aurait pu se l’imaginer jusqu’à la
découverte récente d’objets tels que des perles de verre égyptiennes
datant de la « fin du troisième millénaire av. J.-C.[50] » et « des
plaques de verre bleu turquoise d’excellente qualité » en la possession
d’une des toutes premières reines d’Égypte[51]. « On sait très peu de
choses, écrit Newberry, sur les débuts de l’histoire du verre », bien
que l’on puisse « faire remonter [cette histoire] jusqu’à l’époque
préhistorique, car on a trouvé des perles de verre dans des tombes
préhistoriques[52] ». Il ne faut pas s’étonner si la présence d’objets
de verre avant le sixième siècle av. J.-C. est « très rare[53] », car
le verre pourrit, comme le bois, et l’on peut déjà s’étonner que le peu
qu’il en reste soit parvenu jusqu’à nous depuis la lointaine antiquité.
Par ailleurs, il y a un monde de différence entre peu d’objets de verre
et pas d’objets du tout. Tout ce que nous avons pour montrer que les
Mésopotamiens utilisaient des couteaux de fer tout au début du
troisième millénaire av. J.-C., c’est un seul et unique grumeau de
terre rougeâtre, mais c’est tout ce qu’il nous faut. De même, le plus
ancien morceau de verre daté que nous connaissions vient de l’époque
d’Amenhotep 1er; cependant, sous ses successeurs immédiats, on voit
apparaître des vases qui révèlent une technique avancée dans le travail
du verre : « Ils révèlent l’art à un très haut niveau de compétence,
qui doit être le résultat d’une longue série d’expériences », écrit
Newberry[54].
La découverte du plus ancien travail
du verre et du fer en Égypte n’est pas du tout un éloge à la
civilisation supérieure des Égyptiens, mais plutôt aux qualités
supérieures de préservation de leurs sables secs. Nous avons vu que les
Égyptiens se souciaient très peu du fer dont la patrie était en réalité
le pays de Tubal-Caïn.
Il semble qu’il en soit de même du
verre. Les mythes et le folklore de la plus ancienne couche de légendes
asiatiques (les cycles des cygnes-jeunes filles et des flèches-chaînes,
par exemple) sont pleins de montagnes de verre, de palais de verre et
de fenêtres de verre. Dans une légende extrêmement archaïque et très
répandue, l’oiseau Shamir (il porte beaucoup de noms), cherchant à
entrer dans la chambre de la reine des enfers, se brise les ailes
contre la vitre de sa fenêtre quand il essaie de la traverser. Comme je
l’ai montré dans une autre étude, la montagne de verre des légendes du
nord et le palais de verre de l’immense cycle de Schéba en sont les
variantes. « La vitrification et la pâte vitrée », si proches du verre
que leur absence dans la même région est surprenante, étaient « connues
et largement utilisées en Égypte et en Mésopotamie à partir du
quatrième millénaire av. J.-C.[55] ». Mais ce genre de produit,
appliqué aux objets d’argile, a une bien plus grande chance de laisser
une trace de lui-même que le verre pur qui se désintègre tout
simplement dans la terre humide, processus que j’ai souvent eu
l’occasion d’observer dans les tas d’immondices grecs antiques. Ceci
explique facilement la rareté des restes de verre en dehors de
l’Égypte. Nous nous rendons maintenant compte que les savants qui
rejettent catégoriquement l’affirmation de Marco Polo qu’il avait vu
des vitres de verre coloré à la cour du grand Khan ont parlé trop vite.
Un contemporain de Marco Polo « dit que les fenêtres de certains des
yachts ou des barques avaient du verre à vitre » en Chine, mais le
commentateur qui cite cette autorité ajoute que « Ia manufacture en
était probablement européenne[56] ». Il est intéressant de constater
que l’emploi le plus antique du verre pour fenêtre en Extrême-Orient
était pour les fenêtres de bateau, mais le fait que le verre était rare
en Chine n’en fait pas du verre européen, car ce n’était pas l’Europe,
mais l’Asie centrale qui excellait dans la production du verre. En
1221, un observateur chinois en Asie centrale fut frappé par la grande
industrie locale qui produisait entre autres choses des vitres en verre
clair[57]. Nous avons noté que les grands Khans s’intéressaient
spécialement aux orfèvres et aux ouvriers du verre.
Si le verre et le fer périssent, que
dire de la soie ? Le « fin lin retors » des Jarédites (Éther 10:24) ne
pose pas de problème sérieux, puisque, comme je l’ai fait remarquer
dans une précédente lettre, des lambeaux du lin le plus fin ont
réellement survécu dans des sites préhistoriques dans l’Ancien Monde.
Mais le même verset parle de soie. Étant donné que peu de substances
s’oxydent plus complètement que la soie, il n’est pas surprenant que la
seule preuve que nous ayons de son existence sans l’Antiquité soient
les documents écrits. Mais ils suffisent pour offrir aux Jarédites le
luxe de porter leurs vêtements de soie, si l’on doit accorder le
moindre crédit aux affirmations citées dans l’Encyclopedia Britannica
que l’on portait de la soie en Chine dans la première moitié du
troisième millénaire av. J.-C. et en Inde dès 4000 av. J.-C[58].
L’antériorité de l’Inde par rapport à la Chine suggère un point de
distribution central pour l’une et l’autre, ce qui serait bien entendu
l’Asie centrale et effectivement, Khotan, en Asie centrale, était le
grand centre au Moyen Âge. La fabrication de la soie à une date très
reculée dans les îles grecques et la légende du Dédale minœn rapportée
par Appollodore, qui ne peut avoir trait qu’à la culture de la soie,
donnent à penser que c’est l’Asie plutôt que la Chine qui a été le
centre de distribution préhistorique de la connaissance de la soie dans
le monde.
Le règne animal
Comme le métal et le verre, les
animaux d’autrefois ont longtemps été représentés de manière incorrecte
par les idées préconçues des archéologues. Jusque il y a cinq ans – et
peut-être encore maintenant – les meilleurs archéologues étaient
convaincus que le chameau n’était pas connu en Égypte avant l’époque
grecque et romaine, et traitaient l’histoire biblique des chameaux
d’Abraham (Genèse 12:16) comme la plus grossière des gaffes. Cependant
J. P. Free a pu démontrer l’existence et l’emploi constant de cet
animal en Égypte depuis les temps préhistoriques jusqu’à présent et ce,
sur la base d’indices qui sont à la portée de tout étudiant
consciencieux[59]. Nous savons que le cheval, comme le fer, avec lequel
il est souvent associé dans l’histoire conventionnelle, n’est pas
apparu sur la scène en un seul endroit pour se répandre graduellement
et d’une manière constante dans le monde entier, mais a été introduit à
diverses reprises dans la région de la culture primitive
indo-germanique, s’infiltrant, pour ainsi dire, à maintes reprises[60].
Si certains peuples préhistoriques (par ex. à Anau) ont eu le bœuf et
le cheval avant le chien ou la chèvre, d’autres (comme les
Ertebœlliens) avaient le chien longtemps avant les autres. Je pense
qu’il est assez remarquable, écrit McGovern, que nous ne trouvions pas
de mention spécifique du chameau chez les Scythes et les Sarmates bien
que ... son existence et son utilité aient dû être connues[61]. » La
morale en est que nous ne pouvons être sûrs de rien. Tout naturaliste
supposerait que l’éléphant est éteint dans l’ouest de l’Asie depuis des
centaines de milliers d’années, à en juger par les preuves que cette
bête a laissées de son existence. C’est l’histoire écrite seule qui
nous donne l’assurance que de vastes troupeaux d’éléphants parcoururent
les terres tempérées de Syrie et du haut de l’Euphrate jusqu’à la
dix-huitième dynastie égyptienne, lorsque les pharaons les y chassaient
par sport, et que les seigneurs guerriers de l’Asie centrale
utilisèrent les éléphants jusqu’au cours du Moyen Âge[62]. Dans la
haute antiquité, l’espèce sauvage disparut sans laisser de traces,
peut-être à cause d’un changement dans le climat de la terre. Je pense
qu’il est très significatif que le Livre de Mormon ne parle d’éléphants
qu’à propos des Jarédites, puisqu’il n’y a aucune raison apparente pour
qu’ils n’aient pas été aussi courants au cinquième qu’au quinzième
siècle av. J.-C. Tout ce que nous savons, c’est qu’ils ont disparu dans
de grandes parties de l’Asie à un moment donné entre ces dates, de même
que dans le Nouveau Monde, si l’on veut en croire le Livre de Mormon,
ne laissant que les documents écrits des hommes pour témoigner de leur
existence.
« Ils ont beaucoup de fer, d’accarum
et d’andanicum », dit Marco Polo, parlant de la population de Kobian. «
Ils font ici des miroirs en un acier extrêmement poli, de grande taille
et très beaux. » Ce qu’il faut noter ici, ce n’est pas avant tout
l’état avancé du travail du fer en Asie centrale, bien que, comme nous
l’avons vu, cela soit significatif, mais le fait que personne ne sait
au juste ce que sont l’accarum et l’andanicum. Marco le savait, bien
entendu, mais puisque ces objets n’existaient pas en Europe, il n’y
avait pas de mot occidental pour les traduire et par conséquent tout ce
qu’il pouvait faire, c’était les appeler par le seul nom qu’on leur
donnait. Il en va de même des cureloms et des cumoms d’Éther 9:19. Ces
animaux étaient inconnus des Néphites, c’est pourquoi Moroni ne traduit
pas les mots, ou alors, quoique connus des Néphites, ils
n’appartiennent pas à notre expérience, de sorte que c’est notre
langue, à nous, qui n’a pas de nom à leur donner. C’étaient simplement
des variétés de ces nombreuses « autres espèces d’animaux qui étaient
utiles pour la nourriture de l’homme » (Éther 9:18). L’histoire de
l’élevage « d’animaux qui étaient utiles à l’homme » est extrêmement
complexe; faire le pedigree, même d’espèces aussi évidentes que le
cheval arabe, le dromadaire ou le bœuf, est encore tout à fait
impossible[63]. Ceux qui sont allés tant d’Europe que de
l’Extrême-Orient en Asie centrale parlent toujours des espèces
particulières d’animaux qu’ils y trouvent: des chameaux à deux bosses
(qui en réalité ne ressemblent pas plus au dromadaire arabe qu’un lama
ressemble à un mouton), des moutons à longue queue et d’étranges
variétés de bœufs et de chevaux, tous animaux pour lesquels il est
impossible aux voyageurs de trouver des mots dans leur propre
langue[64]. Ils appellent donc les dromadaires et les chameaux
bactriens « chameaux » et les kulans « chevaux », tout comme le Livre
de Mormon désigne, sans aucun doute, sous le nom de moutons et de gros
bétail des espèces qu’il nous serait difficile de reconnaître. Je
trouve extrêmement rassurant que le livre d’Éther, en nous conduisant
dans des temps archaïques, tienne absolument à compliquer les choses en
parlant d’animaux manifestement éteints du temps des Néphites et
d’espèces que nous ne pouvons pas identifier.
La description de la façon dont les
gens furent chassés d’un pays par une invasion de serpents qui,
ensuite, « [coupèrent] le chemin, pour que le peuple ne pût passer »
(Éther 9:31-35) peut mettre rudement à l’épreuve votre crédulité
scientifique. Je me hâte de vous rassurer. On nous dit que Pompée le
Grand ne put faire passer son armée en Hyrcanie parce que le chemin
était barré par des serpents le long de l’Araxe, cours d’eau encore
infesté de ces animaux[65]. Une des principales activités
philanthropiques des mages perses était de faire la guerre aux
serpents, devoir qui doit remonter à une époque où les hommes étaient
cruellement affligés par eux[66]. Les Absurtitani passaient pour avoir
été chassés de leur pays par des serpents et Esarhaddon d’Assyrie
rappelle l’horreur et le danger d’une marche effectuée par son armée à
travers un pays « de serpents et de scorpions, dont la plaine était
couverte comme de fourmis[67] ». Au treizième siècle de notre ère, le
shah Sadrouddine décida de construire une capitale qui surpasserait
toutes les autres villes en splendeur; cependant le projet dut être
abandonné après d’énormes dépenses lorsque, pendant une période de
sécheresse, l’endroit grouilla à ce point de serpents que personne ne
pouvait y vivre[68]. Il est intéressant de constater, dans cet ordre
d’idées, que le fléau des serpents mentionné dans Éther est décrit
comme consécutif à une période d’extrême sécheresse (Éther 9:30).
Au dixième chapitre d’Éther, nous
lisons que de grandes expéditions de chasse furent entreprises au temps
du roi Lib dans le pays riche et giboyeux du sud « pour chasser de la
nourriture pour le peuple du pays » (Éther 10:19). Les Occidentaux ont
tendance à considérer la chasse comme une activité très individualiste;
en effet, Oppenheimer insiste sur le fait que les chasseurs opèrent «
toujours soit en petits groupes, soit seuls ». Mais telle n’est pas la
façon dont les anciens Asiatiques chassaient. Selon Odoric et William,
les Mongols chassaient toujours en grandes battues, des milliers de
soldats poussant le gibier vers le centre d’un grand cercle où le roi
et sa cour choisissaient les animaux[69]. C’était la façon normale
d’approvisionner une armée et une nation en Asie comme Xénophon le
décrit dix-sept siècles avant Carpini[70]. Des milliers d’années avant
Xénophon, un Égyptien pré-dynastique gravait une palette en ardoise
verte sur laquelle il décrivait une armée de rabatteurs formant un
grand cercle autour d’une troupe d’animaux affolés et en pleine
confusion poussés vers un enclos circulaire au centre. C’est la chasse
royale, à la mode jarédite, à l’aube de l’histoire[71]. Ces grandes
chasses étaient toujours conduites par le roi, comme chez les Jarédites
: « Et Lib devint aussi un grand chasseur » (Éther 10:19). « Les rois
doivent être chasseurs » et toute cour royale devait avoir sa réserve
de chasse à l’instar des anciens dirigeants de l’Asie qui mettaient
invariablement à part, comme refuges pour les animaux, de vastes
superficies de terrain où il était interdit d’habiter[72]. Ici le Livre
de Mormon nous présente un scoop vraiment stupéfiant : « Ils
conservèrent le pays situé du côté du sud comme désert, pour avoir du
gibier. Et toute la surface du pays situé du côté du nord était
couverte d’habitants » (Éther 10:21). Le tableau de la vieille économie
de chasse des Asiatiques est complet dans tous ses points essentiels et
correct dans tous ses détails.
[1] Éther 11:9, 18-19, 23; cf. 10:14, 31; 7:7; 8:3-4; 10:15, 30.
[2] E. A. Wallis Budge, The Chronography of Bar Hebraeus, 2 vols., Oxford, Oxford University Press, 1932, 1:495, 500.
[3] Benjamin de Tudela, Voyages, ch.
56, dans A. Asher, dir. de publ., The Itinerary of Rabbi Benjamin of
Tudela, 2 vols., New York, « Hakesheth », n. d., 1:95, italiques
ajoutés; cf. id., 1:96: à la suite d’une rébellion, « il fut décrété
que tous les membres de la famille du Calife devaient être enchaînés
pour contrecarrer leurs intentions rebelles. Cependant, chacun d’eux
réside dans son palais… ils mangent et boivent et mènent joyeuse vie. »
[4] Michael Prawdin, The Mongol Empire, Londres, Allen & Unwin, 1940, p. 424.
[5] Id., 448.
[6] Fikret Isiltan, Die
Seltschuken-Geschichte des Akserayi, Sammlung Orientalistischer
Arbeiten 12, Leipzig, Harrassowitz, 1943, pp. 41-42. On trouvera
quelques dépositions pittoresques de souverains dans Budge,
Chronography of Bar Hebraeus 1:147, 163, 176, 178.
[7] N. Martinovitch, « Another Turkish Iron Cage », JAOS 62, 1942, p. 140, citant un certain nombre de cas.
[8] Budge, Chronography of Bar Hebraeus, 1:471.
[9] David D. Luckenbill, Ancient
Records of Assyria and Babylonia, 2 vols., Chicago, University of
Chicago Press, 1926-27, 2:155.
[10] Id., 2:314.
[11] A. B. Cook, Zeus, 3 vols.,
Cambridge, Cambridge University Press, 1914-40, et C. J. Gadd, Ideas of
Divine Rule in the Ancient East, Londres, Oxford University Press,
1948, traitent en détail de ce sujet.
[12] Luckenbill, Ancient Records of Assyria and Babylonia, 1:270-71, 288; 1:182.
[13] Id., 1:50.
[14] William M. McGovern, The Early
Empires of Central Asia, Chapel Hill,University of North Carolina
Press, 1939, p. 73. Cf. Hérodote, Histoires IV, p. 20.
[15] Claudian, Bellum Geticum 11, pp.
364-68; C. C. Mierow, The Gothic History of Jordanes, Princeton,
Princeton University Press, 1915, 128-29; ch. 52.
[16] Henning Haslund, Men and Gods in Mongolia, New York, Dutton, 1935, p. 4.
[17] Marco Polo, Voyages.
[18] B.Ya.Vladimirtsov, The Life of
Chingis-Khan, New York, Houghton Mifflin, 1930, pp. 147-48; la citation
se trouve p. 148. D’après cette théorie, « les vaincus sont la
propriété du conquérant, qui est leur maître légitime, ainsi que celui
de leur pays, de leurs biens, de leurs femmes et de leurs enfants. Nous
avons le droit de faire ce que nous voulons de ce qui nous appartient
», E. S. Creasy, History of the Ottoman Turks, 2 vols., Londres,
Bentley, 1854-56, 1:21.
[19] Prawdin, The Mongol Empire, pp. 131, 142, 175, 476. Luckenbill, Ancient Records of Assyria and Babylonia, 1:182.
[20] G. N. Roerich, Trails to Inmost Asia, New Haven, Yale University Press, 1931, p. 232.
[21] Prawdin, The Mongol Empire, p. 374; Gadd, Ideas of Divine Rule in the Ancient East, p. 6.
[22] Prawdin, The Mongol Empire, p. 374.
[23] Sous le sous-titre « Mountain
and Palace », dans Hugh W. Nibley, « Hierocentric State », WPQ 4, 1951,
pp. 235-38. Aucun empire n’était possible sans un palais et une ville
pour centre, comme dans Jubilés 4:9; 7:14. Dans les temps les plus
anciens, « tout roi se construisait une nouvelle résidence en montant
sur le trône », dit Eduard Meyer, Geschichte des Altertums, 2e éd.,
Stuttgart, Cotta, 1909, vol. 1, 2e partie, p. 145, car il était de
coutume « que tout roi possède sa propre ‘ville’ ».
[24] A. Wünsche, Salomons Thron und Hippodrom, Ex Oriente Lux 2:3, pp. 9 et suiv., 22-25. Tha'labi, Qisas al-Anbiyya, pp. 11-12.
[25] La 7e partie de « The World of the Jaredites », IE 55, mars 1952, pp. 162-65, 167-68, commençait avec cette phrase.
[26] Budge, Chronography of Bar Hebraeus, 1:500.
[27] Clément Huart et Louis
Delaporte, L'Iran antique, Paris, Michel, 1952, p. 367; Adam Mex, The
Renaissance of Islam, Salahuddin Khuda Bukhsh et D. S. Margoliouth,
tr., Londres, Luzac, 1937, pp. 19-20. Ce trône d’or était dressé sur
une plateforme en or, devant laquelle se trouvait une plateforme en
argent sur laquelle ses princes s’asseyaient dans des fauteuils dorés ;
certains disent que ces derniers étaient des trônes d’argent.
[28] Carpini, ch. 28, dans Manuel Komroff, dir. de publ., Contemporaries of Marco Polo, New York, Liveright, 1928, p. 45.
[29] Eduard Meyer, Geschichte des
Altertums, 2e éd., Stuttgart, Cotta, 1928, vol. 2, 1e partie, p. 235;
Hugh W. Nibley, « Hierocentric State », WPQ 4, 1951, p. 240. La sella
curulis était un pliant doré utilisé par l’empereur romain, mais son
nom montre qu’elle était montée, à l’origine, sur des roues à la
manière asiatique.
[30] A la réunion de la Côte Pacifique en 1940, ARAHA, 1940, p. 90.
[31] Hugh W. Nibley, « Sparsiones », CJ 40, 1945, pp. 541-43.
[32] Id., pour un traitement préliminaire.
[33] Budge, Chronography of Bar
Hebraeus, 1:182, « La soeur du Calife avait un certain scribe, un
Égyptien, en Syrie, et il lui envoya un messager pour se plaindre
auprès d’elle d’Abu Tahir [gouverneur de Syrie]… Et parce que son frère
faisait toujours très attention à ce qu’elle disait, elle alla pleurer
devant lui. Et elle reçut [de lui] l’ordre et elle l’envoya et tua Abu
Tahir, et sa tête fut transportée en Égypte. »
[34] La citation est de P. Van der
Meer, The Ancient Chronology of Western Asia and Egypt, Leiden, Brill,
1947, p. 13. La citation ne concerne pas le verre, mais a trait aux
questions de préjugés historiques.
[35] Gerald A. Wainwright, « The Coming of Iron », Antiquity 10, 1936, p. 7.
[36] Id., p. 7.
[37] Id., pp. 8-9.
[38] Id., pp. 7, 23.
[39] Id., p. 22.
[40] Id., p. 14; italiques ajoutés.
[41] Id., p. 18.
[42] Friedrich Spiegel, Ernische
Alterthumskunde, Leipzig, 1873, 2:152. James Darmesteter, The
Zend-Avesta, 3 vols., Oxford, Oxford University Press, 1880-87, 1:93.
[43] Ce sujet a été abordé dans Hugh W. Nibley, « Lehi dans the Desert », IE 53, 1950, pp. 323-25.
[44] Sadr al-Din Abi al-Hasan 'Ali b.
Nasir b. 'Ali al-Husayni, Akhbar al-Dawla al-Saljuqiyya, Lahore,
Université du Penjab, 1933, p. 1. Ceci pourrait être considéré comme
une simple épithète ornementale, s’il n’y avait pas le fait que le nom
Flèche de fer est assez courant et désigne en fait une telle arme,
Semen I. Lipkin, Manas Vielikodushnyi, Moscou, Sovietski Posaty, 1947,
pp. 24-25. Ce qu’impliquent les arcs d’acier est bien entendu très
significatif pour 1 Néphi 16:18.
[45] T. Wright, dir. de publ., The
Travels of Marco Polo, Londres, Bohn, 1854, p. 53, livre1,ch. 14.
Pendant qu’il voyageait en Asie Centrale, en 568 apr. J.-C., Ménandre
rencontra plus d’une fois des tribus primitives des montagnes, qui
essayaient de lui vendre leurs outils de fer locaux; Menander
Protector, De Legationibus Romanorum ad Gentes 8, dans PG 113:884.
[46] T. J. Meek, « The Challenge of
Oriental Studies to American Scholarship », JAOS 63, 1943, p. 92, n.
73, donne la formule de l’acier de Ras Shamra.
[47] Wainwright, « The Coming of Iron », p. 16.
[48] « Le clan des forgerons a dû
garder longtemps secret l’art de forger le fer pour conserver ses
privilèges. » George Vernadsky, Ancient Russia, New Haven, Yale
University Press, 1943, p. 43.
[49] D. B. Harden, « Ancient Glass », Antiquity 7, 1933, p. 419; Pline, Histoire naturelle XXXVI, p. 191.
[50] Harden, « Ancient Glass », p. 419.
[51] P. E. Newberry, « A Glass Chalice of Tuthmosis III », JEA 6, 1920, p. 159.
[52] Id., pp. 158-59.
[53] Harden, « Ancient Glass », p. 419.
[54] Newberry, « A Glass Chalice of Tuthmosis III », 158; Harden, « Ancient Glass », p. 420, cf. 426.
[55] Harden, « Ancient Glass », p. 419.
[56] Wright, The Travels of Marco
Polo, p. 179, n.1, livre 2, ch. 6). L’existence de telles fenêtres a
été vivement contestée sans raison valable. Un voyageur d’autrefois «
mentionne que les fenêtres de certains yachts ou barques avaient du
verre à vitre » en Orient, Id. Il est intéressant de remarquer que la
seule utilisation prouvée du verre à vitres était celle des navires.
[57] Karl A. Wittfogel et Fêng Chia-Shêng, « History of Chinese Society Liao », TAPS 36, 1946, p. 661.
[58] « Silk and Sericulture », Encylopaedia Britannica, 24 vols., Chicago, Encyclopaedia Britannica, 1960, 20:661.
[59] Joseph P. Free, « Abraham's Camels », JNES 3, 1944, pp. 187-93.
[60] Fritz Flor, dans Harentz, dir. de publ., Germanen und Indo-Germanen, Heidelberg, 1934, 1:111 et suiv., p. 122.
[61] McGovern, The Early Empires of
Central Asia, p. 77, cf. 27; Raphael Pumpelly, Explorations in
Turkestan, 2 vols., Washington, Carnegie Institution, 1908, 1:41-43.
[62] James H. Breasted, A History of
Egypt, New York, Scribner, 1909, p. 304; Wittfogel & Chia-Shêng, «
History of Chinese Society Liao », p. 669.
[63] L’autorité principale sur le
sujet est Max Hilzheimer. Voir Max Hilzheimer, « Dogs », Antiquity 6,
1932, pp. 411-19; et Max Hilzheimer, « Sheep », Antiquity 10, 1936, pp.
195-206.
[64] Voir, par exemple, Wittfogel
& Chia-Shêng, « History of Chinese Society Liao », p. 662, Haslund,
Men and Gods in Mongolia, p. 73.
[65] Darmesteter, Zend-Avesta, 1:5, n. 3.
[66] Hérodote, Histoires I, 140.
[67] James A. Montgomery, Arabia and the Bible, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1934, p. 50.
[68] Isiltan, Die Seltschuken-Geschichte des Akserayi, pp. 97-98.
[69] Odoric ch.13, et William of
Rubruck ch.7, dans Komroff, Contemporaries of Marco Polo, pp. 241, 68.
Sur Oppenheimer, voir Nibley, « Hierocentric State », p. 251.
[70] Xénophon, Cyropédie II, 4, pp. 16-26.
[71] E. A. Wallis Budge, The Mummy, Cambridge, Cambridge University Press, 1925, plaque 2, centre.
[72] Nibley, « Hierocentric State »,
pp. 238-44; et Hugh W. Nibley, « The Arrow, the Hunter, and the State
», WPQ 2, 1949, pp. 343-44.
CHAPITRE CINQ : Ils prennent les armes
Les grands espaces libres[1]
Mon cher professeur F.,
Si mes rabâchages constants sur
l’Asie centrale vous irritent, permettez-moi de vous rappeler de
nouveau que le livre d’Éther ne nous laisse pas le choix. Il ne nous
permet jamais d’oublier que ce que les rois jarédites faisaient était
une imitation consciente et une continuation ininterrompue des
pratiques des « anciens », de « ceux d’autrefois » de l’autre côté de
l’eau. Ceci est, soit dit en passant, une autre indication de ce que
nous ne devons pas considérer que la migration jarédite se produisit
immédiatement après le déluge, car la chute de la Tour vit la
destruction d’un ordre antique et établi. Les Jarédites quittèrent leur
patrie, poussant devant eux de grands troupeaux de bétail à la manière
immémoriale des Asiatiques, et même s’ils n’avaient jamais été nomades
auparavant, ils menèrent certainement la vie des steppes pendant les
nombreuses années qui s’écoulèrent avant qu’ils ne mettent à la voile
(Éther 3:3), et quand ils embarquèrent, ils entassèrent tout ce qu’ils
pouvaient de leurs animaux dans leurs petits bateaux, « Ieurs troupeaux
de gros et de petit bétail » et d’autres animaux (Éther 6:4), et en
arrivant au Nouveau Monde, ils continuèrent à élever « toutes sortes de
bétail, de bœufs, et de vaches, et de brebis », comme leurs ancêtres
l’avaient fait dans le pays d’origine (Éther 9:18). Rien ne pourrait
mieux contribuer à garder en vie les pratiques de l’Ancien Monde que
ces sociétés secrètes notoirement conservatrices qu’Éther fait toujours
remonter aux « serments des anciens » et qui ont, à toutes les époques,
exercé une attirance fatale sur les hommes de l’Asie. Nous avons déjà
noté que ces abominations secrètes sont le produit nécessaire d’une
société dans laquelle les liens sociaux peuvent être facilement rompus.
L’histoire politique des Jarédites trahit clairement, dans tous ses
aspects, les pratiques des « gens des grands espaces ».
L’histoire jarédite dans le Nouveau
Monde fut officiellement inaugurée par une assemblée générale et un
recensement de toute la nation (Éther 6:19), pratique typiquement
asiatique, qui remonte au temps des chasseurs préhistoriques et qui est
à la base de toutes les organisations politiques antiques, comme je
l’ai démontré dans un certain nombre d’articles [2]. D’une manière
strictement conforme à la façon de procéder dans l’Antiquité, cette
assemblée était l’occasion de choisir un roi et de fonder une dynastie,
qui, comme le prévit clairement le frère de Jared, ne pouvait que
conduire tout droit dans l’ornière des intrigues et des remous de
l’Ancien Monde dont les Jarédites avaient déjà été délivrés une fois
(Éther 6:23). Il avait raison, car bientôt un certain Corihor « se
rebella contre son père, et passa au pays de Néhor, et il... entraîna
beaucoup de gens après lui » (Éther 7:4). Puis il retourna au pays de
Moron, fit son père prisonnier, mais fut soumis par son frère Shule,
homme juste, qui réalisa l’ambition de tout monarque asiatique de «
[répandre] son royaume sur toute la surface du pays » (Éther 7:11) [3].
Shule donna alors à son frère capable et ancien rival « du pouvoir dans
son royaume » (Éther 7:13), touche surprenante mais tout à fait
authentique, d’où il apparaît que les émirs participaient à l’immense
tâche de gouverner l’empire, comme en Asie. Le petit-fils de Shule « se
rebella contre son père, et vint demeurer dans le pays de Heth »,
entraînant des gens jusqu’au moment où il s’acquit la moitié du royaume
(Éther 8:2). Son père déposé « quitta le pays avec sa famille, et il
voyagea de nombreux jours, et passa de l’autre côté, et longea la
colline de Shim, et passa de l’autre côté près de l’endroit où les
Néphites furent détruits et de la vers l’est, et arriva à... la mer »
(Éther 9:3), où il vécut dans des tentes et où il fut rejoint plus tard
par d’autres réfugiés fuyant son royaume déchiré (Éther 9:9) où la
guerre civile avait réduit la population à presque zéro – autre touche
asiatique, comme nous le verrons. Des années plus tard, quand les
frères royaux Shared et Coriantumr luttèrent pour le royaume,
Coriantumr battit son frère, « Ie poursuivit jusqu’au désert d’Akish »,
où les deux armées se pillèrent mutuellement la nuit et « [mirent] le
siège au désert », jusqu’à ce que Coriantumr en sorte vainqueur,
pourchasse le successeur de son frère jusqu’au bord de la mer pour être
à son tour battu et poursuivi à nouveau dans le désert d’Akish,
emmenant « tout le peuple, tandis qu’il fuyait devant Lib » (Éther
14:15). Encore des batailles, une nouvelle poursuite jusqu’à la côte
(Éther 14:26), de là jusqu’aux eaux de Ripliancum, puis vers le sud
pour camper à Ogath, et de là à la colline de Ramah pour l’affrontement
final.
Cet échantillonnage devrait vous
donner un tableau de la façon spéciale des Jarédites de faire la
guerre, une guerre de mouvements sans frontières fixes, de grandes
armées balayant le continent pour fuir ou pour poursuivre, tirant le
maximum de profit de l’espace en retombant constamment sur tel ou tel «
désert », établissant des camps rivaux pour un à deux ans, pendant que
des groupes ou des individus dissidents se joignent à une armée ou à
l’autre. C’est de nouveau l’Asie, et cela demande une note géographique.
Le continent nord-américain est une
reproduction grossière du continent asiatique, avec des toundras et des
forêts dans le nord, cédant la place à de vastes herbages, des déserts
et finalement des jungles tropicales dans le sud. La différence
principale est qu’en Asie tout est plus grand: les forêts et les
plaines semblent illimitées, les déserts sont plus vastes, plus chauds
et plus secs, les montagnes beaucoup plus hautes et plus inaccessibles,
les jungles plus profondes et plus dangereuses, les cours d’eau plus
larges et plus profonds. Et cependant ces formidables barrières n’ont
pas empêché les marches et les contre-marches rapides et incessantes
d’armées puissantes à toutes les époques. Un des plus anciens textes
aryens est la prière: « Puissions-nous aller sans encombre le long des
routes, trouver de bons chemins dans les montagnes, courir facilement
dans les forêts et traverser joyeusement les cours d’eau [4] ! »
Pendant une certaine campagne, nous dit-on, l’armée de Juji « n’était
séparée que par deux mille kilomètres » du gros des Mongols [5]. Cela
doit donner une idée des distances couvertes par ces hordes qui
hivernaient dans les plaines de France ou de Hongrie et dressaient
leurs camps d’été dans les Altaï ou sur le fleuve Onon, presque face au
Pacifique nord. Et tout n’était pas plaines plates non plus, car les
rois des steppes étendirent maintes et maintes fois leur règne jusqu’en
Chine, en Inde, en Perse, en Asie Mineure, en Europe et en Sibérie, ce
qui signifiait traverser régulièrement les plus grands déserts, les
plus hautes montagnes et les fleuves les plus larges de la terre.
L’État asiatique se compose de deux
éléments principaux, d’une part une population sédentaire vivant dans
les villes-oasis et poussant les arts, l’industrie et l’agriculture à
des niveaux de perfection parfois étonnants, et d’autre part un chef
migrateur, se déplaçant à la tête de sa foule guerrière – une armée
tribale de conquérants avec comme noyau sa propre tribu et sa propre
famille, marchant constamment de ville en ville et de château en
château, traversant des déserts brûlants ou des cols de montagne glacés
pour frapper de crainte le monde, écraser les révoltes, et par-dessus
tout étouffer les ambitions de tout rival possible pour la domination
du monde [6]. Cette armée est une nation en marche, avec ses femmes et
ses enfants – les Mongols, quand ils laissèrent leurs familles derrière
eux, inaugurèrent un changement radical dans la stratégie des steppes,
parvenant à une rapidité et à une mobilité qui paralysèrent rapidement
les hordes de leurs rivaux, aux déplacements plus lents, qui
continuaient à observer la vieille coutume de marcher avec leurs
familles et leurs objets ménagers. Les Hyksos, au dix-huitième siècle
av. J.-C., et le Peuple de la Mer, cinq cents ans plus tard, étaient
des nations de ce genre en marche – une armée dévastatrice, mais une
armée emmenant tous ses biens et toutes ses familles à la recherche de
nouvelles terres à coloniser, balayant « les habitants du pays, tous
ceux qui ne voulaient pas se joindre à [eux] », exactement à la manière
jarédite (Éther 14:27) [7]. En tout temps, parmi le peuple des steppes,
« la nation et l’armée sont une seule et même chose; le Seigneur du
clan ou rex devenant duc ou voïvode » au combat [8]. C’est certainement
le cas des Jarédites dont les rois sont avant tout des chefs sur le
terrain, et qui vont au combat « avec leurs femmes et leurs enfants –
les hommes, les femmes et les enfants armés d’armes de guerre, avec des
boucliers, et des plastrons de cuirasse, et des casques, et vêtus pour
la guerre » (Éther 15:15). L’armure mérite d’être mentionnée, car on
sait maintenant qu’elle aussi est une invention d’Asie centrale et une
invention d’une grande antiquité, empruntée plus tard par l’Europe et
l’Extrême-Orient, mais atteignant un haut niveau de perfection dans les
steppes à l’époque préhistorique [9].
Étant donné que les rois jarédites et
leurs armées migratoires étaient constamment en mouvement à la
meilleure manière des Asiatiques, y a-t-il une raison pour qu’ils ne
couvrent pas des distances asiatiques ? Alors pourquoi faire tant
d’histoires à propos de Cumorah ? De la langue étroite de terre jusqu’à
l’État de New York, il y a une distance qui nous renverse, mais pour
Jouji ou Timour ce serait peu de chose. Du fait que nous considérons,
nous, les voyages en termes d’heures ou tout au plus de jours, nous
risquons d’oublier que les gens qui ne cessent jamais de se déplacer
considèrent l’espace non pas du point de vue du temps mais du point de
vue des étapes, et que quand on le répartit en étapes, l’itinéraire le
plus long de la terre devient praticable, même pour le moyen de
transport le plus primitif. En un mot, les distances ne comptent pas.
Un coup d’œil sur la carte montrera que le vaste territoire que les les
Jarédites ont pu couvrir est en réalité assez raisonnable selon les
critères asiatiques. L’expédition de l’Académie Brigham Young de 1900
est allée de Provo à Panama en un temps remarquablement court, bien que
mal équipée à tous points de vue [10].
Quand le roi Omer fut renversé par
son fils Jared, il dut voyager « de nombreux jours » avant d’être hors
de portée de l’usurpateur, qui s’était emparé du royaume, lequel
s’était « [répandu]... sur toute la surface du pays » (Éther 9:3;
7:11). En fait, il s’enfuit aussi loin que cela lui était possible vers
des régions qui allaient devenir le terrain classique de refuge et de
combat des derniers Jarédites. C’est sur le terrain que nous devons
chercher les os et les tertres funéraires des Jarédites, pas dans leurs
villes. Tout comme les grands édifices des Mongols, qui comptent parmi
les bâtiments les plus nobles de la terre, se trouvent dans le sud et
l’ouest, loin des terrains de chasse et de combat primordiaux des
tribus, de même les grands monuments de la civilisation jarédite
abondent dans les terres du sud, qu’ils ont d’abord colonisées, plutôt
que dans le désert des dernières grandes batailles. Un des paradoxes
étranges de l’histoire, c’est que les nomades des steppes ont peut-être
été les plus grands constructeurs de tous les temps, bien que leur type
normal de « ville » fasse « penser davantage à une ville de tentes
ressemblant à un camp nomade qu’à une ville au sens ordinaire du terme
[11] ». Dans les terres qu’il conquiert, le Mongol construit des Taj
Mahals et des Jehols, mais dans ses propres terres, « les vents
nettoient l’espace qu’il a souillé, les pâturages que ses troupeaux ont
tondus poussent plus verts que jamais et la nature répare rapidement
tous les méfaits qu’il a infligés à son bon ordre [12] », et ainsi « de
grands empires nomades sont nés et ont disparu dans l’inconnu » sans
laisser de traces [13]. Ce qu’il faut noter, c’est que dans le modèle
asiatique, la civilisation des camps, qui ne laisse pas de traces
derrière elle, et la civilisation des villes ont été, et c’est
caractéristique, patronnées par les mêmes tribus et les mêmes
souverains depuis le commencement de l’histoire. Que des gens vivent
comme des nomades et construisent cependant de grandes villes n’est pas
plus contradictoire que de les voir être à la fois chasseurs et
fermiers ou à la fois bergers et marchands. Mais depuis le début, les
hommes ont préféré pratiquer la chasse, la pâture et le fermage dans
des secteurs spéciaux réservés à cette fin, coutume dûment observée par
les Jarédites, comme nous l’avons vu (Éther 10:19-21) [14]. L’étude du
vieux système asiatique explique facilement toutes les difficultés
apparentes que l’on aurait à trouver Cumorah dans des contrées
éloignées du centre jarédite.
La vie normale de l’Asie est une vie
de chaos, de violence et d’insécurité produite par des guerres
constantes entre les tribus et la rivalité entre des hommes ambitieux
au sein de ces tribus. De temps en temps apparaît un surhomme qui,
s’étant acquis tout d’abord la domination totale d’une tribu, écrase
impitoyablement ses voisins un par un, obligeant les survivants à faire
cause commune contre lui et à former une grande coalition; un règlement
de comptes final dans lequel cette coalition est soit détruite, soit
victorieuse dans une grande « bataille des nations » décide du sort du
monde pour les générations qui suivent. Si le grand homme gagne, le
monde connaît une période de paix et d’unité forcées sous le règne
absolu d’une seule volonté de fer. À n’importe quel moment de sa
carrière, le conquérant du monde doit affronter un rival particulier,
son rival le plus dangereux de l’heure, contre lequel se tourne toute
son attention avec une haine personnelle passionnée et une fureur
implacable. On peut trouver ceci dans presque n’importe quelle page de
la vie de n’importe quel candidat cosmocrate, depuis Sargon jusqu’à
Hitler. C’est aussi le leitmotiv de l’histoire jarédite, qui, chaque
fois qu’elle devient cohérente, se cristallise autour de la personne
d’un guerrier terrible mais compétent en lutte contre un rival tout
aussi alarmant. Tandis que « Coriantumr [passait] avec son armée dans
le désert pendant deux années, pendant lesquelles il reçut de grandes
forces pour son armée » (Éther 14:7 ), son adversaire Shared reçut «
aussi de grandes forces pour son armée » par le fonctionnement de «
combinaisons secrètes ». Plus tard, Coriantumr dressa ses tentes près
de la colline de Ramah et passa quatre années à réunir le peuple (Éther
15:11-14). De la même façon, Gengis Khan se cacha pendant deux ans dans
le désert, recrutant une armée contre son parent Wang Khan, qui faisait
la même chose et consacra plus tard quatre ans à édifier une armée pour
affronter l’empereur de Khwarizm, qui travaillait fiévreusement pour
édifier son armée à lui, chacun faisant tout ce qui était en son
pouvoir pour « entraîner » les alliés de son ennemi vers son propre
côté [15].
Ce système d’ « entraîner » vers soi
est, comme nous l’avons déjà noté, très antique en Asie. Il y a même un
mot arabe spécial pour le désigner: jadhab. « À qui enlèverai-je... la
terrible souveraineté ? » demande Mithra dans l’Avesta, qui est plein
de héros légendaires entraînant vers eux-mêmes les alliés de l’autre
[16]. Le recrutement de forces rivales s’accompagne régulièrement,
comme dans le Livre de Mormon, d’un échange de lettres personnelles
entre les chefs et de l’envoi de défis officiels: « Que les Chanyu
viennent dans le sud et rencontrent l’empereur en bataille ouverte ou
alors deviennent sujets et fassent révérence au trône impérial », voilà
un exemple typique [17]. La jalousie et l’ambition, dit Xénophon, sont
l’essence de la royauté asiatique, qui est une chose intensément
personnelle; il décrit comment Crésus et Cyrus consacrèrent chacun
chaque atome de l’énergie et des trésors dont ils disposaient à
rassembler de vastes armées composites pour mener la bataille pour le
gouvernement de toute l’Asie [18]. Le caractère intensément personnel
de cette rivalité a été décrit dans les pages inoubliables d’Hérodote.
Dans les annales égyptiennes, le pharaon seul est l’unique vainqueur et
l’unique héros, et l’enjeu de toute guerre est simplement sa querelle
personnelle avec le monarque opposé [19]. Tout roi de Babylonie et
d’Assyrie accomplit à lui tout seul tous ses immenses exploits, comme
l’expliquent les monuments, et se fait un devoir de faire savoir que sa
majesté a personnellement liquidé le roi rival: « Au milieu de cette
bataille, ma propre main a capturé Kachtilach, le roi kassite. » «
Contre le roi lui-même, à la pointe de la lance, jusqu’au coucher du
soleil, j’ai mené la bataille [20]. » Cette dernière citation rappelle
d’une manière frappante la scène dans le Livre de Mormon où Shiz et
Coriantumr se tapent dessus jusqu’à la tombée de la nuit (Éther
15:20-29). Les exploits proprement dits de Sargon, de Cyrus, de
Thoutmès III ou de Ramsès Il nous laissent entendre, en outre, que le
combat personnel entre rois n’était pas une vantardise sans fondement
mais avait réellement lieu.
Puisque toute guerre était un combat
personnel entre deux rois, il était de coutume qu’ils se défient
mutuellement en duel. Le roi des Scythes envoya son défi au roi des
Massagètes et aussi au grand Darius, dont le père avait échangé
précédemment des défis avec une reine des Massagètes; le roi des
Visigoths défia l’empereur Honorius en combat singulier, tout comme le
roi Lazare de Servie le fit avec Amurath le Turc, et ainsi de suite
[21]. Je n’ai pas besoin de vous faire remarquer maintenant que le
système tout entier de l’étiquette de la chevalerie est né dans les
steppes d’Asie. Les grands Khans, lorsque leurs rivaux étaient capturés
au combat, les décapitaient personnellement, comme le font encore les
généraux chinois avec d’autres généraux chinois [22]. La reine Tomyris
non seulement décapita Cyrus, selon la légende, mais, folle de haine,
lui cogna la tête en tous sens dans une peau remplie de sang [23]. Il
était courant, parmi les maîtres des steppes, de convertir le crâne
d’un ennemi personnel en coupe à boire, comme l’empereur des Bulgares
avec le crâne de l’empereur Nicéphore et comme le roi des Hiung-nu avec
celui du souverain d’Iran. Les Ukrainiens d’autrefois prêtaient serment
en buvant du sang dans de tels récipients [24]. Les souverains
assyriens recueillent la peau des monarques rivaux, comme le Ja Lama
l’a fait de notre propre temps [25].
Nous nous sommes étendus avec une
complaisance qui frise le mauvais goût sur ces détails sanglants parce
qu’il est nécessaire d’expliquer ce dont le livre d’Éther traite. La
férocité sinistre avec laquelle les souverains d’Asie concentrent toute
leur colère sur la personne d’un roi rival appartient à la tradition
jarédite: « Coriantumr fut extrêmement en colère contre Shared, et il
alla… lui livrer bataille; et ils se rencontrèrent avec une grande
colère » (Éther 13:27). Et « lorsque Shiz eut reçu son épître, il
écrivit une épître à Coriantumr, disant que s’il se livrait, pour qu’il
pût le tuer de sa propre épée, il épargnerait la vie du peuple » (Éther
15:5). Pendant la bataille qui s’ensuivit, « Shiz se leva, et ses
hommes aussi, et il jura dans sa colère qu’il tuerait Coriantumr ou
périrait par l’épée » (Éther 15:28). Ce que ces hommes recherchent
avant tout, ce n’est pas le pouvoir ou la victoire, mais un règlement
de comptes avec un rival personnel.
Guerres d'extermination
Shiz et Coriantumr, au cours de leurs
déplacements dans leurs campagnes sans fin, « balayèrent les habitants
devant eux, tous ceux qui ne voulaient pas se joindre à eux » (Éther
14:17). C’est la méthode asiatique classique du recrutement forcé: « Si
la province voisine à celle qu’ils envahissent ne veut pas les aider »,
dit un témoin oculaire de la technique tartare, « ils la dévastent et,
avec les habitants qu’ils emmènent, ils vont combattre l’autre
province. Ils mettent leurs captifs au premier rang du combat, et s’ils
ne se battent pas courageusement, les passent au fil de l’épée [26]. »
C’est de cette manière que les seigneurs guerriers asiatiques
balayèrent la terre devant eux depuis le début, comme Shiz (Éther
14:18) et comme les hordes communistes de nos jours, obligeant tous
ceux qui se trouvaient sur leur chemin à se joindre à eux. « Je les
comptai parmi mon peuple », dit le conquérant assyrien, parlant d’une
nation après l’autre, et cette antique formule semblerait remonter à
notre vieil ami Nimrod, que la superstition populaire voyait réincarné
dans Gengis Khan quand, selon Carpini, il « devint un chasseur puissant
». « Il apprit à voler les hommes et à les prendre comme proies. Il
faisait des incursions dans d’autres pays, emmenant tous les captifs
qu’il pouvait, et se les adjoignant », comme Nimrod l’avait fait, à
l’aide de serments terribles [27]. Ce système consistant à « balayer la
terre » explique comment il était possible à de petites tribus
asiatiques obscures de grossir très rapidement pour devenir
conquérantes de toute l’Asie et de la plus grande partie de l’Europe:
La tribu qui donnait son nom aux hordes conquérantes était simplement
le noyau d’une armée qui faisait boule de neige pour se transformer en
une armée mondiale grâce au recrutement forcé de tous ceux qu’elle
rencontrait.
On a beaucoup écrit sur le caractère
terrible affiché expressément par les grands conquérants, surtout par
Gengis Khan, dont les pratiques ont été excusées par des biographes
récents, arguant qu’il n’y a pas de meilleure arme que la terreur pour
amollir l’opposition, provoquer une reddition rapide et sauver ainsi
des vies. Assurément, la terreur est la caractéristique de la stratégie
asiatique avec son « mépris de la vie humaine [28] », et la prétention
d’un roi assyrien pourrait bien être répétée par l’écho de beaucoup de
ses successeurs anciens et modernes: « Je marchai victorieusement,
comme un chien furieux, répandant la terreur, et je ne rencontrai pas
de conquérant [29]. » Pour nous, être un chien furieux n’est guère une
chose dont on ait à se vanter, mais la terreur était soigneusement
calculée. Shiz l’aurait compris, lui qui en poursuivant Coriantumr, «
tua femmes et enfants, et brûla les villes. Et la crainte de Shiz se
répandit dans tout le pays, oui, un cri retentit dans tout le pays: Qui
peut résister à l’armée de Shiz ? Voici, il balaie la terre devant lui
! » (Éther 14:17-18). Quand Corihor obtint la victoire, ce fut à son
tour d’être la terreur de la terre, et « le peuple commença à être
effrayé et commença à fuir devant les armées de Coriantumr... » (Éther
14:27).
Un sous-produit important du système
asiatique jarédite de rallier des armées et d’absorber des nations,
c’est l’efflorescence de bandes de brigands sur toute la surface du
pays. Quiconque ne veut pas se joindre aux grandes armées est, comme
nous l’avons vu, mis à mort, mais ceux qui s’échappent ? Ils sont
naturellement des hors-la-loi, n’étant fidèles à aucun roi et n’ayant
par conséquent aucun droit à être protégés. Pour survivre, ces gens se
réunissent en bandes, et comme tous sont des déserteurs dont la tête
est mise à prix, leur comportement devient très dangereux. L’Asie a été
en tout temps couverte de bandes de brigands, exactement comme le
continent américain sous le règne des Jarédites, et, de temps en temps,
ces bandes de brigands ont formé des coalitions suffisamment fortes
pour détruire des états et renverser des trônes. Lorsque les guerres
entre les Mongols et les Mamelouks eurent épuisé toutes leurs
ressources et ruiné beaucoup de pays, des soldats des deux armées se
mirent en bandes pour devenir des armées de brigands, rassemblèrent les
proscrits dans les déserts et les montagnes, et faillirent de peu
conquérir tout l’ouest de l’Asie [30]. Les pages de Bar Hebraeus sont
pleines de ces bandes de brigands et de bonnes descriptions de la façon
dont elles opèrent. Partout où des gouvernements centraux étaient
affaiblis par des guerres et la corruption, des bandes de brigands
apparaissaient comme si elles sortaient de terre, comme par exemple,
lorsque, au début du neuvième siècle, le brigand Omar devint la terreur
de tout le Proche-Orient et, unissant ses forces à celles du chef de
brigands Nasir dans le nord « commença à détruire le monde [31] ».
Tout comme des bandes de brigands
formaient souvent le noyau d’armées conquérantes du monde (certains
empereurs chinois avaient des armées entières composées de « jeunes
dévoyés »), de même ces armées mondiales, une fois battues, se
démembraient rapidement pour redevenir des bandes de brigands, pendant
que leur chef, précédemment souverain mondial, se retrouvait de nouveau
simple chef de bandits [32]. Les années pendant lesquelles Justinien et
Chosroes s’affrontèrent en une rivalité mortelle pour le gouvernement
du monde virent la naissance dans l’ouest de l’Asie d’une foule
bigarrée de bandes de brigands comptant douze mille hommes, qui
causèrent la ruine totale d’une grande partie du monde civilisé; à
cette époque de panique et d’insécurité, « un grand schisme tomba sur
les Arabes (c’est-à-dire les habitants) et en tous lieux se dressait un
homme qui n’était pas d’accord avec son compagnon [33] ». Cet état de
choses typique et récurrent rappelle d’une manière frappante les jours
terribles des brigands jarédites, où chaque homme dormait sur son épée
pour protéger ses biens de tous les autres hommes, et se les faisait
quand même voler (Éther 14:1-2). Il n’est pas nécessaire de nous
attarder sur les aspects pathologiques de la guerre à l’asiatique: le
déguisement hideux, les serments sanglants, les hurlements d’aliénés,
les pyramides de têtes et le reste. Dans Tarass Boulba, Gogol montre
les hordes cosaques devenir complètement folles au combat ou, comme le
dit Éther (Éther 15:22): « Ils étaient ivres de colère, comme un homme
est ivre de vin. » Un aspect déplaisant de l’affaire, qui vaut d’être
mentionné, est la coutume universelle de collectionner les scalps,
chose pratiquée en tout temps avec zèle dans les steppes d’Asie comme
celles d’Amérique [34]. C’était en fait la coutume des conquérants
asiatiques de poser en tout temps comme des incarnations du diable [35].
Les guerres insensées des chefs
jarédites provoquèrent l’annihilation totale des deux camps, les rois
étant les derniers à partir. La même chose était presque arrivée
précédemment du temps d’Akish, quand une guerre civile entre ses fils
et lui-même avait réduit la population à trente personnes (Éther 9:12).
Tout ceci nous paraît peu vraisemblable, mais deux circonstances
caractéristiques de la gurerre à l’asiatique expliquent pourquoi le
phénomène n’est certainement pas sans parallèle: (1) Étant donné que
toutes les guerres sont un conflit strictement personnel entre rois, la
bataille doit continuer jusqu’à ce qu’un des rois tombe ou soit pris.
(2) Et cependant les choses s’arrangent de telle manière que le roi
doit être le tout dernier à tomber, l’armée tout entière existant dans
le seul but de défendre sa personne. C’est ce que l’on voit clairement
dans le jeu d’échecs, dans lequel toutes les pièces peuvent être
prises, sauf le roi, qui ne peut jamais l’être. « Le shah aux échecs,
écrit M. E. Moghadam, n’est pas tué et ne meurt pas. Le jeu est terminé
quand le shah est poussé dans une position d’où il ne peut s’échapper.
Ceci est conforme à toutes les bonnes traditions du jeu d’échecs, et
derrière ces traditions, celle de capturer le roi à la guerre plutôt
que de le tuer, chaque fois que c’était possible [36]. » Vous vous
souviendrez des nombreux cas dans le livre d’Éther où des rois furent
gardés des années en prison sans être tués. Dans le code de la
chevalerie médiévale, hérité de l’Asie centrale, la personne du roi est
sacrée, et tous les autres doivent périr pour le défendre. Après la
bataille, le vainqueur peut faire de son rival ce qu’il veut – et l’on
inventait parfois des tortures infiniment ingénieuses pour le règlement
de comptes final – mais tant que la guerre continuait, le roi ne
pouvait pas mourir, car, lorsqu’il mourait, la guerre était terminée,
quelque puissantes que fussent les forces survivantes. De même, Shiz
était disposé à épargner tous les sujets de Coriantumr du moment qu’il
pouvait décapiter celui-ci de sa propre épée. Dans ce cas, bien
entendu, les sujets deviendraient les siens. Le cercle de guerriers, «
grands et puissants quant à la force des hommes » (Éther 15:26) qui se
battaient autour de leur roi jusqu’au dernier homme représente cette
même institution antique, le « dernier carré » sacré que nos propres
ancêtres nordiques ont emprunté à l’Asie et que nous retrouvons maintes
et maintes fois dans les guerres des tribus, dans lesquelles plus d’une
fois le roi était véritablement le dernier à mourir. N’allez donc
surtout pas vous imaginer que le dernier chapitre d’Éther est
fantaisiste ou tiré par les cheveux. Les guerres d’extermination sont
une véritable institution dans l’histoire de l’Asie.
Pour citer quelques exemples, quand
Gengis Khan conquit la grande nation merkite, il ne laissa qu’un seul
homme vivant: le frère de sa favorite [37]. Les rois assyriens
annihilaient systématiquement tous les êtres vivants des pays qu’ils
conquéraient, semant du sel dans les champs, comme les Romains, et
inondant les emplacements des villes qu’ils avaient détruites pour les
transformer en déserts inhabitables [38]. Dans des villes d’un million
d’habitants, les Mongols ne laissaient âme qui vive, et transformaient
d’immenses provinces en désert total [39]. La grande île de Chypre
demeura un désert inhabité pendant sept ans après avoir été prise par
les Turkomans [40]. Les Goths, en une seule bataille, exterminèrent
entièrement les Scires [41], comme les Huns exterminèrent les Scythes
et les Alains, et comme les Mongols exterminèrent les Tartares [42].
Les Mongols eux-mêmes reçurent leur châtiment en 1732, quand leurs
propres cousins, les Mandchous, balayèrent neuf dixièmes des Mongols
Orets dans un projet inspiré par les Chinois, visant à rayer les deux
camps de la face du monde [43]. Ces suicides mutuels des nations
n’étaient pas rares: les Kins et les Hsia Hsia, les deux plus grands
empires de leur temps et aussi intimement apparentés par le sang que
les peuples de Shiz et de Coriantumr, se livrèrent pendant quinze
années des guerres qui balayèrent dix-huit millions de personnes,
chiffre qui rend assez mesquins les deux millions d’Éther (Éther 15:2).
Soit dit entre parenthèses, les guerres de Gengis Khan coûtèrent, rien
qu’à la Chine, quarante millions de vies [44] ! La dynastie Jao des
Huns du nord et l’empire Dsin du sud réalisèrent presque le suicide
mutuel pendant une guerre civile dans laquelle « aucun des camps
n’était disposé à faire la paix tant que l’autre n’était pas
complètement écrasé ». Au premier siècle av. J.-C., les Huns se
divisèrent pour suivre deux frères, Jiji et Huhansie. Vingt ans de
guerre s’ensuivirent et le conflit ne se termina que lorsque, en 43 av.
J.-C., les gens de Jiji finirent, en désespoir de cause, par fuir vers
l’ouest à la meilleure manière jarédite, laissant, derrière eux, « de
vastes étendues de terres vides et abandonnées » [45].
Ce genre d’histoire devrait
convaincre les plus sceptiques que le livre d’Éther n’exagère pas dans
ce qu’il nous dit soit à propos de ce qui est arrivé, soit à propos de
l’envergure des événements. Le récit est conservateur par rapport à ce
qui se passe en Asie, mais, en fonction de ce qui se passe là-bas,
parfaitement authentique.
Ce que les Jarédites laissèrent
derrière eux, ce fut un pays couvert d’ossements, car « si rapide et si
expéditive fut la guerre », que « toute la surface du pays était
couverte des corps des morts » (Éther 14:21-22) et une génération plus
tard « leurs ossements jonchaient le pays situé du côté du nord » (Omni
1:22). Un voyageur médiéval, passant près de Kiev, des années après les
grandes guerres entre les hordes mongoles et russes, rapporte: «
Pendant que nous traversions cette région, nous trouvâmes sur le sol
une multitude innombrable de crânes et d’ossements. » Loin de là, en
Commanie et Cangle, « nous trouvâmes beaucoup de crânes et d’ossements
étalés sur le sol comme du fumier ». Tous les habitants vivants,
remarque-t-il, étaient réduits en esclavage [46]. Lorsqu’il y avait la
moindre possibilité d’enterrer après ces grandes batailles, le seul
procédé pratique était d’entasser les corps en grands tas et de les
recouvrir de terre, « érigeant de grands tumulus sur eux ». La nation
Naiman tout entière fut ainsi enterrée après sa destruction [47].
Joinville, voyageant une année entière en Asie pour arriver à la cour
du « cham de Tartarie », vit tout le long de la route de la conquête
tartare « de vastes tumulus d’ossements » [48]. Une comparaison
soigneuse des tumulus préhistoriques d’Asie et d’Amérique
s’indiquerait, mais il y a peu de chances qu’on y procède avant des
années.
Des survivants jarédites ? [49]
La première règle de la critique
historique, quand on traite du Livre de Mormon ou de d’importe quel
autre texte antique, c’est: Ne simplifiez jamais à outrance. Malgré son
style narratif simple et direct, cette histoire est bourrée, comme peu
d’autres le sont, d’une fantastique richesse de détails qui échappent
complètement au lecteur peu attentif. Le Livre de Mormon tout entier
est un condensé, et un condensé magistral; il faudra des années rien
que pour démêler les milliers de déductions et d’implications subtiles
qui enrobent ses déclarations les plus simples. Seules la paresse et la
vanité conduisent l’étudiant à la conviction prématurée qu’il a la
réponse finale à ce que contient le Livre de Mormon. « Les hommes sont
constitués de telle manière, a dit Joseph Smith, qu’ils sont tentés de
dresser des piquets et de fixer des limites aux œuvres et aux voies du
Tout-Puissant... Pourquoi être si certains que vous comprenez les
choses de Dieu, alors que tout pour vous est si incertain [50] ? » Ces
paroles s’appliquent de la même manière au revivaliste le plus délirant
qu’au savant le plus capable. Tertullien enseignait qu’il fallait
considérer que tout ce que la Bible ne disait pas explicitement s’être
produit dans le passé comme ne s’étant pas produit du tout. De nos
jours, même l’étudiant de la Bible aux opinions les plus arrêtées ne se
limiterait pas d’une manière aussi stricte; mais, admettons que nous
puissions aller plus loin que Tertullien, jusqu’où pouvons-nous aller ?
Rien dans l’Évangile rétabli n’a autant offensé le monde chrétien que
le fait qu’il tenait absolument à aller beaucoup trop loin pour que
cela fasse l’affaire du monde chrétien et qu’il osait parler de points
de doctrine et d’événements qui ne sont pas du tout mentionnés dans la
Bible.
Par exemple, Brigham Young dit, en
opposition à de longs siècles d’interprétation erronée de Genèse 1:14:
« Depuis combien de temps les cieux étoilés existent-ils? Nous ne
pouvons le dire; pendant combien de temps continueront-ils à exister ?
Nous ne pouvons le dire. Combien de temps y aura-t-il de l’air, de
l’eau, de la terre, combien de temps les éléments dureront-ils dans
leurs combinaisons actuelles ? Ce n’est pas à nous de le dire. Notre
religion nous enseigne qu’il n’y a jamais eu de temps où ils (les
éléments physiques) n’existaient pas, et il n’y aura jamais de temps où
ils cesseront d’être; ils sont là et y seront dorénavant [51]. »
Manifestement, les implications de déclarations de ce genre sont
hautement offensantes pour beaucoup de bons chrétiens. Six mois avant
sa mort, Joseph Smith, le prophète, a déclaré: « Il y a un certain
nombre d’années que j’essaie de préparer l’esprit des saints à recevoir
les choses de Dieu; mais nous en voyons souvent certains qui, après
avoir souffert comme ils l’ont fait pour l’œuvre de Dieu, s’effritent
comme du verre dès qu’arrive quoi que ce soit de contraire à leurs
traditions [52]. » De quelles traditions parle-t-il ? Pas de la
damnation des petits enfants, ni du baptême par aspersion, ni des idées
néoplatoniciennes sur Dieu, car ces choses-là, les saints les avaient
laissées derrière eux. Le traditionnalisme auquel il fait allusion est
clairement défini dans un autre discours donné vers la même époque par
le Prophète, quand il dit: « Je suppose qu’il ne m’est pas permis de me
lancer dans l’examen de quelque chose qui n’est pas contenu dans la
Bible. Si je le faisais, il y a ici, je pense, tant d’hommes plus que
sages qu’ils crieraient ‘trahison’ et me mettraient à mort. Je vais
donc utiliser la vieille Bible et je vais me faire commentateur
aujourd’hui [53]. » Notez que de bons membres de l’Église sont accusés
de deux folies: (1) prendre la Bible comme seule source possible de
connaissance, et (2) interpréter la Bible strictement à la lumière de
leur propre expérience limitée.
Venons-en au Livre de Mormon:
n’est-il pas possible de tomber là aussi dans le vieux vice sectaire de
la simplification à outrance ? N’y a-t-il pas beaucoup de saints des
derniers jours qui tiennent absolument à ce que tout Américain
d’origine pré-colombienne soit lamanite parce que, en vérité, il y a eu
autrefois des Néphites et des Lamanites, et que les Néphites ont été
détruits ? Et pourtant le Livre de Mormon lui-même rend pareille
interprétation impossible. Les Néphites ont été détruits, nous dit-on,
mais il est pertinent, pour ce qui est du cas des Jarédites, de
demander ce que le Livre de Mormon entend par « détruit » ? Le mot doit
être pris, comme tant d’autres mots-clefs du livre, dans son sens
premier et original: « Démolir, séparer violemment en ses parties
constitutives, démembrer la structure. » Détruire, c’est ruiner la
structure, non pas annihiler les parties. C’est ainsi que dans (1 Néphi
17:31), nous lisons à propos de l’Israël du temps de Moïse que « selon
sa parole, il les détruisit; et, selon sa parole, il les conduisit...
», les réunissant après qu’ils ont été « détruits », c’est-à-dire
dispersés, et avaient besoin d’un dirigeant. Selon (2 Néphi 25:9) : «
... comme une génération a été détruite parmi les Juifs... de même ils
ont été détruits de génération en génération selon leurs iniquités ».
Le massacre total d’une génération quelconque serait bien entendu la
fin complète de son histoire, mais ce n’est pas cela que veut dire «
détruit ». À propos des Juifs de Jérusalem, Néphi dit (1 Néphi 17:43):
« Je sais que le jour va assurément venir où ils seront détruits, sauf
un petit nombre... ». Plus tard, « lorsque le Messie sera ressuscité
des morts... voici, Jérusalem sera de nouveau détruite... » (2 Néphi
25:14).
Dans ces deux cas, ce qui s’est
produit en réalité, c’est que les Juifs ont tous été dispersés « sauf
un petit nombre » qui est resté dans le pays. Les Israélites, en
entrant dans la terre promise, nous dit-on, chassèrent « les enfants du
pays, oui au point de les disperser jusqu’à la destruction » (1 Néphi
17:32). Ceci montre clairement que la destruction des Cananéens,
c’était leur dispersion, comme on sait que cela a été le cas. De même
pour les Néphites: « ... lorsque ta postérité aura été détruite, et
aura dégénéré dans l’incrédulité, et aussi la postérité de tes frères,
voici, ces choses seront cachées » (1 Néphi 13:35), où Néphites et
Lamanites à la fois dégénèrent dans l’incrédulité après avoir été
détruits.
Nous ne trouvons qu’une seule fois
dans le Livre de Mormon un cas d’annihilation, où l’on nous dit
spécifiquement que « toute âme vivante des Ammonihahites fut détruite »
(Alma 16:9), où non seulement la structure sociale, mais aussi chaque
individu succombent. Dans d’autres cas, le Seigneur promet qu’il ne
détruira pas entièrement les descendants du fils cadet de Léhi, Joseph
(2 Néphi 3:3), ou de Lémuel (2 Néphi 4:9), et il est même dit à Néphi
que Dieu « ne souffrira pas que les Gentils détruisent totalement le
mélange de ta postérité qui est parmi tes frères » (1 Néphi 13:30),
même si la promesse et l’accomplissement étaient que les Néphites
seraient « détruits » (Éther 8:21), et même si Moroni peut dire: « Il
n’y a personne d’autre que les Lamanites » (Éther 4:3).
Ainsi donc, quand nous lisons dans le
tout premier verset d’Éther que les Jarédites « furent détruits par la
main du Seigneur sur la surface de ce pays du nord », nous devons
entendre par là que la nation fut écrasée et dispersée, mais non que la
bataille catastrophique finale fut nécessairement la fin de l’histoire.
La première pensée qui vient à l’esprit du roi Mosiah quand il découvre
les vingt-quatre plaques, c’est: « Elles nous donneront peut-être la
connaissance d’un reste du peuple qui a été détruit, d’où ces annales
sont venues... » (Mosiah 8:12) montrant que, qu’il ait survécu
quelqu’un ou non, pour Mosiah du moins, il était parfaitement possible
que des restes d’un peuple existent après que ce peuple ait été «
détruit ». Mais Éther n’a-t-il pas prophétisé que « toute âme serait
détruite, sauf Coriantumr » (Éther 13:21) ? Toute âme de quoi ? Très
exactement de « son royaume ainsi que toute sa maison ». Éther
lui-même, caché dans une grotte, n’était pas de ce nombre, pas plus que
d’autres habitants du continent: les Néphites, les Lamanites, les
Mulékites qui y vivaient déjà au moment de la destruction jarédite. Pas
plus non plus que les Jarédites renégats errant au loin au-delà des
frontières du royaume. De tels renégats, il y en avait, comme le montre
un certain nombre de choses.
[1] La 8e partie de « The World of the Jaredites», IE 55, avril 1952, pp. 236-38, 258, 260-65, commençait ici.
[2] Hugh W. Nibley, « The Hierocentric State », WPQ 4, 1951, pp. 238-44.
[3] Id., pp. 226-30.
[4] James Darmesteter, The Zend Avesta, 3 vols., Oxford, Oxford University Press, 1880-87, 2:265, Din Yast 1:3.
[5] Michael Prawdin, The Mongol Empire, Londres, Allen & Unwin, 1940, p. 162.
[6] On dit des tout premiers rois
qu’ils « font perpétuellement le tour ». C’est ainsi que, dans les
Textes des Pyramides, le pharaon « fait le tour » des Deux Régions
comme des cieux, et les dieux babyloniens vont de sanctuaire en
sanctuaire, c’est-à-dire de château en château, comme Apollon, Iliade
I, pp. 37-42, et Poseidon, p. ex., Odyssée V, p. 381, le font au
commencement.
[7] Anton Jirku, « Aufsteig und
Untergang der Hyksos », JPOS 12, 1932, pp. 51-61; William F. Albright,
« Egypt and the Early History of the Negeb », JPOS 4, 1924, p. 134;
Eduard Meyer, Geschicte des Altertums, 2e éd., Stuttgart, Cotta, 1928,
vol. 2, 1e partie, p. 72. Pour les dates, voir William F. Albright, The
Archaeology of Palestine, Baltimore, Penguin, 1960, pp. 84-85, 108-9.
[8] Moritz Hoernes, Natur- und Urgeschichte des Menschen, 2 vols., Vienne, Hartleben, 1909, 2:396.
[9] E. A. Speiser, « On Some Articles
of Armor and Their Names», JAOS 70, 1950, pp. 47-49; les mots hurriens
pour désigner l’armure indiquent une origine en Asie Centrale, id., p.
49.
[10] Voir appendice 2.
[11] Karl A. Wittfogel et Fêng
Chia-Shêng, « History of Chinese Society Liao», TAPS 36, 1946, p. 663;
Henning Haslund, Men and Gods in Mongolia, New York, Dutton, 1935, pp.
236-37.
[12] 11 Mildred Cable, The Gobi Desert, New York, Macmillan, 1945, p. 264.
[13] 12 E. Nelson Fell, Russian and Nomad, New York, Duffield, 1916, pp. 9-10.
[14] 13 Toute cette question est
traitée dans mes deux articles, Hugh W. Nibley, « The Hierocentric
State », WPQ 4, 1951, pp. 226-53; et « The Arrow, the Hunter, and the
State », WPQ 2, 1949, pp. 328-44.
[15] F. E. A. Krause, Cingis Han, Heidelberg, Winter, 1922, pp. 14-27; Prawdin, The Mongol Empire, pp. 147-50.
[16] Darmesteter, Zend-Avesta, 2:148,
Yasts 27:111). On trouve une description de la technique utilisée pour
détourner les partisans d’un autre dans Al-Fakhri's Al-Adab
al-Sultaniah wal-Dawla-l-Islamiyah, Le Caire, 5.
[17] William M. McGovern, The Early
Empires of Central Asia, Chapel Hill, University of North Carolina
Press, 1939, p. 143; cf. Nibley, « Hierocentric State », pp. 244-47.
[18] Xénophon, Cyropédie IV, p. 2.
[19] Max Pieper, Die Ägyptische Literatur, Wildpark-Potsdam, Akademische Verlagsgesellschaft Athenaion, 1927, p. 74.
[20] David D. Luckenbill, Ancient
Records of Assyria and Babylonia, 2 vols., Chicago, University of
Chicago Press, 1926-27, 1:57, 60, 40; cf. 2:124; « Je le saisis vivant
de mes propres mains », etc., parlant du roi rival.
[21] Hérodote, Histoires IV, pp. 11,
126; Jordanes, dans C. C. Mierow, The Gothic History of Jordanes,
Princeton, Princeton University Press, 1915, pp. 93-95; ch. 30; E. S.
Creasy, History of the Ottoman Turks, 2 vols., Londres, Bentley,
1854-56, 1:46.
[22] Krause, Cingis Han, p. 26; Haslund, Men and Gods in Mongolia, p. 155.
[23] Hérodote, Histoires I, p. 214.
[24] George Vernadsky, Ancient
Russia, New Haven, Yale University Press, 1943, pp. 298-99; G. N.
Roerich, Trails to Inmost Asia, New Haven, Yale University Press, 1931,
p. 368; C. R. Beazley, The Dawn of Modern Geography, 2 vols., Londres,
Murray, 1901, 2:267.
[25] Meissner, Babylonien und Assyrien, 2 vols., Heidelberg, Winter, 1926, 1:112; Haslund, Men and Gods in Mongolia, p. 155.
[26] Carpini, ch. 16, dans Manuel Komroff, dir. de publ., Contemporaries of Marco Polo, New York, Liveright, 1928, p. 26.
[27] Carpini, ch. 6, dans id., p. 12.
[28] R. Grousset, L'Asie orientale
des origines au XVe siècle, Paris, Presses Universitaires, 1941, 304-5,
p. 307; la citation se trouve p. 305.
[29] Luckenbill, Ancient Records of Assyria and Babylonia, 2:99.
[30] E. A. Wallis Budge, The Chronography of Bar Hebraeus, 2 vols., Oxford, Oxford University Press, 1932, 1:465.
[31] Id., 1:124. Id., 1:124.
[32] C’est quasiment le leitmotiv de
Arabshah, Life of Timur, Kitab 'Aja'ib al-Maqdur, Le Caire, A. H.
1335); quand ils sont régulièrement battus, les princes deviennent,
selon les annales chinoises, des bandits de grand chemin, Krause,
Cingis Han, p. 24. Les descendants d’Attila devinrent des chefs de
bandes de brigands, bien qu’héritiers d’un empire mondial, p. ex.,
Jordanes, dans Mierow, The Gothic History of Jordanes, pp. 137-38; ch.
58. On voit que c’est l’état de choses primordial en consultant
Darmesteter, Zend-Avesta 2:171.
[33] Budge, Chronography of Bar Hebraeus, 1:103, 111.
[34] Hérodote, Histoires IV, 64, 66,
70; Pline, Histoire naturelle, VII, 2, p. 10; Ammianus Marcellinus,
Rerum Gestarum XXXI, 2, p. 14 and 2, p. 22; Luckenbill, Ancient Records
of Assyria and Babylonia, 2:396, No. 1050; Budge, Chronography of Bar
Hebraeus, 1:465; McGovern, The Early Empires of Central Asia, p. 54.
[35] Arabshah, pp. 4-6, mentionne les grands conquérants mondiaux qui ont propagé la croyance qu’ils étaient des démons.
[36] M. E. Moghadam, « A Note on the
Etymology of the Word Checkmate », JAOS 58, 1938, p. 662; cf. L.
Thorndike, « All the World's a Chessboard », Speculum 6, 1931, pp.
461-65.
[37] Krause, Cingis Han, p. 26; Grousset, L'Asie orientale des origines au XVe siècle, p. 291.
[38] Luckenbill, Ancient Records of Assyria and Babylonia 2:310-11, No. 811; 152, No. 340.
[39] Prawdin, The Mongol Empire, pp. 191-93, 469, 472.
[40] Constantin Porphyrogenitus, De Administrando Imperio p. 47, dans PG 113:365.
[41] Jordanes, dans Mierow, The Gothic History of Jordanes, p. 131; ch. 53.
[42] Eunapius, De Legationibus Gentium ad Romanos 6, dans PG 113:656-57; McGovern, The Early Empires of Central Asia, p. 366.
[43] Haslund, Men and Gods in Mongolia, pp. 206-7.
[44] Prawdin, The Mongol Empire, pp. 221, 329.
[45] McGovern, The Early Empires of Central Asia, pp. 335-36, 189-91.
[46i] Carpini, chs. 13, 21, dans Komroff, Contemporaries of Marco Polo, pp. 22, 37.
[47] Krause, Cingis Han, p. 17.
[48] Jean de Joinville, Mémoires de
Saint Louis, dans Jean de Joinville, Chroniques des Croisades, trad.
angl., Londres, Bohn, 1848, p. 476.
[49] La 9e partie de « The World of the Jaredites », IE 55, mai 1952, pp. 316-18, 340, 342, 344, 346, commençait ici.
[50] Joseph Fielding Smith, Enseignements du prophète Joseph Smith [éd. française], p. 259.
[51] Cité dans N. B. Lundwall,
Temples of the Most High, Salt Lake City, Lundwall, 1941, p. 301, tiré
de Journal of Discourses 3:367-68.
[52] Smith, Enseignements du prophète Joseph Smith [éd. française], p. 268.
[53] Id., p. 282.
CHAPITRE SIX : Un héritage permanent
Néphites portant des noms jarédites
Tout d'abord, un certain nombre de
noms indéniablement jarédites apparaissent de temps en temps chez les
Néphites. Une coïncidence aussi frappante demande une étude, car elle
ne peut guère avoir été un accident. Le Livre de Mormon nous apprend
que les Jarédites et les Néphites parlaient des langues tout à fait
différentes, et même une recherche superficielle montrera que les noms
propres jarédites ont une consonnance particulière bien à eux. Leur
trait le plus caractéristique c'est la terminaison en -m. C'est ce que
l'on appelle la mimation et on la retrouve effectivement dans les
langues les plus anciennes du Proche-Orient, où elle céda plus tard la
place à la nunation, ou terminaison en -n, trait le plus
caractéristique de l'arabe classique et aussi, comme nous l'avons déjà
vu, des noms propres néphites [1]. L'emploi et la séquence corrects de
la mimation et de la nunation dans le Livre de Mormon confirment
puissamment l'authenticité du document, car le principe est une
découverte relativement récente en philologie. Elle peut être illustrée
par les seuls noms communs jarédites que nous connaissions, curelom et
cumom, et le seul adjectif, shelem, appliqué à une montagne « à cause
de sa hauteur extrême » (Éther 3:1). Il est intéressant de constater
que le sens original de la mieux connue des racines sémitiques, SALAM,
est probablement « un haut lieu » (Arabe sullam, échelle, escalier,
élévation) avec l'idée de sécurité, et par conséquent de paix, comme
sens secondaire.
Mais ce sont les noms propres qui
nous intéressent ici. Lorsque, dans la brève liste de noms jarédites
qui est parvenue jusqu'à nous, un pourcentage respectable apparaît
également comme noms néphites, il est grand temps de se demander:
Est-ce là un cas où l'auteur du Livre de Mormon a laissé passer une
coquille, ou y a-t-il quelque chose de significatif chez ces Néphites
qui portent des noms jarédites ? La réponse est surprenante: Chacun de
ces hommes est d'origine mulékite et est un chef de mouvement subversif
contre l'État et la religion néphites ! L'importance de ceci ressort
immédiatement si nous nous souvenons que le seul cas de chevauchage
manifeste entre les peuples jarédite et néphite se retrouve dans
l'épisode de Coriantumr et des Mulékites. Coriantumr, dernier chef
jarédite, passa les neuf derniers mois de sa vie chez les Mulékites.
Ces gens avaient quitté Jérusalem onze ans après Léhi et par conséquent
trois années après que le peuple de Léhi se fût déjà installé dans le
Nouveau Monde. On nous dit que « Coriantumr fut découvert par le peuple
de Zarahemla » ( Omni v. 21 italiques ajoutés), qui avait dû pas mal
voyager pour le rencontrer jusqu'à mi-chemin entre leur lieu d'abordage
en Amérique Centrale et Cumorah; selon toute probabilité, ils firent
bien plus que la moitié du trajet, étant donné que Coriantumr avait été
gravement blessé et, n'ayant absolument personne pour l'aider, n'aurait
pu aller bien loin; le fait qu'il ne demeura que neuf mois après avoir
été recueilli le montre bien, sans nécessairement le prouver. Mais
l'évidence suggère fortement que les Mukélites « découvrirent »
Coriatumr peu après la dernière bataille jarédite, et en conséquence,
qu'ils étaient sur le continent depuis pas mai de temps, quoique
quelques années de moins que les Néphites. Le chevauchage entre les
cultures mulékite et jarédite dura au moins neuf mois, et s'est
peut-être étendu sur de nombreuses années. En tout cas, nous avons la
preuve que les Jarédites eurent une influence culturelle permanente sur
les Néphites par l'intermédiaire de Mulek, car des siècles après la
destruction de la nation jarédite, nous découvrons un Néphite portant
le nom de Coriantumr, et nous apprenons que cet homme était descendant
de Zarahemla, l'illustre chef des Mulékites. Ceci montre que
l'influence jarédite a touché les Néphites par l'intermédiaire des
Mulékites, ce qui est exactement ce à quoi on s'attendrait. Le nom
avait été préservé soit dans la famille royale (Coriantumr le Jarédite
fut certainement l'invité du chef) soit dans les annales mais très
vraisemblablement le premier cas, étant donné que les gens en général
ne vont pas chercher leurs noms dans les histoires écrites, alors que
d'autre part rien n'est plus persistant que les prénoms, la plupart de
ceux que nous utilisons aujourd'hui étant vieux d'au moins mille ans.
Le premier pays colonisé par les
Jarédites fut Moron, nom encore porté par un des derniers rois
jarédites. Or, le pays néphite « sur la frontière, près du bord de la
mer à l'extrémité du désert » fut appelé par eux Moroni, et quiconque a
une connaissance rudimentaire du ProcheOrient, reconnaîtra
immédiatement que Moroni signifie « appartenant à Moron » ou « de Moron
», la vieille terminaison -i étant le suffixe le mieux connu et le plus
immuable depuis l'égyptien et le babylonien le plus antique jusqu'à
l'arabe moderne, ayant toujours le même sens qui est d'indiquer la
parenté. Le temps – la fin même de l'histoire jarédite – et le lieu –
le territoire frontière extrême – s'accordant tous deux pour réunir les
deux noms Moron et Moroni en un chevauchage culturel. Un cas parallèle
est celui de Morianton, le nom d'un des premiers rois jarédites et
aussi d'un pays situé sur la côte colonisée vers 72 de notre ère par un
Néphite du même nom. Dans ce cas, l'homme a très bien pu tirer son nom
du pays qu'il a colonisé, comme le faisaient les conquérants
d'autrefois (par exemple, l'Africain, Germanicus, etc.), prenant le nom
du vieux territoire côtier jarédite qu'il recolonisa.
La survivance des noms de lieu
jarédites est en outre révélée par la colline de Shim. Quand Mormon eut
dix ans, il lui fut dit qu'îl pourrait trouver cette colline quand il
deviendrait grand, bien qu'elle se trouvât dans un autre endroit du
pays, parce qu'elle s'appellerait Shim (Mormon 1:3), ce qui montre que
les Néphites la connaissaient sous son nom jarédite. Car il est
probable que Moroni donne à la colline son nom jarédite dans (Éther
9:3), puisqu'il a l'habitude d'utiliser des noms jarédites pour décrire
les itinéraires, et le nom qui suit immédiatement sur la liste après
Shim est indubitablement jarédite. Un autre nom de lieu jarédite,
Néhor, donné au désert dans lequel se retira le premier rebelle
jarédite aussi bien qu'à une ville construite dans cette région, fut
porté par un apostat néphite célèbre.
Noé [2] était un roi jarédite, et un
autre Noé était un roi néphite. Le nom peut être authentiquement
jarédite, car à part le personnage biblique originel « Noé ne se
retrouve pas ailleurs en hébreu, que dce soit seul ou comme partie d’un
nom », selon C. L. Woolley, mais est « harrite », venant du pays situé
au nord de la Babylonie [3], c’est-à-dire de la patrie originelle des
Jarédites. Le prêtre de Noé, Alma, trahit lui aussi un mélange de
culture sinon de sang; sa patrie était le vieux pays mulékite, et deux
de ses petits-fils portaient les noms jarédites de Shiblon et Corianton
(Alma 31:7). Bien que Corihor fût le petit-fils du premier roi
jarédite, son nom fut porté par un Jarédite de la dernière génération,
où il a pu être repris par les Néphites sous la forme Korihor.
Compte tenu du peu de noms jarédites
que nous avons, il semble donc clair que nous avons ici un chevauchage
bien déterminé des deux cultures. Ce qui constitue l'argument final,
c'est le fait que nos noms néphites et jarédités ont tous un passé et
des liens mulékites. Le fait que le passé mulékite-jarédite
représentait une tradition culturelle bien déterminée chez les Néphites
et était consciemment cultivé est, je crois, très clairement montré
dans la conduite des hommes qui portent des noms jarédites. Cinq des
hommes sur les six dont les noms sont nettement jarédites trahissent
des tendances anti-néphites prononcées, et le sixième, Shiblon, ne fut
sauvé des rangs de ces rebelles que parce qu'un homme convertit son
père anti-néphite. Pour ce qui est des autres, Morianton chercha à
rappeler une grosse partie du peuple dans le désert, Coriantumr fut un
apostat et rebelle notoire; Korihor se révolta contre l'Église et
l'État et essaya d'inaugurer une révolte de masse, Néhor réussit même à
établir un système de religion et de gouvernement rival opposé au
gouvernement néphite, et on ne put l'arrêter qu'en l'exécutant pour le
meurtre d'un bon juge; le roi Noé, de descendance mulékite mêlée,
horrifia les Néphites en introduisant les manières des anciens rois
jarédites: impôts écrasants, prostitution et abominations, « des
bâtiments élégants et spacieux », la poursuite de ses adversaires dans
le désert, les collèges sacerdotaux et les hiérodules rituels, et tout
le reste. Nous avons ici deux modes de vie opposés, avec une forte
indication que tout le soutien populaire n'est certainement pas du côté
des Néphites. Le fait que le nom du plus grand rebelle d'entre eux
tous, Gadianton, ne se trouve pas dans la courte liste jarédite n'est
pas étonnant, mais il nous suffit de le comparer à des titres tels que
Morianton et Corianton pour nous rendre compte que c'est du bon
jarédite.
Il n'y a rien dans le Livre de Mormon
qui montre un contact direct entre les Néphites et les Jarédites. Il y
a toujours un intermédiaire, les Mulékites, qui, comme le montre
l'histoire de Coriantumr l'ancien, étaient les voisins immédiats des
Jarédites et comme le récit de Mosiah nous l'apprend, séparés des
Néphites par une distance considérable. Tout indique l'absorption d'une
grosse quantité de culture jarédite par le peuple de Zarahernla peu
après son arrivée: La tradition d'un type très jarédite de conduite et
de dissidence contre le gouvernement néphite par des hommes de
formation mulékite portant des noms jarédites rend l'affaire tout à
fait claire. L'abandon du nom jarédite par leurs descendants mêlés
compte de nombreux parallèles historiques. C'est ainsi que les Huriens
perdirent si rapidement et si complètement leur nom quand ils se
mêlèrent aux Hittites que jusqu'à ces dernières années, on doutait de
l'existence d'un peuple de ce nom; cependant nous savons maintenant que
ce sont les Huriens, couvrant le vaste. arrière-pays au nord, qui
fournirent aux Hittites leur classe dirigeante et leurs traditions
impériales. C'est ce genre de rôle que les Jarédites dispersés et
nomades des derniers jours ont pu jouer en contact avec le peuple plus
civilisé mais moins agressif de Zarahemla, perdant complètement leur
identité jarédite mais néanmoins trahis, comme le sont les Huriens, par
les noms étranges de leurs dirigeants.
Ils se cachent
Un élément décisif, je crois, dans
notre découverte du sort final des Jarédites, c'est le fait qu'ils
étaient passés maîtres dans l'art de s'esquiver et de se cacher. Leur
histoire commence par l'épisode de Nimrah et Omer se cachant dans le
désert et finit par celui de Shiz et de Coriantumr, et d'Éther lui-même
faisant la même chose. Devons-nous croire à propos de ces gens-là que
lorsque « une partie d'entre eux s'enfuit dans l'armée de Shiz et une
partie d'entre eux s'enfuit dans l'armée de Coriantumr » (Éther 14:20),
aucun d'eux n'essaya de s'enfuir dans le désert ? Ou que personne
n'essaya de fuir lorsque « un cri se fit entendre partout dans le pays
» que Shiz approchait, balayant la terre devant lui ? (Éther 15:18). Ou
que personne ne réussit à s'échapper lorsque « le peuple commença à
être terrifié et commença à fuir devant les armées de Coriantumr » ?
(Éther 15:27). Quand nous lisons que les hordes sauvages « balayèrent
les habitants devant eux, tous ceux qui ne voulaient pas se joindre à
eux » (Éther 14:27), nous nous rendons compte que nous avons devant
nous des gens qui font de leur mieux pour s'esquiver, tableau classique
de ceux qui « fuient dans les montagnes » ou se mettent à couvert dans
les bois à l'approche du roi assyrien, des hordes mongoles ou du
général chinois moderne [4]. En Asie, pour pouvoir survivre, les
fuyards s'unissaient souvent en tribus guerrières redoutables (les
Goloks modernes sont des tribus de ce genre), et créèrent une tradition
et un mode de guerre remarquablement semblables à ceux des indiens
d'Amérique du Nord [5]. Des siècles de guerre d'annihilation ont donné
aux peuples d'Asie Centrale « un grand héritage de l'instinct de
retraite dans des cachettes, et ce n'est qu'en utilisant et en
cultivant ceci qu'ils ont évité l'extermination [6] ». Comme nous
l'avons vu, ce précieux instinct fut cultivé avec zèle chez les
Jarédites, et il n'est dit nulle part qu'aucun ne réussit à fuir, soit
pendant la guerre finale, soit précédemment.
Lorsque Shiz et Coriantumr essayèrent
une levée en masse universelle, ce ne fut pas l'oeuvre de quatre
semaines que de rassembler leurs armées, mais de quatre ans, ce qui
révèle un manque éminent de passion patriotique chez le peuple. Ces
levées prenaient tout autant de temps en Asie (par exemple celles de
Gengis Khan et du roi de Khwarazm), pour la raison manifeste que le
peuple était extrêmement dispersé, n'était pas en contact avec les
gouvernements centraux, peu disposé à coopérer à une entreprise dans
laquelle il n'avait rien d'autre à gagner que des horions. La même
situation est clairement suggérée dans (Éther 15:14) : « ... ils mirent
quatre ans à réunir le peuple, afin d'avoir tous ceux qui se trouvaient
sur la surface du pays, et de recevoir toute la force qu'il leur était
possible de recevoir. » Notez l'indication du but: On ne nous dit pas
qu'ils atteignirent leur but, mais seulement qu'ils essayèrent; dans le
verset suivant, l'expression « quand ils furent tous réunis », est
simplement une réflexion générale (c'est une expression favorite de
Homère) que l'on pourrait appliquer à n'importe quel groupe, quelque
grand ou petit qu'il soit.
Au surplus, la pratiquejarédite bien
établie de refuser purement et simplement de se joindre à une armée et
de vivre comme des pillards ou « bandes de proscrits » n'aurait guère
permis de tenir le peuple en respect même lorsque les grosses armées
l'avaient englobé. Éther estime qu'il vaut d'être noté qu'un grand
nombre de personnes tinrent réellement le coup jusqu'à la fin et ne
peut attribuer qu'au pouvoir de Satan le fait qu'ils ne désertèrent pas
pour retourner dans les bois (Éther 15:19). Et que dire des pillards ?
Furent-ils balayés? Se rachetèrent-ils une conduite ? À mesure que la
nation basculait de plus en plus dans une guerre sans espoir, les
bandits pouvaient opérer avec une immunité accrue, leur nombre
grossissant avec les opportunistes et les déserteurs, et, comme en
Asie, leurs déprédations pouvaient continuer pendant des générations
sans que personne ne les arrête. Rien de moins surprenant donc que de
constater que la pire fripouille de l'histoire néphite, un homme habile
à « poursuivre l'oeuvre secrète de meurtre et de vol » (Hélaman 2:4),
dont les bandes secrètes se cachaient dans le désert et constituaient
une société secrète d'assassins ait porté le nom jarédite de Gadianton.
Le passage du pays au peigne fin pour
obtenir des recrues n'inclut pas le continent tout entier, car il
négligea complètement les Néphites, Lamanites et Mulékites qui y
vivaient, et qui peut dire qu'ayant eu des milliers d'années pour
errer, plus une grande tradition de chasse et de nomadisme, aucun des
Jarédites n'ait été jusqu'aux limites extrêmes du continent ? Éther
n'écrit l'histoire que d'une seule nation, et comme Moroni ne présente
qu'un pour cent de cette histoire (Éther 15:33) quelques renégats ne
les intéressent pas. Ceux qui disparaissent du courant principal
cessent simplement d'exister pour l'histoire d'Éther comme d'ailleurs
pour n'importe quelle autre histoire. Mais un mot dans le Livre de
Mormon qui pourrait nous montrer qu'il y eut réellement des groupes
perdus et errants de ce genre sur le continent serait le bienvenu.
Comme s'il voulait tout spécialement
nous donner cette assurance, un petit nombre de versets concis dans
Omni parlent du peuple de Zarahemla, dont l'histoire est donnée si
brièvement qu'à tous autres égards elle est entièrement insignifiante.
Bien que ces gens jouent un rôle important une fois qu'ils entrent dans
la sphère de l'histoire néphite, leur passé tout entier est résumé en
trois versets seulement (Omni 15-17). Cela montre à quel point les
rédacteurs du Livre de Mormon s'en tiennent à leur objectif, évitant
toute espèce de digression et refusant avec entêtement de parler de
tout autre peuple que ceux qui sont annoncés comme faisant le sujet de
leur histoire. Le peuple de Zarahemla n'est mentionné que parce qu'il
faut qu'il le soit – puisqu'il s'intègre avec le temps aux Néphites.
Mais la brève et avare mention de leur passé est un indice sans prix
pour nous. Elle nous rappelle que du simple fait que le peuple de Léhi
était venu de Jérusalem pour une mission spéciale, nous ne devons pas
en conclure que d'autres hommes n'ont pas pu avoir la même expérience.
Et pour la même raison, le fait que les Jarédites furent amenés à la
terre de promission au moment de la dispersion ne nous donne pas le
droit d'en conclure que personne d'autre n'a jamais été conduit ainsi,
que ce soit plus tôt ou plus tard qu'eux. Il n'est dit ni indiqué nulle
part que les Jarédites eux-mêmes furent les premiers à y arriver, pas
plus qu'il n'est dit ou impliqué qu'ils furent le premier ou le seul
peuple à être emmené de la Tour. Longtemps après l'apparition du Livre
de Mormon, Joseph Smith cita avec approbation du haut de la chaire la
nouvelle que certaines légendes toltèques semblaient indiquer que ces
gens étaient venus à l'origine du Proche-Orient à l'époque de Moïse
[7], que pareille migration ait eu lieu ou non, il est significatif que
le Prophète ne refusait pas de reconnaître la possibilité d'autres
migrations que celles mentionnées dans le Livre de Mormon.
L'argument du silence a sa valeur
quand on examine la possibilité « d'autres brebis ». Quand les
Jarédites se rendent dans un pays « où l'homme n'avait jamais été »,
notre histoire considère que le fait vaut d'être noté, alors même que
le groupe ne faisait que traverser. Or on dit beaucoup de choses dans
le Livre de, Mormon sur le passé et le futur de la Terre Promise, mais
on ne la décrit nulle part comme une terre vide. Les descendants de
Léhi ne furent absolument pas les seuls à vivre sur le continent, et
les Jarédites n'affirmèrent jamais l'être.
Tant que j'y suis, je ne puis
résister à la tentation de citer pour vous un passage remarquable des
premiers principes d'Origène dans lesquels ce zélé savant cite Clément,
lequel, comme vous le savez, est quasiment l'auteur chrétien le plus
ancien après les apôtres :
Clément le disciple des apôtres,
rappelle ceux que les Grecs appellent antichthoniens (ceux qui
demeurent de l'autre côté de la terre), et d'autres parties de la
sphère (ou circuit) de la terre que personne de nos régions ne peut
atteindre, et d'où aucun des habitants qui y habitent n'est capable
d'arriver jusqu'à nous; il appelle ces régions « mondes » quand il dit:
« L'océan » ne doit pas être traversé par les hommes, mais ces mondes
qui se trouvent de l'autre côté de lui sont gouvernés par les mêmes
ordonnances (littéralement dispositions) d'un Dieu qui guide et qui
dirige, que ceux-ci [8]. »
On nous dit ici clairement que les
tout premiers chrétiens enseignaient qu'il y avait des gens qui
vivaient de l'autre côté du monde qui jouissaient de la, direction de
Dieu dans un isolement complet du reste du monde. L'enseignement fut
très rapidement perdu avec d'autres « choses précieuses » et n'est plus
jamais approuvé après Origène (Augustin s'y oppose, carrément), mais
illustre bien que les saints de tout âge ont dûment convenu que Dieu a
eu des relations avec toute l'humanité et ont refusé de considérer leur
propre expérience limitée comme la seule mesure de la Providence divine
chez les hommes.
En 1898, un fermier qui arrachait des
souches d'arbre près d'Alexandria, au Minnesota, découvrit une dalle de
pierre portant ce qui semble être une inscription runique antique.
Comme pour le Livre de Mormon, on dénonça rapidement l'affaire comme
étant un faux, et, pendant quarante ans, l'avis universel des experts
fut de mépriser cette escroquerie maladroite. Mais il se fait
maintenant que la pierre de Kensington, comme on l'appelle, n'est pas
une invention mais très probablement quelque chose d'authentique (voilà
pour l'autorité des savants !). L'inscription nous parle de bandes de
Normands se promenant dans le Middle-West au moins cent trente ans
avant Colomb. Que ce soit vrai ou non, le Livre de Mormon y trouve-t-il
une objection quelconque ? Bien sûr que non. La pierre de Kensington
nous raconte aussi que ces Normands connurent une fin tragique et
sanglante – en fait tout à fait en accord avec ce qui se passa dans le
Livre de Mormon [9]. Nous présentons ceci comme épreuve: Car une fois
que nous avons reconnu que tous les restes précolombiens ne doivent pas
nécessairement appartenir au peuple du Livre de Mormon, le champ est
libre pour l'anthropologue, et le problème de l'archéologue du Livre de
Mormon, lorsqu'il apparaîtra, sera de découvrir en Amérique des choses
qui peuvent avoir quelque chose à voir avec le Livre de Mormon, et non
de prouver que tout ce que l'on trouve est une preuve certaine qui
confirme ce livre. Ce fait évident, je l'ai fait ressortir dans un
article de l'Improvement Era d'avril 1947 [10].
Il n'y a pas un mot dans le Livre de
Mormon qui empêche que se soit rendu sur le continent américain un
nombre quelconque de gens provenant d'une partie quelconque du monde à
une époque quelconque, à condition qu'ils viennent sous la direction du
Seigneur; et même cette nécessité ne doit pas être interprétée trop
strictement, car le peuple de Zarahemla « n'avait pas apporté d'annales
avec lui; il niait l'existence de son Créateur » (Omni 17),
c'est-à-dire qu'il était loin d'être une colonie religieuse. Nul ne
niera qu'autrefois « cette terre » resta « ignorée... des autres
nations » (2 Néphi 1:8), mais cela ne veut pas dire qu'elle demeura
vide d'habitants, mais seulement que la migration se fit dans une seule
direction: de l'Ancien Monde au Nouveau, car alors même que Léhi
prononçait les paroles que nous venons de citer, les Jarédites
pullulaient dans l'est, et le vieillard parle d'autres peuples encore à
venir, « tous ceux qui seraient emmenés d'autres pays par la main du
Seigneur ». Devons-nous les rechercher tous dans le Livre de Mormon?
« Des hommes venus d'Asie [11] »
Cher Professeur F.,
Mais pourquoi toute cette insistance
sur la survie possible d'un petit nombre de fuyards jarédites se
terrant dans les bois ? Parce qu'il n'y aurait pas besoin d'un grand
nombre de tels renégats pour perpétuer « sur la face de ce pays du nord
» les coutumes des nomades et chasseurs jarédites. Nous avons dit que
quand les Asiatiques se cachent dans les montagnes et dans les bois,
leur mode de vie devient tout à fait semblable à celui des Indiens. En
effet, le professeur Grousset ne peut imaginer d'autre mode de vie qui
soit aussi parfaitement semblable à celui des tribus dispersées et
désorganisées d'Asie après la destruction des grandes nations que dans
celui des indiens d'Amérique du nord au moment de leur découverte par
les blancs [12]. Et qu'y a-t-il de plus naturel que de constater que
les conditions dans le pays du nord, parsemé d'ossements et hanté par
des chasseurs sauvages, présentent après le passage de la nation
jarédite exactement le type de ruines et de sauvagerie qui constitue le
tableau asiatique après le passage d'un empire ? Avec le temps, les
descendants des chasseurs et des pillards jarédites devaient se
combiner avec la racaille lamanite, comme leurs ancêtres l'avaient fait
avec les Mulékites, et la vieille souche jarédite devait survivre,
comme la souche néphite, uniquement en tant que « mélange » (1 Néphi
13:30). Mais les manières de faire des chasseurs jarédites, aussi
parfaitement adaptées qu'elles l'étaient aux conditions de vie dans ce
pays du nord, devaient non seulement se maintenir, mais rester
prédominantes. Ceci complique considérablement le tableau, mais pour ce
qui est de cela, les anthropologues eux-mêmes commencent maintenant à
découvrir des complications de ce genre dans leur propre tableau, comme
nous l'a montré Gladwin avec beaucoup d'esprit et d'humour [13].
Il est inutile de discuter des
affinités bien connues entre les Américains du nord et les chasseurs
d'Asie: shamans, tertres, calumets de la paix, habitude de scalper,
wigwams et tout cela. Les contacts entre les natifs des rivages
asiatiques et américains de l'extrême nord du Pacifique ont encore
lieu, mais c'est un phénomène strictement local [14]. C'est
l'arrière-plan asiatique réellement antique des Indiens qui
m'intéresse. Dans une étude récente sur la naissance de l'État antique
en Asie centrale, j'ai puisé des preuves aussi bien chez les
ethnologues américains que dans les sources de l'Ancien Monde, et tout
s'emboîte parfaitement pour former un seul tableau. Mais le rapport,
quel qu'il ait pu être, entre les Asiatiques et les Indiens – à part
ces liens furieusement manifestes avec le Proche-Orient sur lesquels
Gladwin attire l'attention – a dû être bien ancien, car les langues
asiatiques sont parmi les plus conservatrices et les plus répandues de
la terre, et si les deux mondes avaient été en contact aussi récemment
que le croient certaines autorités, la nature asiatique des langues
indiennes serait instantanément reconnaissable. Jusqu'à ce jour,
personne n'a pu reconnaître ces langues comme étant celles des steppes
asiatiques.
Or tout ceci se passe tel que le
Livre d'Éther le veut. Ce récit nous dit qu'à l'aube même de
l'histoire, il y a des milliers d'années, un groupe de chasseurs
nomades et d'éleveurs de bétail venu du centre ouest de l'Asie a
traversé l'eau – très probablement le Pacifique nord-vers le Nouveau
Monde, où il conserva les coutumes de ses ancêtres, y compris certaines
pratiques sauvages et dégénérées, et se livrait à un genre libre de
guerre des steppes avec une cruauté et une férocité véritablement
asiatiques; il nous dit que ces gens se déplaçaient considérablement
dans le désert, en dépit du fait qu'ils construisirent des villes
imposantes, et qu'ils produisirent une fuite permanente de « proscrits
» tout au long des siècles. L'étude soigneuse des mouvements des
Jarédites, Mulékites, Néphites et Lamanites devrait corriger la façon
simpliste absurde avec laquelle on juge toujours le, Livre de Mormon au
point de vue historique. Elle montrera d'une manière claire comme le
jour que le Livre de Mormon lui-même suggérait l'origine asiatique de
quelques éléments au moins de la race et de la culture indiennes
longtemps avant que les anthropologues ne s'en fussent aperçus. Les
savants ne prétendent plus qu'une seule migration et un seul itinéraire
puissent expliquer tout ce qui concerne les Indiens. Le Livre de Mormon
n'a jamais avancé une doctrine aussi naïve. Bien qu'il nous parvienne
comme un digest et un abrégé dénudé et élagué, il est néanmoins
l'histoire la plus complexe et la plus emmêlée que vous puissiez
trouver; et dans ses pages compliquées et tragiques, il n'est pas de
plus grand défi que la présence sinistre de ces « hommes venus d'Asie »
féroces et sanguinaires appelés, de leur temps, Jarédites.
La vue d'ensemble
Le moment est venu de tirer quelques
conclusions. Si vous voulez bien vous en souvenir, je me suis mis en
devoir de prouver « que certaines choses étranges et peu connues
décrites dans Éther ont pu se produire comme décrites parce qu'elles se
sont réellement produites – d'une manière caractéristique et répétée
dans ces régions de culture où, selon le Livre de Mormon, les Jarédites
acquirent leur culture, et leur civilisation ». Parmi ces choses
étranges et peu connues, nous avons mentionné la vallée de Nimrod, la
confusion des langues, le grand vent, deseret et les plaines inondées
du vieux monde, tandis que dans le nouveau notre liste comprend des
points tels que la grande assemblée de la nation, l'attrait de
disciples par la corruption, les serments par le ciel et la terre, les
sociétés secrètes, les rois en prison, les ouvrages fins accomplis dans
des prisons, la princesse dansante, les espèces animales étranges, les
invasions de serpents, les grandes chasses nationales et les réserves
de chasse spéciales, la nation en armes, une stratégie et une tactique
curieuses, la formation d’armées par le recrutement forcé, le
terrorisme systématique, le règne des bandes de brigands, les guerres
d’extrermination considérées comme des duels personnels entre
souverains rivaux, avec la survie rituelle du roi. La liste des « coups
au but » est longue et si elle ne l’est pas autant que celle de Léhi,
c’est parce que Éther en tire moins (1 Néphi, qui ne couvre que huit
ans, peut consacrere beaucoup plus d’attention aux détails) et que la
cible est, si c’était possible, encore plus difficile à atteindre. Son
pourcentage de coups au but n’en est pas moins renversant.
Individuellement je trouve les
parallèles entre les Jarédites et les anciens Asiatiques très
impressionnants, mais pris ensemble, leur valeur s'accroît au Cube de
leur nombre. Dans le livre d'Éther, ils s'emmêlent en un tout organique
et parfait, le tableau logique d'un type de société dont l'existence
même n'a été révélée qu'au cours des dernières années, et qui est tout
à fait différente de cette culture indienne dans laquelle elle se
transforma plus tard. Comme elle est admirablement intégrée, cette
courte histoire! Il y a une grande calamité, une confusion de peuples
et de langues, une dispersion générale en de nombreuses directions à
partir d'un point situé quelque part au nord de la Mésopotamie [15].
Puis une migration dans des pays inconnus couverts de marécages et de
lacs, restes humides et froids de la dernière époque glacière, et puis
des vents terribles qui rattrapent le groupe juste au moment où il
prend la mer. Quelques années après son abordage dans le Nouveau Monde,
il tient une assemblée générale et choisit un roi; plus tard, le fils
de celui-ci se révolte et inaugure des siècles de guerre violente,, qui
trouveront leur conclusion dans une guerre d'extermination dont
d'étranges survivants se terreront dans les bois et les déserts. Les
nombres, les distances et les temps, tout cela s'adapte à la
perfection, mais le genre de choses que l'on peut contrôler le plus
parfaitement et qu'il est virtuellement impossible d'inventer, c'est,
comme je l'ai souvent souligné, le genre de choses qui a été fait et la
façon dont cela a été fait. C'est la vue d'ensemble qui est réellement
impressionnante.
Mais le but principal que nous avons
poursuivi en écrivant ces lettres, si vous voulez vous souvenir de la
première, était de réfuter la Einheitstheorie d'un seul commencement
pour l'origine des Indiens, puisque vous protestiez en disant que le
Livre de Mormon consistait en une version simpliste de l'histoire. Je
pense qu'il doit être manifeste maintenant que le récit du Livre de
Mormon n'est pas aussi simple qu'il le parait Éther, à lui seul,
introduit une fantastique liste de possibilités, dont on n'a jamais
examiné sérieusement qu'un petit nombre. La plus importante de
celles-ci est la probabilité, qui revient quasiment à une certitude,
que de nombreux Jarédites survécurent dans des lieux écartés du nord
pour perpétuer un puissant élément asiatique dans la culture et le sang
de l'Indien américain.
Rédiger une histoire de ce qui aurait
pu arriver au commencement même de l'histoire écrite aurait été aussi
éloigné des possibilités d'un quelconque savant vivant en 1830 que
l'aurait été la construction d'une bombe atomique. Le portrait des
premiers grands États de l'Antiquité commence seulement à prendre forme
à notre époque, et l'idée du noyau asiatique originel de toute
civilisation était inimaginable il y a quelques années. Nos propres
idées devront être continuellement révisées sur de nombreux points,
mais les grandes lignes du tableau sont fermes et claires – et c'est ce
même tableau que nous rencontrons dans le Livre d'Éther. Une des
découvertes les plus surprenantes des dernières années a été la
révélation que partout où les experts cherchent, à Babylone, à Thèbes,
à Ras Shamra, en Asie centrale ou en Extrême-Orient, ils retrouvent
dans toutes les périodes de l'histoire un mélange presque incroyable de
types physiques et linguistiques. Et à mesure que le tableau biologique
devient plus complexe, le tableau culturel semble devenir plus simple,
le monde civilisé tout entier, à un moment quelconque de son histoire,
semblant participer d'une manière générale à une civilisation mondiale
commune unique. C'est aussi le tableau que nous trouvons dans Éther où
les nations et les tribus sont déjà totalement « confondues » du temps
de Jared, tandis que certaines institutions et pratiques sont décrites
comme étant communes aux « anciens » dans leur ensemble et comme
fleurissant parmi toutes les nations.
Une chose qui cadre aussi avec ce
tableau, c'est le fait qu'un certain nombre de noms jarédites sont
aussi des noms bibliques. Vous demandez dans votre dernière lettre
comment cela se peut si la langue jarédite était la langue adamique
perdue? Disons bien clairement au départ que la langue de Jared n'était
pas du tout la langue adamique: Jared demanda que sa langue ne fût pas
confondue, pour que son peuple pût continuer à se comprendre, non parce
que c'était une langue unique ou parfaite ou la langue sacrée d'Adam,
chose qui aurait certainement été mentionnée s'il en avait été ainsi.
En effet, lorsque les Jarédites se furent enfuis et que leur langage
fut en sécurité, le Seigneur dit au frère de Jared: « La langue que tu
écriras, je l'ai confondue » (Éther 3:24). Quand Moroni parle de la
puissance remarquable des écrits du frère de Jared, il attribue les
paroles puissantes non au génie de la langue, mais à un don spécial
donné par Dieu à l'auteur (Éther 12:24). Quant à l'antiquité de
l'écriture, soit dit en passant, nous n'en avons pas discuté, parce
qu'elle est encore totalement ignorée. À Uruk, où « Ies formes mères »
de l'écriture apparaissent, elles ne le font pas par un processus
graduel d'évolution, mais « soudain et sans avertissement apparaissent
quinze cents signes et pictographes grattés sur de l'argile. Ils
semblent avoir été écrits et utilisés sans aucun signe d'hésitation
[16] », montrant que l'écriture était déjà bien établie quelque part
dans le monde, et ce quelque part semblerait se trouver dans la région
située au nord de la Mésopotamie [17].
Quant aux noms Jarédites dans la
Bible, la confusion générale des langues non seulement la permettait,
mais l'exigeait également; car souvenez-vous que la grande majorité des
gens qui parlaient la langue jarédite fut à l'origine confondue et leur
langue contaminée, de sorte que, alors que les mots restaient, leur
signification ne demeurait pas (Éther 1:34). Nous nous attendrons donc
à trouver des mots jarédites éparpillés partout dans l'Ancien Monde. La
seule façon de découvrir ces mots c'est, bien entendu, dans les noms
propres. Peu de gens dans notre société savent ce que signifie leur nom
(bien que les noms de famille et les prénoms aient presque tous eu
autrefois un sens), parce que nos noms sont presque sans exception des
survivances de langues mortes depuis longtemps, ayant une histoire
extrêmement complexe et pittoresque. Tel a toujours été le cas de noms
propres. Il n'est pas surprenant que trois des plus vieilles villes du
monde, l'une d'elles traditionnellement décrite comme étant la première
ville du monde après le déluge, portent toutes le bon nom jarédite de
Kish, bien que ces villes soient considérablement séparées l'une de
l'autre. Il n'est pas surprenant que le premier roi d'Israël soit
également appelé Kish. Il n'est pas surprenant qu'une ville égale à
Kish en âge et en importance, en Mésopotamie soit appelée Lagash,
tandis qu'une des plus vieilles villes de Palestine était Lakish, les
deux rappelant le jarédite Riplakish, qui pouvait signifier en
babylonien « Seigneur de Lakish ». Une coïncidence plus remarquable
c'est que le roi jarédite Aha était le fils de Seth (Éther 1:10; 11:10)
puisque Ménès, le célèbre fondateur de la première dynastie égyptienne,
portait le nom de Aha (signifiant guerrier), et était censé avoir
succédé à Seth comme chef du pays [18]. On peut se faire une bonne idée
de la complexité des choses quand on examine le nom de Korihor. Nous
avons noté précédemment que le nom du grand-prêtre qui, en 1085 avant
Jésus-Christ, usurpa le trône de Thèbes (soit dit entre parenthèses, la
plus vieille ville d'Égypte et la plus vieille ville d'Europe portent
toutes deux le nom de Thèbes: d'où vient-ce ?) semblait être identique
à celui du parvenu néphite Korihor. Mais nous avons vu que Korihor est
tout aussi manifestement identique au jarédite Korihor. Où est le lien
? Non pas en Égypte, chose surprenante, car Hurhor, Heriher, peu
importe, ne semble pas avoir été le moins du monde un nom égyptien,
quoiqu'on le trouve en Égypte, mais est probablement une adoption
tardive du hurrien, par le cananéen; c'est-à-dire qu'il vient des
territoires d'origine des Jarédites [19] ! Les Néphites peuvent ainsi
l'avoir obtenu soit des Jarédites par Mulek, soit l'avoir importé
directement de leur coin de l'empire égyptien, où sa forme égyptienne
était illustre parmi les disciples d'Ammon.
Il n'est pas un nom ni un événement
de l'histoire jarédite qui ne réclame une étude longue et sérieuse. Ils
méritent cette étude parce que ce sont des noms et des événements d'un
type authentique. Comme pour l'histoire de Léhi, si c'est de la
fiction, c'est une ficton rédigée par quelqu'un qui connaissait
parfaitement un domaine de l'histoire sur lequel personne au monde ne
connaissait quoi que ce soit en 1830. Personne ne pourra produire, par
exemple, un faux habile de l'histoire romaine, s'il ne connaît
réellement beaucoup de choses sur l'histoire romaine véritable. Ainsi
donc si Éther est un faux, où son auteur a-t-il obtenu la ferme
connaissance nécessaire pour accomplir un travail qui puisse résister à
cinq minutes d'examen ? Dans ces lettres hâtives, je n'ai fait
qu'explorer la surface, mais si mes patins sont maladroits, la glace
n'est jamais mince. Chaque page est chargée de matière à sérieuse
discussion – discussion qui s'évanouirait rapidement face à la première
absurdité flagrante.
Mais rien ne pourrait être plus
injuste que de traiter le livre d'Éther simplement comme une histoire.
Après nous être longuement préoccupés de l'aspect sordide et profane de
l'histoire Jarédite, il est grand temps de nous rappeler que ce texte,
dans lequel nous avons arbitrairement choisi pour le commenter,
uniquement les versets que l'on aurait pu trouver dans n'importe quelle
chronique antique, est un des plus grands trésors qui aient jamais été
donnés à une génération d'hommes. La triste histoire des Jarédites
n'est que le cadre du commentaire inspiré de Moroni, un puissant
avertissement pour notre époque, mais plus encore que cela pour les
temps à venir.
Mon cher F. [20],
Moroni nous assure que c'est le
Seigneur qui gère les choses et que les hommes ratent toute la raison
d'âtre et la signification de leur vie en ne reconnaissant pas ce fait:
« Les vents sont sortis de ma bouche et a ussi les pluies » (Éther
2:24), dit-il au frère de Jared, mais les hommes ne se rendent pas
compte qu'il en est ainsi, car le Seigneur montre constamment « un
grand pouvoir qui paraît petit à l'intelligence des hommes » (Éther
3:5, italiques ajoutés). Les hommes n'ont tout simplement pas la foi et
se refusent ainsi les bénédictions et le pouvoir qui pourraient leur
appartenir, une « connaissance » sans limites « de toutes choses »,
laquelle est « cachée pour cause d'incrédulité » (Éther 4:13). Si nous
avons la foi, Dieu ne nous refusera pas la connaissance de toutes
choses. Et, chose ironique, les hommes savent qu'ils devraient avoir la
foi même sans penser à aucune récompense, « car elle persuade les
hommes à faire le bien » (2 Néphi 33:4). On commence par espérer – «
l'homme doit espérer, sinon il ne peut recevoir un héritage » (Éther
12:32), car « la foi, ce sont les choses qu'on espère et qu'on ne voit
pas; c'est pourquoi ne disputez pas parce que vous ne voyez pas; car
vous ne recevez de témoignage que lorsque votre foi a été mise à
l'épreuve » (Éther 12:6). Car s'il n'y a pas de foi parmi les enfants
des hommes. Dieu ne peut faire aucun miracle parmi eux » (Éther 12:12),
car il fait « aux enfants des hommes selon leur foi » (Éther 12:29).
Il n'est rien de plus difficile que
de convaincre un homme d'une chose dont il n'a pas fait l'expérience: «
Éther prophétisa des choses grandes et étonnantes au peuple, que
celui-ci ne crut pas, parce qu'il ne les voyait pas » (Éther 12:5).
Ceux qui n'ont pas la foi vivent dans un monde à eux qui leur paraît
logique et final; ils adoptent la position très peu scientifique
qu'au-delà du domaine de leur propre expérience très limitée, il
n'existe absolument rien ! Pour eux, les oeuvres de Dieu paraissent
petites et ils ne seront jamais guéris de leur myopie tant qu'ils ne
seront pas disposés à regarder les faits en face et à passer une
épreuve que seuls ceux qui ont le coeur honnête peuvent envisager sans
un frisson d'horreur. L'épreuve est celle-ci: « Si les hommes viennent
à moi, je leur démontrerai leur faiblesse. Je donne aux hommes de la
faiblesse afin qu'ils soient humbles ... alors je rends fortes pour eux
les choses qui sont faibles » (Éther 12:27). Quel homme du monde ou
quel docteur en philosophie rempli d'affectation va jamais demander de
la faiblesse ? Les hommes du monde cherchent les choses du monde, les
réalités qu'ils connaissent – et les plus grandes de celles-ci sont «
la puissance et le gain ». Tout au long des âges, nous assure le livre
d'Éther, les hommes ont fait de la recherche de ces choses leur but le
plus élevé et ont invariablement fait la découverte tragique que la
clef de la domination sur ses semblables, c'est-àdire de la puissance
et du gain, réside en trois choses: le secret, l'organisation et
l'abandon des scrupules moraux, et spécialement de toute humilité dans
la question de l'effusion du sang. Moroni dit à propos de ces trois
choses: « Le Seigneur n'opère pas par les combinaisons secrètes, il ne
veut pas non plus que les hommes versent le sang, mais il l'a interdit
en toutes choses, depuis le commencement de l'homme » (Éther 8:19). Ces
choses, explique le prophète, ont détruit civilisation après
civilisation et continueront à détruire « toute nation qui favorisera
de telles combinaisons ». (Éther 8:22)
On croirait lire Thucydide, qui fait
-à propos de l'histoire grecque le même commentaire que Moroni pour
l'histoire jarédite: les hommes qui vivent pour ce monde ne font que
devenir invariablement de dangereux paranoïaques qui se détruisent
eux-mêmes et tous ceux qui sont en contact avec eux. Mais les Grecs ne
nous ont jamais montré l'autre côté de la médaille. C'est ici que le
livre d'Éther dépasse de loin tous les autres commentaires sur
l'histoire humaine. Les plus grands d'entre les Grecs nous ont
enseigné, a écrit Goethe, que « Ia vie sur cette terre est un enfer ».
Ils ne pouvaient pas aller plus loin que cela. Mais le livre d'Éther
nous enseigne que la vie sur cette terre peut être le paradis, qu'en
fait il y en a réellement eu ici beaucoup « avant que le Christ ne
vînt, dont la foi était tellement forte qu'il ne fut pas possible de
les empêcher de voir au-dedans du voile, mais ils virent réellement de
leurs yeux ce qu'ils avaient vu par l’oeil de la foi, et ils s'en
réjouirent » (Éther 12:19), italiques ajoutés). Nous ne traitons pas
ici des platitudes et des truismes habituels selon lesquels, si les
hommes voulaient seulement se conduire convenablement et s'aider
mutuellement, ils n'auraient pas d'ennuis: les hommes ont toujours su
cela, ils ne l'ont su que trop bien.
Éther nous montre la société humaine
divisée en deux groupes, non pas les bons et les mauvais comme tels,
mais ceux qui ont la foi et ceux qui ne l'ont pas. Ils vivent dans des
mondes totalement différents, l'un des groupes dans un véritable ciel,
l'autre dans un véritable enfer. On nous montre sans ambages exactement
le genre de monde que se créent ceux qui n'ont pas la foi. C'est
l'avertissement de Moroni pour notre époque. Il y a une génération, les
actes des fous sanguinaires des steppes asiatiques étaient aussi loin
de la pensée et des expériences de l'homme occidental que l'autre face
de la lune. Aujourd'hui le sinistre cauchemar est devenu notre propre
histoire, et on nous montre dans les nouvelles les photographies de
commandants américains adoptant les attitudes effrayantes et portant
les énormes cache-oreilles et vestes ouatées des antiques khans des
steppes. Qui aurait imaginé pareille chose ?
D'autre part, nous voyons le Seigneur
parler « en toute humilité » (quelle leçon d'humilité !) à tout homme
qui est prêt à le recevoir. Les Jarédites n'étaient pas Israélites, ni
même la postérité d'Abraham: c'étaient simplement des êtres humains,
apparemment un groupe hétéroclite n'ayant pas d'affinités raciales
particulières. Dans cette histoire, le temps et le lieu cessent
d'exister, car beaucoup d'hommes dont nous n'avons aucune trace
parlèrent face à face avec le Seigneur longtemps avant qu'il ne vînt
accomplir sa mission terrestre. Cette indifférence remarquable à toute
qualité autre que la foi est transférée chez Éther jusque dans l'autre
monde, car nous y apprenons que le Seigneur a préparé « parmi les
demeures de [son] Père » « une maison pour l'homme » (Éther 12:32) où
les fidèles de cette terre seront à l'aise au milieu des fidèles des
autres mondes. Ainsi les liens du temps et du lieu sont complètement
dissous dans la théologie de Moroni, et les mêmes promesses et
avertissements qui planaient sur le monde des Jarédites sont transmis à
notre propre monde.
Qu'il me soit permis de faire
remarquer, en terminant, que c'est dans le Livre de Mormon, dans Éther
pour être précis, que nous entendons parler de choses situées au-delà
du voile, d'autres mondes que celui-ci – de nombreuses demeures parmi
lesquelles les fidèles de ce monde n'hériteront qu'une seule – et
d'hommes qui parlent face à face avec Jésus en vision. Je trouve tout
cela publié en 1830 quand Joseph Smith n'avait que vingt-quatre ans et
que l'Église n'était pas encore organisée. Et cependant certains de mes
amis intellectuels sont occupés en ce moment même à s'évertuer à
montrer que toutes ces idées furent le produit de la pensée ultérieure
de Joseph Smith et que l'idée de choses du genre de sa première vision
fut élaborée pour la première fois en 1843 par un comité à Nauvoo. Il
n'y a rien de pareil à l'histoire des Jarédites pour montrer que
l'évangile est aussi éternel que vrai.
Si la partie historique du livre
d'Éther devait être publiée au monde comme traduction d'un texte
trouvé, disons dans la Caverne des Mille Bouddhas, les experts de
l'Asie antique pourraient croire que c'est un ouvrage de fiction, mais
n'y trouveraient rien, sauf les étranges noms propres, pour leur faire
douter qu'il décrit une culture antique authentique. Si vous voulez
être très prudent, vous pourriez dire qu'il y a très peu de choses qui
irriteraient l'expert. Mais tenant compte du fait que les études
asiatiques sont encore en embryon, des conditions dans lesquelles cette
oeuvre a été publiée et de la probabilité extraordinairement faible que
l'écrivain ait pu tomber juste sur la moindre des choses, je pense que
l'on n'a pas besoin d'autres lettres de créance pour établir
l'authenticité du livre qui répète maintes et maintes fois qu'il
rapporte les coutumes de très anciens Asiatiques. Le livre d'Éther,
comme 1 Néphi, touche juste bien trop souvent pour représenter
l'habileté d'un homme tirant au hasard dans le noir.
[1] On peut trouver des exemples de
mimation dans William F. Albright, The Vocalization of Egyptian
Syllabic Orthography, New Haven, American Oriental Society, 1934, pp.
7-8, 14-15.
[2] Ici le texte pour le magazine
dit: « Noé était un roi jarédite et il y avait un autre Noé qui était
un roi néphite, mais ce dernier n’était pas un Néphite pur sang, car
son père, Zénif, était le dernier dirigeant de la colonie mulékite. »
La dernière partie de ce commentaire a été supprimée dans l’édition
livresque de 1952. Nous avons très peu de renseignements sur Zénif.
[3] Leonard Woolley, Abraham, Londres, Faber & Faber, 1936, p. 175.
[4] « Ils fuient dans les montagnes
», telle est la formule qu’emploient les Assyriens, p. ex., David D.
Luckenbill, Ancient Records of Assyria and Babylonia, 2 vols., Chicago,
University of Chicago Press, 1926-27, 1:79. « En quittant Balach », dit
Marco Polo, dans T. Wright, The Travels of Marco Polo, Londres, Bohn,
1954, p. 79, livre 1, ch. 23, « vous traversez une région où il n’y a
pas le moindre signe d’habitation, les gens s’étant tous enfuis vers
les forteresses des montagnes pour se protéger des des attaques des
pillards prédateurs qui envahissent ces régions. » Dans les régions
plates du nord, « tout le monde essayait de s’échapper dans les bois »,
à l’approche des hordes, B. Ya. Vladimirtsov, The Life of Chingis-Khan,
New York, Houghton Mifflin, 1930, p. 20.
[5] René Grousset, L'Asie orientale des origines au XVe siècle, Paris, Presses Universitaires, 1941, p. 305.
[6] Mildred Cable, The Gobi Desert, New York, Macmillan, 1945, p. 278.
[7] Joseph Fielding Smith, Enseignements du prophète Joseph Smith [éd. française], p. 215.
[8] Origène, Peri Archon, Des premiers principes) II, 3, 6 dans PG 11:196.
[9] On trouvera un compte rendu
complet sur la pierre de Kensington dans S. M. Hagen, « The Kensington
Runic Inscription », Speculum 25, 1950, pp. 321-56.
[10] Hugh W. Nibley, « The Book of Mormon as a Mirror of the East », IE 51, 1947, pp. 202-4, 249-51.
[11] La 10e partie de « The World of the Jaredites », IE 55, juin 1952, pp. 398-99, 462-64 , commençait ici.
[12] René Grousset, L'Asie orientale des origines au XVe siècle, p. 305.
[13] Harold S. Gladwin, Men Out of Asia, New York, McGraw-Hill, 1947.
[14] M. A. Czaplicka, Aboriginal Siberia, Oxford, Clarendon, 1914, pp. 69, 79, 114-16, 203-27.
[15] S’il veut examiner la carte
culturelle d’Asie publiée dans le magazine Life du 31 décembre 1951,
pages 8-9, le lecteur remarquera que les éditeurs situent le « début de
la civilisation » dans les montagnes au nord et à l’est de la
Mésopotamie, le foyer central se situant dans les grandes vallées
directement au nord de Schinear. Cela concorde exactement avec les
conclusions que nous tirons sur la base du livre d’Éther.
[16] W. Andrae, « The Story of Uruk
», Antiquity 10, 1936, pp. 42. À propos de l’apparition tout aussi
soudaine de l’écriture égyptienne, Siegfried Schott, Mythe und
Mythenbildung im alten Ägypten, Leipzig, Hinrich, 1945; réimpression
Hildesheim, Olm, 1964, p. 3.
[17] J’ai traité de ce thème dans « The Arrow, the Hunter, and the State » WPQ 2, 1949, pp. 328-44.
[18] Philip K. Hitti, History of Syria, New York, Macmillan, 1951, p. 149.
[19] Id., pour l’élément archaïque
Hur-, Hor- dans les noms égyptiens, voir Schott, Mythe und
Mythenbildung im alten Ägypten, p. ex. p. 5.
[20] La Conclusion de « The World of the Jaredites », IE 55, juillet 1952, pp. 510, 550, commençait ici.