Léhi
dans le désert
Hugh
Nibley
ABRÉVIATIONS
CHAPITRE 1 : L'Orient troublé
CHAPITRE 2 : Des hommes de l'Orient
CHAPITRE 3 : Vers le désert
CHAPITRE 4 : Coutumes et lieux du désert
CHAPITRE 5 : La ville et le sable
CHAPITRE 6 : Léhi le vainqueur
ABRÉVIATIONS
AASOR
Annual of the American Schools of Oriental Research
AJA
American Journal of Archaeology
ARAHA
Annual Report of the American Historical Association
ARW
Archiv für Religionswissenschaft
BA
Biblical Archeologist
BASOR
Bulletin of the American Schools of Oriental Research
CJ
Classical Journal
CQ
Classical Quarterly
HUCA
Hebrew Union College Annual
IE
Improvement Era
IEJ
Israel Exploration Journal
ILN
Illustrated London News
JAOS
Journal of the American Oriental Society
JBL
Journal of Biblical Literature
JE
Jewish Encyclopedia
JEA
A Journal of Egyptian Archaeology
JNES
Journal of Near Eastern Studies
JPOS
Journal of the Palestine Oriental Society
JQR
Jewish Quarterly Review
JRAS
Journal of the Royal Asiatic Society
JRSAI
Journal of the Royal Society of Antiquaries of Ireland
MGWJ
Monatschrift für Geschichte und Wissenschaft des
Judentums
PEFQ
Palestine Exploration Fund Quarterly
PG
J.-P. Migne, Patrologiae Cursus Completus. Series
Graeca, Paris, Migne, 1857-66, 161
PL
J.-P. Migne, Patrologiae Cursus Completus. Series
Latina, Paris, Migne, 1844-64, 221
PO
Patrologia Orientalis
RB
Revue Biblique
RE
Pauly-Wissowa, Paulys Realencyclopädie der
classischen Altertumswissenschaft
TAPS
Transactions of the American Philosophical Society
TSBA
Transactions of the Society of Biblical Archaeology
WPQ
Western Political Quarterly
ZASA
Zeitschrift für Ägyptische Sprache und Altertumskunde
ZDMG
Zeitschrift der deutschen morgenländischen
Gesellschaft
ZDPV
Zeitschrift des Deutsch-Palästina Vereins
CHAPITRE
UN : L’Orient troublé
Le
problème
Les
dix-huit premiers chapitres (environ quarante pages) du Livre de
Mormon racontent comment, au commencement du sixième siècle avant
Jésus-Christ, un certain Léhi quitta Jérusalem à la tête d’une
compagnie d’Israélites pour traverser l’Arabie en direction de
la mer. Depuis la publication de ce récit, d’autres histoires de
voyages antiques ont été déterrées dans le Proche-Orient et
acceptées comme authentiques ou prononcées fictives selon qu’elles
remplissaient ou ne remplissaient pas certaines conditions. C’est
ainsi que le professeur Albright affirme que l’histoire de
l’Égyptien Sinuhe est « en substance un récit véridique de la
vie dans son milieu », parce que (1) « sa couleur locale (est)
extrêmement plausible », (2) elle décrit un « état
d’organisation sociale » qui « s’accorde d’une manière très
exacte avec les indices archéologiques et documentaires actuels »,
(3) « les noms de personnes amoréens que contient l’histoire sont
satisfaisants pour cette période et cette région », (4) et «
finalement, il n’y a rien de déraisonnable dans l’histoire
elle-même[1] ».
Cette
même autorité accepte comme vrai le récit de Wenamon dans son
histoire et sa géographie politiques, notant qu’il « reflète
correctement l’horizon culturel et les idées et les pratiques
religieuses de son époque[2] ». Lieblein considérait comme
authentiques certains épisodes égyptiens de l’Odyssée parce
qu’ils présupposent chez leur auteur « une assez bonne
connaissance de la situation et des institutions des Égyptiens[3] ».
D’autre part, des contes tels que « Le Marin naufragé » peuvent
être considérés comme imaginaires parce qu’il leur « manque un
cadre historique ou géographique précis et à cause de leur mise en
scène, qui est soit mythique, soit improbable par son
extravagance[4] ».
Avec
de tels exemples sous les yeux, nous pouvons procéder à la mise à
l’épreuve de l’histoire de Léhi : Reflète-t-elle correctement
«l’horizon culturel et les idées et les pratiques religieuses et
sociales de l’époque»? A-t-elle un cadre historique et
géographique authentique? La mise en scène est-elle mythique, tout
à fait imaginaire ou improbable par son extravagance? Sa couleur
locale est-elle correcte et ses noms propres sont-ils convaincants?
Il n’y a que quelques années de cela, on posait encore les mêmes
questions à propos du Livre de l’Exode, et les savants donnaient
systématiquement une réponse négative jusqu’au moment où
l’accumulation des preuves en sa faveur se mit à peser dans les
plateaux de la balance. Comme le décrivait un savant, le problème «
consiste plutôt à prouver, par d’innombrables petites
coïncidences, ce qu’Ebers a si bien appelé l’ « égypticité »
du Pentateuque, que de démontrer un fait historique particulier par
des preuves externes et monumentales[5] ». De même, le problème de
1 Néphi est d’en établir à la fois « l’égypticité » et «
l’arabicité » par d’innombrables coïncidences du même genre.
Le fait que le Livre de Mormon est un texte moderne, et cependant pas
suffisamment moderne pour avoir exploité les fruits de
l’archéologie, lui donne un double handicap au départ, et
cependant, étant donné les affirmations de Joseph Smith, il ne peut
pas demander à être exempté de ces mêmes contrôles minutieux qui
ont révélé la vraie nature de documents dont l’antiquité était
connue. Si le livre peut réussir ces contrôles, il n’y a aucune
raison de discuter de son âge et de son auteur.
Virtuellement
tout ce que l’on sait du monde dans lequel Léhi est censé avoir
vécu a été découvert au cours des cent dernières années – et
surtout au cours des trente dernières [ceci a été écrit en 1952,
N.d.T.][6]. Ces informations cadrent-elles avec celles du livre de
1 Néphi? Avant de les mettre côte à côte pour les comparer, nous
devons brièvement décrire la nature des indices dont on dispose
aujourd’hui. À notre sens, ils se répartissent en quatre
classes:
1.
En premier lieu, les documents les plus précieux sont ceux que l’on
a trouvés dans le pays de Léhi et qui datent de son époque même.
Un certain nombre de ces documents ont été découverts au cours des
dernières années: des sceaux, des poignées de poterie, des
inscriptions et, tout particulièrement, les lettres de Lakisch,
découvertes en 1935. Ce sont les restes de la correspondance d’un
officier militaire stationné dans la ville de Lakisch, à environ
cinquante-cinq kilomètres au sud-ouest de Jérusalem, à l’époque
de la destruction des deux villes, qui nous donnent ainsi la
description, par un témoin oculaire, du monde réel de Léhi, une
minuscule ouverture, il est vrai, mais une ouverture sans
obstruction. Dans ces lettres, «nous sommes mis en contact direct
avec la vie religieuse, politique et militaire intérieure de Juda à
cette époque[7]». Puisque 1 Néphi prétend nous mettre encore plus
intimement en contact avec la même société, nous avons ici un «
contrôle » important.
2.
Les nouvelles découvertes ont provoqué chez les savants les plus
capables une révision et une réévaluation approfondies de la
situation qui régnait à Jérusalem à l’époque de sa chute; ces
savants résumés nous épargneront l’ennui et le risque de faire
les nôtres.
3.
Les descriptions que fait le Livre de Mormon de la vie dans le désert
doivent être comparées avec les récits de témoins oculaires de la
vie dans ces mêmes déserts, pour la même période de temps, si
c’est possible. Puisque le pays et les populations intéressés
comptent parmi les plus immuables de la terre, il y a beaucoup de
choses qui sont aussi vraies aujourd’hui qu’en 600 av. J.-C.,
fournissant des données d’une nature quasiment intemporelle, mais
qui est hautement spécialisée, données qui nous ont été rendues
accessibles dans :
(a)
De nombreux journaux et études scientifiques du pays, avec, en tête,
le « Palestine Exploration Fund Quarterly ».
(b)
Un trésor croissant de grands classiques sur la vie chez les Arabes,
commençant par Burckhardt en 1829, mais principalement limité à
notre époque : Doughty, Philby, Lawrence, Hogarth, Thomas, etc.
(c)
Peu d’Américains sont conscients des possibilités linguistiques
et culturelles dont dispose le savant sérieux un peu partout dans le
pays. Il n’est pas de grande ville des États-Unis qui n’ait ses
communautés de Syriens, de Grecs, d’Arméniens, etc., souvent
fraîchement arrivées de l’ancien monde et pleines de traditions
du Proche-Orient. Qui irait s’imaginer qu’un ancien chamelier, un
Arabe pur-sang et musulman dévot s’installerait dans le voisinage
d’une ville telle que Provo, ou que les déserts de la Californie
du sud entretiennent des colonies d’Arabes élevant des moutons et
des poules et cultivant des dattes exactement comme ils le faisaient,
leurs ancêtres et eux, dans les déserts de l’Orient? Ces gens
sont souvent des informateurs merveilleux, car ils ont une mémoire
étonnante et adorent se livrer à des réminiscences en passant la
nuit à jouer au trictrac[8].
4.
Pour vérifier ces récits oraux, nous avons les paroles des anciens
poètes, des Arabes. Le récit en prose des Bani Hilal est également
très utile, à la fois parce que c’est un « ouvrage canonique »
sur les migrations dans le désert et parce qu’il raconte une
histoire qui, sous certains aspects, présente des parallèles très
étroits avec celle de Néphi. Réunies, ces sources permettent de
scruter de bien plus près le livre de 1 Néphi qu’on n’aurait pu
le faire il y a une génération. Bien que ce qui suit ne soit guère
autre chose qu’un survol, nous croyons avoir emprunté le
cheminement qu’on est en droit d’attendre d’un examen correct
de l’histoire de Léhi, et que nous avons ici suffisamment
d’indices pour justifier les réflexions par lesquelles nous
conclurons cette étude.
La
situation à Jérusalem
Lorsque
nous parlons de Jérusalem, il est important de remarquer la
préférence que montre Néphi, lorsqu’il nomme sa patrie, pour une
expression non biblique: « le pays de Jérusalem » (1 Néphi 3:10).
Bien que ses frères et lui considèrent toujours « le pays de
Jérusalem » comme leur patrie, il ressort d’une manière
parfaitement claire d’un certain nombre de passages que « le pays
de l’héritage de notre père » (1 Néphi 3:16) ne peut se trouver
à l’intérieur de la ville, ni même tout près, en dépit du fait
que Léhi ait « habité Jérusalem toute sa vie » (1 Néphi 1:4).
Les termes manquent de clarté, mais reflètent correctement une
situation réelle, car dans les lettres d’Amarna, il est question
du « pays de Jérusalem » pour décrire une région plus vaste que
la ville elle-même, et nous apprenons même à un moment donné que
« une ville du pays de Jérusalem, Bet Ninib, a été capturée ».
Il était de règle en Palestine et en Syrie, comme le montrent les
mêmes lettres, qu’une vaste région alentour d’une ville et tous
les habitants de cette région portent le nom de la ville[9]. C’était
une survivance de l’époque où la ville et le pays constituaient
une entité politique unique, dite cité-état; lorsque celle-ci fut
absorbée dans un empire plus vaste, l’identité originelle fut
conservée, quoique ayant perdu sa signification politique
d’origine[10]. C’est ce même conservatisme qui a donné à
Socrate la possibilité d’être Athénien et rien d’autre, bien
qu’il vînt du village d’Alopêkê, situé à une certaine
distance de la ville[11]. Cet arrangement mérite d’être mentionné
parce que beaucoup ont considéré comme une preuve certaine de
falsification l’affirmation d’Alma que le Sauveur naîtrait « à
Jérusalem, qui est le pays de nos ancêtres ». (Alma 7:10). C’est
plutôt l’inverse, conservant fidèlement l’antique terminologie
pour décrire un système que l’on n’a redécouvert que
récemment.
Quoique
demeurant à Jérusalem, Léhi ne vivait pas dans la ville, car ce
n’est qu’après avoir échoué dans leur tentative d’obtenir
les plaques à Jérusalem que ses fils décidèrent de descendre «
au pays de l’héritage de [leur] père » (1 Néphi 3:16) et d’y
rassembler suffisamment de richesses pour acheter les plaques à
Laban. Chargés de la marchandise, ils remontèrent « à la maison
de Laban » à Jérusalem (1 Néphi 3:23). Le Livre de Mormon emploie
les expressions « descendre » et « monter » exactement comme le
faisaient les Hébreux et les Égyptiens lorsqu’ils parlaient de
l’emplacement de Jérusalem, et cela montre donc clairement que les
biens de Léhi se trouvaient quelque part à la campagne et non pas
dans l’enceinte de Jérusalem[12].
Nous
ne savons que très peu de choses du gouvernement des villes des
Juifs, à part que les « anciens » y jouaient le rôle principal.
Dans ces « anciens », on a voulu voir « les chefs des familles les
plus influentes d’une ville[13] ». « Ceci les rendrait identiques
à ces princes, notables et fonctionnaires que les lettres de Lakisch
appellent sarim. Le mot sarim désigne, selon J. W. Jack, les «
membres de la classe officielle, c’est-à-dire ‘les
fonctionnaires’ jouant auprès du roi le rôle de conseillers et de
gouverneurs ». Dans les lettres de Lakisch « nous voyons les sarim’
dénoncer Jérémie au roi et exiger son exécution à cause de sa
mauvaise influence sur le moral du peuple » (Jérémie 38:4-5)[14].
Lorsqu’ils accusaient le prophète de défaitisme, les hommes
influents de Jérusalem étaient soutenus tant par la majorité du
peuple que par une armée de prophètes qui, par leurs faux oracles,
« excitaient le chauvinisme judaïque jusqu’à la frénésie »,
ce qui faisait courir, et c’est le moins que l’on puisse en dire,
de gros risques à quiconque était d’une opinion opposée[15]. Car
le gouvernement, avec à sa tête le faible et incapable Sédécias,
avait adopté une politique suicidaire d’alliance militaire avec
l’Égypte et de « on fait comme si de rien n’était[16] ».
Le
pays venait de connaître un grand essor économique, grâce surtout
aux relations commerciales avec l’Égypte, ce qui avait produit une
efflorescence sans pareille de grandes fortunes privées. « Les
galères phéniciennes remplissaient les embouchures du Nil et les
marchands sémitiques encombraient le Delta[17] », la majeure partie
du commerce maritime passant par Sidon, laquelle domina du début à
la fin la scène commerciale[18]. Les listes de marchandises
importées de Palestine en Égypte montrent que les grands de
l’Orient recevaient l’or de l’Égypte en échange de leur vin,
de leur huile, de leur grain et de leur miel, les trois premiers
dépassant de loin en importance toutes les autres commodités[19].
Les caravanes des princes marchands passaient par les villes
intérieures telles que Jérusalem, comme du temps des lettres
d’Amarna, car il n’y eut de routes véritables qu’à l’époque
des Romains.
À
la fin du siècle, la situation internationale jetait une ombre
sinistre sur le tableau. Babylone, soudain libérée de ses autres
soucis, s’orientait rapidement vers une épreuve de force avec
l’Égypte, le « roseau brisé » pour lequel les dirigeants de
Juda avait imprudemment pris parti. Et cependant la menace d’une
guerre imminente n’était pas aussi grave que le laisser-aller
religieux et la décadence morale qui, selon Jérémie, découlaient
d’une prospérité excessive et d’une trop grande affection pour
tout ce qui était égyptien (voir Jérémie 43:10-13; 44:1-30;
46:11-26). Rien d’étonnant à ce que les sarim, qui affrontaient
suffisamment de problèmes pour entretenir le programme du « on fait
comme si de rien n’était », aient dénoncé le prophète de
mauvais augure comme traître, défaitiste et collaborateur de
Babylone. Le pays était divisé en deux factions, « les deux
partis, pro-égyptien et pro-babylonien, existaient côte à côte
dans le pays ». « Le roi Sédécias, ses gouverneurs et ses
princes, et probablement la plus grande partie du peuple étaient en
faveur de l’Égypte, tandis que le prophète Jérémie et ses
partisans conseillaient la soumission à Babylone[20] ». C’était
une époque de « dissensions et de rancunes, où les avis divisés
déchiraient la malheureuse ville de Jérusalem[21] », et tandis que
les choses empiraient dans une atmosphère « chargée d’un
pessimisme sans mélange… Sédécias… suivait avec entêtement le
chemin de la ruine en conspirant avec le pharaon[22] ». L’alerte
était justifiée, car lorsque le coup tomba finalement, il fut bien
plus catastrophique que les savants ont été jusqu’à présent
disposés à le croire, « toutes ou virtuellement toutes les villes
fortifiées de Juda étant entièrement rasées[23] ». Ce n’est
qu’en 1925 que nous avons appris que c’est à cette époque que «
Tyr est réellement tombée[24] ».
L’engouement
fatal pour l’Égypte, qui fut en grande partie responsable de la
calamité, est ce qui frappe le plus dans cette histoire. Pourquoi le
gouvernement de Juda resta-t-il si loyalement attaché à une Égypte
qui avait depuis longtemps perdu le pouvoir d’imposer l’obéissance?
D’abord, nous savons maintenant que les liens culturels et
économiques étaient beaucoup plus forts entre les deux pays qu’on
l’avait cru jusqu’à présent. J. W. Jack a noté en 1938 que «
les fouilles ont révélé des liens beaucoup plus intimes avec le
pays des pharaons qu’on ne le pensait… les autorités de Lakisch
utilisaient probablement ou étaient du moins habituées au
calendrier égyptien et au système égyptien de numération dans
leurs documents locaux ». Bien que ceci se rapporte à une époque
antérieure, « tout montre que ces liens avec l’Égypte sont
restés ininterrompus jusqu’à la fin de la monarchie juive[25] ».
Un anthropologue est allé jusqu’à prétendre que Lakisch était
en fait une colonie égyptienne, mais les recherches montrent que le
même type physique « égyptien » et la même prédominance de la
culture égyptienne se retrouvent ailleurs en Palestine[26]. Des
ivoires, des sceaux, des inscriptions récemment découverts et
l’étude préliminaire de tertres dans le pays, tout cela raconte
la même histoire: Une prépondérance écrasante et inattendue de
l’influence égyptienne[27] à l’exclusion tout aussi surprenante
de Babylone et de l’Assyrie[28]. À Jérusalem même, où les
fouilles sont nécessairement limitées, des sceaux sur des poignées
de cruches révèlent le même règne prolongé de la culture
égyptienne[29]. En même temps, les papyrus d’Eléphantine nous
disent encore une autre chose que les savants n’auraient jamais
imaginée et qu’ils ont eu tout d’abord beaucoup de mal à
croire, à savoir que des colonies de soldats et de marchands juifs
étaient tout à fait chez elles en Haute-Égypte où elles étaient
libres de pratiquer leur religion[30]. Les liens entre la Palestine
et l’Égypte étaient en outre déjà de très longue durée, des
siècles « d’environnement hébréo-égyptien commun » étant
nécessaires pour produire l’osmose des modes de pensée et
d’expression des Égyptiens chez les Hébreux » et pour charger le
vocabulaire égyptien de mots venus de Palestine et de Syrie[31]. Les
Aechtungstexte récemment identifiés montrent que dès 2000 av
J.-C. « La Palestine était tributaire, du moins en grande partie,
de l’Égypte », tandis que les fouilles de Byblos, véritable «
petite Égypte », prouvaient la présence de l’empire égyptien
dans les siècles ultérieurs[32].
Dire
que la culture égyptienne est prédominante dans une région, ce
n’est pas nécessairement prétendre à la présence d’une
domination égyptienne. Selon Hogarth, l’Égypte exerçait trois
degrés de domination: Le premier degré était le gouvernement par
la force directe, le deuxième, « la peur d’une reconquête qu’un
petit nombre de garnisons et d’agents et le prestige du conquérant
pouvaient maintenir vivace dans l’esprit des administrateurs
indirects et des sujets natifs », et le troisième degré « n’était
guère plus qu’une sphère d’influence exclusive, dont un tribut
était attendu, mais, n’étant pas assuré par des garnisons ou des
représentants… avait tendance à être intermittent[33] ». Nous
voyons donc que la position de l’Égypte comme « nation
spécialement favorisée » en Juda peut représenter n’importe
quel degré de domination dégradée allant même jusqu’à un «
empire » au quatrième degré[34] ». C’était l’héritage
culturel égyptien plutôt que son gouvernement qui était
tout-puissant, l’influence égyptienne atteignant le maximum de sa
puissance en Palestine après que l’Égypte eut passé l’apogée
comme puissance mondiale[35].
À
l’époque de la grandeur de l’Égypte, le célèbre Ipuwer avait
dit: « Les étrangers sont partout devenus égyptiens » et un
proche contemporain de Léhi peut se vanter ainsi: « Voici,
l’Ethiopien, le Syrien et tous les étrangers ne sont-ils pas
également instruits dans la langue de l’Égypte[36]? » Pendant
des siècles, il fut de coutume chez les princes de Syrie d’envoyer
leurs fils faire leurs études en Égypte[37]. Quelque mauvaise que
fût la situation de l’Égypte, les inscriptions vantardes de ses
souverains, lesquels étaient parfois très faibles, proclament la
supériorité absolue et incontestable de la civilisation égyptienne
sur toutes les autres: pour les Égyptiens, c’est là un article de
foi. Comme les Anglais de notre époque, les Égyptiens firent
maintes fois la démonstration de leur capacité d’entretenir dans
le monde une puissance et une influence tout à fait hors de
proportion avec leurs ressources matérielles. Sans autre moyen
qu’une confiance parfaite et tenace en la supériorité divine de
l’Égypte et d’Ammon, Wenamon réussit presque à intimider le
grand prince de Byblos. Est-il donc étonnant qu’à une époque où
l’Égypte jouissait du bref mais presque miraculeux renouveau de
splendeur qui marqua la vingt-sixième dynastie, avec son apogée
étonnant de commerce mondial, le crédit de ce pays ait été très
grand dans le pays de Jérusalem?
Mais
il nous faut maintenant revenir au Livre de 1 Néphi. Avec quelle
perfection l’auteur dépeint la situation même que nous venons de
décrire! Il explique qu’il n’a pas l’intention d’écrire une
histoire politique, et nous devons souvent lire entre les lignes;
cependant la quantité de renseignements qu’il donne de la manière
la plus négligente et la plus naturelle que l’on puisse imaginer,
est tout simplement étonnante. Voyons tout d’abord l’image de
Léhi.
Léhi
était un Juif très riche; il était fier de son éducation
égyptienne, parlait et écrivait égyptien et tenait absolument à
ce que ses fils apprennent la langue. Il possédait de très grandes
richesses sous forme « d’or, d’argent et toutes sortes de
richesses » (voir 1 Néphi 3:16) que l’on ne fabriquait pas à
Jérusalem; il avait des attaches étroites avec Sidon (un des noms
les plus populaires du Livre de Mormon, où on le retrouve à la fois
sous sa forme sémitique et sous sa forme égyptienne Giddonah); et
pourtant il vivait dans une propriété à la campagne, « le pays de
son héritage » (1 Néphi 2:4), et était une espèce d’expert
dans la culture de la vigne, de l’olivier, du figuier et du miel;
il ne peut donc y avoir beaucoup de doute quant à la nature de ses
affaires avec l’Égypte.
Or
voici que cet homme, issu d’une des plus vieilles familles et ayant
un passé et une éducation au-dessus de tout reproche, se trouve
tout à coup en mauvais termes avec « les gens qui comptent ». Il y
eut tout d’abord des railleries, puis de la colère et finalement
des complots contre sa vie (1 Néphi 1:19-20) qui, puisqu’ils
étaient graves, devaient être soutenus en haut lieu, car en prenant
ouvertement le parti de Jérémie (voir 1 Néphi 7:14) il devenait
traître à sa classe et à sa tradition: les membres de sa propre
famille se retournèrent contre lui et prenant, comme l’explique
Jérémie, le parti des « Juifs de Jérusalem » (1 Néphi 2:13),
accusèrent leur père de défaitisme criminel en pensant et en
prêchant que « la grande ville de Jérusalem serait détruite » (1
Néphi 1:4), exactement comme les sarim accusaient Jérémie de
trahison dans son discours. Si véhément était le soutien qu’ils
accordaient au point de vue du parti gouvernemental, que les deux
fils aînés de Léhi partagèrent avec les Juifs le grand crime de
comploter contre la vie de leur père (1 Néphi 17:44). On ne voit
nulle part avec plus de clarté les « dissensions et l’aigreur qui
déchiraient la malheureuse ville de Jérusalem[38] » que dans ces
scènes passionnées qui eurent lieu dans le ménage de Léhi. Les
fils aînés, élevés dans une vie d’élégance égyptienne et
héritiers d’une fortune qui devait beaucoup à l’Égypte,
étaient les fermes défenseurs du statu quo, tandis que les cadets,
à tous points de vue moins gâtés, avaient pris conscience de la
nature réelle de la crise de Jérusalem, qui n’était pas
réellement économique ni politique, mais fondamentalement morale.
(1 Néphi 1:19) Les aînés ne le voyaient pas du tout: « Le peuple
qui habitait le pays de Jérusalem, protestèrent-ils, était un
peuple juste; car il gardait les ordonnances selon la loi de Moïse;
c’est pourquoi, nous savons qu’il est un peuple juste ». (voir 1
Néphi 17:22). Tel était le saint chauvinisme des faux prophètes
avec leur évangile du « faisons comme si de rien n’était ».
L’atmosphère d’hystérie et de pessimisme qui règne dans
l’histoire que Néphi nous conte sur Jérusalem est, comme nous
l’avons vu, strictement authentique, et le danger de destruction
totale de Jérusalem qui traverse tout le livre comme le motif d’un
destin imminent était, comme les événements allaient le montrer,
parfaitement justifié.
La
langue et le Livre de Mormon
Le
monde a toujours regardé d’un air supérieur et moqueur cet
intérêt démesuré du Livre de Mormon pour ce qui est égyptien. Il
apprend maintenant avec surprise et incrédulité que la culture
égyptienne était bien plus importante dans la Palestine de 600 av.
J.-C. qu’on l’aurait jamais cru. Il est significatif que
l’intérêt du Livre de Mormon pour l’Égypte est strictement
culturel: il n’est jamais question du pharaon ni du gouvernement
égyptien, mais uniquement de la culture et surtout de la langue
égyptienne. Il dit d’ailleurs d’une manière tout à fait claire
que l’égyptien n’était pour Léhi qu’une seconde langue, «
car, ayant été instruit dans la langue des Égyptiens, il pouvait
lire ces inscriptions gravées et les enseigner à ses enfants »
(Mosiah 1:4). Nous avons vu que du temps de Léhi, l’égyptien
était enseigné « aux Éthiopiens, aux Syriens et à tous les
autres étrangers ». Moroni nous dit (Mormon 9:32-34) que la langue
des descendants de Léhi n’était ni l’hébreu, ni l’égyptien,
mais un mélange des deux, l’un et l’autre s’étant corrompus,
de sorte que « aucun autre peuple ne connaît notre langue », ce
qui n’aurait certainement pas été le cas s’ils n’avaient
parlé que l’hébreu. Le hittite ancien était une langue double de
ce genre. La raison pour laquelle « aucun autre peuple ne connaît
notre langue » (l’anglais, N. d. T.) aujourd’hui vient de ce que
le français cultivé a été imposé aux Saxons originels, tout
comme l’égyptien cultivé fut imposé à l’hébreu originel dans
la Palestine de Léhi. Sur un poignard cérémoniel qui, avec sa
poignée d’or blanc nous rappelle l’épée de Laban, nous lisons
le nom ja’qob-her, « Jahvé est satisfait », nom qui combine
joliment l’égyptien et l’hébreu dans un processus de fusion
pour lequel il existe maintenant beaucoup d’exemples et qui était
en cours déjà longtemps avant l’époque de Léhi[39].
Il
était courant dans les langues anciennes, comme dans les langues
modernes, d’utiliser un même mot (par exemple le français «
langage », égyptien ‘ra’) à la fois pour parole et langue[40],
bien que cet usage courant que l’on trouve dans le Livre de Mormon
ne se trouve pas en hébreu. Lorsque Néphi dit: « C’est dans ce
genre de langage que mon père loua son Dieu » (1 Néphi 1:15), il
ne nous dit pas quelle langue son père parlait, mais nous avertit
qu’il cite ou paraphrase des paroles véritablement prononcées par
son père. De même quand il dit « Je fais des annales, dans la
langue de mon père » (1 Néphi 1:2), il dit qu’il va citer ou
paraphraser un document que son père a véritablement rédigé (1
Néphi 1:16). Il explique que son père écrivit le document en
égyptien quoique traitant d’affaires juives, mais il n’affirme
jamais que l’égyptien était la langue natale de son père. La
proposition dans 1 Néphi 1:2, qui commence par « consistant en ...
» ne se rapporte évidemment pas à « langue » ni à « père »,
mais à « annales ». Du point de vue de la syntaxe, les deux autres
sont possibles, mais n’ont pas de sens : Une langue ne consiste pas
en un langage, des annales bien. La phrase est du mauvais français
mais, comme beaucoup d’autres dans le Livre de Mormon, ressemble
fort à la construction sémitique hal bien connue et pourrait se
traduire comme ceci: « Je fais, dans la langue de mon père, des
annales consistant en la science des Juifs », etc. Joseph Smith n’a
pas dicté la ponctuation du Livre de Mormon.
Certaines
personnes ont prétendu que le Livre de Mormon a été écrit en
hébreu mais avec des caractères égyptiens. Mais Moroni (Mormon
9:32-34) observe que les Néphites ont changé leur manière d’écrire
l’égyptien pour qu’elle soit conforme à leur manière de le
prononcer et que « l’hébreu a été altéré aussi par nous » de
sorte que « aucun autre peuple ne connaît notre langue ». Leur
langue n’était ni l’égyptien ni l’hébreu. Moroni apprécie
la précision et la clarté de l’hébreu antique, que son peuple ne
parle plus (Mormon 9:32) et écrit à contrecœur; « dans les
caractères qui sont appelés parmi nous l’égyptien réformé »,
et cela, simplement parce que cela prend moins de place. Or
l’égyptien prenait moins de place que l’hébreu parce que, du
temps de Léhi, le démotique était véritablement une sténographie,
extrêmement condensée et abrégée[41], et c’était une
sténographie pour la bonne raison qu’il était absolument
idiomatique, c’est-à-dire spécialement adapté aux sons et aux
processus de pensée d’une seule langue et d’une seule langue
seulement. On pouvait l’utiliser d’une manière très économique
pour écrire l’égyptien, mais pas pour une autre langue. En fait,
peu de temps après l’époque de Léhi, les conquérants perses de
l’Égypte apprirent l’araméen au lieu de l’égyptien parce que
l’écriture égyptienne était trop gauche et trop difficile à
apprendre[42]. Et maintenant on nous demande de croire que les Juifs
ont renversé ce processus et adopté les caractères égyptiens pour
leur propre langue.
Cela
revient à dire que les Néphites se sont refusé l’utilisation de
leur écriture sainte et superbement pratique à propos de laquelle
Torczyner écrit: « L’écriture de Lakisch nous fait prendre pour
la première fois conscience de ce que l’alphabet phénicien-hébreu…
est ... une écriture inventée et utilisée spécialement pour
écrire à l’encre sur du papyrus, de la peau (parchemin) et des
tessons de poterie. Nous nous rendons compte maintenant que les Juifs
d’autrefois pouvaient écrire rapidement et hardiment, dans une
belle écriture artistique, avec le soin aimant de ceux qui aiment
écrire[43] ». Et les Néphites se seraient débarrassés de ceci
pour apprendre à sa place le système le plus gauche, le plus
difficile, et le moins pratique pour écrire jamais conçu par
l’homme! Pourquoi se donner tout ce mal? Simplement pour gagner de
la place. Quelle place? La place sur de précieuses plaques. Quand la
coutume a-t-elle commencé? Avec Léhi. Où et quand a-t-il appris «
la langue des Égyptiens »? En Palestine, évidemment, avant même
de penser qu’il pourrait un jour être historien. Le riche Léhi
a-t-il appris les caractères égyptiens pour pouvoir rester dans sa
maison dans le pays de Jérusalem et, en écrivant l’hébreu avec
des symboles démotiques, épargner quelques sous par mois en
matériel pour écrire? A-t-il commandé à ses fils d’apprendre
l’égyptien pour qu’ils puissent gagner de la place lorsqu’ils
écriraient des annales? Bien sûr que non: Lorsqu’ils ont appris
la langue, ni Léhi ni ses fils n’avaient la moindre idée qu’un
jour ce serait utile pour des gens qui écriraient sur des plaques de
métal. Leur seule raison d’apprendre les caractères égyptiens
était de pouvoir lire et écrire l’égyptien. Ce n’est que plus
tard, lorsque les historiens manquèrent de place qu’ils virent
l’avantage qu’il y avait à écrire en égyptien. Et les
caractères égyptiens ne peuvent avoir été préservés pour leur
usage que parce que la langue elle-même avait également été
conservée; car des gens à qui la place ne manquait pas n’auraient
pas continué, pendant des centaines d’années, à écrire l’hébreu
avec les difficiles caractères égyptiens, alors qu’ils auraient
très bien pu, pendant tout ce temps-là, écrire avec les vingt-deux
caractères simples et pratiques de l’alphabet hébreu.
On
pourrait multiplier les raisons de rejeter cette intéressante
théorie, mais la simple déclaration de Mormon devrait suffire pour
bannir la chère illusion que quiconque a fait de l’hébreu
élémentaire connaît la langue originelle du Livre de Mormon. S’il
en était ainsi, sa traduction par le don et le pouvoir de Dieu
n’aurait pas été un bien grand miracle, et au lieu d’un urim et
d’un thummim, une courte liste de caractères égyptiens avec leurs
équivalents hébreux aurait été le seul instrument dont aurait eu
besoin la génération de Joseph Smith ou la nôtre. Le fait reste
que le Livre de Mormon a été abrégé et publié dans une langue
que ne connaissait aucun autre peuple sur la terre que les Néphites.
Il
y a beaucoup de choses, dans les écrits de Néphi, qui montrent que,
comme il le prétend, il écrit en égyptien et pas simplement en
caractères égyptiens. Lorsque Néphi nous dit que son récit et
celui de son père sont dans la langue des Égyptiens (et pas que la
langue de son père était la langue des Égyptiens), nous pouvons
être sûrs que c’est bien cela qu’il veut dire. Et quoi de plus
naturel qu’il choisisse pour écrire son message, adressé non
seulement aux Juifs, mais aussi « à toute la maison d’Israël »
(1 Néphi 19:19) et à tous les Gentils (1 Néphi 13:39-40) une
langue mondiale plutôt que son hébreu tribal? Les Juifs des époques
ultérieures ne vont-ils pas adopter le grec, langue mondiale
internationale, de préférence à l’hébreu, même comme véhicule
de l’Écriture Sainte, et ce, afin de se faire entendre le plus
loin possible, non seulement parmi les Gentils, mais également parmi
les Juifs eux-mêmes?
Les
trois premiers versets de 1 Néphi, qui se détachent fortement du
reste du texte, sont un colophon typique, procédé littéraire qui
caractérise hautement les compositions égyptiennes. Un exemple
typique, c’est le célèbre papyrus Bremer-Rhind, qui commence par
un colophon contenant (1) la date, (2) les titres de Nasim, l’auteur,
(3) les noms de ses parents et un éloge de leurs vertus, avec une
mention spéciale de l’appel prophétique de son père, (4) une
malédiction contre quiconque s’aviserait « d’enlever » le
livre, probablement « par crainte qu’un livre sacré ne tombe
entre des mains impures »[44]. Comparez ceci avec le colophon de
Néphi: (1) son nom, (2) les mérites de ses parents, avec une
mention spéciale de la science de son père, (3) l’aveu solennel
(correspondant à la malédiction de Nasim) que le livre est vrai et
l’affirmation: « Et je les fais de ma propre main », condition
indispensable à tout vrai colophon, puisque le but de celui-ci est
d’établir l’identité du rédacteur véritable (et non pas
simplement de l’auteur) du texte. Les écrits littéraires
égyptiens finissent régulièrement par la formule iw-f-pw : «
ainsi en est-il »[45]. Néphi termine les sections principales de
son livre par l’expression: « Et ainsi en est-il. Amen » (1
Néphi 9:6; 14:30; 22:31).
La
grande préoccupation que montre le Livre de Mormon pour les
questions d’écriture, la passion qu’a Léhi de tout noter (1
Néphi 1:16) et la fierté évidente qu’éprouvent les auteurs pour
leur habileté sont typiquement égyptiens. Le « je les fais de ma
propre main » de Néphi est tout simplement l’égyptien « écrit
avec mes propres doigts », et nous pouvons presque entendre Néphi
employer les termes d’un Sage égyptien: « Copie tes pères qui
t’ont précédé ... Voici, leurs paroles sont enregistrées par
écrit. Ouvre, lis et copie ... « Il est certain que Néphi lui-même
était diligent à garder ce seboyet[46]. C’était l’Égyptien et
non l’Hébreu qui faisait de la publicité pour sa compétence dans
l’art du scribe[47]. Une chose qui est également bien égyptienne,
c’est l’esprit didactique de Léhi et l’habitude qu’il a de
faire à ses fils de longs discours solennels sur des sujets moraux
et religieux « à la manière des pères ». Comme tout bon
Égyptien, il prenait évidemment note de tout cela[48]. La forme de
ces discours, avec leurs introductions fixes et leurs tournures
toutes faites aurait pu sortir tout droit d’une école égyptienne,
quoique leur contenu fasse davantage penser à « la science des
Juifs », comme Néphi l’observe lui-même (1 Néphi 1:2).
Cependant, tant dans la forme que dans le contenu, on trouve que les
écrits des prophètes et la sagesse d’Israël ressemblent
fortement à la littérature prophétique et de sagesse de
l’Égypte[49], de sorte que nous ne devons pas être surpris s’il
en va de même des prophéties de Léhi. À la fin du siècle
dernier, les savants furent déroutés de découvrir qu’une
prophétie démotique que l’on peut faire remonter à l’époque
de Bocchoris (718-712 av. J.-C.) dans laquelle étaient prédites des
destructions futures avec la promesse qu’un Messie suivrait, était
placée dans la bouche de « l’Agneau » (pa-hib). Les sources
grecques nous apprennent que cette prophétie connaissait une large
diffusion dans les temps anciens[50]. On voit donc que l’étrange
formulation de la grande prophétie de Léhi prononcée par «
l’Agneau » (1 Néphi 13:34, 41) n’est pas un anachronisme tiré
des temps hellénistiques ou chrétiens, comme on l’a autrefois
prétendu.
Un
prophète égyptien typique est un certain Neferrohu, dont les
prophéties, quoique de date incertaine, passaient pour être d’une
grande antiquité. Cet homme se décrit comme un homme du peuple,
mais en même temps un homme vaillant et « un homme riche dont les
possessions étaient grandes », et il est fier de ses talents de
scribe. Comme Léhi dans d’autres choses, il rappelle également
qu’il a beaucoup médité « sur ce qui se passerait dans le pays
», et, cela fait, se sent poussé à prophétiser: « Debout, mon
cœur, lamente-toi sur ce pays d’où tu viens ... Le pays a
entièrement péri et il ne reste rien... la terre est tombée dans
la misère à cause de cette nourriture, là-bas, des Bédouins qui
couvrent le pays... » Cependant il espère un roi-sauveur qui doit
venir[51]. La situation n’est pas unique, mais est caractéristique
aussi bien en Égypte qu’en Juda, et personne ne peut nier que si
Léhi n’était pas une réalité, il était du moins un type très
authentique. Néphi dit que son père n’était qu’un parmi de
nombreux prophètes de son temps.
LA
POLITIQUE EGYPTIENNE DANS LE NOUVEAU MONDE
La
meilleure indication qui soit de l’influence de la civilisation
égyptienne sur le peuple de Léhi se trouve dans un épisode tiré
de l’histoire ultérieure des Néphites[52].
Livre
de Mormon :
Agissant
sur la recommandation du roi Mosiah, qui désirait vivement éviter
une controverse au sujet du trône, les Néphites, au début du
premier siècle avant Jésus-Christ, remplacèrent la royauté par un
système de gouvernement par des juges ecclésiastiques: « ... Nous
désignerons comme juges des hommes sages qui jugeront ce peuple
selon les commandements de Dieu » (Mosiah 29:11). On ne nous dit pas
où Mosiah a trouvé cette idée, mais l’empressement et la
facilité avec lesquels le peuple adopta ce système implique qu’il
le connaissait bien (Mosiah 29:37-41). C’est ce que montre
clairement l’histoire d’un certain Korihor, qui put se faire
beaucoup d’adeptes dans le pays en accusant « Ie grand prêtre, et
aussi le grand juge du pays » de remettre en vigueur les «
ordonnances et les observances… qui sont prescrites par des prêtres
d’autrefois, pour usurper le pouvoir et l’autorité » sur le
pays (Alma 30:21-24). Le fait qu’il y avait un danger réel de
ressusciter un antique gouvernement de prêtres ressort bien du fait
que le nouveau système était à peine établi qu’un certain
Néhor, dans le premier procès que devait juger le nouveau grand
juge, est accusé d’être le premier à introduire des intrigues de
prêtres parmi le peuple. À cette occasion, le grand juge observe
que pareilles intrigues de prêtres, si le peuple les permettait, «
causeraient son entière destruction » (Alma 1:12). Nous apprenons
ainsi que le cléricalisme n’avait pas été pratiqué dans le
Nouveau Monde, mais qu’une tradition de ce genre était vivante
dans les souvenirs. Son origine doit donc être recherchée dans
l’Ancien Monde, si nous voulons croire le Livre de Mormon.
L’Ancien
Monde :
À
partir de la onzième dynastie, l’histoire de l’Égypte traite en
grande partie des efforts faits par les prêtres d’Amon, avec, à
leur tête, le grand prêtre d’Amon, pour se rendre maîtres du
pays. Vers 1085 av. J.-C., le grand prêtre d’Amon alla jusqu’à
s’emparer du trône du sud et, à partir de ce moment-là, « le
grand prêtre d’Amon pouvait réduire et réduisait constamment le
roi à une position subalterne[53] ». Le nom du grand prêtre qui
se fit couronner à Thèbes était Herihor ou Kherihor[54]. La pierre
angulaire du gouvernement clérical était un nouveau système de
tribunaux populaires dont les prêtres d’Amon étaient les juges et
qui fut d’abord en concurrence avec les tribunaux officiels et puis
les supplanta partout[55]. La tendance séparatiste, qui reste
caractéristique de l’histoire cléricale, a pu être annoncée par
l’union de tous les états du sud en une entité administrative
unique sous la direction de Néhi, le grand gouverneur de la
dix-huitième dynastie, aussi bien que par l’apparition, en
commençant par le Comte Néhri, d’une famille gouvernante
distincte à Thèbes, sous le patronage d’Amon[56]. Le successeur
de Néhri, en prenant le nom de Sam Tawi, « unificateur des deux
terres », proclame une nouvelle dynastie[57].
Il
reste encore à étudier si Néhi et Néhri ont une parenté
quelconque avec le nom Néphi (il y a d’autres noms égyptiens qui
sont plus proches). Mais aucun philologue ne refusera de reconnaître
l’identité possible entre le Korihor du Livre de Mormon et le
Kherihor égyptien, et personne ne peut nier, qu’il soit philologue
ou pas, une forte ressemblance entre Sam et Sam (le frère de Néphi).
Livre
de Mormon :
Le
peuple dit « peuple d’Ammon » (Alma 30:1), communauté célèbre
pour sa piété, amena Korihor devant son chef, Ammon, « qui était
grand prêtre de ce peuple ». De là il fut « amené devant le
grand prêtre, et aussi le grand juge du pays ». De son côté,
cette cour supérieure l’envoya « au pays de Zarahemla... devant
Alma et le grand juge qui était gouverneur de tout le pays » (Alma
30:19-21, 29-31).
L’Ancien
Monde :
Le
gouverneur en chef de l’Égypte était « le grand prêtre d’Amon
» (ou Ammon), son titre étant en égyptien « neter hem tep », - «
serviteur principal (hem) du Dieu[58] ». Hem est un élément des
noms propres égyptiens et signifie la même chose que l’élément
extrêmement courant « Abdi » dans les noms asiatiques occidentaux
de l’époque (comparez avec l’arabe moderne Abdullah, «
serviteur de Dieu »). Chose extrêmement intéressante, le frère du
premier Ammon dans le Livre de Mormon porte le nom de Hem (Mosiah
7:6). Quant à Amon (ou Ammon), c’est le nom propre le plus courant
du Livre de Mormon, et c’est aussi le nom le plus courant et le
plus révéré de l’empire égyptien[59], qui en tout temps pendant
la période ultérieure (après 930 av. J.-C.) prétend embrasser la
Palestine et considérer Jérusalem comme une dépendance. Le respect
manifesté pour le nom d’Amon n’indique en aucune façon une
quelconque concession au paganisme de la part des Juifs, puisque Amon
n’est rien moins que la version égyptienne de leur propre Dieu
créateur universel et unique, le Grand Esprit, que l’on ne conçoit
jamais sous une forme animale et qu’on ne représente jamais par
aucune image[60]. Il apparaît pour la première fois vers 2140 av
J.-C., dans le sud de l’Égypte, à Thèbes, où il semble avoir
été importé d’Asie occidentale[61]. Se peut-il qu’il soit le
Dieu d’Abraham? Il est significatif que le nom devient important
pour la première fois au cours des années qui suivent l’époque
du séjour d’Abraham en Égypte, et près de l’endroit où se
situera plus tard la colonie juive la plus célèbre d’Égypte[62].
On
peut détecter un reflet de la situation en Égypte dans les villes
côtières de Palestine, régulièrement sous influence égyptienne,
dont le gouvernement était aussi entre les mains de prêtres et de
juges, qui à l’occasion usurpaient l’office de roi. Ceci arriva
tant à Sidon qu’à Tyr ; dans cette dernière ville, deux
usurpateurs ecclésiastiques portaient le nom de Maitena ou Mattena,
- un nom qui a plusieurs variantes et suggère fortement le Mathoni
du Livre de Mormon.
Livre
de Mormon :
L’expérience
de gouvernement par des juges ecclésiastiques s’effondra, en
grande partie à cause d’une rivalité pour le poste de grand juge
entre trois candidats, tous fils du grand juge, Pahoran. Ils
s’appellent Pahoran, Paanchi et Pacumeni (Hélaman 1:1-3).
L’Ancien
Monde :
Ce
genre de rivalité familiale pour l’office de grand prêtre est
caractéristique du système égyptien, dans lequel l’office semble
avoir été héréditaire non de par la loi, mais par l’usage[63].
Le
nom de Pahoran reflète le palestinien Pahura (pour l’égyptien
Pa-her-an, comparer Pa-her-y, «le Syrien») qui est de l’égyptien
« réformé », c’est-à-dire un vrai titre égyptien mais changé
de manière à l’adapter à la manière de parler cananéenne.
Pahura (également écrit Puhuru) était à l’époque d’Amarna un
gouverneur égyptien (rabu) de Syrie. Le même homme, ou un autre
homme portant le même nom, fut placé par le pharaon comme
gouverneur du district de Ube, son siège étant à Kumedi[64]
(comparez à l’élément «kumen» dans les noms de lieu du Livre
de Mormon).
Paanchi
est tout simplement le Paiankh égyptien bien connu (également rendu
Pianchi, Paankh, etc). Le premier homme important à porter ce nom
n’était autre que le fils du Kherihor mentionné plus haut. Il ne
succéda pas à son père sur le trône, se contentant de l’office
tout-puissant de premier grand prêtre d’Amon, mais son fils,
Panezem, devint roi[65]. Au milieu du huitième siècle, un autre
Pianhki, roi de Nubie, conquit virtuellement toute l’Égypte, et
s’adjugea l’office de grand prêtre d’Amon à Thèbes aussi
bien que le titre de pharaon[66]. Son successeur, lorsque les
Assyriens envahirent l’Égypte, du temps de Léhi, se réfugièrent
dans une ville fortifiée, qui n’a pas encore été découverte, et
qui portait le nom de Kipkip ou Kibkib, forme de nom qui suggère
fortement le nom de ville de Gidgiddoni dans le Livre de Mormon
(comparez aussi avec Gimgim-no, 3 Néphi 9:8).
Pacumeni,
nom du troisième fils, ressemble à celui que portaient quelques-uns
des derniers gouverneurs cléricaux d’Égypte, dont les noms sont
rendus par Pa-menech, Pa-mnkh, Pamenches, etc. Les Grecs (qui
fournissent souvent la clef de la lecture correcte des noms
égyptiens) mettaient la gutturale avant la nasale Pachomios. L’homme
le plus illustre du nom commandait toutes les forces du sud et fut
également grand prêtre d’Horus. Un autre gouverneur général
d’Égypte au moins portait ce nom[67].
Une
coïncidence frappante, c’est la prédominance parmi les noms de
juges aussi bien néphites qu’égyptiens du préfixe Pa -. Dans
l’égyptien tardif, ceci est extrêmement courant et a tout
simplement la force de l’article défini[68]. Un autre juge du
Livre de Mormon, Cézoram, a un nom qui suggère celui d’un
gouverneur égyptien d’une ville syrienne: Chi-zi-ri[69]. Il faut
remarquer que le Panezem cité plus haut prit, en devenant roi, le
nom de Meriamon, qui sonne comme un nom du Livre de Mormon, même si
nous ne le lisons pas Moriamon, une variante parfaitement possible.
Sidon
était le port officiel par lequel les Juifs faisaient commerce avec
l’Égypte. Puisque Léhi et son peuple étaient dans le commerce,
il n’est pas surprenant que Sidon soit la seule ville palestinienne
à part Jérusalem dont le nom occupe une place importante dans la
géographie du Livre de Mormon. En outre, comme Sidon était le lieu
de rencontre commun entre Hébreux et Égyptiens, et puisque des noms
des deux langues apparaissent dans le Livre de Mormon, on
s’attendrait à trouver le nom de cet endroit extrêmement
populaire aussi bien dans sa forme égyptienne que dans sa forme
hébraïque. La forme égyptienne est Dji-dw-na, qui est
remarquablement proche du nom de personne Giddonah dans le Livre de
Mormon[70].
Nous
ne pouvons conclure ce bref survol de la « question égyptienne »
sans parler d’une indication significative que les ancêtres de
Léhi n’étaient pas natifs de Jérusalem. Nous apprenons dans
Mosiah 1:4 que certaines plaques étaient écrites « dans la langue
des Égyptiens ». Néphi nous apprend (1 Néphi 3:19) que ces mêmes
plaques étaient dans « la langue de nos pères » et que leur
possession était nécessaire si l’on voulait conserver parmi son
peuple la connaissance de cette langue. Pour conserver de simples
caractères, il n’aurait fallu qu’une unique page de signes
hébreux et égyptiens, et Léhi ou ses fils auraient pu les donner
de mémoire, puisqu’on les leur avait déjà appris. Et si la
langue en question était l’hébreu, les enfants de Léhi auraient
pu tirer de leurs propres ressources autant de livres en leur propre
langue qu’ils voulaient, de sorte que lorsque Néphi exprime sa
croyance que sans cet unique volume de plaques une langue sera perdue
– l’antique langue de ses pères – il est impossible qu’il
parle de l’hébreu. La conservation de l’hébreu exigerait
naturellement la possession des Écritures, le canon de la langue
pure, mais on pouvait se les procurer n’importe où en Juda et cela
ne rendrait pas nécessaire la dangereuse mission auprès de Laban.
La langue des ancêtres de Léhi était une langue étrangère ; et
quand Néphi nous dit que c’était la langue des Égyptiens, il
pense ce qu’il dit. Depuis des temps immémoriaux, des Israélites
séjournaient en Égypte individuellement et en groupes, et il n’y
a absolument rien de surprenant dans la possibilité que les ancêtres
de Léhi aient fait partie de ces colons.
[1]
William. F. Albright, Archaeology and the Religion of Israel,
Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1942, p. 62.
[2]
Idem, p. 63.
[3]
Jens D.C. Lieblein, Handel und Schiffahrt auf dem rothen Meere in
alten Zeiten, Leipzig, Christiania, 1886; Meridian; réimpression à
Amsterdam, 1971, p. 8.
[4]
Albright, Archaeology and the Religion of Israel, p. 63.
[5]
Henry G. Tomkins, « Egyptology and the Bible », PEFQ (1884) p.54.
[6]
« Bien que les recherches archéologiques en Palestine et en Syrie
remontent à un siècle, ce n’est que depuis 1920 que nos
renseignements sont suffisamment étendus et interprétés avec assez
de clarté pour être d’une valeur vraiment décisive. » Albright,
Archaeology and the Religion of Israel, p. 37.
[7]
J. W. Jack, « The Lachish Letters - Their Date and Import », PEFQ
1938, p. 165.
[8]
À propos de ses conversations avec les Arabes, Nibley notait, dans
sa version originale de « Léhi dans le Désert », publiée par
épisodes dans l’Improvement Era: « L’auteur a consulté
intensivement des Arabes, des Syriens, des Iraniens, des Libanais,
des Égyptiens, etc. modernes, et, après quinze ans de recherches,
est en mesure de déclarer que M. Mose Kader, de Provo, est un vrai
Bédouin. Le même esprit aventureux qui a amené cet homme
remarquable à s’installer dans une exploitation agricole isolée
près de l’entrée du Rock Canyon l’a poussé, dans sa jeunesse,
à quitter la ferme de son père près de Jérusalem pour passer de
nombreuses années auprès des Bédouins du désert, et le même
conservatisme tenace qui lui a permis d’élever sa famille dans le
respect strict de la foi musulmane à quinze cents kilomètres de
tout autre musulman a maintenu vivace son souvenir des jours passés
autrefois dans désert, avant la Première Guerre mondiale. « C’est
un informateur merveilleux quand il s’agit d’entrer dans les
détails. » Hugh W. Nibley, « Lehi in the Desert », IE 53 (1950),
p. 15. Nibley ajoutait: « En 1932 M. Kader retourna en Palestine
pour se trouver une épouse. Bien que n’ayant pas, comme son mari,
voyagé dans le désert, Mme Kader a une connaissance encyclopédique
des coutumes de Palestine et elle a la mémoire extraordinaire propre
à quelqu’un qui n’a jamais connu le handicap que constitue la
connaissance de la lecture et de l’écriture. » Idem, p. 70, note
8.
[9]
J. A. Knudtzon, Die El-Amarna-Tafeln, Leipzig, Hinrich, 1915,
réimprimé Aalen, Zeller, 1964, 1:864-67, 872,77, tablettes 287 et
289; pour Bet-Ninib, idem, 1:876-77, tablette 290, lignes 15-16.
[10]
Voir Albrecht Alt, « Die syrische Staatenwelt vor dem Einbruch der
Assyrer », ZDMG 88 (1934), p. 247; et Wilhelm Nowack, Lehrbuch der
hebräischen Archäologie, Freburg i/B, Mohr, 1894, p. 149.
[11]
Le développement parallèle d’Athènes englobant beaucoup de
petites localités est décrit par Georg Busolt, Adolf Bauer &
Iwan Müller, Die griechischen Staats-, Kriegs-, und
Privataltertümer, Nördlingen, Beck, 1887, 106-7.
[12]
« Descendre », dans le Livre de Mormon, signifie s’éloigner de
Jérusalem (1 Néphi 4:33-35), tandis que « monter au pays », c’est
retourner à Jérusalem (1 Néphi 3:9, 7:15). Le mot égyptien ha
(descendre), appliqué à l’idée de voyage, signifie « aller en
Égypte » (A. Erman & H. Grapow, Wörterbuch der Aegyptischen
Sprache, 5 vols., Leipzig, Hinrich, 1929), 2-472. C’est ainsi que
dans l’Ancien Testament on « descend en Égypte » (voir Genèse.
12:10) et on monte d’Égypte vers Jérusalem (1 Rois 12:28). Dans
les lettres de Lakisch, « le commandant descendit en Égypte » H.
Torczyner, The Lachish Letters, Londres, Oxford University Press,
1938, 1:51 (lettre 3). La position élevée de Jérusalem était bien
appréciée par les Juifs, comme la position basse de l’Égypte, et
c’est ce fait qui est à la base de l’utilisation de ces
expressions, toujours correctes dans le Livre de Mormon? D’autre
part, dans le Livre de Mormon, on va simplement « à » la maison de
quelqu’un dans la ville (1 Néphi 3:4, 11), de sorte que lorsque
les frères « descendent » au pays de leur héritage puis «
remontent » à la maison de Laban (voir 1 Néphi 3:22-23), il est
tout à fait clair que leur propriété comprend des terres, ainsi
qu’une maison, et se trouve forcément hors de la ville, comme
l’attestent les verbes « descendre » et « monter ».
[13]
Nowack, Lehrbuch der hebräischen Archäologie, 300-4. La citation se
trouve page 304.
[14]
Jack, « The Lachish Letters – Their Date and Import », pp.
175-77. a. W. F. Albright, « A brief History of Judah from the Days
of Josiah to Alexander the Great », BA 9 (février 1946), p. 4.
[15]
Jack, « The Lachish Letters – Their Date and Import », pp.
175-77.
[16]
On trouvera, en plus des études citées, un résumé récent de la
situation internationale vers 600 av J.-C. dans John Bright, « A New
Letter in Aramaic written to a Pharaoh of Egypt », BA 12 (février
1949), pp 46-52.
[17]
James H. Breasted, A History of Egypt, 2ème édition., New York,
Scribner, 1951, p. 577. « Les artistes ne travaillent plus
uniquement pour la cour et les temples; ils doivent maintenant
satisfaire à des commandes de la riche bourgeoisie. » Alexandre
Moret, Histoire de l’Orient, Paris, Presses Universitaires, 1941,
2:728.
[18]
Albright, Archaeology and the Religion of Israel, p 69; Eduard Meyer,
Geschichte des Altertums, 2ème édition, Stuttgart, Cotta, 1928,
vol. 2, 1ère partie, p. 98.
[19]
Meyer, Geschichte des Altertums, Stuttgart, Cotta, 1909, vol. 1, pt.
2, p. 260, (1928) vol 2, pt. 1, pp. 98, 135. Les « rois-princes »
de Tyr et de Sidon « accumulaient de grandes richesses et pouvaient
s’offrir les avantages de la culture égyptienne » dans leur
commerce de transport des marchandises des princes de Syrie et de
Palestine, dont « les figues, le vin, le miel et le bétail »
étaient la source de leur richesse. George Steindorff, Egypt, N Y,
Augustin, 1943, p 64 Pour l’économie des grands domaines
palestiniens, voir Philip J. Baldensperger, « The Immovable East »,
PEFQ, 1908, pp. 290-6, et 1918, p. 121.
[20]
Jack, « The Lachish Letters – Their Date and Import », p. 177.
[21]
Albright, « A Brief History of Judah from the Days of Josiah to
Alexander the Great », p. 6.
[22]
Idem
[23]
Idem
[24]
William F. Albright, « The Seal of Eliakim and the Latest Preexilic
History of Judah, With Some Observations on Ezekiel », JBL, 51
(1932), pp. 93-95.
[25]
Jack, « The Lachish Letters – Their Date and Import », p 178.
[26]
La théorie de D. L. Risdon, exposée par Arthur Keith, « The Men of
Lakish », PEFQ, 1940,
pp.
7-12.
[27]
James L. Starkey, Lachish as Illustrating Bible History, PEFQ (1937),
pp. 177-78; Alan Rowe, « Excavations at Beisan During the 1927
Season », PEFQ (1928), pp. 73-90; Richard D. Barnett, « Phoenician
and Syrian Ivory Carvings », PEFQ (1939), pp. 4-5, 7; J. W. Crowfoot
et Grace M. Crowfoot, « The Ivories from Samaria », PEFQ (1933),
pp. 7, 18, 21; Charles C. Torrey, « A Hebrew Seal from the Reign of
Ahaz », BASOR 79 (octobre 1940), pp. 27-28; Bright, « A New Letter
in Aramaic, Written to a Pharaoh of Egypt », pp. 46-48; H. Louis
Ginsberg, « An Aramaic Contemporary of the Lachish Letters », BASOR
3 (octobre 1948), pp. 24-27.
[28]
Abraham S. Yahuda, The Accuracy of the Bible, Londres, Heineman,
1934, p xxix S L Caiger Bible and Spade, Londres, Oxford University
Press, 1936, pp 83-84, 91-92. Depuis le temps de l’école
pan-babylonienne « le pendule de la théorie des origines est revenu
vers l’ouest et l’Égypte », James A. Montgomery, Arabia and the
Bible (Philadelphie, University of Pensylvania Press, 1934), p 1
[29]
Archibald H. Sayce, « The Jérusalem Sealings on Jar Handles » PEFQ
1927, 216 et suivant; J.G. Duncan, « Excavation of Eastern Hill of
Jérusalem », PEFQ 1925, 19 et suivants.
[30]
« Déjà du temps des rois d’Égypte, leurs pères avaient bâti
ce temple à Yeb. » Arthur E. Cowley, Papyrus araméens du 5e siècle
av. J.-C. (Oxford, Clarendon, 1923), p. 120. Ces papyrus « ont jeté
une lumière inespérée sur certains des recoins les plus sombres de
l’histoire juive », dit Albright, Archaeology and the Religion of
Israel, p. 41.
[31]
Yahuda, The Accuracy of the Bible, xxix-xxx; voir spécialement par
le même auteur, The Language of the Pentateuch in its Relation to
Egypt, Londres, Oxford University Press, 1933, 1, pp xxxii-xxxv
[32]
William F. Albright, « The Egyptian Empire in Asia in the
Twenty-first Century B.C ». JPOS 8 (1928), pp. 226-30, cf Albright,
« Palestine in the Earliest Historical Period », JPOS 2, 1922,
110-138
[33]
David G. Hogarth, « Egyptian Empire in Asia », Journal of Egyptian
Archaeology 1 (1914), pp.9-12.
[34]
Breasted, History of Egypt, pp. 516, 518, 526, 529, 580; Harry R. H.
Hall, «The Eclipse of Egypt» et «The Restoration of Egypt»,
Cambridge Ancient History, New York, Macmillan, 1925, 3:256-57, 261,
295-99.
[35]
Hogarth, « Egyptian Empire in Asia », pp. 13-14. Même l’Etat
davidique devait son organisation en grande partie aux modèles
égyptiens. Albright, Archaeology and the Religion of Israel, p. 108,
le même auteur traite de la faiblesse ultérieure de l’Égypte
dans « Egypt and the Early History of the Negeb », JPOS 4 (1924),
pp. 144-46.
[36]
Pour la première citation, Henri Franckfort, « Egypt and Syria in
the First Intermediate Period », Jnl of Egypt Archaeol 12 (1926), p.
96; pour la deuxième, Moret, Histoire de l’Orient 2:787
[37]
Meyer, Geschichte des Altertums, vol. 2, 1ère partie, pp. 132, 33;
Hogarth, « Egyptian Empire in Asia », p. 12.
[38]
Jack, « The Lachish Letters –Their Date and Import », p. 177.
[39]
Meyer, Geschichte des Altertums, vol. 1, 2e partie, pp. 297-99; Meyer
note que des variantes Ja’bqhr et Ja’pqhr et d’autres
apparaissent. Il associe ces noms au dieu Ja’qob. Voir
particulièrement William F. AIbright, Vocalization of the Egyptian
Syllabic Orthography, New Haven, American Oriental Society, 1934.
[40]
Abraham S. Yahuda, The Language of the Pentateuch in Its Relation to
Egypt, Londres, Oxford University Press, 1933, p. 51.
[41]
E. A. Wallis Budge, Papyrus of Ani, New York, Putnam, 1913, 1:50.
[42]
Theodor Nöldeke, Die semitischen Sprachen, Leipzig, Tauchnitz, 1899,
p. 34
[43]
Torczyner, The Lachish Letters, p. 15.
[44]
Raymond O. Faulkner, « The Bremer-Rhind Papyrus », JEA 23
(1937):10; Elias J. Brickerman, « The Colophon of the Greek Book of
Esther », JBL, 63 (1944), pp. 339-62 montre que la tradition du
colophon était soigneusement conservée en Égypte. Francis L.
Griffith, « The Teaching of Amenophis the Son of Kanakht, Papyrus
B.M. 10474, » JEA 12 (1926): 195.
[45]
La formule iw-f-pw termine l’Histoire de Sinuhé et les Maximes des
Sages Ptahotep et Kagemeni. Kurt Sethe, Aegyptische Lesestücke,
Leipzig, 1924, pp. 17, 42, 43, et Erläuterungen zu den Aegyptischen
Lesestücken, Leipzig, Hinrich, 1927, pp. 21, 58; 61. « C’est sa
fin », conclut l’Enseignement d’Aménophis. Griffith, « The
Teaching of Amenophis the Son of Kanakht, Papyrus B.M. 10474 », p.
225.
[46]
Alan H. Gardiner, « New Literary Works from Ancient Egypt », JEA 1
(1914), p. 25; l’œuvre ici citée avait des attaches avec la
Palestine, idem, p. 30.
[47]
Meyer, Geschichte des Altertums, vol. 1, 2ème partie, p. 176.
[48]
L’Enseignement d’Aménophis porte cette dédicace: « Pour son
fils, le cadet de ses enfants, peu comparé a sa famille. » Suit
alors un long texte offrant un certain nombre de parallèles
surprenants avec le livre des Proverbes dont un remarquable avec le
Psaume 1, le juste étant comparé à un arbre fertile. Griffith, «
The Teaching of Amenophis the Son of Kanakht, Papyrus B.M. 10474, »
197. Comparez ceci avec 2 Néphi 2 et 3. Quand Léhi décrit un fruit
comme étant « blanc » (1 Néphi 8:11), il fait un égyptianisme
typique. Voir Erman & Grapow, Wörterbuch der Aegyptischen
Sprache, 3:206-207, 211-212.
[49]
Meyer, Geschichte des Altertums, vol. 1, 2e partie, p. 274, AIbright,
Archaeology and the Religion of Israel, p. 21; David C. Simpson, «
The Hebrew Book of Proverbs and the Teaching of Amenophis, » JEA 12
(1926), p. 232.
[50]
August von Gall, Basileia tou Theou, Heidelberg, hiver 1926, p. 65.
[51]
Idem, pp. 49-55.
[52]
Les comparaisons suivantes entre le Livre de Mormon et l’Egypte
ancienne ont paru pour la première fois dans Hugh Nibley, « The
Book of Mormon as a Mirror of the East », Improvement Era 51, avril
1948, pp. 202-2104, 249-251 ; réimprimé dans IE 73, novembre 1970,
pp. 15-20, pp. 122-125. Cet article commençait par l’introduction
suivante : « L’homme moyen, écrivait le grand A. E. Housman,
croit que les textes des auteurs anciens sont généralement
corrects, pas parce qu’il s’est familiarisé avec les éléments
du problème, mais parce qu’il se sentirait mal à l’aise s’il
ne le croyait pas. » Le Livre de Mormon n’a pas connu ce soutien
populaire. En effet, l’homme moyen ne souhaiterait rien de mieux
que de le voir complètement démasqué une fois pour toutes : il y a
plus d’un siècle qu’il le met mal à l’aise. En fait, le Livre
de Mormon est inattaquable à partir de l’Ouest. Quel que soit le
nombre d’indices archéologiques que l’on empile dans un sens ou
dans l’autre, le fait reste que le Livre de Mormon ne prétend à
aucun moment raconter l’histoire de toutes les populations qui ont
jamais vécu sur le continent américain. Même dans sa sphère
restreinte, il est, comme l’a montré le professeur Sidney B.
Sperry, essentiellement un compte rendu sur une minorité et ne
traite pas de diverses branches de plusieurs groupes qui sont venus
de l’Ancien Monde. Par conséquent, si l’on peut imaginer que les
recherches en Amérique apporteront de nombreux indices à l’appui
du Livre de Mormon, aucune découverte ne peut être considérée
comme preuve sans équivoque à charge contre lui. C’est une tout
autre histoire quand notre livre entreprend d’envahir le territoire
de l’Est, donnant des noms, des lieux et des dates précis. C’est
ici qu’un imposteur des années 1820 se trouverait en terrain
dangereux. On ne saurait trouver d’occasion plus favorable pour
exercer la critique impitoyable et rigoureuse que les précisions que
donne le Livre de Mormon dans le domaine de l’égyptien. En
insistant sur la langue particulièrement néo-égyptienne des
Néphites, en dressant la liste de leurs noms de personnes et de
lieux, en prétendant décrire des conflits politiques nés dans
l’Ancien Monde, l’auteur du Livre de Mormon fait le jeu des
critiques modernes. Car le Proche-Orient de 600 av. J.-C. n’est
plus la zone crépusculaire pleine de mystères splendides qu’il
était du temps de Joseph Smith. Toute invention de sa part ou même
de son contemporain le plus érudit apparaîtrait nécessairement
aujourd’hui comme un fatras de gaffes dans lequel on pourrait
détecter une fois, mais pas deux, un semblant accidentel de vérité.
L’auteur ou le traducteur du livre montre-t-il une connaissance
quelconque de la partie du monde d’où il prétend tirer son
origine? Voilà la question. À titre de réponse – rien qu’un
petit aperçu – nous allons parler brièvement de quelques courtes
années de l’histoire du Livre de Mormon, cette période orageuse
au cours de laquelle le système de gouvernement par les juges connut
certaines de ces épreuves qui se révélèrent finalement être la
cause de sa perte. Nous allons faire correspondre l’histoire, étape
par étape, avec un certain nombre de parallèles dans l’Ancien
Monde et, après quelques observations générales, nous laisserons
le lecteur décider lui-même quelle importance il faut attribuer à
ces parallèles! »
[53]
Hall, « The Eclipse of Egypt », p. 268.
[54]
Budge l’appelle Heriher dans son édition de 1925 de The Mummy
plutôt que Her-Heru, comme il le lisait dans son édition de 1893.
Voir E. A. Wallis Budge, The Mummy, Londres, Cambridge University
Press, 1925, p. 103, et The Mummy, Londres, Cambridge University
Press, 1893, p. 52. On le lit Hurhor dans ZASA 20 (1882), 1249B.,
plaque U, fig. VIA, Her-Hor par Alfred Wiedemann dans « Beiträge
zur Aegyptischen Geschichte » ZASA 23 (1885), p. 83 et Hrihor par
Breasted, A History of Egypt, New York, Scribner, 1912, pp. 513,
519-21. Nous suivons l’étude la plus récente, celle de Moret, qui
l’appelle Herihor. Moret, Histoire de l’Orient, 2:591.
[55]
Moret, Histoire de l’Orient, 2, p. 569.
[56]
Herbert E. Winlock, « The Eleventh Egyptian Dynasty », JNES 2
(1942), pp. 256, 266.
[57]
Idem, p. 266.
[58]
Moret, Histoire de l’Orient, 2, p. 518.
[59]
À propos des deux orthographes Ammon-Amon, voir Alan H. Gardiner,
Egyptian Grammar, Londres, Oxford University Press, 1950, p. 435.
[60]
Moret, Histoire de l’Orient, 1:437-39, 2:567-69 ; voir généralement
Walter Wolf, « Vorläufer der Reformation Echnatons », ZASA 59
(1924), pp. 109-119; Hans Bonnet, « Zum Verständnis des
Synkretismus », ZASA 75 (1939), pp. 45-46.
[61]
Winlock, « The Eleventh Egyptian Dynasty », p. 250; Moret, Histoire
de l’Orient, 1:209, 436-38.
[62]
La version originale de ce texte dans l’Improvement Era, contenait
le commentaire suivant : « Cette colonie d’Eléphantine a pu être
très ancienne, puisque, d’après les documents égyptiens, il
avait été de coutume, depuis des temps immémoriaux, chez les
habitants de la Palestine et de la Syrie, de chercher refuge en
Égypte et de créer de telles colonies. On admet, en tous cas, que
la colonie est beaucoup plus ancienne que les documents hébreux qui
en sont sortis au 5e siècle av. J.-C.; elle date peut-être du
milieu du 7e siècle. James H. Breasted, Ancient Records of Egypt,
Chicago, University of Chicago Press, 1906, 3:27. Harry R. H. Hall,
Cambridge Ancient History, New York, Macmillan, 1925, 3:294. Elle
aurait donc été ancienne du temps de Léhi et cela donnerait donc
une explication possible à l’étrange tendance qu’ont les noms
du Livre de Mormon à être concentrés en Haute-Égypte. »
[63]
On trouvera un parallèle frappant avec le Livre de Mormon dans Hall,
« The Eclipse of Egypt », p. 254.
[64]
Knudtzon, Die El-Amarna Tafeln 1:528-29, tablette 122, 1:562-63,
tablette 132; notes dans 2:1222, et index dans 2:1566.
[65]
Listes de rois-prêtres reproduite dans ZASA 20 (1882), 149B, plaque
II, fig. V. 7A.
[66]
Harry R. H. Hall, « The Ethiopians and Assyrians in Egypt, »
Cambridge Ancient History, New York. Macmillan, 1925, 3:273.
[67]
Wilhelm Spiegelberg, « Der stratege Pamenches » ZASA 57 (1922), pp.
88-92. Comparez avec le nom Amarna Pa-kha-am-na-ta, dans Knudtzon,
Die El-Amarna Tafeln 2:1566, gouverneur de Amurru sous le
gouvernement de l’Égypte.
[68]
Dans la version parue dans l’Improvement Era, l’information
supplémentaire suivante est donnée ici : «Pour les premiers
prêtres égyptiens Pachom, Pamenchi, Pakybis et Panas (Spiegelberg,
« Der Stratege Pamenches », p. 91), nous n’avons pas de parallèle
dans le Livre de Mormon, mais nous ne devons pas oublier dans la
liste néphite le nom de Pachus, puisque, bien que je ne l’aie pas
trouvé dans les documents limités dont je dispose, il est tout à
fait égyptien ( il signifie « il - Amon - est loué »), les deux
éléments apparaissant fréquemment dans les noms propres égyptiens.
Winlock, « The Eleventh Egyptian Dynasty », p. 275, trouve des
Égyptiens du commun à Thèbes portant les noms Hesem, Hesi.
[69]
Knudtzon, Die El-Amama-Tafeln 1:951, tablettes 336 et 337, et l’index
dans 2:1562.
[70]
Albright, Vocalization of Egyptian Syllabic Orthography, p. 67, liste
22, B4.
CHAPITRE
DEUX : Hommes de l’Orient
Des
noms étranges
On
peut clairement discerner l’empreinte de l’Égypte sur le peuple
de Léhi dans les noms de ces gens et de leurs descendants. Ensemble,
les noms hébreux et égyptiens constituent l’écrasante majorité
et se présentent avec une fréquence à peu près égale, ce qui est
exactement ce à quoi on s’attendrait après l’affirmation de
Mormon que les deux langues étaient utilisées parmi eux (et qui ne
serait certainement pas le cas si l’hébreu était la seule langue
parlée), mais les éléments hittites, arabes et ioniens ne manquent
pas. Considérons tout d’abord quelques noms égyptiens, en
opposant les noms du Livre de Mormon (LM) à leurs équivalents de
l’Ancien Monde (AM)[1].
Aha,
(LM) fils du commandant en chef néphite.
Aha
(AM) nom du premier pharaon ; il signifie « guerrier » et est un
mot courant.
Aminadad
(LM) missionnaire néphite de l’époque des juges.
Amanathabi
(AM) chef d’une ville cananéenne sous la domination égyptienne.
Le nom est de l’égyptien «réformé».
Ammon
(LM) nom le plus courant du Livre de Mormon.
Ammon
(Amon, Amun) (AM) le nom le plus courant de l’empire égyptien : le
grand Dieu universel de l’empire.
Ammoni-hah
(LM) nom d’un pays et d’une ville.
Ammuni-ra
(AM) prince de Beyrouth sous le gouvernement égyptien. Le nom
ci-dessus peut avoir le même rapport avec celui-ci que Cameni-hah
(LM) général néphite, avec Khamuni-ra (AM) nom de personne
d’Amarna, peut-être l’équivalent de Ammuni-ra[2].
Cezoram
(LM) grand juge néphite.
Chiziri
(AM) gouverneur égyptien d’une ville syrienne.
Giddonah
(LM) a) grand prêtre qui jugea Korihor b) père d’Amulek
Dji-dw-na
(AM) nom égyptien de Sidon.
Gidgiddoni
et Gidgiddonah (LM) généraux néphites.
Djed-djhwt-iw-f
et Djed-djhwti-iw-s plus ankh (AM) noms propres égyptiens signifiant
respectivement « Thoth a dit : il vivra » et « Thoth a dit : Elle
vivra »[3]. Suivant ce modèle, les deux noms néphites signifient
respectivement « Thoth a dit : Je vivrai » et « Thoth a dit :
Nous vivrons. »
Giddianhi
(LM) chef et général pillard.
Djhwti-anki
(AM) « Thoth est ma vie » ; voir ci-dessus.
Gimgim-no
(LM) ville de Gimgim, comparez le biblique No Amon, « Ville d’Amon
».
Kenkeme
(AM) ville égyptienne, cf. Kipkip siège de la dynastie égyptienne
de Nubie.
Hem
(LM) frère du premier Amon.
Hem
(AM) signifie « serviteur » – particulièrement d’Amon, comme
dans le titre « Hem tp n’Imn » ; « serviteur principal d’Amon
» que détenait le grand prêtre de Thèbes.
Hélaman
(LM) grand prophète néphite.
Her-amon
(AM), « dans la présence d’Amon », comme dans le nom propre
égyptien Heri-i-her-imn[4]. Le sémitique « l » est toujours écrit
« r » en égyptien, qui n’a pas de « l ». Inversement
l’égyptien « r » est souvent écrit « l » dans les langues
sémitiques.
Himni
(LM) fils du roi Mosiah.
Hmn
(AM) nom du dieu-faucon égyptien, symbole de l’empereur.
Korihor
(LM) agitateur politique dont s’empara le peuple d’Amon.
Khérihor
(également écrit Khurhor, etc.) (AM) premier grand prêtre d’Ammon
qui s’empara du trône d’Égypte à Thèbes vers 1085 av. J.-C.
Manti
(LM) nom d’un soldat néphite, d’un pays, d’une ville, d’une
colline.
Manti
(AM) forme sémitique d’un nom propre égyptien par exemple
Manti-mankhi, prince de Haute-Égypte vers 650 av. J.-C. C’est une
forme tardive de Month, dieu de Hermonthis.
Mathoni
(LM), un disciple néphite.
Maitena,
Mattenos, etc. (AM), deux juges de Tyr, qui, à des moments
différents, se firent rois, peut-être sous les auspices des
Égyptiens.
Morianton
(LM) nom d’une ville néphite et de son fondateur ; cf. la province
néphite de Moriantum.
Meriaton
et Meriamon (AM) noms de princes égyptiens respectivement «
bien-aimé d’Aton » et « bien-aimé d’Amon ».
Néphi
(LM) fondateur de la nation néphite.
Néhi,
Néhri (AM) nobles égyptiens célèbres. Nfy était le même nom que
celui d’un capitaine égyptien. Puisque le LM insiste sur « ph »,
Néphi est plus proche de Nihpi nom original du dieu Pa-nepi, qui a
peut-être même pu être Néphi[5].
Paanchi
(LM) fils du Pahoran, père, prétendant au siège du grand juge.
Paanchi
(AM) fils de Kherihor, a) premier grand prêtre d’Amon, b)
gouverneur du sud qui conquit toute l’Égypte et fut grand prêtre
d’Amon à Thèbes.
Pahoran
(LM) a) grand juge suprême, b) fils du personnage du même nom.
Pa-her-an
(AM) ambassadeur d’Égypte en Palestine où son nom a l’orthographe
« réformée » Pahura ; en égyptien, sous sa forme Pa-her-y, il
signifie « le Syrien » ou l’Asiatique.
Pacumeni
(LM) fils de Pahoran.
Pakamen
(AM) nom propre égyptien signifiant « aveugle » ; également
Pamenches (grec Pachomios), commandant du sud et grand prêtre
d’Horus.
Pachus
(LM) chef révolutionnaire usurpateur du trône.
Pa-ks
et Pach-qs (AM) nom propre égyptien. Comparez Pa-ches-i, « il est
loué ».
Sam
(LM), frère de Néphi.
Sam
Tawi (AM) égyptien « unificateur des pays », titre pris par le
frère de Nehri en montant sur le trône.
Seezor-am
et Zeezr-om (LM) respectivement juge dépravé et homme de loi, le
dernier nom étant également le nom d’une ville.
Zoser,
Zeser etc., (AM) gouverneur de la troisième dynastie, un des plus
grands pharaons.
Zemna-ri-hah
(LM), chef de brigands.
Zmn-ha-re
(AM), nom propre égyptien ; les mêmes éléments que ci-dessus dans
un ordre différent : une pratique égyptienne courante.
Zénif
(LM) chef d’une colonie néphite.
Znb,
Snb (AM) éléments très courants dans les noms propres égyptiens,
cf. Senep-ta.
Zenoch
(LM) selon divers auteurs néphites, un ancien prophète hébreu.
Zenekh
(AM) nom propre égyptien, autrefois un dieu serpent.
Le
titre complet de Khérihor avant qu’il ne devienne roi de Thèbes.
Dans le Livre de Mormon (Alma 30), Korihor est envoyé par Ammon,
dont la fonction de grand prêtre du peuple d’Ammon comporte des
fonctions judiciaires et politiques importantes, pour être jugé
devant « le grand prêtre et le grand juge du pays ». C’est
justement une autorité combinée et générale de ce genre que
détenait Khérihor en Égypte, en tant que premier serviteur (Hem)
d’Amon. L’Ammon du Livre de Mormon a un frère du nom de Hem.
On
remarquera que les noms comparés sont rarement exactement les mêmes,
sauf dans le cas des monosyllabes Sam et Hem. Aussi étrange que cela
paraisse, c’est là une confirmation puissante de leur origine
commune, puisque les noms subissent fatalement des changements avec
le temps et la distance, alors que si la ressemblance était
parfaite, nous serions forcés de l’attribuer, aussi fantastique
que cela puisse paraître, à une simple coïncidence. Il doit y
avoir des différences ; et ce n’est pas tout : ces différences ne
doivent pas être au petit bonheur, mais montrer des tendances
précises. Cela nous amène à un aspect extrêmement impressionnant
des noms du Livre de Mormon.
Prenons
par exemple le cas d’Ammon. Comme c’est un nom si courant, on
s’attend à le retrouver dans des composés aussi bien que seul, et
c’est effectivement l’élément le plus courant des noms
composés, en Amérique comme en Égypte. Mais dans les noms
composés, Amon ou Amun change de forme en suivant une règle
générale. Gardiner dit dans sa grammaire égyptienne :
Une
catégorie très importante de noms de personnes est celle qui
contient des noms dits théophores, c’est-à-dire des noms composés
dont un élément est le nom d’une divinité. Or dans les
transcriptions gréco-romaines, il est de règle que lorsqu’un nom
divin de ce genre se trouve au commencement d’un composé (les
italiques sont de Gardiner), ce nom est moins fortement vocalisé que
lorsqu’il est indépendant ou à la fin d’un composé[6].
L’auteur
poursuit alors en montrant que dans de tels cas, Amon ou Amun devient
régulièrement Amen, tandis que dans certains cas, la voyelle peut
entièrement disparaître. Il suffit de considérer Aminidab,
Aminadi, Amminihu, Amnor etc., dans le Livre de Mormon pour voir à
quel point la règle s’applique bien sur le continent américain.
D’autre part, dans le nom Hélaman, la vocalisation forte reste,
puisque le « nom divin » n’est pas « énoncé au commencement »
du composé. Puisque le sémitique « l » doit toujours être rendu
« r » en égyptien (qui n’a pas de « I ») Hélaman apparaîtrait
nécessairement en égyptien « non réformé » sous la forme
typiquement égyptienne de Heramon.
La
grande fréquence de l’élément Mor- dans les noms propres du
Livre de Mormon s’accorde d’une manière frappante avec le fait
que, dans les listes de noms égyptiens dressées par Lieblein et
Ranke, l’élément Mr est de loin le plus courant après seulement
Nfr. Dans un article paru en avril 1948 dans « l’Improvement Era
», l’auteur attirait l’attention sur la tendance particulière
qu’avaient les noms du Livre de Mormon à se concentrer en
Haute-Égypte à Thèbes et dans le sud de Thèbes. À l’époque,
il ne savait pas comment expliquer cet étrange phénomène, mais la
réponse est maintenant claire[7]. Lorsque Jérusalem tomba, la
plupart des contemporains de Léhi qui s’échappèrent se rendirent
en Égypte, où leur colonie principale semble avoir été située à
Éléphantine ou Yeb, au sud de Thèbes. En fait, il semblerait que
la colonisation principale d’Éléphantine ait eu lieu à cette
époque et en provenance de Jérusalem[8]. Quoi donc de plus naturel
que les réfugiés qui se sont enfuis en Égypte en venant de la
Jérusalem de Léhi aient eu des noms du Livre de Mormon, puisque le
peuple de Léhi a puisé ses noms à la même source ?
Il
y a une objection sérieuse, que l’on ne doit pas laisser sans
réponse, à l’utilisation des noms du Livre de Mormon comme preuve
philologique. En voyant devant lui ces mots étranges, comment Joseph
Smith, illettré comme il l’était, aurait-il pu savoir comment les
prononcer? Et en les entendant, comment son secrétaire à moitié
instruit aurait-il pu savoir les écrire phonétiquement? Il faut se
souvenir que ces noms ne sont pas des traductions en anglais comme le
reste du livre, mais restent des échantillons de la langue néphite
authentique. À elles deux, les supputations du prophète quant à la
manière de les prononcer et les supputations d’Olivier Cowdery
quant à la transcription devraient fatalement faire un massacre
complet des titres originels. Seulement, il n’a pas été question
de deviner. Selon David Whitmer et Emma Smith, dans des interviews
qui parurent dans The Saints Herald et sur lesquelles Preston Nibley
a attiré l’attention de l’auteur, Joseph ne prononçait jamais
les noms propres qu’il rencontrait sur les plaques au cours de la
traduction, mais les épelait toujours[9]. Il ne fait donc aucun
doute que, tels qu’il sont, ils sont censés être aussi précis et
authentiques qu’il est possible de les rendre dans notre alphabet.
Mais
l’Égypte n’était pas tout. La Palestine a toujours été un
creuset et ce, plus que jamais à l’époque de Léhi, au moment où
le Proche-Orient tout entier subissait un brassage intensif sous
l’effet du commerce et de la guerre. Les listes d’ouvriers
spécialisés vivant à Babylone immédiatement après la chute de
Jérusalem révèlent un mélange presque incroyable de types[10].
Étant donné que Joseph Smith avait accès à l’Ancien Testament,
il ne sert à rien de donner la liste des noms hébreux, mais leurs
formes dans le Livre de Mormon sont significatives. La forte tendance
à terminer en - iah est très frappante, car la vaste majorité des
noms hébreux que l’on a trouvés à Lakisch se terminent de la
même manière, révélant que les noms en -iah étaient à la mode à
l’époque de Léhi[11]. Les noms hébreux découverts en d’autres
endroits sur d’anciennes poignées de cruches ont également une
consonance apparentée au Livre de Mormon : Hezron, Mamshath, Ziph
(LM Zif), Jether, Epher, Jalon, Ezer, Menahem, Lecah, Ammon (LM
Amnor), Zoheth, etc.[12], ne seraient jamais suspects si on les
insérait dans une liste de noms du Livre de Mormon. Le Livre de
Mormon donne le type correct de nom hébreu.
Ce
qui est surprenant, c’est qu’un certain nombre de noms du Livre
de Mormon sont probablement hittites et que certains le sont
indubitablement. C’est ainsi que si Manti suggère l’égyptien
Monti, Manti, Menedi, etc., il rappelle également le nom égyptien
d’une ville hittite, Manda, et un élément caractéristique des
noms hurriens (une grande partie du hittite est en réalité hurrien,
comme l’a montré le professeur Goetze), - anti, andi, également
assez courant dans le Livre de Mormon[13]. De même Kumani,
Kumen-onhi, Kisk-kumen (ég.- hittite Kumani, ville importante),
Séantum (égypt.-hittite Sandon, Sandas), Akish (égypt.-hittite
Achish, nom de Chypre), Gadiandi (égypt. pour désigner une ville
hittite, Cadyanda)[14]. Leur forme égyptienne implique que ces noms
ont atteint le peuple de Léhi non pas directement, mais par des
itinéraires normaux, bien qu’il ait été récemment montré que
certains des contemporains importants de Léhi étaient Hittites et
que les colonies et les noms hittites survivaient encore de son temps
dans la région montagneuse de Judée[15].
La
présence des noms Timothée et Lachonéus dans le Livre de Mormon
est tout à fait normale, aussi étrange que cela puisse paraître à
première vue. Depuis le quatorzième siècle avant Jésus-Christ au
plus tard, la Syrie et la Palestine étaient en contact constant avec
le monde égéen, et depuis le milieu du septième siècle, les
mercenaires et les marchands grecs, intimement liés aux intérêts
égyptiens (les meilleurs mercenaires égyptiens étaient grecs),
pullulaient dans tout le Proche-Orient[16]. Le peuple de Léhi, même
en dehors de ses activités mercantiles, n’aurait pas pu éviter de
nombreux contacts avec ces gens en Égypte et surtout à Sidon, que
les poètes grecs, même à cette époque, célébraient comme étant
le grand centre mondial du commerce. Il est intéressant de noter, en
passant, que Timothée est un nom ionien, puisque les Grecs de
Palestine étaient Ioniens (de là le nom hébreu donné aux Grecs :
« fils des Javanim »), et, puisque « Lachonéus » signifie «
Laconien », que les plus anciens commerçants grecs étaient des
Laconiens, qui avaient des colonies à Chypre (Akish dans le Livre de
Mormon) et faisaient évidemment commerce avec la Palestine[17].
L’auteur était autrefois très intrigué par l’absence totale de
noms en Baal dans le Livre de Mormon. Par quel oubli malheureux les
auteurs de ce livre avaient-ils négligé d’introduire le moindre
nom contenant l’élément Baal, qui a tant de succès dans les noms
de personnes de l’Ancien Testament ? Ayant découvert,
pensions-nous, que le livre se trompait, nous n’avions pas épargné
nos critiques à l’époque ; et de fait, si son dédain des noms en
Baal n’avait pas été justifié de manière frappante ces
dernières années, ce serait un mauvais point pour lui. Il se fait
que nous avons maintenant appris que le dédain obstiné de notre
texte à l’égard des noms en Baal est en fait la seule attitude
correcte qu’il aurait pu adopter, et cette théorie, qui va à
l’encontre de tous nos calculs et de toutes nos idées acquises,
devrait, en toute honnêteté, militer au moins autant en faveur du
livre que que la soi-disant erreur militait contre lui.
Il
se fait que, pour une raison ou pour une autre, les Juifs, au
commencement du 6e s. av. J.-C., ne voulurent plus rien avoir de
commun avec les noms en Baal. L’étude des listes de noms
d’Éléphantine révèle que « le changement des noms en Baal, par
substitution, s’accorde avec la prédiction d’Osée que les
Israélites ne s’en serviraient plus, et, par conséquent, il est
extrêmement intéressant de constater que les découvertes
archéologiques les plus récentes confirment le prophète, car sur
environ quatre cents noms de personnes dans le papyrus d’Éléphantine,
il n’en est pas un qui soit composé de Baal »[18]. Puisque
Éléphantine fut colonisée essentiellement par des Israélites qui
s’étaient enfuis de Jérusalem après sa destruction, leurs noms
de personnes devraient montrer les mêmes tendances que ceux du Livre
de Mormon. Bien que le traducteur de cet ouvrage ait pu, par
l’exercice d’une ruse surhumaine, avoir été averti par Osée
2:19 qu’il devait éviter les noms en Baal, cependant le sens de ce
passage est si loin d’être évident qu’en 1942 encore, Albright
trouve « ... très significatif que des sceaux et des inscriptions
de Juda qui ... sont très nombreux au septième et au début du
sixième [siècles], semblent ne jamais contenir de noms en Baal
»[19]. C’est en effet très significatif, mais pas plus que le
flair étrange que manifeste le Livre de Mormon dans ce domaine.
Parlant
de la présence d’un petit nombre de noms arabes dans l’Ancien
Testament, Margoliouth observe : « Considérant ... que les noms
écrits sont ceux d’une fraction infinitésimale de la population,
la coïncidence est extraordinaire[20] ». Cet état de choses
s’applique avec une grande force au Livre de Mormon, où les
nombreux noms coïncidant avec les formes de l’Ancien Monde ne
représentent « qu’une fraction infinitésimale » de la
population néphite.
Léhi
et les Arabes
Léhi
était très riche et c’était un commerçant, car sa richesse
avait la forme de « toutes sortes de choses précieuses » du genre
que l’on devait aller chercher en divers endroits. Son monde était
un monde de voyageurs et de marchands. Les princes du Delta étaient
marchands[21], les princes des villes syriennes et palestiniennes
l’étaient aussi, comme le montrent les tablettes d’Amarna;
l’histoire de Wenamon nous raconte que les princes de Phénicie et
de Philistie étaient marchands; les princes arabes du désert
étaient marchands, et les marchands d’Égypte et de Babylonie se
réunissaient dans leurs tentes pour faire leurs affaires[22] ;
Solon et Thalès, les deux hommes les plus sages d’entre les Grecs
et grands contemporains de Léhi, voyagèrent tous les deux beaucoup
en Orient – pour affaires.
Une
chose très significative, c’est la remarque faite au passage que
Léhi avait un jour eu une vision dans un endroit désert « tandis
qu’il voyageait » (1 Néphi 1:5). Tandis qu’il voyageait, il
pria, nous dit-on, et tandis qu’il priait, il eut une vision.
L’effet de cette vision fut de le faire revenir en hâte « vers sa
propre maison à Jérusalem », où il eut des visions encore plus
grandes montrant qu’il ne lui était pas nécessaire de « voyager
», que ce soit pour prier ou pour avoir des visions; il ne partit
pas en voyage en s’attendant à avoir une vision – car lorsque
cette vision vint, il retourna immédiatement chez lui – mais une
vision lui fut donnée au cours d’un voyage ordinaire, tandis qu’il
vaquait à ses affaires, le forçant à changer ses plans.
Ses
choses précieuses et son or, Léhi les avait obtenus en échange de
son vin, de son huile, de ses figues et de son miel (sur lesquels il
semble connaître pas mal de choses), non seulement par mer, (de là
la grande importance de Sidon), mais nécessairement et spécialement
aussi par caravane. « Israël, dit Montgomery, était « tourné
vers le désert. » Il n’y avait que là qu’il lui était
possible de trouver commercialement du profit, via les grands
itinéraires commerciaux ...vers la Syrie ...vers la Méditerranée
et l’Égypte ...vers l’Euphrate et le Golfe Persique. « À
l’ouest, il était bloqué par les Égyptiens, les Philistins, les
Phéniciens et les Syriens, meilleurs commerçants que les Hébreux.
» Puisque l’Égypte dominait ce commerce à l’ouest, il est
facile de voir en quoi Léhi pouvait trouver son avantage en tirant
le meilleur parti de sa formation et de sa culture égyptiennes. Bien
que ces débouchés occidentaux fussent ouverts du temps de Léhi,
grâce à une politique de collaboration étroite avec les puissances
occidentales contre la Babylonie, la règle était toujours que le
commerce par le désert, et en particulier le désert du sud, était
la seule source de richesses digne de confiance pour les hommes de
Jérusalem[23].
Il
est amplement prouvé dans le Livre de Mormon que Léhi, comme on
pourrait s’y attendre, était expert en voyages par caravane.
Réfléchissez à quelques considérations générales. En recevant
un songe avertisseur, il est apparemment prêt d’un moment à
l’autre à emmener toute « sa famille, des provisions et des
tentes » dans le désert (1 Néphi 2:4). Tout en ne prenant
absolument rien d’autre que les provisions indispensables (1 Néphi
2:4), il savait exactement ce que devaient être ces provisions, et
lorsqu’il dut renvoyer ses fils à la ville afin de pourvoir à des
besoins inattendus, ce furent des documents qu’il les envoya
chercher, pas des choses nécessaires au voyage. Ceci présuppose un
niveau élevé de préparation et de connaissance chez cet homme,
tout comme la manière magistrale avec laquelle il établit un camp
de base pour rassembler ses forces en vue du grand voyage, à la
meilleure manière des explorateurs modernes en Arabie[24]. Jusqu’au
moment où Léhi quitte ce camp de base, c’est-à-dire jusqu’au
jour où il reçoit le Liahona, il semble savoir exactement où il va
et ce qu’il fait: il n’est pas question ici d’être « guidé
par l’Esprit, ne sachant pas d’avance... » comme c’est le cas
de Néphi dans les rues sombres de Jérusalem (1 Néphi 4:6).
Sa
famille accuse Léhi de folie parce qu’il quitte Jérusalem et
n’épargne pas ses sentiments personnels en se moquant de ses
songes et de ses visions, et cependant elle ne met jamais en doute sa
capacité de la diriger. Elle se plaint, comme tous les Arabes, des
déserts terribles et dangereux qu’elle traverse, mais, parmi les
dangers, elle ne mentionne pas l’ignorance du désert, alors que ce
serait son objection sans réplique à ce projet insensé, si le
vieil homme n’était qu’un Juif de la ville ignorant le monde
sauvage et dangereux du désert.
Léhi
lui-même ne compte jamais le manque d’expérience parmi ses
handicaps. Les membres de sa famille ricanent avec mépris lorsque
Néphi propose de construire un bateau (1 Néphi 17:17-20) et
auraient aussi bien pu citer l’antique proverbe: « Ne montre pas à
un Arabe la mer ou à un Sidonien le désert, car leur travail est
différent »[25]. Mais tout en lui disant qu’il « manque de
jugement » pour construire un bateau, ils ne se moquent jamais des
talents de leur frère comme chasseur ni ne le traitent de novice
dans le désert. Le fait qu’il apporte de chez lui un excellent arc
d’acier et qu’il sait utiliser cette arme difficile à manier
montre que Néphi a beaucoup chassé dans sa courte vie.
Léhi
a des liens puissants avec le désert dans sa culture familiale. Il y
a deux mille six cents ans, les Juifs se sentaient beaucoup plus
proches des peuples du désert que ce ne serait le cas plus tard. «
Nous nous rendons compte, dit Montgomery, qu’Israël avait le
visage tourné vers ces régions que nous appelons le Désert, et que
c’était là son voisin le plus proche. » Les Juifs eux-mêmes
étaient, à l’origine, des gens du désert, et ils ne l’oublièrent
jamais[26]: « Cette infiltration constante de nomades du désert
continue toujours... Il n’y a pas de barrière de race ou de
langue, de caste ou de religion » entre eux et leurs cousins du
désert[27]. On nous a souvent dit que les patriarches d’autrefois
étaient des bédouins errants, quoique loin d’être barbares[28]
; leur langue était celle des gens du désert dont beaucoup de mots
sont aujourd’hui encore plus proches de l’hébreu que de l’arabe
moderne[29]. À une période aussi récente que 2000 av. J.-C.,
l’hébreu et l’arabe n’étaient pas encore issus « de ce qui
était essentiellement une langue commune, que l’on comprenait de
l’océan Indien au Taurus et du Zagros à la frontière de
l’Égypte.Cette langue commune (à l’exclusion de l’akkadien…)
était aussi homogène que l’arabe il y a mille ans[30]. » Une
homogénéité curieuse et persistante de culture et de langue a
caractérisé à toutes les époques les populations du
Proche-Orient, de sorte que Margoliouth a pu affirmer que « un
Sabéen (Arabe du sud) n’aurait en fait trouvé que peu de choses
pour l’intriguer dans le premier verset de la Genèse[31]. » «
Les Hébreux sont demeurés Arabes », tel est le verdict d’une
autorité moderne. « Leur littérature... dans ses formes écrites
est de forme et de type arabe[32]. » Il n’est pas surprenant que
le professeur Margoliouth prétende que la langue arabe semble
détenir « la clef de toutes les serrures » dans l’étude de
l’Ancien Testament.
Ces
dernières années, on a eu de plus en plus tendance à assimiler
l’hébreu à l’arabe, et Guillaume conclut l’étude la plus
récente sur ce sujet en affirmant que les deux noms sont en réalité
des formes d’un original commun, tous deux désignant « les fils
d’Eber[33] ». Le nom Arabe n’est pas censé désigner une race,
une tribu ou une nation particulière et, selon Albright, « il n’est
pas fait de distinction tranchée entre Hébreux, Araméens et Arabes
à l’époque des patriarches[34] », mais le mot désigne
simplement un mode de vie, et les Juifs l’appliquaient à ceux de
leurs propres parents qui restèrent en arrière dans le désert
lorsqu’ils se furent eux-mêmes installés à la ville et à la
campagne[35].
Il
y a un lien intéressant entre Israël et les Arabes qu’il ne faut
pas perdre de vue puisqu’il s’applique d’une manière directe
au Livre de Mormon. Nous pensons à ces généalogies hébraïques
dans lesquelles « la nomenclature est en grande partie non
hébraïque, avec des formations antiques étranges en -an, -on, et
dans certains cas d’origine arabe particulière[36] ». Selon
Albright, parlant des lieux mentionnés dans les documents égyptiens,
« la perte de la désinence -on est très courante dans les noms de
lieux palestiniens[37] ». On peut se souvenir d’autant de noms de
lieux du Livre de Mormon que l’on veut: Emron, Heshlon, Jashon,
Moron, etc., qui ont conservé ce -on archaïque, révélant un
conservatisme désuet chez le peuple de Léhi, et surtout des liens
avec les peuples du désert.
Or
de toutes les tribus d’Israël, Manassé était celle qui vivait le
plus loin dans le désert, entrait le plus souvent en contact avec
les Arabes, se mariait le plus fréquemment avec eux, et en même
temps avait les liens traditionnels les plus intimes avec
l’Égypte[38]. Et Léhi appartenait à la tribu de Manassé (Alma
10:3). L’importance du nom d’Ammon dans le Livre de Mormon a
peut-être quelque chose à voir avec le fait qu’Ammon était le
plus proche voisin de Manassé et se battait souvent contre lui dans
les déserts à l’est du Jourdain; en même temps, un lien
préhistorique avec l’Ammon d’Égypte n’est pas du tout hors de
question[39]. La nature semi-nomade de Manassé pourrait expliquer
pourquoi Léhi semble ne pas être en contact avec les choses de
Jérusalem. Pour la première fois, il « découvrit » (1 Néphi
5:16) dans des documents conservés chez Laban qu’il était
descendant direct de Joseph. Pourquoi ne l’avait-il pas toujours
su? Néphi parle toujours des « Juifs de Jérusalem » (1 Néphi
2:13) avec un détachement curieux, et personne dans 1 Néphi ne les
appelle jamais « le peuple » ou « notre peuple », mais toujours
du titre tout à fait impersonnel de « Juifs ». Il est intéressant,
dans cet ordre d’idées, de savoir que les lettres d’Éléphantine
ne parlent que de Juifs et d’Araméens, jamais d’Israélites[40].
Non
seulement Néphi et Léhi font preuve d’une froideur marquée à
l’égard du sujet de la loyauté tribale, mais tous deux protestent
également en disant que la tribu n’est pas un facteur décisif
dans le salut, que les mêmes bénédictions sont accessibles à tous
les hommes, à toutes les époques et dans toutes les parties du
monde (1 Néphi 10:17-22), que « le Seigneur estime toute chair de
la même manière » (1 Néphi 17:35); qu’un peuple arbitrairement
« élu », cela n’existe pas. (1 Néphi 17:37-40). Ceci forme un
contraste frappant avec le chauvinisme farouche des Juifs de
Jérusalem et cadre avec le cosmopolitisme prononcé de Léhi dans
d’autres choses. Léhi, comme Moïse et son propre ancêtre,
Joseph, était un homme à trois cultures, étant instruit non
seulement dans « la science des Juifs et le langage des Égyptiens »
(1 Néphi 1:2), mais également dans la vie du désert[41]. « Il y a
une couleur et une ambiance propres à la vie biblique, dit le
professeur Montgomery, qui lui donnent son ton spécial... et cette
particularité vient des étendues et de la mobilité de la vie dans
ce que nous appelons l’Arabie[42]. » La culture dualiste de
l’Égypte et d’Israël aurait été impossible s’il n’y avait
eu le lien formé par l’indispensable Arabe, tout comme le commerce
entre les deux pays aurait été impensable sans le Bédouin pour
guider leurs caravanes dans ses déserts. Sans l’aimable
collaboration des Arabes, tout passage dans leurs déserts était un
risque terrible pour ne pas dire hors de question, et l’homme
d’affaires averti était toujours celui qui savait traiter avec les
Arabes, ce qui signifiait être l’un d’eux[43].
La
lettre de Lakisch n° 6, en dénonçant le prophète Jérémie parce
qu’il répandait le défaitisme tant à la campagne qu’à la
ville, montre que Léhi, partisan du prophète, aurait pu être actif
dans n’importe laquelle de ces régions du « pays de Jérusalem »
(1 Néphi 3:10). Même la réflexion que Léhi avait « demeuré
toute sa vie à Jérusalem » n’aurait jamais été faite par ou
pour des gens qui ne penseraient pas à vivre ailleurs, et une
demeure « à Jérusalem » serait une aide plutôt qu’un obstacle
à de grands voyages[44], car « le désert de Judée est une longue
projection vers le nord des déserts arabes jusqu’aux portes de
Jérusalem[45]. » L’ancêtre proverbial des Arabes est Ismaël.
C’est
un des rares noms de l’Ancien Testament qui soit également chez
lui dans l’Arabie ancienne[46]. Sa patrie traditionnelle était le
Tih, le désert qui sépare la Palestine de l’Égypte, et son
peuple hantait les « frontières » entre le désert et la ville[47]
; on le considérait comme le fils légitime d’Abraham et d’une
mère égyptienne. Ce n’était pas un nom de bon augure, car l’ange
avait promis à sa mère: « ... il sera comme un âne sauvage; sa
main sera contre tous, et la main de tous sera contre lui[48] », et
il y a donc beaucoup de chances pour que quelqu’un qui portait son
nom eût de bonnes raisons familiales pour le faire, et dans Ismaël,
l’ami de Léhi, nous avons certainement un homme du désert. Léhi,
devant affronter la perspective d’un long voyage dans le désert,
fit chercher Ismaël, lequel suivit promptement dans le désert avec
une grande compagnie; cela signifie qu’il ne devait pas être moins
habile à se déplacer que Léhi lui-même. Ce qui est intéressant,
c’est que Néphi considère la présence d’Ismaël comme tout à
fait naturelle (contrairement à celle de Zoram), ne se donnant pas
la peine d’expliquer qui il est, ni ce qu’il vient faire dans
l’histoire. Le fait d’aller le chercher lui semble être la chose
la plus naturelle du monde, aussi bien que le mariage de ses filles
avec les fils de Léhi. Étant donné qu’il a toujours été de
coutume parmi les peuples du désert qu’un homme épouse la fille
de son oncle paternel (bint ‘ammi), il est difficile d’éviter
l’impression que Léhi et Ismaël étaient apparentés[49].
Il
y a une association remarquable entre les noms de Léhi et d’Ismaël,
qui les rattache tous deux au désert du sud, où se trouvait le lieu
de naissance légendaire et le sanctuaire central d’Ismaël en un
endroit appelé Be’er Lehai-ro’i[50]. Wellhausen rendait ce nom
par « source de la mâchoire du bœuf sauvage[51] », mais Paul
Haupt a montré que Léhi (car c’est ainsi qu’il lit le nom) ne
signifie pas « mâchoire » mais « joue »[52], ce qui laisse
malgré tout incertaine la signification de cet étrange composé. Il
y a néanmoins une chose qui est sûre, c’est que Léhi est un nom
de personne. Jusqu’à récemment, ce nom était tout à fait
inconnu, sauf comme nom de lieu, mais maintenant il est apparu à
Eilath et ailleurs dans le sud sous une forme que Nelson Glueck a
identifiée avec le nom Lahai qui « apparaît très fréquemment
soit comme élément d’un nom composé, soit comme nom séparé
d’une divinité ou d’une personne, en particulier dans les textes
minéens, thamudiques et arabes[53] ». Il y a une Beit Lahi, «
Maison de Lahi » parmi les noms de lieu antiques de la campagne
arabe qui entoure Gaza, mais la signification du nom a ici été
perdue[54]. Le moins que l’on puisse en dire, c’est que le nom
Léhi est tout à fait chez lui parmi le peuple du désert et autant
que nous le sachions, nulle part ailleurs.
Le
nom Lémuel n’est pas un nom hébreu conventionnel, car on ne le
trouve que dans un seul chapitre de l’Ancien Testament (Proverbes
31:1-4) où il est communément considéré comme une substitution
poétique assez mystérieuse à Salomon.Cependant, comme Léhi, il
est tout à fait chez lui dans le désert du sud, où un texte
édomite d’un « endroit occupé par des tribus descendues d’Ismaël
» porte le titre: « Paroles de Lémuel, roi de Massa ». Ces
personnes, quoique parlant une langue qui était presque arabe, se
trouvaient cependant bien dans la sphère de la religion juive, car «
nous n’avons nulle part la moindre preuve que les Édomites aient
utilisé un autre nom particulier pour leur divinité » que «
Yahvé, Dieu des Hébreux[55] ».
Le
seul exemple du nom de Laman que l’on trouve quelque part, à la
connaissance de l’auteur, est son attribution à un antique mukam,
ou lieu sacré, en Palestine. La plupart de ces mukams sont de date
inconnue, et beaucoup d’entre eux de date préhistorique. En
Israël, seule la tribu de Manassé en construisait[56]. C’est une
coïncidence frappante que Conder ait vu dans le nom Leimun, comme il
le rend (les voyelles doivent être fournies en devinant), une
corruption possible du nom Lémuel, mettant ainsi ces deux noms, si
étroitement associés dans le Livre de Mormon, dans le rapport le
plus intime possible, et ce, dans le seul cas où apparaît le nom
Laman[57]. Un nom bien plus populaire, chez les Arabes comme chez les
Néphites, était le nom Alma, qui peut signifier un jeune homme, une
cotte de mailles, une montagne ou un signe[58]. Si Sam est un nom
parfaitement égyptien c’est aussi la forme arabe normale de Sem,
fils de Noé.
Il
faut remarquer ici que l’archéologie a tout à fait démontré que
les Israélites, à l’époque comme maintenant, ne voyaient pas le
moindre inconvénient à donner à leurs enfants des noms qui
n’étaient pas juifs, même si ces noms avaient un relent de
paganisme[59]. On pourrait même, si on voulait faire quelques
conjectures, découvrir quelque chose de l’histoire personnelle de
Léhi dans les noms qu’il donna à ses fils. Les deux premiers ont
des noms arabes – ne rappelleraient-ils pas ses premiers temps dans
le commerce caravanier? Les deux suivants ont des noms égyptiens, et
effectivement ils sont nés à l’époque de sa prospérité. Les
deux derniers, nés au milieu des tribulations du désert, seront
appelés, avec l’humilité requise, Jacob et Joseph. Que les noms
des quatre premiers aient eu ou non pour but, comme c’était
certainement le cas pour les noms des deux derniers fils (2 Néphi
2:1; 3:1) de rappeler les circonstances dans lesquelles ils sont nés,
les noms sont certainement une indication frappante de leur triple
héritage.
[1]
On peut trouver les noms égyptiens dans Hermann Ranke, Die
Ägyptischen Personennamen, Glückstadt, Augustin, 1935 ; Jens D. C.
Lieblein, Dictionnaire des noms Hiéroglyphiques, Christiania,
Brôgger & Christie, 1871 ; J. A. Knudtzon, Die El-Amarna-Tafeln,
Leipzig, Hinrich, 1915, réimprimé Aalen, Zeller, 1964, 2 :1555-83 ;
et un peu partolut dans le JEA.
[2]
Knudtzon, Die El-Amarna-Tafeln, 2 :1561.
[3]
Ranke, Die Ägyptischen Personennamen, p. 412, lignes 8 et 9.
[4]
Id., p. 252, ligne 15.
[5]
Wilhelrn Spiegelberg, « The God Panepi », JEA 12 (1926), p. 35.
[6]
Alan H. Gardiner, Egyptian Grammar, Londres, Oxford University Press,
1950, p. 437.
[7]
Hugh W. Nibley, « The Book of Mormon as a Mirror of the East », IE
51, 1948, p. 249. En 1948 avait été dit ce qui suit : « Il ne
faut pas un grand effort d’imagination pour détecter une sorte de
parallélisme entre les deux courtes listes. Mais n’usons-nous pas
d’une violence injustifiée lorsque nous prenons simplement les
noms au hasard et les plaçons côte à côte ? C’est justement ce
qui est le plus remarquable ; nous avons effectivement pris les noms
au hasard et nous avions le Proche-Orient tout entier dans lequel
nous pouvions puiser et les noms égyptiens ne prédominaient pas
dans les listes que nous avions. Et cependant les seuls noms de
l’Ancien Monde qui correspondent à ceux de l’épisode du Livre
de Mormon viennent tous d’Égypte, que dis-je, d’une partie bien
déterminée de l’Égypte, dans l’extrême sud où fleurissait
une colonie juive depuis une date indéterminée, mais au moins
depuis le milieu du septième siècle. Mieux encore, tous ces noms
appartiennent aux dynasties récentes, d’après le déclin. Le
Livre de Mormon nous dit que Léhi était un riche marchand qui, bien
qu’il eût demeuré toute sa vie à Jérusalem, avait reçu une
instruction et une culture égyptiennes qu’il s’efforçait de
transmettre à ses enfants. Le livre fait constamment allusion à la
double culture du peuple de Léhi : hébreu dans l’âme, mais fier
de son héritage égyptien. ‘La civilisation égyptienne était une
civilisation qu’on admirait et qu’on imitait’, écrit Harry R.
H. Hall, en parlant du pays et de l’époque de Léhi. Les seuls
noms non hébraïques à ressortir chez les Néphites devraient,
d’après le Livre de Mormon lui-même, être égyptiens, et c’est
le cas. « Après avoir traité des noms de Sam et d’Ammon, comme
dans le texte ci-dessus, l’article de 1948 concluait : « Pour en
revenir à notre question : Qu’est-ce que Joseph Smith, le
traducteur du Livre de Mormon, savait de l’Ancien Monde ? Ce qui
semble certain, c’est qu’il connaissait :
(1)
Un certain nombre de noms typiquement égyptiens, des mots à
consonance étrange, ne ressemblant en aucune façon à l’hébreu
ni à aucune autre langue connue du monde du temps de Joseph Smith.
(2)
Il connaissait le genre d’intrigue ou de décor où ces noms
figureraient dans l’Ancien Monde et semble tout à fait à l’aise
sur la scène égyptienne.
(3)
Il donne une image claire et correcte des relations culturelles entre
l’Égypte et Israël, en soulignant dûment leur nature
essentiellement commerciale, dans la description remarquablement
convaincante de Léhi, prince marchand typique du 7e s. av. J.-C. Le
tableau de la vie dans l’Orient antique, que le Livre de Mormon
nous permet de reconstituer, est d’autant plus étonnant, quand on
pense à la conception d’un Orient des mille-et-une-nuits dont se
bourraient le crâne même les meilleurs érudits à l’époque où
le livre a paru. Le domaine tout entier des noms du Livre de Mormon
attend encore l’étude soigneuse qu’il mérite, le but de
l’esquisse actuelle étant de simplement indiquer que pareille
étude se révélera être tout sauf une impasse. Comme exemple final
de la validité de cette affirmation, nous citons un principe énoncé
par Albright : « La perte de la désinence ‘on’ est très
courante dans les noms de lieu palestiniens. « William F. Albright,
The Vocalization of the Egyptian Syllabic Orthography, New Haven,
American Oriental Society, 1934, 10 p.12. C’est une terminaison qui
serait conservée en égyptien ou en égyptien ‘réformé’, et
c’est ainsi que nous avons, dans le Livre de Mormon, des noms de
lieu tels que : Emron, Heshlon, Jashon, Moron, Morianton, etc. Ce
n’est pas un mince exploit, comme cela a été démontré dans
Harold Lundstrom, ‘Original Words of the Book of Mormon,’ IE 51,
février 1948, p. 85, ne serait-ce que de sortir d’on ne sait où
tout un tas de noms étranges et originaux. Mais que dire de l’homme
qui a trouvé ceux qu’il fallait ?
[8]
William F. Albright, « A Brief History of Judah from the Days of
Josiah to Alexander the Great, » BA 9, février 1946, pp. 4-5.
[9]
E. C. Briggs, Saints Herald, 21 juin 1884, pp. 396-97.
[10]
William F. Albright, « King Joiachim in Exile », Bibl.
Archaologist 5, décembre 1942, p. 51.
[11]
Harry Torczyner, The Lachish Letters, Londres, Oxford University
Press, 1938, p. 198. Nous suivons l’orthographe utilisée dans le
texte de Torczyner plutôt que les translittérations de sa liste.
[12]
R. A. Stewart Macalister, « The Craftsmen’s Guild of the Tribe of
Judah », PEFQ, 1905, p. 333.
[13]
Ephraïm A. Speiser, « Introduction to Hurrian », dans Annual of
Am. Schools of Or. Research 20, 1940, p. 216 (index). Mais Jens D. C.
Lieblein, Handel und Schiffahrt am rothen Meere in alten Zeiten,
Leipzig, Christiania, 1886, réimprimé Amsterdam, Meridian, 1971,
pp. 143-44, trouve le nom Anti dans l’extrême sud, autour de la
mer Rouge.
[14]
On trouve d’autres mentions de noms égypto-hittites dans Sidney
Smith, « Kizzuwadna, » JEA 10, 1924, p. 108 ; Anton L. Mayer &
John Garstang, « Kizzuwadna and Other Hittite States, » JEA Il,
1925, pp. 24 (Cadyanda), 26 (Kurnani) ; Gerald A. Wainwright, «
Keftiu, » JEA 17, 1931, pp. 29, 43 (Sandon), 35, 38, 40 (Achish).
[15]
Ernil O. Forrer, « The Hittites in Palestine », PEFQ, 1937, p. 100.
[16]
Robert H. Pfeiffer, « Hebrews and Greeks Before Alexander », JBL
56, 1937, pp. 91-95, 101 ; William F. Albright, « A Colony of Cretan
Mercenaries on the Coast of the Negeb », JPOS 1, l921, pp. 187-94 ;
Joseph G. Milne, « Trade Between Greece and Egypt Before Alexander
the Great », JEA 25, 1939, p. 178 ; F. B. Welch, « The Influence of
the Aegean Civilization on South Palestine », PEFQ, 1900, p. 342,50.
À Tel-el-Hesy, juste à l’ouest de Lakisch, « l’influence
grecque commence en 700 (av. J.-C.) et continue jusqu’au sommet de
la ville », William M. F. Petrie, dans PEFQ, 1890, p. 235. Nelson
Glueck, « Ostraca from Elath », BASOR 80, décembre 1940, p. 3.
[17]
Eduard Meyer, Geschichte des Altertums 2e éd., Stuttgart, Cotta,
1928, vol. 2, 1e partie, p. 553.
[18]
Joseph Offord, « Further Illustrations of the Elephantine Aramaic
Jewish Papyri », PEFQ, 1917, p. 127.
[19]
William F. Albright, Archaeology and the Religion of Israel,
Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1942, p. 160.
[20]
David S. Margoliouth, The Relations between Arabs and Israelites
Prior to the Rise of Islam, Schweich Lectures, Londres, Oxford
University Press, 1924, p. 13.
[21]
Harry R. H. Hall, « The Eclipse of Egypt », Cambridge Ancient
History, New York, Macmillan, 1925, 3:256, 269, 292.
[22]
Meyer, Geschichte des Altertums, Stuttgart, Cotta, 1909, vol. 1, 2e
partie, p. 156; Hall, « The Eclipse of Egypt », 256.
[23]
James A. Montgomery, Arabia and the Bible, Philadelphie, University
of Pennsylvania Press, 1934, p. 52 ; la deuxième citation est p. 28.
[24]
Le risque qu’il y a à se préparer pour une expédition dans la
ville est évident, puisque la curiosité que cela suscite soulève
des questions dangereuses et peut avoir des effets considérables.
Voir, d’une manière générale, Bertram Thomas, Arabia Felix, New
York, Scribner, 1932, p. 36; on trouvera un récit de préparatifs et
d’activités au « camp de base » dans idem, 112-13; Harry S. J.
B. Philby, The Empty Quarter, New York, Holt, 1933, pp. 9-13.
[25]
Arthur E. Cowley, Aramaic Papyri of the Fifth Century B.C., Oxford,
Clarendon, 1923, p. 226 (col. 14, 1, 208).
[26]
Il y a, à ce jour, en Palestine, des fermiers qui passent une grande
partie de leur temps à vivre sous tente dans le désert. Notre ami,
Mose Kader, en faisait partie. Voir George E. Kirk, « The Negev or
the Southem Desert of Palestine », PEFQ, 1941, p. 60. D’autre
part, H. H. Kitchener, « Major Kitchener’s Report » PEFQ, 1884,
p. 206, a remarqué que des Arabes vivant sous la tente, de vrais
bédouins, semaient de l’orge dans la campagne autour de Gaza.
Doughty écrit à propos des Arabes moahib: « Leur moisson terminée,
ils démontent le hameau de tentes et s’en vont avec leur bétail
errer comme des nomades. » Charles M. Doughty, Travels in Arabian
Deserts, Londres, Cape, 1926, 1:276. Carl R. Raswan, Drinkers of the
Wind, New York, Creative Age Press, 1942, décrit dans le détail la
facilité des allées et venues entre le désert et la ville, de
riches Arabes de la ville partant souvent passer une saison ou
quelques heures dans les sables. Voir aussi J. W. Crowfoot et Grace
M. Crowfoot, « The Ivories from Samaria », PEFQ, 1933, p. 24.
Quelqu’un, qui était presque le contemporain de Léhi, était «
le chef arabe qui campait dans la périphérie de Jérusalem à
l’époque de Néhémie et portait le bon nom arabe du nord de
Geshem Jusham ». Nabih A. Faris, éd., The Arab Heritage, New
Jersey, Princeton University Press, 1944, p. 35.
[27]
Montgomery, Arabia and the Bible, p. 23 ; la citation de Montgomery
plus haut dans le paragraphe se trouve p. 185 ; voir aussi Eduard
Meyer, Die Israeliten und ihre Nachbarstämme, Halle, 1906, réimprimé
à Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1967, pp. 209-561.
[28]
Margoliouth, The Relations between Arabs and Israel Prior to the Rise
of Islam, p. 25; Montgomery, Arabia and the Bible, p. 186; Philip J.
Baldensperger, « The Immovable East » PEFQ, 1922, p. 163, et 1926,
pp. 93-97. Cela ne veut pas dire que les patriarches étaient des «
primitifs »; car « nous sommes en train d’apprendre que les
immigrants n’étaient pas des nomades à l’état sauvage ou
semi-sauvage, mais des colons emportant dans leur nouvelle patrie le
souvenir d’une organisation politique développée, avec des usages
et des pratiques et ayant une histoire derrière eux. » Margoliouth,
The Relations between Arabs and Israel Prior to the Rise of Islam, p.
25. Voir aussi, Edouard P. Dhorme, « Le Pays de Job », RB 8, 1911,
102,7; George A. Barton, « The Original Home of the Story of Job »,
JBL 31, 1912, p. 63.
[29]
Baldensperger, « The Immovable East », PEFQ, 1923, p. 176.
[30]
William F. Albright, « Recent Progress in North-Canaanite Research »
BASOR 70, avril 1938, p. 21.
[31]
Margoliouth, The Relations between Arabs and Israel Prior to the Rise
of Islam, pp. 5, 8, Theodor Nöldeke, Die semititischen Sprachen,
Leipzig, Tauchnitz, 1899, pp. 52, 57; Meyer, Die Israeliten und ihre
Nachbarstämme, pp. 305-7.
[32]
Montgomery, Arabia and the Bible, p. 53, citant Duncan B. MacDonald,
The Hebrew Literary Genius, Princeton, Princeton University Press,
1933, pp. 26-27.
[33]
« Je pense qu’il ne fait aucun doute que les Hébreux étaient ce
que nous devrions appeler des Arabes, en utilisant le terme dans son
sens le plus large. » Alfred Guillaume « The Habiru, the Hebrews
and the Arabs » PEFQ, 1946, pp. 65-67.
[34]
Albright, « Recent Progress in North-Canaanite Research », p. 21.
[35]
Guillaume, « The Habiru, the Hebrews, and the Arabs », pp. 64-85 ;
Stephen L. Caiger, Bible and Spade, Londres, Oxford University Press,
1936, pp. 84-85.
[36]
Montgomery, Arabia and the Bible, p. 47.
[37]
William F. Albright, Vocalization of Egyptian Syllabic Orthography,
New Haven, American Oriental Society, 1934, p. 50 (ch. 10, C, ligne
12).
[38]
Abraham Bergman, « The Israelite Tribe of Half-Manasseh », JPOS 16,
1936, pp. 225, 228, 249; Moses H. Segal, « The Settlement of
Manasseh East of the Jordan » PEFQ, 1918, p. 124.
[39]
On a émis l’hypothèse qu’Ammon, comme son concurrent Aton,
était, à l’origine, de Syrie-Palestine, théorie qui ne manque
pas de mérite, surtout du fait que Wainwright a montré les
relations palestiniennes pré-historiques de Min de Coptos (l’Amon
original). Gerald A. Wainwright, « The Emblem of Min », JEA 17,
1931, pp. 185-95; et Gerald A. Wainwright, « Letopolis », JEA 18,
1932, pp. 161-63.
[40]
Albright, Archaeology and the Religion of Israel, p. 171.
[41]
Dans la version pour le magazine, de 1950, Nibley note: « Cette
culture tripolaire est un phénomène classique dans cette partie du
monde où les caravanes d’Égypte et d’Israël se croisent,
guidées au milieu des sables par ces hommes du désert qui étaient
les intermédiaires immémoriaux des deux civilisations. » Hugh W.
Nibley, « Lehi in the Desert » , IE 53, 1950, p. 155. « Le
caractère naturel des tribus bédouines a toujours été d’agir
comme une sorte de peuple intermédiaire, sans politique fixe. »
Baldensperger, « The Immovable East », PEFQ, 1925, p. 85. Même
aujourd’hui, les bédouins « ‘Arishiye(t) sur la frontière
égyptienne transportent des marchandises par voie de terre de Gaza
en Égypte et vice-versa. Ils constituent une classe intermédiaire
curieuse; ils pratiquent le commerce et l’agriculture et sont
éleveurs de chameaux. » Id., PEFQ, 1922, p. 161. Cf. John L.
Burckhardt, Notes on the Bedouins and Wahabys, Londres, Colburn &
Bently, 1831, pp. 1-9, 26-27, 30-31, 275-76. Au 6e s. av. J.-C., les
Arabes prirent Gaza, le point d’ancrage septentrional de la route
commerciale égyptienne. Hérodote, Histoires III 5; 111, 7; 111, 91;
William F. Albright, « Egypt and the Early History of the Negeb »,
JPOS 4, 1924, p. 130. Les marchands arabes, enrichis par le commerce
tripolaire, fondèrent l’État nabatéen. Kirk, « The Negev or the
Southern Desert of Palestine », p. 62. En tout temps, le commerce
palestino-égyptien a été la source principale de richesse pour ces
gens, pour ne pas dire la seule. Taufik Canaan, « Byzantine Caravan
Routes in the Negeb », JPOS 2, 1922, p. 144. Sur l’antiquité du
commerce tripolaire, voir Lieblein, Handel und Schiffahrt auf dem
rothen Meere in alten Zeiten, 76, pp. 134-36; William J. T.
Phythian-Adams, « Israel in the Arabah », PEFQ, 1941, pp. 61-62,
Stewart Perowne, « Note on I Kings, Chapter X, 1-130 », PEFQ 1939,
p. 201. Albright, « Egypt and the Early History of the Negeb », pp.
130-32.
[42]
Montgomery, Arabia and the Bible, p. 5.
[43]
Baldensperger, « The Immovable East », PEFQ, 1925, p. 85 et 1922,
p. 161; Burckhardt, Notes on the Bedouins and Wahabys 1:9, 26-27,
30-31; Kirk, « The Negev or the Southern Desert of Palestine », p.
62; Canaan, « Byzantine Caravan Routes in the Negeb », p. 144;
Phythian-Adams, « Israel in the Arabah », PEFQ, 1933, p. 143;
Perowne, « Notes on I Kings, Chapter X, 1- 13 », p. 201; Albright,
Egypt and the Early History of the Negeb, pp. 131-41. À propos des
attaches existant entre les Bédouins, les marchands et les fermiers
de Palestine et d’Égypte, Baldensperger dit: « Quinconque se
donne la peine d’étudier et de comprendre ces attaches verra qu’il
est relativement facile de prendre des arrangements avec les tribus
du désert, si lointaines qu’elles soient. » Charles Warren, «
Notes on Arabia Petraea and the Country Lying between Egypt and
Palestine », PEFQ, 1887, p. 45, n. 23. Dès le début, les Juifs
furent forcés, de par leur position géographique, de traiter avec
les Arabes et de se livrer au commerce, voir Elias Auerbach, Wüste
und Gelobtes Land, 2 vols. Berlin, Schocken, 1932.
[44]
Ainsi, « les Arabes du sud, bien qu’installés dans leurs bases,
étaient des voyageurs et des marchands indomptables. » Guillaume, «
The Habiru, the Hebrews, and the Arabs », p. 67. Il n’y a rien qui
empêche Léhi, quoique installé dans sa base, d’être un voyageur
indomptable, à moins d’interpréter 1 Néphi 1:4 comme voulant
dire qu’il n’avait jamais mis les pieds hors de la ville depuis
le jour de sa naissance, ce qui est une absurdité flagrante.
[45]
Montgomery, Arabia and the Bible, p. 12.
[46]
Margoliouth, The Relations between Arabs and Israel Prior to the Rise
of Islam, p. 29; Guillaume, “The Habiru the Hebrews, and the
Arabs,’’ pp. 84-85.
[47]
Meyer, Die Israeliten und ihre Nachbarstämme, p. 302.
[48]
John Zeller, « The Bedawin » PEFQ, 1901, p. 198.
[49]
Le professeur Sperry a attiré l’attention de l’auteur sur une
déclaration attribuée à Joseph Smith, disant qu’Ismaël était
d’Ephraïm et que ses fils avaient épousé les filles de Léhi. G.
D. Watt & J. V. Long, reporters, Journal of Discourses,
Liverpool, Cannon/Londres, LDS Book Depot, 1862; réimprimé à Los
Angeles, Gartner, 1956, 23:184, commenté dans Sidney B. Sperry, «
Did Father Lehi Have Daughters Who Married the Sons of lshmael ? »
IE 55, septembre 1952, p. 642. Éphraïm, comme Manassé, était du
désert.
[50]
Meyer, Die Israeliten und ihre Nachbarstämme, pp. 322-23.
[51]
Id., p. 322.
[52]
Paul Haupt, “Heb. lehi, cheek, and lo, jaw”, JBL 33, 1914, pp.
290-95. Cf. Juges 15:17, 19.
[53]
Glueck, « Ostraca from Elath », pp. 5-6, fig. 2.
[54]
Edward 1-1. Palmer, « Arabic and English Name Lists », dans Survey
of Western Palestine, Londres, Palestinian Exploration Fund, 1881,
8:358.
[55]
Eliezer ben Yahuda, « The Edomite Language », JPOS 1, 1921, pp.
113-15; Montgomery, Archaeology and the Bible, p. 171, note qu’il y
avait une tribu arabe appelée Massa, mais « il n’y a pas de roi
hébreu appelé Lémuel ».
[56]
C. Clermont-Ganneau, « The Arabs in Palestine », dans Survey of
Western Palestine, Special Papers, Londres, Palestine Exploration
Fund, 1881, 4:325.
[57]
Claude R. Conder, « Moslem Mukams », dans Survey of Western
Palestine, Special Papers, Londres, Palestine Exploration Fund, 1881,
4:272.
[58]
PaImer, « Arabic and English Name Lists », pp. 17, 40, 66.
[59]
Adolf Reifenberg, « A Hebrew Shekel of the Fifth Century B.C. »,
PEFQ, 1943, p. 102; Albright, Archaeology and the Religion of Israel,
p. 113. Parmi les enfants des contemporains de Léhi qui s’enfuirent
en Egypte, on peut suspecter des noms perses, babyloniens et même
arabes, même s’ils demeurèrent de bons Juifs. Samuel A. Cook, «
The Jews of Syene in the Fifth Century B.C. », PEFQ, 1907, pp.
68-73.
CHAPITRE
TROIS : Vers le désert
Léhi
le rêveur
Léhi
possède à un haut degré les traits et les caractéristiques du
cheik modèle du désert. Il est généreux, noble, impulsif,
fervent, dévot et visionnaire, et il possède une merveilleuse
capacité pour l’éloquence et les songes. Pour ce qui est de
ceux-ci, lorsqu’ils errent, les Arabes estiment qu’ils doivent
être guidés par les songes, et leurs cheiks sont souvent des
rêveurs doués[1]. La substance des songes de Léhi est extrêmement
significative, puisque les songes des hommes représentent
nécessairement, même lorsqu’ils sont inspirés, les choses qu’ils
voient le jour, quoique dans des combinaisons étranges et
étonnantes. Il est, par exemple, courant que des hommes à toutes
les époques rêvent de bateaux, mais un homme du temps de Léhi
devait rêver d’espèces particulières de bateaux, et aucune autre
espèce ne fera l’affaire.
Dans
ses songes, Léhi se voit errer « dans un désert sombre et désolé
», une « solitude sombre et désolée » où il doit voyager «
pendant l’espace de nombreuses heures dans les ténèbres », perdu
et impuissant. (1 Néphi 8:4-8) De toutes les images qui hantent les
anciens poètes arabes, celle-ci est de loin la plus courante; c’est
le cauchemar classique de l’Arabe; et c’est le triomphe suprême
de tout poète de pouvoir dire qu’il a parcouru de longues
distances seul dans des déserts sombres et désolés[2].
Invariablement, ce sont les ténèbres qui sont censées être la
source principale de terreur (la chaleur et l’éclat du jour,
quoique presque toujours mentionnés, ne viennent qu’au second
rang), et l’horreur suprême, c’est presque toujours un «
brouillard de ténèbres », un mélange déprimant de poussière et
de brouillard froid et humide qui, ajouté à la nuit, complète la
confusion de quiconque erre dans le désert[3]. Tout au contraire de
ce à quoi l’on pourrait s’attendre, ces brouillards humides et
froids sont décrits par les voyageurs dans toutes les régions
d’Arabie[4], et al-Ajajj, un des plus grands d’entre les anciens
poètes du désert, raconte comment un « brouillard de ténèbres »
le met dans l’impossibilité de poursuivre un voyage vers Damas[5].
Dans sa nature et son effet, le « brouillard de ténèbres » de
Léhi (1 Néphi 8:23) correspond d’une manière extrêmement exacte
à cet étrange phénomène.
Lorsque
Léhi rêve de la vanité du monde, il voit « un grand et spacieux
édifice » en suspension dans l’air, hors de portée et plein de
gens élégants et habillés d’une manière extrêmement raffinée
(1 Néphi 12:18, 8:26). C’est exactement de cette manière que le
Bédouin du désert, pour qui les grandes maisons de pierre de la
ville sont une abomination, décrit le monde mauvais; et de même que
les Arabes de la ville se moquent toujours de leurs cousins du désert
(qu’ils envient secrètement) en leur faisant toutes les
démonstrations possibles de mépris public, de même les gens bien
habillés de la grande maison « paraissent se moquer et montrer du
doigt » (1 Néphi 8:27) le pauvre petit groupe de vagabonds
dépenaillés, mangeant avidement les fruits d’un arbre et dûment
décontenancés de ce que leur pauvreté soit livrée à la honte
publique. Les images de Léhi rappellent les grandes maisons de
pierre des Arabes d’autrefois, « gratte-ciel de dix et douze
étages qui... représentent les survivances authentiques de
l’antique architecture babylonienne »[6], dont les fenêtres
commencent, pour des raisons de sécurité, quinze mètres plus haut
que le niveau du sol. Le soir, ces fenêtres allumées devaient
certainement faire l’effet d’être suspendues au-dessus de la
terre.
Il
est intéressant que Joseph Smith, père, eut, selon sa femme,
presque le même songe ; elle se consola en comparant les errances de
sa propre famille à celles de Léhi. Mais ce qui est significatif,
ce n’est pas la ressemblance qu’il y a entre les deux songes,
mais leur cadre tout à fait différent; lorsque le père du prophète
se voyait perdu « dans ce champ du monde », il « ne pouvait voir
que du bois mort et tombé », tableau qui rappelle évidemment avec
fidélité le paysage américain où il habitait[7]. Lorsque Dante,
un autre occidental, se voit perdu au milieu du voyage de la vie (un
des songes les plus communs et les plus anciens, nous le répétons,
un classique parmi les songes), il erre au travers d’une forêt
dense et sombre, la forêt de sa Toscane natale.
Dans
une scène plus réjouissante, Léhi voit « un champ vaste et
spacieux comme si cela avait été un monde » (1 Néphi 8:20), tout
comme le poète arabe, décrit le monde comme un « maidan » ou
champ vaste et spacieux[8]. Lorsqu’il rêve d’une rivière, c’est
une vraie rivière du désert, un cours d’eau clair de quelques
mètres de large dont la source n’est qu’à une centaine de pas
(1 Néphi 8:13-14)[9] ou alors un torrent furieux et boueux, un sayl
d’ « eau souillée », qui emporte les gens vers leur perte (1
Néphi 8:32; 12:16. 15:27). Selon Bar Hebraeus, en 960 ap. J.-C., une
grande compagnie de pèlerins revenant de la Mecque « campa dans le
lit d’un ruisseau où il n’avait plus coulé d’eau depuis
longtemps. Pendant la nuit, pendant qu’ils dormaient, un flot d’eau
se déversa sur eux tous, et les balaya, eux et tous leurs biens,
dans la Grande Mer, et ils périrent tous »[10]. Selon Doughty, même
un cavalier, s’il ne fait pas attention, peut se laisser surprendre
et emporter par un raz de marée de ce genre[11]. Un des pires
endroits où se déchaînent ces torrents de boue liquide balayant le
lit des ruisseaux se trouve dans « les montagnes couturées et
dénudées qui s’étendent parallèlement à la côte ouest de
I’Arabie... les averses torrentielles se brisent contre cette
longue chaîne, et provoquent presque instantanément des torrents
furieux – le sayl arabe, la crue – qui balaye tous les obstacles
sans avertissement et est cause de mort d’hommes et de bétail[12].
» C’est dans cette région-là que Léhi voyagea lors sa grande
migration.
La
source et le sayl, tels sont les deux seuls types de « rivières »
(car il les appelle rivières) que connaît l’Arabe du désert[13].
Lorsque Léhi rêve de gens égarés, ils le sont dans un désert
sans piste, « errant sur des routes étranges » (1 Néphi 8:23-32)
ou entrant par erreur « sur de larges routes afin qu’ils périssent
et se perdent » (1 Néphi 12:17) à cause du « brouillard de
ténèbres » (1 Néphi 8:23). Perdre son chemin, c’est évidemment
le sort qui hante tout habitant du désert, qu’il dorme ou soit à
l’état de veille, et les poètes arabes sont pleins de la terreur
des « routes étranges » et de « larges routes[14] ». Pour
symboliser ce qui est tout à fait inaccessible, on montre à Léhi «
un gouffre grand et terrible » (1 Néphi 12:18), un « gouffre
affreux » (1 Néphi 15:28), un abîme gigantesque alors que,
supplice de Tantale, on voit de l’autre côté son objectif
(I’arbre de vie); tous ceux qui ont voyagé dans le désert
connaissent le sentiment d’impuissance et de contrariété totales
que l’on éprouve quand on constate soudain que la route est coupée
par un de ces terrifiants canyons aux parois verticales. Rien ne
pourrait être plus abrupt, plus absolu, plus déroutant dans les
plans qu’on a faits, et il en sera ainsi des méchants au jour du
réglement des comptes[15].
En
quelque autre endroit que I’on puisse trouver des parallèles à
ceci, une fois combinés, ils ne pourraient venir que d’un homme
qui connaît le désert. Rubah, l’un des poètes du désert, décrit
en un unique et court poème la terreur de la solitude, le long
voyage, le brouillard de ténèbres (étouffant de chaleur et épais),
le « gouffre affreux », les chemins larges et les sentiers qui
s’écartent[16]. Le Livre de Mormon, en nous donnant bon nombre
d’instantanés clairs et frappants de ce genre (il en viendra
encore beaucoup) sur la vie dans un autre monde, fournit une preuve
pittoresque mais convaincante de son authenticité La plainte de
Néphi: « Ils cherchaient à m’ôter la vie, à me laisser dans le
désert pour être dévoré par les bêtes sauvages » (1 Néphi
7:16) est constamment dans la bouche du poète arabe, car laisser son
ennemi dans le désert pour être dévoré par les bêtes sauvages
est le procédé habituel et correct quand les Arabes se querellent
et, en dépit de sa popularité chez les poètes, n’est pas une
simple façon de parler[17].
La
fuite dans le désert
Qu’un
citoyen riche de Jérusalem quitte sur-le-champ le pays de son
héritage sans incitation plus concrète qu’un songe peut sembler à
première vue hautement improbable, c’est le moins qu’on puisse
en dire. Cependant Léhi avait longuement et anxieusernent médité
sur le sort de Jérusalem, priant « de tout son coeur, en faveur de
son peuple » (1 Néphi 1:5) et lorsque le songe vint, il était
prêt. En outre, en partant aussi soudainement, Léhi faisait non
seulement quelque chose de sensé mais également quelque chose
d’ordinaire. Depuis les temps les plus reculés jusqu’
aujourd’hui, la chose à faire lorsque les choses allaient mal dans
les villes et les États du Proche-Orient, c’était simplement de
partir et de rechercher la sécurité du désert. Sinuhé, haut
fonctionnaire de la cour d’Amenemhet I, craigant une révolution de
palais à la mort du roi, se précipita impulsivement dehors dans la
nuit et le désert, où il aurait péri de soif s’il n’avait pas
été ramassé par des Arabes amicaux qui faisaient commerce avec
l’Égypte. Son histoire, de treize cents ans plus vieille que celle
de Léhi, montre la facilité avec laquelle les hommes passaient de
la ville au désert et vice versa, et nous montre à quel point était
naturelle l’impulsion de fuir dans le désert en cas de crise.
Moïse et les prophètes, et Abraham lui-même, n’avaient-ils pas
cherché à se mettre en sécurité contre leurs ennemis en
s’enfuyant dans le désert ? La nation tout entière d’Israël
n’avait-elle pas fait la même chose au commencement ? Mais ce qui
donne à l’histoire de Léhi un accent de vérité incontestable,
c’est la récente découverte que ces mêmes dirigeants des Juifs
de Jérusalem, dont la méchanceté avait obligé Léhi à quitter le
pays alors qu’il en était encore temps, lorsqu’ils découvrirent,
eux, que la ville était au bord de la destruction et qu’ils durent
faire eux-mêmes face aux conséquences de leur propre folie, « se
cachèrent dans le désert pendant le siège » et, lorsque tout fut
perdu, s’enfuirent en Égypte[18]. « Se cacher dans le désert »,
c’est exactement ce que faisait Léhi, et ce que firent plus tard
tous ceux qui purent s’échapper.
Le
désert dans lequel s’enfuit Sinuhé était la région située au
sud de la Palestine, cachette classique aussi bien des Égyptiens que
des Juifs, « où les hommes de toute condition et de toutes nations
... voient dans le camp arabe une retraite et un refuge sûr[19] ».
Si le désert syrien est « Ie refuge peu envié des tribus vaincues
»[20], la patrie toute trouvée du proscrit, du déserteur et du
révolutionnaire discrédité a toujours été Édom et la région du
sud, « pays des groupes désorientés et des fugitifs isolés, où
des tribus arabes semi-nomades organisées alternent avec le rebut de
la société sédentaire, avec des esclaves marrons, des bandits et
leurs descendants...[21] » Même les grands marchands qui firent
naître l’État nabatéen civilisé mettaient leur confiance, dit
Diodore, dans leur capacité de disparaître rapidement et facilement
dans le désert - comme tout bédouin ordinaire[22]. Nous ne devons
donc pas penser que Léhi était le premier marchand à se retirer
dans l’arrière-pays avec sa famille inquiète. Même au siècle
actuel, des fermiers et des citadins arabes, pour échapper aux
exactions d’un gouvernement turc tyrannique, se sont enfuis dans le
désert et ont adopté la vie des bédouins errants[23] et, ces
dernières années, on a pu voir des milliers de « fellahin »,
formés à la vie de la ferme, vivoter dans les sables du désert
syrien à la suite d’une fuite hâtive et malavisée de chez
eux[24].
N
ous avons dit que « Ies Juifs qui étaient à Jérusalem », qui
réussirent à s’enfuir lorsque la ville tomba, finirent en Égypte.
Beaucoup d’entre eux s’établirent loin en amont du Nil, à
Éléphantine ou Yeb[25]. Cette célèbre colonie a été décrite
comme « n’étant qu’une déviation excentrique du courant
principal de l’histoire hébraique : elle ne menait nulle part, et
n’eut aucune influence, même pas sur le développement du judaïsme
égyptien[26]. » Voilà en quels termes nous pourrions décrire
l’émigration de Léhi lui-même: une déviation excentrique se
détachant complètement du courant principal de l’histoire juive,
mais, comme la colonie d’Éléphantine, conservant intacte sa
version particulière de judaïsme transplanté. L’histoire
d’Éléphantine, en démontrant la possibilité d’un
développement que les savants pensaient tout d’abord inconcevable
et ont longtemps été réticents à croire, confirme la possibilité
d’une expédition semblable à celle de Léhi. D’un bout à
l’autre de l’histoire, les Juifs manifestent, comme l’observe
Montgomery, une tendance constante à « retourner au type » et à
revenir au désert, et Léhi n’était certainement pas le premier
ni le dernier Juif à le faire[27]. En outre, il n’est pas rare que
des gens riches de la ville et de la campagne et même des pauvres
fermiers s’en aillent pendant un certain temps au désert et
goûtent de temps en temps à la vie nomade, de sorte que le
comportement de Léhi, en se faisant bédouin, était tout à fait
conventionnel et respectable. Bien entendu, les gens qui s’offrent
ce genre de vacances, sont ceux qui ont déjà pas mal d’expérience
de la vie dans le désert et y ont pris goût[28].
Pour
ce qui est de la direction prise par le groupe de Léhi, le Livre de
Mormon est clair et précis. Il prit ce que nous savons maintenant
avoir été la seule route possible, compte tenu du danger immédiat
menaçant au nord et des territoires à l’est et à l’ouest tenus
par des puissances opposées au bord de la guerre. Seul le désert du
sud, le seul territoire où les commerçants et les marchands
d’Israël s’étaient sentis à l’aise au cours des siècles,
restait ouvert –- même après la chute de Jérusalem il en fut
ainsi. Et le seul itinéraire pour entrer dans ce désert, c’était
la grande route commerciale passant par la dépression brûlante de
l’Arabah[29]. Longtemps le groupe se dirigea vers le sud-est puis
vira presque en plein vers l’est, passant dans un désert
particulièrement terrible, et atteignit la mer à un endroit que
nous étudierons plus tard. Néphi prend bien soin de nous tenir au
courant de l’orientation principale de chaque étape du voyage et
ne parle jamais une seule fois d’une tendance à aller vers l’ouest
ou le nord. Le groupe voyagea pendant huit ans dans deux directions
principales seulement, sans revenir sur ses pas, et beaucoup de ces
marches étaient de longues marches forcées.
Tout
ceci exclut entièrement la péninsule du Sinaï comme scène de
leurs errances, et correspond parfaitement à un voyage à travers la
péninsule arabique. La marche la plus lente possible « dans une
direction sud-sud-est » au Sinaï atteindrait la mer et devrait se
diriger vers le nord dans les dix jours; or le peuple de Léhi
voyagea « de nombreux jours », voire des mois, dans une direction
sud-sud-est, en restant, pendant tout ce temps, près de la côte de
la mer Rouge. En dix jours, quelqu’un qui voyage à pied parcourt
tout la longueur de la côte du Sinaï qui va en direction du
sud-sud-est – et qu’adviendrait-il du reste des huit années ?
Ce
qui exclut entièrement le fait que le Sinaï soit le territoire des
voyages de Léhi, c’est l’absence totale, en tout temps, de bois
de charpente pour construire des bateaux, sans parler d’un pays
d’Abondance luxuriant et splendide. « Il est tout à fait probable
», écrit une autorité de nos jours, « que Salomon dut transporter
ses bateaux, ou le matériel pour les construire, depuis la
Méditerranée, car où pouvait-on trouver, au bord de la mer Rouge,
du bois de charpente pour construire des bateaux ?[30] ».
[Pour
désigner le désert, l’anglais dispose de plusieurs mots, dont: «
desert », emprunté au français, et « wilderness », d’origine
germanique. Ce dernier mot veut dire littéralement lieu sauvage et
peut donc désigner un lieu où il y a quand même de la végétation
plus ou moins rare, comme dans les montagnes par exemple. En
français, nous ne disposons pas d’un mot permettant de faire la
distinction avec le mot « désert », d’où l’impossibilité de
traduire ces quelques lignes du texte de Nibley, mais en voici l’idée
essentielle. Dans le texte anglais, Néphi utilise le mot «
wilderness » et Nibley souligne que c’est un choix parfaitement
correct, puisque « le désert de Léhi comportait des ‘endroits
plus fertiles’ dans lesquels il était possible de survivre (1 Né
16:16)… c’était plutôt, comme l’écrivait Kenyon, ‘un pays
du genre où peuvent habiter des nomades, avec des oasis et des oueds
où l’on peut faire de la culture’[31]. » – N.d.T.]
Le
désert particulier dans lequel Léhi fit son premier camp compte
parmi les plus hostiles de la terre; néanmoins, certains
observateurs pensent que la région jouissait d’un peu plus de
chutes de pluie dans l’Antiquité qu’aujourd’hui, mais tous
sont d’accord pour dire que le changement de climat n’a pas été
considérable depuis les temps préhistoriques, que le mieux qu’on
puisse en dire c’est qu’il était presque aussi mauvais alors que
maintenant[32]. Même si Léhi prit la route principale vers le sud à
travers l’Arabah, comme il le fit très probablement, comme c’était
la route directe vers la mer Rouge, et une route caravanière connue
de tous les marchands, il se déplaçait dans un désert si
rébarbatif que même les bédouins endurcis l’évitent comme la
peste. Nous ne devons pas non plus y chercher le moindre monument de
son passage : « Les Égyptiens, les Patriarches, les Juifs, les
Romains et les Arabes ont tous passé sur ces pistes et nous ont
donné des noms de lieux, rien de plus. Il est probable qu’à leurs
yeux la région était trop détestable pour mériter qu’on en dise
quoi que ce soit de plus[33]. » Détestable, voilà le mot qui
décrit certainement l’endroit aux yeux du peuple de Léhi, qui «
murmura » amèrement de ce qu’on le conduisait dans un tel enfer.
Habitants
des tentes
Les
éditeurs du Livre de Mormon ont consacré tout un verset à la
déclaration laconique de Néphi: « Et mon père demeurait sous une
tente » (1 Néphi 2:15) et ce à bon droit, puisque Néphi lui-même
trouve le fait très significatif et fait constamment de la tente de
son père le centre de son univers[34]. Pour un Arabe, « mon père
demeurait sous une tente », cela dit tout. « Les habitants actuels
de la Palestine, écrit Canaan, comme leurs ancêtres, appartiennent
à deux classes: les habitants des villages et des villes, et les
Bédouins. Tout comme la vie et les habitudes d’une classe
diffèrent de celles de l’autre, de même leurs maisons diffèrent.
Les maisons des villages sont construites en matériaux durables...
d’autre part, les demeures bédouines, les tentes, conviennent
mieux à la vie nomadique[35]. » Un poète arabe d’autrefois se
vante de ce que son peuple est « Ie peuple fier et chevaleresque du
cheval et du chameau, les habitants des tentes et pas de minables
conducteurs de bœufs[36] ». Cinquante ans à peine après la chute
de Jérusalem, un roi perse se vante de ce que tous les rois
civilisés « aussi bien que les habitants Bédouins des tentes ont
apporté leurs précieux cadeaux et m’ont baisé les pieds[37] »,
faisant ainsi la même distinction que le poète postérieur. Un des
serments les plus courants des Arabes, rapporte Burckhardt, est «
par la vie de cette tente et de ses propriétaires », prononcé
tandis qu’une main repose sur le mât central de la tente[38]. Si
l’on veut déclarer nuls les biens d’un homme après sa mort, «
on arrache les poteaux de la tente immédiatement après que l’homme
a expiré, et on démolit la tente, » tandis que d’autre part «
l’érection d’une nouvelle tente dans le désert est un événement
important célébré par une fête et un sacrifice[39] ». Et le
culte de la tente était important aussi pour les Hébreux. En effet,
l’hébreu « tente » (ohel) et l’arabe « famille » (ahl)
étaient à l’origine un même mot[40]. « Le Bédouin a une
profonde affection pour sa tente, dit Canaan. « Il ne l’échangerait
en aucun cas contre une maison de pierre »[41]. C’est ainsi que
Jacob était « un homme tranquille, qui restait sous les tentes »
(Genèse 25:27), bien que, empressons-nous de l’ajouter,
certainement pas dans des conditions sordides. « Les voyageurs qui
ont eu l’occasion de passer en Orient, et qui n’ont vu que les
tentes sales et misérables des Bédouins errants et sans tribu...
seraient peut-être surpris du caractère spacieux et du luxe simple
de la tente d’un grand cheik du désert[42]. »
C’est
ainsi qu’en annonçant que son « père demeurait sous une tente »,
Néphi nous avertit qu’il a adopté le mode de vie du désert,
comme il doit forcément le faire pour son voyage. Tout Oriental se
rendrait compte du sens et de l’importance de cette déclaration,
qui nous paraît, à nous, presque insignifiante. Si Néphi semble
considérer la tente de son père comme le nombril de l’univers, il
ne fait qu’exprimer le point de vue d’un Bédouin normal pour qui
la tente du cheik est l’ancre de salut de l’existence[43]. « Un
drapeau blanc, nous dit-on, est parfois hissé au-dessus de sa tente
pour guider les étrangers et les visiteurs. Tous les visiteurs sont
conduits directement à la tente du cheik[44]. » Lorsqu’il exhorte
Zoram, terrifié, à se joindre au groupe dans le désert, Néphi
dit: « Si tu veux descendre au désert, vers mon père, tu auras ta
place parmi nous » (1 Néphi 4:34). Le caractère correct de la
proposition est attesté non seulement par le rôle qui revient à
Léhi de recevoir dans la tribu les membres et les invités, mais
aussi par l’expression extrêmement caractéristique: « Tu auras
ta place parmi nous ». Car, depuis des temps immémoriaux, la
formule d’accueil appropriée pour recevoir l’étranger qui entre
dans la tente de quelqu’un est ahlan wa sahlan wa marhaban,
littéralement (sans doute) « une famille, un lieu doux et une
grande place[45] ! ». On trouve des expressions équivalentes dans
l’Ancien Testament comme lorsque Abraham invite son visiteur
céleste à s’asseoir sous son arbre (Genèse 18:4) et ici aussi de
tels détails sont des touches authentiques de la vie bédouine. Mais
aucune des expressions bibliques n’est aussi typiquement « arabe »
que l’invitation de Néphi.
L’ordre
de marche
Le
Livre de Mormon nous dit pas mal de choses sur les déplacements de
Léhi et de son peuple dans le désert, et le récit peut maintenant
être vérifié en comparant avec les récits de première main de la
vie chez les Arabes, que les cent dernières années, et tout
particulièrement les quarante dernières, ont produits. Tous ces
récits seraient d’accord avec Néphi pour dire que la
caractéristique fondamentale de la vie en Arabie, ce sont les
privations: « La vie est dure, une lutte incessante pour l’existence
contre la nature et l’homme[46]. « Ce n’est pas exagérer, écrit
une autorité contemporaine, que de dire que le Bédouin est dans un
état presque permanent d’inanition[47]. » « Bien souvent, entre
leurs points d’eau, rapporte Doughty, il ne reste pas le moindre
litre d’eau dans la tente du plus grand cheik[48]. » Les souvenirs
de Palgrave sont particulièrement impressionnants : « Ensuite une
halte insuffisante pour se reposer ou dormir, deux ou trois heures
maximum, bientôt interrompues par l’avertissement souvent répété:
‘Si nous nous attardons ici, nous allons tous mourir de soif’,
nous résonnant aux oreilles, et puis remonter sur nos bêtes vannées
et les faire avancer dans la nuit noire avec la probabilité
constante d’être attaqués et dépouillés par des pillards en
maraude... et une heure environ avant le coucher du soleil, nous
descendions tant bien que mal, en titubant, de nos chameaux, pour
préparer un repas du soir répondant à exactement la même
description que celui du matin ou, plus souvent, de peur que la fumée
de notre feu n’avertisse de notre présence quelque pillard
éloigné, nous contenter de dattes séchées et d’une demi-heure
de repos sur le sable[49]. » Il est vrai que dans cette situation le
groupe effectuait une marche forcée, mais les conditions: absence de
feu, viande crue, « traverser beaucoup d’affliction » (Hélaman
3:34), sont exactement reproduites dans le Livre de Mormon.
On
nous décrit la compagnie de Léhi comme avançant quelques jours
(trois ou quatre, estimons-nous), puis campant « un certain temps »
(1 Néphi 16:17). C’est exactement comme cela que les Arabes se
déplacent. Les vitesses des caravanes vont de 3,6 à 6,3 kilomètres
à l’heure, cinquante kilomètres étant, selon Cheesman, « une
bonne moyenne » pour la journée et cent kilomètres le grand
maximum[50]. « Les écrivains arabes estiment ordinairement qu’une
bonne journée de marche se situe entre quarante-cinq et cinquante
kilomètres; dans des circonstances spéciales ou favorables, elle
peut monter jusqu’à près de soixante-cinq kilomètres[51]. »
D’autre part, une journée de voyage lent pour un « nomade
conducteur d’ânes », avançant beaucoup plus lentement que des
chameliers, est d’une trentaine de kilomètres[52].
Le
nombre de jours que l’on passe à camper dans un endroit quelconque
varie (comme dans le Livre de Mormon) en fonction des circonstances.
« La durée moyenne pendant laquelle un camp bédouin de grandeur
ordinaire reste au même endroit est de dix à douze jours », selon
Jennings Bramley, qui observe néanmoins: « J’en ai connu qui
restaient en un seul endroit jusqu’à cinq ou six mois[53]. » Ce
que l’on fait ordinairement, c’est camper le plus longtemps
possible dans un endroit donné jusqu’à ce que « il soit souillé
par les animaux, que la multiplication des puces devienne intolérable
et que les environs n’offrent plus de pâture, [alors] on démonte
les tentes, et les hommes décampent[54] ». Selon Burckhardt, « sur
la plaine syrienne et arabe, les Bédouins campent en été... près
des puits, où ils restent souvent pendant tout un mois »[55]. La
répartition du temps de Léhi semble donc être assez normale, et
les huit années qu’il lui a fallu pour traverser l’Arabie ne
révèlent une progression ni très rapide ni très lente – il
fallut vingt-sept ans aux Bani Hilal pour parcourir une distance qui
n’était pas beaucoup plus grande. Après être arrivé au bord de
la mer, le peuple de Léhi y campa tout simplement « pendant de
nombreux jours » (1 Néphi 17:7) jusqu’à ce qu’une révélation
le mette de nouveau en mouvement.
Le
problème des bagages
Les
hommes de Léhi étaient-ils des nomades âniers ou des nomades
chameliers? Indubitablement des nomades chameliers. L’époque
l’exigeait, et c’est tout juste si le Livre de Mormon n’insiste
pas pour le dire. Mais avant de considérer les preuves, il serait
bon de corriger la théorie, parfois avancée, que le groupe est allé
à pied.
Lorsqu’il
désigne un homme pour une tâche, le Seigneur lui donne le moyen de
l’exécuter, comme Néphi lui-même le fait remarquer, et il avait
en effet donné d’amples moyens à Léhi. La vue d’un riche
marchand et de sa famille se mettant en route pour le désert avec
une caravane, même d’une certaine splendeur, n’aurait jamais
éveillé le moindre commentaire chez les voisins de Léhi.
Burckhardt décrit, comme si c’était la chose la plus naturelle du
monde, la caravane d’un riche marchand venu de Mascate devant
laquelle il passe en plein désert: « Il avait dix chameaux pour
porter ses femmes, ses petits enfants, ses serviteurs et ses
bagages[56]. » Léhi devait être quelqu’un de ce genre-là. Mais
il aurait été aussi impensable à l’époque que maintenant qu’un
Hébreu âgé et aristocratique se charge, lui, sa femme et ses
enfants, de tentes, d’ustensiles, d’armes, de nourriture et
d’autre matériel. « Sans le chameau, écrit une autorité
moderne, il serait impossible aux nomades de porter leurs tentes et
leur mobilier à travers les immenses espaces sablonneux où les ânes
ne peuvent passer qu’avec difficulté et ne porter qu’une très
petite charge[57]. » L’indice décisif, c’est le fait que le
groupe de Léhi emmena des graines, « toutes sortes de semences, de
toute espèce » (1 Néphi 8:1). Les Arabes, comme nous le verrons
ci-après, font cela lorsqu’ils émigrent pour de bon, emballant
les semences dans de gros sacs noirs de soixante-quinze à
quatre-vingt-dix kilos, deux par chameau. Au grand minimum, il doit y
avoir au moins assez de grain, soit pour faire quelque part une
récolte qui en vaut la peine, soit pour fournir une nourriture
substantielle en chemin – et qui pourrait porter pareil fardeau sur
son dos ? Pour traverser le cœur de l’Arabie sur le meilleur
chameau du monde, il faut une endurance presque surhumaine –
inutile de rendre la chose ridicule en portant enfants, tentes,
livres, nourriture, mobilier, armes et grain sur son dos !
Raswan
nous dit que « les éleveurs de chameaux ne craignent pas les
étendues sans eau du désert comme le font les Arabes éleveurs de
moutons et de chèvres, et pour cette raison seuls les propriétaires
de chameaux restent indépendants et libres[58]. » D’autre part,
ils courent souvent le risque de mourir de faim, et lorsque nous
lisons que le peuple de Léhi courait constamment ce risque et
subvenait à ses besoins uniquement par la chasse, de sorte qu’un
arc brisé pouvait signifier la mort par inanition, nous pouvons être
sûrs que c’étaient des nomades chameliers sans troupeaux, comme
l’exigeait d’ailleurs leur fuite précipitée de Palestine. Parmi
la liste du matériel qu’ils emmenèrent avec eux, il n’est
jamais question de troupeaux, comme cela aurait été le cas s’ils
en avaient eu ; les « troupeaux… de toute espèce » (Éther 1:41)
des Jarédites viennent toujours au premier rang de la description de
leur émigration, et nous pouvons considérer sans risque de nous
tromper que le silence de Néphi sur ce chapitre révèle que son
peuple ne voyageait pas comme un peuple de bergers.
Mais
Néphi ne parle pas non plus de chameaux. Pourquoi pas? Pour la
simple raison qu’on ne parle pas non plus d’eux dans beaucoup de
poèmes arabes qui décrivent des voyages dans le désert, et ce
simplement parce qu’on considère leur utilisation comme évidente.
En Orient, les mots ordinaires pour le voyage sont des termes de
chameliers; ainsi rahal et safar, les deux mots de base, signifient
tous deux « partir en voyage » et aussi « seller un chameau », la
présence des chameaux étant sous-entendue lorsque on n’en parle
pas spécialement. Lorsque je dis que je suis allé de Heber à Salt
Lake City, il ne viendra à l’idée de personne de demander si
c’était « en voiture ». Bien que, autant que le sachent mes
auditeurs, j’aurais très bien pu y aller en chariot ou en
tricycle. De même lorsque l’Arabe dit qu’il a voyagé dans le
désert, il n’ajoute jamais « à dos de chameau », car dans sa
langue « voyager » signifie aller à dos de chameau. Si le groupe
de Léhi était allé à pied, cela aurait été en effet une
merveille des mille et une nuits, et il y aurait été fait allusion
à toutes les pages – car on n’a jamais vu ni entendu parler de
pareille chose avant ou depuis son temps. Mais lorsque le chameau est
le seul moyen de transport, il est aussi inutile de parler de
chameaux quand on décrit un voyage que de spécifier qu’on
parcourt les mers « en bateau ». Il y a cependant un épisode dans
lequel les chameaux jouent un rôle bien déterminé dans le Livre de
Mormon.
Depuis
leur camp de base de la vallée de Lémuel, les fils de Léhi firent
un voyage-éclair à Jérusalem. Ce furent les jeunes gens seuls qui
firent ce voyage, qui se révéla être, comme il s’y attendaient
(1 Néphi 3:5), dangereux. Or il est de coutume chez les Arabes que
quelques jeunes gens d’une tribu recherchent le gain et la gloire
en faisant des raids rapides sur les localités et les tribus
voisines. Dans de telles expéditions, ils n’emportent jamais de
tentes, car leur transport est limité, et la vitesse est
essentielle[59]. Néphi veut que nous sachions que ce voyage à
Jérusalem n’était pas un raid de ce genre, car ils allaient pour
des affaires légitimes et emmenaient leurs tentes (1 Néphi 3:9);
ils entrèrent hardiment et ouvertement chez Laban et dirent pourquoi
ils étaient venus. Ce n’est que lorsqu’il les traita de brigands
qu’ils furent obligés d’agir comme tels, sortant furtivement,
comme de vrais Bédouins, par les portes et n’entrant dans la ville
que la nuit.
Un
épisode typiquement oriental de cette histoire est la poursuite
effrénée hors de la ville et dans le désert – combien
d’expéditions de héros bédouins en ville ne se sont pas
terminées de cette façon ! « Je te chasse et tu me chasses » :
telle est, s’il faut en croire Philby, l’essence de la tactique
du désert[60]. À propos de cette chasse mouvementée, Néphi
rapporte (1 Néphi 3:27): « Et nous nous enfuîmes dans le désert,
et les serviteurs de Laban ne nous rattrapèrent pas, et nous nous
cachâmes dans la cavité d’un rocher. » Notez qu’ils furent
poursuivis jusqu’à l’intérieur du désert, car en arrivant au
désert ils n’étaient pas en sécurité, mais durent se cacher
sous un rocher. Les jeunes gens auraient pu fuir sur une courte
distance à pied dans la ville, mais fuir « dans le désert » était
une autre affaire; ils y auraient rapidement été rattrapés par des
cavaliers, à moins d’échapper tout d’abord à leurs regards,
mais Néphi nous dit qu’ils ne se cachèrent qu’après avoir semé
leurs poursuivants, qui ne réussirent pas à les rattraper. Le
puissant et opulent gouverneur militaire avait certainement une
écurie de destriers capables de rattraper un chameau, mais avec la
fuite soudaine des frères, on n’aurait pas eu le temps de les
seller – un ancien poète et roi arabe, Imrul-Qais, parle d’un
cheval phénoménal qui « passait la nuit avec une selle et une
bride sur lui... sans qu’on l’envoie à l’étable[61] ». Mais
les autres chevaux, y compris ceux de Laban, avaient besoin de plus
d’attention et perdaient plus de temps à se mettre en route, et
nous pouvons dire sans crainte de nous tromper que les poursuivants
aussi bien que les poursuivis montaient les chameaux habituels. Quant
aux chances que Néphi et ses frères aient monté des chevaux, elles
sont minces, car le cheval ne peut supporter de fardeaux dans le
désert, et même les Arabes éleveurs de chevaux montent rarement
leurs animaux pour de longs voyages mais, lorsque c’est possible,
les emmènent entravés à leurs chameaux, sans cavalier ni fardeau.
Raswan en donne beaucoup d’illustrations.
L’utilisation
des chameaux est sous-entendue à chaque tournant de l’histoire de
la mission chez Laban: Le transport sinon insensé de tentes, le
voyage à la campagne pour ramener vers le palais de Laban « des
biens extrêmement grands » (1 Néphi 3:25) (vraisemblablement pas
sur leurs épaules !), la fuite en terrain découvert et la poursuite
dans le désert, et finalement le long voyage de retour
nécessairement hâtif (car ils étaient signalés, et il se pouvait
que la direction de leur fuite ait été remarquée), vers le camp de
base secret. Tout comme les saints qui avaient le moyen de l’éviter
ne traversèrent jamais les plaines à pied, de même nous
considérerions les fils de Léhi comme bien sots s’ils ne
profitaient pas du moyen de transport courant que tout le monde
utilisait, car les chameaux étaient alors aussi courants que les
autos aujourd’hui.
Le
problème de la nourriture
Il
n’y a pas bien longtemps de cela, le professeur Frankfort écrivait
à propos du désert du sud: « Le secret des déplacements dans sa
désolation a toujours été gardé par les Bédouins[62]. »
Cependant, des explorateurs intrépides de notre temps ont appris ce
secret, et Léhi le connaissait aussi. La déclaration que Léhi, sur
ordre divin, « nous conduisait dans les parties plus fertiles du
désert » (1 Néphi 16:16) est comme une illumination soudaine.
Woolley et Lawrence disent de ces « parties plus fertiles »
qu’elles « s’étirent sur le sol plat de la plaine en longues
lignes semblables à des haies ». Ce sont les dépressions de cours
d’eau desséchés, longues parfois de centaines de kilomètres[63].
Elles constituent, selon Bertram Thomas, « Ies artères de la vie
dans la steppe, le sentier des mouvements bédouins, l’habitat des
animaux en raison de la végétation – aussi rare qu’elle soit –
qui ne fleurit que dans leurs lits[64] ». En Arabie, c’est cette
pratique qui consiste à suivre « les parties plus fertiles du
désert » (1 Néphi 16 :16) qui seule permet aux hommes et aux
animaux de survivre. Cheesman appelle « touring » la pratique
adoptée par les hommes et les animaux d’aller d’un endroit à
l’autre dans le désert à mesure que les coins de fertilité se
déplacent avec les saisons[65].
L’Arabe
à la recherche de provisions est éternellement occupé à rôder, à
partir en éclaireur, à suivre à la trace et à espionner; en fait,
certaines personnes croient que la racine originelle des noms Arabe
et Hébreu est une combinaison de sons signifiant « être en
embuscade ». « Tout Bédouin est sportif tant par goût que par
nécessité », écrit un observateur, qui explique comment, dans de
grandes familles, certains jeunes gens sont envoyés en détachement
pour passer tout leur temps à chasser[66]. Néphi et ses frères
s’occupent de chasser à plein temps et, dans ces fonctions,
révèlent l’existence de la tradition du désert dans la famille,
car Néphi avait amené de chez lui un excellent arc d’acier. Nous
reparlerons de l’acier lorsque nous traiterons de l’épée de
Laban, mais il faut d’ores et déjà noter qu’un arc d’acier
n’était pas nécessairement un morceau de métal massif, pas plus
que les « chars de fer » (Josué 17:16-18 ; Juges 1:19 ; 4:3) des
Cananéens n’étaient en fer massif ou que divers instruments
mentionnés dans l’Ancien Testament comme étant « de fer », par
exemple les instruments de menuisier ou les instruments de battage
n’étaient en fer et en fer seulement. C’était, selon toute
probabilité, un arc renforcé par de l’acier, puisqu’il se casse
vers le moment où les arcs de bois de ses frères perdent « leur
ressort » (1 Néphi 16:21). On ne se servait, en Palestine, que
d’arcs composites, c’est-à-dire d’arcs de plus d’une pièce,
et on appelait arc d’acier un arc renforcé d’acier tout comme on
appelait « char de fer » un char renforcé de fer. À ce propos,
le fondateur de la dynastie turque des Seldjoucides en Iran
s’appelait Yaqaq, ce qui veut dire en turc « un arc fait de
fer[67] ». Le fait que « Flèche de fer » était un nom assez
courant dans ces populations et désigne effectivement une flèche à
pointe de fer est une forte indication que le nom Arc d’acier
puisse aussi désigner une arme réelle.
Aujourd’hui
encore la chasse dans les montagnes d’Arabie se fait à pied et
sans faucons ni chiens. À l’époque classique, le chasseur de
cette région était équipé d’un arc et d’une fronde –
exactement comme Néphi[68]. La découverte de Néphi que le meilleur
terrain de chasse ne se situait que « au sommet de la montagne » (1
Néphi 16:30) est confirmée par des expériences ultérieures, car
l’oryx est « un animal farouche, qui se déplace loin et
rapidement dans la steppe et le désert à la recherche de
nourriture, mais se réfugie toujours dans les montagnes
sablonneuses presque inaccessibles[69] ». En Arabie occidentale, les
montagnes ne sont pas de sable mais de roc, et Burckhardt rapporte
que « dans ces montagnes entre Médine et la mer, sur toute
l’étendue en direction du nord (et ceci comprend fatalement le
secteur de Léhi), on rencontre des chèvres de montagne, et les
léopards ne sont pas rares »[70]. Julius Euting nous a laissé des
descriptions frappantes des dangers, de l’excitation et de
l’épuisement qui accompagnent la chasse au gros gibier, abondant
dans ces montagnes, lesquelles sont, soit dit en passant, très
escarpées et accidentées[71].
Les
perspectives étaient sombres lorsque Néphi brisa son bel arc
d’acier, car les arcs de bois de ses frères avaient « perdu leur
ressort » (1 Néphi 16:21), et quoique habiles dans l’art de la
chasse, ils ne savaient pas grand chose de la fabrication des arcs,
ce qui est une technique réservée aux spécialistes, même parmi
les primitifs. Soit dit en passant, les experts du tir à l’arc
disent qu’un bon arc garde son ressort pendant environ cent mille
coups; on peut en déduire qu’au moment de la crise, le groupe
voyageait depuis un à trois ans. Il était évidemment hors de
question de faire un arc composite d’acier et ce fut quasiment un
miracle que Néphi put faire « un arc dans du bois » (1 Néphi
16:23), car il ne viendrait jamais à l’idée d’un chasseur, le
plus conservateur de tous les hommes, de passer d’un arc composite
à un simple arc. Bien que cela ait l’air tout simple lorsqu’on
le lit, c’était un exploit presque aussi grand pour Néphi de
faire un arc que de faire un bateau, et c’est à juste titre qu’il
est fier de sa réalisation.
Selon
les anciens écrivains arabes, le seul bois pour des arcs que l’on
puisse obtenir dans toute l’Arabie c’était le nab’ qui ne
poussait que « parmi les pics inaccessibles et en surplomb » du
mont Jasum et du mont Azd, qui se situent dans la région même où,
si nous suivons le Livre de Mormon, se produisit l’incident de
l’arc brisé[72]. Combien de facteurs doivent être correctement
conçus et coordonnés pour donner un ton de vérité à l’histoire
apparemment simple de l’arc de Néphi ! La haute montagne proche de
la mer Rouge à une distance considérable le long de la côte, le
gibier sur les pics, la chasse avec arcs et frondes, la découverte
de bois pour arcs considérée comme une espèce de miracle par le
groupe – quelles sont les chances de reproduire pareille situation
au jugé ?
Pour
ce qui est du grain transporté par Léhi, il ne devait pas être
mangé en cours de route, car c’étaient « des semences de toute
espèce » (1 Néphi 16:11), souci de variété inutile si l’on
n’avait pas l’intention de les semer. Bien que « les voyageurs
ordinaires n’emportent pour ainsi dire jamais de grain pour leur
nourriture » dans le désert[73], il est de pratique courante chez
les Bédouins migrateurs d’emporter des semences, dans l’idée –
parfois bien vague – que peut-être, si l’année est bonne, ils
trouveront l’occasion de faire des semailles hâtives. Au Sinaï, «
Ies Bédouins ensemencent annuellement les lits des oueds, mais ils
le font avec peu d’espoir de faire plus d’une récolte en trois
ou quatre ans[74] ». Léhi, à la recherche d’une terre promise,
ne se serait en aucun cas mis en route sans de telles provisions pour
assurer des cultures dans sa nouvelle patrie. Au cours des voyages «
le blé est mis dans les sacs en poil de chèvre noir que l’on fait
soi-même, les farde(t)… Le farde, hébreu sak (Genèse 42:25),
contient environ soixante-quinze à quatre-vingt-dix kilos de blé.
On en met deux sur un chameau[75] ». La mention de cette coutume
dans la Genèse montre que c’était un usage antique, même à
l’époque de Léhi.
[1]
W. E. Jennings-Bramley, « The Bedouins of the Sinaitic Peninsula »,
PEFQ, 1906, p. 106 et 1907; p. 281.
[2]
Frank E. Johnson, tr., Al-Mucallaqat, Bombay, Education Society’s
Steam Press, 1893, pp. 17-18, lignes 46-49; 42-44, lignes 34, 40-41;
106-7, lignes 40-43; 175-76, lignes 25-28; W. Ahlwardt, Sammlungen
alter arabischer Dichter, Berlin, Reuther & Reichard, 1903; dans
vol. 2, nos. 3:21-38; 5:58-63; 12:24-26; 15:4049; 22:1-45; 30:9-11* ;
31:47-80*; 40:51-69*; dans vol. 3, nos. 1; 10:37-56; 16:28-44;
18:33-44; 25:91-115; 27:29-36; 31-1-26; 33:48-77; 34:9-36; 40:114;
54:57-77; 55:34-66; 58:44-65. Tous les passages marqués d’un
astérisque dans le vol. 2, et tous les passages donnés au vol. 3,
parlent de brouillards déplaisants dans le désert. D’autres
poètes sont cités dans Carl Brockelmann, Geschichte der arabischen
Litteratur, Leiden, Brill, 1943, pp. 10, 16-17, 19-22, 54, 91.
[3]
Toute la section sur les « Voyages », dans Kabir al-Din Ahmad &
Gholam Rabbani, dir. de publ., The Diwan Hammasah of Abu Tammam,
Calcutta, n. p., 1856, pp. 206-9, est consacrée à l’épuisement
et à la terreur des voyages dans le noir. Le brouillard de ténèbres
est mentionné dans presque tous les passages donnés dans la note
précédente.
[4]
Dans le pays situé entre l’Égypte et la Palestine, selon Sir
Charles Warren, « Notes on Arabia Petraea and the Country Lying
between Egypt and Palestine », PEFQ 1887, p. 44, « pendant les mois
de novembre, décembre et mars, il y a souvent des brouillards
denses... Ces brouillards dépendent du vent et alternent souvent
avec d’intenses sécheresses. » Harry S. J. B. Philby, The Empty
Quarter, New York, Holt, 1933, pp. 96, 134, 183, rapporte le même
phénomène dans la partie la plus désertique du sud de l’Arabie :
« Un épais brouillard s’abattit sur le sol et effaça le paysage
après le lever du soleil… Tout était encrassé par le sable, et
le soleil était faible à l’extrême… Une brise légère du
nord, froide et moite, éventait doucement un brouillard épais et
humide... »
[5]
Ahlwardt, Sammlungen alter arabischer Dichter, 2, n° 1.
[6]
Edward J. Byng, The World of the Arabs, Boston, Little, Brown, 1944,
pp. 64-65.
[7]
Lucy Mack Smith, History of Joseph Smith, Salt Lake City, Bookcraft,
1958, pp. 47-50. Le songe ne doit pas être examiné minutieusement,
puisque ce n’est que le souvenir qu’a sœur Smith d’un rêve
qui lui fut raconté 34 ans plus tôt, voir « Introduction », pp.
vii et ix.
[8]
Par exemple, al-Buhturi, cité dans Brockelmann, Geschichte der
arabischen Litteratur, p. 88; cf. Lebid, cité dans id., p. 55.
Maydan signifie à la fois « champ vaste et spacieux » et « vie
ample » en arabe.
[9]
« Le spectacle d’une oasis du désert, avec ses cours d’eau
jaillissant miraculeusement de nulle part et se déversant peut-être
de nouveau dans les sables du désert. » James L. Montgomery,
Arabia and the Bible, Philadelphie, University of Pennsylvania
Press, 1934, p. 6.
[10]
E. A. Wallis Budge, The Chronography of Bar Hebraeus, Londres, Oxford
University Press, 1932, 1:167.
[11]
Charles M. Doughty, Travels in Arabia Deserta, Londres, Cape, 1926,
2:229.
[12]
Montgomery, Arabia and the Bible, p. 85.
[13]
« Notre mot ‘rivière’ est une manière imparfaite de rendre
l’idée », mais puisque nous n’avons pas d’autre mot en
français, le Livre de Mormon doit l’utiliser. Richard F. Burton,
Pilgrimage to Al-Medinah and Meccah, Londres, Tylston & Edwards,
1893, 1. 250, n. 2.
[14]
P. ex., Al-Ajjaj, dans Ahlwardt, Sammlungen alter arabischer Dichter,
2, no. 1; Theodor Nöldeke, Delectus Veterum Carminum Arabicorum,
Berlin, 1890, p. 111 ; Psaume 1:6 en est un autre exemple.
[15]
En ce qui concerne la présence de ces canyons dans les déserts de
Léhi, voir Burton, Pilgrimage to Al-Medinah and Meccah, 1:207
décrivant « des murailles titanesques, tout en haut des donjons,
d’immenses bastions en surplomb et des fossés pleins d’une ombre
profonde. » Voir « Note sur les rivières », dans le texte
ci-dessous.
[16]
Dans Ahlwardt, Sammlungen alter arabischer Dichter, 3, n° 1.
[17]
Nöldeke, Delectus Veterum Carminum Arabicorum, p. 95, Brockelmann,
Geschichte der arabischen Litteratur, pp. 19, 21 ; Johnson,
Al-Mucallaqat, p. 188, ligne 61.
[18]
William F. Albright, « A Brief History of Judah from the Days of
Josiah to Alexander the Great », BA 9, février 1946, p. 4.
[19]
Philip J. Baldensperger, « The Immovable East », PEFQ, 1922, pp.
170-71.
[20]
C. Leonard Wooley et Thomas E. Lawrence, The Wilderness of Zin,
Londres, J. Cape, 1936, p. 34.
[21]
William F. Albright, Archaeology and the Religion of Israel,
Baltimore, Johns Hopkins Press, 1942, p. 101.
[22]
Diodore XIX, 94, 100.
[23]
Antonin Jaussen, « Mélanges », RB 3, 1906, p. 95.
[24]
Dans la version qu’il a publiée dans l’Improvement Era, Nibley
poursuit: « Pour ce qui est de la fuite de Léhi dans le désert, le
Livre de Mormon fait preuve d’un jugement sans faille dans le
moindre détail: la façon dont il s’enfuit est rigoureusement
conforme aux meilleures conventions et il prend ce que nous savons
être la seule direction qu’il aurait pu prendre. » Hugh W.
Nibley, « Lehi in the Desert », IE 53, 1950, p. 202. Il est clair
qu’à cette date toutes les autres routes auraient été fermées;
le danger suprême viendrait évidemment du nord. Voir John L. Myres,
« God and the Danger from the North in Ezekiel », PEFQ, 1932, pp.
213-15. Tandis que le désert du sud restait ouvert, jusqu’à la
fin, certaines colonies juives qui s’y trouvaient « semblent avoir
complètement échappé à la destruction. » Albright, « A Brief
History of Judah from the Days of Josiah to Alexander the Great »,
p. 6.
[25]
Albright, « A Brief History of Judah from the Days of Josiah to
Alexander the Great », pp. 4-5. La précédente version de « Lehi
in the Desert », p. 202, notait: « C’est dans cette région que
nous avons localisé dans un précédent article de l’Era quelques
noms importants du Livre de Mormon, sans nous rendre compte à
l’époque que ces noms appartenaient aux descendants des
contemprains de Léhi. » Hugh Nibley, « The Book of Mormon as a
Mirror of the East », IE 51, 1948, pp. 202-204.
[26]
Stephen L. Caiger, Bible and Spade, Londres, Oxford University Press,
1936, p. 188.
[27]
Montgomery, Arabia and the Bible, p. 15.
[28]
Carl R. Raswan, Drinkers of the Wind, New York, Creative Age Press,
1942, illustre cette rencontre de la ville et du désert.
[29]
« La souche hébraïque était à l’origine apparentée aux tribus
de l’est et du sud de la Palestine-Syrie, et surtout vers le sud...
L’entreprise maritime par excellence que poursuivait la politique
judéenne était le développement de la route de la mer Rouge (p.
ex. 1 Rois 9:26 et suiv.); c’est dire que les perspectives
commerciales de l’Etat étaient tournées vers l’Arabie »
Montgomery, Arabia and the Bible, pp. 12, 51-52, 185.
[30]
Stewart Perowne, « Notes on I Kings, Chapter X, 1-1 3 », PEFQ,
1939, p. 200.
[31]
Woolley et Lawrence, The Wilderness of Zin, p. 11.
[32]
« Il est, pensons-nous, à la fois naturel et correct de supposer
qu’à toutes les époques de l’histoire de l’homme, le désert
du sud a été, à peu de chose près, le désert qu’il est
aujourd’hui », id., p. 36.
[33]
Id., p. 37.
[34]
1 Néphi 2:6, 3:1, 4:38; 7:5, 7:21; 9:1, 10:16, 16:6.
[35]
Taufik Canaan, « The Palestinien Arab House », JPOS 12, 1932, p.
255.
[36]
Georg Jacob, Altarabisches Beduinenleben Berlin, Mayer & Müller,
1897, p. 226.
[37]
Caiger, Bible and Spade, p. 181.
[38]
John L. Burckhardt, Notes on the Bedouins and Wahabys, Londres,
Colburn & Bently, 1831; réimprimé New York, Johnson Reprint,
1967 1:127.
[39]
Jaussen, « Mélanges », pp. 93-94. Si une femme veut divorcer de
son mari, elle retourne tout simplement la tente de celui-ci. Jacob,
Altarabisches Beduinenleben, p. 212.
[40]
Philip J. Baldensperger, « Tent Life », PEFQ 1923, p. 179.
[41]
Canaan, « The Palestinian Arab House », JPOS 13, 1933, p. 57.
[42]
William B. Seabrook, Adventures in Arabia, New York, Harcourt, 1927,
p. 6; cf. Grace M. Crowfoot, « The Tent Beautiful », PEFQ (1945),
pp. 34-46.
[43]
« Ceux qui sont dans les cabanes voisines rergardent, une fois que
le jour est levé, si le harem du shaykh replie sa tente ; quand ils
le voient, c’est la rahla » Doughty, Travels in Arabia Deserta,
1:257. De même, quand le cheik dresse sa tente, tous l’imitent
sans discuter, la tente du chef étant pour ainsi dire le tabernacle
qui les conduit dans le désert. On se souviendra que le Liahona a
été découvert à l’entrée de la tente de Léhi. Il est à noter
que même le cheik le plus riche « n’a jamais plus d’une tente
», selon Burckhardt, Notes on the Bedouins and Wahábys 1:42,
parlant des Aneze. Dans sa version pour le magazine, Nibley conclut :
« Il n’est pas rare, en Orient, que les riches de la ville et de
la campagne s’en aillent un certain temps dans le désert, ce qui
veut dire que Léhi ne faisait absolument rien d’impossible ou
d’extraordinaire ; bien entendu, les gens qui font cela sont ceux
qui ont déjà pas mal d’expérience du désert et y ont pris goût.
» Hugh W. Nibley, « Lehi in the Desert », p. 276. Ainsi, un cheik
aisé “passe l’hiver dans sa ‘maison de pierre’ et l’été
dans sa ‘maison de poils’ » Jaussen, « Mélanges », JPOS 13,
1933, p. 55.
[44]
Canaan, « The Palestinian Arab House », JPOS 13, 1933, p. 55.
[45]
Frederic D. Thornton, Elementary Arabic, Cambridge, Cambridge
University Press, 1943, p. 156.
[46]
Max von Oppenheim, Die Beduinen, Leipzig: Harrassowitz, 1939, 1:28.
[47]
Claude S. Jarvis, « The Desert Yesterday and To-day », PEFQ 1937,
122.
[48]
Doughty, Travels in Arabia Deserta, 1:259.
[49]
William G. Palgrave, Narrative of a Year’s Journey Through Central
and Eastern Arabia, Londres, Macmillan, 1865, 1:12-13.
[50]
Robert E. Cheesman, In Unknown Arabia, Londres, Macmillan, 1926, pp.
27, 52.
[51]
William J. T. Pythian-Adams, « The Mount of God », PEFQ 1930, 199.
[52]
Albright, Archaeology and the Religion of Israel, 97.
[53]
Jennings-Bramley, « The Bedouin of the Sinaitic Peninsula », PEFQ
1907, 30.
[54]
Baldensperger, « The Immovable East », PEFQ 1923, 180.
[55]
Burckhardt, Notes on the Bedouins and Wahábys, 1:227-28.
[56]
John L. Burckhardt, Travels in Arabia Londres, Colburn, 1829;
réimpression Londres, Cass, 1968, p. 402
[57]
Baldensperger, « The Immovable East », PEFQ 1922, p. 163.
[58]
Raswan, Drinkers of the Wind, p. 129.
[59]
Burckhardt, Notes on the Bedouins and Wahábys, 1:157-60.
[60]
Philby, The Empty Quarter, pp. 229-30.
[61]
Johnson, Al-Mucallaqat, p. 26.
[62]
Henri Frankfort, « Egypt and Syria in the First Intermediate Period
», JEA 12 1926: 81.
[63]
Woolley & Lawrence, The Wilderness of Zin, 32.
[64]
Bertram Thomas, Arabia Felix, New York, Scribner, 1932, p. 141.
[65]
Cheesman, In Unknown Arabia, pp. 338-39.
[66]
W. E. Jennings-Bramley, « Sport among the Bedawin », PEFQ,1900
[67]
Ibn ‘Ali al-Husayni, Akhbar ‘al-Dawla al-Saljuqiyya Lahore,
University of the Panjab, 1933, p. 1.
[68]
Baldensperger, « The Immovable East », PEFQ 1925, pp. 82-90.
[69]
Philby, The Empty Quarter, p. 249
[70]
Burckhardt, « Travels in Arabia », p. 403.
[71]
Julius Euting, Tagebuch einer Reise in Inner-Arabien, Leiden, 1892,
2:76-80, 92-93.
[72]
Jacob, Altarabisches Beduinenleben, pp. 131-33. Le mont Jasum est
dans la région de La Mecque; le mont Azd, dans les monts Serat, est
plus au sud, mais également près de la côte.
[73]
Jennings-Bramley, « The Bedouin of the Sinaitic Peninsula », PEFQ
1907, p. 284.
[74]
Id., PEFQ 1914, p. 9.
[75]
Baldensperger, « The Immovable East », PEFQ 1923, p. 181
CHAPITRE
QUATRE : Coutumes et lieux du désert
L’autel
de Léhi
Le
premier acte de Léhi, une fois sa tente dressée pour son premier
camp important, fut de construire « un autel de pierres, [de faire]
une offrande au Seigneur et [de rendre] grâces au Seigneur... » (1
Néphi 2:7), à croire qu’il avait lu Robertson Smith : « Le signe
artificiel ordinaire d’un sanctuaire sémitique (c’est-à-dire
aussi bien hébreu qu’arabe) est le pilier du sacrifice, tumulus de
pierres, ou autel grossier... sur lequel on présente des sacrifices
au dieu... En Arabie… nous ne trouvons pas d’autel proprement
dit, mais à sa place un pilier grossier ou entassement de pierres à
côté duquel on met à mort la victime[1]. » C’est à ce même «
autel de pierres » que Léhi et sa famille « offrirent au Seigneur
un sacrifice et des holocaustes ... et ils rendirent grâces au Dieu
d’Israël » (1 Néphi 5:9), après le retour à bon port de ses
fils de leur dangereuse expédition à Jérusalem. Lorsque Raswan
rapporte: « On amena un petit de chameau à la tente de Misha’il
comme offrande sacrificatoire en l’honneur du retour sain et sauf
de Fouaz[2] », nous ne pouvons nous empêcher de penser à une scène
de ce genre devant la tente de Léhi lors du retour à bon port de
ses fils. C’est ce que les Arabes appellent un dhabihat-al-kasb,
sacrifice pour célébrer le retour couronné de succès de
guerriers, de chasseurs et de maraudeurs dans le camp. « Ce
sacrifice, écrit Jaussen, est toujours en l’honneur d’un
ancêtre[3] », et Néphi mentionne à deux reprises l’ancêtre
tribal, Israël, dans son court récit. Exactement à la manière du
désert, Léhi, immédiatement après les rites d’actions de
grâces, se met à examiner le « butin » (1 Néphi 5:10).
Aujourd’hui
encore, le Bédouin fait des sacrifices à toutes les occasions
importantes, pas pour des raisons magiques ou superstitieuses, mais
parce qu’il « vit sous l’impression constante d’être entouré
par une force supérieure...[4] ». St-Nil, dans le plus vieux récit
de témoin oculaire connu sur la vie chez les Arabes du Tih, dit: «
Ils sacrifient sur des autels de pierres grossières empilées les
unes sur les autres[5]. » Le fait que celui de Léhi était un
autel de ce genre découle non seulement de l’antique loi exigeant
des pierres non taillées (Exode 20:25), mais également de
l’expression du Livre de Mormon « un autel de pierres », qui
n’est pas la même chose qu’un « autel de pierre ». Ces petits
entassements de pierres, survivances de toutes les époques, sont
encore visibles un peu partout dans le désert du sud.
Contacts
dans le Désert
Le
Livre de Mormon ne mentionne aucune rencontre entre le peuple de Léhi
et un autre groupe au cours de leurs huit années d’errance. Les
rencontres accidentelles avec des familles de Bédouins errants ne
méritaient alors aucune attention particulière, pas plus que
maintenant, mais comment purent-ils éviter des contacts importants
pendant huit ans et quelque quatre mille kilomètres d’errance ?
Un
« à côté » révélateur de Néphi explique tout. Ce n’est que
lorsqu’ils furent parvenus au bord de la mer, dit-il, que son
peuple fut à même de faire du feu sans danger, « car le Seigneur
n’avait pas permis jusqu’alors que nous fassions beaucoup de feu,
durant notre voyage au désert, car il disait: « Je rendrai votre
nourriture tendre, pour que vous ne la cuisiez pas, et je serai aussi
votre lumière dans le désert... » (1 Néphi 17:12-13). Cela dit
tout. « Je me souviens bien, écrit Bertram Thomas, avoir pris part
à une discussion sur l’insalubrité des feux de camp la nuit; nous
les cessâmes immédiatement en dépit du froid piquant[6]. » Le
guide du major Cheesman ne lui permettait même pas d’allumer une
lampe minuscule pour noter des observations d’étoiles, et ils
n’osaient jamais faire du feu en terrain découvert, car il y «
attirerait sur de grandes distances l’attention de bandes de
maraudeurs en train de rôder et inviterait à une attaque de nuit[7]
». De temps à autre, dans une dépression favorablement abritée, «
nous osions faire un feu que l’on ne pouvait voir d’un endroit
plus élevé », écrit Raswan[8]. Ce qui veut dire que les feux ne
sont pas absolument hors de question, mais rares et risqués – pas
beaucoup de feu, telle était la règle de Léhi. Et les feux pendant
la journée sont presque aussi risqués que la nuit: Palgrave raconte
comment sa compagnie fut forcée, « de peur que la fumée de [son]
feu ne soit repérée par quelque pillard lointain, de [se] contenter
de dattes sèches », au lieu de nourriture cuite[9].
Bien
sûr, l’absence de feu signifie de la nourriture crue. Et que
doit-on faire lorsque le menu est de la viande ? « D’un bout à
l’autre du désert, écrit Burckhardt, lorsque l’on tue un mouton
ou une chèvre, les personnes présentes mangent souvent crus le foie
et les rognons, en y ajoutant un peu de sel. Certains Arabes du Yémen
ont la réputation de manger crues, non seulement ces parties, mais
également des tranches entières de viande, ressemblant ainsi aux
Abyssiniens et aux Druses du Liban [sic], qui consomment souvent de
la viande crue, ces derniers à ma connaissance certaine[10]. »
St-Nil, écrivant quatorze siècles plus tôt, raconte que les
Bédouins du Tih vivent de la viande d’animaux sauvages, à défaut
de quoi « ils abattent un chameau, une de leurs bêtes de bât, et
se nourrissent de cette viande crue comme des animaux », ou bien
saisissent rapidement la chair sur un petit feu pour l’attendrir
suffisamment afin de ne pas devoir la mâcher « comme des chiens
»[11]. Cet état de choses ne correspond que trop bien à la sombre
économie de Léhi: « Elles souffrirent beaucoup du manque de
nourriture » (1 Néphi 16:19). « Nous vivions de viande crue dans
le désert » (1 Néphi 17:2).
Tout
ceci emporte la conviction, soutenue à la fois par l’expérience
moderne et les preuves de l’archéologie, que Léhi se déplaçait
dans un monde dangereux. Dans les temps anciens, les marchands juifs
voyageant dans le désert tombaient si souvent entre les mains de
pillards bédouins qu’au commencement de l’ère chrétienne leur
mot pour « ravisseur » signifiait normalement tout simplement «
Arabe »[12] ! Des inscriptions arabes datant de l’ époque de Léhi
montrent que « dans la péninsule . . . il y avait une agitation
constante », tout comme à l’époque moderne[13]. Les temps
ordinaires dans le désert sont des temps mauvais lorsque, pour
employer les termes d’un des plus anciens poètes arabes, «
l’homme honorable n’osait pas rester en terrain découvert, et la
fuite ne sauvait pas le lâche... »[14]. « C’est une vie
solitaire, écrit Philby, ... une vie de peur constante ... la faim
est la règle du désert[15]. » La faim, le danger, la solitude, la
peur – le peuple de Léhi connut tout cela.
Quel
était le danger au fait ? « Les tribus arabes sont en état de
guerre presque perpétuel les unes contre les autres... Surprendre
l’ennemi par une attaque soudaine, et piller un camp, sont les
objectifs principaux des deux parties[16]. » « Pour eux, marauder
est le piment de la vie ... c’est le droit du plus fort, et l’homme
a constamment peur pour sa vie et ses biens[17]. » Léhi ne pouvait
guère se permettre de se laisser mêler à ces conflits éternels du
désert, et pourtant il était partout un intrus – pour lui, le
seul moyen d’éviter les ennuis, c’était d’observer une règle
qu’énonce Thomas pour tous ceux qui voyagent dans le désert, même
aujourd’hui: « Un groupe qui s’approche peut être ami, mais on
présume toujours qu’il est ennemi[18]. » Pour employer les
termes de l’antique poète Zuhair : « Celui qui voyage doit
considérer son ami comme un ennemi[19]. » Dans les descriptions de
St-Nil, les Bédouins en marche au cinquième siècle étaient
possédés par cette même nervosité froussarde et cette même
tension insupportable qui rendent si passionnante la lecture des
récits de Cheesman, Philby, Thomas, Palgrave, Burckhardt et autres.
Au moindre signe d’un homme armé, dit-il, son Bédouin fuyait, «
comme s’il était saisi d’une peur panique » et continuait à
fuir « car la peur les fait exagérer le danger et les amène à
s’imaginer des choses qui dépassent de loin la réalité,
augmentant leur terreur dans tous les cas[20] ». De même leurs
descendants modernes « vivent constamment sous l’impression qu’une
invasion est en route, et toute ombre ou mouvement suspect à
l’horizon attire Ieur attention », remarque finement
Baldensperger. Cet état d’appréhension presque hystérique est en
réalité une condition essentielle de survie dans le désert: « Un
Bédouin ne dit jamais son nom, dit l’auteur que nous venons de
citer, ni sa tribu, ni ce qu’il fait, ni le lieu où habitent les
siens, même s’il est dans une région amie… Ils sont et doivent
être très circonspects... un mot de trop peut causer mort et
destruction[21]. » Lorsque les Bani Hilal émigrent, c’est « à
la faveur des ténèbres de la nuit, du voile obscurcissant de la
pluie » passant, dans le noir et le silence, à côté des lieux
habités. Qu’est ce qui peut mieux décrire pareil état de choses
que l’expression du Livre de Mormon « un peuple solitaire et
solennel » (Jacob 7:26) ? Doughty disait qu’il n’avait jamais
rencontré d’homme « joyeux » chez les Arabes – et il n’y a
pas d’humour dans le Livre de Mormon. Ce tempérament n’est guère
accidentel: si l’Hébreu tire son humeur mausade de ses ancêtres
du désert, pourquoi pas les Lamanites?
Sir
Richard Burton, une des rares personnes qui aient à la fois connu
l’Indien américain et l’Arabe bédouin par expérience
personnelle, a été profondément impressionné par la parfaite
ressemblance des deux, une ressemblance si frappante qu’il se sent
obligé d’avertir son lecteur qu’il ne doit pas l’attribuer à
une origine commune, expliquant le parallélisme parfait de
tempérament et de comportement comme dus à « l’indépendance
presque absolue » de leur mode de vie[22]. Et pourtant beaucoup de
tribus tout aussi indépendantes dans d’autres parties du monde ne
ressemblent en aucune manière à ces deux-là. Un des meilleurs amis
de l’auteur est un Libanais vénérable mais entreprenant, qui a
passé de nombreuses années autant parmi les Bédouins du désert
que chez les Indiens du Nouveau-Mexique, comme colporteur et
marchand; il affirme qu’il n’y a absolument aucune différence
entre les deux races en ce qui concerne les us et coutumes. Les
Arabes vivant actuellement en Utah qui ont eu des contacts avec les
Indiens américains affirment la même chose en y insistant
fortement. Voilà un beau problème pour le sociologue, et nous n’en
parlons que parce que notre attention a été attirée là-dessus
d’innombrables fois. Il peut y avoir quelque chose là-dessous.
La
compagnie de Léhi, nous l’avons remarqué, était, comme les Bani
Hilal, intruse partout où elle passait. Le moindre centimètre carré
de désert est revendiqué par l’une ou l’autre tribu qui exige
la vie de tout intrus[23]. « Il n’existe pas d’indications de
frontières, et il est naturel que les questions de propriété
soient réglées par les armes, ce qui devient un événement annuel,
tandis que le pillage des chameaux devient une habitude », selon
Chessman[24]. De là la nécessité pour Léhi de faire preuve d’une
prudence extrême et d’éviter tout contact. « Dans la plupart des
cas, dit Jennings-Bramley, les Arabes ne croient pas qu’il soit
prudent de laisser les arrivants s’approcher suffisamment pour que
l’on puisse voir s’ils sont amicaux ou pas », et il décrit une
rencontre typique dans le désert: « Nous faisions, eux et nous, de
notre mieux pour ne pas être vus[25] ». Ce genre de chose conduit
évidemment à des situations comiques, des paniques honteuses et des
dénouements ridicules, mais quand on joue sa vie on ne peut tout
simplement pas prendre de risques, et l’enjeu de Léhi était des
plus élevés. Il nous reste donc l’image d’une troupe errante,
restant sombrement isolée des années d’affilée; ce qui, aussi
impossible que cela nous paraisse, est chose normale dans le désert,
où le Bédouin, susceptible, dangereux et insociable, apparaît
comme une des êtres les plus difficiles, les plus complexes et les
plus fascinants de la terre[26].
Affaires
de famille
Mais
comment les membres d’un groupe aussi fermé s’entendent-ils
entre eux ? C’est l’histoire domestique qui est la véritable
difficulté pour quiconque veut écrire une histoire de la vie
bédouine. Pour traiter de pareil sujet de manière convaincante, il
faudrait mettre à contribution les connaissances du meilleur
psychologue, et malheur à lui s’il ne connaît pas les coutumes
étranges du désert oriental, qui surprennent et prennent au piège
l’Occidental non averti à tous les tournants.
La
famille hébraïque ancienne était une organisation particulière,
indépendante et ne supportant aucune autorité extérieure à la
sienne: « Ce sont là de toute évidence les conditions mêmes,
écrit Nowack, que nous pouvons encore observer chez les
Bédouins[27]. » Ainsi donc, que nous allions puiser nos
informations aux sources hébraïques ou arabes, le Livre de Mormon
doit s’y conformer. Léhi n’éprouve aucun scrupule de conscience
à abandonner Jérusalem, et lorsque ses fils pensent à leur patrie,
c’est essentiellement au pays de leur héritage, à la propriété
familiale à laquelle ils aspirent. Même Néphi ne montre pas la
moindre loyauté envers les « Juifs qui étaient à Jérusalem » (1
Néphi 2:13), divisés comme ils l’étaient en groupes d’intérêts
en conflit. En fait, Néphi dit de son histoire que c’est le récit
de « [s]es actions, [s]on règne et [s]on ministère » (1 Néphi 10
:1), comme si la famille errante ne reconnaissait pas d’autre
gouvernement que celui de son propre chef. Cela rappelle les termes
qu’utilise un des tout premiers poètes bédouins, Ibn Kulthum pour
parler de « maint chef de tribu à qui celle-ci avait confié la
couronne de l’autorité et qui protège ceux qui cherchent refuge
auprès de lui », comme si tous les cheiks étaient véritablement
des rois[28].
De
son vivant, Léhi fut évidemment le cheik, et les rapports existant
entre lui et sa famille, tels que les décrit Néphi, sont exacts
dans le moindre détail. Avec la sûreté et la précision adroites
qui le caractérisent, le livre nous montre Léhi dirigeant – et
non pas gouvernant – son peuple uniquement par son éloquence
persuasive et son ascendant spirituel, tandis que ses fils suivent en
murmurant, exactement à la manière des Bédouins de Philby : « un
courant profond de tension dans nos rangs toute la journée » et de
grandes difficultés pour « apaiser leur âme mauvaise et
envieuse[29]. » « Nous quittâmes Suwaykah, dit Burton, tous d’une
humeur massacrante. Mes compagnons étaient tellement ‘mal
embouchés’ qu’au coucher du soleil, Omar Effendi, fut le seul de
tout le groupe à vouloir souper. Le reste s’assit par terre,
faisant la moue et ronchonnant... J’ai rarement vu, même des
Orientaux, jouer à ce point aux sales gosses... »[30].
La
personnalité et le comportement de Laman et de Lémuel sont calqués
sur le modèle normal. Comme ils sont bien bédouins, leurs longues
ruminations hargneuses et leurs dangereux éclats ! Comme ils
ressemblent parfaitement aux Arabes de Lawrence, de Doughty, de
Burton et des autres dans leurs revirements soudains et complets
après que leur père les a sermonnés, la colère ardente cédant
temporairement à une grande impulsion d’humilité et à un
repentir total, bientôt suivis d’un regain de ressentiment et de
nouvelles et tristes chamailleries ! Ils ne peuvent pas tenir leur
mécontentement pour eux, mais ne cessent pas un instant de «
murmurer » : « Le fait que tout ce qui arrive dans un camp est
connu, que l’on peut dire que tout est interdépendant, rend les
intrigues pour ainsi dire impossibles[31]. » « Nous ne faisions
qu’une seule famille, et tous les yeux étaient amicaux », se
rappelle Doughty, mais alors il décrit l’envers de la médaille: «
Les enfants arabes sont gouvernés par supplications… J’ai vu un
enfant au mauvais caractère frapper à coups de bâton sur le dos de
sa mère aimante… et les Arabes disent: ‘Nombreux sont les gamins
méchants parmi nous qui, s’ils sont suffisamment forts, battent
leur propre père[32] !’ » Le fait que Laman et Lémuel étaient
des enfants adultes n’arrangeait pas les choses. « Les querelles
quotidiennes entre parents et enfants dans le désert constituent le
pire trait de la mentalité bédouine », dit Burckhardt et il décrit
ainsi la source ordinaire des ennuis: « Le fils, arrivé à l’âge
adulte, est trop fier pour demander à son père du bétail ... le
père se sent blessé de voir que son fils le traite avec hauteur, et
c’est ainsi que souvent un fossé se creuse. » Le fils,
particulièrement l’aîné, estime qu’il ne reçoit pas ce qui
lui est dû et se conduit comme l’enfant gâté qu’il est.
L’attitude du père est décrite par Doughty, disant comment un
grand cheik traitait son fils: « Il réprimandait le garçon qui
désobéissait souvent, disant qu’il était le tourment de sa vie,
le traitant de Sheytan, mais ne le menaçant jamais, car pareille
chose serait étrangère à l’esprit d’un père bédouin[33]. »
Il est courant, dit Burckhardt, que mère et fils fassent bloc dans
leurs fréquentes querelles avec le « vieux », dans lesquelles le
fils « est souvent expulsé de la tente paternelle pour avoir
défendu la cause de sa mère[34] ». De la même façon, Sariah
prend fait et cause pour ses fils et réprimande son mari, formulant
contre lui les mêmes plaintes qu’eux (1 Néphi 5:2-3) et elle le
tance vertement quand elle pense qu’il a été la cause de leur
perte.
Faut-il
donc s’étonner que Laman et Lémuel donnent libre cours à leur
contrariété rentrée en battant leur frère cadet à coups de bâton
un jour qu’ils étaient cachés dans une caverne ? Tout homme libre
en Orient porte un bâton, insigne immémorial d’indépendance et
d’autorité; et tout homme affirme son autorité sur ses inférieurs
grâce à son bâton qui « montre que le détenteur est un homme
d’un certain rang, supérieur à l’ouvrier ou au journalier. Les
fonctionnaires du gouvernement, les officiers supérieurs, les
collecteurs d’impôts et les maîtres d’école utilisent cette
courte baguette pour menacer – ou si c’est nécessaire pour
battre – leurs inférieurs, quels qu’ils soient. » Cet usage est
très ancien. « Un coup pour un esclave », telle est l’antique
maxime à Ahikar, et le terme qui désigne un subalterne est
‘abd-aI-’asa, « serviteur du bâton ». C’est exactement dans
ce sens-là que Laman et Lémuel voulaient donner leur petite leçon
à Néphi, car lorsqu’il retourna la situation, l’ange leur dit:
« Pourquoi frappez-vous votre frère cadet avec un bâton ? Ne
savez-vous pas que le Seigneur l’a choisi pour être votre
gouverneur... ? (1 Néphi 3:29). La seule chose qui sauva un jour la
vie à Néphi, ce fut l’intervention d’une fille d’Ismaël et
de la mère de celle-ci – encore un coup de pinceau authentique –
puisque l’orgueilleux Sémite ne peut céder, sans perdre la face,
qu’aux supplications d’une femme: Burton raconte que même les
pillards épargnent une victime qui fait appel à eux au nom de sa
femme, la fille de son oncle[35]. Dans toute l’histoire, Laman,
fils aîné, est le plus méchant acteur: « Quand il n’y a qu’un
seul garçon dans la famille, il est le tyran et sa volonté domine
tout[36]. » C’est ainsi que nous voyons Laman toujours occupé à
vouloir dominer tout le monde et rendu furieux de ce qu’un frère
cadet montre des talents supérieurs. La rivalité entre ses fils «
mène souvent à des tragédies sanglantes dans la maison du cheik
»[37], et Néphi l’échappa belle plus d’une fois.
La
nature de l’autorité de Léhi est clairement révélée dans le
Livre de Mormon. À propos du cheik arabe, nous avons noté la
réflexion de Burckhardt: « Ses ordres seraient traités avec
mépris, mais on a de la déférence pour ses conseils. On peut dire
que le gouvernement réel des Bédouins consiste en la force séparée
de leurs familles respectives... L’Arabe ne peut être persuadé
que par sa famille... » On « n’obéit jamais aux ordres du cheik,
mais on suit généralement son exemple ». Ceci est particulièrement
vrai en voyage; lorsque la tribu est en route, le cheik « assume
toute la responsabilité et tout le pouvoir du gouvernement[38] ».
Cependant, quand il conduit, il ne donne pas d’ordres; lorsque sa
tente est démontée « c’est la rahlah » et les autres, sans mot
dire, démontent la leur; et « lorsqu’on arrive à l’endroit du
camp, le cheik enfonce sa lance dans le sol, et immédiatement on
monte les tentes[39] ».
C’est
dans la tente du cheik que se tiennent les conseils de la tribu et
que l’on prend toutes les décisions concernant le voyage (1 Néphi
9:1 ; 15:1-2), mais « un cheik ou un conseil d’Arabes ne peut pas
condamner un homme à mort, ni même infliger un châtiment ; il peut
seulement [lorsqu’on fait appel à lui], infliger une amende; il ne
peut même pas obliger au paiement de cette amende[40] ». Pourquoi
donc, s’il n’y avait aucun pouvoir pour les obliger, Laman et
Lémuel n’abandonnèrent-ils tout simplement pas le camp pour
partir tout seuls, comme le font parfois les Arabes mécontents[41] ?
En fait, c’est exactement ce qu’ils essayèrent de faire (1 Néphi
7:7) et à la fin ils en furent empêchés par les deux choses qui,
selon Philby, assurent la cohésion de tout groupe bédouin errant:
la peur et la cupidité. Car ils étaient cupides: ils espéraient
une terre promise et lorsqu’ils arrivèrent à la mer sans la
trouver, ils se plaignirent violemment: « Voici, ces nombreuses
années nous avons souffert dans le désert, temps pendant lequel
nous aurions pu jouir de nos possessions » (1 Néphi 17:21). Et
leur position était précaire: Néphi leur fit remarquer le danger
qu’il y avait à retourner à Jérusalem (1 Néphi 7:15), et où
iraient-ils s’ils abandonnaient leur père? Comme nous l’avons
vu, pour ces gens la famille était tout, et l’Arabe et le Juif
s’accrochent « aux leurs » parce qu’ils sont tout ce qu’ils
ont au monde[42]. La famille est l’organisation sociale, civile et
religieuse de base, avec, à sa tête, le père[43]. Être sans tribu
ni famille, c’est perdre son identité sur la terre; rien n’est
plus terrible que d’être « retranché », et c’est exactement
le sort qui est promis à Laman et à Lémuel s’ils se rebellent (1
Néphi 2:21). « Dans son pays, dit un proverbe arabe, le Bédouin
est un lion, hors de son pays c’est un chien[44]. »
Lorsque
le Seigneur a une tâche à accomplir, il choisit l’homme qui, par
son tempérament et sa formation, convient le mieux au travail.
Lorsque Moïse s’enfuit à Madian, il parcourut à pied les déserts
mêmes au travers desquels il allait plus tard mener les enfants
d’Israël, et il vécut et se maria parmi les gens du désert dont
il devait apprendre plus tard le mode de vie à son peuple[45]. Léhi
n’était pas moins préparé ou qualifié pour sa grande tâche:
richement doté de moyens et d’expérience, expert dans les
coutumes du désert, ferme, ingénieux, prudent et pondéré,
indépendant et ne se laissant pas intimider (1 Néphi 1:18-20,
2:1-4), ne provoquant jamais quoique terriblement provoqué lui-même,
il est l’exemple de ce que Philby disait dans un passage émouvant:
que seule la plus grande force de caractère chez un chef peut
permettre à un groupe de traverser en sécurité un dangereux
désert:
Il
y avait maintenant pas mal de jours que je supportais la friction
constante et inévitable entre mon objectif fixé et inaltérable et
le poids lourd de l’inertie nationale innée que le front uni de
mes compagnons mettait dans la balance contre moi. Pas à pas nous
nous étions de plus en plus éloignés de leurs foyers, mais chaque
pas n’avait été accompli qu’à la force du poignet, l’impulsion
d’un esprit décidé triomphant à chaque étape de la masse inerte
toujours prête à reculer devant tout objectif ardu[46].
On
aurait pu dire cela pour décrire l’exploit de Léhi. Si le
Seigneur l’avait souhaité, il aurait pu transporter toute la
colonie dans les airs; en réalité il voulait apparemment qu’elle
fasse le plus de choses possible d’elle-même avec un minimum
d’intervention miraculeuse. De tous les justes de Jérusalem, Léhi
seul fut choisi pour une tâche exigeant un ensemble de
qualifications et un degré de foi que peu d’hommes ont jamais
atteints. Mais quoique Léhi ne fût pas un homme ordinaire, il y a
un fait chez lui qui doit commencer à se dégager à ce stade de
notre étude: c’est que c’était une personne réelle, de chair
et d’os, dans une situation réelle, et pas un personnage
synthétique et exagéré tiré de l’imagination romantique et
évoluant sur le fond de décors fantasmagoriques que l’on croyait
autrefois représenter le fastueux Orient.
Personnalités
et couleurs de peau
Les
autorités orientalistes ont souvent observé que la personnalité
arabe et, dans une moindre mesure, la personnalité juive, sont
remarquables par leurs deux aspects : D’une part, le Sémite est
fondamentalement fier et noble, l’honorabilité incarnée, l’homme
de famille impeccable, le véritable ami, fidèle jusqu’à la mort;
et d’autre part, le vagabond vil et rusé, l’assassin subtil, le
compagnon dangereux et le gredin imprévisible. Toutes les pages de
Doughty mettent en évidence cet étrange paradoxe du personnage du
désert, qui a reçu son traitement classique au troisième chapitre
des Sept piliers de la Sagesse de Lawrence: de l’or pur mélangé
avec le rebut le plus vil, le tout dans une même famille[47]. Et où
peut-on trouver de meilleure illustration de ceci que dans la propre
maison de Léhi ? C’est d’ailleurs presque le leitmotiv du Livre
de Mormon.
Cette
étonnante rencontre des extrêmes c’est le heurt du noir et du
blanc. Chez les Arabes, être blanc de visage, c’est être béni ;
être noir de visage, c’est être maudit; il y a des expressions
parallèles en hébreu et en égyptien. Que dire du peuple de Léhi ?
Il est extrêmement significatif que la malédiction contre les
Lamanites est celle-là même dont on prétendait couramment en
Orient qu’elle flétrissait les fils d’Ismaël, qui, aux yeux des
gens à peau claire des villes, semblent être « un peuple sombre,
et repoussant, et souillé, rempli d’indolence et de toutes sortes
d’abominations... indolent, plein de malfaisance et d’astuce »,
etc. (1 Néphi 12:23 ; 2 Néphi 5:24). Il convient de remarquer que
tous les descendants de l’Ismaël du Livre de Mormon tombent sous
la malédiction (Alma 3:7), comme si leur atavisme bédouin les y
prédisposait. Le Livre de Mormon parle toujours de la malédiction
de la peau sombre à propos et dans le cadre d’un contexte plus
vaste: «Après avoir dégénéré dans l’incrédulité, ils
devenaient un peuple sombre, et repoussant, et souillé » etc.; « à
cause de la malédiction qui était sur eux, ils devinrent un peuple
indolent... et cherchèrent des bêtes de proie dans le désert » (2
Néphi 5:24). La déclaration que « Dieu fit venir sur eux une peau
sombre (2 Néphi 5:21) décrit le résultat, et non la méthode, qui
est décrite ailleurs. Nous apprenons ainsi (Alma 3:13, 14, 18) que
s’il est vrai que ces gens déchus « se mirent la marque sur
eux-mêmes », ce n’en était pas moins Dieu qui les marquait: «
Je mettrai une marque sur eux », etc... Le processus fut si naturel
et si humain qu’il ne suggéra rien de miraculeux à l’observateur
ordinaire, et « les Amlicites ne savaient pas qu’ils
accomplissaient les paroles de Dieu lorsqu’ils commencèrent à se
marquer... il était nécessaire que la malédiction tombât sur eux
» (Alma 3:18). Ici Dieu met sa marque sur les hommes comme
malédiction, et cependant c’est un signe artificiel qu’en
réalité ils mettent sur eux-mêmes. La marque n’était pas une
question raciale, mais était acquise par « quiconque se laissait
entraîner par les Lamanites » (Alma 3:10); en outre Alma définit
comme Néphite quiconque observe « Ies traditions de leurs pères »
(Alma 3:11), ce qui fait que la différence entre Néphite et
Lamanite est culturelle et non raciale. Cela s’applique-t-il
également à la peau sombre ? Remarquez que celle-ci n’est jamais
mentionnée seule mais toujours en relation avec un mode de vie
généralement dépravé, lequel est également déclaré être le
résultat direct de la malédiction. Lorsque les Lamanites
redeviennent « blancs », c’est en vivant chez les Néphites comme
Néphites, c’est-à-dire en adoptant le mode de vie néphite (3
Néphi 2:15-16). Le contexte culturel n’est peut-être pas toute
l’explication de la peau sombre des Lamanites, mais c’est une
partie importante de cette histoire, et le Livre de Mormon lui-même
y insiste fortement. Soit dit en passant, il n’est nulle part
question de peau rouge, mais seulement de noir (ou sombre) et de
blanc, les termes étant utilisés comme les utilisent les Arabes.
Noms
de lieux dans le désert
Léhi
donne au cours d’eau près duquel il dresse son premier camp le nom
de son fils aîné; à la vallée, celui de son deuxième fils (1
Néphi 2:8). « Nous appelâmes... Shazer » l’oasis dans laquelle
son groupe dressa son camp important suivant (1 Néphi 16:13). «
Nous appelâmes Abondance » Ia terre féconde au bord de la mer et «
nous appelâmes Irréantum » la mer elle-même (1 Néphi 17:5).
De
quel droit ces gens rebaptisent-ils les cours d’eaux et les vallées
à leur convenance ? Jamais un Occidental ne tolérerait pareille
arrogance. Mais Léhi ne s’intéresse pas aux goûts occidentaux;
il suit une bonne vieille coutume orientale. Parmi les lois « que
nul Bédouin ne songerait à transgresser », la première, selon
Jennings-Bramley, est que « toute eau que vous découvrez, que ce
soit sur votre propre territoire ou sur le territoire d’une autre
tribu, reçoit votre nom[48] ». C’est comme cela qu’il se fait
qu’en Arabie un grand oued (vallée) aura, à différents endroits
de sa configuration, des noms différents, un nombre respectable de
noms étant « tous utilisés pour une seule et même vallée ». Un
seul et même endroit peut avoir plusieurs noms, et l’oued qui
passe tout près ou la montagne qui s’y rattache recevront tout
naturellement des noms différents de la part de chaque clan »,
selon Canaan[49], qui raconte comment les Arabes « inventent souvent
un nouveau nom pour une localité pour laquelle ils n’ont jamais
utilisé de nom propre, ou dont ils ne connaissent pas le nom », le
nom donné étant ordinairement celui d’une personne. Cependant,
les noms ainsi conférés par des tribus errantes « ne sont ni
généralement connus ni couramment utilisés »; de sorte que nous
ne pouvons pas nous attendre à ce qu’aucun des noms de Léhi
survive[50].
Parlant
du désert « plus bas que le Néguev proprement dit », c’est-à-dire
la région où Léhi dressa son premier camp, Wooley et Lawrence
disent : « Les pics et les crêtes ont des noms différents parmi
les diverses tribus arabes, et de différents côtés »[51], et à
propos du Tih tout proche, Palmer dit : « Dans toutes les localités,
tout objet, que ce soit un rocher, une montagne, un ravin ou une
vallée, a un nom qui lui est propre[52] », tandis que Raswan nous
rappelle que « chaque colline, chaque vallon portait miraculeusement
un nom[53] ». Mais quelle confiance peut-on faire à de tels noms ?
Philby nous donne un cas typique: « Zayid et Ali parlaient en termes
assez vagues de la nomenclature de ces régions et ce n’est que
grâce au processus irritant de questions continuelles et de triage
de leurs réponses souvent illogiques et contradictoires que je pus
finalement constituer la topographie de la région[54] ». Plus loin
à l’est Cheesman rencontra la même difficulté : « Je fis la
réflexion que c’était la troisième colline à laquelle il
donnait le même nom. Il le savait, répondit-il, mais c’est comme
cela qu’on les appelait[55]. » Cette coutume irréfléchie de
rebaptiser tout sur place semble remonter aux temps les plus reculés,
et « il est probable que la plupart du temps les Israélites
donnaient leur nom à leurs propres camps, ou confondaient
inconsciemment un nom local dans leur négligence[56] ». Et
cependant, en dépit de son indubitable antiquité, seuls les
explorateurs les plus récents ont fait des commentaires sur cette
étrange pratique, qui semble avoir échappé à l’attention des
voyageurs jusqu’au moment où les explorateurs de notre époque ont
commencé à dresser des cartes.
Une
chose qui doit sembler encore plus farfelue et déraisonnable pour un
Occidental, c’est l’idée de Léhi de donner le nom d’un de ses
fils à un cours d’eau et le nom d’un autre à sa vallée. Mais
les Arabes ne voient pas les choses comme cela. En pays mahra, par
exemple, « comme c’est couramment le cas dans ces montagnes, l’eau
porte un autre nom que l’oued »[57]. De même, nous pourrions
croire qu’après avoir donné au cours d’eau le nom de son
premier-né, il donnerait à l’emplacement de son camp à côté de
ces eaux, comme le ferait un Occidental, le nom du cours d’eau. Au
lieu de cela, le Livre de Mormon suit le système arabe, qui consiste
à donner au camp non pas le nom du cours d’eau (qui un jour ou
l’autre peut facilement s’assécher), mais le nom de la vallée
(1 Néphi 10:16; 16:6).
Encore
une surprise: Plus d’une fois Néphi dit que la rivière Laman «
se déversai[t] dans la source de la mer Rouge », Depuis quand la
mer Rouge est-elle une source ? Tout d’abord, nous devons remarquer
que Néphi ne qualifie pas la mer Rouge de source, mais donne à une
étendue d’eau le nom de « source de la mer Rouge ». De quoi
peut-il bien parler? « En hébreu, écrit Albright, le mot yam
signifie ‘(grand) fleuve’ et ‘lac d’eau fraîche’ aussi
bien que ‘mer’ dans le sens français du terme. Cependant, dans
notre cas, nous ne pouvons pas être sûrs si la désignation yam
provient, à l’orgine, de l’intérieur des terres, pour désigner
l’eau fraîche et pure comme source de vie, ou... si elle désignait
la Méditerranée, source principale de l’économie cananéenne[58]
». Dans le premier cas, source est la meilleure traduction du mot,
et c’est certainement dans ce sens « intérieur des terres » que
Néphi l’utilise, car il emploie une expression tout à fait
différente, comme nous le verrons, lorsqu’il parle de l’océan.
Le Nil et l’Euphrate étaient autrefois appelés yams, et l’on a
expliqué que c’était « probablement une espèce d’hyperbole
poétique, basée sur le fait qu’ils inondent annuellement leurs
rives[59] ». Or, la largeur moyenne du golfe d’Akaba n’est que
d’environ dix-neuf kilomètres, et Musil rapporte que l’on peut
regarder de l’autre côté et « voir sur la péninsule du Sinaï
non seulement les montagnes du sud de la péninsule, mais également
la plaine s’étendant vers le nord. Vers le sud, nous avions vue
sur la plus grande partie du rivage d’at-Tihama (sud du Sinaï)[60]
».
Ainsi
donc, depuis le côté arabe, le long prolongement de la mer Rouge en
direction du nord-est couvrant plus de cent cinquante kilomètres,
c’est-à-dire le secteur où le groupe de Léhi rencontra
probablement pour la première fois la mer (1 Néphi 2:5), n’est
pas du tout la pleine mer et n’est pas la mer Rouge; c’est un
large bras de mer allongé, semblable au Nil et à l’Euphrate en
temps de crue, et comme eux, ce n’est pas de l’eau renfermée –
ce n’est pas un grand lac – mais donne, à son embouchure, sur la
mer, s’écoulant le long de deux canaux larges chacun d’environ
huit kilomètres. Un coup d’oeil sur la carte montrera qu’il y a
également un prolongement de la mer Rouge en direction du
nord-ouest, ressemblant fortement à celui du nord-est. Ce bras
occidental portait autrefois le nom mystérieux et très discuté de
Yam Suph, « mer » (ou source) des Roseaux ». Si l’on donnait à
cela de nom de yam, quoi de plus naturel que son jumeau à l’est
soit appelé de la même façon ? Celui-ci était certainement ce
que, d’après la définition d’Albright, les anciens appelaient
un yam, le mot ayant, qu’il soit appliqué à de l’eau salée ou
à de l’eau fraîche, le sens fondamental de source. Lorsque le
groupe de Léhi vit pour la première fois cette étendue d’eau,
c’était un affluent de la mer Rouge, dans lequel se déversaient
les torrents du printemps (1 Néphi 2:9), un yam, c’est-à-dire
dans ce sens même où le Nil et l’Euphrate, en temps de crue,
étaient des yams.
Lorsque
les voyageurs arrivèrent à l’océan proprement dit, « nous vîmes
la mer, dit Néphi, que nous appelâmes d’Irréantum, ce qui
signifie, par interprétation, de nombreuses eaux » (1 Néphi 17:5).
Pourquoi ne l’appelèrent-ils pas tout simplement la mer sans plus
d’histoires ? De toute évidence parce qu’il ny avait pas, dans
leur langue, de nom pour désigner cette mer particulière. Les
anciens ont régulièrement recours à des épithètes lorsqu’ils
parlent des océans extérieurs, comme « le grand vert » des
Égyptiens et le « grand abîme » des Hébreux. En copte, dernière
forme de l’égyptien, la mer Rouge proprement dite était appelée
fayum nehah (phiom nhah), littéralement « de nombreuses eaux ». Si
l’on voulait faire des conjectures, il serait facile de faire
remonter Irréantum à une dérivation contenant l’égyptien wr
(grand) et n.t (copte nout « eau stagnante ») , ou identifier le
-um final avec le mot courant (égyptien, copte, hébreu) yem, yam,
yum, « mer » et le reste du mot avec le copte ir-n-ahte, « grand
ou nombreux ». Mais il n’y a pas besoin d’aller si loin. Il
suffit de savoir que du temps de Léhi l’océan était désigné
par des épithètes et que la mer à l’est était appelée « de
nombreuses eaux » par les Égyptiens[61]. Le premier arrêt
important après que la compagnie de Léhi eut quitté son camp de
base fut un endroit qu’ils appelèrent Shazer (1 Néphi 16:13-14).
Le nom intrigue. La combinaison shajer est très courante dans les
noms de lieux palestiniens ; c’est un collectif signifiant «
arbres », et beaucoup d’Arabes (surtout en Égypte) le prononcent
shazher. On le trouve dans Thoghret-as-Sajur (la passe des arbres),
qui est l’antique Shaghur, écrit Segor au sixième siècle[62]. On
peut le confondre avec Shaghur « suintement », que l’on pense
être identique à Schichor, le « fleuve noir » de Josué
19:26[63]. Ce dernier prend, dans l’ouest de la Palestine, la forme
Sozura, suggérant le nom d’un point d’eau célèbre en Arabie du
Sud[64], appelé Shisur par Thomas et Shisar par Philby[65]. C’est
un « taillis minuscule » (Thomas) et l’un des lieux les plus
solitaires du monde entier[66]. Nous avons donc Schichor, Shaghur,
Sajur, Saghir, Segor (et même Tsoar), Shajar, Sozura, Shisur et
Shisar, tous plus ou moins rattachés les uns aux autres et dénotant
soit un suintement – un approvisionnement en eau faible mais sur
lequel on peut compter – soit un bouquet d’arbres. Que l’on
préfère l’un ou l’autre, il aurait été difficile aux gens de
Léhi de trouver un meilleur nom que Shazer pour désigner leur
premier arrêt.
Lorsqu’il
mourut au cours du voyage, Ismaël « fut enterré à l’endroit qui
était appelé Nahom » (1 Néphi 16:34). Remarquez que ce n’est
pas « un endroit que nous appelâmes Nahom », mais l’endroit qui
était appelé ainsi, un cimetière du désert. Jaussen rapporte que
bien que les Bédouins ensevelissent parfois les morts là où ils
meurent, beaucoup transportent les restes sur de grandes distances
pour les enterrer[67]. La racine arabe NHM a le sens fondamental de
« soupirer ou gémir », et on la trouve presque toujours à la
troisième personne: « soupirer ou gémir avec quelqu’un d’autre
». L’hébreu Nahum, « consolation », est apparenté, mais ce
n’est pas la forme que donne le Livre de Mormon. En cet endroit,
nous dit-on, « les filles d’Ismaël se lamentèrent extrêmement
», et cela nous rappelle que chez les Arabes du désert, les rites
du deuil sont le monopole des femmes[68].
Une
note sur les cours d’eau
Avant
de quitter le sujet de l’eau, il serait bon de noter que la mention
par Néphi d’une rivière dans un endroit extrêmement désolé de
l’Arabie a causé pas mal d’étonnement tout à fait inutile.
Hogarth dit, il est vrai, que l’Arabie « n’a probablement jamais
eu de vraie rivière sur tout son immense territoire[69] », mais des
autorités ultérieures, y compris Philby, sont convaincues que la
péninsule a connu, même aux temps historiques, quelques rivières
très respectables. Néanmoins, ce qu’il faut remarquer, c’est
que Léhi a fait sa découverte au printemps de l’année, car
l’histoire de Néphi commence « au commencement de la première
année du règne de Sédécias » (1 Néphi 1:4) et se déroule très
rapidement; chez les Juifs et « partout dans la Bible, le ‘premier
mois’ désigne toujours le premier mois du printemps[70] ». Au
printemps, les montagnes du désert sont pleines de torrents
impétueux. Le fait même que Néphi utilise le terme de « rivière
d’eau » (1 Néphi 2:6), pour ne pas parler de l’extase de Léhi
lorsqu’il la voit, montre qu’ils sont habitués à penser en
termes de rivières asséchées – les « rivières de sable » de
l’Orient[71]. L’expression biblique « rivières d’eau » [dans
la King James, plus littérale que Segond, NdT] illustre bien l’idée,
car le mot pour « rivière » n’est, dans ce cas, pas un des
termes conventionnels, mais le rare aphe, signifiant ru ou canal (par
ex. Ézéchiel 32:6 ; 35:8); dans un des cas où il est question de «
rivières d’eau » dans la Bible, la rivière est en réalité
asséchée (Joël 1:20), dans un autre cas elle contient non pas de
l’eau mais du moût et du lait (Joël 3:18) et dans un troisième
(Cantique des Cantiques 5:12), la bonne façon de le rendre, comme
dans beaucoup de traductions modernes, est « ruisseaux d’eau ».
On ne parle de « rivières d’eau » que dans un pays où les
rivières ne coulent pas tout le temps. Mais au printemps, il n’est
pas du tout rare de découvrir des rivières dans les régions que
traversait Léhi, comme quelques exemples vont le montrer.
«
Nous... descendîmes... dans le Wady Waleh. Il s’y trouvait un joli
‘seil’, vraiment une petite rivière, sautillant sur le lit
rocheux et rempli de poissons... Le cours d’eau est très joli...
bordé de massifs de lauriers roses en fleurs. Çà et là il se
rétrécit en un torrent profond et impétueux[72]... » Décrivant
la grande paroi qui longe tout le côté est de la mer Morte,
l’Arabah et la mer Rouge, un voyageur d’autrefois dit: « Plus au
sud, la région est absolument inaccessible, car d’immenses gorges
de trois cents à cinq cents mètres de profondeur et de près de
quinze cents mètres de large par endroits [comparez avec le «
gouffre affreux » de Léhi ! (1 Néphi 15:28)] sont creusées par
les grands torrents qui coulent en hiver dans des précipices à pic
jusque dans la mer[73]. » La mer en question est la mer Morte, mais
la même situation se présente tout le long de la grande paroi
jusque « dans les régions frontières, près de [la mer Rouge] (1
Néphi 2:8) ». On se rappelle à quel point Léhi fut impressionné
lorsqu’il vit la rivière de Laman se déverser « dans la source
de la mer Rouge » (1 Néphi 2:9). Sur la route du désert vers Pétra
il y a, au printemps, « plusieurs larges cours d’eau à traverser,
dont le passage à gué crée une petite excitation agréable[74] ».
Un groupe voyageant plus loin au nord rapporte: « Nous arrivâmes
bientôt au profond Wady ‘AIIan, qui coupe ici la plaine en deux.
Quel délice que le clapotis et le gargouillement de l’eau vive se
précipitant dans son lit rocailleux sous la chaleur torride de cette
journée syrienne ![75] »
Ainsi
donc, si l’on est dans la bonne saison de l’année – et le
Livre de Mormon a l’obligeance de nous la donner – on ne doit pas
être surpris de trouver des rivières dans le nord-ouest de
l’Arabie. C’est ce phénomène saisonnier qui amena Ptolémée à
situer d’une manière tout à fait correcte une rivière entre
Yambu et La Mecque[76].
Le
remarquable chercheur et infatigable limier que fut Ariel L.
Crowley, a suggéré, avec beaucoup d’astuce, que la rivière de
Laman était un cours d’eau extrêmement différent des « rivières
d’eau » dont nous avons parlé, n’étant ni plus ni moins que le
canal de Néchao allant du Nil à la mer Rouge[77]. Frère Crowley
consacre la majeure partie de son étude à prouver que pareil canal
a existé, mais ce n’est pas là un problème, puisqu’on n’en
disconvient pas. Ce que nous ne pouvons croire, c’est que ce grand
fossé ait été la rivière de Laman, et ce pour un certain nombre
de raisons dont il nous suffit d’en donner deux ici.
Premièrement,
tout en notant que le récit que fait Néphi de l’exode « est
formulé d’une manière si précise qu’il porte le cachet d’une
composition délibérée et soigneuse », Crowley oublie de remarquer
que rien n’est plus précis que les détails que donne Néphi sur
la direction de la marche et que, comme nous l’avons vu, il ne
parle jamais d’une direction vers l’ouest qu’on aurait dû
prendre pour arriver à cet endroit. Frère Crowley suppose que «
dans le désert » (1 Néphi 2:2) signifie « par la voie du désert
», vers l’Égypte, premièrement « à titre d’hypothèse »,
ensuite, sans preuves, comme un fait[78]. Il n’y a pas d’expression
dans l’Orient qui soit plus courante que « dans le désert », qui
ne se limite évidemment pas à une quelconque région de ce genre.
Le dernier endroit au monde pour échapper à l’attention des
hommes serait la frontière de l’Égypte, qui, à toutes les
époques de l’histoire ancienne, a été puissamment fortifiée et
fortement gardée (voir l’histoire de Sinuhé); et Léhi, en tant
que membre du parti anti-égyptien, aurait eté le dernier homme au
monde à chercher refuge en Égypte.
Deuxièmement,
Crowley qualifie le canal de Néchao de « grand fleuve » et dit
qu’il se trouvait « à l’antique carrefour des continents, le
lieu peut-être le mieux connu de la terre en 600 av. J.-C. »[79].
Alors pourquoi Léhi ne le connaissait-il pas ? C’était le plus
grand triomphe du génie civil de l’époque, la voie d’eau
purement commerciale la plus importante du monde; il chevauchait la
grande route la plus fréquentée de l’Antiquité si pas de
l’histoire ; atteint en quelques jours de voyage depuis Jérusalem
en suivant une plaine côtière plate, c’était le seul grand cours
d’eau proche de Jérusalem à part le Nil, dont il était une
branche, et pourtant « Ie cours d’eau était inconnu de Léhi [!],
sinon il est improbable qu’il lui aurait donné un nouveau nom. «
C’est dans ce fait même, dit Crowley, que se trouve la
confirmation de la création récente de l’ouvrage[80]. » Combien
de temps faut-il au juste pour que les nouvelles voyagent en Orient ?
Le canal avait au moins dix ans, il avait fallu des années pour le
construire, c’était une des merveilles du monde, une bénédiction
inestimable pour le commerce mondial, situé à moins de trois cents
kilomètres de la porte de Léhi en suivant une grande route
principale, et cependant à une époque d’allées et venues
incessantes et fiévreuses entre l’Égypte et la Palestine, ni le
grand marchand avec son excellente éducation égyptienne, ni ses
fils entreprenants et ambitieux n’en avaient jamais entendu parler
! Il est impossible de croire que Léhi ne savait pas que si l’on
voyageait vers l’Égypte et que l’on traversait un grand fleuve
dans un désert absolument vide, ce ne serait pas un cours d’eau
inconnu, que personne n’avait découvert, mais un cours d’eau
vraiment très important. Si quelqu’un connaissait l’existence du
canal de Néchao, c’était bien Léhi. Mais nous sommes d’accord
avec Crowley pour dire que la rivière de Laman lui était de toute
évidence inconnue. Les deux n’ont par conséquent pas pu être
identiques. « Un cours d’eau répondant à la description de Néphi
n’aurait pas manqué d’être noté par des historiens dans des
ouvrages profanes », dit Crowley[81]. Pourquoi pas ? Il échappa à
l’attention de Léhi, tout nourri qu’il était des usages des
Égyptiens et des Juifs. Ce ne peut donc pas avoir été un cours
d’eau important, et surtout pas un des plus remarquables de la
terre, sinon Léhi l’aurait connu. D’autre part, Néphi ne dit
jamais ni ne laisse entendre que c’était une grande rivière; ce
n’était pas du tout une voie navigable, mais une « rivière d’eau
», ce qui est une chose tout à fait différente.
[1]
W. Robertson Smith, The Religion of the Semites, Burnett Lectures,
Londres, Black, 1907, pp. 200-201.
[2]
Carl R. Raswan, Drinkers of the Wind, New York, Creative Age Press,
1942, p. 237.
[3]
Antonin Jaussen, « Mélanges », RB 3 1906, p. 109
[4]
Id., p. 110.
[5]
St Nil, Narratio (Narrations) 3, dans PG 79:612.
[6]
Bertram Thomas, Arabia Felix, New York, Scribner, 1936, p. 137.
[7]
Robert E. Cheesman, In Unknown Arabia, Londres, Macmillan, 1926, pp.
228-29, 234, 240-41, 280.
[8]
Raswan, Drinkers of the Wind, p. 200.
[9]
William G. Palgrave, Narrative of a Year’s Journey Through Central
and Eastern Arabia, Londres, Macmillan, 1865, 1:13.
[10]
John L. Burckhardt, Notes on the Bedouins and Wahábys, Londres,
Colburn & Bently, 1831; réimpression New York, Johnson Reprint,
1967, 1:242.
[11]
Nilus, Narrations 3, dans PG 79:612.
[12]
David S. Margoliouth, The Relations between Arabs and Israel Prior to
the Rise of Islam, Schweich Lectures, Londres, Oxford University
Press, 1924, p. 57.
[13]
Id., p. 54.
[14]
Frank E. Johnson, tr., Al-Mu’allaqat Bombay, Education Society’s
Steam Press, 1893, 218, ligne 38.
[15]
Harry S. J. B. Philby, The Empty Quarter New York, Holt, 1933, p. 27.
[16]
Burckhardt, Notes on the Bedouins and Wahábys, 1:133.
[17]
Thomas, Arabia Felix, p. 142.
[18]
Id., pp. 172-73.
[19]
Johnson, Al-Mu’allaqat, 87, ligne 58.
[20]
St Nil, Narrations 6, dans PG 79:669.
[21]
Philip J. Baldensperger, « The Immovable East », PEFQ, 1925, p. 81;
la deuxième citation vient de PEFQ, 1922, pp. 168-69.
[22]
Richard F. Burton, Pilgrimage to AI-Medinah and Meccah, Londres,
Tylston & Edwards, 1893, 2:118.
[23]
Par conséquent c’est considéré comme un acte honorable et
courageux de camper à l’extérieur de son domaine tribal. Georg
Jacob, Altarabisches Beduinenleben, Berlin, Mayer & Müller,
1897, p. 211.
[24]
Cheesman, In Unknown Arabia, p. 24. Dans son article original pour le
magazine, Nibley note aussi : « Après un raid, la tribu tout
entière part se cacher pour éviter les représailles », Hugh W.
Nibley, « Lehi in the Desert », IE 53 1950, p. 383. W. E.
Jennings-Bramley, « The Bedouin of the Sinaitic Peninsula », PEFQ
1912, p. 16, dit que « il n’y avait pas âme qui vive, car les
Debur s’étaient temporairement cachés après leur retour d’un
raid réussi, s’attendant d’un jour à l’autre à ce que les
victimes leur rendent le compliment. »
[25]
Jennings-Bramley, « The Bedouin of the Sinaitic Peninsula », PEFQ
1908, pp . 31, 36.
[26]
À propos de la nature anti-sociale de l’Arabe, voir Baldensperger,
« The immovable East », PEFQ 1922, pp. 168-170; Antonin Jaussen, «
Chronique », RB3, 1906, p. 443; Edward H. Palmer, Desert of the
Exodus, Cambridge, Deighton, Bell, 1871, 1:79-81.
[27]
Wilhelm Nowack, Lehrbuch der hebräischen Archäologie, Freiburg i/B:
Mohr, 1894, p. 152.
[28]
Johnson, Al-Mucallaqat, p. 139, ligne 30.
[29]
Philby, The Empty Quarter, p. 219.
[30]
Burton, Pilgrimage to Al-Medinah and Meccah, 1:276.
[31]
Jennings-Bramley, « The Bedouin of the Sinaitic Peninsula », PEFQ,
1905, p. 213.
[32]
Charles M. Doughty, Travels in Arabia Deserta, New York, Random
House, 1936, 1:272, 282-83.
[33]
Burckhardt, Notes on the Bedouins and Wahabys, 1:354; Doughty,
Travels in Arabia Deserta, 1:258.
[34]
Burckhardt, Notes on the Bedouins and Wahabys, 1:114.
[35]
Burton, Pilgrimage to Al-Medinah and Meccah, 2:102.
[36]
Philip J. Baldensperger, « Women in the East », PEFQ, 1901, p. 75.
[37]
Max von Oppenheimer, Die Beduinen, Leipzig, Harrassowitz, 1939, 1:30.
[38]
Burckhardt, Notes on the Bedouins and Wahabys, 1:116-17; Jaussen, «
Chronique », RB 12, 1903, pp. 107-8; Oppenheim, Die Beduinen, 1:30.
[39]
John Zeller, « The Bedawin », PEFQ 1901, p. 194; Jaussen, «
Mélanges », RB 12, 1903, p. 254.
[40]
Jennings-Bramley, « The Bedouin of the Sinaitic Peninsula », p. 217
[41]
H. H. Kitchener, « Major Kitchener’s Report », PEFQ 1884, p. 215.
[42]
Eliahu Epstein, « Bedouin of the Negeb », PEFQ 1939, pp. 61-64;
Baldensperger, « The Immovable East », PEFQ 1906, p. 14. « La
tyrannie de la famille est pire... que la descente de l’épée
indienne », dit le poète ancien Tarafah. Johnson, Al-Mucallaqat,
57, ligne 81.
[43]
Nowack, Lehrbuch der hebräischen Archäologie, p. 154; Jacob,
Altarabisches Benduinenleben, p. 212.
[44]
Jaussen, « Chronique », RB 12 1903, p. 109.
[45]
Philby, The Empty Quarter, p. 216.
[46]
Id.
[47]
Thomas E. Lawrence, Seven Pillars of Wisdorn, New York Garden City
Publishing, 1938, ch. 3.
[48]
Jennings-Bramley, « The Bedouin of the Sinaitic Peninsula, PEFQ
1908, p. 257.
[49]
Taufik Canaan, « Studies in the Topography and Folklore of Petra »,
JPOS 9, 1929, p. 139; cf. David G. Hogarth, The Penetration of
Arabia, Londres, Lawrence & Bullen, 1904, p. 162.
[50]
Canaan, « Studies in the Topography and Folklore of Petra », p.
140. C’est l’ouvrage de référence sur les noms de lieu du
désert. Burton, Pilgrimage to Al-Medinah and Meccah 1:250, n. 3: «
Un volume in-folio ne pourrait contenir un recueil de trois mois »
de ces noms, tellement ils sont nombreux.
[51]
C. Leonard Woolley & Thomas E. Lawrence, The Wilderness of Zin,
Londres, Cape, 1936, p. 70.
[52]
Palmer, Desert of the Exodus, 1:20.
[53]
Raswan, Drinkers of the Wind, p. 131.
[54]
Philby, The Empty Quarter, p. 39.
[55]
Cheesman, In Unknown Arabia, p. 261.
[56]
Woolley & Lawrence, The Wilderness of Zin, pp. 86-87, cf. Claude
R. Conder, « Lieut. Claude R. Conder’s Reports, XXXII », PEFQ
,1875, p. 126.
[57]
Thomas, Arabia Felix, pp. 50-51.
[58]
William F . Albright, Archaeology and the Religion of Israel,
Baltimore, Johns Hopkins Press, 1942, p. 149.
[59]
Joseph Offord, « The Red Sea », PEFQ, 1920, p. 179.
[60]
Tel que cité by William J. T. Phythian-Adams, « The Mount of God »,
PEFQ 1939, p. 204.
[61]
Wilhelm Spiegelberg, Koptisches Handwörterbuch, pp. 204, 258.
[62]
Claude R. Conder, Survey of Eastern Palestine, Londres, Palestine
Exploration Fund, 1889, 1:239, p. 241; Edward H. Palmer, « Arabic
and English Name Lists », dans Survey of Western Palestine, Londres,
Palestine Exploration Fund, 1881, 8:116, 134. Une autre
translittération de l’arabe est Thughrat-al-Shajar.
[63]
Claude R. Conder, « Notes on the Language of the Native Peasantry in
Palestine », PEFQ 1876, p. 134; Edward H. Palmer, The Survey of
Western Palestine, Name Lists, Londres, Palestine Exploration Fund,
1881, pp. 29, 93.
[64]
Claude R. Conder et H. H. Kitchener, « Memoirs of the Topography,
Orography, Hydrography and Archaeology », dans Survey of Western
Palestine, Londres, Palestine Exploration Fund, 1881, 2:169.
[65]
Thomas, Arabia Felix, pp. 136-37; Philby, The Empty Quarter, p. 231.
[66]
Thomas, Arabia Felix, pp. 136-37.
[67]
Jaussen, « Chronique », RB 10, 1901, p. 607.
[68]
Id.; Taufik Canaan, « Unwritten Laws Affecting the Arab Women of
Palestine », JPOS 11 1931, p. 189: « Dans les cortèges funèbres,
les femmes ne peuvent pas se mêler aux hommes… Une fois
l’enterrement terminé, les femmes se réunissent seules…Lors des
visites de la tombe… elles vont toujours seules. » Cf.
Baldensperger, « Women in the East », p. 83 et Burckhardt, Notes on
the Bedouins and Wahabys, 1:101: « Au moment du décès d’un
homme, ses femmes, ses filles et sa parenté féminine s’unissent
en cris de lamentations. » Chez les Juifs, les hommes jouent un rôle
plus important dans les rites funèbres et même les pleureurs
professionnels n’étaient pas inconnus. Nowack, Lehrbuch der
hebräischen Archäologie, p. 196. Les racines nhm, gémir, souffrir,
se plaindre et la racine similaire nHm, soupirer, se lamenter,
consoler, sont toutes deux à leur place ici.
[69]
Hogarth, The Penetratiwi of Arabia, p. 3.
[70]
Abraham S. Yahuda, The Accuracy of the Bible, Londres, Heinemann,
1934, p. 201.
[71]
Cf. Burton, Pilgrimage to Al-Medinah and Meccah, 2:72.
[72]
Edward H. Palmer, « The Desert of the Tih and the Country of Moab »,
dans Survey of Western Palestine, Special Papers, Londres, Palestine
Exploration Fund, 1881, 4:67.
[73]
Conder, « Lieut. Claude R. Conder’s Reports, XXXII », p. 130.
[74]
Gray Hill, « A Journey to Petra – 1896 », PEFQ 1897, p. 144.
[75]
W. Ewing, « A Journey in the Hauran », PEFQ 1895, p. 175.
[76]
Burton, Pilgrimage to Al-Medinah and Meccah, 2:154.
[77]
Ariel L. Crowley, « Lehi’s River Laman », IE 47, 1944, pp. 14-15,
56,59-61.
[78]
Id., pp. 15, 56.
[79]
Id., pp. 15, 61.
[80]
Id., p. 61, italiques ajoutés.
[81]
Id., p. 15
CHAPITRE
CINQ : la ville et le sable
Léhi
le Poète
Le
discours puissant qui, seul, permit à Léhi de tenir ses fils
rebelles en bride est un don exigé de tout vrai cheik du désert, et
de fait, face aux orgueilleux et susceptibles Bédouins, c’est la
seule arme que possède le cheik car, comme nous l’avons vu, il ne
peut pas utiliser la force. Le vrai dirigeant, dit une poétesse
arabe d’autrefois, « n’était pas de ceux qui gardaient le
silence lorsque commençaient les joutes verbales ». Lorsque les
hommes se réunissent dans la tente du chef pour y tenir conseil, le
dirigeant « parle à toute l’assemblée en utilisant une
succession de sages conseils mêlés de proverbes opportuns »,
exactement comme Léhi avec ses paraboles sans fin. « Les gens d’un
autre pays, en les entendant parler, dit notre informatrice, les
croiraient tout simplement remplis d’un don surnaturel[1]. » «
Des exclamations poétiques... fusaient tout autour de moi, dit
Burton, montrant à quel point la langue de l’Arabe s’empreint
d’imagination sous l’influence d’une forte passion ou de
l’enthousiasme religieux[2]... » Visitons la tente de Léhi. « Je
retournai à la tente de mon père, dit Néphi (1 Néphi 15:1-2, "6),
Et... je vis mes frères, et ils se disputaient entre eux à propos
des choses que mon père leur avait dites… et… après avoir reçu
de la force, je parlai à mes frères (v. 15)... et... lorsque moi,
Néphi, j’eus fini de parler à mes frères... ils s’humilièrent
devant le Seigneur... (1 Néphi 16:1, 5). Grande est la puissance de
la parole chez les gens du désert, et si le langage de Léhi nous
parait étrangement rempli d’exclamations et pompeux, c’est parce
qu’il suit le modèle ancien, « par l’esprit du Seigneur, qui
était en notre père » (1 Néphi 15:12).
En
outre Léhi était poète et il n’est pas de passage plus
remarquable dans le Livre de Mormon que les éloquentes petites
strophes dans lesquelles il s’adressa lors d’une occasion
mémorable à ses fils rebelles.
C’était
juste après que le premier camp eut été dressé, après avoir,
comme il se doit, accompli les rites d’actions de grâces qui
s’imposaient à « l’autel de pierres » ("1 Néphi 2:7),
que Léhi, étant alors libre pour examiner le décor plus à loisir
(car parmi les gens du désert, ce sont les femmes qui dressent et
démontent le camp, bien que les cheiks doivent officier dans le
sacrifice), se mit en devoir, comme il en avait le droit, de donner à
la rivière le nom de son premier-né et à la vallée celui de son
deuxième fils (1 Néphi 2:6-8, 14). Les hommes examinèrent plus
attentivement le terrain, comme le font toujours les Arabes après
avoir dressé le camp dans un endroit où ils envisagent de passer un
certain temps, et découvrirent que la rivière « se déversait dans
la mer Rouge » à un endroit « près de son embouchure » (1 Néphi
2:8-9), ce qui suggère le golfe d’Akaba à un endroit un peu
au-dessus du détroit de Tiran. Lorsqu’il vit le spectacle,
peut-être du flanc du mont Musafa ou du mont Mendischa[3], Léhi se
tourna vers ses deux fils aînés et récita ses strophes
remarquables. Apparemment Néphi se trouvait tout près, car il note
les circonstances avec le plus grand soin.
Et
lorsque mon père vit que les eaux de la rivière se déversaient
dans la source de la mer Rouge, il parla à Laman, disant: Oh ! si tu
pouvais être semblable à cette rivière, coulant continuellement
jusque dans la source de toute justice !
Et
il dit aussi à Lémuel: Oh ! si tu pouvais être semblable à cette
vallée, ferme et constant, et immuable à garder les commandements
du Seigneur ! (1 Néphi 2:9-10).
Il
n’y a pas de sujet qui ait été étudié plus intensivement
pendant un plus grand nombre d’années que celui de la poésie
sémitique primitive; nulle part on ne pourrait trouver
d’illustration plus parfaite des points sur lesquels on est
maintenant d’accord à propos de la nature et de la forme de la
poésie originelle que dans ce bref récit de Néphi.
Il
y a tout d’abord l’occasion: c’était le spectacle de la
rivière coulant dans le golfe qui inspira Léhi de s’adresser à
ses fils. Dans une étude célèbre, Goldziher fait remarquer que les
plus anciens poèmes du désert jamais cités sont « ces
Quellenlieder (chants composés en l’honneur de l’eau fraîche)
que, selon l’ouvrage de St-Nil, les anciens Arabes avaient
l’habitude d’entonner après s’être rafraîchis et lavés dans
une fontaine d’eau courante découverte lors d’un long voyage[4].
» Le récit même de Nil est une description frappante de ce par
quoi passa la compagnie de Léhi:
Le
lendemain... après avoir voyagé, comme c’est l’habitude, dans
le désert par des itinéraires détournés, errant en terrain
difficile, obligés de se détourner tantôt par ici tantôt par là,
contournant des montagnes, trébuchant sur un sol accidenté et
tourmenté, à travers des défilés quasiment impénétrables, ils
virent dans le lointain une tache de verdure dans le désert; et
s’efforçant d’atteindre la végétation par laquelle l’oasis
pourrait fournir un campement ou même supporter l’installation de
certains d’entre eux (nous lisons nomadikon plutôt que monadikon,
qui n’a pas de sens), supposaient-ils, ils fixèrent le regard sur
elle tout comme le pilote ballotté par la tempête aperçoit le
port. En y arrivant, ils découvrirent que l’endroit ne décevait
pas leur attente et que leur imagination avide ne les avait pas
poussés à de faux espoirs. Car l’eau était abondante, pure à la
vue et bonne au goût, de sorte que l’on pouvait se demander si
c’était l’œil ou la bouche qui éprouvait le plus de plaisir.
En outre, il y avait du fourrage en suffisance pour les animaux; ils
déchargèrent donc les chameaux et les laissèrent paître
librement. Quant à eux, ils ne pouvaient se passer de l’eau,
buvant, barbotant et se baignant comme s’ils ne pouvaient s’y
ébattre assez. Ils récitèrent donc des chants à son éloge [de la
rivière] et composèrent des hymnes à la source[5].
Ibn
Qutayba, dans un ouvrage célèbre sur la poésie arabe, cite un
grand poète du désert, Abu Sakhr, qui dit que rien sur la terre ne
fait venir si facilement des vers à l’esprit que la vue d’eau
courante et de lieux sauvages[6]. Ceci ne s’applique évidemment
pas seulement aux sources, mais à toute eau courante. Thomas raconte
que ses Arabes, en arrivant à l’Umm al-Hait, saluèrent l’endroit
d’un chant à la louange de « la pluie continue et courante »,
dont l’abondance remplissait le lit de l’oued, « coulant entre
le sable et le cours de la rivière[7] » ; de la même manière,
Léhi prend comme le plus admirable des exemples « cette rivière
coulant continuellement », car, pour les gens du désert, il n’y a
pas de chose plus miraculeuse ni plus belle sur la terre qu’une eau
qui coule continuellement. Dans l’épisode le plus émouvant du
livre Le vent, le sable et les étoiles, de Saint-Exupéry, les chefs
arabes qui regardent les merveilles de Paris avec une totale
indifférence poussent des cris de pieux ravissement à la vue d’un
torrent dans les Alpes[8]. Lorsque les Bani Hilal s’arrêtèrent à
leur première oasis, sa beauté et la végétation verte leur
rappelèrent la patrie qu’ils avaient quittée, « et ils
pleurèrent beaucoup à ce souvenir[9] ». C’était précisément
parce que Laman et Lémuel se lamentaient bruyamment de la perte de
leur agréable « pays de Jérusalem… et leurs choses précieuses »
(1 Néphi 2:11) que leur père fut poussé à s’adresser à eux en
cette occasion particulière.
Si
les tout premiers poèmes du désert étaient des chants inspirés
par le beau spectacle de l’eau courante, personne aujourd’hui ne
connaît la forme qu’ils revêtaient. On ne peut que la déduire de
la forme de poésie sémitique la plus ancienne que l’on
connaisse. C’est le saj’, brève exhortation ou injonction
prononcée avec une telle solennité et une telle ferveur qu’elle
devient une espèce de psalmodie. On peut citer comme exemples les
incantations magiques, les malédictions et des déclarations
officielles des maîtres, des prêtres et des juges. Dès les temps
les plus reculés, le saj’ fut la forme sous laquelle s’annonçaient
l’inspiration et la révélation[10]. Celui qui prononçait le saj’
ne cherchait pas consciemment la forme métrique, mais ses paroles
étaient nécessairement plus qu’une simple prose et étaient
reçues par leurs auditeurs comme de la poésie. Le saj’ avait pour
effet, dit-on, d’intimider complètement l’auditeur et était
considéré comme faisant absolument force de loi sur la personne à
qui il s’adressait, son but étant d’obliger à l’action[11].
Les
paroles de Léhi à ses fils prennent exactement cette forme d’un
appel bref, solennel et rythmique. Le fait que le discours adressé à
Laman correspond exactement à celui adressé à son frère montre
que nous avons ici une formule officielle semblable au saj’. La
plus grande fierté du poète du désert est de pouvoir dire: «
J’exprime une strophe et après elle sa sœur », car le fin du fin
en poésie était de réaliser deux strophes parfaitement parallèles
dans la forme et le contenu. Peu de personnes y sont jamais arrivées,
et Ibn Qutayba observe que la strophe ordinaire est suivie non pas
par une « sœur », mais tout au plus par une « cousine »[12]. Et
cependant Léhi semble avoir réussi. Il ne peut y avoir de doute
quant à la ferveur morale et à l’intention didactique de sa
récitation; le fait que Néphi rapporte cet épisode dans un livre
où il n’y a, comme il le dit, que la place pour l’essentiel
montre la profonde impression qu’il fit sur lui.
En
s’adressant à ses fils dans ce qui ressemble à un petit chant,
Léhi fait exactement ce que fait Ésaïe (Ésaïe 5:1-7) lorsqu’il
parle à Israël en un schirat dodi, une psalmodie amicale, chant
populaire à propos d’une vigne qui, une fois que l’attention de
l’auditeur a été éveillée, se transforme en une tirade morale
très sérieuse[13]. En une autre occasion, comme nous l’avons
remarqué, il emploie l’image populaire de l’olivier. Le vers
d’introduction classique des vieux poèmes du désert est : « Ô
mes deux êtres chers ! (ou amis) », introduction qui, dit Ibn
Qutayba, doit être évitée, « puisque seuls les anciens savaient
comment l’utiliser convenablement, unissant une manière douce et
naturelle au grandiose et au magnifique[14] ». Le poème de Léhi
est un exemple de ce qu’on entend par là : il s’adresse
séparément à ses deux fils mais en employant pour chacun le
vocatif particulier et typiquement arabe : Oh ! si tu... ! » (Ya
laitaka), et décrit la rivière et la vallée en des termes d’une
concision et d’une simplicité inégalées et de la manière vague
et générale des vrais poètes du désert dont Burton dit : « Il y
a une rêverie dans l’idée et une brume jetée sur l’objet,
infiniment attirantes mais indescriptibles[15] ». Le langage de Léhi
est de cette espèce simple, noble mais floue.
Selon
Richter, le meilleur exemple possible du qasida arabe primitif (le
nom est donné à la poésie véritable la plus ancienne du désert)
est fourni par ces vieux poèmes dans lesquels l’être cher est
comparé à une terre « dans laquelle coulent des fleuves
abondants... avec impétuosité et tourbillonnement, de sorte que
l’eau déborde constamment tous les soirs[16] ». Ici l’eau «
coulant continuellement » est comparée à la personne à laquelle
on s’adresse, comme dans le « chant » de Léhi à Laman. Le
qasida original, affirme la même autorité, était construit sur le
motif de la supplication (werbenden, de là le nom qasida), pas
nécessairement érotique à l’origine, comme on le pensait
autrefois, mais traitant plutôt de l’éloge de la vertu en général
(Tugendlob)[17]. Ibn Qutayba prétend même que le thème d’amour
introductif était simplement un procédé utilisé pour attirer
l’attention des auditeurs masculins et n’était pas du tout le
sujet réel du poème[18]. Le schéma habituel est simple: (a)
L’attention du poète est attirée par un phénomène naturel
impressionnant, ordinairement de l’eau courante ; (b) ceci l’amène
à réciter quelques mots à son éloge, le portant à l’attention
d’un compagnon de voyage bien-aimé et (c) en faisant une leçon de
choses pour ce dernier, qu’il exhorte à y ressembler. Burton donne
un bon exemple: à la vue de l’Oued al-Akik le poète nomade est
poussé à s’exclamer:
«
Ô mon ami, ceci est Akik, sois-lui donc fidèle, t’efforçant
d’être distrait par l’amour, même si tu n’es pas réellement
un amant »[19].
On
dirait une espèce de chant d’amour, même s’il est un peu
étrange, et certains ont prétendu que tous les vieux qasidas en
étaient[20]. Mais Burton et ses Arabes en connaissent le vrai sens,
« le sens ésotérique de ce couplet », comme il l’appelle, qui
échappe tout à fait au lecteur occidental et doit s’interpréter
comme ceci :
«
Ô homme ! Ceci est un joli coin de la création de Dieu : Alors
sois-lui fidèle, et apprends ici à aimer les perfections de ton Ami
suprême »[21].
Comparez
ceci à l’appel de Léhi à Lémuel :
«
Oh ! si tu pouvais être semblable à cette vallée, ferme et
constant, et immuable à garder les commandements du Seigneur ! »
("1 Néphi 2:10)
Notez
le parallèle remarquable. Dans chaque cas, le poète, errant dans le
désert avec ses amis, est ému à la vue d’une plaisante vallée,
un grand « oued » dans lequel il y a de l’eau; il attire
l’attention de son compagnon bien-aimé sur ce spectacle, et fait
appel à lui pour qu’il retire une leçon de la vallée et « Iui
soit fidèle », ferme et inébranlable dans l’amour des voies du
Seigneur. Énumérons brièvement les conditions strictes remplies
par le rapport que fait Néphi des qasidas de son père, conditions
exigées du véritable et authentique poète du désert de la période
la plus reculée :
(1)
Ce sont des Brunnen- ou Quellenlieder, comme les Allemands les
appellent, c’est-à-dire des chants inspirés par la vue de l’eau
jaillissant d’une source ou coulant dans une vallée.
(2)
Ils s’adressent ordinairement à un ou (ordinairement) deux
compagnons de voyage.
(3)
Ils louent la beauté et l’excellence de la scène, attirant
l’attention de l’auditeur sur elle pour en faire une leçon de
choses.
(4)
L’auditeur est exhorté à ressembler à la chose qu’il voit[22].
(5)
Les poèmes sont récités impromptu, sur place et avec beaucoup de
sentiment.
(6)
Ils sont très courts, chaque couplet étant un poème complet en
lui-même[23].
(7)
Une strophe doit être suivie de sa « sœur », faisant un couple
parfaitement assorti.
Nous
avons indubitablement ici tous les éléments d’une situation dont
aucun Occidental en 1830 n’avait la moindre idée. Léhi nous
apparaît comme une sorte de poète aussi bien qu’un grand prophète
et dirigeant, et c’est ainsi qu’il doit en être. « L’art
poétique de David, dit le professeur Montgomery, trouve son
complément dans les anciens poètes arabes... dont certains étaient
eux-mêmes rois…[24] ».
On
a souvent dit qu’il n’y a pas de vraie poésie dans le Livre de
Mormon – c’est-à-dire, pas de vraie poésie anglaise. C’est
une évidence; on n’y trouve pas non plus de poésie italienne ou
russe, car Léhi ne composait pas dans ces langues. Toutes les fois
que la poésie sémitique est traduite en une langue moderne, si l’on
fait la moindre tentative d’en conserver le sens original, le
résultat est atroce. Les Psaumes, par exemple, sont beaux en anglais
parce que les traducteurs ignoraient en grande partie les finesses de
ce qu’ils lisaient, et écrivaient donc en anglais libre et sans
restriction[25]. Mais la précision est le but suprême de notre
texte du Livre de Mormon, et s’il y avait de la bonne poésie dans
le livre, cela nous donnerait de bonnes raisons d’être
soupçonneux, car Burton, alors même qu’il fait l’éloge du
génie incomparable des poètes du désert, prend bien soin de faire
remarquer qu’ils sont totalement « dénués du goût poétique tel
que nous le définissons[26] ». Aux critiques « Iittéraires » de
Léhi il nous suffit de répondre que Néphi n’est pas censé
écrire de la bonne poésie anglaise, et qu’ils pourraient avec
autant de justification prétendre qu’il n’y a pas de bonne
littérature chez Mutanabbi ou dans le Kitab-al-Aghani parce que, en
vérité, aucun des innombrables poèmes qui s’y trouvent n’a
jamais été reproduit en grande ni même en bonne poésie anglaise –
ils ne peuvent à la fois l’être et contenir encore quelque chose
de leur forme ou de leur contenu originels. Pourtant ceux qui
connaissent le mieux ces livres affirment qu’ils représentent le
sommet non seulement de la poésie arabe, mais également de toute la
poésie lyrique.
Comme
si l’on voulait prouver qu’aucun Occidental n’aurait pu
inventer le récit de Néphi, nous sommes interpellés par cette
expression remarquable : « semblable à cette vallée, ferme et
constant, et immuable... » ("1 Néphi 2:10). Qui, à l’ouest
de Suez, penserait jamais à pareille image ? Le correcteur aurait
pour le moins dû relever une bourde aussi énorme, laquelle aurait
certainement dû être corrigée dans les éditions ultérieures. Car
nous savons évidemment ce que sont les collines éternelles et les
montagnes immuables, dont le déplacement est l’illustration la
mieux connue de la puissance infinie de la foi, mais qui a jamais
entendu parler d’une vallée ferme ? Les Arabes, bien sûr. Pour
eux c’est la vallée et non la montagne qui est le symbole de la
permanence. Ce n’est pas la montagne qui est le refuge vers lequel
ils fuient, mais la vallée. Les grandes dépressions qui s’étirent
sur des centaines de kilomètres à travers la péninsule arabique
traversent pour la plupart des plaines sans montagnes. Ce n’est que
dans ces anciens lits de rivière que l’on peut trouver l’eau, la
végétation et la vie animale lorsque partout ailleurs il n’y a
que la désolation. Eux seuls permettent aux hommes et aux animaux
d’échapper à leurs ennemis et d’être délivrés de la mort par
la faim et la soif. Les qualités de fermeté et de constance, de
protection assurée, de rafraîchissement et de refuge certain
lorsque tout le reste vient à manquer, que les autres pays
attribuent naturellement aux montagnes, les Arabes les attribuent aux
vallées[27]. C’est ainsi que l’antique Zohair décrit une
compagnie semblable à celle de Léhi.
Et
lorsqu’ils descendirent vers l’eau, bleue et calme dans sa
dépression, ils déposèrent leurs bâtons de voyageurs, comme
quelqu’un qui est arrivé à un lieu de repos permanent[28].
Aventure
à Jérusalem
Néphi
et ses frères firent deux voyages de retour à Jérusalem. Le
deuxième ne les conduisit qu’au « pays de Jérusalem » 1 Néphi
7:2 pour aller chercher Ismaël. Le fait que c’était là une
mission simple et sans complication à un moment où la terre aurait
brûlé sous les pieds des frères dans la ville même (où ils
avaient été chassés par la police de Laban lors de leur expédition
précédente et auraient été instantanément reconnus), implique
qu’Ismaël, comme Léhi, vivait assez loin à la campagne (1 Néphi
7:2-5). Mais la première mission était une tâche mouvementée et
dangereuse dans la ville même. Ce n’était pas un simple raid,
comme nous l’avons vu, puisque les hommes prenaient leurs tentes et
s’y rendaient tout à fait ouvertement, mais ils s’attendaient à
des ennuis et tirèrent au sort pour voir qui irait trouver Laban. Le
récit nous parle de personnes qui se cachent en dehors des murs,
d’exploits audacieux dans les rues sombres, de poursuites
effrénées, d’entreprises dangereuses à la faveur d’un
déguisement, d’actes désespérés et de violentes querelles –
du roman typiquement oriental, pourrait-on dire, mais typique parce
que ce genre de choses arrive véritablement, et arrivait toujours,
dans les villes orientales.
C’est
une tradition et une convention pour un hors-la-loi bédouin dont la
tête est mise à prix de montrer sa bravoure au risque sa vie en
allant se promener au beau milieu d’une ville en plein jour sous le
nez de la police – un geste très théâtral, mais dont mes amis
arabes m’assurent qu’il a été fait mille fois. C’est pendant
qu’il lisait l’épopée des Bani Hilal que l’auteur a été
frappé pour la première fois de la ressemblance intime qu’il y
avait entre le comportement des fils de Léhi au cours de ce voyage
éclair à Jérusalem et celui des jeunes braves des Bani Hilal
lorsqu’ils visitaient une ville dans des circonstances semblables.
Les récits des errances de la tribu des ‘Amer racontent la même
histoire: campement en dehors des murs, tirage au sort pour voir qui
prendrait le risque, entrée furtive dans la ville et fuite dans les
rues à minuit[29] – tout cela se trouve dans le Livre de Mormon et
est tout à fait authentique.
Une
chose tout à fait typique, c’est également ces jeunes gens qui se
cachent dans des cavernes près de la ville en attendant que les
séides de Laban se calment, mais en discutant avec une diversité et
une passion orientales de ce qu’ils vont faire ensuite (1 Néphi
3:27-28). Depuis que le Palestine Exploration Fund Quarterly a
commencé à paraître, il y a des années, ses lecteurs ont été
gratifiés d’un flot constant de rapports officiels sur des
cavernes nouvellement découvertes à Jérusalem et près de cette
ville. La région en est criblée; pour la région située au sud de
la ville, « il est difficile de rendre compte des fouilles
principales de ce genre (de cavernes) sans avoir l’air d’avoir
recours à l’exagération... Essayer de dresser un catalogue
descriptif de ces cavernes serait parfaitement futile, le simple
travail de fouiller les collines pour en trouver des exemples...
serait pratiquement infini[30] ». Quand on s’éloigne, la région
de Beit Jibrin « contient un nombre incalculable de cavernes
artificielles »[31] et elles pullulent dans le désert de Tih et de
Moab[32]. Beaucoup de ces cavernes, étant artificielles, sont
postérieures à l’époque de Léhi, et beaucoup sont également
plus anciennes et ont été utilisées comme cachettes à toutes les
époques[33]. Mais qui, en Amérique, connaissait ces cachettes il y
a cent ans ?
Le
but du premier voyage de retour à Jérusalem était de se procurer
certains documents qui étaient écrits sur des plaques de bronze (le
Livre de Mormon, comme la Bible, utilise toujours « airain » pour
désigner ce que nous appelons « bronze » – mot qui n’est
devenu courant que depuis sa traduction). Léhi eut un songe dans
lequel il lui fut commandé de se procurer ces documents qui, comme
il le savait déjà, étaient conservés chez un certain Laban. Néphi
n’en connaît pas exactement la raison et suppose, à tort, comme
cela se vérifiera plus tard, que le but en était de « préserver,
pour nos enfants, la langue de nos pères » ("1 Néphi
3:19)[34]. Il est intéressant de remarquer que les Bani Hilal, en se
mettant en route pour leur grande migration, estimèrent nécessaire
de tenir un registre de leurs pères et d’y ajouter au fur et à
mesure, « pour que le souvenir en demeure pour les générations
futures[35] ». La tenue de ces daftar, comme on les appelait, était
également connue d’autres tribus errantes.
Mais
que faisaient les documents chez Laban et, à propos, qui était-il ?
Relations
avec Laban
Pendant
des siècles les villes de Palestine et de Syrie avaient été plus
ou moins sous la coupe de gouverneurs militaires de souche locale,
mais, du moins en théorie, responsables devant l’Égypte. « Ces
commandants (appelés rabis dans les lettres d’Amarna) étaient
subordonnés aux princes des villes (chazan), qui leur donnent
communément le titre de ‘frère’ ou ‘père’[36]. » C’était
dans l’ensemble une bande sordide d’arrivistes dont l’autorité
dépendait de tromperies et d’intrigues constantes, quoique
considérant leur office comme héréditaire et se donnant parfois le
titre de rois. Dans les lettres d’Amarna, nous voyons ces hommes se
piller mutuellement leurs caravanes, s’accusant les uns les autres
de ne pas payer leurs dettes et de ne pas tenir leurs promesses, se
dénonçant mutuellement comme traîtres à l’Égypte et étalant
d’une manière générale les caractéristiques ordinaires,
consacrées par le temps, du haut fonctionnaire oriental cherchant
avant tout à augmenter sa fortune privée. Les lettres de Lakisch
montrent que du temps de Léhi ces hommes étaient encore les
seigneurs de la création – les commandants des villes qui
entouraient Jérusalem travaillaient toujours en collaboration
étroite avec l’Égypte en matière militaire, dépendant du
prestige de l’Égypte pour soutenir leur puissance corrompue, et se
comportaient encore comme des opportunistes serviles et sans
scrupules[37].
Une
des fonctions principales de tout gouverneur en Orient a toujours été
de recevoir les pétitions, et la pratique établie a toujours été
de dépouiller, lorsque c’était possible, les solliciteurs (ou
toute autre personne). L’histoire du Paysan Éloquent, de quinze
siècles antérieure à Léhi, et les innombrables contes des Qadis
qui le suivent de quinze siècles font tous partie du même tableau
et Laban s’y insère comme s’il était peint pour mettre son
portrait en relief.
Et
Laman entra dans la maison de Laban, et il lui parla tandis qu’il
était assis dans sa maison.
Et
il désira de Laban les annales qui étaient gravées sur les plaques
d’airain qui contenaient la généalogie de mon père.
Et...
Laban fut en colère et le chassa de sa présence; et il ne voulut
pas qu’il eût les annales. C’est pourquoi, il lui dit: Voici, tu
es un brigand, et je vais te tuer.
Mais
Laman s’enfuit de sa présence et nous dit ce que Laban avait fait
(1 Néphi 3:11-14).
Plus
tard, les frères retournèrent auprès de Laban, chargés de leur
trésor de famille, espérant sottement lui acheter les plaques. Ils
auraient dû savoir ce qui allait arriver :
Et
il arriva que lorsque Laban vit nos biens, et qu’ils étaient
extrêmement grands, il les convoita, de sorte qu’il nous jeta
dehors et envoya ses serviteurs pour nous tuer, ce qui lui
permettrait d’obtenir nos biens.
Et
il arriva que nous nous enfuîmes devant les serviteurs de Laban, et
nous fûmes obligés d’abandonner nos biens, et ils tombèrent
entre les mains de Laban (1 Néphi 3:25-26).
Comparez
ceci avec l’histoire maintenant classique de l’entrevue de
Wenamon avec le rapace Zakar Baal, gouverneur de Byblos, presque
exactement cinq cents ans plus tôt. L’Égyptien entra dans la
maison du grand homme et « le trouva assis dans sa chambre haute, le
dos appuyé contre une fenêtre », tout comme Laman accosta Laban «
tandis qu’il était assis dans sa maison » (1 Néphi 3:11).
Lorsque son visiteur demanda au prince marchand et prince des
marchands de lui donner quelques rondins de cèdre, ce dernier entra
dans une violente colère et l’accusa d’être un voleur («
Voici, tu es un brigand ! » dit Laman dans "1 Néphi 3:13),
exigeant qu’il lui montre ses lettres de créances. Ensuite Zakar
Baal « fit apporter le journal de ses pères, et le fit lire devant
lui », ce qui montre clairement que les documents importants de la
ville étaient réellement conservés chez lui et gardés sur des
tablettes. À partir de cet antique « journal de ses pères », le
prince prouva à Wenamon que ses ancêtres n’avaient jamais reçu
d’ordres de l’Égypte, et si l’envoyé adoucit un peu son hôte
en lui rappelant qu’Ammon, le Seigneur de l’univers, gouverne sur
tous les rois, l’impitoyable fonctionnaire ne l’en expulsa pas
moins et envoya même plus tard ses serviteurs à sa poursuite –
non pas, cependant, pour le mettre à mort, mais avec la pensée plus
généreuse de lui apporter quelque chose pour le rafraîchir tandis
qu’il était assis à s’affliger. Avec une politesse cynique, le
prince proposa de montrer à Wenamon les tombeaux d’autres envoyés
égyptiens dont les missions n’avaient pas été couronnées de
succès ; et lorsque la transaction commerciale fut finalement
effectuée, Zakar Baal, sur la base d’un détail juridique, livra
son hôte à la merci d’une flotte de pirates qui rôdait à la
sortie du port[38]. Et pendant tout ce temps-là il souriait et
s’inclinait, car après tout Wenamon était un fonctionnaire
égyptien, tandis que les fils de Léhi perdirent leur pouvoir de
marchandage lorsqu’ils perdirent leur fortune. L’histoire de
Laban montre d’une manière éloquente à quel point Jérusalem
était mûre pour la destruction.
Quelques
coups de palette adroits et révélateurs ressuscitent le pompeux
Laban avec la perfection d’une photographie. Nous apprenons au
passage qu’il commandait une garnison de cinquante hommes, qu’il
se réunissait en armure de cérémonie avec « les anciens des Juifs
» (1 Néphi 4:22) pour les consulter en secret la nuit, qu’il
avait la gestion d’un trésor, qu’il appartenait à la vieille
aristocratie et étant un parent lointain de Léhi lui-même, qu’il
détenait probablement son emploi grâce à ses ancêtres, puisqu’il
n’aurait pas pu l’obtenir par ses propres mérites, que sa maison
était le lieu d’entreposage de très vieux documents, que c’était
un homme puissant, colérique, rusé et dangereux, et, par-dessus le
marché, cruel, cupide, sans scrupules, faible et adonné à la
boisson. Tout cela fait de lui un Rabu en chair et en os, le modèle
même du pacha oriental. Il est de la même étoffe que Jaush, son
contemporain et probablement son successeur comme « gouverneur
militaire de toute cette région, gérant les défenses le long de la
frontière occidentale de Juda, et intermédiaire auprès des
autorités de Jérusalem », ou comme Hoshaiah « apparemment chef de
la compagnie militaire stationnée dans un avant-poste près de la
route principale reliant Jérusalem à la côte », qui était un
homme d’une « servilité adulatrice »[39].
Pour
ce qui est de la garnison de cinquante hommes, elle semble
pitoyablement petite pour une grande ville. Il aurait été tout
aussi facile pour l’auteur de 1 Néphi de dire « cinquante mille »
et d’en faire quelque chose de vraiment impressionnant. Et pourtant
même les frères aînés, alors même qu’ils souhaitent souligner
la grande puissance de Laban, ne parlent que de cinquante hommes (1
Néphi 3:31), et c’est Néphi qui, en leur répondant, dit que le
Seigneur est « plus puissant que Laban et ses cinquante » et ajoute
« ou même que ses dizaines de milliers » ("1 Néphi 4:1). En
tant que commandant militaire de haut rang, Laban avait ses dizaines
de milliers sur-le-champ de bataille, mais pareil déploiement n’est
pas ce qui préoccupe Laman et Lémuel: C’est des « cinquante »,
garnison régulière et permanente de Jérusalem, qu’ils doivent
avoir peur. Le nombre cinquante cadre parfaitement avec le tableau
d’Amarna où les forces militaires sont toujours si étonnamment
petites et où une garnison de trente à quatre-vingts hommes est
considérée comme suffisante même pour de grandes villes. Ceci est
confirmé d’une manière frappante dans une lettre de
Nebucadnetsar, contemporain de Léhi, dans laquelle le grand roi
ordonne: « Quant aux cinquantes qui étaient sous tes ordres, que
ceux qui sont allés à l’arrière, ou les fugitifs, retournent à
leurs rangs. » Commentant ceci, Offord dit: « Il est intéressant
de remarquer l’indication que l’on trouve ici qu’à cette
époque, dans l’armée babylonienne, un peloton se composait de
cinquante hommes[40] »; en outre, pourrions-nous ajouter, qu’on
l’appelait un « cinquante » – de là, « Laban avec ses
cinquante » ("1 Néphi 4:1). Il est, bien sûr, question de
compagnies de cinquante dans la Bible, parallèlement à des dizaines
et à des centaines, etc., mais pas comme garnisons de grandes villes
et pas comme l’unité militaire standard de l’époque. Laban,
comme Hoshaiah de Lakisch, avait sous ses ordres une unique compagnie
de soldats comme garnison permanente, et comme Jaush (son successeur
possible), travaillait en collaboration étroite avec « Ies
autorités de Jérusalem ».
En
revenant au cours de la nuit pour essayer une troisième fois de se
procurer les documents, Néphi trébucha sur le corps étendu de
Laban couché ivre-mort dans la rue déserte ("1 Néphi 4:7). Le
commandant avait été (c’est ce que dit plus tard son serviteur à
Néphi) en conférence avec « les anciens des Juifs… [étant]
sorti de nuit parmi eux » ("1 Néphi 4:22) et portait son
armure d’apparat complète. Qu’est-ce que tout cela n’implique
pas ! Nous sentons la gravité de la situation à Jérusalem que «
les anciens » essayent toujours de cacher; nous entendons
l’excitation rentrée du discours pressant de Zoram tandis que
Néphi et lui parcourent rapidement les rues vers les portes de la
ville ("1 Néphi 4:27), et à voir l’empressement de Zoram à
changer de camp et à quitter la ville, nous pouvons être sûrs
qu’en sa qualité de secrétaire de Laban[41], il savait à quel
point les choses allaient mal. Les lettres de Lakisch montrent bien
que les cercles informés de Jérusalem étaient parfaitement au
courant de l’état critique des choses à Jérusalem, alors même
que les sarim, les « anciens », travaillaient de toutes leurs
forces à étouffer tout signe de critique et de désaffection.
Comment pouvaient-ils se consulter pour pourvoir à la défense de la
ville et de leurs propres intérêts sans éveiller l’alarme ou
susciter des rumeurs et des doutes généralisés ? En tenant leurs
réunions secrètes, bien sûr, des réunions nocturnes de dirigeants
civils et militaires comme celle à laquelle Laban venait d’assister.
Avec beaucoup de répugnance, mais incité avec persistance par « la
voix de l’Esprit » ("1 Néphi 4:18), Néphi prit l’épée
de Laban et lui coupa la tête. Cet épisode est considéré avec
horreur et avec incrédulité par des gens qui approuvaient et
applaudissaient récemment au massacre beaucoup moins miséricordieux
d’hommes bien plus innocents dans les îles du Pacifique. Samual
ibn Adiyt, le plus célèbre poète juif d’Arabie dans les temps
anciens, s’acquit une célébrité immortelle en Orient en laissant
mettre cruellement à mort son fils sous ses yeux plutôt que de
céder une armure précieuse qui avait été confiée par un ami à
ses soins[42]. L’histoire, qu’elle soit vraie ou non, rappelle
que les mentalités occidentale et orientale ne sont pas les mêmes,
et que l’insensibilité des Américains dans beaucoup de domaines
des relations entre personnes choquerait bien plus les Arabes que
nous ne pourrions l’être par ce qu’ils font. Le Livre de Mormon,
pas plus que la Bible, ne se limite à des épisodes paisibles et
agréables; il est en majeure partie la triste et affligeante
histoire de la folie humaine. Cependant personne ne semble plus
troublé par la mort de Laban que Néphi lui-même, qui se donne
beaucoup de mal pour expliquer sa situation ("1 Néphi 4:10-18).
Tout d’abord il fut « contraint par l’Esprit » de tuer Laban,
mais il dit dans son cœur qu’il n’avait jamais versé de sang
humain et la pensée le rendit malade: « Je reculais et souhaitais
ne pas avoir à le tuer » ("1 Néphi 4:10). L’Esprit parla de
nouveau, et à ses incitations Néphi ajoute ses propres raisons : «
Et je savais aussi qu’il avait cherché à m’ôter la vie; oui,
et il ne voulait pas écouter les commandements du Seigneur, et il
s’était également emparé de nos biens » ("1 Néphi 4:11).
Mais cela ne suffisait pas encore; l’Esprit parla de nouveau,
expliquant les raisons du Seigneur et assurant Néphi qu’il serait
dans le bon; à quoi Néphi ajoute encore d’autres arguments à
lui, se souvenant de la promesse que son peuple ne prospérerait
qu’en gardant les commandements du Seigneur. « Et je pensai aussi
qu’[il] ne pourrait pas garder les commandements... [s’il]
n’avait pas la loi » ("1 Néphi 4:15). Et seul le dangereux
et criminel Laban l’empêchait de les avoir. « Et en outre, je
savais que le Seigneur avait livré Laban entre mes mains... c’est
pourquoi j’obéis à la voix de l’Esprit » (1 Néphi 4:17-18).
Néphi
finit par s’exécuter, en prenant grand soin de se disculper et en
rejetant la responsabilité de tout sur le Seigneur. Si le Livre de
Mormon était un roman, rien n’aurait été plus facile que de
présenter Laban comme déjà mort lorsque Néphi le trouva ou
simplement d’omettre un épisode qui, de toute évidence,
affligeait autant l’auteur que le lecteur, quoique la mise à mort
de Laban ne soit pas plus répréhensible que la décapitation de
Goliath inconscient.
On
prétend de temps en temps que l’histoire de la mort de Laban est
absurde sinon impossible. On dit que Néphi n’aurait pas pu tuer
Laban et réussir à s’enfuir. Mais ceux qui connaissent bien les
patrouilles de nuit par temps de guerre verront dans l’histoire de
Néphi un récit convaincant et réaliste. Tout d’abord, les
critiques ne se rendent apparemment pas compte que l’éclairage des
rues, sauf en temps de fête, est une bénédiction inconnue des
époques antérieures à la nôtre. On pourrait citer des centaines
de passages d’écrivains anciens, classiques et orientaux pour
montrer que, dans le passé, les rues, même des plus grandes villes,
étaient absolument noires la nuit et très dangereuses. Se déplacer
tard le soir sans porteurs de lampes ni gardes armés, c’était
courir le risque presque certain d’être assailli. Dans le célèbre
procès d’Alcibiade à propos de la mutilation de l’Hermès, nous
avons le témoignage d’un témoin qui, tout seul, vit au clair de
la lune les déprédations nocturnes d’un groupe d’ivrognes au
cœur d’Athènes, ce qui montre clairement que les rues de la plus
grande ville du monde occidental étaient sombres, désertées et
dangereuses la nuit. Par temps d’agitation sociale, les rues, le
soir, étaient virtuellement abandonnées au milieu, comme elles
l’étaient dans certaines villes européennes pendant les
couvre-feux de la dernière guerre. L’étroitesse extrême des rues
de l’Antiquité rendait leur occultation doublement efficace. Les
comédies grecques et romaines et les poètes nous montrent à quel
point on devait verrouiller et garder les portes des maisons privées
le soir, et l’archéologie nous a montré des villes orientales
dans lesquelles apparemment pas la moindre fenêtre de maison ne
s’ouvrait sur la voie publique, tout comme il y en a peu, même
aujourd’hui, au niveau du sol. En Orient et en Occident, les
habitants s’enfermaient tout simplement le soir comme s’ils
étaient dans une forteresse assiégée. Même du temps de
Shakespeare, nous voyons la terreur comique de la garde de nuit
traversant les rues à des heures où tous les gens honnêtes
s’enferment. En un mot, les rues des villes anciennes après le
coucher du soleil constituaient le cadre parfait pour commettre des
actes de violence sans craindre d’être découvert.
Il
était très tard lorsque Néphi rencontra Laban (1 Néphi 4-5, 22) ;
les rues étaient abandonnées et sombres. Que le lecteur s’imagine
ce qu’il ferait s’il était en patrouille près du quartier
général ennemi pendant une occultation et trébuchait sur le corps
inconscient d’un général ennemi notoirement sanguinaire. En vertu
du code brutal de la guerre, l’ennemi n’a pas le droit à un
jugement officiel, et c’est l’occasion ou jamais. Laban portait
une armure, par conséquent la seule possibilité de le liquider
rapidement, sans douleur et en toute sécurité, c’était de lui
couper la tête – le traitement conventionnel des criminels où le
bourreau était passible d’une amende s’il ne décapitait pas sa
victime d’un seul coup net. Néphi tira la lourde arme tranchante
et se tint longtemps au-dessus de Laban, se demandant ce qu’il
allait faire ("1 Néphi 4:9-18). C’était un chasseur habile
et un homme puissant. En faisant attention, un homme de ce genre
pouvait faire un travail rapide et efficace et éviter de se mettre
beaucoup de sang sur lui-même. Mais pourquoi se soucier de cela ? Il
n’avait pas une chance sur mille de rencontrer un honnête citoyen;
et de toutes façons personne ne remarquerait le sang dans le noir.
Ce que l’on remarquerait, ce serait l’armure que Néphi mit sur
lui, laquelle, comme l’épée, pouvait facilement être essuyée.
Se revêtir de l’armure était la chose tout à fait naturelle et
astucieuse à faire. On pourrait citer un grand nombre de cas tirés
de la dernière guerre pour montrer qu’un espion dans le camp
ennemi n’est jamais aussi en sécurité que lorsqu’il porte les
insignes d’un officier militaire supérieur – à condition de ne
pas s’attarder – et Néphi n’en avait pas la moindre intention.
Personne n’ose se frotter de trop près à une grosse légume
(surtout pas à un Laban sombre et colérique); leurs affaires sont
toujours « top secret », et leur uniforme leur donne toute liberté
d’aller et de venir sans qu’on leur pose de question.
Néphi
nous dit qu’il était « guidé par l’Esprit » (1 Néphi 4:6).
Il ne prenait pas de risques impossibles mais, se trouvant dans une
situation difficile, il utilisa la formule la plus sûre de ceux qui
ont réussi à accomplir des tâches délicates. Son audace et sa
vitesse furent récompensées, et il était hors de la ville avant
que quoi que ce fût eût été découvert. Dans tout son exploit, il
n’y a absolument rien d’improbable.
La
manière dont Néphi se déguisa avec les vêtements de Laban et
amena le serviteur de Laban à l’admettre dans le trésor est un
exemple authentique de roman oriental aussi bien que d’histoire. Il
suffit de penser au déguisement étonnamment audacieux de Sir
Richard Burton en Orient, exécuté en plein jour et pendant des mois
d’affilée avec un succès parfait, pour se rendre compte que
pareille chose est tout à fait possible. Lorsque Zoram, le
serviteur, découvrit que ce n’était pas avec son maître qu’il
avait parlé des agissements extrêmement secrets des anciens tandis
qu’ils se dirigeaient vers les faubourgs de la ville, il fut rempli
de terreur, et à juste titre. Dans une telle situation, il n’y
avait qu’une seule chose que Néphi pouvait faire, à la fois pour
épargner Zoram et pour éviter qu’il ne donnât l’alerte – et
un Occidental n’aurait jamais pu deviner ce que c’était. Néphi,
homme puissant, retint Zoram, terrifié, avec une poigne de fer
suffisamment longtemps pour lui chuchoter un serment solennel à
l’oreille, « comme le Seigneur vit et comme je vis » ("1
Néphi 4:32), l’assurant qu’il ne lui ferait pas de mal s’il
l’écoutait. Zoram se détendit immédiatement et Néphi lui fit le
deuxième serment qu’il serait libre s’il se joignait à la
compagnie: « Si tu descends dans le désert vers mon père, tu auras
une place parmi nous» (1 Néphi 4:34).
Nous
avons déjà étudié le caractère correct des expressions
«descendre» et « avoir une place » aussi bien que la nécessité
pour Zoram de ne s’adresser qu’au seul père de Néphi. Ce qui
étonne le lecteur occidental, c’est l’effet miraculeux du
serment de Néphi sur Zoram, qui, en entendant quelques mots
conventionnels, devient promptement docile, tandis que, pour ce qui
est des frères, dès que Zoram « fit aussi le serment qu’il
demeurerait dorénavant avec nous... nos craintes à son égard
cessèrent » ("1 Néphi 4:35, "37).
La
réaction des deux parties a du sens quand on se rend compte que le
serment est par excellence la chose la plus sacrée et la plus
inviolable parmi les gens du désert : « Un Arabe ne rompt pas son
serment, même si sa vie est en danger[43] », car « il n’est rien
de plus fort, rien de plus sacré que le serment chez les nomades »,
et même chez les Arabes des villes, s’il est exigé d’eux dans
des conditions spéciales[44]. Mais tous les serments ne font pas
l’affaire. Pour engager totalement et être absolument solennel, un
serment doit se faire par la vie de quelque chose, ne serait-ce que
d’un brin d’herbe; le seul serment qui soit plus terrible que «
par ma vie » ou (moins couramment) « par la vie de ma tête », est
le wa hayat Allah, « par la vie de Dieu » ou « comme le Seigneur
vit », équivalent arabe de l’ancien hébreu hai Elohim[45].
Aujourd’hui la racaille urbaine l’emploie sans discernement, mais
autrefois c’était une chose terrible, et elle l’est encore parmi
les gens du désert: « Je confirmai ma réponse à la manière
bédouine, dit Doughty, par sa vie... Il dit… ‘Eh bien, jure par
la vie d’Ullah (Dieu) !’... C’est là la formule que même les
nomades utilisent, lors d’une grande occasion, mais, pour une
petite chose, ils disent: Par ta vie[46]. » Nous voyons donc que le
seul et unique moyen pour Néphi de calmer en un instant Zoram, qui
se débattait, c’était d’exprimer le seul serment que personne
ne songerait à rompre, le plus solennel de tous les serments pour
les Sémites : « Comme le Seigneur vit et comme je vis… » ("1
Néphi 4:32).
[1]
Philip J. Baldensperger, « The Immovable East », PEFQ, 1925, p. 81.
[2]
Richard F. Burton, Pilgrimage to Al-Medinah and Meccah, Londres,
Tylston & Edwards, 1893, 1:280.
[3]
La rivière coulait entre ces deux élévations, comme l’indiquent
les cartes de la région. La vallée semble assez grande. Nous
recommandons une recherche : depuis les temps les plus reculés les
voyageurs du désert ont l’habitude d’inscrire leur nom sur les
rochers aux endroits où ils ont campé. « Nous trouvons maintenant
des centaines de ces inscriptions. » Theodor Nöldeke, Die
semitischen Sprachen, Leipzig, Tauchnitz, 1899, p. 37. Il est
presque certain que le peuple de Léhi a laissé ses marques aux
étapes les plus importantes.
[4]
Ignac Goldziher, Abhandlungen zur arabischen Philologie, Leiden,
1896, 1:58.
[5]
Nil, Narratio (Narrations) 5, dans PG 79:648.
[6]
Ibn Qutayba, Introduction au livre de la poésie et des poètes,
Muqaddamatu Kitab-ish-Shi’re wa sh-Shu’ara, Paris, l’Association
Guillaume Budé, 1947, p. 18.
[7]
Bertram Thomas, Arabia Felix, New York: Scribner, 1932, p. 153.
[8]
Antoine de Saint-Exupéry, Wind, Sand and Stars, New York: Harcourt,
Brace, 1967, p. 104.
[9]
Kitab Taghribat Bani Hilal, Damas, Hashim, p. 54.
[10]
Goldziher, Abhandlungen zur arabischen Philologie 1:67-71.
[11]
Id., 1:59, 72 -75.
[12]
Ibn Qutayba, Introduction au livre de la poésie et des poètes, p.
25; cf. Goldziher, Abhandlungen zur arabischen Philologie 1:74.
[13]
Pierre Cersoy, « L’apologue de la vigne », RB 8, 1899, pp.
40-47.
[14]
Emmanuel Cosquin, « Le livre de Tobie et ‘L’histoire du sage
Ahikar’ », RB 8, 1899, pp. 54-55.
[15]
« Il m’est difficile d’expliquer l’effet de la poésie arabe à
quelqu’un qui n’a pas visité le Désert. » Burton, Pilgrimage
to Al-Medinah and Meccah, 2:99.
[16]
Gustav Richter, « Zur Entstehungsgeschichte der altarabischen Qaside
», ZDMG 92, 1938, pp. 557-58. Le passage cité est de ‘Antara.
[17]
Id., pp. 563-65.
[18]
Ibn Qutayba, Introduction au livre de la poésie et des poètes, p.
13.
[19]
Burton, Pilgrimage to Al-Medinah and Meccah, 1:278.
[20]
Carl Brockelmann, Geschichte der arabischen Litteratur, Leiden,
Brill, 1943, p. 16.
[21]
Burton, Pilgrimage to Al-Medinah and Meccah, 1:278, n. 3.
[22]
Richter, « Zur Entstehungsgeschichte der altarabischen Qaside »,
pp. 557-58.
[23]
Brockelmann, Geschichte der arabischen Litteratur, p. 12.
[24]
James L. Montgomery, Arabia and the Bible, Philadelphie, University
of Pennsylvania Press, 1934, p. 21.
[25]
On remet maintenant en question même l’interprétation tout
entière du Psaume 23.
[26]
Burton, Pilgrimage to Al-Medinah and Meccah, 2:98.
[27]
Voir « Le problème de la nourriture » traité dans le texte
ci-dessus.
[28]
Frank E. Johnson, tr., Al-Mu’allaqat, Bombay, Education Society’s
Steam Press, 1893, p. 71, ligne 13.
[29]
J. Dissard, « Les migrations et les vicissitudes de la Tribu des
‘Amer », RB 2, 1905, pp. 411-16.
[30]
Frederick J. Bliss & R. A. Stewart Macalister, Excavations in
Palestine, Londres, Palestine Exploration Fund, 1902, p. 204.
[31]
Id., p. 269.
[32]
Edward H. Palmer, « The Desert of the Tih and the Country of Moab »,
dans Survey of Western Palestine, Special Papers, Londres, Palestine
Exploration Fund, 1881, 4:19-21.
[33]
Bliss & Macalister, Excavations in Palestine, pp. 266-67; W. F.
Birch, « Hiding-Places in Canaan », PEFQ, 1884, pp. 61-70, aussi,
1880, p. 235, and 1881, pp. 323-24.
[34]
En fait cette langue n’a pas été conservée même dans
l’Antiquité, et quand le moment est venu où l’ouvrage devait
remplir son grand objectif de rendre témoignage au monde, il a fallu
qu’il soit traduit par le don et le pouvoir de Dieu. À l’époque,
Néphi ne savait rien de cet objectif.
[35]
Kitab Taghribaht Bani Hilal, p. 14.
[36]
Eduard Meyer, Geschichte des Altertums, 2e éd., Stuttgart,
Cotta,1928, vol. 2, 1e partie, p. 137.
[37]
J. W. Jack, « The Lachish Letters – Their Date and Import »,
PEFQ, 1938, p. 168.
[38]
On trouvera l’histoire de Wenamon dans James H. Breasted, A History
of Egypt, 2e éd., New York, Scribner, 1951, pp. 513-18; James
Baikie, The History of the Pharaohs, Londres, Black, 1926, pp.
285-87; James H. Breasted, « The Decline and Fall of the Egyptian
Empire », Cambridge Ancient History, Cambridge University Press,
1931, 2:193-94. Plus récemment, Hans Goedicke, The Report of
Wenamun, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1975.
[39]
Jack, « The Lachish Letters – Their Date and Import », p. 168.
[40]
Joseph Offord, « Archaeological Notes on Jewish Antiquities »,
PEFQ, 1916, p. 148.
[41]
William F. Albright, « The Seal of Eliakim and the Latest Preexilic
History of Judah, With Some Observations on Ezekiel », JBL 51, 1932,
pp. 79-83, montre que le titre « serviteur » à Jérusalem à
cette époque signifiait quelque chose comme « représentant
officiel » et était un titre honorable plutôt que dégradant.
[42]
Brockelmann, Geschichte der arabischen Litteratur, p. 34.
[43]
W. Ewing, « A Journey in the Hauran », PEFQ, 1895, p. 173.
[44]
Antonin Jaussen, « Mélanges », RB 12, 1903, p. 259; cf. C.
Clermont-Ganneau, « The Arabs of Palestine », dans Survey Western
Palestine, Special Papers, Londres, Palestine Exploration Fund, 1881,
4:327.
[45]
Clermont-Ganneau, « The Arabs of Palestine », pp. 326-27;
Baldensperger, PEFQ, 1910, p. 261.
[46]
Charles M. Doughty, Travels in Arabia Deserta, New York, Random
House, 1936, 2:27.
CHAPITRE
SIX : Léhi le vainqueur
Un
mot sur les plaques
Nous
avons vu comment le gouverneur de Byblos, pour marquer un point en
marchandant avec Wenamon, fit apporter ses documents et ses récits
de famille et les fit lire devant lui. Dans les tablettes d’Amarna,
le Rabu d’une ville palestinienne écrit à un prince voisin: «
Mais maintenant voici [notez le style du Livre de Mormon], le roi
fait en sorte que sa ville fidèle échappe à sa main; que le roi
cherche dans les tablettes qui sont gardées dans la maison de son
père et apprenne si celui qui gouverne Gubla a été son serviteur
fidèle[1]. » Ici, comme à Byblos, les documents étaient conservés
dans la maison de la famille régnante; même dans la Rome lointaine,
à l’époque de Léhi, les documents à partir desquels les annales
ultérieures furent composées semblent avoir été conservés sur
des tablettes chez les familles dirigeantes[2]. À cette époque, la
pratique semble avoir été générale autour de la Méditerranée.
Lorsque l’ouvrage avait une importance réelle, on se servait de
cuivre ou de bronze ou même de métal plus précieux au lieu des
tablettes ordinaires de bois, de plomb ou d’argile. Une des
découvertes les plus récentes de ce genre en Palestine est « une
plaque de cuivre ou de bronze » en hébreu, datant du douzième
siècle av. J.-C., contenant un message « de caractère tout à fait
séculier et profane, mais « qui dut paraître suffisamment
important pour être gravé sur cette matière durable quoique ‘peu
pratique’ qu’est le métal[3] ». On tenait sur des plaques
d’argent les documents plus précieux comme le célèbre traité de
1287 entre les rois d’Égypte et les Hittites, et le document royal
des actes de Darius méritait rien moins que l’or, et a fait
l’objet d’une attention considérable de la part des auteurs
mormons. Les mystérieux textes en « égyptien réformé » de
Byblos sont sur des plaques de bronze et la Chronique démotique
d’Égypte était tenue, à l’origine, sur des plaques. Il y a
dans Idrisi (1226 apr. J.-C.) un récit intéressant sur l’ouverture
de la tombe de Mykérinos dans la troisième des trois grandes
pyramides. L’auteur rapporte que tout ce que l’on trouva dans la
tombe, ce fut un sarcophage bleu contenant « les restes décomposés
d’un homme, mais pas de trésor, sauf quelques tablettes d’or,
couvertes de caractères dans une langue que personne ne pouvait
comprendre ». Les tablettes furent utilisées pour payer les
ouvriers et l’or qui s’y trouvait valait à peu près deux cents
dollars[4]. Nous laissons au lecteur le soin d’imaginer ce qui
pouvait être écrit sur ces plaques d’or qu’un des plus grands
des pharaons considérait apparemment comme le plus grand trésor
avec lequel on pouvait l’enterrer.
Une
lumière nouvelle et peut-être significative concernant les
documents sur plaques nous parvient d’une source inattendue.
Récemment un grand nombre de plaques d’or, écrites, perforées et
reliées les unes aux autres par des anneaux de métal sont apparues
en Inde. Nous pouvons prendre comme typiques (sauf qu’elles sont
plus étroites que la plupart) les plaques de Kesarbeda : «
l’ensemble se compose de trois plaques de cuivre reliées par un
anneau de cuivre... La circonférence et le diamètre de l’anneau
sont respectivement d’environ vingt centimètres et cinq
centimètres... Les plaques mesurent à peu près vingt centimètres
de long et un demi-centimètre de large chacune. Les coins sont
arrondis... les plaques contiennent à leur droite un trou ayant un
diamètre d’un demi-centimètre pour l’anneau. » Toutes les
plaques sont écrites des deux côtés[5]. La date de ces plaques est
d’environ 324 apr. J.-C. Le contenu, une charte de royauté, donne
les conditions dans lesquelles le pays sera gouverné.
Plus
à l’est, mais toujours dans la sphère de la culture indienne, des
plaques écrites du même genre, mais que l’on ne peut plus lire,
sont transmises « de père en fils » comme talismans anciens
d’origine surnaturelle[6], montrant comment l’idée d’autorité
et de caractère sacré reste attachée aux plaques longtemps après
que les hommes ont perdu la capacité de les lire. Chez les Karens,
une plaque de ce genre, formée de deux sortes de plaques soudées
l’une à l’autre, dos à dos, l’une de cuivre et l’autre
apparemment d’or, était en réalité « le talisman par lequel le
chef détenait son pouvoir sur le peuple[7] », ce qui signifie que
le droit de gouverner le pays dépendait de la possession de ces
plaques, probablement parce qu’en réalité ces plaques étaient à
l’origine une charte royale.
Bien
sûr, l’Inde semble très éloignée du monde culturel de Léhi, et
pourtant l’écriture ancienne et moderne de la région dérivait en
réalité des formes araméenne et phénicienne, tirées en fin de
compte de l’égyptien[8]. Puisque l’écriture la plus ancienne
connue en Inde (sans compter les inscriptions préhistoriques de
Mohenjo-Daro, etc.) est celle que l’on trouve sur les plaques, il
est au moins probable que l’écriture et les plaques furent
introduites en même temps, et que les gens qui introduisirent les
lettres sémitiques dans la région tenaient leurs documents sur des
plaques rattachées par des anneaux, la forme étant conservée par
les Indiens eux-mêmes dans leurs documents les plus anciens et les
plus sacrés. Le cas des Karens est particulièrement intéressant
parce que ces gens ont montré des affinités culturelles si
étonnantes avec les Juifs que certains observateurs ont même
prétendu qu’ils étaient d’origine juive[9]. S’il en est
ainsi, leur histoire a pu comporter plus d’un parallèle avec celle
de Léhi. Beaucoup de chapitres de la diaspora doivent encore être
écrits. Mais ce que nous voulons faire ressortir ici, c’est que
l’on commence à se rendre compte que la connaissance et
l’utilisation des plaques de métal pour enregistrer des documents
importants était une pratique généralisée dans tout le monde
antique. Il ne faudra plus beaucoup de temps pour que les homme
oublient que, du temps de Joseph Smith, le prophète a été tourné
en dérision et ridiculisé plus pour sa description des plaques que
pour toute autre chose.
Néphi
fut très impressionné par l’épée de Laban: « Sa poignée était
d’or pur et son exécution était extrêmement fine, et... sa lame
était de l’acier le plus précieux » ("1 Néphi 4:9). Des
épées et des poignards cérémoniels de ce genre avec des poignées
d’or finement ciselé ont été communs au Proche Orient pendant
tous les temps historiques. Beaucoup d’échantillons d’Égypte et
de Babylonie reposent dans nos musées[10], mais il n’en est aucun
qui soit plus célèbre ni plus beau que le splendide poignard
d’argent à la poignée en or pur et du travail le plus fin que
l’on a trouvé sur la personne du jeune roi Toutankhamon[11]. On a
même suggéré que ce poignard était l’un des deux qui avaient
été envoyés, bien des années auparavant, par le roi Dushratta de
Mitanni au Pharaon régnant de l’époque comme le plus royal des
dons et décrits dans un document contemporain comme ayant des
poignées d’or et des lames d’acier[12]. Le terme de Néphi «
acier précieux » est intéressant, car de son temps, l’acier réel
était beaucoup plus précieux que l’or, étant sans doute fait de
sidérolithe et de qualité supérieure. Les célèbres lames de
Damas, le meilleur acier que le monde ait jamais vu, étaient
toujours, selon Jacob, en sidérolithe – indication d’une origine
très ancienne[13]. Même dans la Palestine moderne, les épées et
les poignards ont été « surtout de fabrication damascène ou
égyptienne[14] ». Aujourd’hui encore, on ne voit jamais de prince
arabe en vêtement national sans son « khanjar », le long poignard
recourbé en acier de Damas avec sa splendide poignée d’or. Ces
armes cérémonielles sont souvent des bijoux de famille d’une
grande antiquité et d’une immense valeur. Ainsi donc, à n’importe
quelle époque entre la période d’Amarna (quinzième siècle av.
J.-C.) jusqu’à l’époque actuelle, l’étiquette de l’Orient
aristocratique exigeait que Laban portât une arme semblable à celle
que décrit Néphi.
La
fin du désert
Dans
les voyages à travers le désert, nous disent les experts, tous les
jours – et c’est ce qui est déprimant – se ressemblent.
Pendant des milliers d’années, le langage du désert est demeuré
virtuellement inchangé, employant les mêmes mots et les mêmes
expressions, sans altération, de siècle en siècle, parce que les
choses qu’ils décrivent n’ont jamais changé. C’est tout à
fait à bon droit que Margoliouth utilise l’épopée des Bani Hilal
pour illustrer les migrations des enfants d’Israël, des milliers
d’années avant eux : « Ils n’émigrent pas au petit bonheur...
» mais se font précéder par des éclaireurs et avant de prendre
une quelconque décision, ils prennent grand soin de découvrir la
volonté du ciel par « divers présages et augures ». Ceci vaut
parfaitement pour le peuple de Léhi, dont les jeunes gens partent
constamment en éclaireurs et à la chasse. Quant à apprendre la
volonté du ciel, pas de meilleur instrument que le merveilleux
Liahona. Le nom suggère tant d’interprétations hébraïques et
égyptiennes possibles (c’est, par interprétation, « un compas »
Alma 37:18), que toutes les explications sont bonnes et cela ne nous
concerne pas ici, puisque, en tant que chose miraculeuse, il n’a
pas de parallèle dans la vie de tous les jours. D’autre part, on
peut facilement trouver un parallèle de ce genre au commentaire de
Néphi sur la manière merveilleuse dont les femmes semblaient
prospérer malgré le dur mode de vie bédouin (1 Néphi 17:2), car
ce phénomène a toujours impressionné les visiteurs chez les
Arabes, où, dit Burton, « entre les extrémités de la férocité
et de la sensibilité, le sexe faible, remédiant à sa grande
lacune, la force, s’élève par le courage, physique aussi bien que
moral[15] ».
Néphi
n’a aucune raison de nous donner, dans son histoire extrêmement
abrégée, un récit au jour le jour d’un voyage long et monotone
dans le sable ; il nous a donné, comme nous l’avons vu, une idée
générale claire de la mauvaise humeur, de l’épuisement et du
danger qui constituent l’histoire commune des voyages dans le
désert et il n’y a pas grand-chose à dire de plus que cela. Mais
il ne peut cacher l’excitation et la joie de voir la fin du voyage.
Après
avoir parcouru une énorme distance dans une direction sud-sud-est
("1 Néphi 16:13, "33), le groupe bifurqua pratiquement en
direction de l’est, à travers le pire de tous les déserts, où
ils « [souffrirent] beaucoup d’afflictions », pour arriver dans
un état d’épuisement presque total à un paradis tout à fait
inattendu au bord de la mer. Il y a un paradis de ce genre dans les
montagnes Qara sur la côte méridionale de l’Arabie. Pour y
arriver en se dirigeant « presque dans la direction de l’est »
("1 Néphi 17:1) à partir de la côte de la mer Rouge, il
faudrait tourner vers l’est au dix-neuvième parallèle. Dans
l’Improvement Era de septembre 1951, l’auteur a publié une carte
dans laquelle il se souciait principalement de faire arriver Léhi à
la mer dans le secteur forestier de l’Hadramaout et aucune autre
considération ne dictait son dessin de la carte. Il avait sottement
oublié le fait que le Dr John A. Widtsoe avait publié dans l’Era,
quelques mois auparavant, ce qui se dit être, et est probablement,
une authentique « révélation à Joseph le voyant », dans laquelle
il est dit que la compagnie de Léhi « voyagea presque vers le
sud-sud-est jusqu’au moment où elle arriva au dix-neuvième degré
de latitude nord ; puis presque vers l’est jusqu’à la mer d’Oman
»[16]. Par une coïncidence intéressante, l’itinéraire marqué
sur la carte de l’auteur tournait vers l’est exactement au
dix-neuvième parallèle. Cette correspondance des données venant de
deux sources tout à fait différentes est une forte indication que
les deux sont correctes. Le seul autre itinéraire possible aurait
été le long de la côte occidentale de la mer Rouge depuis le canal
de Néchao, et avec un tel itinéraire, on ne peut tourner vers l’est
avant d’avoir dépassé le dixième parallèle, et alors ce n’est
pas la mer d’Oman que l’on trouve, mais l’océan Indien.
Parallèlement à cela, il faut remplir certaines autres conditions
rigoureuses qui ne se vérifient que sur la côte sud de l’Arabie.
À
propos des monts Qara, qui se trouvent dans ce secteur limité de la
côte méridionale de l’Arabie que Léhi a forcément dû atteindre
s’il a tourné vers l’est au dix-neuvième parallèle, Bertram
Thomas, un des rares Européens qui les ait jamais vues, écrit :
«
Quel endroit merveilleux ! Des montagnes de neuf cents mètres de
haut dominant un océan tropical, leurs pentes tournées vers la mer,
veloutées d’une jungle ondoyante, le dessus parfumé de prairies
jaunes vallonnées, au-delà desquelles les montagnes s’inclinent
vers le nord jusqu’à une steppe de grès rouge... Grande fut ma
joie lorsqu’en 1928 je débouchai sur tout cela à la sortie des
déserts arides des régions frontalières du sud[17]. »
Le
capitaine Thomas (que Lowell Thomas appelle « le plus grand
explorateur vivant ») décrit ensuite les buissons aromatiques de
l’endroit, les vallées boisées, « Ie bord brumeux de la mer
lointaine dressé au-delà des montagnes qui dévalent vers elle »,
et l’admirable beauté des « scènes sylvestres » qui se
présentaient à la vue tandis qu’il traversait les forêts
luxuriantes vers la mer[18].
Comparez
ceci à la description de Néphi :
Et
nous arrivâmes au pays que nous appelâmes Abondance à cause de la
grande quantité de ses fruits et aussi de son miel sauvage... et
nous vîmes la mer... et en dépit du fait que nous avions souffert
beaucoup d’afflictions et beaucoup de difficultés, oui, tellement
que nous ne pouvons les écrire toutes, nous fûmes extrêmement
réjouis lorsque nous arrivâmes au bord de la mer; et nous appelâmes
l’endroit Abondance, à cause de la grande quantité de ses
fruits... et... la voix du Seigneur me parvint, disant: Lève-toi et
rends-toi sur la montagne... (1 Néphi 17:5-7).
C’est
virtuellement la même scène: les montagnes, les riches forêts avec
du bois de charpente pour les bateaux, la prairie jaune ondoyante,
paradis des abeilles, le spectacle de la mer au-delà, et surtout le
joyeux soulagement au moment de sortir soudain de la « steppe de
grès rouge », un des pires déserts de la terre. Thomas ne
s’intéressait bien sûr pas à trouver du miel, mais pour ceux qui
doivent vivre en permanence dans le désert, il n’est pas de plus
grand trésor que de trouver du miel, comme le montre bien un grand
nombre de racines et de dérivés dans le vocabulaire arabe[19]. Une
description à peu près semblable pourrait convenir aux montagnes
d’Oman plus loin à l’est, situées au vingt-cinquième
parallèle, dont la découverte fut une grande surprise en 1838[20].
Lorsqu’en 1843 Von Wrede fit une description enthousiaste des
montagnes de l’Hadramaout auxquelles parvint Léhi, le grand Von
Humboldt, et bien sûr après lui le monde savant tout entier, refusa
tout simplement de le croire[21]. Les délicieuses montagnes de
Thomas étaient inconnues en Occident jusqu’à il y a moins de
vingt-cinq ans. Bien que « Ies côtes méridionales d’Arabie aient
des ports admirables », elles ne semblent pas avoir été utilisées,
à quelques exceptions possibles près, avant une époque fort
postérieure au temps du Christ[22].
Quand
on regarde le groupe épuisé de Léhi descendre vers les plaisantes
vallées jusqu’à la mer, on est poussé à se dire qu’il a fait
un chemin immense rien que pour construire un bateau. Que le lecteur
propose donc un autre itinéraire. Le meilleur guide sur l’Arabie,
à l’époque où le Livre de Mormon a été écrit, imaginait des
forêts et des lacs au centre de la péninsule, tout en insistant sur
le fait que la région côtière tout entière était « un mur de
pierres... aussi nu et désert que possible; pas un brin d’herbe,
pas la moindre tache de verdure » à trouver[23]. Le Livre de Mormon
inverse l’image et nous montre Léhi évitant le cœur du continent
pour découvrir les régions boisées et souriantes de la côte
méridionale. En quel autre endroit aurait-il pu trouver son bois de
charpente sur toute la côte de l’Arabie ? « Il est tout à fait
probable, écrit une autorité moderne, que Salomon dut transporter
ses bateaux, ou le matériel pour les construire, depuis la
Méditerranée, car où, sur les rives de la mer Rouge, pouvait-on
trouver du bois de charpente pour construire des bateaux ?[24] ».
Et
par quel autre itinéraire Léhi aurait-il pu atteindre son heureux
rivage ? Au nord, c’était le territoire ennemi, la Méditerranée
était un monde de ports fermés et de mers fermées, aussi dangereux
que du temps de Wenamon, qui était constamment arrêté par des
ennemis et des pirates ; les déserts à l’est de Jérusalem
foisonnaient de tribus hostiles et sur pied de guerre ; le nord et le
centre de l’Arabie étaient les lieux classiques de pâturage et de
combat des Arabes, et à ce point sillonnés de routes marchandes du
temps de Ptolémée « qu’il ne semble pas rester grand-chose du
désert inaccessible… ‘d’une manière générale Ptolémée ne
connaît pas de désert’[25] ».
L’Égypte
n’offrait pas de refuge à quelqu’un que le parti pro-égyptien
considérait comme ennemi. Un seul chemin était libre, le plus dur
et le plus sauvage, à travers les montagnes qui bordent la mer Rouge
et puis vers l’est en traversant l’extension occidentale du
terrible « quartier vide » où le groupe connut tant d’afflictions.
Il fallait qu’ils bifurquent vers l’est quand ils le firent parce
que tout le coin sud-ouest de la péninsule était occupé par le
royaume des Sabéens, l’état qui fut probablement le plus fort, le
plus riche et le plus densément peuplé que l’Arabie ait jamais
connu.
Ainsi
donc, aussi long et pénible qu’il fût, l’itinéraire de Léhi
se révèle avoir été en réalité le plus court et le plus sûr,
sinon le seul qu’il aurait pu prendre. C’est sur le rivage de la
mer d’Oman que se termine à proprement parler l’histoire de Léhi
dans le Désert. Bien que ceci n’ait été qu’une narration
préliminaire, nous en avons dit assez pour justifier certaines
réflexions en guise de résumé.
Léhi
à la barre des témoins
Nous
ne nous sommes jamais beaucoup intéressé à « prouver » le Livre
de Mormon; pour nous, sa provenance divine a toujours été un
article de foi et ses aspects historiques sont de loin la chose la
moins importante chez lui. Mais « Ie monde » prétend que c’est
un faux grossier et stupide, une falsification éhontée commise par
un paysan ignorant qui pouvait à peine écrire son nom. Il a proféré
l’accusation, qu’il la prouve. Ce devrait être très facile s’il
a raison, il suffirait simplement de feuilleter quelques pages et de
mettre le doigt sur d’innombrables erreurs, puisque l’accusé
s’est clairement engagé et n’a pas lésiné sur les détails. La
nature du document qu’il affirme traduire est si singulière, et
les conditions que le document doit remplir sont si spécifiques et
si astreignantes, que son auteur doit certainement être reconnu
coupable au premier coup d’œil s’il ment. D’autre part, si son
écrit montre la moindre tendance à se conformer aux conditions
spéciales prescrites, ses critiques devront donner pas mal
d’explications, et s’il montre une tendance constante à se
conformer à ces conditions difficiles, ses critiques feront
faillite. Nous croyons que cette petite étude, aussi provisoire et
limitée qu’elle soit, indique néanmoins, au-delà de tout doute
raisonnable, une tendance de ce genre.
Qu’avons-nous
prouvé ? Simplement que tout ce que le livre de 1 Néphi dit s’être
réellement produit a pu arriver. Non pas que c’est arrivé :
Prouver cela n’est ni nécessaire ni possible. Les événements
uniques de l’histoire ne peuvent jamais être reconstitués avec
certitude; mais les événements caractéristiques apparentés: us et
coutumes, rituels, etc., des choses qui arrivent non pas une seule
fois, mais maintes et maintes fois dans des contextes bien connus,
peuvent être l’objet d’une certitude presque absolue. C’est
par conséquent eux, et non pas les événements particuliers, qui
sont les choses les plus difficiles à contrefaire; quand on veut
vérifier les faux et identifier les documents, c’est bien le
contexte général qui est de première importance. Ce principe est
bien illustré dans la critique de Palgrave par Cheesman. Bien que
les descriptions de Hufhuf par Palgrave soient si remplies d’ «
inexactitudes pures et simples » et « d’indiscrétions flagrantes
» qu’elles paraissent être de parfaites inventions, et bien que
la carte que fait Palgrave de Hufhuf soit si pleine d’inexactitudes
qu’il n’a même pas pu l’orienter, Cheesman n’en conclut pas
moins que « Ia description que fait Palgrave de Hufhuf, de ses
jardins, de ses arcades, de ses industries et de son peuple...
n’aurait pu être composée que par un témoin oculaire ». En
dépit de toutes ses imperfections, l’ensemble du tableau présente
des objets qui n’auraient pas été mentionnés s’ils n’avaient
pas été vus. « Il n’est que trop facile, écrit le même auteur,
aussi soigneux que l’on soit, de tomber dans de petites
inexactitudes, quand on s’efforce de mettre de la couleur dans la
description que l’on fait d’un pays, et il est encore plus
facile, je m’en suis aperçu, de venir après et de faire remarquer
les erreurs d’un prédécesseur[26]. » Voilà un puissant argument
en faveur du récit sobre et détaillé de Néphi, dont nous
pourrions pardonner les erreurs de détail si nous pouvions les
découvrir. En parlant de Léhi dans le Désert, nous avons, pour
ainsi dire, amené le vieux patriarche à la barre comme témoin dans
le procès de Joseph Smith contre le Monde. Smith a été accusé (et
comment!) de pratiques frauduleuses, et Léhi est témoin pour la
défense. Il affirme avoir passé des années dans certaines parties
du Proche-Orient il y a environ 2550 ans. Dit-il la vérité ?
Des
générations d’accusateurs astucieux et décidés n’ont pas pu
ébranler le témoignage de Léhi ni le surprendre en flagrant délit
de contradiction avec lui-même. Cela devrait suffire à satisfaire
les gens les plus critiques. Mais voici que de l’Orient viennent de
nouveaux témoins: le capitaine Hoshaiah de Lakish, une armée
d’explorateurs bronzés, revenus des déserts de Léhi pour nous
dire comment y est la vie, les anciens poètes des Arabes, des
caisses et des caisses de pièces à conviction de A à Z, des
sceaux, des inscriptions, des lettres, des débris de poteries venus
de la propre patrie de Léhi. Qui aurait jamais pensé que Léhi
serait un jour confronté avec des témoins oculaires des scènes
mêmes qu’il prétend avoir vues ? À la lumière de toutes ces
nouvelles preuves, la défense demande que l’on ouvre à nouveau le
procès.
C’est
ainsi que Léhi et les nouveaux témoins sont examinés
contradictoirement et leurs réponses comparées. Les questions
pleuvent dru : Comment vous appelez-vous ? Ne savez-vous pas qu’il
n’y a pas de nom de personne comme cela ? (On présente un tesson
datant de l’époque de Léhi portant le nom Léhi, qui n’est pas
rare.) Où habitiez-vous à l’époque ? Qu’entendez-vous par «
pays de Jérusalem » ? Vous ne voulez pas dire la ville ? (La
défense montre une vieille lettre montrant que le territoire
entourant la ville était appelé pays de Jérusalem.) Qui gouvernait
Jérusalem ? Quel genre d’hommes étaient-ils? Qu’avez-vous fait
pour vous les mettre à dos ? Où avez-vous été chercher cette
grande richesse dont parle votre fils ? Par quel hasard avez-vous
appris l’égyptien – n’était-ce pas un gaspillage de temps ?
Pourquoi n’avez-vous pas appris le babylonien, langue bien plus
proche de la vôtre ? Pourquoi se chamaillait-on dans votre famille ?
J’ai toute une liste de noms ici, votre soi-disant famille et vos
descendants. Attendez-vous du tribunal qu’il croie qu’ils sont
authentiques ? Si c’est une liste authentique, pourquoi ne
contient-elle pas de noms en Baal ? Vous dites que vous avez eu des
songes: à quel sujet ? Une rivière ? Quel genre de rivière ?
Qu’est-ce que cet étrange « brouillard de ténèbres » ?
Avez-vous jamais rien vu de semblable lorsque vous étiez éveillé ?
(Des dizaines de témoins attestent.) Ne pensez-vous pas qu’un
rêve est un prétexte bien mince pour quitter votre maison et votre
pays ? Dans quelle direction vous êtes-vous enfui? Comment
pouviez-vous constituer une grosse caravane sans être appréhendé ?
Qu’avez-vous emporté ? Comment avez-vous voyagé – à pied ?
Comment avez vous fait pour survivre avec des femmes et des enfants
dans un terrible désert ? Comment avez-vous fait pour ne pas être
massacrés par des razzieurs ? Ne savez-vous pas que ce désert était
très dangereux ? Que mangiez-vous ? Marchiez-vous constamment ?
Lorsque vous campiez, quelle était la première chose que vous
faisiez ? Quel genre d’autel ? Quel genre de gibier chassiez-vous ?
Où ? Comment ? Qui s’occupait de la chasse ? Votre fils a fait un
arc, dites-vous: où, dans l’Arabie désertique, pouvait-il trouver
du bois pour en faire un ? Quel droit aviez-vous de vous en aller
donner des noms nouveaux aux lieux ? Pensez-vous qu’une personne
sensée donnerait à une rivière et à sa vallée des noms
différents ? (Rugissement de protestation de la part des Arabes de
l’auditoire). Qui a jamais qualifié la mer Rouge de source ? Ne
savez-vous pas qu’il n’y a pas de rivières en Arabie ? Ce petit
discours que vous avez fait à vos fils au bord de la rivière –
est-ce que vous n’en faites pas un peu trop ? (Nouvelles
protestations de la part des Bédouins.) Ne pensez-vous pas que c’est
plutôt ridicule de dire d’une vallée qu’elle est « ferme et
constante » ? Où vos fils ont ils logé lorsqu’ils sont retournés
à Jérusalem ? Et cette caverne ? Les plaques de métal ne
sont-elles pas un support d’écriture plutôt peu maniable pour y
inscrire des textes ? Cinquante hommes ne sont-ils pas une garnison
ridiculement petite pour une ville comme Jérusalem ? Vous décrivez
des réunions nocturnes entre les Anciens et le commandant : Ne
serait-il pas beaucoup plus sensé de tenir les réunions en plein
jour ? Vous voulez faire croire à la cour que vous avez réellement
emmené du blé avec vous dans ce long et épuisant voyage ?
Essayez-vous de dire au tribunal que vous avez trouvé un paradis à
l’extrémité méridionale du pays le plus désolé de la terre ?
Etc.
etc. Le lecteur peut en ajouter à volonté à cette liste de
questions pénétrantes – notre étude indique plus d’une
centaine de possibilités, la plupart étant des questions auxquelles
personne sur la terre n’aurait pu répondre correctement il y a
cent vingt ans. L’auteur de 1 Néphi se trouvait en face de cent
problèmes délicatement interdépendants, d’une difficulté
extrême. La probabilité de tomber juste par le fait du hasard est
assez mince, mais les chances de rééditer cet exploit une centaine
de fois à un rythme rapide sont infimes. Le monde dans lequel Léhi
errait était pour l’Occidental de 1830 un bourbier mouvant sans la
moindre trace visible d’entroit où prendre pied, perdu dans un
brouillard impénétrable; les meilleurs spécialistes de la Bible
étaient terriblement mal renseignés même sur la Palestine. L’étude
scientifique de la Terre Sainte a commencé avec Edward Robinson en
1838, et pourtant quarante ans plus tard, une grande autorité
écrivait : « Il y a peu de pays où l’on voyage plus qu’en
Palestine; et il y en a peu dont on connaisse moins les us et
coutumes de la population...[27] » Dix ans plus tard, le Palestine
Exploration Fund faisait cette déclaration officielle : « On ne
connaît pour ainsi dire rien de précis sur le désert de
l’Errance[28]. » La Bible elle-même, au lieu de résoudre les
problèmes, est, selon Palmer, la cause principale des « grandes
divergences » que l’on trouve dans les rapports des
observateurs[29]. L’exemble classique en est le Kadesh Barnea du Dr
H. Clay Turnbull, recommandé par de grandes autorités en 1884 comme
étant l’ouvrage classique sur le désert du sud et « accepté par
les géographes bibliques comme étant l’autorité sur la région
», et ce jusqu’à nos jours, lorsque Woolley et Lawrence
explorèrent la région et découvrirent que ce guide infaillible
était simplement « de la fantaisie »[30]. Quant au travail de
Clarke sur la même région, publié un an après celui de Turnbull,
les mêmes critiques se contentent de faire cette réflexion: « Sans
commentaires »[31]. Dès 1935, le colonel Newcombe pouvait écrire:
« J’avais plusieurs livres au sujet des Errances, mais presque
tous avaient été écrits par des visiteurs idéalistes mais très
inexpérimentés… La plupart de ces livres étaient tout à fait à
côté de la vérité par manque de connaissance du pays ou de
compréhension de l’esprit bédouin. Chacun semblait exagérer
grossièrement sa petite théorie aux dépens de celles des
autres[32].» Que l’on ne croie donc pas que l’accès à la Bible
aurait facilité la tâche de composition de l’histoire de Léhi –
cela n’aurait fait que compliquer les choses. Cependant nous voyons
que notre guide est confiant et avance avec assurance, ne revenant
jamais sur ses pas pour changer d’itinéraire, n’hésitant jamais
un instant ni ne cherchant refuge dans des paroles vagues qui
n’engagent à rien, ne demandant jamais à être excusé ni ayant
recours au vieux truc qui consiste à demander à être compris
uniquement dans un sens « religieux », ne se cachant jamais
derrière un écran de fumée et ne devenant pas consciemment ou
inconsciemment confus ou compliqué.
Quelques
contrôles simples
Le
présent traitement de l’histoire de Léhi laisse beaucoup à
désirer (nous pouvons, nous, nous permettre de demander l’indulgence
du lecteur pour avoir utilisé le terme Juif trop libéralement ou
nous être engagés dans des suppositions assez fumeuses sur le
langage), mais si une fraction seulement de nos informations a été
bonne, il est impossible d’expliquer 1 Néphi en disant que c’est
une simple coïncidence. Pour illustrer ceci, que le lecteur fasse un
essai tout simple. Qu’il se mette à écrire l’histoire de la
vie, disons au Tibet au milieu du Xle siècle ap. J.-C. Qu’il
bâtisse entièrement son histoire sur la base de ce que le hasard
veut qu’il sache à ce moment précis sur le Tibet au onzième
siècle – cela représentera assez bien ce que l’on savait de
l’Arabie ancienne en 1830, c’est-à-dire que l’endroit existait
et qu’il était très mystérieux et romantique. En composant votre
fantaisie tibétaine, vous jouirez d’un grand avantage : étant
donné que la toile est entièrement vide, libre à vous de la
remplir de tout ce qui vous vient à l’idée. Vous ne devriez donc
pas avoir beaucoup de difficulté à « démarrer votre récit en
douceur », chose qui, de l’avis de Mrs. Brodie [un des principaux
écrivains anti-mormons (N. d. T.)], était le seul obstacle que
devait surmonter l’auteur du Livre de Mormon. Mais il y aura
d’autres obstacles, car dans votre chronique sur l’ancien Tibet,
nous devons insister pour que vous observiez scrupuleusement un
certain nombre de conditions ennuyeuses : (1) Vous ne devez jamais
dire quelque chose d’absurde, d’impossible ou de contradictoire;
(2) une fois que vous avez terminé, vous ne devez pas faire de
changement dans le texte – la première édition doit rester
définitive; (3) vous devez affirmer que votre « récit en douceur »
n’est pas un roman mais une histoire vraie, que dis-je, sacrée;
(4) vous devez inviter les orientalistes les plus capables à
examiner le texte avec soin, et vous efforcer diligemment de faire en
sorte que votre livre tombe entre les mains des personnes qui
désirent le plus vivement en dévoiler tous les défauts et qui sont
les plus compétentes pour le faire. « L’auteur » du Livre de
Mormon observe scrupuleusement toutes ces règles terrifiantes.
Dans
votre épopée tibétaine, vous pourriez de temps en temps, par un
heureux hasard, dire quelque chose de correct, mais ne vous y
attendez pas. Vous pouvez vous consoler en prenant un bon roman
historique traitant du monde antique et y marquer au crayon rouge
tous les anachronismes, toutes les incongruités et toutes les
inexactitudes du livre. Le résultat sera du carnage, mais soyez
miséricordieux ! Pour vous rendre compte des difficultés que doit
affronter l’historien créatif, il suffit de contempler les
laborieuses productions des derniers critiques du Livre de Mormon. Il
n’a été que trop facile au présent auteur, à qui il manque
l’avantage injuste d’avoir de l’esprit ou de l’érudition, de
montrer en quoi Mrs Brodie, en composant l’histoire d’événements
qui ne remontent qu’à cent ans, se contredit à maintes et maintes
reprises[33].
Un
Victor Hugo ou un Anatole France peuvent raconter une histoire
convaincante lorsqu’ils sont proches de leur pays et de leur temps,
mais qu’un auteur, même le plus savant, retourne en arrière d’un
ou de deux millénaires et de quelques milliers de kilomètres autour
du globe, et voilà qu’il se trouve sur un terrain glissant auquel
il ne peut échapper qu’en ayant recours aux ailes de
l’imagination. Ce ne sont pas tellement les détails particuliers,
mais plutôt le cadre et l’atmosphère générale de leurs
histoires qui obligent Messieurs White et Douglas à faire un clin
d’oeil entendu et à nous dire que tout est pour rire. N’importe
quel manuel sur l’antiquité grecque ou romaine peut fournir à un
auteur tous les détails précis qu’il lui est possible d’utiliser,
mais aucun écrivain n’a encore réussi à intégrer une masse de
ce genre d’information dans un ensemble simple, naturel et sans
faille. Thornton Wilder et Naomi Mitchison évitent très bien les
pièges de la reconstitution historique en se concentrant sur des
choses aussi indépendantes du temps que les montagnes, les mers et
les émotions humaines et rendent ainsi leurs histoires
convaincantes. Mais Néphi ne jouit pas de ce luxe ou de ces
immunités artistiques: c’est de l’histoire qu’il écrit, et il
donne ses informations dans un discours tellement simple, fluide et
naturel que le lecteur passe facilement à côté de la grande
quantité de détails qui sont imbriqués dans cette forme naturelle
et sans complexité. Quel auteur de fiction historique s’est jamais
approché, même de loin, de pareil exploit ?
Mais
n’avons-nous pas été décidément partial dans notre traitement
de Léhi ? Bien sûr que si. Nous sommes l’avocat de la défense.
Nos témoins, c’est nous qui les avons tous choisis, mais nul ne
peut nier qu’ils soient compétents et sans préjugés. Nous avons
invité l’accusation à les examiner. Jusqu’à maintenant elle ne
l’a pas encore fait, mais au lieu de cela a introduit ses propres
témoins à la cour, des intellectuels modernes qui peuvent nous dire
très exactement ce que pensait l’accusé lorsqu’il a écrit le
Livre de Mormon. Ces preuves-là n’en sont pas du tout – c’est
de la mauvaise science, de la mauvaise histoire et même du mauvais
reportage journalistique et serait rejeté par n’importe quel
tribunal du pays. Mais cela pourrait impressionner le jury à moitié
instruit, et c’est là son but. La meilleure manière pour nous
d’expliquer la nouvelle tendance qui se manifeste dans la critique
du Livre de Mormon, c’est d’utiliser une petite parabole.
Un
jeune homme prétendit un jour avoir trouvé, tandis qu’il
labourait, un gros diamant dans son champ. Il exposa gratuitement la
pierre au public et tout le monde prit parti. Un psychologue montra,
en citant certains cas célèbres, que le jeune homme souffrait d’une
forme bien connue de psychose. Un historien montra que d’autres
hommes ont également affirmé avoir trouvé des diamants dans des
champs et s’étaient trompés. Un géologue prouva qu’il n’y
avait pas de diamant dans la région, mais seulement du quartz: le
jeune homme avait été trompé par un morceau de quartz. Lorsqu’on
lui demanda d’examiner la pierre elle-même, le géologue refusa
avec un sourire las et tolérant et en secouant gentiment la tête.
Un professeur d’anglais montra que le jeune homme, en décrivant sa
pierre, utilisait exactement le même langage que celui utilisé par
d’autres personnes décrivant des diamants non taillés. Il
utilisait donc simplement le langage courant de son époque. Un
sociologue montra que trois seulement sur cent soixante-dix-sept
employés de fleuristes dans quatre grandes villes croyaient que la
pierre était authentique. Un ecclésiastique écrivit un livre pour
montrer que ce n’était pas le jeune homme mais quelqu’un d’autre
qui avait trouvé la pierre.
Finalement
un bijoutier indigent du nom de Snite fit remarquer que puisqu’on
avait encore accès à la pierre pour l’examiner, la réponse à la
question de savoir si c’était un diamant ou pas n’avait
absolument rien à voir avec la personne qui l’avait trouvée ou
avec le fait qu’elle était honnête ou saine d’esprit ou que
quelqu’un la croyait ou qu’elle était capable de faire la
distinction entre un diamant et une brique ou qu’on n’avait
jamais trouvé de diamant dans les champs ou que des gens avaient
déjà été trompés par du quartz ou du verre, mais qu’on devait
y répondre simplement et uniquement en faisant subir à la pierre
certains tests bien connus pour les diamants. On fit venir des
experts en diamant. Certains le proclamèrent authentique. Les autres
plaisantèrent nerveusement et déclarèrent qu’ils ne se voyaient
pas mettre leur dignité et leur réputation en danger en faisant
semblant de prendre la chose trop au sérieux. Pour cacher la
mauvaise impression ainsi donnée, certains proposèrent la théorie
que la pierre était en réalité un diamant synthétique, très
adroitement fait, mais un faux quand même. L’objection à cela
c’est que la production d’un bon diamant synthétique, il y a
cent vingt ans, aurait été un fait encore plus remarquable que la
découverte d’un diamant réel.
La
morale de cette histoire est que le témoignage rendu par
l’accusation, si savant soit-il, a été jusqu’à maintenant
entièrement à côté de la question et négligeable. Inutile
d’observer qu’il est également incompétent, puisqu’il vise
surtout à la controverse et est basé entièrement sur les
conclusions des témoins, lesquels ont d’autre part déjà décidé,
pour d’autres raisons, que l’accusé est coupable.
Autre
chose: L’accusation doit apporter la preuve absolue de sa thèse;
il ne suffit pas de montrer, même si elle le pouvait, qu’il y a
des erreurs dans le Livre de Mormon, car tous les humains en
commettent ; ce qu’elle doit expliquer, c’est comment « I’auteur
» du livre est arrivé à tomber juste aussi souvent. Quelque
quatre-vingts années de recherches zélées de la part du Palestine
Exploration Fund n’ont pour ainsi dire rien apporté pour prouver
l’Exode; aujourd’hui encore, « de l’histoire de... Saül,
David, Salomon ou même de leur existence, il n’y a absolument
aucune trace en dehors de la Palestine ». Et pourtant ce manque de
preuves ne réfute en rien la Bible. Nous n’aurions pas été
désappointés ou surpris de trouver tous les documents complètement
silencieux sur ce qui a trait au Livre de Mormon; et cependant ils
ont été très loin de l’être. Si un homme commet une erreur
lorsqu’il résout un problème très complexe de mathématiques,
cela ne prouve rien quant à ses capacités de mathématicien, car
les plus grands commettent des bévues. Mais s’il montre une
solution correcte au problème, il est impossible d’expliquer son
succès en disant que c’est un accident, et nous devons le tenir,
quel qu’il soit, pour un mathématicien authentique; il en va de
même de l’auteur de 1 Néphi : Si nous pouvions trouver des
erreurs dans son œuvre, nous pourrions facilement les expliquer et
les pardonner, mais lorsqu’il ne cesse de donner réponse correcte
sur réponse correcte, nous ne pouvons qu’accepter l’explication
qu’il donne sur la manière dont il s’y prend.
Il
y a un aspect significatif de l’histoire de Léhi dans le Désert
que nous ne pouvons pas passer sous silence. Elle est entièrement,
du début à la fin, une histoire de l’Ancien Monde. On n’y
trouve pas le moindre indice sur le « noble peau-rouge ». On n’y
trouve rien qui laisse soupçonner si peu que ce soit que l’histoire
va prendre fin dans le Nouveau Monde. Le peuple de Léhi pensait
avoir trouvé sa terre promise au pays d’Abondance près de la mer
et fut extrêmement irrité lorsque Néphi, qui lui-même avait
considéré le projet comme impossible (1 Néphi 17:8-9), entreprit,
en vertu d’instructions spéciales, de construire un bateau.
De
quel roman oriental le livre de 1 Néphi a-t-il donc été volé ?
Comparez-le aux tentatives de saisir la lettre et l’esprit du
somptueux Orient, de Voltaire à Grillparzer, que dis-je, aux
histoires orientales les plus sobres de l’époque, et il se
révélera immédiatement à quel point elles sont toutes irréelles,
extravagantes, exagérées et stéréotypées, et avec quel soin
scrupuleux Néphi a évité tous les pièges dans lesquels les
meilleurs savants eux-mêmes étaient sûrs de tomber. Il n’y a
absolument aucune raison de poser la question: Qui a écrit le Livre
de Mormon ? Il aurait été tout aussi impossible au plus grand
savant vivant en 1830 d’écrire le Livre de Mormon qu’à Joseph
Smith. Et quiconque veut expliquer le Livre de Mormon par une des
théories proposées jusqu’à présent – à l’exception d’une
seule – doit complètement exclure les quarante-huit premières
pages.
[1]
J. A. Knudtzon, Die El-Amarna-Tafeln, Leipzig, Hinrich, 1915;
réimprimé Aalen, Zeller, 1964, 1:372-73, tablette 74.
[2]
Tite-Live, Ab Urbe Condita (Depuis la fondation de la ville) VIII,
40, 4; cf. IV, 16, 3 ; tenu sur des « planches » (tabulae, pinakes)
ou tablettes sacrées (en hierais deltois), Denis d’Halicarnasse,
Histoire des Romains I, 73, 1; I, 74, 3-5.
[3]
Julian Obermann, « An Early Phoenician Political Document », JBL
58, 1939, pp. 229-31. Albright l’appelle « une lettre hébraïque
du 12e siècle » sur une plaque de cuivre ou de bronze. William F.
Albright, « A Hebrew Letter of the Twelfth Century », BASOR 73,
février 1939, pp. 9-13.
[4]
Le passage d’Odroso est cité in extenso par E. A. Wallis Budge,
The Book of the Dead, New York, Dover, 1967, xix, n. 3.
[5]
G. Ramadas, « Kesaribeda Copper Plate », Journal of Bihar Research
Society 34, 1948, pp. 32, 34-35, mentionne en plus de celles-ci les
plaques de Mattapad de Damodaravarman 16,20 x 3,8 cm; les plaques
Kauteru de Vijayaskandavarman 14 x 2 cm; les plaques Peddavegi de
Salankayan à Nandivarman 17,3 x 5,3 cm; les plaques de cuivre
Koroshanda de Visakharvarma 19 x 5 cm; les plaques Chikulla de
Vikramendravarma 18 x 5,7 cm; les plaques Komarti de Chandavarma 19 à
19.4 x 5,7 à 6 cm.
[6]
Alonzo Bunker, « On a Karen Inscription-Plate », JAOS 10, 1872, pp.
172-77.
[7]
Elle avait 15,7 x 5,4 cm. Id., p. 175.
[8]
Voir Fritz Hommel, Ethnologie und Geographie des alten Orients,
Munich, Beck, 1926, pp. 201-203.
[9]
E. B. Cross, « The Karens », JAOS 4, 1854, p. 308.
[10]
Eduard Meyer, Geschichte des Altertums, 2e éd., Stuttgart, Cotta,
1928, vol. 2, 1e partie, p. 205; R. Maxwell Hyslop, etc., « An
Archaeological Survey of the Plain of Jabbul, 1939 », PEFQ, 1942, p.
23, plaque VII, fig. 14; une arme cérémonielle de fer découverte
récemment avait une poignée de cuivre et d’or finement ouvragée.
Theodore H. Gaster, « On an Iron Axe from Ugarit, » PEFQ, 1943, pp.
57-58.
[11]
Gerald A. Wainwright, « The Coming of Iron », Antiquity 10, 1936,
pp. 17-18.
[12]
Id.
[13]
Georg Jacob, Altarabisches Beduinenleben, Berlin, Mayer & Müller,
1897, pp. 151-52.
[14]
Philip J. Baldensperger, « The Immovable East, » PEFQ, 1903, p.
168. Nibley poursuit dans son article pour le magazine: « La
question générale de l’acier dans le monde antique n’est pas
encore réglée. Les Babyloniens distinguaient entre eru, cf.
l’anglais ‘ore’, signifiant fer, plomb ou cuivre, et le ‘eru
brillant’, qui signifiait cuivre ou acier ». Fr. Lenormant, ‘Les
noms de l’Airain et du Cuivre…’, Biblical Archaeological
Society Transactions 5, 1876, pp. 344-345. En Égypte, on faisait une
distinction semblable entre le fer ordinaire, qui non seulement était
connu, mais utilisé pour des ustensiles dès l’Ancien Empire, et
le type de fer appelé tehazet, dans lequel certains voient le fer
asiatique. Felix von Luschan, « Eisentechnik in Afrika »,
Zeitschrift für Ethnologie 41, 1909, p. 47. Un autre type, le
benipe, est le ‘fer du ciel’, c’est-à-dire soit le fer
météorique ou, comme le croyait Von Luschan, un ‘métal couleur
ciel’, Metall von Himmelsfarbe, id., p. 48, qui pourrait très bien
avoir été de l’acier. Les épées de cérémonie dans de très
vieilles peintures funéraires égyptiennes sont de couleur bleue
pour représenter le fer ou l’acier, selon la même autorité, id.
p. 49. Bien que le problème de l’origine et de l’ancienneté du
fer et de l’acier ne soit toujours pas résolu, toutes les
constatations faites ces quarante dernières années ont tendu à
prouver une antiquité beaucoup plus grande et une utilisation
beaucoup plus répandue de ces métaux que ce que l’on croyait
précédemment possible. » Hugh W. Nibley, « Lehi in the Desert »,
IE 53, 1950, p. 707.
[15]
Richard F. Burton, Pilgrimage to Al-Medinah and Meccah, Londres,
Tylston & Edwards, 1893, 2:94, pp. 141-42.
[16]
John A. Widtsoe, « Is Book of Mormon Geography Known ? » IE 53,
1950, p. 547.
[17]
Bertram Thomas, Arabia Felix, New York, Scribner, 1932, pp. 48-49.
[18]
Id., p. 48.
[19]
Burton, Pilgrimage to Al-Medinah and Meccah, 2:130.
[20]
David G. Hogarth, The Penetration of Arabia, Londres, Lawrence &
Bullen, 1904, pp 137-19.
[21]
Id., p. 148-150.
[22]
James L. Montgomery, Arabia and the Bible, Philadelphie, University
of Pennsylvania Press, 1934, pp. 71, 74 .
[23]
Josiah Conder, A Popular Description of Arabia, Modern Traveller
Series, Londres, Duncan, 1926, pp. 9, 14-15, 348-349.
[24]
Stewart Perowne, « Notes on I Kings, Chapter X, 1-13 », PEFQ, 1939,
p. 200.
[25]
Montgomery, Arabia and the Bible, p. 75.
[26]
Robert E. Cheesman, In Unknown Arabia, Londres, Macmillan, 1926, pp.
67-71.
[27]
C. Clermont-Ganneau, « The Arabs in Palestine », PEFQ, 1875, pp.
202.
[28]
Edward H. Palmer, « The Desert of the Tíh and the Country of Moab
», dans Survey of Western Palestine, Special Papers, Londres,
Palestine Exploration Fund, 1881, 4:73.
[29]
Edward H. Palmer, The Desert of the Exodus, Cambridge, Deighton,
Bell, 1871, p. 2.
[30]
Charles M. Watson, « The Desert of the Wanderings », PEFQ, 1914,
pp. 18-23; C. Leonard Woolley & Thomas E. Lawrence, The
Wilderness of Zin, Londres, Cape, 1936, pp. 71-72.
[31]
Woolley & Lawrence, The Wilderness of Zin, p. 73, n. 1.
[32]
S. F. Newcombe, « T. E. Lawrence – Personal Reminiscences »,
PEFQ, 1935, pp. 110-11.
[33]
Voir en outre Hugh W. Nibley, No Ma’am, That’s Not History, Salt
Lake City, Bookcraft, 1946.