LES
MORMONS
ET
LEURS ENNEMIS
Thomas
B.-H. Stenhouse (1825-1882)
Note
de la Rédaction : Les
mormons et leurs ennemis, de Thomas B.-H.
Stenhouse, a été
édité à Lausanne, en Suisse, en 1854. L'auteur
était alors président des missions suisse et italienne
de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers
jours. Son livre est une réponse aux ouvrages de différents
auteurs d'expression française sur le mormonisme publiés
quelques années plus tôt. Le langage de la
traduction datant du milieu du XIXe siècle,
nous l'avons parfois actualisé. C'est le cas des citations
bibliques que nous donnons dans la traduction de Louis Segond,
ultérieure à l'ouvrage. Quant à l'orthographe et
à la typographie, nous les avons systématiquement
actualisées. Nos rares commentaires insérés au
texte portent la mention ndlr. Ils
donnent pour la plupart la référence actuelle des
Écritures spécifiques au mormonisme. Le découpage
des Écritures en chapitres et versets était en effet
différent à l'époque de la publication de
l'ouvrage de Thomas B.-H. Stenhouse. À la référence
ancienne nous avons ajouté l'actuelle pour permettre au
lecteur de s'y reporter.
Page
de titre
Introduction
Chapitre
1 : Le Livre de Mormon
Chapitre
2 : Joseph Smith
Chapitre
3 : Le Livre de Mormon jugé par les savants
Chapitre
4 : Le roman de Salomon Spaulding
Chapitre
5 : Quelques objections de M. Chavez contre le Livre de Mormon
Chapitre
6 : Miracles
Chapitre
7 : Réponse à M. Agénor de Gasparin
Chapitre
8 : L'épouse spirituelle et la polygamie
Chapitre
9 : Rébellion envers le pouvoir central des États-Unis
Chapitre
10 : Exploitation, oppression
Chapitre
11 : Persécutions éprouvées par les mormons
Chapitre
12 : Les mormons et la vallée du Grand Lac Salé
Table
des matières
Notes
de bas de page
LES
MORMONS (SAINTS
DES DERNIERS JOURS) ET
LEURS ENNEMIS
RÉPONSE
À
DIVERS OUVRAGES PUBLIÉS CONTRE LE MORMONISME PAR MM.
GUERS, FAVEZ, A. PICHOT, COMTE DE GASPARIN, ETC.
PAR
T.-B.-H.
STENHOUSE, Président
des missions suisse et italienne de
l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours
« Ne
retiens point ta parole au temps
du salut, et ne cache point ta
sagesse lorsqu'elle doit être connue. »
(Ecclésiastique 4:27)
LAUSANNE
IMPRIMERIE
LARPIN ET COENDOZ
1854
INTRODUCTION
Le
« mormonisme » [1]
n'est
autre que le christianisme ramené à sa pureté
primitive [2].
Dès les premiers siècles de notre ère, la
sagesse humaine s'est peu à peu substituée à la
sagesse divine dans le gouvernement de l'Église fondée
par le Fils de Dieu lui-même, et l'Esprit-Saint s'est retiré,
laissant l'apostasie créer et multiplier les Églises,
dites chrétiennes, qui scandalisent aujourd'hui l'univers
entier par leurs inextricables controverses.
Dans un
autre hémisphère, à une époque récente,
le Seigneur a daigné accorder au monde une dernière et
nouvelle dispensation. Un jeune homme obscur, né et élevé
dans la plus humble condition, a reçu d'en haut la mission de
promulguer à la face de l'univers l'Évangile rétabli
dans sa plénitude. Cet homme s'appelle Joseph Smith.
Né
en 1805, Joseph était membre d'une nombreuse famille. Il était
âgé d'environ quatorze ans, lorsqu'un mouvement
religieux extraordinaire se manifesta à Manchester, comté
de Wayne, État de New-York (États-Unis d'Amérique),
où il résidait alors avec ses parents. Les prédicateurs
méthodistes, presbytériens et baptistes se disputaient
les adeptes ; ceux-ci se rangeaient à telle ou telle
Église, suivant l'effet produit en eux par le zèle des
ministres. Dans ce pêle-mêle d'opinions, Joseph, âgé
alors de quinze ans, éprouva de grandes perplexités. Se
sentant incapable de déterminer avec certitude où était
l'erreur, où était la vérité, il se
demandait : que faut-il faire ?
Un jour ses
yeux tombèrent sur ce verset de l'épître de saint
Jacques : « Si quelqu'un de vous manque de sagesse,
qu'il la demande à Dieu qui la donne à tous
libéralement, et qui ne la reproche point, et elle lui sera
donnée. » Ce passage le frappa ; il résolut
de s'adresser au Seigneur, et se retira dans un bois, au printemps de
1820. Là il se mit à prier à haute voix. À
peine s'était-il agenouillé pour exprimer à Dieu
les désirs de son cœur, que deux personnages célestes
lui apparurent ; l'un d'eux, désignant l'autre, dit à
Joseph en l'appelant par son nom : « C'est ici mon
Fils bien-aimé, écoute-le. »
Quand
Joseph, ébloui par cette apparition, put retrouver l'usage de
ses sens, il demanda au Seigneur de lui faire connaître
laquelle, parmi toutes les Églises, était la meilleure,
afin qu'il put s'y joindre. Il lui fut répondu qu'il ne devait
se joindre à aucune, parce qu'elles étaient toutes dans
l'erreur. Le personnage qui lui avait adressé la parole
ajouta : « Leurs croyances sont en abomination à
mes yeux. Ceux qui en font profession sont tous corrompus ; ils
s'approchent de moi des lèvres, mais leur cœur est loin
de moi ; ils enseignent pour doctrine des commandements
d'hommes ; ils ont une forme de piété, mais ils en
nient la puissance. »
Trois
ans s'écoulèrent ainsi ; Joseph, suivant
l’interdiction du Seigneur, ne s'était joint à
aucune Église. Le 21 septembre 1823, après s'être
mis au lit comme à l'ordinaire, il commença à
prier et supplier Dieu de se manifester à lui et de lui faire
connaître sa situation, car il avait pleine confiance d'obtenir
du Tout-Puissant une nouvelle manifestation. Bientôt sa chambre
fut remplie d'une clarté éclatante, et un personnage
apparut à côté de son lit, portant une robe
flottante de la plus parfaite blancheur. Il appela Joseph par son
nom, lui déclara qu'il était envoyé de Dieu et
qu'il se nommait Moroni [3],
l'un des anciens prophètes de l'Amérique. Il lui
annonça que Dieu l'avait choisi, lui Joseph, pour accomplir
une œuvre en son nom. Puis il ajouta qu'il y avait, dans un
certain lieu, un livre déposé, gravé sur des
plaques d'or, renfermant l'origine et l'histoire des anciens
habitants de ce continent (l'Amérique) ; que la plénitude
de l'Évangile y était contenue, et qu'il y avait, avec
les plaques, deux pierres dans un arc d'argent, que Dieu avait
préparées pour servir à la traduction du livre.
Il lui ordonna, quand serait venu le moment de prendre ces plaques,
de ne les communiquer à personne, sinon à ceux à
qui il lui serait commandé de les montrer. En même temps
Joseph eut une vision nette et exacte du lieu où étaient
les plaques.
Le messager
disparut, puis revint une seconde et une troisième fois,
confirmant ce que nous venons de rapporter. Joseph se rendit à
la colline de Cumorah, près de Manchester, et, sur les
indications qui lui avaient été données, il
découvrit les plaques déposées dans une boite en
pierre. Il essaya de les extraire, mais le messager le lui défendit
et l'informa qu'il ne devait les enlever que quatre ans plus tard.
Dans cet intervalle, Joseph les visita plusieurs fois et reçut
de nouvelles instructions à cet égard.
Enfin, le
22 septembre 1827, s'étant rendu au lieu où les plaques
étaient déposées, le même messager céleste
les lui remit sous la condition qu'il en serait responsable,
l'avertissant que s'il les perdait par nonchalance ou négligence,
il serait retranché ; mais que s'il faisait tous ses
efforts pour les conserver jusqu'à ce qu'il les redemandât,
elles seraient protégées.
Ces plaques
avaient environ huit pouces en longueur et en largeur ; elles
étaient un peu plus minces qu'une feuille de fer blanc
ordinaire. Elles étaient couvertes, des deux côtés,
de gravures en caractères égyptiens, réunies en
un volume comme les feuillets d'un livre, et attachées
ensemble d'un côté par trois anneaux qui les
traversaient. Ce volume formait une épaisseur d'environ six
pouces ; une partie du volume était scellée.
À
l'aide des deux pierres, nommées Urim et Thummim, Joseph Smith
a traduit ces caractères dans la langue anglaise. La première
édition de cet ouvrage a été publiée en
1830, sous le titre de Livre de Mormon, du nom de l'un des prophètes
qui y ont coopéré, lequel a abrégé les
annales écrites par ses prédécesseurs.
L'authenticité
du Livre de Mormon n'est pas douteuse. Ce n'est pas, comme nos
ennemis voudraient le faire croire, un livre que nous prétendons
substituer à la Bible et au Nouveau Testament ; au
contraire, il est parallèle à l'Écriture sainte
admise par les chrétiens, et parfaitement conciliable avec
elle. C'est l'histoire du peuple de Dieu dans l'Occident, de même
que l'Ancien et le Nouveau Testaments sont l'histoire du peuple de
Dieu dans l'Orient.
Comme la
plupart des serviteurs de Dieu, Joseph Smith a été
persécuté, et a fini par sceller de son sang la vérité
du témoignage qu'il apportait.
Dix
ans après la mort du prophète, nous sommes en Suisse,
honoré d'une charge dont nous comprenons toute la
responsabilité devant Dieu et devant les hommes. C'est le
sentiment de cette responsabilité qui nous fait prendre la
plume, après de longues hésitations, non pour justifier
les principes que nous professons, — ils se recommandent
d'eux-mêmes à ceux qui les étudient avec un cœur
honnête et sans prévention, et qui sont éclairés
par le Saint-Esprit ; — non pour célébrer
les succès de l'œuvre de Dieu dans les nations de la
terre, — nos ennemis nous en évitent la peine ; —
non pour démontrer que les révélations du Livre
de Mormon sur l'Amérique ancienne méritaient d'être
accueillies autrement que par le sourire dédaigneux des
prétendus savants, — les recueils scientifiques des deux
mondes enregistrent des découvertes qui le prouvent chaque
jour davantage ; — non pour affermir nos frères
dans la foi, — chacun de nous, s'il est fidèle, reçoit
un témoignage personnel et certain de la vérité
de cette œuvre. Notre unique but est de prouver, en dehors de
toute controverse purement théologique, 1° que les hommes
qui ont inauguré cette nouvelle dispensation ne sont ni des
imposteurs, ni des dupes ; 2° que les accusations dirigées
contre nous prennent leur source dans l'aveugle malveillance de
quelques méthodistes américains, lesquels, ayant
inventé les calomnies les plus invraisemblables, n'ont pas
craint, pour les appuyer, de recourir à tous les genres de
fraude, même à l'altération volontaire des
documents ; 3° que nos ennemis en Europe ont répété
les mêmes calomnies, sans aucune critique, sans aucun
discernement, et ne se sont pas montrés beaucoup plus
scrupuleux quant aux documents [4] ;
4° que les hommes les plus recommandables, les mieux renseignés
sur la conduite des mormons, ceux qui les ont étudiés
de près et qui ont écrit sans préoccupation
systématique hostile, ceux-là, disons-nous, démentent
les assertions de nos ennemis et nous fournissent tous, les moyens
nécessaires à la défense que nous avons
embrassée, tellement que, dans toute l'étendue de ce
travail, nous sommes dispensé d'emprunter une seule ligne aux
ouvrages des membres de l'Église, sinon à titre de
renseignements ou comme compléments de preuves.
Les
attaques peu mesurées de nos adversaires nous autorisaient à
user d'une certaine énergie dans la réplique ;
mais nous avons pensé que, devant des lecteurs sérieux
et éclairés, la vérité ne perd rien à
être exposée avec modération. D'ailleurs, la
délicatesse de notre position nous imposait une réserve
dont nous aimons à croire que nous ne nous sommes pas écarté,
quelque véhémente que puisse être parfois
l'expression de notre indignation.
CHAPITRE
PREMIER
LE
LIVRE DE MORMON
Le Livre de
Mormon est présenté au monde comme renfermant
l'histoire sacrée de l'Amérique, écrite par une
série de prophètes anciens qui ont habité ce
vaste continent.
« Ce
Livre, donné comme venant de Dieu et devant servir à
une œuvre ordonnée par lui, c'est une imposture. On a
là-dessus des témoignages positifs. »
Ainsi
s'exprime M. Favez, page 5 de sa brochure. Examinons l'une après
l'autre les preuves qu'il va nous fournir.
« D'abord,
Joseph Smith n'a jamais montré les plaques hiéroglyphiques,
si ce n'est à onze privilégiés, à qui,
dit-il, la permission de les voir fut accordée d'en haut, et
desquels le témoignage est annexé au Livre de Mormon. »
Si J. Smith
eût trouvé ces plaques par hasard et qu'il eût
voulu en constater l'authenticité dans un but humain, il
aurait dû sans doute les montrer à beaucoup de témoins.
Mais il n'en est pas ainsi. Cette découverte a eu lieu sur
l'indication d'un ange, et pour servir de base à une œuvre
divine. Il a dû, dès lors, se conformer exactement aux
instructions qui lui étaient données d'en haut.
Supposons
qu'au lieu de ces onze témoins, il y en ait eu cent : M.
Favez en serait-il moins hostile à notre Église ?
Crierait-il moins à l'imposture ? Il oublie, ou peut-être
il ignore que la résurrection du Christ fut révoquée
en doute par les pieux Juifs, tout aussi bien que le sont aujourd'hui
les plaques dont le Livre de Mormon est une traduction. Jésus,
Fils de Dieu, se montra-t-il à la nation juive pour la
convaincre ? Écoutez Pierre :
« Dieu
l'a ressuscité le troisième jour, et il a voulu qu'il
se fit voir, non à tout le peuple, mais aux témoins qui
avaient été auparavant choisis de Dieu, à nous
qui avons mangé et bu avec lui après qu'il a été
ressuscité des morts. » (Actes 10:40, 41)
Quand les
prêtres de l'époque affirmaient que ces mêmes
témoins l'avaient furtivement enlevé du sépulcre,
pour accomplir la prophétie, comme dirait M. Guers, quand ils
soudoyaient les soldats pour qu'ils soutinssent cette affirmation,
les apôtres répondaient : « Nous lui
sommes témoins. » (Actes 5:32) La génération
actuelle professe une grande vénération pour les
anciens apôtres, témoins de Christ ; mais pendant
leur vie ils ne jouirent pas, auprès des hommes pieux, d'une
meilleure réputation que celle des témoins du Livre de
Mormon.
Ce que Dieu
ne fit pas pour justifier son Fils traité de blasphémateur
et ses apôtres accusés d'imposture, a-t-il dû le
faire pour rendre évidente la vérité du Livre de
Mormon ? Non. Et lors même que tout le monde aurait vu et
touché les plaques, qui garantirait la véracité
des histoires qui y sont gravées ? Quel gage y aurait-il
de l'exactitude de leur traduction ? Il faudrait que l'ange les
apportât à la face du monde entier, et encore nos
ennemis diraient-ils que ce messager céleste n'est autre que
le démon travesti en ange de lumière.
Comment M.
Favez pourrait-il croire à de pareilles choses ? Selon
lui, les anges ne fonctionnent plus. C'était bon dans les
temps anciens ; mais, aujourd'hui, Dieu les laisse en repos :
il n'a plus rien à dire à l'humanité. Le Livre
de Mormon est donc une imposture.
Deux
attestations, signées de onze témoins, constatant
l'authenticité du Livre de Mormon, M. Favez appelle cela des
témoignages positifs d'imposture.
Avant
d'aller plus loin dans cette discussion, mettons sous les yeux du
lecteur les deux pièces dont il s'agit, telles qu'elles sont
imprimées en tête du Livre de Mormon.
Témoignage
des trois témoins
« Qu'il
soit connu de toutes les nations, tribus, langues et peuples à
qui cette œuvre parviendra que nous avons vu, par la grâce
de Dieu le Père et de notre Seigneur Jésus-Christ, les
plaques contenant ces annales, qui sont les annales du peuple de
Néphi, et aussi des Lamanites, leurs frères, et aussi
du peuple de Jared, venu de la tour dont il a été
parlé. Et nous savons aussi qu'elles ont été
traduites par le don et le pouvoir de Dieu, car sa voix nous l'a
déclaré; c'est pourquoi nous savons avec certitude que
l'œuvre est vraie. Et nous témoignons aussi avoir vu les
caractères qui sont gravés sur les plaques; et ils nous
ont été montrés par le pouvoir de Dieu et non de
l'homme. Et nous déclarons, en toute sincérité,
qu'un ange de Dieu est venu du ciel et qu'il a apporté et
placé les plaques sous nos yeux, que nous avons contemplé
et vu les plaques, ainsi que les caractères qui y étaient
gravés; et nous savons que c'est par la grâce de Dieu le
Père et de notre Seigneur Jésus-Christ que nous avons
vu ces choses et que nous témoignons que ces choses sont
vraies. Et c'est merveilleux à nos yeux. Néanmoins, la
voix du Seigneur nous a commandé d'en rendre témoignage;
c'est pourquoi, voulant obéir aux commandements de Dieu, nous
rendons témoignage de ces choses. Et nous savons que si nous
sommes fidèles dans le Christ, nous laverons nos vêtements
du sang de tous les hommes et que nous serons trouvés sans
tache devant le siège du jugement du Christ, et demeurerons
éternellement avec lui dans les cieux. Et que l'honneur
revienne au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit, qui sont un
seul Dieu. Amen.
(Signé)
Oliver
Cowdery
David
Whitmer
Martin
Harris »
Témoignage
des huit témoins
« Qu’il
soit connu de toutes les nations, tribus, langues et peuples à
qui cette œuvre parviendra, que Joseph Smith, fils, traducteur
de cette œuvre, nous a montré les plaques dont il a été
parlé, qui ont l'apparence de l'or; et nous avons touché
de nos mains toutes les feuilles que ledit Smith a traduites; et nous
avons également vu les inscriptions qui y étaient
gravées, le tout ayant l'apparence d'un travail ancien et
d'une exécution habile. Et nous rendons témoignage, en
toute sincérité, que ledit Smith nous a montré
ces plaques, car nous les avons vues et soupesées, et savons
avec certitude que ledit Smith détient les plaques dont nous
avons parlé. Et nous donnons nos noms au monde, pour témoigner
au monde de ce que nous avons vu. Et nous ne mentons pas, Dieu en
rend témoignage.
(Signé)
Christian
Whitmer
Jacob
Whitmer
Peter
Whitmer, junior
John
Whitmer
Hiram Page
Joseph
Smith, senior
Hyrum Smith
Samuel H.
Smith »
De ces onze
personnes, deux ou trois seulement étaient baptisées au
moment où elles donnèrent ce témoignage. Ce
n'est qu'après avoir vu les plaques qu'elles décidèrent
d'en livrer la traduction à la publicité, et qu'elles
entrèrent dans l'Église naissante.
M. Favez
voit dans ces deux attestations des témoignages positifs
d'imposture. Si ces témoins eussent déclaré
qu'ils n'avaient vu ni anges ni plaques, que Joseph Smith était
un imposteur, il est probable que ce missionnaire, fidèle à
son système d'interprétation à contresens,
prendrait une telle déclaration pour un témoignage
positif de l'authenticité du Livre de Mormon. Cela fait peu
d'honneur à la bonne foi et à la judiciaire de notre
ennemi.
M. Favez
est tellement pauvre d'arguments qu'il fait flèche de tout
bois. Examinant les signatures de la seconde attestation, il
s'écrie : « Ce groupe de témoins en
deux familles, dont l'une est celle du prophète, rend leur
témoignage douteux. »
Là où il ne voit que deux familles, tout le monde en
voit trois (Whitmer, Page et Smith).
M. Guers,
tout aussi dépourvu d'objections sérieuses, trouve une
preuve d'imposture dans cette circonstance que les témoins
étaient des hommes parfaitement inconnus jusqu'alors, et,
ajoute-t-il, directement intéressés dans l'affaire.
Mais qu'étaient donc les pauvres pêcheurs de Galilée
quand ils rendirent témoignage de la mission divine de
Christ ? Quant à l'intérêt dont parle notre
adversaire, nous voudrions bien qu'il s'expliquât d'une manière
un peu plus intelligible ; qu'il nous signalât, par
exemple, chez ces témoins, un intérêt moins pur
que celui qu'il peut avoir lui-même à écrire et
publier des brochures contre nous.
Pour tout
homme impartial, étranger aux coteries religieuses, l'intérêt
des témoins s'explique naturellement par les faits. La voix du
Seigneur leur ayant ordonné de rendre témoignage de la
vérité, ils en rendent témoignage.
Parlant de
Martin Harris, M. Guers nous apprend que c'était un mauvais
mari ; il ajoute que sa femme lui ayant dit un jour que
l'affaire entière était une imposture, il répondit :
« Eh bien, si c'est une imposture, au moins me
vaudra-t-elle de l'argent ! » Sur quel témoignage
respectable s'appuie M. Guers ? Sur celui d'une autre femme qui
n'aimait ni Martin Harris, ni le mormonisme. On voit qu'il n'est pas
aussi scrupuleux quant à l'authenticité de ses
renseignements que lorsqu'il s'agit du Livre de Mormon. Aussi lui
arrive-t-il ce qui devait lui arriver : ce même Martin
Harris, qu'il nous présente comme un fripon voulant exploiter
l'imposture, M. Favez et le docteur Anthon, cité par lui, nous
le montrent comme une dupe innocente.
Passons à
Oliver Cowdery. M. Favez, parlant de ce témoin, raconte (p. 6)
que :
« Dans
une occasion où une somme d'argent devait lui être
confiée pour la porter à Indépendance, Joseph
Smith voulut qu'il fût accompagné, et émit à
ce sujet la révélation suivante, qu'on lit à la
page 168 du livre mormon intitulé Doctrine and Covenants :
« Révélation
donnée en novembre 1831. — Écoutez-moi, dit le
Seigneur votre Dieu, dans l’intérêt de mon
serviteur Oliver Cowdery. Je ne juge pas sage que les commandements
et l'argent qu'il va porter au pays de lui soient confiés, si
quelqu'un de loyal et de fidèle ne l’accompagne. C'est
pourquoi, moi le Seigneur, je veux que mon serviteur John Whitmer
accompagne mon serviteur Oliver Cowdery. »
L'auteur
ajoute : « On ne pouvait pas se fier à Oliver
Cowdery pour une question d'argent, et l'on se fierait à lui
pour des intérêts éternels ? »
Dans les
lignes qui précèdent la révélation, M.
Favez parle uniquement d'une somme d'argent ; il affecte de ne
rien dire des commandements qui devaient aussi être confiés
à Oliver Cowdery, et dont la somme d'argent, peu considérable,
était probablement destinée à payer
l'impression. On comprend le motif de cette réticence. Quand
on veut faire passer quelqu'un pour voleur, on n'appelle l'attention
que sur les choses qui excitent ordinairement la convoitise. C'est
une espièglerie de M. Favez ; en voici une autre. Tout en
reproduisant à peu près littéralement la
révélation, il en raisonne comme si elle ne commençait
pas par ces mots : « Dans l’intérêt
de mon serviteur Oliver Cowdery ». Sans ces paroles, la
révélation pourrait, à la rigueur, être
considérée comme exprimant la défiance ;
mais, précédée d'une phrase aussi significative,
elle témoigne évidemment une sollicitude affectueuse
envers Oliver Cowdery, et la crainte que durant un voyage d'environ
mille milles, dans une contrée où les mormons étaient
entourés d'ennemis, il ne fût dépouillé du
précieux manuscrit et de la somme d'argent, s'il n'était
protégé par un compagnon fidèle et sûr.
Et, en effet, la même révélation place son
compagnon sous sa direction. Tout homme de bonne foi l'entendra
ainsi ; M. Favez préfère l'entendre autrement. On
voit qu'il trouve facilement des témoignages positifs
d'imposture.
M.
Guers a voulu aussi tirer parti de cette révélation
pour établir que J. Smith se défiait d'O. Cowdery, et
il s'y est pris d'une façon aussi simple qu'ingénieuse.
Sentant bien que ces mots : « Dans l’intérêt
de mon serviteur Oliver Cowdery », ne sont pas synonymes
de ceux-ci : « Pour les soupçons que m'inspire
la déloyauté d'O. Cowdery », et qu'en
conséquence il n'y avait aucun moyen de tromper le lecteur
s'il reproduisait fidèlement ce document, il l'a transcrit (p.
60 de sa brochure), mais en retranchant la phrase qui seule explique
le sens de cette révélation [5].
À un autre. M. Amédée Pichot nous dit (p. 94) :
« Une
autre révélation, datée de novembre 1831,
déclare qu'Oliver Cowdery, son secrétaire pendant la
fameuse traduction, n'était pas un homme à qui l'on put
confier de l'argent. »
Pour
justifier cette injure, l'auteur se garde bien de reproduire la
révélation littéralement, comme M. Favez. Il
semble pourtant craindre de la tronquer, comme M. Guers. Un autre
moyen lui apparaît : il la falsifie par substitution. Au
lieu de : « Écoutez-moi, dit le Seigneur votre
Dieu, dans l’intérêt de mon serviteur Oliver
Cowdery. » il transcrit ainsi : « Écoutez-moi,
dit le Seigneur Dieu, au sujet de mon serviteur O. Cowdery. »
Tels sont
nos trois adversaires. Pour égarer l'opinion publique, le
premier se fait inepte en argumentant d'une pièce comme s'il
ne la comprenait pas, bien qu'il la reproduise en entier ; les
deux derniers se font faussaires, l'un par suppression, l'autre par
substitution ! Le tout pour la plus grande gloire du Dieu de
vérité, et dans le dessein de prouver que nous sommes
des imposteurs !...
Mais
surmontons le dégoût qu'inspire la conduite de ces
écrivains, et continuons à les suivre dans les
témoignages positifs d'imposture qu'ils vont découvrir.
M. Favez
nous apprend (p. 7, 8), qu'en 1838 ce même Oliver Cowdery et
David Whitmer furent retranchés de l'Église avec ordre
de quitter le pays sous trois jours. Et en ce qui concerne Martin
Harris, troisième témoin, il nous révèle
que J. Smith, dans un article de journal, l'aurait qualifié de
nègre à peau blanche, ayant agi en valet, etc. Puis il
s'écrie : « Jugeons par-là de
l'authenticité du Livre de Mormon ! Combien vaut le
témoignage de tels hommes ? » Inutile de dire
que MM. Guers et Pichot répètent ces niaiseries à
peu près dans les mêmes termes, et déduisent la
même conséquence. M. Guers termine par cette élégante
apostrophe : « Triade de menteurs, et qui nous donne
la mesure de la créance qu'il faut accorder au maître et
à son œuvre ! » (p. 61).
Comment
discuter sérieusement avec de pareils antagonistes, qui ont
l'art de la grandiloquence pour ne rien dire ? Où sont,
dans tout ce verbiage, les preuves positives d'imposture ? En
supposant que O. Cowdery et D. Whitmer auraient, huit ans après
cette déclaration, qu'ils ont constamment maintenue,
transgressé les commandements du Seigneur, et qu'ils auraient
pour cela été momentanément retranchés de
son Église, faudrait-il en conclure que leur témoignage
est une imposture ? Serait-ce un fait acquis que les
nombreuses transgressions des disciples du Christ rendent suspect
leur témoignage ? qu'elles nous donnent la mesure de la
créance qu'il faut accorder au Maître et à son
œuvre ?...
Des
hommes pieux, priant et jeûnant souvent, ont affirmé que
Jésus et ses apôtres étaient de vils imposteurs,
des violateurs du sabbat, des gourmands, des buveurs, des perfides,
qui n'étaient pas dignes de vivre. Que serait Jésus,
jugé sur la déposition de ses ennemis pieux ?
L'homicide commis par Moïse sur l'Égyptien dont il cacha
le corps dans le sable, vous empêche-t-il, messieurs les
prédicateurs méthodistes ou plymouthistes, de croire à
l'autorité divine de Moïse et aux miracles rapportés
dans le Pentateuque ? Les désordres honteux de David et
de Salomon vous sont connus, et vous n'en acceptez pas moins les
Psaumes et les Proverbes. Si donc les calomnies adressées par
les Pharisiens à Jésus et à ses apôtres,
si les imputations plus vraies qui concernent Moïse, David et
Salomon ne vous autorisent pas à révoquer en doute leur
véracité, comment osez-vous qualifier d'imposteurs des
hommes que vous n'appréciez que d'après les témoignages
de leurs ennemis, auxquels vous ajoutez vos propres calomnies et une
insigne mauvaise foi dans la critique de leurs actes ? Allez,
vous avez deux poids et deux mesures. Vous nous dites que ces témoins
ont été accusés par Sidney Rigdon « de
s'être joints à une bande de faussaires, de voleurs, de
bandits, afin de tromper et filouter les saints ; qu'ils ont été
exclus de l'Église avec ordre de quitter la contrée
sous trois jours avec leurs familles, etc. »
Certes, c'était pour eux, traités de cette manière,
une belle occasion de rétracter leur témoignage et de
divulguer l'imposture. Comment se fait-il que vous n'ayez rien de
semblable à nous apprendre, vous qui ne craignez pas de
reproduire jusqu'à des causeries entre femmes ? Si J.
Smith eût été à la merci de leur
discrétion, s'ils eussent été pour lui des
compères, n'est-il pas certain qu'il les eût ménagés,
qu'il aurait craint de s'en faire des ennemis ? La sévérité
dont il a usé envers eux dans toutes les occasions, prouve
hautement qu'il n'avait rien à redouter. Et ce qui le prouve
mieux encore, c'est que ces hommes, accusés par lui, ont
toujours demandé à être jugés sur les
révélations données par ce même J. Smith :
témoignage remarquable et évident de leur confiance
dans la divinité de l'œuvre, malgré l'hostilité
qui existait alors entre eux et le prophète. Oliver Cowdery,
l'un des trois témoins, resta retranché de l'Église,
pour conduite rebelle, pendant près de dix ans, durant
lesquels il ne lui arriva jamais, en aucun cas, de mettre en doute la
vérité de son premier témoignage. En 1847 ou
1848, il donna des signes d'un sincère repentir et sollicita
sa réadmission parmi les saints, qui saluèrent avec
allégresse son retour au bercail, car ils aimaient à se
souvenir de lui comme d'un homme qui avait beaucoup souffert à
la naissance de l'Église. Il est mort en février
1850 [6].
Après
avoir passé en revue les témoins de l'authenticité
du Livre de Mormon, M. Favez porte son investigation sur les
principaux membres de l'Église, espérant toujours
découvrir dans leurs actions, racontées à sa
manière, des preuves positives d'imposture. Passons donc à
Sidney Rigdon, et laissons parler M. Favez.
« Dès
le début du mormonisme, Sidney Rigdon a été le
bras droit de J. Smith, et parfois il tenta de partager son autorité.
Il n'y parvint jamais cependant. Son ambition déçue
l'amena, plus d'une fois, à rompre avec J. Smith, mais
toujours les mormons parvenaient à le réconcilier; il
était trop influent pour qu'on le laissât dans une
position d'ennemi. Après la mort de J. Smith, il aspira à
sa succession. Les mormons la donnèrent à Brigham Young
et éloignèrent Rigdon, qui, depuis, leur demeura
constamment hostile. Sa vengeance, les mormons la redoutaient
extrêmement, et leur frayeur, dans ce cas, indique passablement
la complicité de Sidney Rigdon avec Smith dans la publication
du Livre de Mormon. » (p. 20)
On
serait tenté de croire que M. Favez n'est pas sain d'esprit.
Comment expliquer une contradiction aussi palpable que celle-ci :
« II était trop influent pour qu'on le laissât
dans une position d'ennemi, » puis, deux lignes plus bas :
« les mormons donnèrent sa succession à Br.
Young et éloignèrent Rigdon, qui, depuis, leur demeura
constamment hostile. » C'est là, il nous semble, le
laisser dans une position d'ennemi, malgré son influence.
Qu'avons-nous à répondre à des écrivains
qui se démentent si bien eux-mêmes ? Il paraît
que M. Favez, dans la carrière où il s'est lancé,
ne tient pas à une contradiction de plus ou de moins [7].
Mais voici bien une autre gentillesse de sa part, et qui prouve
combien les chercheurs d'imposture sont délicats dans leurs
moyens.
Pour
prouver que les mormons redoutaient la vengeance de Sidney Rigdon, il
cite l'extrait suivant d'un discours de Br. Young :
« Frère
Sidney déclare qu'il veut raconter nos secrets ; mais je
dirai : Oh ! Ne le faites pas, frère Sidney ;
ne dites pas nos secrets ! Oh ! Ne le faites pas !
Mais s'il dit les nôtres, nous dirons les siens. L'un pour
l'autre. Pendant longtemps, à Pittsbourg, il a eu des visions
révélant une affreuse iniquité parmi les saints.
Maintenant, s'il connaît une telle iniquité, et s'il
possède un tel pouvoir, pourquoi est-ce qu'il ne nous en
purifie pas ? Il professe qu'il a les clefs de David. Pouvoir
merveilleux ! Révélations merveilleuses ! Et
ainsi il veut publier notre iniquité ! Ô cher frère
Sidney ! Ne publiez pas notre iniquité ! Je vous en
prie, ne le faites pas ! »
Lecteur, ne
vous semble-t-il pas voir le président Young tremblant devant
les révélations de Sidney Rigdon, et le suppliant de se
taire ? Eh bien, jugez de la loyauté de M. Favez en
lisant la suite de ce discours, qu'il a eu soin de couper à
l'endroit où l'ironie allait se dévoiler, où les
paroles citées par lui allaient prendre leur véritable
sens. C'est M. Pichot qui nous fournit cette suite (p. 255) :
« II
veut donc publier nos iniquités ! Je le prie d'y prendre
bien garde. Oui, s'il y a tant d'iniquités dans l'Église,
Ancien Rigdon, et si vous les connaissez depuis si longtemps, vous
êtes le dernier des misérables de ne pas les avoir
révélées plus tôt ; et si cette
iniquité n'existe pas, vous êtes le dernier des
misérables encore, vous qui vous efforcez d'ameuter la
populace pour qu'elle égorge des hommes innocents, des femmes
et des enfants ! Quiconque ose dire que les Douze sont des
imposteurs, des adultères et des méchants, est un
menteur, et tous ceux qui disent de telles choses auront le sort des
menteurs : ils seront jetés là où il y a
des pleurs et des grincements de dents. Qui a jamais vu de telles
choses parmi nous ? Personne. Je foule aux pieds de si
criminelles calomnies. »
M. Favez,
comme on voit, possède ce talent qui consiste à mutiler
les textes pour en pervertir le sens et la portée. Maintenant,
lecteur, est-il vrai que le président Young redoutait la
vengeance de Rigdon ? La frayeur s'exprime-t-elle par un défi
aussi énergique ? Quels sont les témoignages
d'imposture que nous découvre M. Favez, sinon ceux de sa
propre imposture? Car nous le prenons en flagrant délit de
falsification des textes par suppression frauduleuse, et nous en
verrons d'autres encore !
Les amis de
M. Favez nous trouveront peut-être un peu sévères
envers leur cher frère ; nous le sommes, il est vrai ;
mais ils conviendront aussi que le mensonge, odieux quelle que soit
sa source, devient plus odieux encore quand il coule d'une plume
religieuse. Lisez en saint Marc quelle fut la conduite des prêtres
envers l'être le plus parfait qui ait habité cette
terre, et vous comprendrez pourquoi nous haïssons un menteur
religieux plus que tout autre menteur.
Page 27, le
même écrivain, parlant des révélations du
prophète Smith, dit :
« Elles
n'étaient rien d’autre au fond que ses propres pensées
données sous la sanction de l'autorité de Dieu. De là,
leur valeur. »
Ceci n'est
rien d’autre au fond que la pensée d'un ennemi
systématique ; de là, sa valeur. M. Favez donne
tout simplement la question pour raison ; mais à quoi bon
se gêner ? Est-ce que les sacrificateurs se gênaient
pour traiter Jésus de blasphémateur, lui cracher au
visage, le frapper, l'insulter, le condamner à mourir sur un
gibet ? M. Favez ne croit pas aux prophètes vivants, pas
plus que les enfants d'Israël n'y croyaient eux-mêmes
quand Étienne leur disait :
« Gens
au cou raide, incirconcis de cœur et d'oreilles, vous vous
opposez toujours au Saint-Esprit ; vous êtes tels que vos
pères. Quel est le prophète que vos pères
n'aient pas persécuté ? Ils ont même tué
ceux qui ont prédit l'avènement du Juste, que vous avez
livré, et dont vous avez été les meurtriers,
vous qui avez reçu la loi par le ministère des anges,
et qui ne l'avez point gardée. » (Actes 7:51 et
suivants)
Les prêtres
anciens insultaient les prophètes anciens : les prêtres
de nos jours insultent les prophètes de nos jours ; mais
prophètes anciens et prophètes nouveaux n'en sont pas
moins les envoyés de Dieu. Continuons ; voici quelque
chose de plus hardi (p. 27) :
« II
(J. Smith) émit une fois la prédiction que son fils,
dont la naissance était attendue, aurait le privilège
de voir les tables d'or. C'était, comme on sait, une faveur
dont personne ne jouissait à moins d'une permission spéciale
du ciel. Mais le prophète eut une déception, car
l'enfant vint au monde mort-né et difforme. »
À un
mensonge aussi impudent, nous répondons par un démenti
formel, avec défi à M. Favez, ainsi qu'à son
compère Bowes, attesté par lui, de citer la révélation
qui renferme cette prédiction ou tout autre témoignage
satisfaisant. Une telle révélation n'a jamais existé.
Poursuivons.
L'imposture,
suivant le même auteur, résulte de ce que, relativement
à Indépendance, bien que des révélations
en aient assuré la possession à l'Église « de
génération en génération, d'éternité
en éternité, » les saints en furent
néanmoins chassés en 1833. « Ils avaient
perdu leur Sion, dit M. Guers, et le fameux oracle de Smith avait été
hautement démenti par les faits. »
Nos
deux ennemis tronquent les révélations afin de les
mettre en contradiction avec les événements. Dans le
cas particulier, la révélation relative à la
terre de Sion renferme la condition que les saints achèteront
tous les terrains que le Seigneur avait indiqués. Or, ils ne
l'ont pas fait ; dès lors il ne faut pas s'étonner
de ce qui est arrivé.
MM. Guers
et Favez sont pressés de conclure à l'imposture ;
ils ignorent parfaitement si les saints ont définitivement
renoncé à leur établissement du Missouri, ou
s'ils conservent l'espoir d'en reprendre possession un jour. Ils n'en
savent pas davantage sur les droits qu'ils y ont acquis, ni sur la
valeur des propriétés dont ils ont été
dépouillés violemment. Ils ne se doutent pas que si,
lors de leur expulsion, un seul d'entre eux avait accepté une
indemnité quelconque pour les biens qu'ils laissaient,
celui-là eût été regardé par
l'Église comme apostat.
Savent-ils
au moins qu'une promesse du Seigneur peut être conditionnelle ?
Que son accomplissement peut être retardé ou détruit
par le défaut de fidélité de ceux qu'elle
intéresse ? Citons un exemple pris dans la Bible :
« Voici :
comme l'argile est dans la main du potier, ainsi êtes-vous dans
ma main, maison d'Israël. Au moment où j'aurai parlé
contre une nation et contre un royaume, pour l'arracher, pour le
démolir et pour le détruire, si cette nation-là,
contre laquelle j'aurai parlé, se détourne du mal
qu'elle avait fait, je me repentirai aussi du mal que j'avais pensé
de lui faire. Et au moment aussi que j'aurai parlé d'une
nation et d'un royaume, pour l'établir et pour le planter,
s'il fait ce qui est mal à mes yeux, de sorte qu'il n'écoute
point ma voix, je me repentirai aussi du bien que j'avais dit que je
lui ferais. » (Jérémie 18:6 et suiv.)
Ceci est le
principe ; voici l'application :
« Alors
Samuel dit à Saül : Tu as agi follement ; tu
n'as point gardé le commandement que l'Éternel ton Dieu
t'avait donné. L'Éternel eût maintenant affermi
ton règne sur Israël à toujours. Mais maintenant
ton règne ne sera point stable : l'Éternel s'est
cherché un homme selon son cœur, et l'Éternel lui
a commandé d'être le conducteur de son peuple, parce que
tu n'as point gardé ce que l'Éternel t'avait
commandé. » (1 Samuel 13:13)
Voici une
autre application encore. Dieu avait promis à Abraham la terre
de Canaan pour lui et ses enfants ; quatre siècles plus
tard il suscita le grand prophète Moïse pour délivrer
de la captivité égyptienne les enfants de son ami
Abraham, et les conduire en Canaan. Mais, quoique témoins de
la puissance de Dieu dans leur délivrance, ils ont transgressé
ses commandements, et le Seigneur a dit :
« Quant
à tous ces hommes qui ont vu ma gloire et les signes que j'ai
faits en Égypte et au désert, et qui m'ont déjà
tenté dix fois, et qui n'ont point obéi à ma
voix, jamais ils ne verront le pays que j'avais juré à
leurs pères de leur donner. Tous ceux qui m'ont irrité
ne le verront point. » (Nombres 14:22, 23)
Ainsi
Moïse, suscité exprès pour conduire les enfants
d'Israël dans la Terre promise, ne les y fit pas entrer et n'y
entra pas lui-même, malgré la promesse formelle du
Seigneur. Mais Josué, plus tard, fut désigné par
l'Éternel pour cette œuvre, et il mit leurs enfants en
possession du pays promis. Depuis longtemps la postérité
d'Abraham ne possède plus Canaan ; cependant l'Éternel
avait dit à ce patriarche : « Je te donnerai,
à toi et à ta postérité, pour toujours,
tout le pays que tu vois » (Genèse 13:15). M. Guers
pourrait dire : « Ils ont perdu leur Canaan, et le
fameux oracle d'Abraham a été hautement démenti
par les faits. »
Ce que
Joseph n'a pas fait à cause des transgressions des saints, qui
oserait dire que Brigham ne le fera pas ?
Du reste,
on ne saurait s'étonner de ce défaut de fidélité,
quand on sait que les saints étaient alors un peuple dans
l'enfance, recruté parmi tous les partis religieux de
l'Amérique, et encore imbu des fausses doctrines dans
lesquelles ils avaient été élevés ?
S'il a fallu aux enfants d'Israël quarante ans de souffrances et
de pérégrinations pour acquérir l'obéissance
sous un chef tel que Moïse, est-il donc surprenant que les
saints aient eu besoin de l'école du malheur et de la
persécution pour devenir un peuple selon Dieu ? Si les
Juifs eussent été dociles à la voix du grand
prophète, si les mormons eussent suivi la direction divine
transmise par Joseph, à ces deux peuples la terre de
promission eût été ouverte suivant les promesses
du Seigneur. Nos ennemis eux-mêmes, lorsqu'ils relèvent
avec tant de bruit la corruption ou l'apostasie de quelques membres
de notre Église, pendant la persécution, nous signalent
la cause de ses désastres, annoncés longtemps à
l'avance par le prophète. En effet, en août 1831, sept
ans avant l'expulsion des saints du Missouri, la parole du Seigneur
vint à Joseph, disant que les saints seraient flagellés
de ville en ville, et de synagogue en synagogue, et qu’il n'y
en aurait que peu de ceux qui appartiendraient alors à
l'Église resteraient pour recevoir un héritage (voir
Doctrine et Alliances, p. 151 ; D&A 63:31, ndlr).
Si donc les
longues tribulations du peuple d'Israël et son expulsion de
Canaan ne prouvent pas l'imposture d'Abraham et des autres prophètes,
les persécutions subies par les saints ne prouvent pas
davantage contre J. Smith et l'Église rétablie par lui.
Il est bien
permis à M. Favez, qui nous voit à trois mille lieues
de distance, d'ignorer nos projets, nos espérances, nos droits
et nos moyens de les reconquérir. Mais d'autres qui nous ont
vus de près, qui nous ont étudiés, peuvent en
dire quelque chose. Gunnison, en parlant de la cruauté des
Missouriens dans l'expulsion des mormons, dit (p. 112) :
« Malgré
toute l'impuissance du gouvernement à leur rendre justice, ils
préparent des mémoires pour demander la permission d'y
retourner, et ils entretiennent l'espoir fervent de rentrer dans
cette Sion si chère à leur cœur. »
Qu'est-ce
donc que cette sagesse de M. Favez qui fronde ainsi la sagesse de
Dieu et veut devancer la marche des événements ?
Oui, nous croyons à l'accomplissement de toutes les promesses
que le Seigneur a daigné nous faire ! De même qu’il
est certain que l'Éternel existe, il est également
certain que les saints des derniers jours, s'ils demeurent fidèles,
posséderont avant peu d'années le pays qu'ils ont
habité en Missouri, et que là ils bâtiront le
grand temple dont les fondements sont déjà posés ;
nulle puissance ne l'empêchera.
Voici un
autre sujet de scandale pour notre ennemi, une nouvelle preuve de
notre imposture. Parce que le Seigneur, dans une révélation,
dicte à son serviteur des détails relatifs à la
prospérité temporelle des saints, M. Favez, en vrai
missionnaire d'un Dieu qui ignore que sa créature boit et
mange, travaille et souffre dans ce monde, M. Favez s'enflamme
d'indignation. « Serait-il vrai, dit-il (p. 30), que Jésus
fait de son Église, pour laquelle il mourut, une compagnie de
brocanteurs ? »
Dans
l'Église des saints des derniers jours, les évêques
sont chargés des intérêts temporels de la
société. Or, on sait que quand un peuple s'établit
dans une contrée, cette nouvelle agglomération, dans un
pays non organisé, excite la cupidité des spéculateurs,
qui accourent munis de marchandises de la dernière qualité,
qu'ils vendent à des prix arbitraires. La sophistication des
denrées alimentaires, notamment, et l'élévation
des prix, sont des germes de ruine pour la santé et la bourse
des consommateurs. En pareil cas, c'est un devoir pour les dirigeants
de veiller à ce que leurs frères puissent se procurer,
au meilleur marché possible, des marchandises saines et de
bonne qualité. J. Smith, sur qui reposait une grande
responsabilité, consulta le Seigneur sur ce qu'il était
convenable de faire, et la sagesse divine enjoignit à Sidney
Gilbert d'établir un magasin où les saints pourraient
se procurer les choses nécessaires, « sans
fraude. » Quoi de plus naturel, de plus simple, de plus
honorable ? Où est donc cette compagnie de brocanteurs
dont parle M. Favez ? Est-ce que par hasard le brocantage
consiste à s'approvisionner des choses nécessaires à
la vie ? La haine de notre ennemi se manifeste dans le soin
qu'il met à chercher des expressions odieuses pour qualifier
les actes les plus ordinaires. Son exclamation, qui renferme autant
d'absurdités que de mots, ne prouve qu'une honteuse
partialité.
Pour le cas
où M. Favez persisterait à se scandaliser de
l'intervention du Seigneur dans les affaires matérielles de
son peuple, nous le renvoyons aux révélations données
à Moïse dans le désert (Deutéronome).
Nos
adversaires, tout en reconnaissant que sous la loi de Moïse, le
Seigneur s'est occupé des affaires temporelles, soutiendront
qu'il n'en fut pas de même aux jours des apôtres. À
cela nous répondrons : les apôtres avaient la
mission de prêcher l'Évangile à Israël
éparpillé et aux Gentils dispersés dans toutes
les nations. Leur mission n'était pas de rassembler Israël
(voir Actes 1:6, 7). Voilà la distinction. Les saints des
derniers jours sont les enfants du Dieu d'Abraham, de Jacob, de Moïse
et des anciens prophètes, de ce même Dieu qui ne
dédaignait pas de pourvoir aux besoins de son peuple réuni.
Dans les
pages suivantes, M. Favez reproduit quatre révélations
traduites à sa manière, frauduleusement tronquées.
Elles sont relatives au prophète lui-même et à
Martin Harris. Dans la dernière surtout (p. 32), il fait une
suppression que nous devons relever et expliquer, afin de démasquer
encore une fois la tactique de cet écrivain. Il omet cette
première phrase, qui pourtant n'est pas bien longue :
« Je
te commande de ne pas convoiter la femme de ton prochain, ni de
chercher à ôter la vie de ton prochain. »
(D&A 19:25, ndlr)
Comme ces
mots interdisent le libertinage, M. Favez, qui présente les
mormons comme des misérables livrés à tous les
débordements, les a prudemment supprimés.
Le même
paragraphe finit par ce bout de phrase, qui n'eût pas grossi sa
brochure :
« pour
qu'ils croient à l'Évangile et n'attendent pas la venue
d’un Messie qui est déjà venu. » (D&A
19:27, ndlr)
Ceci prouve
que le Livre de Mormon confirme l'Évangile ; mais M.
Favez soutient que nous voulons substituer le Livre de Mormon à
la Bible et au Nouveau Testament ; il a donc voulu, par cette
reproduction infidèle, éviter de se donner à
lui-même un démenti. De tels procédés sont
peu dignes d'hommes graves et sérieux ; mais la haine est
aveugle. Après avoir ainsi torturé et mutilé les
documents, l'honnête écrivain ose ajouter : « Si
J. Smith eût essayé ailleurs sa manière de faire,
il est plus que probable qu'il aurait appris comment on punit les
escrocs ! » — Nous répondons dans le
même style et avec plus de raison : « Si M.
Favez essayait ailleurs, dans les actes civils par exemple, sa
manière de faire, il est plus que probable qu'il apprendrait
comment on punit les faussaires ! » Salomon a dit :
« Répondez au fou selon sa folie, de peur qu'il ne
s'imagine être sage. » (Proverbes 26:5)
Pour en
finir avec les citations tronquées et frelatées de nos
ennemis, prenons un seul exemple dans les livres saints :
« Mangeons et buvons, car demain nous mourrons. »
MM. Favez
et consorts reconnaissent-ils dans ce passage, fidèlement
copié, mais séparé de ce qui le précède
de ce qui le suit, la morale de saint Paul ? (voir 1 Corinthiens
15:32). Voilà pourtant comment ils pratiquent la citation.
Suivant M.
Favez, le fondateur d'une société dont la direction
occupait tous ses instants, l'apôtre d'une religion qu'il
scella de son sang, J. Smith était un grand fripon lorsqu'il
émit une révélation qui recommandait aux saints
de pourvoir à ses besoins et de lui réserver un asile
dans la maison destinée à recevoir les étrangers
à Nauvoo. Il commettait une infâme escroquerie lorsqu'il
transmettait à Martin Harris, homme riche, le conseil de ne
pas trop convoiter ses biens, d'en donner librement une partie pour
la publication du Livre de Mormon.
Que cet
écrivain si scrupuleux nous dise donc de quoi vivait Moïse,
de quoi vivait Jésus. Qu'il nous dise si les apôtres
furent des escrocs quand ils reçurent l'argent des premiers
disciples (voir Actes 4:33 et suivants). À qui Dieu devait-il
commander de publier ce Livre, sinon aux plus riches d'entre les
témoins de son authenticité ? Tout cela fait
pitié, surtout quand on se rappelle que nos adversaires voient
dans des faits aussi naturels, aussi irréprochables, des
preuves positives d'imposture !
À
ces ennemis maladroits et ignorants, à ces hommes sans
discernement, à qui tous matériaux sont bons pour
construire leur œuvre de calomnie, nous opposerons le
témoignage d'autres ennemis mieux renseignés et plus
judicieux. En même temps que les Guers et les Favez s'efforcent
de découvrir, dans les révélations données
par Joseph Smith, des preuves palpables d'imposture, M. Clarke, de
Londres, chrétien comme eux, renverse leur échafaudage
et leur imprime sur le front le signe de l'ineptie. Écoutons
cet auteur :
« Si
jamais l'imitation des ordonnances de Jésus-Christ a été
portée à un haut degré par un peuple quelconque,
c'est certainement par les mormons. Pas une ordonnance, pas une
prescription observée aux jours des apôtres, qui ne soit
maintenant en vigueur parmi eux. De là vient la subtilité
de l'illusion. » (The Mormons in a fix, p. 1)
Laissons
nos ennemis se mettre d'accord entre eux, les uns nous accusant d'une
grossière parodie, les autres d'une subtile contrefaçon,
et passons plus loin.
Maintenant,
ce n'est plus aux hommes que M. Favez s'attaque. Notre doctrine est
hérétique, dit-il (p. 33), et la qualifier ainsi, c'est
encore lui faire beaucoup d'honneur, parce qu'elle ne tient pas à
la vérité par un bout.
À
l'appui de cette sentence élégamment motivée, il
cite un échantillon de notre dogme : « Dieu,
selon J. Smith, a vraiment un corps et des membres ; il mange et
boit. Dieu a créé le monde par la foi. Christ est un
être sauvé. »
Puis
M. Favez s'arrête, nous renvoyant, pour de plus amples
développements sur ce sujet, au numéro 2 de ses
Fragments (qui n'a pas encore paru, — septembre 1854). Soit,
attendons, et contentons-nous du peu qu'il nous donne. Qu'est-ce que
M. Favez ? Un missionnaire sans mission, membre d'un corps sans
tête, dont M. de Gasparin a dit :
« Le
plymouthisme est bien plus qu'une fausse doctrine, c'est une maladie
morale. On tient à n'avoir ni ministres, ni savants, parce
qu'ainsi on peut trôner à son aise et abriter son
ignorance sous la théorie commode de l'inspiration directe. Là
fermentent incessamment l'orgueil spirituel, le myticisme qui met ses
impressions à la place de l'Écriture, l'esprit de
jugement, l'esprit de subtilité, le formalisme qui se croit
ennemi des formes, et ce partage religieux contre lequel il est temps
de réagir au nom de la religion. » (Archives
du christianisme,
janvier 1854)
Tel
est l'homme qui nous accuse d'hérésie. Or, les
darbystes ou plymouthistes sont des hérétiques parmi
les méthodistes et ceux-ci sont hérétiques parmi
les protestants, qui, eux-mêmes, sont hérétiques
dans la chrétienté, laquelle, dans son universalité,
est apostate de la religion chrétienne primitive [8].
Il peut donc à son aise tronquer et attaquer nos doctrines.
Quant à
nous, nous ne discutons pas ici nos principes ; nous les
exposons, soit dans l'enseignement oral, soit dans des publications
spéciales, et ceux qui les acceptent avec un cœur droit
ne tardent pas avoir la certitude personnelle de la divinité
de l'œuvre.
Telles sont
les attaques dirigées par nos ennemis contre le Livre de
Mormon et son authenticité ; elles se bornent à
des injures gratuitement adressées à quelques
personnes : nous en avons fait justice. Plus loin nous
répondrons aux objections puisées dans le texte même
de ce Livre sacré.
CHAPITRE
II
JOSEPH
SMITH
Nous voici
arrivés à la page 34 de la brochure de M. Favez, où
il commence son réquisitoire contre J. Smith personnellement.
Ici encore nous allons voir briller l'impartialité et le tact
exquis de cet écrivain.
« Enfin,
dit-il, J. Smith peut-il supporter une autre épreuve à
laquelle la Bible soumet les prophètes ? Car, en parlant
d'eux, le Seigneur a dit : vous les connaîtrez à
leurs fruits. Quels fruits donc trouvons-nous dans la vie de ce
prophète ? Ici les témoignages sont nombreux ;
mais nous ne les demanderons pas à ses sectateurs, qui ne
voient en lui qu'un saint, un martyr de la vérité.
Joseph Smith a été bien connu, soit du public au milieu
duquel il a vécu, soit de ses propres disciples, parmi
lesquels plusieurs, après avoir été désabusés,
nous ont fourni des renseignements. »
Le lecteur
a compris. M. Favez repousse le témoignage de ceux qui ont le
mieux connu J. Smith, par la raison que ceux-là le regardent à
juste titre comme un saint, un martyr de la vérité, ce
qui ne fait pas le compte de notre ennemi, lequel a pris la plume
pour calomnier sa mémoire. Semblable aux Pharisiens qui dirent
à Jésus : « Tu rends témoignage
de toi-même, ton témoignage n'est pas digne de foi »,
M. Favez répondrait à Nicodème demandant si la
loi condamne un homme sans s'être informé de ce qu'il a
fait : « Es-tu aussi Galiléen ?
Informe-toi, et tu verras qu'aucun prophète n'a été
suscité de Galilée. » Suivant lui, les
frères de Joseph sont incapables de rendre un témoignage
vrai, à moins qu'ils ne soient désabusés,
c'est-à-dire apostats ou retranchés, ou, en d'autres
termes, ennemis acharnés du prophète. Alors il les juge
sincères et véridiques. Dégradés de leurs
fonctions ecclésiastiques ou civiles, froissés dans
leur amour-propre, déçus dans leur ambition, honteux de
leurs bassesses publiquement dévoilées, gonflés
de haine envers l'homme droit et sévère qui a voulu
purger l'Église de Dieu de tout ce qu'elle renfermait d'impur,
ces témoins-là apporteront à l'enquête
ouverte devant le juge Favez tout ce que la rancune peut suggérer
de mensonges et de calomnies à des hommes corrompus. À
la bonne heure ! dit le juge ; voilà les témoins
dont j'ai besoin !
Avant
d'entrer dans l'examen des témoignages que nos adversaires
produisent à l'appui de leur accusation d'imposture, que le
lecteur nous permette quelques réflexions.
D'abord, le
mérite de Joseph Smith et des autres dirigeants de l'Église
est une question très secondaire. En effet, tous ces hommes,
après avoir inauguré la nouvelle dispensation du
Seigneur, fussent-ils devenus des scélérats, l'Église
des saints des derniers jours n'en serait pas moins ce qu'elle est,
l'Église de Jésus-Christ rétablie dans sa pureté
primitive. Le reniement de Pierre, les fureurs de Paul, la trahison
de Judas, les transgressions des disciples et des premiers chrétiens
n'ont rien prouvé contre l'œuvre du Christ. Si donc nous
suivons nos adversaires sur ce terrain, ce n'est pas pour défendre
ces hommes ; leur histoire, écrite par des plumes plus
véridiques, plus honnêtes, sera connue un jour. Notre
seul but est de démasquer encore ici la déloyauté
de nos ennemis, et de justifier cette opinion émise par l'un
d'entre eux, que les rivalités d’Églises et
l'esprit de coterie religieuse sont la source des calomnies dirigées
contre J. Smith et ses amis.
Si
les mormons étaient une colonie de quelques centaines
d'individus livrés à tous les vices, relégués
dans un coin du globe où ils mourraient de faim en cherchant
de l'or [9],
une bande de fanatiques expiant dans les angoisses de la misère
leur excessive confiance dans des chefs pervers et spoliateurs, oh !
dans ce cas, M. Favez et ses acolytes n'eussent pas pris la plume
pour nous diffamer. Mais l'un d'eux (M. Guers, page 73) nous explique
ce zèle ardent :
« D'après
les nouvelles les plus récentes, l'affaire des mormons prend
des proportions colossales. Ils s'occupent à créer un
établissement intermédiaire entre leur colonie du lac
Salé et l'océan Pacifique ; et leur activité
est telle qu'ils baptisent, dit-on, cinq cents adultes par mois. »
Cet aveu
révèle dans notre Église un progrès qui
contraste singulièrement avec l’état de
dissolution dans lequel gît la chrétienté de nos
jours, au dire de M. Favez. Est-il donc bien surprenant que les
ministres de cette religion qui s'en va, qui se dissout, dépensent
leur éloquence, leur argent, et jusqu'à leur loyauté
pour retarder quelque peu la désertion de leurs temples ?
Ils connaissent maintenant ce magnifique centre d'attraction situé
au-delà des mers, ce climat sain, riche et fécond, où
Dieu offre à la vertu et au travail le bien-être
terrestre en attendant le bonheur éternel (voir Psaumes
112:1-3). Ils savent que le spiritualisme de leurs doctrines laisse
un vide pénible au cœur de l'homme, qui est intelligence
et chair. Ils ont la conscience du doute qui tourmente l'humanité ;
que dis-je ? Ils doutent eux-mêmes. Ils connaissent, ils
partagent la tendance actuelle à un état religieux plus
vrai, plus compatible avec la raison, plus positif dans ses
aspirations, aujourd'hui vagues et sans objet déterminé.
Ils comprennent qu'une nation composée d'hommes qui, des
quatre coins du globe, en ont accepté la constitution
religieuse et civile, réalise l'idéal du gouvernement
et garantit la paix, la liberté et la richesse à tous
ses membres laborieux et fidèles. Témoins de nos
progrès et de leur décadence, les voilà qui
cherchent à faire voir le mal où est le bien, le vice
où est la vertu, l'erreur où est la vérité,
la misère où est l'abondance, les querelles intestines
où règne la plus douce fraternité.
Les
voyez-vous se cramponner à leurs religions agonisantes ?
Ils y tiennent comme le médecin tient aux maladies qui
déciment l'humanité, comme l'avocat tient aux procès
qui la ruinent ! Qu'y a-t-il là de surprenant ? Mais
ce qui ne doit pas non plus les surprendre, c'est que leurs ouailles
se désabusent aussi parfois et viennent s'assurer si cette
doctrine dont ils disent tant de mal ne serait pas, par hasard, plus
satisfaisante que leur myticisme. Là est, en partie du moins,
l'histoire des succès de notre Église, et nous
pourrions constater que les Favez et les Guers de la Grande-Bretagne
ont puissamment contribué au développement du
mormonisme dans cette contrée. Nos adversaires sont souvent
devenus, à leur grande surprise, nos meilleurs auxiliaires. M.
Guers lui-même nous a été plus utile qu'il ne
croit peut-être, surtout lorsque, du haut de la chaire, il
présenta le mormonisme comme une secte sortie des abîmes
de l'enfer ; car c'est après ce discours que plusieurs de
ses auditeurs sont venus nous demander des renseignements sur notre
Église, et peu après le baptême. Qu'il en reçoive
ici leurs remerciements.
Examinons
maintenant quels sont les crimes imputés à Joseph
Smith, et voyons si le désintéressement et la moralité
des témoins sont de nature à inspirer une entière
confiance.
M. Bowes,
souvent cité par nos adversaires, affirme que :
« J.
Smith jurait parfois. Quand les Américains levèrent la
milice et investirent les mormons à Far-West, le prophète
entremêla d'imprécations une harangue contre ses
ennemis. » (Favez, page 36)
Il est bon
de savoir que John Bowes est aussi un ministre, le primat d'une
religion sui
generis,
qui lui est propre et personnelle, et naturellement hostile à
toutes les autres. On peut dire de lui comme autrefois d'Ismaël :
« Sa main sera contre tous, et la main de tous contre
lui. » (Genèse 16:12) Sur quelle autorité
s'appuie Bowes ? Sur celle d'un apostat obscur, nommé
Owens, qui serait resté parfaitement inconnu si cet auteur ne
l'eût pas illustré.
« Mais
qu'est-ce que cela, dit M. Favez, quand on a à constater, dans
la vie du même homme, le vol, l'impudicité, le
meurtre ! »
L'auteur
des Fragments essaie de prouver le vol par une citation assez longue
où l'on raconte l'établissement d'une banque à
Kirtland, sous la raison Smith et Ce,
établissement qui bientôt fit banqueroute, après
quoi J. Smith esquiva les poursuites de la justice en s'enfuyant
pendant la nuit au-delà des limites des États-Unis, et
fut déclaré hors la loi. Transcrivons quelques passages
de ce récit, et rappelons au lecteur qu'il est dû, comme
la plupart des calomnies lancées contre le prophète, à
un ministre anglican, le révérend J.-H. Gray, incumbent
of St.-Barnabas, Douglas, Isle of Man, and late principal of the
Church Missionary institution, Madras.
« Quand
arriva l'échéance des billets qu'ils avaient passés
à leurs créanciers, ils émirent leurs propres
billets en paiement. Mais comme on suspectait l'état de leur
caisse, plusieurs des créanciers demandèrent à
connaître où elle en était. Smith l'avait prévu
et s'était fourni d'une centaine de boites toutes construites
sur un même modèle, et avait imaginé d'en remplir
une d'un millier de dollars (5,420 francs). Il remplit les autres de
pierres, de plomb, de vieux fer, de débris, mais posa sur
toutes une étiquette de Mille Dollars. Quand on vint aux
informations, il ouvrit celle des boîtes qui contenait
l'argent, montra les autres, permit qu'on en appréciât
le poids, et persuada à ses visitants que la maison avait en
caisse une somme de cent mille dollars, lorsqu'en vérité
elle n'en avait guère plus de mille. Il parvint ainsi à
tromper la confiance et à augmenter largement le nombre des
déposants à la banque Smith et Ce ;
il dépouilla ainsi un grand nombre d'individus. »
(Favez, page 37)
Sans doute
il est permis de s'appuyer des documents, mais seulement lorsqu'on
les juge vrais et sincères. Dans le cas contraire, la plus
vulgaire probité interdit d'invoquer de telles autorités.
Eh bien, le missionnaire Favez a considéré le récit
du ministre Gray comme tellement incroyable, qu'il a, de son propre
mouvement, retranché déjà la moitié de la
somme, et qu'il a copié cent boîtes et cent mille
dollars là où Gray avait écrit deux cents Boites
et 50.000 livres sterling ou deux cent mille dollars ! Il est
devenu faussaire, cette fois, par dépit d'avoir rencontré
un écrivain plus hardi que lui-même ! (voir Gray's,
Principles
and Practices of Mormons,
p. 54) M. Pichot, bien entendu, répète cette
monstruosité. Voilà comment les ennemis du mormonisme
écrivent l'histoire ! Le mensonge de Gray est une mine
très féconde que nos adversaires exploitent à
qui mieux. En est-ce assez pour ouvrir les yeux de leurs lecteurs ?
Toutefois,
cette accusation de vol, de banqueroute et de fuite nocturne doit
être repoussée plus catégoriquement. Que l'on
nous permette donc d'entrer dans quelques détails sur une
question aussi délicate.
Une banque
fut en effet établie à Kirtland par les membres de
l'Église et par actions de 50 dollars. Nous avons sous les
yeux les statuts de cette société, et si nous ne
craignions pas de grossir cet ouvrage, nous les reproduirions avec
plaisir, car ils démontrent la droiture des hommes qui
fondèrent cette banque.
L'établissement
portait le nom de KirtlandSafety society Bank. Le directeur et les
autres fonctionnaires étaient nommés au scrutin par les
actionnaires. Joseph fut élu président ; mais loin
de s'installer dans les bureaux, comme dit M. Favez, il continua à
se livrer aux devoirs de sa mission.
« Tandis
que lui-même parcourait les différents États de
l'Union pour répandre sa doctrine, quelques-uns de ses
lieutenants dirigeaient l'exploitation agricole, d'autres
administraient une banque, faisaient un journal et engageaient une
violente polémique avec les Gentils, etc. »
(Moniteur
du
26 mars 1853)
Le 27
juillet 1837, Joseph partit pour Toronto, dans le Haut Canada, afin
de visiter les saints. C'est pendant son absence que les personnes
chargées de la direction de la banque émirent des
billets dépassant le chiffre que Joseph leur avait conseillé
de ne pas atteindre. En même temps Warren Parrish, caissier,
effrayé du retour du prophète, prit la fuite, emportant
avec lui, au dire du professeur Turner, une somme de 25.000 dollars.
J. Smith demanda au magistrat F.-G. Williams l'autorisation de faire
arrêter le fugitif ; cette autorisation ayant été
refusée, le magistrat, qui était membre de l'Église,
fut immédiatement destitué et plus tard retranché
de l'Église, bien qu'il fût le second conseiller de
Joseph.
Celui-ci, à
son retour, proposa des mesures propres à ramener
l'établissement dans une bonne voie ; mais, contrecarré
par quelques-uns des directeurs qui voulurent persister dans la
marche qu'ils avaient adoptée, il se retira de la présidence
et publia l'article dont nous parlerons tout à l’heure.
Sur sa proposition, ces directeurs furent retranchés de
l'Église.
Apres sa
retraite, la banque continua de fonctionner sous la direction des
apostats qui la poussaient à sa ruine. Si elle a fait
banqueroute, assurément ce n'est pas à Joseph qu'il
faut l'imputer.
La
soustraction de Warren Parrish laissait l'établissement dans
des embarras sérieux ; les billets n'étaient pas
admis en paiement, décriés qu'ils étaient par J.
Smith lui-même, qui ne voulait pas que le public y attachât
une valeur imaginaire. À ces deux ministres qui en imposent à
leurs lecteurs, en présentant Joseph comme un escroc
pratiquant d'infâmes manœuvres pour extorquer l'argent et
la confiance des capitalistes, nous mettrons sous les yeux l'article
suivant, publié dans le Messenger
and Advocate
de
Kirtland, numéro du mois d'août 1837 :
« Avertissement
aux frères et aux amis de l'Église des saints des
derniers jours.
« J'éprouve
le besoin de dire ici un mot concernant les billets de la Banque
d'assurance de Kirtland (Kirtland Safely society Bank). Je les
invite, par la présente, à se tenir en garde contre les
spéculateurs, renégats et tripoteurs qui dupent les
hommes sans défiance, en cherchant à négocier
ces billets, qui n'ont aucune valeur. Je blâme et flétris
de pareilles manœuvres, aussi funestes à l'intérêt
du public qu'aux principes de la religion.
(Signé)
J. Smith, junior. »
Voilà
comment Joseph imaginait des boîtes et des étiquettes
pour tromper ses créanciers. Et puisque nous parlons encore
une fois de ces boîtes, à qui nos adversaires
pensent-ils faire croire que des créanciers alarmés,
quand ils venaient demander le paiement de billets échus, se
seraient contentés de voir des boîtes et des étiquettes,
et d'en vérifier le poids ? Ces personnes demandaient le
montant de leurs créances, et non à voir des boites
étiquetées. Elles allaient vérifier, dites-vous.
Soit ; mais celui qui veut vérifier ouvre les boites et
n'en laisse pas choisir une par le directeur de l'établissement
soupçonné, se rapportant à l'étiquette
pour les autres. Il faut supposer le lecteur bien niais pour lui
conter de telles fables.
Dans les
derniers jours de juillet 1837, J. Smith partit pour Toronto, dans le
Haut Canada, hors des limites des États-Unis, afin d'y visiter
les saints, comme nous l'avons dit plus haut. C'est probablement à
ce voyage que nos ennemis font allusion lorsqu'ils disent que le
prophète esquiva les poursuites de la justice ; mais
l'erreur (si c'en est une) est facile à démontrer. J.
Smith, en effet, était de retour à Kirtland à la
fin du mois d'août ; son absence n'a pas duré plus
d'un mois et trois jours. Le numéro du Messenger
and Advocate,
publié au mois d'août, contient, outre l'article que
nous venons de citer, plusieurs autres avis signés de lui,
notamment l'annonce d'un nouveau journal (Elders'
Journal),
qui devait paraître et qui parut en effet dans le mois
d'octobre, journal dont il était l'éditeur. Les
procès-verbaux des conférences de l'Église
prouvent qu'il a assisté à toutes les séances
jusqu'au mois de janvier de l'année suivante.
Le 12
janvier 1838, la persécution, fomentée par les
apostats, ayant pris un caractère de cruauté et de
violence inouï jusqu'alors, J. Smith dut s'éloigner de
Kirtland. Il se dirigea avec sa famille vers Far-West, État de
Missouri (toujours dans les limites des États-Unis), où
il fut accueilli avec enthousiasme (14 mars). Il y est resté
jusqu'à l'extermination ordonnée par le gouverneur
Boggs.
Forcé
de quitter Kirtland sans pouvoir régler ses affaires, il avait
chargé le colonel Oliver Granger d'y pourvoir dans les États
de l'est. Celui-ci a rempli son mandat avec une telle loyauté
que les créanciers ont publié spontanément
diverses attestations propres à démentir les bruits
fâcheux que les ennemis des mormons avaient répandus.
Nous citerons, entre beaucoup d'autres, les deux suivantes :
« Painsville,
19 octobre 1838.
« Nous
soussignés, connaissant personnellement M. Oliver Granger,
croyons fermement que les démarches qu'il a faites pour régler
les affaires des habitants de Kirtland-Township (les mormons expulsés
au début de 1838), lui font beaucoup d'honneur, ainsi qu'à
ceux qui lui ont donné cette mission, et qu'il a procédé
d'une manière également conforme aux intérêts
de ses mandants et à ceux des personnes qui étaient en
rapport avec eux, ce qui prouve qu'ils n'ont eu aucune intention
d'échapper à leurs créanciers.
(Signé)
Thomas Griffith, John S. Seymour. »
Autre
attestation datée du même lieu, 27 octobre 1838 :
« Je
certifie à tous qu'il appartiendra, qu'ayant traité des
affaires avec MM. Smith junior et Sidney Rigdon, ainsi qu'avec les
membres de l'Église, pour une somme d'environ trois mille
dollars, j'ai reçu, au printemps de cette année, la
somme entière qui m'était due, des mains du colonel
Oliver Granger, à ma satisfaction.
« Je
crois devoir ajouter ici que MM. Smith et Rigdon, et la Société
en général, ont toujours agi honorablement et
loyalement envers moi, et que mes rapports avec eux ont été
aussi agréables qu'avec aucune autre société de
cette contrée. Autant que j'ai pu me renseigner, et d'après
la connaissance que j'ai de leurs affaires commerciales, ils ont été
justes et honorables, et ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour
régler leurs affaires et acquitter leurs engagements.
« Je
dois ajouter encore que le colonel Granger, leur mandataire, a
vraiment agi honnêtement dans cette liquidation, et qu'il a
accompli envers moi au-delà de ce que je pouvais
raisonnablement espérer. Je me suis informé de la
manière dont il a réglé avec d'autres personnes
dans ce pays, et je sais qu'il a liquidé beaucoup d'affaires
pour cette société, et, je crois, à l'entière
satisfaction des personnes intéressées.
(Signé)
John W. Hawden. »
Telle fut
la conduite de cet homme que MM. Gray, Favez et compagnie appellent
voleur et banqueroutier ! Voilà cet escroc qui met les
frontières des États-Unis entre lui et la justice !
Ajoutons un fait, mais un de ces faits tellement authentiques et
indéniables, que le sceau de l'erreur (sinon du mensonge)
s'imprime à jamais sur le front de nos adversaires ?
Écoutez ceci :
Le
29 novembre 1839, plus de deux ans après l'époque à
laquelle, suivant eux, J. Smith, déclaré hors la loi,
s'enfuyait pendant la nuit au-delà des limites des États-Unis
pour échapper à la justice, ce même J. Smith,
accompagné d'Elias Higbee et autres sommités de
l'Église, se présentait en personne devant le président
des États-Unis et ses ministres, à Washington, pour
demander justice et réparation des outrages subis par les
mormons [10].
Les archives de l'Union et les feuilles officielles de l'époque
sont là pour appuyer ce solennel démenti. De quel côté
est l'imposture ?
Et dans le
cas où les écrivains auxquels nous répondons
voudraient s'abriter derrière les noms d'autres auteurs cités
par eux, nous les poursuivrons jusque dans ce dernier refuge, et nous
leur prouverons qu'ils ont tous trois puisé certains faits et
certaines appréciations à une source suspecte, impure,
indigne de gens honnêtes. Cette source, qu'aucun d'eux n'a eu
le triste courage de faire connaître, parce qu'elle eût
inspiré une juste défiance envers eux et leurs œuvres,
nous la ferons connaître plus loin.
Inutile,
nous le pensons, d'en dire davantage sur la fameuse accusation de vol
et de banqueroute.
À la
page 38 de sa brochure, M. Favez emprunte au même Bowes, déjà
mentionné, le récit d'une attaque à main armée,
dirigée par J. Smith et suivie du pillage d'un magasin, et à
W. Harris celui d'une autre expédition où les mormons,
toujours sous la conduite de J. Smith, tuèrent deux cents
porcs, prirent quarante ou cinquante ruchers et détruisirent
plusieurs champs de blé.
Il résulte
de tout cela, suivant lui, que J. Smith est un imposteur, et le
mormonisme un tissu d'impostures.
Nous
ignorons si, durant cette guerre, les mormons tuèrent des
porcs et prirent des ruchers, ni quel en fut le nombre. Mais ce que
nous savons, c'est que les biens dont ils ont été
dépouillés valent plus de deux millions de dollars.
Si Joseph
est un imposteur parce que, au milieu des plus atroces persécutions,
quelques-uns d'entre les mormons ont tué les porcs et pris les
ruches de leurs ennemis fanatisés, qui avaient ravagé
leurs propriétés, violé leurs femmes et leurs
filles, que doit-on penser de Moïse en lisant les passages
suivants :
« Ils
firent donc la guerre à ceux de Madian, comme l'Éternel
l'avait commandé à Moïse, et ils en tuèrent
tous les mâles. Ils tuèrent aussi les rois de Madian,
outre les autres qui, y furent tués, savoir : Evi, Rékem,
Tsur, Hur et Rébah, cinq rois de Madian ; ils firent
aussi passer au fil de l'épée Balaam, fils de Béhor.
« Et
les enfants d'Israël emmenèrent prisonnières les
femmes de Madian, avec leurs petits enfants ; et ils pillèrent
tout leur gros et menu bétail, et tout ce qui était en
leur puissance. Et ils brûlèrent toutes leurs villes,
avec leurs demeures, et tous leurs châteaux. Et ils prirent
toutes les dépouilles et tout le butin, tant des hommes que du
bétail. Puis ils amenèrent les prisonniers, les
dépouilles et le butin à Eléazar le
sacrificateur, etc.
« Et
Moïse se mit fort en colère contre les capitaines de
l'armée.... Et il leur dit : N'avez-vous pas laissé
vivre toutes les femmes ? Tuez donc maintenant les mâles
d'entre les petits enfants, et tuez toute femme qui aura eu compagnie
d'homme ; mais vous laisserez vivre toutes les jeunes filles qui
n'ont point eu compagnie d'homme.... Et ce qui avait été
pillé, c'est-à-dire ce qui était resté du
butin que le peuple qui était allé à la guerre
avait fait, était de six cent soixante et quinze mille brebis,
de soixante et douze mille bœufs, de soixante et un mille ânes.
Et quant aux femmes qui n'avaient point connu d'hommes, elles
faisaient en tout trente-deux mille âmes. » (Nombres
31:7-35)
Ivrognerie
Autre
témoin. Dans un ouvrage intitulé Three
days at Nauvoo
(Trois
jours à Nauvoo), par M. Caswall, auquel M. Favez ne manque pas
de faire un emprunt (page 36), il est dit que J. Smith « s'enivrait
parfois. C'était, disait-il lui-même, pour empêcher
ses disciples de l'adorer comme un Dieu. »
Ceci est
trop burlesque pour mériter une réfutation sérieuse ;
nous aimons mieux apprendre à nos lecteurs quel est M. Caswall
et quelle confiance méritent ses allégations. C'est
encore un ministre de l'Église anglicane, qui, pour en imposer
plus facilement au public, est allé en effet passer trois
jours à Nauvoo. Cette tactique devait lui réussir, car
on a en général une grande confiance dans ceux qui se
disent témoins oculaires. Arrivé dans le pays, M.
Caswall prit un logement à Montrose, en face de Nauvoo, dans
la maison d'un nommé Kilburn, ennemi violent et déclaré
des mormons. Telle est la source où il a puisé ses
renseignements. En parlant des persécutions endurées
par les saints dans le Missouri, nous aurons occasion de revenir sur
le compte de ce M. Caswall, qui s'écria un jour : « II
faudrait que J. Smith eût été assassiné ! »
Aimable ministre !
Les
Danites. Assassinat.
On se
rappelle que nos ennemis ont souvent parlé d'une certaine
bande d'assassins et d'incendiaires nommée les Danites ou
Anges destructeurs. Cette bande, en réalité, n'a jamais
existé. Eût-elle été organisée, M.
Pichot, à qui il échappe parfois des traits de
franchise, ne nous en ferait pas un grand crime ; témoin
ce passage de son livre (p. 152, 153) :
« Disons,
en quelques mots, ce qu'était cette troupe, épouvantail
véritable ou supposé des anti-mormons. — Les
mormons, depuis longtemps exposés à tous les outrages,
dans un pays où les lois étaient foulées aux
pieds par la populace, avaient dû naturellement prendre des
mesures défensives. Ils se conformèrent au conseil que
le gouverneur de Missouri leur avait donné quelques années
auparavant, en organisant, sous le nom de bande des Danites, une
espèce de milice vengeresse qu'on appelait aussi les Anges
destructeurs. Ce second titre paraît assez menaçant, et
s'il fallait en croire les dépositions de deux apostats [11]
du
mormonisme, ils auraient mérité ce titre à tous
égards.
« L'existence
de la société secrète des Danites ne peut être
une fable ; mais on ne pouvait citer contre elle aucun fait
positif. Les mormons, voyant leurs adversaires violer tous les jours
les lois qui auraient dû les protéger, ne pouvaient
avoir pour ces lois un bien grand respect. Dans tous les cas, les
Anges destructeurs ne brûlèrent aucune ville. »
Ce passage
renferme des aveux qui justifieraient, s'il en était besoin,
tous les actes que l'on attribue aux mormons. Ces aveux se trouvent
dans tous les livres écrits contre nous par des laïques,
notamment dans Stansbury, Gunnison, Pichot, le Journal
des Débats,
le Moniteur,
etc. Mais quant aux ouvrages écrits par des ecclésiastiques,
lisez-les d'un bout à l'autre, vous n'en trouverez pas un mot.
La troupe
des Danites, contre laquelle M. Pichot convient qu'on ne peut citer
aucun fait positif, ces incendiaires qu'il avoue n'avoir rien
incendié, cette bande dont il dit que l'organisation avait été
conseillée par le gouverneur du Missouri lui-même, comme
mesure défensive, n'a pas existé, nous le répétons.
Mais il n'en est pas moins vrai qu'un nommé Sampson Avard,
profitant de l'absence de J. Smith, qui était allé
faire face à la persécution sur divers points, avait
tenté de l'organiser à peu près telle que nos
ennemis l'ont représentée. L'Église eut
connaissance de ce projet, déjà en voie de réalisation,
et Avard, convaincu de tentative coupable dans ce but, fut retranché
et dégradé. Dès lors il se rangea du côté
des ennemis du prophète ; le dépit qu'alluma en
lui cet acte de justice le poussa à des faits qui lui
attirèrent le mépris public. Ceci est tellement vrai,
que le fameux John C. Bennett (dont nous parlerons tout à
l’heure), quand vint aussi pour lui le moment d'être
retranché pour purifier l'Église, s'écriait avec
effroi : « On va me regarder comme un second
Avard ! »
Eh
bien, ce même Avard est le mormon désabusé que M.
Caswall prend à témoin de l'organisation des Danites,
qu'il attribue à Joseph, quand c'est lui qui a été
retranché par Joseph pour avoir tenté de l'organiser.
Ceci est vraiment trop maladroit [12].
Mais écoutons M. Caswall :
« Smith
avait publiquement prophétisé, en 1841, qu'en moins
d'une année son vieil ennemi Boggs, l'ex-gouverneur du
Missouri, mourrait de mort violente. Il offrit alors à
quelques-uns des Danites une récompense de cinq cents dollars
pour l'assassiner. Par suite de cette offre, un soldat de cette
terrible troupe entreprit un voyage de plus de 200 milles (70 lieues)
jusqu'à Indépendance, où demeurait
l'ex-gouverneur. Au bout de deux mois, le Danite retourna à
Nauvoo, et, le jour suivant, on y publia l'assassinat du gouverneur.
Le Danite, qui auparavant était très pauvre, se montra
alors possesseur d'une élégante voiture, de beaux
chevaux, et la poche remplie d'or. » (Fragments, p. 41)
À la
lecture de cet extrait habilement découpé, on ne peut
pas douter de la mort violente du gouverneur Boggs, puisque le Danite
a touché le prix de son forfait, et l'on doit bien s'étonner
de ce que la justice laisse accomplir de tels crimes.
M. Guers
déploie la même habileté dans la citation qu'il
donne (p. 68).
« Pour
accomplir la prophétie, Smith avait offert une récompense
de 500 dollars aux Danites qui tueraient le gouverneur. L'un d'eux
revint du Missouri après deux mois d'absence. Le lendemain de
son retour, on proclama l'accomplissement de la prophétie, et
l'assassin, qui jusqu'alors avait été dans la misère,
parut dans les rues de Nauvoo les poches pleines d'argent. »
II est
évident, d'après cet extrait, que Boggs a été
tué.
Nos deux
ministres l'affirment, non pas directement, comme feraient des
laïques, mais en coupant les textes cités de manière
à laisser croire au lecteur ce qu'ils n'osent pas exprimer,
comme font en général nos adversaires ecclésiastiques.
Mais que
l'on se rassure, Boggs n'a pas été tué ; il
est encore plein de vie aujourd'hui, douze ans après que les
ministres l'ont fait tomber sous le plomb d'un assassin, comme dit M.
Guers. Nous ne saurions dire ce qu'il fait, mais nous affirmons qu'en
1852 il était membre de l'assemblée législative
en Californie ; et, suivant nos dernières nouvelles, il
est citoyen de cet État.
Quant à
la prophétie, un de nos ennemis (laïque) va nous la faire
connaître telle qu'elle est ; celui-là a pris ses
renseignements sur les lieux mêmes. L'extrait que nous allons
donner de Gunnison (p. 74), expliquera en même temps les
jurements et les imprécations dont il a été
question tout à l’heure :
« L'usage
du nom de Dieu, chez les mormons, est permis seulement dans les
circonstances judiciaires, ou lorsqu'une malédiction est
lancée contre quelqu'un ; comme, par exemple, lorsque
Joseph en a fulminé une contre le gouverneur Boggs,
accompagnée de la prophétie qu'il deviendrait un
vagabond, affligé d'une maladie qui le rendrait odieux à
lui-même et à ses anciens amis, et lui ferait désirer
la mort pendant longtemps sans la trouver. »
II est vrai
pourtant qu'un coup de pistolet fut tiré dans la fenêtre
de Boggs. Que sa conscience lui ait alors rappelé ses actes
envers Joseph et les mormons ; que le remords de son ordre
d'extermination, trop fidèlement exécuté, lui
ait fait soupçonner que ce pistolet avait été
chargé par la main d'une de ses victimes, personne ne s'en
étonnera : il devait naturellement attribuer la vengeance
à ceux qu'il avait décimés et ruinés par
les plus odieux abus de pouvoir. Mais il paraît que les mormons
n'étaient pas les seuls qui eussent à se plaindre de
lui ; car, le prétendu assassin dont parlent nos ennemis
ayant été arrêté, et Joseph lui-même
s'étant constitué prisonnier à Springville où
l'affaire s'instruisit sur la plainte de Boggs, la justice reconnut
qu'il n'existait aucune apparence d'assassinat contre l'un, ni de
complicité contre l'autre, et tous deux furent mis en
liberté ; ce qui n'empêche pas M. Guers (p. 69) et
M. Favez (p. 44), d'affirmer que Joseph était encore sous le
poids de cette accusation lorsqu'il fut assassiné, dans la
prison de Carthage, par une populace fanatisée, sans pouvoir,
même en prison, jouir de la protection des lois.
M. Pichot
(laïque) raconte ainsi les résultats de l'accusation de
Boggs (p. 214) :
« Peu
de temps avant la publication officielle de sa candidature à
la présidence, Joseph se trouvait en visite avec sa famille
dans un endroit nommé Dixon, dans l'Illinois. Une action avait
été intentée antérieurement contre lui
par quelques personnes de Jackson, dans le Missouri, sous prétexte
de pertes éprouvées lors des troubles qui avaient
précédé l'expulsion des mormons. Dixon étant
situé sur la frontière du Missouri, deux officiers du
shérif de cet État, les nommés Reynolds et
Wilson, résolurent d'enlever le prophète et de le
traîner devant les tribunaux missouriens. Dans ce dessein, ils
se déguisèrent, et, frappant de nuit à la ferme
où résidait momentanément Joseph, ils se
donnèrent pour deux Anciens mormons arrivant de Nauvoo, et
désirant de l'entretenir. On eut l'imprudence de leur ouvrir
la porte, et ils se précipitèrent sur Joseph, tenant
chacun un pistolet chargé à la main, et jurant de
l’étendre raide mort s'il faisait la moindre résistance.
Le prophète leur ayant demandé en vertu de quelle
autorité ils l'arrêtaient : « Voilà
notre autorité », répondirent-ils en
montrant leurs pistolets. Non seulement ils ne lui permirent pas de
rentrer dans la chambre pour dire adieu à sa famille, mais ils
refusèrent même de lui laisser prendre son chapeau, et
ils le firent monter de force dans la voiture, après l'avoir
frappé sur la tète et sur le dos avec la crosse de
leurs pistolets. Retenu prisonnier pendant plusieurs semaines, le
prophète obtint enfin sa liberté en vertu d'une
ordonnance d’habeas corpus. Aussitôt qu'il fut de retour
en Illinois, il intenta une action contre Reynolds et Wilson pour
arrestation illégale, violences et mauvais traitements ;
mais il n'obtint que des dommages intérêts illusoires,
quarante dollars, tandis que les dépenses de cette affaire,
depuis son début jusqu'au dénouement, s'élevaient
pour lui à plus de trois mille cinq cents dollars [13].
C'était payer bien cher une justice si peu impartiale. —
L'accusation sans fondement et de pure vengeance portée contre
lui par l'ex-gouverneur Boggs devait avoir de bien plus graves
résultats encore. »
Nos
adversaires ecclésiastiques se gardent bien de reproduire de
semblables extraits. Au contraire, M. Guers lie adroitement cette
calomnie de Boggs à la détention de Joseph, de son
frère et de quelques autres dans la geôle de Carthage,
et continue ainsi :
« Pendant
qu'ils attendaient leur jugement, la sentinelle extérieure de
la prison où ils étaient fut tuée ; Smith
et ses gens, qui s'étaient procuré des armes, firent
feu sur la garde intérieure ; puis, dans la confusion qui
survînt, Smith tenta de s'évader par une fenêtre ;
mais il tomba frappé mortellement, sans avoir eu le temps
d'implorer la merci divine, et après avoir annoncé
qu'il sortirait bientôt de sa geôle pour achever le Livre
de Mormon. » (Guers, p. 69)
Après
avoir rétabli les faits dans leur vérité, quant
au prétendu assassinat de Boggs attesté par John G.
Bennett, et avant d'aborder le récit de la mort de Joseph, que
nous appuierons sur des citations empruntées à des
ennemis moins cyniques dans leur haine, nous devons, ainsi que nous
l'avons promis plus haut, faire connaître le fameux John C.
Bennett, que l'un de nos adversaires appelle le bras droit du
prophète.
Voici
d'abord une lettre très récente. Ayant fait
dernièrement la connaissance de M. John S. Fullmer, pasteur
des conférences de Liverpool, Manchester et Preston, et
sachant qu'il avait été à Nauvoo pendant le
séjour de Bennett, nous lui demandâmes des
renseignements sur ce personnage. Voici sa réponse :
« 107,
Finch Street, Liverpool, 19 juin 1854
« Cher
frère Stenhouse,
« Mon
absence de cette ville à l'arrivée de votre bonne
lettre du 13 courant, est, j'espère, une excuse suffisante du
retard que j'ai mis à vous répondre. La conférence
trimestrielle de Liverpool a eu lieu hier ; ce fut une belle
journée : les frères Richards y ont assisté.
Le peu de temps qui me reste pour vous répondre, et les
affaires urgentes que j'ai à terminer avant d'assister au
Conseil des Elders qui doit avoir lieu à Londres le 26
courant, m'empêchent de vous donner tous les détails que
j'aurais pu vous transmettre au sujet du célèbre John
C. Bennett.
« En
ce qui me concerne, il est bien vrai qu'en entrant dans l'Église
j'ai sacrifié une perspective assez brillante dans les
affaires du monde et l'amitié d'une famille nombreuse et bien
placée. J'étais dans l'Église quand John C.
Bennett s'est présenté pour y être admis, et je
suis un des premiers qui ont fait sa connaissance. Il n'est pas venu
sans recommandations ; il avait été professeur
dans une école de médecine à Ohio, et occupait
un haut grade militaire dans l'État d'Illinois. Mais, comme on
l'a su plus tard, sa considération était arrivée
à son déclin. Ses habitudes déréglées
avaient ruiné sa réputation et jeté le trouble
au sein de sa famille ; sa femme n'avait pas voulu vivre plus
longtemps avec un libertin.
« II
chercha à regagner une position dans le nouvel État
d'Illinois, où, par la fraternité des Maçons, il
a tâché de conquérir un peu de popularité.
Il était sur le point de la perdre encore ; mais, étant
un homme énergique et d'une ambition démesurée,
ses yeux se tournèrent vers la brillante perspective des
saints des derniers jours. Peu après ceux-ci l'ont élu
maire de la ville de Nauvoo et major général de la
légion de Nauvoo. C'est alors qu'il m'appela dans son
état-major comme trésorier de la légion, avec le
grade de colonel de cavalerie, offices que j'ai exercés
jusqu'à la dissolution de la légion en 1846.
« Pendant
un certain temps, il s'est rendu très utile dans ses hautes
fonctions ; mais bientôt ses vices se sont montrés
de nouveau, et le beau sexe de Sion ressentit tristement l'effet de
son influence, dont il abusa pour séduire et prostituer les
jeunes filles sans expérience. Il fut retranché
solennellement de l'Église en 1842, pour ses séductions
et débauches. Dès lors, il devint l'ennemi acharné
de Joseph le prophète, et n'eut aucun scrupule dans ses
efforts pour le diffamer. Dans ce dessein, il a inventé toutes
sortes de mensonges contre lui, parmi lesquels figurent l’affaire
du gouverneur Boggs à laquelle vous faites allusion, ainsi que
la bande des Danites. Une telle bande n'exista jamais à
Nauvoo ; si elle eût existé, dans l'intimité
où je me trouvais avec J. Smith, je l'aurais su ; mais je
n'ai rien appris de pareil. Un misérable qui n'hésite
pas à ruiner la vertu et l'innocence de jeunes filles sans
défiance, est bien capable de flétrir un homme bon et
grand pour assouvir sa vengeance.
« John
C. Bennett est tombé depuis quelques années sous le
mépris public partout où il est allé aux
États-Unis, à cause de ce qu'il a fait en faveur des
saints et plus tard contre eux, et parce qu'il s'est montré un
homme sans vertu ni religion. Toute personne qui le connaîtra
se gardera bien de citer ses ouvrages contre les saints, de peur de
compromettre sa propre considération.
« J'ai
l'honneur d'être avec un profond respect, le vôtre,
« (Signé)
John S. Fullmer. »
Reproduisons
maintenant une déclaration de John C. Bennett lui-même ;
la date de cet acte est remarquable, car il a été dicté
par lui six jours après avoir été retranché
de l'Église pour abus de confiance dans l'exercice de la
médecine et tentatives de séduction et de prostitution.
Déclaration
faite devant M. Daniel H. Wells, alors alderman de la ville de
Nauvoo.
« État
d'Illinois. — Ville de Nauvoo.
« S'est
présenté en personne devant moi Daniel H. Wells,
alderman de la ville de Nauvoo, John C. Bennett, qui, ayant prêté
serment aux termes de la loi, déclare et dit :
« Il
ne m'a jamais été enseigné la moindre chose
contre les plus stricts principes de l'Évangile, ou de la
vertu, ou des lois divines et humaines, en aucune circonstance, ni
directement ni indirectement, en paroles ni en actions, par Joseph
Smith. Je n'ai jamais su que le dit Smith ait approuvé une
conduite immorale quelconque, soit en public, soit en particulier. Il
ne m'a jamais enseigné que les relations illicites avec les
femmes fussent excusables sous aucun prétexte, et je n'ai
jamais su qu'il l'ait enseigné à d'autres personnes.
« (Signé)
John G. Bennett.
« Déclaré
et signé devant moi, ce 17e
jour
de mai 1842.
« (Signé)
Daniel H. Wells, nalderman. »
M. Wells
était propriétaire à Nauvoo avant l'arrivée
des mormons ; c'est même lui qui a cédé le
terrain pour la construction du temple. À la date de cette
déclaration, il n'était pas mormon. Il connaissait très
bien les dirigeants de l'Église, les calomnies dirigées
contre eux et les persécutions dont ils étaient
l'objet. C'est cinq ans plus tard, dans le moment des persécutions
à main armée, qu'il a reçu le baptême,
vendu ses biens et suivi les saints qui se dirigeaient vers les
déserts, à la recherche d'une nouvelle patrie. M. Wells
est aujourd'hui général en chef de la légion de
Nauvoo, dans la vallée du Grand Lac Salé.
Cette
déclaration de John C. Bennett a été confirmée
par le dialogue suivant, tenu en séance du conseil
administratif de Nauvoo, et extrait des registres officiels :
« Nauvoo,
19 mai 1842.
« Le
docteur John C. Bennett, ex-maire, a été requis par
Joseph Smith, maire, de déclarer s'il connaissait quelque
chose contre lui. M. Bennett a répondu : Je n'ai aucun
différend avec les dirigeants de l'Église. J'affirme
publiquement que si quelqu'un rapporte que j'ai dit que J. Smith
m'avait autorisé à entretenir des relations illicites
avec les femmes, celui qui le rapporte est un menteur devant Dieu. Il
ne m'a jamais, ni en public, ni en particulier, donné une
telle autorisation. On a dit que je deviendrais un second Avard ;
cela est faux. Je n'ai aucune difficulté avec les sommités
de l'Église, et j'ai l'intention de rester au milieu de vous ;
j'espère que le temps viendra où je serai réintégré
dans votre confiance et dans la position que j'ai occupée dans
l'Église. Ma conduite alors sera propre à justifier ma
réhabilitation. Si l'occasion se présente de manifester
ma foi, on saura si je suis un traître ou un homme franc. —
J. Smith dit alors : Veuillez déclarer nettement si vous
connaissez quelque chose contre ma conduite publique ou privée.
— Le général Bennett a répondu : Je
ne sais rien. Dans toutes mes relations avec le général
Smith [14],
il a été strictement vertueux. »
(Suivent
les signatures de neuf aldermans, quatre conseillers, et celle de M.
James Sloan, secrétaire de la mairie).
Nous
n'ajouterons rien à ces documents. John C. Bennett, comme on
le voit, était suspendu de ses fonctions dans l'Église,
et avait l'espoir d'être réintégré. Mais
cet espoir a été déçu, et Bennett,
succombant sous le poids du mépris universel, n'a jamais
pardonné à Joseph et aux autres dirigeants de l'Église
d'avoir publiquement dévoilé ses turpitudes. Repoussé
de l'Église comme indigne, il était naturel qu'il allât
grossir les rangs des ennemis du mormonisme, des mormons désabusés,
comme disent les ministres. Voilà les hommes sur le témoignage
desquels ils écrivent notre histoire !
Dans les
maisons où il était appelé comme médecin,
John G. Bennett apprenait secrètement aux femmes et aux jeunes
filles l'existence de la fameuse révélation relative à
l’épouse spirituelle, révélation qui
existe dans les livres de nos ennemis, mais là seulement.
Telle est l'origine de cette doctrine que l'on nous attribue ;
elle n'en a pas d'autre. Retranché et destitué de ses
fonctions, perdu de réputation, Bennett s'enfuit immédiatement
de Nauvoo et passa dans le camp de nos ennemis. C'est alors qu'il
commença à écrire dans les journaux ses
calomnies contre les mormons, leur attribuant sans vergogne la
corruption qui l'avait fait repousser de leur sein.
Voulant
faire justice de ses déclamations, dont la cause était
bien connue, les citoyens de Nauvoo se réunirent en un grand
meeting, le 22 juillet 1842, afin de constater l'état de
l'opinion publique au sujet du président J. Smith, principal
objet des calomnies de Bennett. Le général Wilson-Law
se leva et proposa la résolution suivante :
« Ayant
appris que John C. Bennett a répandu beaucoup de mensonges
grossiers contre un certain nombre de citoyens de Nauvoo, et
particulièrement contre notre digne et respecté maire
Joseph Smith, nous manifestons au monde, par le présent, que
nous connaissons Joseph Smith pour un homme honnête, moral,
vertueux, plein de douceur et de patriotisme, appuyant fermement la
loi, la justice et les droits de chacun, et gardant inviolables la
constitution de cet État et celle des États-Unis. »
Cette
résolution, mise aux voix, fut adoptée par une grande
multitude de citoyens, au nombre de près de mille hommes. Deux
ou trois personnes seulement refusèrent de s'y associer :
parmi elles se trouvait un des dirigeants actuels de l'Église.
Celui-là, qui avait été absent, fut trompé
à son retour par des calomnies à travers lesquelles il
n'avait encore pu distinguer la vérité. Devant cette
multitude, en présence de laquelle il se mettait en opposition
avec le prophète, il s'écria, dit-on : « Mes
frères, vous voyez ce que je fais ; mais gardez-vous d'en
conclure rien de fâcheux pour notre Église ; car,
en ce moment plus que jamais, je témoigne et proclame
hautement qu'elle est bien réellement l'Église de
Dieu ! »
Ce
que l'on doit conclure de ces faits, c'est que l'Église exerce
une surveillance incessante et réciproque sur la conduite de
tous ses membres, et qu'elle ne souffre dans son sein aucune
impureté. Parmi nous, l'honneur et la loyauté sont
rigoureusement exigés dans tous les actes de la vie, et l'on
se tromperait étrangement si l'on croyait que les dirigeants
eux-mêmes, malgré la confiance qu'ils inspirent, sont
affranchis de cette surveillance [15].
Citons ici quelques lignes d'une épître adressée
par Orson Pratt, l'un des douze apôtres, aux saints de la
Grande-Bretagne :
« Si
quelque officier ou membre de votre dépendance a été
trouvé enseignant ou pratiquant des doctrines criminelles,
qu'il soit traité sévèrement et selon la loi de
Dieu. Si le président d'une conférence transgresse la
loi ou pratique quelque iniquité, que la chose nous soit
rapportée avec les preuves évidentes. Et si l'un des
Douze ou le président des saints en Grande-Bretagne
transgresse les lois de la vertu et professe ou pratique des
injustices, que les présidents des conférences
s'enquièrent de cela, en recueillent les témoignages,
et transmettent tous les documents au quartier général
de la Première Présidence. Ils doivent être
traités conformément à la loi du ciel. Le temps
est venu où les saints ont reçu trop de lumière
et trop de science pour être dupés par des hommes
remplis de convoitises. » (Millennial
Star,
vol. 12, page 249.)
Revenons à
J. Smith, et opposons à John C. Bennett d'autres témoignages
encore.
L'honorable
J.-S. Reed, avocat distingué, qui a constamment connu J. Smith
depuis sa jeunesse, s'exprime ainsi dans un discours prononcé
devant la Convention de l’Illinois en1844 :
« Je
suis convaincu que son caractère était irréprochable.
Il était bien connu pour sa franchise et sa droiture. Il
fréquentait les premières sociétés de la
contrée, et l'on en parlait comme d'un jeune homme
intelligent, d'une morale saine, d'un esprit susceptible des plus
hautes conceptions. »
Rappelant
un procès dans lequel il avait été son
défenseur, il ajoute :
« Oui,
messieurs, laissez-moi vous dire que la cour ne trouva pas une
flétrissure, pas une tache à reprocher à son
caractère. Il sortit de ce procès, malgré les
efforts tentés par ses persécuteurs pour le convaincre
d'attentat, avec son honneur pur de toute apparence de crime. »
(Times
and Seasons,
vol. 5, p. 549)
On serait
tenté de croire cet orateur attaché à notre
Église ; mais il n'en est rien. M. Reed est tout
simplement un honnête homme, en qui une profonde sympathie
s'est produite envers J. Smith au spectacle des persécutions
et des calomnies dirigées contre lui. C'est ainsi qu'il
dépeint, avec une parfaite connaissance, ce même homme
que MM. Guers et Favez accablent des plus honteuses qualifications.
En
racontant la mort de Joseph et de son frère Hyrum, ces deux
écrivains présentent leur assassinat comme un acte de
la justice divine. Suivant le premier, après avoir essuyé
une décharge, ils firent feu sur la garde intérieure ;
suivant l'autre, au contraire, ils tirèrent sur les
assaillants, sur la foule furieuse qui était dehors. Peu leur
importe cette contradiction. Ils ne trouvent pas, ces deux ministres
de la religion, un seul mot pour flétrir les auteurs d'un
aussi lâche attentat !
M. Pichot,
dont le lecteur connaît les dispositions envers les mormons, va
néanmoins raconter les faits d'une manière plus
impartiale. Il n'est pas ministre, lui.
Après
avoir dit que J. Smith et son frère se rendirent
volontairement prisonniers pour enlever tout prétexte aux
outrages de la populace fanatisée, il met dans la bouche de
Joseph ces paroles, qui révèlent à la fois de
tristes pressentiments et la sérénité d'une âme
pure : « Je vais comme un agneau à l’abattoir,
mais je suis calme comme un matin d'été. J’ai la
conscience libre de toute faute. Je mourrai innocent. »
Puis M. Pichot continue :
« Tandis
qu'il était en prison à Carthage, un autre acte
d'accusation fut lancé contre lui et contre Hyrum Smith pour
crime de haute trahison contre l'État d'Illinois, et cela à
la suite d'une enquête où le principal témoin
entendu était ce même Higbee que nous avons vu chassé
de l'Église des mormons pour mauvaises mœurs, et
condamné plus tard par la cour municipale de Nauvoo. La
populace ne respirait que vengeance contre les prisonniers :
vengeance, car c'est le mot consacré par les émeutiers
de tous les temps et de tous les pays, lors même qu'ils ont
tous les torts. Or la milice penchait ostensiblement du côté
de la populace, en sorte qu'on ne pouvait compter sur elle pour
protéger les deux Smith. En présence d'une pareille
situation, les citoyens de Nauvoo et les autres mormons requirent du
gouverneur de faire garder la prison par des forces suffisantes. Dans
la matinée du 26 juin 1844, le gouverneur visita les
prisonniers et donna de nouveau sa parole de les protéger
contre toute violence. Cependant on faisait courir dans la populace
le bruit qu'il n'y avait pas de preuves suffisantes pour condamner
les deux Smith sur l'un ou l'autre des deux chefs d'accusation, et
que le gouverneur désirait les voir échapper [16].
« En
conséquence, vers six heures du soir, le 27, le petit poste de
la prison fut envahi et désarmé par une troupe de près
de deux cents hommes qui s'étaient noirci le visage. Les deux
frères étaient en ce moment même en consultation
avec deux de leurs amis. Les brigands firent feu sur tous les quatre.
Hyrum, atteint le premier, tomba en s'écriant : « Je
suis mort ! » Joseph essaya de sauter par la
fenêtre ; mais, atteint également par les balles,
il s'écria à son tour : « Ô
Seigneur ! Mon Dieu ! » On tira de nouveau sur
eux, bien qu'ils fussent morts, et chacun d'eux reçut quatre
balles. John Taylor, un des mormons qui se trouvaient dans la
chambre, fut blessé grièvement ; mais il se
rétablit de sa blessure. C'était aux deux frères
qu'en voulaient surtout les assassins. » (pages 228, 229)
« Jamais
on ne découvrit les auteurs du lâche et honteux
assassinat des deux frères. Les misérables avaient
pris, comme on l'a dit déjà, la précaution de se
noircir le visage. Plusieurs personnes furent cependant arrêtées ;
mais on manqua de preuves suffisantes pour les condamner, ou
peut-être ferma-t-on à dessein les yeux. Cependant le
meurtre des deux Smith fut généralement déploré,
non seulement par les mormons, mais encore par les antagonistes
sérieux et sincères de la secte. » (page
241)
Le lecteur
a pu remarquer que MM. Guers et Favez omettent à dessein les
circonstances odieuses du crime commis sur les deux frères
Smith. Ils ne parlent ni des dispositions hostiles de la populace, ni
du défaut de protection envers les mormons, même
lorsqu'ils étaient prisonniers, ni de la lâche
précaution des bandits qui se noircirent le visage. Ces deux
prédicateurs, en un mot, retranchent avec soin tous les
détails propres à donner à l'attentat son
véritable caractère. On sait pourquoi.
Enfin,
après avoir reproduit, relativement à J. Smith,
l'opinion de ses partisans et celle de ses ennemis, M. Pichot exprime
la sienne propre en deux pages que nous ne pouvons reproduire, mais
dont nous extrayons quelques lignes qui contrasteront singulièrement
avec les appréciations de MM. Guers et Favez.
« Quelque
humbles que ses débuts aient été, on le voit
grandir avec le succès, et, tout en s'exaltant jusqu'à
croire lui-même à ses actions, conserver le sang-froid
nécessaire pour organiser ses adeptes, apprécier leur
capacité, leur distribuer les rôles, établir une
hiérarchie, poser enfin toutes les bases d'une société
théo-démocratique. Sa persévérance dans
la persécution est admirable, puisqu'elle se trouve justifiée
par la réalisation de ses vues. D'autres ont fondé des
sectes : Joseph Smith aura fondé un peuple. Il mérite
d'être jugé par le résultat.
« Nous
ne saurions donc être de l'avis du Christian
Reflector,
journal rédigé par les docteurs de quelque secte
rivale. Les facultés naturelles du prophète mormon
étaient très certainement fort au-dessus de la moyenne,
et il ne lui manquait qu'un peu de culture pour prendre rang parmi
les hommes les plus éminents par l'intelligence. »
(pages 239, 240)
Après
cette appréciation, qui, tout hostile qu'elle est, présente
encore un caractère de modération, de probité,
lisons quelques lignes d'une plume pieuse qui prend Dieu à
témoin de ses allégations [17].
« Tel
est le mormonisme, fidèle reflet du caractère de son
principal fondateur, Joseph Smith, cet incompréhensible
mélange d'ignorance, d'astuce et d'audace, qui fût resté
peut-être au-dessous de son rôle sans l'active et
efficace coopération de Sidney Rigdon, cet ancien prédicateur
des baptistes hétérodoxes. Celui-ci se sépara
plus tard du premier, qu'il qualifia, dans les feuilles publiques,
d'homme souverainement méprisable, de bête et de
faux-prophète. Au reste, ceux qui ont pu voir de près
le fondateur de la secte et sa famille ne lui rendent pas un
témoignage beaucoup plus flatteur. En décembre 1833,
par exemple, cinquante-deux personnes influentes de Palmyra
(New-York) signèrent cette déclaration collective :
‘ Nous soussignés, connaissant depuis nombre
d'années la famille Smith, n'hésitons point à
déclarer que nous la considérons comme étant
dépourvue de ce caractère moral qui donne droit à
la confiance d'autrui. Elle est particulièrement décriée
pour ses entreprises visionnaires, etc., et nous ne connaissons
personne dans tout ce voisinage qui accorde la moindre créance
à leurs prétendues révélations.’ »
(page 74)
On voit
quelle différence il y a entre le laïque et l'homme
d'Église.
Il
semble, d'ailleurs, que M. Guers ait voulu résumer dans ces
lignes toute la malveillance peu scrupuleuse qui règne dans sa
brochure, et nous avons beaucoup de choses à relever. D'abord
il est faux, que Sidney Rigdon se soit séparé de
Joseph ; et s'il l'a décrié dans les journaux, ce
que nous ignorons, ce ne peut être qu'après avoir échoué
dans sa tentative de lui succéder comme président. Deux
mois avant la mort du prophète, Sidney Rigdon se trouvait avec
lui en conférence publique, rendant hommage à la vérité
de l'œuvre de Dieu [18].
Après la mort de Joseph, il a rendu témoignage de sa
fidélité à Dieu et à son Église.
M. Guers est mis au défi de prouver le contraire, bien qu'il
l'affirme [19].
Quant à
la déclaration des cinquante-deux personnes influentes de
Palmyra, on sait ce qu'elle vaut. Rédigée sans doute
par des ministres méthodistes, colportée dans toutes
les familles non mormones de la ville, il n'est pas étonnant
qu'on y ait réuni jusqu'à cinquante-deux signatures, si
toutefois elles sont authentiques. Car ce que M. Guers ne dit pas,
c'est que l'on a recruté dans toutes les Églises,
naturellement ennemies des mormons. Ainsi, d'après le
professeur Turner (p. 152), qui a publié cet insignifiant
document, il y a parmi les signataires des membres de l’Église
épiscopale, des quakers, des presbytériens, des
baptistes et des méthodistes, gens très hostiles entre
eux, mais qui ont su se réunir contre l'ennemi commun, comme
jadis Hérode et Pilate oublièrent un instant leur haine
et s'associèrent dans l'œuvre qui devait conduire le
Christ au Calvaire.
Quelle est
la valeur de cette pièce ? Est-ce que les pauvres
pêcheurs de Galilée n'étaient pas, eux aussi, aux
yeux des prêtres d'alors, dépourvus de ce caractère
moral qui donne droit à la confiance d'autrui ? Il ne
nous reste rien à dire pour laver la mémoire du
prophète des souillures dont ses ennemis ont voulu le couvrir.
Car il est un point sur lequel, quoique vivement provoqué par
eux, le respect dû aux vertus de Joseph nous interdit toute
discussion. Après le vol, l'escroquerie, l'imposture,
l'assassinat, il manquait à la couronne du glorieux martyr un
dernier fleuron que nos ennemis n'eurent garde d'oublier :
l'impudicité. Oui, deux femmes, cédant aux
sollicitations de John C. Bennett, ont écrit leur nom ou une
croix au bas d'ignobles déclarations. Ces malheureuses, en
perdant tout respect d'elles-mêmes, ont donné la mesure
de ce que le fanatisme religieux peut faire sous la pression d'un
hypocrite. Déjà l'opinion publique, en Amérique,
a fait justice de ces femmes sans pudeur.
J. Smith
a-t-il jamais montré, dans sa carrière mortelle, la
moindre chose qui mène à conclure qu'il fût un
homme perdu à tout bon sentiment ? Mille fois, non !
Un homme qui a pu accomplir ce qu'il a accompli, au milieu de
circonstances qui mettaient à l'épreuve tous les
sentiments de la nature humaine, et qui, à sa mort, a laissé
le souvenir de toutes les vertus dans le cœur des amis qui
l'avaient suivi dans ses voies, celui-là a mérité
d'être qualifié de saint, de martyr de la vérité,
par tous ceux qui l'ont connu, ainsi que l'atteste M. Favez lui-même
(p. 34).
Nous
terminerons ce chapitre par une réflexion qui frappera le
lecteur. La vie publique de Joseph Smith n'a pas duré plus de
quatorze ans (de 1830 à 1844) ; encore faut-il en
retrancher tout le temps qu'il a passé en prison à
différentes époques. Or, en compulsant les ouvrages de
nos adversaires, on y trouvera un tel dénombrement de crimes,
que leur perpétration exigerait la carrière tout
entière d'un homme, depuis son jeune âge jusqu'à
la vieillesse la plus avancée. Que nos ennemis tirent
eux-mêmes la conséquence.
CHAPITRE
III
LE
LIVRE DE MORMON JUGÉ PAR LES SAVANTS
Les
chrétiens, qui ne connaissent l'existence de l'Amérique
que depuis Christophe Colomb, qui ignorent que la religion du Christ
y fut annoncée et inaugurée par lui-même après
sa résurrection, s'imaginent volontiers qu'il n'a accompli que
la moitié de son œuvre, et que lui aussi avait besoin de
la découverte du célèbre navigateur pour
apprendre que l'Ancien Monde n'était pas le monde entier où
ses disciples devaient répandre la loi du salut.
En vain le
Livre de Mormon nous apprend qu'une colonie de Jarédites,
partie de Babel à l'époque de la confusion des langues,
fut conduite par le Seigneur jusqu'aux rives de la Grande Mer, où
elle reçut l'ordre de construire des vaisseaux qui la
transportèrent sur le continent de l'Amérique du Nord ;
qu'elle y devint une nation puissante ; qu'elle y bâtit de
grandes cités ; que les arts, l'agriculture et le
commerce y fleurirent, et qu'enfin la méchanceté de ces
hommes leur attira les fléaux du ciel, puis une extermination
complète. En vain ce livre nous annonce qu'un second peuple,
sorti de Jérusalem sous le règne de Sédécias,
vint aussi sur ce continent, où il apporta avec lui les cinq
livres de Moïse et les prophètes jusqu'à Jérémie ;
qu'il se divisa en deux nations ennemies, les Néphites et les
Lamanites ; que ces derniers, frappés par la malédiction
divine, déclinèrent et tombèrent finalement dans
l'état sauvage ; que les Néphites, devenus
méchants, subirent les jugements de Dieu ; que des cités
entières furent ensevelies dans les entrailles de la terre ou
consumées par le feu du ciel. En vain il nous enseigne que le
Christ ressuscité apparut aux Néphites, leur montra ses
mains et ses pieds percés, abolit la loi de Moïse,
inaugura l'Évangile, en confia l'administration à douze
apôtres, puis monta au ciel après leur avoir donné
le pouvoir de baptiser en son nom ; que les Néphites,
poursuivis par les Lamanites, s'enfuirent au loin vers le nord, au Ve
siècle
de l'ère chrétienne, et que là, quatorze siècles
plus tard, Joseph Smith, sur l'indication d'un ange, découvrit
les plaques de métal enfouies à cette époque par
Moroni, fils de Mormon, et sur lesquelles est gravée, en
langage égyptien, l'histoire de ces nations.
En vain les
plus récentes explorations ont amené et amènent
de jour en jour des découvertes qui attestent la vérité
de tous ces faits et confirment les témoignages de
l'authenticité du Livre de Mormon : la science et la
révélation doivent avoir tort devant l'autorité
de nos adversaires. La révélation, pour eux, c'est la
Bible, et rien autre ; encore chacun d'eux l’explique-t-il
à sa manière. Quant à la science, ils n'ont pas
le temps de s'en occuper lorsqu'elle gêne leur système.
D'ailleurs, ils ont en faveur de leur accusation d'imposture le
témoignage du docteur Anthon, dont nous nous occuperons tout à
l’heure. Cela leur suffit.
Le lecteur,
toutefois, nous permettra d'entrer en discussion sur ce point
important. Examinons, avant tout, les preuves d'imposture produites
par nos ennemis.
C'est
d'abord la lettre du savant professeur Anthon, de New-York. Nous en
extrayons la partie sérieuse, laissant de côté
les facéties plus ou moins burlesques dont il a voulu égayer
le public. Il s'agit, dans les passages ci-après, du
fac-simile d'une des planches du Livre de Mormon, qui fut soumis au
professeur.
« Au
fait, le papier en question était un singulier assemblage de
caractères crochus de tous genres, disposés en
colonnes. Il avait évidemment été composé
par quelqu'un qui avait devant soi un livre contenant différents
alphabets : du grec, de l'hébreu, des caractères
en croix et des ornements. Des lettres romaines, renversées ou
écrites horizontalement, étaient disposées en
colonnes perpendiculaires. Le tout finissait par un cercle
grossièrement tracé, divisé en divers
compartiments et couvert de signes particuliers, copiés
évidemment du calendrier mexicain, donné par Humboldt,
mais copiés de manière à ne pas en trahir
l'origine. Je suis d'autant plus précis sur le contenu de ce
papier, que j'en ai parlé fréquemment avec mes amis
depuis que le mouvement mormoniste a commencé, et je me
rappelle très bien que le papier contenait tout autre chose
que des hiéroglyphes égyptiens. » (Favez,
page 15)
Avant
d'apprécier cette lettre du docteur Anthon, citons ici
quelques lignes du Livre de Mormon :
« Or
voici, nous avons écrit ces annales selon notre connaissance
dans les caractères qui sont appelés parmi nous
l'égyptien réformé, nous ayant été
transmis et ayant été altéré par nous,
selon notre langue. Mais le Seigneur connaît les choses que
nous avons écrites, et il sait qu'aucun autre peuple ne
connaît notre langue ; c'est pourquoi il a préparé
des moyens pour leur interprétation. » (page 474)
En
admettant pour un instant l'authenticité du Livre de Mormon,
il ne faut pas s'étonner si le docteur Anthon n'a pas pu lire
le fac-simile qui lui fut présenté ; car ces
annales sont écrites dans l'égyptien réformé,
langue aujourd'hui inconnue ; et d'ailleurs l'Urim et Thummim,
qui devait servir à l'interprétation des plaques, n'a
pas été présenté à M. Anthon. Dans
cette première hypothèse, qui est pour nous une
certitude positive, la Iettre du docteur est parfaitement d'accord
avec le texte d'Ésaïe, chapitre 29 (versets 11 et 12,
ndlr).
Raisonnons
maintenant dans l'hypothèse contraire. Que signifie la
déclaration de M. Anthon ? Qu'on la relise attentivement,
et l'on verra qu'elle peut se résumer ainsi : « Ce
ne sont pas des hiéroglyphes égyptiens, mais des signes
que je ne connais pas. » Ou en deux mots : « Les
savants ont encore quelque chose à apprendre. »
Qui
s'en étonnerait ? La Californie est une contrée où
l'on commence seulement à découvrir des monuments qui
remontent à la plus haute antiquité. C'est à tel
point que des collines, couvertes de forêts considérées
jusqu'ici comme des forêts vierges, lorsqu'on les examine avec
soin, lorsqu'on veut entrouvrir le sol où végètent
ces arbres séculaires, se trouvent être d'énormes
pyramides construites de main d'homme [20],
des monuments auprès desquels les fameuses pyramides d'Égypte
seraient des pygmées ! On exhume des marbres couverts
d'inscriptions qui certainement ont un sens ; mais ce sens, les
savants ne le découvrent pas.
En 1834,
quand M. Anthon écrivait la lettre tant reproduite par nos
adversaires, le Livre de Mormon était seul pour affirmer
l'ancienne splendeur de l'Amérique. Ceci explique pourquoi le
savant professeur, qui ne sait pas tout, l'accusa d'imposture.
C'était une manière commode de masquer l'insuffisance
de son érudition. Mais, dans les vingt années qui se
sont écoulées depuis la date de cette lettre, il s'est
fait des découvertes, et les recueils scientifiques
reproduisent des fac-simile de pierres et de plaques de cuivre d'une
authenticité incontestable, assez semblables aux plaques du
Livre de Mormon ; et en face de ces débris des temps
antiques, il n'est plus permis aujourd'hui à M. Anthon de
dire : « C'est un singulier assemblage de caractères
crochus de tous genres. » La science cherche une solution
plus satisfaisante, et les plaisanteries du savant de New-York sont
loin d'être le dernier mot sur une question aussi intéressante,
comme nous le prouverons bientôt.
M. Anthon
affirme que les caractères du Livre de Mormon ne sont pas des
hiéroglyphes égyptiens. Qu'est-ce que cela prouve ?
Nous n'avons jamais prétendu que les plaques portaient des
hiéroglyphes égyptiens, mais qu'elles étaient
écrites en égyptien réformé, et nous
croyons très volontiers que M. Anthon ne connaît pas
l'égyptien réformé.
Le démenti
du docteur ne s'adresse à personne ; il s'est mal posé
la question, afin d'avoir quelque chose à contredire, voilà
tout.
N'est-il
pas curieux de voir un homme de la force de M. Favez, blotti à
l'ombre du savant d'Amérique, élever la voix tout à
coup et s'écrier : « De l'égyptien
réformé ! C'est encore une invention de J.
Smith. Il n'y a pas dans le monde une langue, soit moderne, soit
ancienne, connue sous ce nom ! » Ce que le savant n'a
pas osé dire, M. Favez l'affirme hardiment. Moins on sait,
moins on doute. Ainsi, de par la vaste érudition de ce
missionnaire plymouthiste, la langue de l'antique Égypte n'a
pas subi de modification : elle est la seule qui soit morte sans
qu'il s'y soit jamais introduit le moindre changement. Mais laissons
un peu M. Favez, et écoutons des gens plus compétents.
Il existe à
Edimbourg une famille de savants éditeurs, MM. Chambers, dont
les publications sont accueillies partout où la langue
anglaise est connue avec la confiance due au discernement et à
la critique éclairée de ces libraires, dont la plume
s'unit fréquemment à celles de leurs collaborateurs,
toujours pris parmi les sommités scientifiques. Dans le
recueil publié sous ce titre : Chambers's
Papers for the People,
4e
partie,
p. 13, nous lisons ce qui suit, relativement à une découverte
récemment faite par MM. Stephens et Catherwood à
Palenque, dans leurs Explorations
dans l'Amérique centrale , Chiapas et Yucatan (2
volumes in-8°) :
« Dans
le même édifice il y avait, de chaque coté de la
porte principale, des tablettes en pierre de treize pieds de longueur
sur huit pieds de hauteur, couvertes d'hiéroglyphes. On a
observé, comme chose remarquable, que ces caractères
sont les mêmes que ceux trouvés à Copan, et aussi
dans plusieurs villes en ruine de l'Yucatan, ce qui prouve que les
habitants de ces contrées ont dû avoir une langue écrite
qui leur était commune, quoique les Indiens qui habitent
actuellement les territoires intermédiaires parlent plusieurs
langages distincts et tout à fait inintelligibles l'un à
l'autre. »
Or ces,
inscriptions, tout récemment exhumées, et qui gisaient
sous les décombres depuis des milliers d'années, les
savants d'Amérique, compris M. Anthon, n'y voient qu'un
« singulier assemblage de caractères crochus de
tous genres. » Elles indiquent bien une langue uniforme et
commune à plusieurs peuples ayant occupé une grande
étendue de pays ; mais cette langue est inconnue ;
elle ne peut être lue ; elle a été
confondue. Est-ce de l'égyptien réformé ?
Nous l'ignorons parfaitement. Mais quand M. Favez affirme qu'il n'y a
dans le monde aucune langue connue sous ce nom, nous osons affirmer,
nous, que toutes les langues qui ont existé ne sont pas
connues. Nous disons, en outre, que quand les rois de la science
archéologique et linguistique s'inclinent silencieux devant
ces monuments qui indiquent de vastes lacunes dans la sphère
des connaissances humaines, un homme tel que M. Favez pourrait bien
se reconnaître incompétent sur de telles questions.
En 1830,
quand parut le Livre de Mormon, ce fut un concert unanime de
sarcasmes et de rires. Les savants en général se
récrièrent contre cette hypothèse que les
Indiens de l'Amérique descendaient des enfants d'Israël,
et le livre fut même considéré comme peu propre à
faire des dupes, tant l'imposture était grossière !
Tel est le sort de toutes les vérités qui parviennent,
par-ci, par-là, à se faire jour à travers le
chaos incessant des élucubrations humaines. Accueillies
d'abord par l'incrédulité et le mépris, elles
finissent par ébranler les certitudes acquises ; quelques
esprits droits veulent voir le fond des choses, s'assurer si
l'invraisemblable ne serait pas par hasard la vérité ;
ils se mettent à l'œuvre. C'est ce qui arriva, non pas
en vue de vérifier les données du Livre de Mormon, mais
parce que la science avait besoin d'être fixée sur
l'histoire de ces intéressantes contrées.
Dès
l'année 1833, M. C. Colton publiait à Londres un
ouvrage dans lequel nous lisons, au sujet des Indiens :
« Ils
affirment qu'ils possédaient autrefois un Livre, et ils savent
par tradition que le Grand Esprit prédisait habituellement à
leurs pères les événements, et qu'il dirigeait
la nature en leur faveur ; qu'à une certaine époque
les anges leur parlaient ; que toutes les tribus indiennes
descendaient d'un seul homme qui avait eu douze fils ; que cet
homme était un prince célèbre, possesseur de
vastes contrées, et que les Indiens, qui sont sa postérité,
recouvreront un jour le même pouvoir et la même
influence. Ils croient, par tradition, que l'esprit de prophétie
et d'intervention miraculeuse, dont leurs ancêtres ont joui,
leur sera rendu, et qu'ils retrouveront le Livre perdu depuis si
longtemps. »
Il y a dans
ce passage, il nous semble, des analogies assez frappantes avec
l'apparition du Livre de Mormon et avec les faits qu'il rapporte.
Mais poursuivons.
Tout le
monde, jusqu'à ces derniers temps, considérait les
Indiens comme une race sauvage qui, en dehors du mouvement
civilisateur, avait traversé les siècles sans avoir
l'idée des arts et des sciences, et sans aucun moyen autre que
la tradition pour transmettre à la postérité son
histoire comme peuple. Quand le Livre de Mormon vint révéler
au monde que ces peuplades errantes étaient un reste
d'Israël ; que ces sauvages avaient été jadis
une nation civilisée, où avaient fleuri les sciences et
les arts ; qu'ils avaient connu le vrai Dieu, bâti de
grandes villes ; qu'ils avaient l'habitude de graver leurs
annales sur des tablettes d'or ou de cuivre pour les léguer à
la postérité, et que la langue dans laquelle ils
écrivaient s'appelait l'égyptien réformé,
les sages rirent de ces absurdités, s'étonnant qu'il y
eût des gens assez stupides pour y croire. Et tout à
coup M. Stephens surprend le monde en annonçant qu'il a
découvert les ruines de grandes et puissantes cités, de
temples magnifiques, de statues couvertes d'hiéroglyphes, et
cela à l'endroit même où le Livre de Mormon,
publié huit années auparavant, avait indiqué que
s'élevaient jadis de grandes et superbes villes. Écoutez
M. Stephens au moment où il vit les ruines de Copan :
« Nous
nous assîmes sur le bord du mûr, et j'essayai en vain de
sonder le mystère qui nous entourait. Quels étaient
ceux qui avaient bâti cette ville ? Dans les ruines de
l'Égypte, même dans Petra depuis si longtemps perdue,
l'étranger reconnaît l'histoire du peuple dont les
traces l'environnent.
« L'Amérique,
disent les historiens, était peuplée par des sauvages.
Mais jamais des sauvages n'ont élevé ces édifices ;
ce ne sont pas des sauvages qui ont sculpté ces pierres. Nous
demandâmes aux Indiens quels étaient les auteurs de ces
grandes choses ; leur unique réponse fut : Quien
sabe ? (Qui le sait ?) Rien ne se lie à l'histoire
de cet endroit ; on n'y retrouve aucun de ces souvenirs
émouvants qui ennoblissent Rome, Athènes et la grande
maîtresse du monde sur la plaine égyptienne. Mais
l'architecture, la sculpture, la peinture, tous les arts qui
embellissent la vie avaient jadis prospéré dans cette
immense forêt. Des orateurs, des guerriers, des hommes d'État
avaient apparu sur cette scène et n'y avaient pas laissé
de traces. Et personne encore ne sait que de telles choses ont
existé. Les livres sont muets, et la ville est un monceau de
ruines. »
Et pour
ceux qui ont crié à l'imposture en apprenant que le
Livre de Mormon avait été traduit sur des plaques
gravées, unies ensemble par des anneaux de métal, et
remontant évidemment à une époque reculée,
nous publions la déclaration suivante, adressée à
l'éditeur du Times
and Seasons :
« Nous
soussignés, citoyens de Kinderhook, certifions et déclarons
que le 23 août 1843, tandis que nous étions occupés
à creuser sur un monticule qui se trouve dans ce voisinage, M.
M. Wiley enleva du dit monticule six plaques de cuivre offrant le
profil d'une cloche, couvertes de lettres anciennes. Les plaques
étaient fortement oxydées ; les barres et les
anneaux se pulvérisaient sous la plus faible pression. Nous
avons transmis les plaques ci-dessus mentionnées à M.
Sharp, dans le but de les faire transporter à Nauvoo.
(Signé)
Robert Wiley
George
Deckenson
W.
Longneker
Fayette
Grubb
G.-W.-F.
Ward
J.-R. Sharp
Ira-S.
Curtis
W.-P.
Harris
W. Fugate
Le
Quincy-Whig,
après avoir fait mention de cette découverte, ajoute :
« Ces
plaques ont été exposées la semaine dernière
dans cette ville, et elles sont maintenant à Nauvoo, soumises
à l'examen du prophète mormon. Si Joseph Smith peut
déchiffrer les hiéroglyphes tracés sur ces
plaques, il fera plus qu'aucun homme pour éclairer l'histoire
de ce continent. »
Jusqu'ici
il nous semble que les découvertes, au lieu de renverser le
témoignage du Livre de Mormon et d'en démontrer
l'imposture, viennent au contraire le corroborer.
Comme
l'égyptien réformé a été un objet
de scandale pour nos adversaires, nous allons continuer des citations
qui non seulement démontrent que les hiéroglyphes
égyptiens furent connus dans l'Amérique ancienne, mais
que d'autres usages égyptiens y furent aussi en vigueur,
notamment celui d'embaumer les corps des défunts [21].
On lit dans l’Edinburgh
Evening Courant du
16 octobre 1848 :
« Les
journaux qui nous arrivent des États-Unis par la dernière
poste contiennent plusieurs choses curieuses et importantes qui
méritent notre attention particulière. Nous
mentionnerons surtout le récit détaillé et
remarquable de la découverte faite à Durango, capitale
de la province de ce nom dans le Mexique, de cavernes renfermant
plusieurs centaines de milliers de momies semblables à celles
de l'ancienne Égypte. Nous attendons impatiemment, ainsi que
le public, des développements sur cette découverte. »
Dans le
même numéro de ce journal, l'écrivain, après
avoir parlé de l'ouvrage de M. Stephens déjà
rappelé plus haut, dit :
« Nous
observerons simplement ici que quiconque examine les beaux dessins
renfermés dans le livre de Stephens sur l'Amérique
centrale, reconnaîtra qu'ils sont couverts d'hiéroglyphes
égyptiens et de lettres hamyratiques semblables à
celles qui ont été récemment découvertes
dans l'Arabie méridionale, et que les traits et les figures
sont ceux de l'Asie supérieure. »
Suivant MM.
Guers et Favez, il est incroyable que les anciens habitants de
l'Amérique aient eu connaissance des cinq livres de Moïse
et des Prophètes jusqu'au règne de Sédécias,
époque de la dernière émigration des Israélites,
qui les emportèrent avec eux. Nous allons prouver non
seulement la vérité du Livre de Mormon en cet endroit,
mais encore que les rites, coutumes, sacrifices et autres cérémonies
religieuses des Juifs y furent pratiqués, ainsi que la
hiérarchie ecclésiastique. M. C. Colton, à qui
nous avons déjà fait un emprunt, s'exprime ainsi en
parlant des sacrifices des Indiens :
« Dans
certaines occasions, non seulement il faut que la victime soit
blanche, mais un seul poil d'autre couleur ou la moindre tache la
ferait rejeter. Tandis qu'ils chantent ou dansent autour du
sacrifice, on peut clairement distinguer le saint nom de Jéhovah ;
ils ont aussi le A-la-Heem hébreu en forme substantielle,
appliqué au Grand-Esprit, et l'on entend souvent dans leurs
chants sacrés l’Halleluja aussi distinctement que dans
quelque chœur chrétien que ce soit. Ils ont également
un vaisseau ou Arche d'alliance dont ils se servent dans certaines
occasions, et que l'on ne contemple qu'avec un profond respect. »
Dans
un discours de M. Noah, écrit dans le but de prouver que les
Indiens de l'Amérique descendent des dix tribus perdues
d'Israël [22],
discours publié à New-York en 1837, l'auteur cite,
entre autres écrivains, M. Adair, qui, après avoir fait
mention d'un grand nombre de mots hébreux dont ils se servent,
continue ainsi :
« Les
Indiens ont leurs prophètes et leurs grands-prêtres, de
même que les Juifs en avaient autrefois ; ils sont élus
avec soin parmi les hommes les plus sages et les plus prudents, et
ils ordonnent leurs grands-prêtres au moyen de l'onction. Ils
ont dans leurs sanctuaires un endroit très saint, semblable au
Saint des Saints dans le temple. L'archimage ou grand-prêtre
porte, en imitation du pectoral ancien, une conque marine blanche,
ornée de manière à ressembler aux pierres
précieuses de l'Urim, et au lieu de la plaque d'or portée
par le Lévite sur le front, l'Indien porte une couronne de
plumes de cygne et une touffe de plumes blanches qu'il appelle
Yatira. Les Indiens ont leur arche qu'ils emmènent toujours
aux combats avec eux, et sur laquelle ils veillent avec soin. Une
chose digne de remarque, c'est qu'ils ne posent jamais l'arche à
terre. Quand le terrain est montueux, ils la mettent sur de grandes
pierres ; mais dans les plaines, ils la placent sur de courtes
bûches sur lesquelles ils s'asseyent. »
Cette
déclaration de M. Adair est confirmée par plusieurs
voyageurs, et notamment par le major Long, qui a fait récemment
l'exploration des montagnes Rocheuses.
« L'arche
est placée, dit-il, sur un piédestal, et on ne la
laisse jamais toucher terre. La tradition leur apprend que la
curiosité ayant poussé trois personnes à
examiner la mystérieuse coquille, elles furent à
l'instant frappées de cécité en punition de
cette profanation. »
Ceci prouve
la vérité du Livre de Mormon à l'égard de
la loi de Moïse. Maintenant laissons parler un ministre
chrétien.
Le
Révérend Samuel Parker, A. M. (Journey
beyond the Rocky-Mountains,
p. 43, 44) donne le récit du voyage qu'il a fait chez les
Indiens qui habitent au-delà des montagnes Rocheuses [23].
Il constate une foule d'analogies entre ces sauvages et les anciens
Juifs. Ils sont, dit-il, restés étrangers à
l'idolâtrie, ce qui les distingue de tous les autres païens.
Ils n'ont aucune idole ; ils croient à un seul Dieu, à
l'immortalité de l'âme, aux récompenses et aux
châtiments futurs. Il les considère comme parfaitement
disposés à recevoir la vérité chrétienne.
Ils suivent les mêmes usages que les Juifs pour la punition des
crimes, les mariages, les travaux domestiques, la manière de
traiter les esclaves, la polygamie, la division en tribus, etc.
Malgré ces analogies, l'auteur ne pense pas qu'ils soient
d'origine juive.
« Il
y a, dit-il, deux considérations qu'on ne doit pas passer sous
silence, et qui sont contraires à la supposition que les
Indiens sont d'origine juive. D'abord ils ne font point de
sacrifices. Ici ils diffèrent non seulement de la nation
juive, mais de tous les peuples de la terre qui ne sont pas sous
l'influence de la lumière de l'Évangile. S'ils
descendent des Juifs, il est étrange qu'ils n'aient pas
continué la pratique des sacrifices, surtout lorsqu'il y a un
penchant général parmi les hommes, et en particulier
chez les païens, à y avoir recours pour expier les
péchés. Les Indiens, à l'est des montagnes
Rocheuses, offrent-ils des sacrifices ? Je l'ignore ; pour
moi, je n'ai pas trouvé la moindre preuve d'un tel usage chez
ceux de l'ouest.
« L'autre
considération est le manque d'analogie dans leur langage. Il y
a plusieurs langues entièrement distinctes parmi les nations
indiennes, et il existe entre ces idiomes des différences plus
grandes qu'entre les diverses langues de l'Europe, car dans celles-ci
sont conservés des mots dérivés du latin et qui
leur sont communs. Or, si les Indiens étaient descendus des
Juifs et avaient eu conséquemment la même langue
(l'hébreu), on devrait aujourd'hui, malgré la diversité
de leurs dialectes, retrouver dans leur langage des mots indiquant
une origine commune. On y reconnaît bien quelques mots qui
viennent du latin, du grec, de l'hébreu, mais avec un sens
différent de celui qu'ils ont dans ces langues. Donc, sous le
rapport du langage, l'évidence d'une origine juive, ou même
simplement d'une autre origine commune, n'est pas seulement douteuse,
mais fort peu probable. »
Le
Révérend Parker refuse aux Indiens une origine juive
pour deux motifs : ils ne font point de sacrifices, et leur
langage n'offre pas assez d'analogie avec la langue hébraïque.
Disons d'abord, avec les savants éditeurs Chambers, que le
Révérend Parker a fait des observations assez exactes,
mais qu'il les a gâtées par des inductions où il
s'est montré complètement dépourvu
d'intelligence et de jugement [24].
Ne prenons donc de lui que les faits. Si M. Parker avait lu le Livre
de Mormon, il aurait été conduit à une
conclusion diamétralement contraire. La conformité des
usages, preuve si évidente, aurait été non pas
contredite, mais corroborée par l'absence des sacrifices, car
là où la parole du Christ a pénétré,
les sacrifices ont cessé. Parker n'a point exploré les
ruines des temps anciens et ignore si l'usage des sacrifices fut en
vigueur parmi ces nations ; mais, deux ans après lui,
Stephens et Catherwood, se livrant à la recherche des
antiquités que recèlent ces mêmes contrées,
ont trouvé des traces non équivoques de cet usage, et
le résultat de leurs découvertes a été
publié en 1839 et 1842, en deux gros volumes que l'on peut
consulter. Quant au langage, M. Parker y dit avoir reconnu des mots
hébreux, grecs et même latins ; cette observation
devait le conduire à une conclusion contraire, surtout
puisqu'il admet que toutes les autres circonstances sont propres à
faire croire que les Indiens descendent des Juifs.
Le Livre de
Mormon, comme on le sait, nous apprend que deux races différentes
habitèrent le continent américain : la première
était un peuple venu de la tour de Babel, et l'autre était
une partie de la postérité de Joseph qui était
sortie de Jérusalem aux jours de Sédécias, roi
de Juda. M. Noah, dans son discours sur l'origine des Indiens de
l'Amérique, après avoir prouvé que les Indiens
de nos jours sont des descendants d'Israël, déclare que
quelques-unes des anciennes ruines qu'on y a trouvées ont dû
être l'ouvrage d'un autre peuple plus ancien.
« Mais,
dit-il, quels étaient les Tultequans et les Aztèques,
fondateurs de cet empire en Amérique ? Qui est-ce qui a
bâti les pyramides de Cholula et la ville de Palenque ? Ce
n'étaient pas des Juifs. Ici nous sommes obligés de
quitter la voie que nous avons suivie dès l'origine (qui était
de prouver que les Indiens descendaient d'Israël). Autre
découverte très extraordinaire, marquée aussi
par des événements surprenants ! »
Le Livre de
Mormon (pages 461 à 466 ; Mormon 4-6, ndlr) parle d'une
race idolâtre et cruelle, qui sacrifiait des femmes et des
enfants aux idoles, de son entière destruction par la guerre,
et de sa disparition de la surface du globe. Voici un extrait du
New-York
Sun
du
8 janvier 1848, qui vient confirmer ce récit :
« Yucatan
est la tombe d'une grande nation qui a passé mystérieusement
et qui n'a pas laissé d'histoire. Chaque forêt contient
dans son sein les restes de vastes temples ornés de sculptures
et couverts des symboles d'une religion éteinte, de nobles
cités dont les rues et les palais somptueux attestent dans
leur triste abandon la grandeur colossale de leurs fondateurs. Ce
sont les tombeaux gigantesques d'une race illustre, mais ils ne
portent ni noms, ni épitaphes. L'Indien éprouve une
grande terreur en racontant la tradition confuse de tout un peuple
féroce et cannibale, qui se plaisait dans les sacrifices
humains, et qui fut exterminé dans le sang et le feu par ses
ancêtres. Cette terreur est le seul guide des conjectures que
l'on peut faire sur la manière dont les anciens habitants de
Yucatan furent effacés en masse du nombre des vivants. »
D'après
le Livre de Mormon, p. 460 (Mormon 3:5, ndlr), l'endroit où
était cette ville et où ce peuple fut exterminé
est désigné comme étant le défilé
étroit qui mène du côté du midi (ou qui
sépare l'Amérique du Nord de l'Amérique du Sud).
Maintenant, regardez la carte, et là vous trouverez Yucatan.
Nous
renvoyons à la Voix
d'avertissement
(ouvrage
de Parley P. Pratt publié en anglais en 1837 et en français
en 1853, ndlr) pour d'autres renseignements sur ce point.
En
terminant ces citations, nous ferons cette seule question à
nos adversaires : Est-ce la sagesse humaine qui dicta le Livre
de Mormon avant 1830 ? J. Smith pouvait-il deviner que des
découvertes positives viendraient ultérieurement le
confirmer ?
Voilà
quelques-uns de nos témoins en faveur de l'authenticité
du Livre de Mormon. Dans cette partie de notre exposé, comme
sur tous les autres points, nous avons pris nos citations en dehors
des ouvrages de l'Église, c'est-à-dire chez nos ennemis
ou les étrangers. Pour nous-mêmes, nous avons assez de
témoignages de l'authenticité du Livre de Mormon ;
ces preuves s'adressent uniquement à nos adversaires.
CHAPITRE
IV
LE
ROMAN DE SALOMON SPAULDING
Voyons
maintenant comment nos ennemis prouvent l'imposture du Livre de
Mormon. Laissons parler M. Guers:
« Un
pasteur américain, M. Salomon Spaulding, exerçait son
ministère à New-Salem, État d'Ohio. C'était
un homme d'une imagination vive, et passionné d'archéologie.
L'affaiblissement de sa santé l'ayant forcé de renoncer
à ses fonctions pastorales, il résolut de se livrer à
des travaux littéraires. » (p. 62)
Nous
devons ici à nos lecteurs une révélation, et à
MM. Guers et Favez une petite représaille. Pour nous libérer
envers chacun, nous dirons que la source impure où nos
adversaires ont puisé une partie des calomnies qu'ils
prodiguent à J. Smith et à ses frères, est un
roman du capitaine Marryat, intitulé : M.
Violette, ou voyage d'un jeune émigré français,
etc. [25]
Dans une
discussion qu'ils disent sérieuse, des ecclésiastiques
vont se renseigner là !... Nous ne dirons rien de plus ;
sinon que Bowes, autre prédicateur, n'a pas fait autrement.
Dieu leur pardonne à tous !
La
représaille, la voici. À ce portrait du ministre
Spaulding, tracé par le ministre Guers avec tous les égards
qu'on se doit entre confrères, nous opposons celui qu'on va
lire ; mais nous avons la franchise d'avouer que nous prenons
cette seule citation... au même roman que ces messieurs n'ont
pas craint de mettre souvent à contribution :
« Il
y a nombre d'années, vivait un homme du Connecticut, nommé
Salomon Spaulding, parent de l'inventeur des noix muscades en bois.
En le suivant dans sa carrière, le lecteur trouvera en lui un
Yankee pur sang. On le voit d'abord étudiant en droit, puis
prédicateur, marchand et banqueroutier. Plus tard, il devient
maréchal-ferrant dans un petit village, ensuite spéculateur
en terre et maître d'école du comté ; plus
tard encore il est maître de forges, fait banqueroute une autre
fois, et finit par être écrivain et songe-creux. Il
mourut de misère quelque part dans la Pennsylvanie. »
(Tome 3, page 124 de l'édition de Bruxelles)
Assurément
nous ne garantissons pas l'exactitude de ce précis
biographique ; nous croyons même que S. Spaulding fut un
homme honorable. Mais nous le demandons sérieusement à
nos adversaires : Est-il honnête, dans une discussion
religieuse, en face d'un public que l'on prend pour juge, d'invoquer
de pareilles autorités ?
Salomon
Spaulding, disent-ils, a écrit un roman religieux dont il a
confié le manuscrit à MM. Patterson et Lambdin,
imprimeurs à Pittsbourg. Ceux-ci l'ont communiqué à
Sidney Rigdon, lequel, avec ou sans l'aide de J. Smith, en a fait, en
ajoutant des réflexions religieuses au récit de
Spaulding, ce qui fut plus tard publié sous le titre de Livre
de Mormon.
À
l'appui de cette histoire, nos ennemis citent une déclaration
qu'ils attribuent à la veuve de Spaulding, devenue Madame
Davidson ; « déclaration, dit M. Guers,
confirmée par deux pasteurs américains. »
On lit dans
cette déclaration que :
« Dans
une réunion de la nouvelle secte, à laquelle assistait
M. John Spaulding, son beau-frère, homme pieux, on avait lu de
larges portions d'un livre que celui-ci reconnut à l'instant
même, ainsi que ses amis présents, pour être, dans
ses parties historiques, l'ouvrage de M. Salomon Spaulding.
Douloureusement surpris, comme on peut le croire, à l'ouïe
de telles choses, et fondant en larmes, M. John Spaulding exprima
tout haut son indignation de voir le manuscrit de son frère
employé dans un but si méprisable et si révoltant.
(Ici M. Guers ajoute de son crû, mais sans en donner aucune
preuve, tout ce qui suit). « On compara sur l'heure le
Livre de Mormon avec le manuscrit de M. Spaulding, et l'on constata
pleinement la fraude. Ce livre, en effet, d'un bout à l'autre,
n'était ni plus ni moins que le roman religieux de M.
Spaulding, dans lequel une main hardie avait intercalé, etc. »
(page 63)
M. Favez
n'ose pas aujourd'hui en dire autant, mais il paraît qu'il
possède la première édition de la fameuse
lettre, car il dit que les fragments du roman converti en Livre de
Mormon furent lus dans une réunion par une femme prédicateur !
En effet, les deux ministres américains, qui n'ont pas
confirmé, mais fabriqué la prétendue lettre de
Madame Davidson, avaient imprimé d'abord cette monstruosité ;
mais quand leurs amis virent l'effet produit par cet ignoble conte,
ils firent disparaître, dans une seconde édition, la
femme prédicateur. On peut juger de l'authenticité de
la lettre, publiée au long par M. Favez, et où personne
d'ailleurs ne reconnaîtra le style d'une femme.
M. Favez,
qui sait aussi bien que nous quels sont les auteurs de la fausse
lettre, a eu le soin d'en retrancher un passage en forme de
préambule ; il a compris que ce passage, que nous allons
reproduire, décelait la main de ses hardis confrères.
Que le lecteur juge si les lignes suivantes ont été
écrites par une femme de 70 ans et infirme :
« Pour
tout esprit non perverti par les illusions les plus grossières,
il est évident que les prétentions de cet ouvrage (le
Livre de Mormon) à être considéré comme
d'origine divine sont totalement dénuées de fondement ;
et il est de toute impossibilité qu'aucune personne
raisonnable puisse le classer au-dessus de toute production de
l'esprit humain. Cependant il est ainsi considéré par
des habitants de cette Nouvelle-Angleterre si éclairée,
et même par un certain nombre de personnes reconnues pour être
des chrétiens.
« Ayant
appris récemment que le mormonisme avait pénétré
dans une congrégation du Massachussets, et que plusieurs
membres de cette congrégation en avaient accepté les
doctrines et jusqu'à ses plus grossières duperies, au
point que l'excommunication était devenue nécessaire,
je me suis déterminée à arracher immédiatement
le masque à ce monstre de péché, et à
mettre à découvert cet abîme d'abomination. »
Que
pensez-vous de cette femme septuagénaire, qui déclare
que l'excommunication était devenue nécessaire ?
Voyez-vous la main des ministres !
Nous
répondrons donc tout d'abord : cette lettre est fausse.
Jamais Madame Davidson n'a écrit ni signé rien de
semblable.
Il ne faut
pas croire, d'ailleurs, que l'on ose encore, en Amérique,
parler de cette prétendue lettre de Mme
Davidson ;
l'imposture a été trop bien démontrée il
y a vingt ans, et M. Clarke lui-même, un de nos ennemis,
affirme (page 17), que c'est M. Storrs qui l'a envoyée au
journal de Boston pour la publier, furieux qu'il était d'avoir
vu passer au mormonisme le diacre et plusieurs membres influents de
sa congrégation.
Cette
lettre, en tous cas, sauf les faits qu'elle raconte, n'exprimerait
jamais que l'opinion d'une dame âgée sur nos doctrines,
dont elle ne connaissait pas un mot ; ce n'est donc pas son
appréciation, et encore moins celle des vrais auteurs, que
nous voulons combattre. Mais comme les faits sont faussement exposés,
nous voulons démasquer le mensonge.
Le
professeur J.-B. Turner, Illinois Collège, Jacksonville, l'un
des écrivains les plus hostiles au mormonisme, et parfaitement
placé d'ailleurs pour obtenir tous les éclaircissements
relatifs aux faits dont il s'agit, a publié un livre intitulé
Mormonism
in all ages.
Dans cet ouvrage, p. 207, il rapporte ainsi le témoignage de
John Spaulding, frère de Salomon, l'auteur du roman :
« Après
avoir prêché pendant trois ou quatre années,
Salomon abandonna le ministère et se livra aux affaires de
commerce avec son frère Joseph, à Cherry-Valley
(New-York), où il fit faillite ; et en 1809 il alla
résider à Conneaut (Ohio). Je suis allé le
visiter environ quatre ans plus tard, et je l'ai trouvé criblé
de dettes. Il me dit qu'il venait d'écrire un livre qu'il
avait l'intention de faire imprimer, et qu'avec les bénéfices
il espérait pouvoir payer ses dettes. Ce livre portait le
titre de Manuscript
found
(le
Manuscrit trouvé) ; il m'en lut de nombreux passages
(many
passages). »
Or les deux
ministres, qui ignoraient que John habitait assez loin de Salomon
pour rester quatre ans sans le visiter, attribuent à la plume
de Mme
Davidson
cette phrase :
« M.
Spaulding avait un frère, M. John Spaulding, qui alors
résidait dans le même lieu. Cet ouvrage lui était
parfaitement connu ; il en avait maintes fois entendu la lecture
en entier.
Suivant
John Spaulding, au contraire, c'est seulement en allant visiter son
frère à Conneaut, où lui-même ne résidait
pas, qu'il apprit que celui-ci avait écrit un ouvrage, et
qu'il lui en fut lu un certain nombre de passages.
Voici une
lettre qui a paru dans le Quincy
Whig
peu
de temps après que le ministre D. Austin, le docteur Ely, de
Monson (Massachussets), et le ministre Storrs, de Holliston, avaient
eu l'impudence de publier le factum mensonger dont on vient de lire
un extrait. Cette lettre est adressée par M. John Haven,
d'Holliston (Massachussets), à sa fille Elisabeth Haven, de
Quincy (Illinois).
« Votre
frère Jessé a passé par Monson, où il a
vu Mme
Davidson
et sa fille, Mme
Kinestry,
et aussi le docteur Ely, et il a passé plusieurs heures avec
eux. Pendant ce temps, il leur a fait les questions suivantes,
savoir :
« Question.
Avez-vous, madame Davidson, écrit une lettre à John
Storrs, lui donnant un récit de l'origine du Livre de Mormon ?
— Réponse. Je ne l'ai pas fait.
« Q.
Avez-vous signé votre nom au bas de cette lettre ? —
R. Je ne l'ai pas fait, et je n'ai pas vu non plus cette lettre avant
qu'elle parût dans le Recorder
de
Boston. Jamais cette lettre ne me fut présentée pour la
signer.
« Q.
En quoi avez-vous contribué à l'envoi de cette lettre à
M. Storrs ? — R. M. Austin vint dans ma maison et me fit
quelques questions ; il prit des notes sur du papier et s'en est
servi pour la lettre.
« Q.
Ce qu'il a écrit dans celte lettre est-il vrai ? —
R. Globalement, c’était vrai.
« Q.
Avez-vous lu le Livre de Mormon ? — R. J'en ai lu une
partie.
« Q.
Est-ce que le manuscrit de M. Spaulding et le Livre de Mormon se
ressemblent ? — R. Je crois que quelques-uns des noms sont
semblables.
« Q.
Le manuscrit parle-t-il d'un peuple idolâtre, ou d'un peuple
religieux ? — R. D'un peuple idolâtre.
« Q.
Où est le manuscrit ? — R. Le docteur P. Hulbert
vint ici et le prit, disant qu'il voulait le faire imprimer et me
donner la moitié du profit.
« Q.
Le docteur Hulbert a-t-il fait imprimer le manuscrit ? —
R. J'ai reçu de lui une lettre dans laquelle il me disait
qu'il ne l'avait pas trouvé tel qu'il s'y attendait, et qu'il
ne le ferait pas imprimer.
« Q.
Quelle est l'étendue du manuscrit de M. Spaulding ? R.
Environ un tiers de celle du Livre de Mormon.
Questions
adressées à Madame M'Kinestry
« Q.
Quel âge aviez-vous quand votre père écrivit ce
manuscrit ? — R. Environ cinq ans.
« Q.
Avez-vous déjà lu ce manuscrit ? — R. À
l’âge d’environ douze ans, j'y ai lu pour mon
amusement.
« Q.
Le manuscrit donnait-il l'histoire d'un peuple religieux, ou d'un
peuple idolâtre ? — R. D'un peuple idolâtre.
« Q.
Le manuscrit et le Livre de Mormon s'accordent-ils ? —R.
Je pense que quelques noms s'accordent.
« Q.
Êtes-vous certaine que quelques noms s'accordent ? —
R. Je ne le suis pas.
« Q.
Avez-vous déjà lu dans le Livre de Mormon ? —
R. Non.
« Q.
Était-ce par votre ordre que votre nom était sur la
lettre envoyée à M. Storrs ? — R. Je ne
désirais pas qu'il s'y trouvât.
« Vous
voyez, par les questions et les réponses précédentes,
que M. Austin, dans son grand zèle pour détruire les
saints des derniers jours, a interrogé madame Davidson et a
ensuite écrit à M. Storrs dans son propre style. Je ne
dis pas que les questions et les réponses furent littéralement
données dans la forme que je reproduis, mais j'en donne
exactement la substance. Madame Davidson est âgée
d'environ soixante-dix-ans, et passablement cassée. »
Nous lisons
dans le feuilleton de la Presse,
12 août 1853, sous le titre Les
mormons,
ce qui suit :
« On
suppose qu'à Pittsbourg ce manuscrit a été
laissé à un imprimeur nommé Lambdin, et que
celui-ci l'a dû confier aux soins d'un nommé Sidney
Rigdon, lequel fît rencontre du prophète dans ces
entrefaites, et que ce fut alors qu'ils se concertèrent pour
métamorphoser ce roman en Bible d'or. Cette version est
contredite par des événements postérieurs.
« Lorsque
le Livre de Mormon parut, et que ceux qui connaissaient le Manuscript
found
le
retrouvèrent dans cette œuvre divine, on voulut savoir
ce qu'était devenu le roman manuscrit de Salomon Spaulding. Il
avait disparu sans que ses possesseurs pussent s'expliquer cette
disparition, tant elle avait été effectuée
mystérieusement ; si bien que le manuscrit found
(trouvé)
n'a cessé d'être depuis lors le manuscrit Iost
(perdu).
La malle qui le contenait fut visitée avec le plus grand
soin ; mais parmi son contenu on ne retrouva que la main de
papier manuscrite formant l'Exode
romain que
l'auteur avait adopté dans le plan primitif de son ouvrage.
Comment et quand ce manuscrit a-t-il été soustrait ?
Cette question n'a pu être résolue jusqu'à ce
jour, et ne le sera peut-être jamais. »
Eh bien, ce
manuscrit qui avait disparu, qu'on ne retrouva jamais, M. Guers
affirme néanmoins qu'on le compara sur l'heure avec le Livre
de Mormon, et que l'on constata pleinement la fraude ! M. Favez
l'avait déjà dit en 1851 dans sa lettre
sur les mormons ;
il n'ose plus le répéter en 1854 ; mais sa lettre
n'en est pas moins une autorité pour M. Guers.
Nous avons
lu un grand nombre d'ouvrages publiés contre le mormonisme,
tant en Angleterre qu'en Amérique ; mais nous certifions
que personne avant eux, parmi ces auteurs, n'a poussé l'audace
au point d'avancer un fait aussi évidemment faux, mais en même
temps aussi facile à démentir. Ils ajoutent, avons-nous
dit, de leur propre crû cette infidélité à
celles de MM. Austin et Ely. À cet endroit surtout, M. Guers
secoue tout scrupule ; témoin ce passage, démenti
par la déclaration déjà citée de John
Spaulding :
« À
mesure qu'il composait son ouvrage, M. Salomon Spaulding (qui
habitait alors à Conneaut, Ohio) le communiquait à son
frère John Spaulding (qui habitait le comté de
Crawford, Pennsylvanie). » (page 62)
On voit
jusqu'où mène le zèle religieux !...
Les
personnes qui résident en Amérique, qui ont pu vérifier
les faits, se gardent bien d'affirmations aussi hardies. Le
professeur Turner, bien mieux placé que MM. Guers et Favez
pour saisir la vérité, s'exprime ainsi (p. 212) :
« M.
Spaulding quitta Pittsbourg en 1814 et partit pour Amity, (comté
de Washington), où il mourut en 1816. S'il a emporté
son manuscrit avec lui, ou s’il l’a laissé dans
l’imprimerie de Lambdin, sa veuve, actuellement Madame
Davidson, n’en est pas positivement certaine. Les mormons ont
affirmé qu'elle avait raconté sur ce sujet des
histoires contradictoires, ce qui, vu son âge et l'infirmité
de sa mémoire, est assez probable. »
Notons en
passant que le grand âge et l'infirmité de Madame
Davidson, attestés par ce témoin et par beaucoup
d'autres, sont soigneusement passés sous silence par les deux
ministres qui lui attribuent leur lettre mensongère, et que
nos adversaires en Europe sont tout aussi discrets à cet égard
que leurs confrères d'Amérique.
Le
docteur Hulbert, le plus fougueux de nos ennemis en Amérique,
l'instigateur de toutes les attaques dirigées contre
nous [26],
a aussi publié un ouvrage intitulé Mormonism
unveiled
(le
mormonisme dévoilé), où il dit, en parlant du
fameux manuscrit qu'il avait reçu de la veuve de Salomon
Spaulding :
« Ceci
est un roman que l'auteur donne comme traduit du latin et ayant été
trouvé, en vingt-quatre rouleaux de parchemin, dans une cave,
mais écrit dans un style moderne. Il raconte l'histoire
fabuleuse d'un vaisseau faisant voile de Rome pour la
Grande-Bretagne, et qui fut jeté sur les côtes de
l'Amérique quelque temps avant l'ère chrétienne,
ce pays étant alors habité par des Indiens. »
Voilà,
avons-nous dit, le plus ardent de nos ennemis. Il a eu le manuscrit
en sa possession, il l'a lu, il le connaît parfaitement.
Espérant y trouver des analogies frappantes avec le Livre de
Mormon, il avait promis à la veuve Spaulding de l'imprimer
pour donner l'évidence du plagiat de J. Smith ; mais il
s'est trouvé que ce roman ne ressemblait en rien au Livre de
Mormon, et il n'a plus voulu l'imprimer. N'est-il pas certain que
s'il eût présenté la possibilité de faire
croire à un tel plagiat, nos ennemis, qui ont fait preuve d'un
si grand zèle contre le développement de l'Église,
n'auraient pas manqué de le publier ? Les uns ont menti
en affirmant que les deux livres ont été comparés
et qu'on a reconnu la fraude ; d'autres ont menti en disant que
le manuscrit avait disparu mystérieusement. La seule version
vraie sur ce point est celle du docteur Hulbert, qui vous dit :
Moi je l'ai lu en 1834 ; il ne ressemble en rien au Livre de
Mormon.
Ceci,
d'ailleurs, s’accorde avec cette partie de la lettre attribuée
à Madame Davidson, publiée dans la brochure de M.
Pavez, p. 19 :
« Le
manuscrit alors m'échut et fut soigneusement gardé. Il
a été fréquemment examiné par ma fille,
madame M' Kinestry, de Monson (Massachussets), avec qui je demeure
maintenant, et par d'autres amis. »
L'unique
vérité, dans tout ce fatras de mensonges
contradictoires que l'on a publiés au sujet du roman de
Spaulding et du Livre de Mormon, c'est que lorsque ce dernier parut,
la malveillance de nos ennemis voulut faire croire à une copie
subrepticement obtenue du roman, qui aurait été donné
ensuite par Joseph comme un livre sacré ; mais que,
lorsqu'on voulut vérifier, le manuscrit de Spaulding fut remis
au docteur Hulbert, qui, après avoir comparé les deux
ouvrages, les trouva absolument sans aucun rapport, ni dans les
faits, ni dans le style.
Ceci est
d'autant plus vrai, que les deux « ministres américains »
n'ont pas osé dire un seul mot dans le sens de l'allégation
de M. Guers. Voici le passage de la lettre publiée sous le nom
de Mme
Davidson
(Favez, p. 19) :
« L'excitation
dans New-Salem devint si grande, que les habitants eurent une
assemblée et députèrent ici le docteur Philastus
Hulbert, l'un d'entre eux, chargé de me demander le manuscrit
original de M. Spaulding, désirant le comparer avec la Bible
des mormons, pour satisfaire leur propre esprit et empêcher
leurs amis de tomber dans un piège aussi grossier. »
La lettre
n'ajoute ni que le manuscrit fut remis au député, ni
qu'il était égaré ; il n'y a à cet
égard que le témoignage du docteur Hulbert rapporté
plus haut, et qui donne un éclatant démenti à
toute cette histoire du roman de Spaulding converti en Livre de
Mormon.
Ce que nous
venons de dire touchant la différence qui existe entre le
roman de Spaulding et le Livre de Mormon est confirmé par le
témoignage d'un auteur qui nous est amèrement hostile,
mais que ce sentiment n'emporte pas au-delà des limites qu'un
honnête homme ne doit pas franchir. Citons donc encore le
professeur Turner (p. 213) :
« Madame
Davidson n'étant pas certaine que le Manuscrit
trouvé
était
dans sa malle, on jugea convenable d'y chercher. Au lieu d'un certain
nombre de manuscrits, on n'en trouva qu'un seul, qui était un
petit roman inachevé, fixant l'origine des Indiens à
Rome, d'où ils avaient été amenés sur les
côtes de l'Amérique par un vaisseau qui faisait voile
pour la Grande-Bretagne, avant l'ère chrétienne. »
Or, le
Livre de Mormon se compose de 519 pages d'impression très
compacte ; il était imprimé et répandu à
l'époque de la déclaration que les ministres américains
ont publiée sous le nom de Mme
Davidson.
Comment pourrait-on prétendre qu'un livre aussi étendu
« n'était, d'un bout à l'autre, ni plus ni
moins que le roman religieux de S. Spaulding » qui n'était
qu'un petit roman inachevé ? Comment un homme raisonnable
pourrait-il confondre ce petit roman, cette main
de papier manuscrite
dont
parle un témoin, avec le Livre de Mormon, lequel, en supposant
deux pages de manuscrit pour une page d'impression compacte, a dû
former une collection de 1000 à 1200 pages ?
D'ailleurs,
est-il croyable qu'un roman, roman religieux si l'on veut, ait été
écrit dans le style qui caractérise le Livre de
Mormon ? Quel roman ressemble à celui-là ?
Citons ici
une appréciation lumineuse publiée dans le
« New-Yorker »
sous le pseudonyme de Joséphine. Cet article, évidemment
écrit par une personne étrangère à notre
Église, a été envoyé au président
J. Smith par M. A. G. Gano ; Esqr.
de Cincinnati (Ohio), et reproduit dans le Times
and Seasons :
« Le
style (du Livre de Mormon) est une imitation fidèle des
Écritures, et il est remarquablement privé de toute
allusion qui trahisse la connaissance de l'état politique ou
social de la société actuelle. L'écrivain vit de
toute la force de son imagination dans l'âge qu'il décrit.
Il est difficile d'imaginer une élaboration littéraire
plus ardue que d'écrire ce qui peut être appelé
la continuation de l'Écriture sainte, et de le faire de
manière non seulement à éviter toute discordance
avec les mots sacrés et authentiques, mais encore à
combler maintes lacunes qui semblent y exister, et à confirmer
ainsi ces livres l'un par l'autre.
« Établir
la théorie vraisemblable et appuyée que les aborigènes
de notre continent (l'Amérique) sont des descendants d'Israël,
sans se compromettre par aucune assertion ou dissertation qui la
contredise, dénote un degré de talent et de science
qui, chez un jeune homme sans éducation, est presque un
miracle.
« Une
copie des caractères de plusieurs pages du Livre d'or fut
communiquée à une personne de notre ville, laquelle
naturellement fut incapable de les déchiffrer, quoiqu'ils
présentassent une grande ressemblance avec les anciens
caractères égyptiens.
« Si,
en les comparant, ils résulte que ces caractères sont
semblables à ceux découverts dans les ruines de
l'Amérique centrale, qui ont naguère si vivement frappé
l'attention, et qui décidément ressortent de
l'architecture égyptienne, cela plaidera en faveur de Smith.
Cela tendra à prouver que les plaques sont authentiques, si
même cela n'établit pas la vérité de son
inspiration et la fidélité de sa traduction. »
Après
toute discussion sur le prétendu roman de Spaulding et le
Livre de Mormon, il reste vrai jusqu'à l'évidence qu'il
n'existe pas plus de rapport entre ces deux ouvrages qu'il n'y en a
entre la Bible et les Aventures de Télémaque. La fausse
déclaration des deux ministres américains est démentie
par une foule d'auteurs respectables, au témoignage desquels
nous allons ajouter celui de M. Pichot, notre ennemi bien connu (p.
69) :
« Ce
document isolé, terminé par une malédiction,
n'est pas absolument concluant. Mathilde Davidson peut fort bien
n'avoir été elle-même qu'un instrument de
vengeance dans les mains du docteur Philastus Hulbert [27],
le délégué des habitants de Salem. Le docteur
Philastus, dont nos lecteurs ne seront pas fâchés de
connaître les antécédents, avait cru lui-même
au prophète Joseph Smith, et avait été l'un des
membres de la nouvelle Église. D'après son dire, il se
retira parce que ses yeux s'ouvrirent à l'imposture et à
la fraude dont il avait été l'innocente victime.
D'après la version des mormons, au contraire, il fut expulsé
de leurs rangs pour adultère et pour d'autres actes
d'immoralité. »
Après
quelques détails sur ce malheureux, M. Pichot ajoute :
« Si
nous nous sommes arrêté un instant à ces misères,
c'est qu'il y a, au fond des persécutions que l'on va bientôt
voir essuyer aux mormons, de fourbes et lâches rivalités
de sectaires trop souvent couvertes du manteau de la morale et de
l’intérêt public.
« Auprès
de certains prédicants de dénominations diverses et
multiples, le Tartufe de Molière n'est qu'un écolier,
et Joseph Smith lui-même un maladroit, au moins dans ses
débuts. » (p. 72)
Ce dernier
membre de phrase ne laisse aucun doute sur les dispositions de M.
Pichot envers J. Smith ; son ouvrage entier, d'ailleurs, imprimé
dans la Bibliothèque des chemins de fer, porte un cachet
d'hostilité non équivoque. Le lecteur peut donc
admettre avec confiance les éclairs d'impartialité et
de franchise qui jaillissent parfois de la plume de cet écrivain.
Nous ajouterons : On dirait que M. Pichot a eu sous les yeux les
brochures de MM. Guers et Favez.
M. Favez
nous dit (p. 9) :
« Le
livre de Mormon n'est pas homogène. En divers endroits du
volume anglais sorti des mains de Smith, on découvre des
additions dont plusieurs sont marquées par des fautes de
grammaire et font avec le reste un contraste évident d'où,
par conséquent, naît la pensée que ce livre doit
avoir deux auteurs : l'un qui écrivait bien l'anglais,
l'autre qui l'écrivait mal. »
À
ces observations faites, ou plutôt copiées par M. Guers,
et adoptées par M. Favez, nous allons opposer d'autres
appréciations de personnes plus compétentes, quoique
aussi hostiles envers nous. Le lecteur jugera si l'avis de MM. Guers
et Favez peut être comparé à ceux que nous
reproduisons.
Écoutons
d'abord le professeur Alexandre Campbell, president
of Bethany Collège, U. S.,
dans son ouvrage intitulé « Mormonism
weighed in the balances and found wanting
(le
mormonisme pesé dans la balance et trouvé léger),
page 18 :
« Ce
livre (le Livre de Mormon) professe être écrit à
divers intervalles et par différentes personnes pendant la
longue période de 1020 ans ; et cependant, pour
l'uniformité du style, il n'y eut jamais un livre plus
évidemment écrit par la même main, ni plus
certainement conçu par le même cerveau, depuis le
premier livre qui a paru dans le langage humain, que ce même
livre. Autant je pourrais jurer que je reconnais sur la scène
un acteur qui prend successivement divers costumes et joue des rôles
différents, autant je peux jurer qu'un seul homme a écrit
ce livre [28].
Et comme Joseph Smith est un homme très ignorant, et qu'il en
est désigné comme l'auteur, je ne peux pas douter un
seul instant qu'il n'en soit le seul auteur et propriétaire. »
Voilà
déjà un démenti donné à MM. Guers
et Favez ; en voici d'autres. La Revue
d'Edimbourg
(N°
CCII, p. 321, avril 1854), écrite par des gens qui connaissent
sans doute l'anglais mieux que ces deux messieurs, s'exprime ainsi :
« Ces
fautes sont si uniformément répandues à travers
l'ouvrage, qu'elles doivent être attribuées à son
auteur, et non, comme elles l'ont été quelquefois, à
un interpolateur postérieur. On a eu recours à cette
hypothèse, parce qu'on ne pouvait pas comprendre qu'un homme
chargé d'enseigner la religion ait pu commettre de telles
fautes. Mais en Amérique les qualités littéraires
requises pour l'ordination sont nécessairement réduites
au minimum. »
Considérant
Salomon Spaulding comme un pauvre d'esprit, et lui attribuant le
Livre de Mormon en totalité, sans exception, l'écrivain
ajoute :
« Il
n'est pas étonnant que S. Spaulding ait fait banqueroute en
chaire comme derrière son comptoir. »
Comment
concilier tous ces témoignages d'uniformité de style
avec le témoignage de MM. Guers et Favez qui veulent
absolument reconnaître deux auteurs, l'un qui écrivait
bien l'anglais, l'autre qui l'écrivait mal ?
D'altération
en altération, nos ennemis ont fini par tomber quelquefois
dans des mensonges tellement cyniques, tellement monstrueux, qu'ils
se sont effrayés les uns les autres. Notamment, MM. Guers et
Favez n'ont pas osé s'appuyer sur le témoignage du
docteur John Thomas, president
of the S. and E. Medical College of Virginia, U. S. On
n'aime pas à trouver son maître. « Celui-là,
ont-ils dit, est encore plus hardi que nous. » M. Thomas,
en effet, dans sa brochure imprimée à Londres, dit sans
façon (p. 2), qu'un prédicateur presbytérien des
États-Unis fit un roman qu'il intitula le Livre
de Mormon
(This
fiction he termed « the Book of Mormon… »
Il nous
reste à démentir une allégation de nos ennemis,
qui consiste à dire que J. Smith, trop ignorant pour
approprier lui-même le roman de Spaulding à l'usage
qu'il voulait en faire, s'est associé dans ce travail Sidney
Rigdon.
Sur ce
point, comme sur beaucoup d'autres, nos adversaires se contredisent
entre eux : c'est pour eux une fatalité. Ainsi, M. Favez,
dans la lettre que les ministres d'Amérique ont fabriquée
sous le nom de Mme
Davidson,
cite ce qui suit :
« Sidney
Rigdon, qui a figuré si grandement dans l'histoire des
mormons, était à cette époque en relation avec
l'imprimerie de M. Patterson, et c'est une chose bien connue dans
cette contrée, — Rigdon lui-même l'a souvent
déclaré, — qu'il eut en mains le manuscrit de M.
Spaulding et le copia. C'était un fait notoire pour toutes les
personnes en relation avec l'imprimerie. »
Cette
lettre, comme l'annonce M. Favez, a paru dans le journal de Boston ;
mais depuis elle a sans doute été confirmée par
les ministres, c'est-à-dire falsifiée ; car, dans
le journal de Boston, au lieu de « et la copia »,
— on lit : Là, il eut amplement occasion de
connaître le manuscrit « et de le copier s’il
a voulu ».
M. Guers
enchérit encore sur l'exagération de M. Favez ; il
dit (page 62) que Sidney Rigdon était employé dans
l'imprimerie de M. Patterson. Un autre écrivain dit qu'en 1812
et 1814 il y était chargé de préparer les
manuscrits. — Voici la vérité :
Sidney
Rigdon est né en 1793 ; en 1812 il était donc âgé
de dix-neuf ans. À cette époque il travaillait dans la
ferme exploitée par son père, et il y resta jusqu'au
moment où il alla à Pittsbourg comme étudiant,
comme dit le professeur Turner, non pas en 1812, mais en 1822. Or, la
veuve de Salomon Spaulding déclare qu'à la mort de son
mari le roman lui échut, et qu'elle le garda soigneusement.
Joignez à cela qu'elle l'avait encore à sa disposition,
suivant M. Guers, quand, en 1833 ou 1834, on voulut comparer ce
manuscrit avec le Livre de Mormon. Dites-nous donc, Messieurs, à
quelle époque vous prétendez que Sidney Rigdon a pu
copier le roman de Spaulding.
Mais nous
allons démontrer, par un témoignage non suspect, que
les chrétiens d'Amérique, parmi lesquels se trouvait
Sidney Rigdon en qualité de ministre, n'ont jamais songé
à l'accuser de complicité avec J. Smith dans la
publication du Livre de Mormon.
Nous
démontrerons, de plus, par la même citation, que Sidney
Rigdon n'a eu connaissance de ce livre et n'est entré dans
l'Église que quelque temps après sa publication.
L'autorité que nous invoquons est de celles devant lesquelles
nos ennemis doivent s'incliner : c'est un de leurs organes en
Angleterre (Christain
Messenger and Reformer for April 1841) :
« …La
Bible d'or fut imprimée dans l'été de 1830…
Étant pleinement préparés, Smith et Cowdery
commencèrent à accomplir leur mission, et s'étant
baptisés l'un l'autre, ils réussirent bientôt à
en convertir d'autres à leur imposture, les baptisant pour la
rémission des péchés et les dons du Saint-Esprit
dans tous ses pouvoirs miraculeux. Parmi leurs premiers disciples
était Parley P. Pratt, qui est actuellement en ce pays
(Angleterre), qui s'est joint au prophète peu après la
publication de la Bible. Bientôt après lui vint Sidney
Rigdon, qui était auparavant en communion avec nos frères
en Amérique. »
Voilà
encore une preuve positive que Sidney Rigdon n'a pris aucune part au
Livre de Mormon [29].
En voici une autre, empruntée au professeur Turner (page
211) :
« En
1812, Spaulding quitta Ohio et se rendit à Pittsbourg, où
il demeura environ deux ans, pendant lesquels on a supposé
qu'il avait laissé son manuscrit à l'imprimerie de
Patterson et Lambdin, et que Sidney Rigdon l'y trouva en 1822. De
cela, cependant, il n’y a aucune évidence, et je ne peux
pas imaginer qu'un homme du talent de Sidney Rigdon, éloquent
et connaissant parfaitement la Bible, ait jamais pu entasser les
absurdités qui composent le Livre de Mormon. »
Une autre
preuve, négative, il est vrai, c'est que le fameux Alexandre
Campbell, auquel Sidney Rigdon était alors associé pour
la fondation de l’Église des Campbellistes, qui le
connaît parfaitement et qui sait très bien la date de
leur séparation, Campbell, disons-nous, qui a beaucoup écrit
contre nous, ne songe pas le moins du monde à le regarder
comme ayant pris une part quelconque à la publication du Livre
de Mormon.
Nous
croyons avoir traité cette question du Livre de Mormon (au
point de vue purement rationnel), avec tous les développements
nécessaires ; nous n'avons laissé debout aucune
des imputations d'imposture faites par nos ennemis, et nous aimons à
penser que le lecteur, quel qu'il soit, est maintenant convaincu,
nous ne dirons pas de la divinité de ce livre, — puisque
nous n'avons pas abordé la discussion au point de vue
religieux et que nous n'avons donné aucune preuve de ce genre,
cet opuscule n'étant pas destiné à l'exposition
de nos doctrines, — mais au moins de l'honnêteté
de ces hommes sur lesquels on a accumulé tant de calomnies.
Nous n'avions pas d'autre but.
CHAPITRE
V
QUELQUES
OBJECTIONS DE M. FAVEZ CONTRE LE LIVRE DE MORMON
M. Favez
n'est pas heureux lorsqu'il cherche des preuves d'imposture contre le
Livre de Mormon ; son échafaudage tombe sur lui-même.
C'est lui qui se montre ou ignorant, ou imposteur. Écoutez-le
(page 10) :
« Ce
livre prête aux premiers âges du monde des inventions
modernes. Dans les premières pages, l'auteur met dans la
bouche de Néphi ces paroles : Je pris la boussole. Or,
selon cette narration, l'événement avait eu lieu au
temps de Sédécias, et la boussole n'est connue que
depuis cinq ou six cents ans. L'auteur l'ignorait sans doute. »
Dans une
note au bas de cette même page, M. Favez ajoute que : « Je
pris la boussole », est la traduction de ce passage
anglais : « I took the compass ».
Puisqu'il a
lu le Livre de Mormon, il sait qu'il n'existe aucun rapport entre
l'instrument dont il parle et la boussole. Quelques extraits de ce
livre vont le convaincre d'erreur, sinon de mauvaise foi.
« Et
il arriva que comme mon père se levait le matin et se rendait
à la porte de la tente, il vit, à son grand étonnement,
sur le sol, une boule ronde d'une exécution habile ; et
elle était d'airain fin. Et dans la boule, il y avait deux
aiguilles ; et l'une d'elles montrait la direction dans laquelle
nous devions aller dans le désert [30]. »
(page 31 ; 1 Néphi 16:10, ndlr)
On voit que
la boule n'indiquait pas un des quatre points cardinaux, mais le
chemin à suivre.
« Et
il arriva que moi, Néphi, je vis les aiguilles qui étaient
dans la boule, qu'elles marchaient selon la foi, et la diligence, et
l'attention que nous leur accordions. Et une nouvelle écriture
était aussi écrite dessus, qui était claire à
lire, qui nous donna une certaine compréhension des voies du
Seigneur ; et elle était écrite et changeait de
temps en temps, selon la foi et la diligence que nous lui accordions.
Et ainsi, nous voyons que par de petits moyens le Seigneur peut
réaliser de grandes choses. (page 32 ; 1 Néphi
16:28, 29, ndlr)
Est-ce que
cela ressemble à une boussole ? Mais, à supposer
même que ces deux passages du Livre de Mormon aient été
mal compris par M. Favez, qu'il ait été étourdi
ou aveuglé au point de ne pas apercevoir la différence
qui existe entre un tel instrument et l'aiguille aimantée,
voici quelques lignes qui auraient dû lui ouvrir les yeux :
« Et
maintenant, mon fils, je dois parler quelque peu de l'objet que nos
pères appellent boule, ou directeur; ou, nos pères
l'appelaient Liahona, ce qui est, par interprétation, un
compas ; et c'est le Seigneur qui l'a préparé. Et
voici, il n'est pas d'homme qui puisse réaliser une exécution
aussi habile. Et voici, il fut préparé pour montrer à
nos pères le chemin qu'ils devaient suivre dans le désert.
Et il marchait pour eux selon leur foi en Dieu ; c'est pourquoi,
s'ils avaient la foi pour croire que Dieu pouvait faire que ces
aiguilles indiquent le chemin qu'ils devaient suivre, voici, cela se
faisait ; c'est pourquoi ils voyaient, jour après jour,
ce miracle et aussi beaucoup d'autres miracles s'accomplir par le
pouvoir de Dieu. Néanmoins, parce que tous ces miracles
étaient accomplis par de petits moyens, cela leur montrait des
œuvres merveilleuses. Ils étaient paresseux et
oubliaient d'exercer leur foi et leur diligence, et alors ces œuvres
merveilleuses cessaient, et ils ne progressaient pas dans leur
voyage ; c'est pourquoi, ils s'attardaient dans le désert,
ou ne suivaient pas un chemin direct et étaient affligés
par la faim et la soif à cause de leurs transgressions. »
(page 289 ; Alma 37:38-42, ndlr)
Est-il
possible, après avoir lu ce passage, de dire que « ce
livre prête aux premiers âges du monde des inventions
modernes ? » Est-il possible de confondre un appareil
qui se meut par le pouvoir de Dieu, suivant la foi et la diligence de
celui qui le tient, qui cesse de fonctionner quand la foi cesse, avec
la boussole, qui suit invariablement le courant magnétique
d'un pôle à l'autre, et qui fonctionne également
entre les mains d'un croyant ou d'un athée ?
En voici
encore une autre du même auteur. Il dit (page 10) :
« Enfin,
en divers endroits, le Livre de Mormon donne un démenti à
la Bible. Un exemple suffira. À la page 499, il nous dit que
l'Amérique est, au-dessus de toutes les autres, une terre
choisie du Seigneur ; — ‘que là sera bâtie
de nouveau la Jérusalem ancienne, laquelle sera une sainte
cité au Seigneur. — Et la Bible, de son côté,
déclare que Canaan est la noblesse de tous les pays, que
Jérusalem y sera bâtie de nouveau et sera une sainteté
à l'Éternel. — Tout cela n'est pas une
recommandation pour le livre du nouveau prophète. Évidemment
il porte les marques de la fraude. »
Ceci, en
effet, porte les marques de la fraude, mais de la fraude de M.
Favez ; car, pour mettre le Livre de Mormon en opposition avec
la Bible, il fait une citation infidèle. Voici le verset cité
par lui (p. 499 du Livre du Mormon ; Éther 13:4-8,
ndlr) ; mais nous le transcrivons en entier, afin que le lecteur
puisse juger :
« Voici,
Éther vit le temps du Christ, et il parla d'une nouvelle
Jérusalem dans ce pays. Et il parla aussi de la maison
d'Israël et de la Jérusalem d'où Léhi
viendrait : lorsqu'elle aurait été détruite,
elle serait rebâtie, ville sainte pour le Seigneur ; c'est
pourquoi, ce ne pourrait pas être une nouvelle Jérusalem,
car elle avait été à une époque du passé;
mais elle serait rebâtie et deviendrait une ville sainte du
Seigneur; et elle serait bâtie pour la maison d'Israël -
et qu'une nouvelle Jérusalem serait bâtie dans ce pays
pour le reste de la postérité de Joseph, ce dont il y a
eu une préfiguration. Car, comme Joseph fit descendre son père
au pays d'Égypte, de même il y mourut ; c'est
pourquoi, le Seigneur amena un reste de la postérité de
Joseph hors du pays de Jérusalem, afin d'être
miséricordieux envers la postérité de Joseph,
afin qu'elle ne pérît pas, tout comme il fut
miséricordieux envers le père de Joseph, afin qu'il ne
pérît pas. C'est pourquoi, le reste de la maison de
Joseph sera édifié dans ce pays; et ce sera un pays de
son héritage ; et il bâtira une ville sainte pour
le Seigneur, semblable à la Jérusalem d'autrefois; et
il ne sera plus confondu, jusqu'à ce que vienne la fin,
lorsque la terre passera. »
II est
évident que ce verset parle de deux Jérusalem, l'une
ancienne, qui sera rebâtie en Asie par les enfants d'Israël,
l'autre nouvelle, qui sera construite en Amérique pour la
postérité de Joseph. Et c'est en présence d'un
texte aussi clair que M. Favez vient nous dire : « Le
Livre de Mormon donne un démenti à la Bible »
quand au contraire il la confirme !...
Le passage
de la Bible cité par M. Favez : « Canaan est
la noblesse de tous les pays » n'est pas, comme il
l'affirme, démenti par le Livre de Mormon. Il suffit d'un peu
de bon sens pour tout concilier. Canaan, selon l'Ancien Testament,
était la noblesse de tous les pays alors connus. S'il fallait
une preuve de cette interprétation, nous rappellerions ici
cette parole de Daniel à Nébucadnetsar :
« Le
Dieu des cieux t'a donné le royaume, la puissance, la force et
la gloire, et en quelque lieu qu'habitent les enfants des hommes, les
bêtes des champs et les oiseaux des cieux, il les a donnés
en ta main, et t'a fait dominer sur eux tous. » (Daniel
2:37, 38)
Nous
pourrions y joindre cette citation de Paul parlant des travaux des
serviteurs de Dieu :
« Leur
voix est allée par toute la terre, et leurs paroles jusqu'aux
bouts du monde. » (Romains 10:18)
Or, nous le
demandons à M. Favez, Nébucadnetsar a-t-il régné
sur le continent de l'Amérique ? Les apôtres de
l'Orient y ont-ils fait entendre la parole de Dieu ? Il est
évident que la Bible, quand elle parle de tous les pays, doit
être entendue dans le sens que nous venons d'indiquer. Cette
objection de M. Favez n'est donc pas plus sérieuse que les
autres.
CHAPITRE
VI
MIRACLES
« Orson
Pratt (dit M. Guers, page 98) a publié une liste de prétendues
guérisons miraculeuses opérées par les mormons :
parcourez les listes de guérisons merveilleuses qui
accompagnent d'ordinaire l'annonce des nouvelles méthodes
curatives, et vous en avez exactement le type. Mais voici des faits
plus graves qu'Orson Pratt se gardera bien d'insérer dans son
catalogue. »
Ici M.
Guers raconte trois faits dont l'un s'est passé à
Cardiff, le second à Glasgow, le troisième à
New-Port. Puis il continue :
« Demandez
aux mormons d'accomplir devant vous quelque œuvre miraculeuse,
les prodiges ont toujours lieu là où l'on ne se trouve
pas. Êtes-vous, par exemple, en Angleterre, on vous dit que les
grands miracles se font en Amérique ; êtes-vous en
Amérique, on vous dit qu'ils se font en Angleterre. »
(p. 99)
Cet auteur
nous présente au public comme de vrais entrepreneurs de
miracles. Il cite la Voix
de Joseph ;
eh bien, lisons le passage cité (p. 80) :
« Dans
tous les endroits où ils sont allés, la parole a été
établie en puissance, par le Saint-Esprit, et en grande
assurance ; et par la foi et la prière, les malades et
les affligés ont été guéris, les boiteux
ont commencé à marcher, les sourds à entendre,
les muets à parler et les aveugles à voir. »
M. Guers ne
reproduit pas ce passage, il se contente de l'indiquer. C'est
conséquent avec sa manière habituelle ; car, en le
lisant, on voit à qui les mormons font hommage des
bénédictions obtenues : le Saint-Esprit, la foi et
la prière. C'est toujours la même tactique.
Quand on
s'est accoutumé à peu d'exactitude, on ne fait plus
attention à la contradiction. Ainsi, page 99, il oublie
complètement que la liste dont il parle à la page 98
indique, pour chaque guérison, le lieu, le jour, le nom et
l'adresse de la personne guérie, les noms des témoins,
membres de l'Église ou étrangers. Tous ces faits, sans
exception, ont eu lieu dans la Grande-Bretagne. Et en présence
d'une désignation aussi nette, l'honnête écrivain
ose dire : « Êtes-vous, par exemple, en
Angleterre, on vous dit que les grands miracles se font en
Amérique ! »
Des trois
miracles avortés qu'il raconte, le premier est une pure
invention ; nous défions M. Guers d'en donner la moindre
preuve.
Le second,
bien que l'auteur dise que M. Pratt se gardera bien de l'insérer
dans son catalogue, a cependant été publié,
malgré cette assertion, par ce même Orson Pratt, dans le
Millennial
Star
(vol.
11, p. 61). Il s'agissait de deux personnes atteintes du choléra
à Glasgow. Des milliers d'individus avaient été
moissonnés par le terrible fléau. Dans le nombre
d'environ cent malades qui reçurent de nos missionnaires
l'imposition des mains et l'huile sainte, accompagnées de la
foi et de la prière, quatre seulement moururent. Les médecins,
poussés sans doute par un mobile qui nous échappe,
voulurent dénoncer nos missionnaires à la justice ;
un jugement fut rendu, par lequel les prévenus furent
acquittés. C'est à la suite de ces débats,
reproduits avec mauvaise foi par les journaux de l'époque, que
M. Pratt publia les documents et témoignages relatifs à
cette affaire, où la justice, nous le répétons,
reconnut la fausseté de la plainte et proclama l'innocence de
nos missionnaires.
Le
troisième est le fameux miracle avorté de New-Port, que
tous nos ennemis n'ont pas craint de copier dans le roman du
capitaine Marryat dont nous avons déjà parlé ;
nous les défions d'indiquer une autre origine. M. Guers cite
Mormonism,
page 28 ; mais ouvrez cet ouvrage, regardez la date de
l'édition, et vous verrez que l'auteur l'a puisé dans
le roman. Allez à New-Port, on vous dira que le fait a eu lieu
dans une autre contrée. Attendez que nos ennemis aient publié
quelques nouvelles brochures, et bientôt le fait se sera passé
en Suisse. Ce miracle avorté fera le tour du monde.
Revenons
aux guérisons miraculeuses rapportées par M. Pratt. Ce
n'est pas par vaine ostentation qu'il a entrepris ce récit.
Dans le Millennial
Star, (vol.
11, p. 151), il engage les missionnaires à tenir un registre
exact et véridique des manifestations de la bonté
divine, afin d'en témoigner aux incrédules, de rendre
au Seigneur la gloire qui lui est due, et de confondre les ministres
des fausses religions, où l'on reconnaît effectivement
la puissance de Dieu, mais seulement dans les temps passés.
Sur cette
invitation, plusieurs missionnaires de l'Église, en mission
dans diverses contrées, ont envoyé le compte rendu des
guérisons opérées sous leurs yeux par la
puissance de Dieu, avec tous les détails propres à en
constater l'authenticité. Toutes ces guérisons, comme
nous l'avons déjà dit, ont eu lieu en Angleterre, pas
une en Amérique. Elles ont été portées à
la connaissance du public dans le pays même où elles ont
été effectuées, et nous n'avons pas connaissance
qu'elles aient jamais donné lieu à aucune réclamation ;
cependant, en Angleterre comme en Suisse, l'esprit de coterie
religieuse est à nos trousses et n'eût pas manqué
de relever la moindre exagération, s'il s'en était
glissé dans ce récit.
Les mormons
croient aux promesses de Dieu, et quand ils éprouvent les
effets de sa bonté, il lui en rendent l'honneur et en
témoignent aux hommes, afin que ceux-ci obéissent à
Dieu et reçoivent à leur tour ses bénédictions,
selon leur foi. Et voilà M. Guers qui s'écrie (p.
100) :
« Vous
donc, messieurs, vous qui avez reçu ces dons, ces charismes,
prouvez-le en les exerçant sous nos yeux. Vous avez en mains
l'un des moyens de nous convaincre : réduisez au silence
notre incrédulité, et sauvez-nous, s'il le faut, malgré
nous-mêmes. »
Malgré
tout le soin que l'on peut mettre à dissimuler, il est des
moments où le caractère se révèle tel
qu'il est. Si nous avions jamais eu le moindre doute sur l'influence
qui a poussé M. Guers à son opposition au mormonisme,
nous serions éclairés par ses observations au sujet des
miracles. « C'est de l'abondance du cœur que la
bouche parle. » (Matthieu 12:34)
Un certain
personnage vint auprès de Jésus et lui dit : « Si
tu es le fils de Dieu, ordonne à ces pierres de se changer en
pains. » Le premier qui a demandé un miracle
n'était pas un personnage obscur. Quel était-il donc ?
Le diable lui-même (voir Luc 4:3). Sa majesté satanique
exerçait une bien triste influence sur les gens pieux
d'alors ; écoutez : « Alors des
Pharisiens et des Sadducéens vinrent à lui (Jésus),
et pour l'éprouver, ils lui demandèrent qu'il leur fît
voir quelque miracle dans le ciel. » Il est à
regretter que nous n'ayons pas leurs propres paroles ; elles
doivent ressembler à celles-ci : « Vous avez
en mains bien des moyens de nous convaincre ; réduisez au
silence notre incrédulité, et sauvez-nous, s'il le
faut, malgré nous-mêmes. »
Mais quelle
fut la réponse de Jésus? « Une génération
méchante et adultère demande un miracle ; il ne
lui sera donné d'autre miracle que celui de Jonas. Puis il les
quitta, et s’en alla (voir Matthieu 16:4).
« Les
Juifs demandent des miracles » écrivait l'apôtre
Paul (1 Corinthiens 1:22). Probablement ils disaient comme M.
Guers : « Sommons-les de faire devant nous un de ces
miracles dont ils sont si prodigues ailleurs. Ils y sont obligés
d'après leurs propres écrits. » Quelle fut
la réponse de Paul ? « Nous prêchons
Christ crucifié qui est un scandale pour les Juifs. »
(1 Corinthiens 1:23)
C'est une
chose curieuse que de voir l'inconséquence dans laquelle
tombent ces chercheurs de miracles. Jésus et les apôtres
refusèrent à leurs sommations ces manifestations de la
puissance céleste ; mais quand ils entendirent raconter
les miracles opérés, ils furent très mal à
l'aise (voir Jean, chapitre 9). Forcés de reconnaître
que Jésus avait rendu la vue à l'aveugle, ils
crièrent : « Donne gloire à Dieu ;
nous savons que cet homme est un pécheur. » (Jean
9:23)
M. Guers
(page 98) dit : « Orson Pratt a publié une
liste de prétendues guérisons miraculeuses opérées
par des mormons. » Et deux pages plus loin il ajoute :
« Mais encore une fois, fussent-ils vrais, les miracles du
mormonisme ne nous convaincraient pourtant pas. » Les
raisons qu'il donne de son incrédulité sont les mêmes
que donnaient les Juifs lorsqu'ils repoussaient le Christ et les
apôtres.
Pour
terminer, disons que les chercheurs de miracles ont poursuivi le
Christ jusque sur la croix, où ils virent pour lui une bonne
occasion d'exercer son pouvoir. M. Guers dit aujourd'hui :
« Réduisez au silence notre incrédulité,
et sauvez-nous, s'il le faut, malgré nous-mêmes. »
Les hommes réputés pieux, passant près du gibet
où était attaché le Saint et le Juste,
« l'injuriaient, et secouaient la tête, en disant :
Toi qui détruis le temple, et qui le rebâtis en trois
jours, sauve-toi toi-même ! Si tu es le Fils de Dieu,
descends de la croix ! Les principaux sacrificateurs, avec les
scribes et les anciens, se moquaient aussi de lui, et disaient :
Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même !
S'il est roi d'Israël, qu'il descende de la croix, et nous
croirons en lui. Il s'est confié en Dieu ; que Dieu le
délivre maintenant, s'il l'aime. Car il a dit : Je suis
Fils de Dieu. » (Matthieu 27:39-43)
Nous
devons, en terminant, exprimer notre pensée sur les miracles.
Elle est formulée dans les lignes suivantes, que nous
extrayons d'une brochure de M. O. Pratt, intitulée Autorité
divine, ou réponse à cette question : Joseph Smith
était-il envoyé de Dieu ?
(p.
33) :
« Les
saints des derniers jours ne croient pas à l'infaillibilité
des miracles. Nous croyons fermement que les dons miraculeux du
Saint-Esprit sont absolument nécessaires dans l'Église
du Christ, sans lesquels elle ne peut exister sur la terre. Les
miracles, joints à une doctrine pure, sainte et parfaite, à
une doctrine raisonnable et scripturaire, sont une forte preuve
collatérale en faveur de cette doctrine et de l'autorité
divine de ceux qui la prêchent. Mais des miracles seuls, pris
séparément, et sans être liés à
d'autres témoignages, au lieu d'être des preuves
infaillibles, ne prouvent absolument rien. »
CHAPITRE
VII
RÉPONSE
À M. AGÉNOR DE GASPARIN
Voici un
autre adversaire que nous avions oublié, mais qui est
subitement rappelé à notre mémoire par une
nouvelle lecture des Archives
du christianisme
(années
1852 et 1853) au moment où nous allions clore cette
discussion. À Dieu ne plaise que nous laissions sans réponse
ses rares objections noyées dans une dilution de six longs
articles. Seulement, comme il nous serait impossible, au point où
nous en sommes, de classer ces objections suivant l'ordre que nous
avons adopté, nous consacrerons à ce nouveau champion
un chapitre à part.
Dans le
premier de ces articles (1852, p. 185), M. de Gasparin se livre à
des considérations générales, sans présenter
aucune objection. Il se pose en adversaire loyal et consciencieux ;
mais déjà quelques finasseries font prévoir que
l'auteur ne soutiendra pas le ton sérieux et convenable de
cette introduction.
En effet,
dès le second article (p. 15 de 1853), nous le voyons
ressusciter la fable des ministres américains au sujet du
roman de Spaulding. Il n'ose pas y adhérer formellement, et il
a raison, car nous le mettrions plus tard en contradiction avec
lui-même, puisqu'il dit (p. 75) :
« Rien
enfin ne manque pour faire comprendre à quiconque sait
comprendre, que M. Joseph Smith a composé ces prophéties
à loisir, en l'an de grâce 1828, ayant son Nouveau
Testament sous les yeux. »
Quel est
donc le but de M. de Gasparin en réveillant cette histoire de
Spaulding ? Cela se devine aisément. Toutefois il sort de
là assez habilement.
« Nous
ignorons, dit-il, ce qu'il en est, et, à vrai dire, nous nous
en inquiétons peu. Ceci est trop sérieux pour que nous
nous préoccupions des questions de propriété
littéraire. »
Ce qu'il y
a de plus clair dans tout cela, c'est que M. de Gasparin n'a pas
d'opinion arrêtée sur ce point, puisqu'il raconte cette
histoire et la dément plus loin.
L'introduction
nous promettait des objections sérieuses ; mais, dès
la page 16, l'auteur tombe dans la facétie :
« Nos
ouvriers sont sans doute bien moins habiles que ne l'étaient
les innombrables prophètes de Néphi ; mais il est
certain que pour graver sur l'airain les immenses récits dont
le Livre de Mormon ne nous donne que des extraits, il faudrait
employer aujourd'hui des centaines d'ouvriers pendant un temps bien
considérable. Et nous ne parlons pas du transport de ces
plaques. De nos jours, il faudrait des charrettes ou des wagons de
chemins de fer ; du temps des prophètes néphites,
on emportait cela sans façon dans sa poche, et personne n'y
prenait garde. »
On le voit,
M. de Gasparin s'amuse. Mais voyons ce que valent ses joyeusetés.
Les plaques, longues et larges de 7 à 8 pouces, formaient une
épaisseur totale de six pouces. Une partie seulement a été
traduite. En supposant au métal une épaisseur d'une
demi ligne, il y aurait en totalité 44 plaques. D'un autre
côté, quiconque a vu le fac-simile d'une de ces
tablettes, s'il est doué de la moindre connaissance en
gravure, jugera qu'un ouvrier peut facilement graver une page en un
jour, soit deux jours pour une plaque, soit 288 jours pour la
collection entière. Mettons-en le double, le triple, admettons
même que ce travail, s'il eût été exécuté
par un seul homme, l'eût occupé trois ans ;
toujours est-il évident que M. de Gasparin tombe dans la plus
ridicule exagération lorsqu'il dit « qu'il faudrait
y employer des centaines d'ouvriers pendant un temps bien
considérable. » Que devons-nous répondre à
un écrivain qui prétend charger des wagons de chemins
de fer avec les plaques en question, qui forment un cube de 7 ou 8
pouces de longueur, autant de largeur et 6 de profondeur ?....
Pour M. Favez, passe encore ; mais de la part de M. le comte
Agénor de Gasparin et des Archives
du christianisme,
nous n'attendions pas de pareilles évaluations. Nous voudrions
voir cet écrivain se livrer dans le même esprit à
des calculs sur les dimensions données par la Bible à
l'arche de Noé, comparativement au volume des animaux et des
approvisionnements qu'elle renfermait…
L'auteur
finit par s'apercevoir qu'il se moque de ses lecteurs.
« Qu'on
nous pardonne, dit-il, si notre discussion ne demeure pas toujours
sérieuse. En vérité, il est des choses qu'on ne
peut rapporter ni discuter gravement. »
D'accord.
Quand on a fait une caricature, on a le droit d'en rire ; mais
il est des choses sérieuses que l'on pourrait rapporter
fidèlement et discuter gravement.
Après
le burlesque, le lamentable. M. de Gasparin ajoute immédiatement :
« Mais
lorsqu'au même temps on se prend à penser que ces
choses-là sont prêchées et accueillies comme une
parole de Dieu, qu'elles font le tour du monde, qu'à l'heure
où nous écrivons ceci, plusieurs centaines de
missionnaires mormons sont occupés à corrompre les âmes
et à déshonorer l'Évangile, le cœur se
serre de tristesse, et le sourire qui avait effleuré les
lèvres s'en efface promptement. »
Donc voici
M. de Gasparin devenu sérieux ; ce qui ne l'empêche
pas de nous donner encore plusieurs colonnes remplies de jovialités
sur les noms de quelques prophètes rapportés par le
Livre de Mormon, où il se divertit à comparer les
exploits de l'un d'entre eux à ceux des chevaliers de la Table
Ronde. On voit comme c'est grave. Puis il s'écrie :
« Notre
amour pour le Sauveur souffre à rapporter, même afin de
les combattre, de si prodigieuses profanations. »
Quant à
la preuve de ces profanations, c'est la chose dont il s'occupe le
moins. Il est beaucoup plus commode de donner la question pour
raison, et M. de Gasparin y est habitué. Lisez non seulement
cet article, mais les quatre qui le suivent, vous n'y trouverez pas
vestige de démonstration. L'auteur part de ce point que le
Livre de Mormon est faux, et il va son train.
Comme MM.
Guers et Favez, M. de Gasparin écrit l'histoire à sa
façon, sans le moindre scrupule. Écoutons-le parler des
mormons au Missouri :
« Enfin
ils publient une proclamation en vertu de laquelle tous les habitants
du pays qui ne professent pas la foi nouvelle sont mis en demeure
d'abandonner leurs propres maisons et de céder aux saints leur
propre pays. Les Missouriens ne se croient pas tenus d'obéir,
et à la suite d'une lutte violente, ils expulsent de chez eux
l'armée des bandits. »
Si nous
demandions à M. de Gasparin sur quelle preuve il appuie cette
histoire, il nommerait sans doute quelque homme religieux. En tout
cas, nous le mettons au défi de citer le texte de la prétendue
proclamation, d'en indiquer même la date. Ceci s'appelle une
calomnie, et n'a point d'autre nom. Jamais les mormons ne se sont
approprié un immeuble quelconque dans le Missouri ou ailleurs,
sans l'avoir acheté et payé. Que M. de Gasparin prouve
le contraire.
Plus loin,
l'auteur s'exprime en ces termes au sujet de ce qu'il appelle la
« guerre des mormons » (p. 43) :
« Elle
se termina par la défaite et l'emprisonnement de Joseph Smith,
qui fut tué plus tard au moment où il cherchait à
s'échapper de sa prison. »
Ceci est
odieux ; il nous répugne de voir un honnête homme
chercher à pallier, sinon à légitimer un meurtre
infâme. Nous avons raconté, sur la foi d'autres ennemis
plus calmes et mieux renseignés, comment la prison fut envahie
par des brigands armés et qui s'étaient barbouillé
le visage avec du noir. Chacun sait que si Joseph s'est présenté
à la fenêtre, c'était pour échapper, non à
la prison, où il ne trouva pas même la protection des
verrous, mais aux balles et aux baïonnettes qui perçaient
la porte de sa chambre. Chacun sait que s'il fut dans cette prison,
c'est parce qu'il s'y constitua volontairement. Nous le répétons
avec amertume : il est pénible pour nous de voir M. de
Gasparin s'associer à nos ennemis les moins véridiques,
et éclipser même leur témérité. À
la page 67, nous lisons ce qui suit :
« Mais
Joe Smith est prudent. Il sent que l'égyptien lui-même
peut être connu, et il lui importe d'imaginer une langue telle
que toute vérification soit impossible : il invente donc
l'égyptien réformé.
« Voici
donc l'hypothèse fondamentale que sont tenus d'accepter ceux
qui écoutent l'Évangile mormon : des Juifs
quittant Jérusalem sous Sédécias, Juifs qui ne
savent pas leur langue maternelle et qui se servent de l'égyptien,
voire de l'égyptien réformé, en ayant soin de
l'écrire au moyen de caractères sans analogues, soit en
Égypte, soit en Judée ! On conviendra qu'il faut
une crédulité robuste pour fréquenter les
chapelles du mormonisme. »
À M.
de Gasparin qui croit à la Bible et s'effraie du Livre de
Mormon, nous rappellerons ces paroles de Christ aux Pharisiens :
« Conducteurs aveugles, qui coulez le moucheron, et qui
avalez le chameau ! » (Matthieu 23:24)
Oui, il
faudrait une foi robuste pour croire à la vérité
ainsi travestie par M. de Gasparin. Tout ce qui passe par les mains
de nos adversaires devient incroyable. Mais ramenons les choses à
leur état naturel, et voyons si, dégagées des
charges de cet écrivain, elles ne sont pas parfaitement
admissibles.
Nous
relèverons d'abord ce nom de Joe, substitué à
celui de Joseph. Si nous donnions à M. de Gasparin, au lieu de
son prénom Agénor, tout autre sobriquet exprimant le
mépris, on nous considérerait comme des ennemis dont on
ne doit attendre aucune impartialité ? Est-ce qu'un
langage convenable prouve moins que de grossières injures ?
L'égyptien
reformé ! Voilà le grand cheval de bataille de nos
ennemis ; M. Favez lui-même, et avant lui M. Guers,
l'avaient enfourché. Nous renvoyons M. de Gasparin à ce
que nous avons dit en répondant à nos autres
adversaires, et nous ajoutons, la Bible en main : Joseph, fils
du patriarche Jacob, fut vendu par ses frères à des
marchands madianites, puis à des Ismaélites, puis enfin
à Potiphar, eunuque de Pharaon. Accusé de séduction,
d'attentat sur la femme de son maître, il fut jeté en
prison, et en fut enfin délivré par l'intervention du
Seigneur ; puis il arriva au pouvoir, et fut établi par
Pharaon « sur tout le pays d'Égypte. »
Bientôt après, son père et toute sa famille, au
nombre de 70 personnes, vinrent près de lui en Égypte.
« Les enfants d'Israël furent féconds et
multiplièrent, ils s'accrurent et devinrent de plus en plus
puissants. Et le pays en fut rempli. » (Exode 1:7)
Il est bien
évident que Joseph, investi de hautes fonctions dans ce
gouvernement, a dû apprendre la langue égyptienne. Il
est fort probable aussi que sa famille, dans ses relations obligées
avec les Égyptiens, dut apprendre la langue du pays, et
qu'après plusieurs générations les enfants
d'Israël étaient devenus familiers avec cette langue.
S'il faut une crédulité robuste pour admettre cette
opinion si naturelle, il en faudrait une plus robuste encore pour
admettre que 70 personnes arrivant dans l'Égypte y ont
conservé exclusivement leur langue maternelle, et que leurs
descendants l'ont également conservée pendant sept ou
huit générations.
Si nous
demandions à M. de Gasparin dans quelle langue écrivait
Moïse, il ne lui viendrait certes pas à l'idée de
nommer l'égyptien. Il serait trop pénible pour lui de
penser que ces livres divins furent primitivement écrits dans
la même langue que le Livre de Mormon. Mais nous devons, au
risque de froisser l'opinion qu'il s'est faite à cet égard,
lui faire connaître celle d'un homme qu'il jugera sans doute
compétent en pareille matière.
Le
professeur Cooper, M. D., de l'Amérique, s'exprime ainsi dans
sa lettre au professeur Silliman of Yale Collège, Connecticut,
sur le rapport entre la géologie et le Pentateuque (p. 38) :
« Il
n'est dit nulle part dans quelle langue a écrit Moïse ;
si c'est dans les hiéroglyphes hiératiques ou
phonotiques des Égyptiens. Nous présumons qu'il les
connaissait ; il avait reçu une éducation toute
égyptienne. Il n'est pas vraisemblable que les Hébreux,
si longtemps entourés des Égyptiens (pendant sept ou
huit générations) aient conservé leur dialecte
original chaldéen. »
Il serait
absurde de supposer que les familles élevées parmi les
enfants d'Israël, n'ont pas connu l'égyptien, et M. de
Gasparin pourrait bien, il nous semble, commencer à croire que
le professeur Cooper, dans une discussion aussi importante, n'établit
pas une hypothèse sans fondement.
Resterait
encore la difficulté de l'égyptien réformé.
Or, nous renvoyons à ce que nous avons dit (chapitre III)
relativement aux découvertes qui se font en Amérique,
où l'on exhume des hiéroglyphes évidemment
égyptiens, mais néanmoins indéchiffrables pour
les hommes les plus versés dans ceux de l'Égypte
ancienne, par la seule raison que ceux de l'Amérique sont de
l'égyptien réformé.
Quant à
l'usage suivi par les Égyptiens de transmettre à leurs
descendants, au moyen de la gravure, le récit des événements
extraordinaires qui les intéressaient, c'est un point qu'il
n'est pas besoin de discuter. Les Hébreux ont dû les
imiter. M. de Gasparin dit qu'ils n'en eurent jamais l'idée ;
mais alors que signifie ce passage de Job (19:23, 24) :
« Oh !
je voudrais que mes paroles fussent écrites, qu'elles fussent
écrites dans un livre ;
Je
voudrais qu'avec un burin de fer et avec du plomb elles fussent pour
toujours gravées dans le roc... »
Si Job
n'était pas Hébreu, il n'en est pas moins vrai que
l’idée de la gravure remonte à la plus haute
antiquité.
Notre
adversaire nous a fait croire un instant qu'il allait aborder
sérieusement la question, car il écrit (p. 85) :
« Que
dire des arguments empruntés à ces caractères
qu'aucun savant ne peut déchiffrer, ou à ces ruines
découvertes en Amérique et qui attesteraient
nécessairement l'ancienne splendeur des Néphites, des
Lamanites et du peuple de Jared ? »
Nous
n'espérons pas réconcilier M. de Gasparin avec
l'égyptien réformé et l'usage de graver des
plaques ; nous savons que nos preuves le toucheraient peu. S'il
était vraiment scandalisé, nous aurions plus de
confiance dans nos démonstrations ; mais le scandale
simulé est difficile à apaiser.
Notre
adversaire reproche au Livre de Mormon d'avoir supposé des
synagogues chez les Juifs au commencement du règne de
Sédécias, d'avoir parlé d'alpha et d'oméga
à des gens qui ne savaient pas le grec, d'avoir dit : le
sud-sud-est, d'avoir parlé de l'acier, etc., etc. Et pour
mieux prouver l'anachronisme qui consiste à rapporter à
une haute antiquité des choses d'invention moderne, là
où le Livre de Mormon, parlant des poissons, dit qu'ils furent
transportés dans des vases, M. de Gasparin dit dans des
bocaux. Les vases sont de toute antiquité, mais les bocaux
sont en effet plus modernes. C'est peu loyal de la part de notre
adversaire. Toutefois, nous allons expliquer tous ces anachronismes à
la fois.
Joseph
Smith n'était pas un savant, surtout à l'époque
où il traduisit le Livre de Mormon. D'un autre côté,
en comparant l'étendue de ce livre avec le nombre et la
dimension des plaques, dont une partie seulement a été
traduite, et dont le fac-simile a été publié
dans le Millennial
Star,
on demeure convaincu que ces plaques ne donnaient pas une histoire
littéralement écrite, mot pour mot, mais des
hiéroglyphes, dont un seul représentait une idée,
quelquefois multiple. L'inspiration divine a donc révélé
au traducteur, non pas des mots correspondant à d'autres mots,
mais des idées qu'il a dû exprimer par les mots qui lui
ont paru les plus propres. Il traduisait pour des Anglais connaissant
la Bible ; il a dû prendre les mots anglais et les termes
bibliques. Ceci explique synagogue pour assemblée ou lieu de
réunion [31],
alpha et oméga pour tout autre signe correspondant dans un
alphabet qui n'est pas connu, sud-sud-est pour une orientation
analogue exprimée en termes inconnus, l'acier pour tout autre
métal préparé de manière à obtenir
une dureté égale, Christ pour le Rédempteur,
etc. En effet, on a découvert dans des ruines de l'Ohio et du
Mexique des instruments tranchants qui attestent que les anciens
habitants de l'Amérique possédaient un procédé
par lequel ils obtenaient des lames d'une dureté surprenante
[32].
M. de Gasparin paraît ou ignorer qu'il s'agit d'hiéroglyphes,
ou n'en tenir aucun compte. Pour nous, ces mots modernes, substitués
aux mots anciens qui seraient aujourd'hui inintelligibles, ne
prouvent absolument rien.
Une autre
preuve d'imposture, suivant cet écrivain, consiste en ce que
le Livre de Mormon, quoique donné comme étant écrit
par une succession de prophètes anciens, présente une
uniformité de style qui porte à le regarder comme
l'oeuvre d'un seul homme ; et ce seul homme, bien entendu, c'est
Joseph Smith.
Cette
objection n'en est pas une. D'abord il faut savoir que les prophètes
qui avaient écrit avant Mormon ayant été abrégés
par celui-ci, l'uniformité de style n'a déjà
plus rien de surprenant. Outre cette explication, et en supposant que
Joseph eût traduit les manuscrits originaux de ces prophètes,
les différences s'effaceraient encore ; car, deux
ouvrages d'auteurs différents, littéralement écrits,
s'ils sont traduits par le même homme, perdent déjà
beaucoup de leur cachet original ; ils s'identifient en quelque
sorte, quant au style, sous la plume du traducteur. Mais c'est bien
autre chose quant il s'agit d'hiéroglyphes traduits. Là,
à proprement parler, il n'y a pas de style possible ; il
n'y a que celui de l'interprète.
Du reste,
notre ennemi oublie ici le roman de Spaulding. Qu'il se mette
d'accord avec MM. Guers et Favez, qui ont meilleure vue que lui,
puisqu'ils prétendent reconnaître la partie écrite
par Spaulding d'avec les interpolations de J. Smith. L'imposture est
démontrée par l'identité, suivant M. de
Gasparin, et par le défaut d'identité, suivant MM.
Guers et Favez. Messieurs, accordez-vous ensemble, s'il vous plaît.
Il en est
de même de la conformité du style du Livre de Mormon
avec celui de la Bible. Ces deux livres se ressemblent :
coupable et sacrilège imitation, dit M. de Gasparin. Dans le
cas contraire, il ne manquerait pas de s'écrier : Voyez
quelle différence entre le livre inspiré et
l'imposture ! On sent la valeur de pareils arguments.
À
l'égard des miracles, notre adversaire ne croit qu'à
ceux de la Bible ; ceux du Livre de Mormon sont donc des
impostures. Pourquoi M. de Gasparin y croirait-il ? Et comme les
petites anecdotes sont des ornements agréables à ses
lecteurs, il ajoute :
« Quant
aux miracles publiés et qui ont des incrédules pour
témoins, ils réussissent moins bien, si nous en croyons
le récit de certaine tentative de J. Smith, qui devait
traverser une rivière à pied sec, et qui s'arrêta
prudemment au bord de l'eau. »
Nous
savions que les incrédules ne croient pas, même quand M.
de Gasparin n'eût pas pris la peine de nous l'apprendre. Les
miracles du Christ n'ont pas converti les incrédules de son
époque ; pourquoi serions-nous plus heureux ? Mais
s'il ne croit pas aux miracles opérés par les mormons,
du moins il se montre d'une foi robuste à l'égard du
prétendu miracle avorté qu'il emprunte à la
Revue
britannique.
Tout ce qui est écrit contre nous, M. de Gasparin l'adopte
sans examen. Peu importe l'origine : journaux, ministres
méthodistes, mormons retranchés de l'Église pour
immoralité, romans, etc., etc., tout est accueilli par lui
avec un zèle peu impartial, peu judicieux, mais digne de la
pieuse croisade dirigée contre les saints des derniers jours.
Autre
argument de M. de Gasparin, aussi fort que tous ceux que l'on a déjà
lus :
« Le
Livre de Mormon attestant la vérité de l'Ancien
Testament et des annales des douze apôtres (le Nouveau
Testament) ! L'audace hypocrite d'un impie a-t-elle jamais été
plus loin ? »
Voilà
le fond de la pensée de notre adversaire. Le Livre de Mormon,
au lieu d'être en contradiction avec les Écritures
admises par les prétendus chrétiens, est en parfaite
harmonie avec elles et les confirme ; c'est ce qui le désespère.
S'il y avait discordance entre les deux livres, il conclurait à
l'imposture ; mais il y a un tel accord, que l'on est porté
à les attribuer tous deux à l'inspiration divine ;
il conclut à l'hypocrisie. Que faire avec de tels
adversaires ?
Nous
laissons M. de Gasparin dans la croyance que « les
prophéties adressées à une époque et à
une nation sont destinées à toutes les époques
et à toutes les nations. » Cette opinion est
nécessairement celle des chrétiens qui croient que Dieu
abandonne la direction de l'humanité, qu'il n'a plus ni anges
ni prophètes. Pour nous, nous sommes témoins du
contraire, et nous croyons à l'action permanente de
l'Esprit-Saint. L'intervention du Seigneur dans la conduite de son
peuple est trop évidente pour que nous puissions en douter un
seul instant.
Voici qui
est plus curieux. M. de Gasparin, après avoir, en six longs
articles, ressuscité toutes les calomnies des méthodistes
américains, sans jamais citer un mot de MM. Stansbury,
Gunnison, ni des journaux écrits en dehors de l'influence
sectaire, ose s'écrier (p. 86) :
« On
voit avec quel scrupule nous nous sommes attaché à ne
recourir qu'aux documents mormons pour peindre et juger les mormons.
Ils affectent, en général, de crier à la
calomnie ; ils prétendent qu'on ajoute foi aux assertions
de leurs ennemis. Eh bien, voici une étude attentive et
consciencieuse qui n'est basée que sur leur propre Bible et
leurs propres journaux. »
Quelle est
la vertu qui manque à un homme ? C'est celle dont il se
vante le plus. M. de Gasparin se dit scrupuleux.
Voilà
pour les doctrines ; voici maintenant pour l'appréciation
des hommes.
« Nous
avons dû en croire les mormons quand il s'agissait de leurs
doctrines. Nous ne sommes pas tenus de les en croire, quand il s'agit
de leurs vertus. C'est un point qui appelle nécessairement
l'intervention d'une opinion extérieure, et cette opinion,
sans être infaillible, mérite cependant d'être
consultée avec soin. »
Et
savez-vous quelle est cette opinion extérieure qui mérite
d'être consultée avec soin ? C'est celle de
l'infâme John G. Bennett dont nous avons parlé. C'est la
lettre des trois juges fugitifs d'Utah. Voilà ses témoins !
Voilà l'étude consciencieuse ! Voilà le
scrupule avec lequel M. de Gasparin s'est attaché à ne
recourir qu'aux documents mormons pour peindre et juger les mormons !
La fin couronne l'œuvre !
CHAPITRE
VIII
L'ÉPOUSE
SPIRITUELLE ET LA POLYGAMIE
Nous le
savons : la polygamie n'est pas dans les mœurs de cette
époque ; la civilisation européenne l'a reléguée
dans la catégorie des crimes ; la sagesse humaine l'a
emporté sur la sagesse divine. Dans cette partie de notre
tâche où nous allons heurter de front les idées
reçues, accréditées par une longue pratique, et
replacer la morale sur ses bases véritables, il nous importe
de donner à nos paroles une portée claire et précise.
Les
principes de l'Église de Jésus-Christ des saints des
derniers jours seront accueillis un jour dans l'univers entier ;
comme tels, ils doivent être connus de tous. Ainsi nous devons
dire à tous que la polygamie a été non seulement
autorisée par Dieu lui-même dans cette dernière
dispensation, mais ordonnée aux membres de son Église,
suivant qu'il l'a révélé à son prophète
Joseph (voir la révélation du 12 juillet 1843). Voilà
pour le principe.
Mais
l'Église a pour but de préparer le royaume de
Jésus-Christ sur la terre. Les saints doivent se rassembler
afin de constituer ce royaume, qui ne peut être gouverné
que par les ordonnances du Souverain. Le noyau de la grande nation
sur laquelle Jésus viendra régner se forme aujourd'hui
dans le territoire d'Utah (Haute-Californie, États-Unis
d'Amérique).
C'est
donc là, et là seulement, que ce principe de l'Église
peut et doit être mis en pratique, parce que là
seulement la loi civile est d'accord avec la loi religieuse. Pour les
citoyens mêmes d'Utah, la pratique de la polygamie est
restreinte aux limites de ce territoire, et leur est interdite s'ils
voyagent dans les nations étrangères, sous peine d'être
retranchés de l'Église [33].
Il est donc
bien entendu que nos explications sur la polygamie, lorsque nous
sommes en mission parmi les nations de l'Europe, se rapportent à
un principe applicable seulement dans la contrée dont nous
avons parlé. Nous insistons sur ce point, afin que nos ennemis
ne nous accusent pas d'enseigner à nos frères une
pratique contraire aux lois de leur pays, qui doivent toujours être
respectées.
Ceci étant
posé, abordons notre sujet.
Nos ennemis
ont beaucoup parlé de l'Épouse spirituelle. Nous lisons
dans la brochure Favez, page 39 :
« Smith
a vécu dans le désordre, et a donné à ce
désordre la sanction de l'autorité de Dieu. En créant
le système dit de l'Épouse spirituelle, il a établi,
par voie de doctrines et de révélations, l'infidélité
conjugale et la débauche dans ses plus grossiers égarements. »
Cela
signifie : « Je connais la doctrine de l'Église
mormone, j'ai lu les révélations, et j'affirme que
l'épouse spirituelle a été instituée par
J. Smith. » Or, M. Favez est un missionnaire de
l'Évangile, et cette qualité prête à ses
affirmations une autorité qui influe nécessairement sur
l'esprit du lecteur.
Eh bien, ce
qu'il y a de vrai dans tout cela, c'est le contraire de ce que M.
Favez ose écrire. En d'autres termes, ni dans la doctrine de
l'Église, ni dans les révélations, on ne trouve
même le mot d'épouse spirituelle. Nous l'affirmons avec
offre de communiquer tous les documents nécessaires.
À la
vérité, dans cette circonstance comme dans beaucoup
d'autres, notre ennemi emploie cette tactique qui consiste à
s'abriter derrière le nom d'un auteur (Gray's
Principles and Pratices of Mormons) ;
mais cette adresse ne saurait le justifier ; car, lorsqu'il
s'agit d'une allégation qui implique l'immoralité de
quelques cent mille individus, un écrivain qui se respecte ne
se fait pas l'écho de toutes les infamies qui peuvent passer
par la tête d'un méchant homme. Il porte le flambeau de
l'examen et de la critique sur l'œuvre d'autrui, pèse
les témoignages, et repousse ceux que l'ignorance, la passion
et la mauvaise foi ont pu égarer, réservant aux autres
un degré de confiance proportionnel à l'intégrité
de mœurs reconnue chez ces témoins. Il vérifie
surtout les textes, ces témoins incorruptibles qu'il est si
facile de consulter quand on le veut.
Or, sur
quel texte s'appuie le ministre Gray, cité par M. Favez ?
Sur aucun. Sur quels témoignages ? Sur ceux du fameux
John C. Bennet (voir chapitre 2), que nous avons vu retrancher de
l'Église pour cause d'immoralité, et de ce Sampson
Avard (voir chapitre 2) retranché pour plusieurs méfaits,
notamment pour avoir tenté d'organiser la bande des Danites.
Ces deux hommes immoraux et publiquement reconnus tels, étant
ainsi devenus des ennemis personnels de J. Smith, leur témoignage
était suspect, particulièrement en matière de
moralité, et plus spécialement encore en ce qui
concerne la moralité de J. Smith. Ce double motif de les
rejeter a néanmoins semblé à M. Gray, et après
lui à M. Favez, un double motif de les admettre.
Nous n'en
dirons pas davantage sur l'ignoble fable des épouses
spirituelles. Que nos adversaires essaient de nous renvoyer le
démenti.
Comme nous
l'avons dit au commencement de ce chapitre, J. Smith a établi,
par doctrines et révélations, non pas l'épouse
spirituelle ni tout autre synonyme de concubine ou maîtresse,
mais la polygamie, ou pluralité des femmes légitimes,
ou mariage patriarcal. Et comme nos adversaires ne trouvent ni dans
la nature, ni dans la raison, ni dans la morale, ni dans l'Ancien ou
le Nouveau Testament la condamnation de cet usage, qui eut jadis
l'approbation formelle du Seigneur, ils appuient leur accusation
d'immoralité en substituant tout simplement un nom à un
autre. Notre loi civile et religieuse consacre le mariage solennel et
légitime avec plusieurs femmes : M. Favez appelle cela
l'infidélité conjugale et la débauche dans ses
plus grossiers égarements. Mais entrons dans la question.
Tout membre
de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers
jours, s'il est dans de bonnes dispositions, s'il a banni de son cœur
l'iniquité et la convoitise, possède individuellement
l'évidence de la divinité de cette Église et des
enseignements révélés. Ainsi, pour nous, la
légitimité du mariage patriarcal ne peut pas être
mise en question. Cette institution, n'eût-elle jamais été
pratiquée sur la terre, fût-elle en opposition directe
avec les principes de morale admis par toutes les nations, n'en
serait pas moins sacrée à nos yeux, parce qu'elle nous
vient de ce Dieu qui se plaît parfois à confondre la
sagesse des hommes. Mais nous sommes en mesure de prouver, sans nous
livrer à une discussion très étendue, qu'elle se
concilie parfaitement avec tout ce qu'il y a de respectable parmi les
principes qui régissent l'humanité.
Comme c'est
surtout au point de vue de la dignité de la femme que nos
adversaires attaquent la polygamie, il nous a paru convenable de
publier l'extrait suivant d'une lettre écrite par Mme Belinda
Marden Pratt. Cette lettre donnera une idée de la manière
dont le principe est entendu et apprécié par celles-là
mêmes que l'on présente comme avilies et démoralisées
par la pratique de la polygamie :
« Cité
du Grand-Lac-Salé, le 12 janvier 1854. Ma chère sœur,
« Ta
lettre du 2 octobre m'est parvenue, et je l'ai reçue avec une
grande joie. Ayant attendu si longtemps une réponse à
ma dernière lettre, j'ai cru que mes amis, scandalisés,
ne voulaient plus m'écrire. Jugez donc de mon bonheur en
lisant les expressions de tendresse fraternelle que m'apportait votre
lettre.
« Nous
nous portons tous bien ici ; nous sommes prospères et
heureux dans notre cercle de famille. Mes enfants, au nombre de
quatre, sont gais et bien portants ; leurs facultés
physiques et intellectuelles se développent rapidement. La
santé, la paix et la prospérité nous
accompagnent.
« II
paraît, ma chère sœur, que nous ne sommes pas plus
rapprochées dans nos opinions religieuses que nous n'étions
autrefois. Pourquoi en est-il ainsi ? Ne sommes-nous pas tous
obligés de quitter ce monde avec tout ce que nous y possédons,
et de recevoir dans un avenir sans fin la récompense de nos
actions ici ? Si telle est notre destinée, ne devons-nous
pas désirer d'être désabusés et de
connaître la vérité, afin de la pratiquer ?
Ne désirons-nous pas, dans le fond de notre cœur, être
sincères avec nous-mêmes, honnêtes et franches
l'une avec l'autre ? S'il en est ainsi, tu m'écouteras
patiemment quand je te dirai quelques-unes des raisons qui m'ont fait
accepter et observer comme sacré ce point particulier de la
doctrine de l'Église des saints, auquel toi, ma chère
sœur, avec beaucoup de chrétiens, faites de si grandes
objections. Je veux parler de la « pluralité des
femmes. »
« J'ai
une Bible que dès mon enfance on m'apprit à considérer
comme sacrée. Dans cette Bible je lis l'histoire d'un saint
homme nommé Abraham, qui est représenté comme
l'ami de Dieu, un homme fidèle en toutes choses, un homme qui
a gardé les commandements de Dieu, et qui est appelé
dans le Nouveau Testament le Père des fidèles. (Jacques
2:23. — Romains 4:16. — Galates 3:8, 9, 16, 29).
« J'y
trouve que cet homme avait plusieurs femmes, dont quelques-unes
étaient appelées des concubines (Genèse 25:6).
« Je
vois que son petit-fils Jacob a possédé quatre femmes
dont il a eu douze fils et une fille. Les écrivains sacrés
ont parlé hautement de ses femmes comme honorables et
vertueuses ; elles ont, disent les Écritures, édifié
la maison d'Israël. Jacob lui-même était un homme
de Dieu ; le Seigneur a béni sa maison, lui a ordonné
de croître et de multiplier (Genèse 30 à 35, et
particulièrement 35:10 et 11).
« Je
vois que les douze fils que Jacob a eus de ses quatre femmes
devinrent des princes, des chefs de tribus, des patriarches, dont les
noms sont transmis de siècle en siècle. Or, Dieu
conversait fréquemment avec Abraham, Isaac et Jacob ; ses
anges les ont visités, leur ont parlé, les ont bénis,
eux, leurs femmes et leurs enfants. Le Seigneur a réprouvé
les péchés de quelques-uns des fils de Jacob, parce
qu'ils ont haï et vendu leurs frères, parce qu'ils ont
commis l'adultère ; mais, dans tous ses rapports avec
eux, il n'a jamais condamné leur organisation familiale ;
au contraire, il l'a approuvée et les a bénis à
cet égard. Il a même promis à Abraham qu'il le
ferait père de plusieurs nations, et qu'en lui et sa postérité
seraient bénies toutes les familles et nations de la terre
(Genèse 18:17-19). Plus loin, je vois que la pluralité
a été perpétuée, sanctionnée et
réglementée par la loi de Moïse.
« David,
le psalmiste, n'avait pas seulement plusieurs femmes : le
Seigneur lui-même, parlant par la bouche de Nathan le prophète,
lui donne encore les femmes de Saül ; mais, à cause
de l'adultère qu'il avait commis avec la femme d'Urie, dont il
avait causé la mort, il lui ôte ses femmes pour les
donner à quelqu'un de sa maison (2 Samuel 12:7-11).
« Ici
donc, nous avons la parole du Seigneur qui non seulement sanctionne
la polygamie, mais qui donne véritablement au roi David les
femmes de son ancien maître Saül, à qui il les
enlève ensuite pour les donner à un autre. Ici nous
avons un exemple de la réprobation et d'une punition sévère
pour l'adultère et le meurtre, tandis que la polygamie est
autorisée et approuvée par la parole de Dieu.
« Venons
au Nouveau Testament. Jésus parle hautement d'Abraham et de sa
famille. Il dit que beaucoup viendront de l'orient et de l'occident,
du septentrion et du midi, qui seront à table dans le royaume
des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob (Luc 13:28, 29). Il dit
encore : « Si vous êtes les enfants d'Abraham,
vous ferez les oeuvres d'Abraham » (Jean 8:39).
« Paul
l'apôtre écrivait aux saints de son époque :
« Vous tous qui avez été baptisés en
Christ, vous avez revêtu Christ ; or, si vous êtes
de Christ, vous êtes donc la postérité d'Abraham
et les héritiers selon la promesse » (Galates
3:27-29). Il a aussi présenté Abraham et Sarah comme
des modèles de foi et de bonnes œuvres, comme le père
et la mère des chrétiens fidèles.
« Regardons
quelques-unes des bonnes œuvres de Sarah, pour lesquelles elle
a été si hautement recommandée par les apôtres
et proposée pour modèle aux femmes chrétiennes.
« Or, Sarah, femme d'Abraham, ne lui avait point encore
donné d'enfant ; mais elle avait une servante égyptienne,
nommée Agar. Et elle dit à Abraham : Voici
maintenant, l'Éternel m'a rendue stérile ; viens,
je te prie, vers ma servante ; peut-être aurai-je des
enfants par elle. Et Abraham obéit à la parole de
Sarah. Alors Sarah, femme d'Abraham, prit Agar, sa servante
égyptienne, et la donna pour femme à Abraham son mari,
après qu'il eut demeuré dix ans au pays de Canaan »
(Genèse 16:1-3).
« Selon
Jésus-Christ et les apôtres, le seul moyen d'être
sauvé est d'être adopté dans la grande famille
des polygames par l'Évangile, puis de suivre strictement leur
exemple.
« Jean
le révélateur décrit la sainte ville, la
Jérusalem céleste, ayant les noms des douze fils de
Jacob inscrits sur chacune des portes (Apocalypse 21:12).
« En
résumé, je vois que les polygames étaient les
amis de Dieu ; que la famille et la postérité d'un
polygame étaient choisies pour être une bénédiction
à toutes les nations ; qu'un polygame est nommé
dans le Nouveau Testament comme le père des chrétiens
fidèles dans tous les siècles, et cité comme un
modèle pour toutes les générations ; que la
femme d'un polygame, qui engagea son mari à pratiquer la
pluralité, qui lui a elle-même donné une seconde
femme, est qualifiée femme vertueuse, honorable, le modèle
des femmes chrétiennes, la mère de toutes les saintes
femmes dans l'Église chrétienne, lesquelles doivent
aspirer à être appelées ses filles.
« Je
vois que Jésus-Christ a déclaré que les fameux
polygames se trouveront parmi les grands dans le royaume de Dieu ;
que ceux qui seront sauvés, dans tous les siècles, le
seront parce qu'ils seront devenus membres de cette grande famille de
polygames ; que tous ceux qui n'y seront pas incorporés
resteront étrangers à l'alliance de promesse, au
royaume d'Israël, et ne seront pas héritiers de la
promesse faite à Abraham. Je vois que tous les peuples de
l'est, de l'ouest, du nord et du midi, qui entrent dans le royaume de
Dieu, entrent dans la société des polygames, sous leur
gouvernement, sous leur direction patriarcale. Personne ne peut
approcher des portes du ciel sans rencontrer les noms des douze
polygames (les fils d'un seul homme par quatre femmes différentes)
gravés en gloire éternelle sur les portes formées
de perles.
« Ma
chère sœur, avec les Écritures devant moi, je ne
pourrais jamais rejeter la vision céleste qui a rétabli
la plénitude de l'Évangile et a donné de nouveau
des prophètes et des apôtres, par la seule raison que ce
rétablissement remet en vigueur l'ancienne loi du mariage et
de l'organisation des familles, qui prépare le rétablissement
de tout Israël.
« Mais
laissons toute Écriture, histoire ou usage ancien ;
allons à la loi de la nature. Quel est donc le grand but des
relations de mariage ? Je réponds : la
multiplication de notre espèce, et, pour nous autres femmes,
d'élever convenablement les enfants. Pour accomplir ce but, la
loi naturelle dicterait qu'un mari doit rester séparé
de sa femme à certaines époques, d'après la
constitution même de la femme. En d'autres termes, leur union
ne doit pas avoir pour but la satisfaction des sens, mais la
procréation.
« La
nature enseigne à la mère que pendant la formation et
le développement de l'homme à l'état d'embryon,
son cœur doit rester pur, ses pensées et ses affections
chastes, son esprit calme, ses passions sans excitation, en même
temps que son corps doit être fortifié par un exercice
convenable. En aucune manière elle ne doit être sujette
à un acte qui pourrait la troubler, l'irriter et la fatiguer.
Un bon mari doit entourer sa femme de tous les soins affectueux que
réclame sa situation, mais en même temps il doit
s'abstenir de toute relation intempestive et prohibée par les
lois mêmes de la nature, lois qui sont strictement observées
par tous les animaux, sauf l'espèce humaine.
« La
polygamie, donc, comme pratiquée sous la loi patriarcale de
Dieu, tend directement à la chasteté des femmes ;
elle est le gage d'une parfaite santé pour leurs enfants, et
les préserve de tout mauvais penchant héréditaire.
« Tu
peux lire dans la loi de Dieu, dans ta propre Bible, le temps et les
circonstances dans lesquelles une femme doit rester à part de
son mari. Pendant ce temps, elle est considérée comme
impure, et s'il venait alors à son lit, il pécherait
gravement, tant contre la loi de la nature que contre les sages
prescriptions de la loi de Dieu, révélées par sa
parole. En un mot, il commettrait une abomination ; il pécherait
contre son propre corps, contre le corps de sa femme et contre les
lois de la procréation, lois à l'accomplissement
desquelles la santé, la moralité de ses descendants
sont directement intéressées.
« La
loi divine de la polygamie ouvre à toute femme vigoureuse et
sage une porte par laquelle elle peut devenir l'épouse
honorable d'un homme vertueux et la mère d'enfants fidèles,
robustes et honnêtes.
« Dis-moi
maintenant, ma chère sœur : Si l'alliance d'Abraham
ou la loi patriarcale de Dieu était répandue et tenue
pour sacrée et honorable dans l'État que tu habites,
quelle femme, dans tout le New-Hampshire, voudrait épouser un
ivrogne, un homme affligé de maladies héréditaires,
un débauché, un paresseux, un dissipateur ? Quelle
femme voudrait devenir une prostituée, ou vivre dans le
célibat, renonçant aux douces relations du mariage ?
« Chère
sœur, dans ta légèreté tu me demandes :
« Pourquoi pas la pluralité des maris aussi bien
que celle des femmes ? » À cela je réponds
premièrement : Dieu n'a jamais commandé ou
sanctionné la pluralité des maris ; en second
lieu, « le mari est le chef de la femme, comme Christ est
le chef de l'Église, et il est aussi le sauveur de son corps »
(Éphésiens 5:23). Nulle femme ne peut servir deux
seigneurs. Troisièmement, un tel ordre de choses tendrait à
la mort et non à la vie, ou, pour parler plus clairement,
multiplierait les maladies et non les enfants. En effet, la chose est
activement pratiquée depuis des siècles dans toutes les
principales villes de la chrétienté ; c'est le
génie des institutions faussement appelées
chrétiennes ; c'est le mystère de la grande
Babylone, la mère des impudicités et des abominations
de la terre. En d'autres termes, c'est le résultat du mépris
des saintes ordonnances de Dieu touchant le mariage, et de
l'introduction des lois de Rome, qui interdisent le mariage au clergé
et aux religieuses, et n'accordent aux autres hommes qu'une seule
femme. Cette loi laisse la femme exposée à l'isolement,
sans mari, enfants ni amis, ou à une vie de pauvreté,
de solitude, exposée à la tentation, aux désirs
déréglés, aux jouissances illicites, ou à
la nécessité de faire de son honneur un honteux trafic.
L'homme riche est tenté d'entretenir en secret une maîtresse,
tandis que la loi de Dieu la lui aurait donnée comme une
épouse honorable. Ces circonstances engendrent le meurtre,
l'infanticide, le suicide, les maladies, les remords, la ruine, le
désespoir, la mort prématurée, avec tout le
cortège des jalousies, des misères poignantes, la
défiance au sein des familles, les maladies contagieuses, et
enfin l'horrible système de licence dans lequel des
gouvernements, se disant chrétiens, accordent à leurs
jolies filles des patentes en vertu desquelles celles-ci descendent,
je ne dirai pas au rang des bêtes brutes, mais à une
dégradation bien inférieure encore; car toutes les
espèces, dans la création animale, excepté
l'homme, s'abstiennent de ces abominables excès, et observent
généralement les lois de la nature dans la procréation.
« Je
le répète, la nature a constitué la femme
autrement que l'homme et pour un but différent. La vigueur de
celle-ci est dans le fleuve de vie qui coule en elle et nourrit
l'embryon, le fait naître et l'alimente sur le sein de sa mère.
Quand la nature n'est pas en fonction pour atteindre ce but céleste,
elle vient sagement à son secours, à des périodes
régulières, pour entretenir en elle la pureté et
la santé sans épuiser la source de vie, jusqu'à
un âge assez avancé, où il lui devient nécessaire
à elle-même de cesser d'être féconde, afin
de jouir d'une vie plus tranquille au sein du cercle de sa famille
qui lui est attachée par tant de liens, et qui, à cette
phase de sa vie, est dans l'âge viril et peut lui procurer les
soins et le confort qui lui conviennent, et où elle peut ainsi
se préparer à un changement de monde.
« II
n'en est pas ainsi de l'homme ; sa force a un autre emploi. Il
doit se mouvoir dans une sphère plus vaste. Si Dieu, dans
cette vie, le juge digne de la promesse faite du centuple (Matthieu
19:29 ; Marc 10:29, 30), il peut aspirer à la
souveraineté patriarcale, à l'empire et à la
domination ; il pourra devenir prince ou chef d'une ou plusieurs
tribus, et, comme Abraham, il pourra mettre sur pied, pour la défense
de sa patrie, des centaines et des milliers de ses propres guerriers,
nés dans « sa maison ».
« Un
noble homme du Seigneur, plein de l'Esprit du Tout-Puissant, qui est
jugé digne de converser avec Jéhovah ou avec le Fils de
Dieu, ou avec les esprits des justes sanctifiés ; un
homme qui enseignera à ses enfants la vérité
éternelle et les fera marcher purs dans cette voie, est plus
digne d'une centaine de femmes et d'enfants que l'ignorant, esclave
des passions, des vices et des folies humaines, n'est digne de
posséder une seule femme et un seul enfant.
« Dans
l'ordre patriarcal du gouvernement de la famille, la femme est sous
la loi du mari. Elle l'honore, l'appelle « Seigneur »,
comme Sarah a honoré Abraham et lui a obéi. Elle vit
pour lui, pour accroître sa gloire, sa grandeur, son royaume,
sa famille. Ses affections sont concentrées sur Dieu, son mari
et ses enfants.
« Lui,
il a aussi un chef envers qui il est responsable. II doit garder les
commandements de Dieu et observer ses lois ; il ne doit pas
prendre une femme à moins qu'elle ne lui soit donnée
selon la loi et l'autorité de Dieu.
« Ainsi
une nation organisée sous la loi de l'Évangile, ou en
d'autres termes, sous la loi d'Abraham et des patriarches, sera
préservée de la licence, et l'adultère et la
fornication n'y seront point tolérés. On n'y verra pas
de ces maisons où l'on fait un trafic monstrueux de la beauté
des filles de la terre ; les hommes riches n'auront aucun motif
de garder une maîtresse, les femmes n'auront aucune tentation
de mener une vie déréglée.
« Ainsi,
en bonne conscience, et, comme tu le vois, en me basant sur la parole
de Dieu, j'ai formé des liens qui me sont chers et que je ne
pourrais jamais me résoudre à rompre. J'ai un époux
bon et vertueux, et je l'aime ; nous avons quatre petits enfants
qui nous sont mutuellement chers. En outre, mon époux a sept
autres femmes vivantes et une qui est partie pour un monde meilleur.
Il a en tout plus de vingt-cinq enfants. Toutes ces mères et
ces enfants sont pour moi l'objet d'une vive tendresse ; nous
sommes liés ensemble par une mutuelle affection, par une
longue connaissance et une association de chaque jour. Les mères,
en particulier, sont liées par une communauté de
peines, de fatigues, de souffrances et d'égards de sœurs
(sisterly
kindness).
Nous avons toutes nos imperfections dans cette vie ; mais je
sais que celles-ci sont des femmes bonnes et vertueuses, et que mon
mari est un digne homme qui garde les commandements de Jésus-Christ
et qui préside sur sa famille comme Abraham. Il travaille pour
nous toutes avec diligence, il nous aime toutes, et il cherche à
nous rendre heureuses. Il nous enseigne les commandements de Dieu, et
il nous réunit autour de lui, dans le cercle de famille, pour
invoquer le Tout-Puissant matin et soir.
« Mon
mari et sa famille ont la confiance, l'estime et l'amitié de
tout le territoire et d'un vaste cercle de relations en Europe et en
Amérique. Il enseigne avec succès la morale et la
religion, et il occupe un siège honorable dans le corps
législatif d'Utah. »
Nous ne
poursuivrons pas plus loin la reproduction de cette lettre de Mme
Pratt ; la question y étant envisagée sous toutes
ses faces, il nous reste peu de chose à ajouter.
L'Univers
catholique,
en publiant (le 17 juin 1854) quelques extraits de cette lettre, se
montre entièrement dépourvu d'arguments contre la
polygamie. M. de Laroche-Héron se garde bien de reproduire les
preuves déduites de l'Écriture par Mme Pratt, qu'il
insulte de la façon la plus ignoble en déclarant qu'il
la qualifie dame
par
antiphrase. Au lieu de soumettre à ses lecteurs les raisons
données en faveur de la pluralité des femmes, il les
passe sous silence et les analyse ainsi :
« Sa
grande argumentation consiste à dire qu'il n'y a ni adultère
ni prostitution là où il y a polygamie, jeu de mots
fort oiseux en vérité, et qui se résume à
établir qu'il n'y aura pas de vice dès que l'on donnera
au vice le nom de vertu. »
On
reconnaît là toute la bonne foi des ultramontains.
L'auteur, pour faire une part d'injures à tous ses ennemis,
fait hommage au protestantisme de l'invasion de la polygamie parmi
nous :
« Notre
siècle, dit-il, était destiné à voir la
polygamie renaître en Occident au-delà des mers,
engendrée par la décomposition (style Favez) et la
licence des sectes protestantes. »
L'article
de M. de Laroche-Héron renferme une seule objection ; la
voici :
« Madame
Pratt fait un vaste étalage d'érudition biblique pour
prouver que l'état parfait de nature aux yeux de Dieu est
l'état de polygamie ; mais, dans ses nombreuses
citations, elle oublie de mentionner le chapitre 2 de la Genèse,
où l'Éternel tient ce langage : « Il
n'est pas bon que l'homme soit seul ; faisons-lui une aide
semblable à lui. Ainsi l'homme quittera son père et sa
mère, et s'attachera à sa
femme,
et ils deviendront une seule chair. » Tant que les mormons
n'auront pas effacé ces versets, tant qu'ils n'auront pas
prouvé que Dieu donna à Adam une pluralité
d'Èves, il n'y aura besoin d'invoquer ni l'Évangile ni
la tradition pour confondre les mormons. »
À
cet ergotage, appuyé sur un mot écrit au singulier,
nous répondons par l'extrait qui va suivre.
Citons
maintenant un passage du célèbre poète anglais
Milton, qui a traité la question de la polygamie dans le
premier livre de sa Doctrine
chrétienne,
ouvrage traduit du latin en anglais par Charles R. Summer, D. D.,
évêque de Winchester.
« Dans
la définition que j'ai donnée (du mariage), je n'ai pas
dit, suivant l'opinion commune, qu'il consistait dans l'union d'un
homme avec une femme, de peur d'accuser de fornication permanente et
d'adultère les saints patriarches, colonnes de notre foi,
Abraham et autres personnages qui eurent plus d'une femme à la
fois, et d'exclure ainsi du sanctuaire de Dieu, comme bâtarde,
la sainte postérité qui est sortie d'eux, c'est-à-dire
tous les enfants d'Israël, pour lesquels le sanctuaire fut
édifié. Car il est écrit (Deutéronome
23:2) : « Celui qui est issu d'une union illicite
n'entrera point dans l'assemblée de l'Éternel ;
même sa dixième génération n'entrera point
dans l'assemblée de l'Éternel. »
« La
polygamie est donc un véritable mariage, sinon tous les
enfants nés de telles relations sont issus d’une union
illicite, ce qui exclurait toute la race de Jacob, les douze tribus
choisies de Dieu. Mais comme une telle assertion serait extrêmement
absurde, pour ne pas dire impie, c'est le comble de l'injustice, et
en même temps une tendance dangereuse en religion, de regarder
comme péché ce qui ne l'est pas en réalité.
« La
légitimité de la polygamie, loin d'être une
question futile, me paraît au contraire de la plus haute
importance et réclame une solution.
« Ceux
qui nient sa légitimité essaient d'appuyer leur opinion
sur la Genèse (2:24), où il est dit : « L'homme
quittera son père et sa mère, et s'attachera à
sa femme, et ils deviendront une seule chair », passage
reproduit dans saint Matthieu (19:5). Ceci est certainement
ingénieux. J'y ajouterai ces paroles de l'Exode (20:17) :
« Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain, ni sa
femme, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son
âne. » II serait ridicule d'arguer qu'il n'est pas
dit maisons,
mais maison,
ni serviteurs,
mais serviteur,
pas même voisins,
mais voisin,
car c'est l'usage général, en donnant des commandements
de ce genre, d'employer le nombre singulier, non dans un sens
numérique, mais comme désignation de l'espèce
dont il s'agit.
« En
ce qui concerne cette phrase : « les deux (et pas
plus) ne seront qu'une chair », il faut observer d'abord
que le contexte fait allusion au mari et à la femme seulement
avec laquelle il s'agissait de divorcer, sans s'occuper du nombre des
femmes, soit une ou plusieurs. En second lieu, le mariage est
considéré comme relation ; or, dans une telle
relation, il ne peut y avoir que deux parties. De même, si un
homme a beaucoup d'enfants, sa relation paternelle est multiple, mais
envers chacun d'eux elle est unique et complète en elle-même ;
de même aussi, si un homme a plusieurs femmes, la relation qui
l'unit à chacune d'elles ne sera pas moins parfaite en
elle-même, et le mari ne sera pas moins une chair avec chacune
d'elles, que s'il n'avait qu'une seule femme.
« Ainsi,
l'on pourrait dire d'Abraham, en ce qui concerne Sarah et Agar
individuellement : ces deux n'étaient qu'une seule chair,
et avec de bonnes raisons, car on dit de celui qui fréquente
les prostituées, n'importe le nombre, qu'il est une seule
chair avec chacune d'elles (1 Corinthiens 6:16) : « Ne
savez-vous pas que celui qui s'attache à la prostituée
est un seul corps avec elle ? Car, est-il dit, les deux
deviendront une seule chair. »
« L'expression
peut donc être appliquée avec autant de justice au mari
qui a plusieurs femmes qu'à celui qui n'en a qu'une. D'où
il suit que le commandement dont il s'agit (lequel en effet n'est pas
un commandement, ainsi qu'il a été démontré)
ne renferme rien contre la polygamie, ni comme prohibition directe,
ni comme censure implicite, à moins de supposer que la loi de
Dieu, telle qu'elle a été révélée
par Moïse, était en opposition avec les commandements
précédents du Seigneur, ou que, quoique le passage en
question ait été connu d'une multitude de prêtres,
de lévites, de prophètes, d'hommes de tout rang, dont
la vie fut sainte et agréable à Dieu, la fureur de
leurs passions les a précipités, par une impulsion
aveugle, dans une fornication continuelle ; car nous sommes
réduits à cette supposition, dans le cas où le
précepte que nous examinons rendrait la polygamie incompatible
avec le mariage légitime.
« Un
troisième passage invoqué (Deutéronome 17:17)
est si loin de condamner la polygamie pratiquée soit par un
roi, soit par tout autre, qu'il la permet expressément ;
seulement il y apporte les mêmes restrictions qui sont faites
quant à l'amas des chevaux ou des trésors, comme cela
est évident d'après les versets 16 et 17.
« Sauf
ces trois passages mal à propos allégués, on ne
trouve pas dans toute la loi, ni dans aucun des prophètes, qui
en étaient les rigides interprètes et qui étaient
constamment en garde contre les vices du peuple, la moindre
interdiction contre la polygamie.
« Quant
aux paroles du Christ (Matthieu 5:32, et 19:5), le passage de la
Genèse (2:24) y est répété non pas pour
condamner la polygamie, mais pour refréner la liberté
illimitée du divorce, ce qui est bien différent, et ces
paroles ne peuvent être appliquées à un autre
sujet sans violation directe de leur signification…
« On
ne doit pas conclure de ces expressions (1 Corinthiens 7:2) :
« Que chacun ait sa femme et que chaque femme ait son
mari », que nul ne doit en avoir plus d'une, car la
signification du précepte est que tout homme devrait avoir sa
propre femme, à lui-même, mais non qu'il ne devrait en
avoir qu'une. Il est enseigné directement que les évêques,
les anciens et les diacres ne devaient avoir qu'une seule femme
(1 Timothée 3:2, 12, et Tite 1:5-7), sans doute afin
qu'ils pussent s'acquitter avec une plus grande diligence de leurs
devoirs ecclésiastiques. Le commandement lui-même est
une preuve suffisante que la polygamie n'était pas défendue
aux autres, et qu'elle était alors pratiquée dans
l'Église....
« Écoutons
les paroles de Dieu lui-même, car l'auteur de la loi en est le
meilleur interprète (2 Samuel 12:8) : « Je
t'ai mis en possession de la maison de ton maître, j'ai placé
dans ton sein les femmes de ton maître, et je t'ai donné
la maison d'Israël et de Juda. Et si cela eût été
peu, j'y aurais encore ajouté. » Ici il n'y a point
d'équivoque ; Dieu a donné des femmes à
David, à l'homme qu'il aimait ; il les lui a données
comme une de ses grandes bénédictions ; il lui
aurait donné davantage si ce n'eût pas été
assez. En outre, l'argument même dont Dieu se sert envers David
a plus de force lorsqu'il est appliqué au don des femmes qu'à
aucune autre chose. — « Tu aurais dû
t'abstenir de la femme d'un autre, moins parce que je t'avais donné
la maison ou le royaume de ton Seigneur, que parce que je t'avais
donné les femmes du roi. »
« Nous
ne devons pas omettre ce passage (2 Chroniques 24:2, 3) : « Joas
fit ce qui est droit aux yeux de l'Éternel pendant toute la
vie du sacrificateur Jehojada. Jehojada prit pour Joas deux femmes,
et Joas engendra des fils et des filles », car les deux
membres de phrase ne sont pas mis en opposition ni séparés
l'un de l'autre, mais il est dit, sans aucune disjonction, que, sous
la direction de Jéhojadah, Joas fit ce qui est droit, et que
par l'autorité de ce même sacrificateur il se maria avec
deux femmes... Donc, puisque la droiture de Joas est mentionnée
sans aucune exception relative à ce double mariage, il est
évident que la polygamie n'était pas considérée
comme un sujet de censure ; car l'écrivain sacré
n'aurait pas négligé une telle occasion de faire cette
exception si, en réalité, il s'y trouvait quelque chose
qui méritât la réprobation.
« À
quel titre pourrait-on considérer comme déshonorante ou
honteuse une pratique qui n'est interdite à personne, même
sous l'Évangile ? Car cette dispensation n'abroge aucun
des règlements civils antérieurs à son
introduction [34].
Il est seulement prescrit que les évêques soient élus
parmi ceux qui sont unis à une seule femme (1 Timothée
3:2, et Tite 1:6, 7). Ceci n'implique pas qu'il y ait du mal à
épouser plusieurs femmes, car dans ce cas la prohibition
aurait été imposée à tous également,
mais que ceux qui n'en ont qu'une seule, ayant par là même
une moins grande responsabilité dans les affaires domestiques,
auraient plus de loisirs à consacrer aux affaires de l'Église.
Donc, puisque la polygamie est interdite dans ce passage aux
ministres de l'Église seulement, et non à cause d'aucun
péché dans la pratique, et puisqu'elle n'est interdite
à aucun autre, ni dans ce passage ni ailleurs, il s'ensuit
qu'elle était permise, comme nous l'avons démontré,
à tous les membres de l'Église, et qu'elle était
pratiquée par beaucoup d'entre eux, sans aucun scandale.
« En
dernier lieu, et d'après l'épître aux Hébreux
(13:4), voici ma conclusion : La polygamie est ou le mariage, ou
la fornication, ou l'adultère ; l'apôtre ne
reconnaît pas un quatrième état. Le respect dû
à tant de patriarches qui étaient polygames empêchera,
je l'espère, de la considérer comme fornication ou
adultère ; car « Dieu jugera les fornicateurs
et les adultères », tandis que les patriarches
étaient les objets de sa faveur, comme il en témoigne
lui-même. Si donc la polygamie est à proprement parler
le mariage, elle est aussi, selon le même apôtre,
légitime et honorable : « le mariage est
honorable entre tous, et le lit sans souillure » (Hébreux
13:4).
« Il
me paraît suffisamment établi par ces arguments que la
polygamie est conforme à la loi de Dieu. Cependant, afin qu'il
ne reste aucun doute, je citerai de nombreux exemples d'hommes que
leur sainteté a placés au rang des modèles à
imiter, et qui figurent parmi les lumières de notre foi. Je
nommerai d'abord Abraham, le père de tous les fidèles
et de la sainte semence (Genèse 16) ; Jacob (Genèse
30), et, si je ne me trompe, Moïse (Nombres 12:1)... Ensuite je
rappellerai Gédéon, ce remarquable exemple de foi et de
piété (Juges 8:30, 31), et Elkana, l'austère
lévite, père de Samuel, qui était si loin de se
croire moins agréable à Dieu à cause de son
double mariage, qu'il prenait avec lui ses deux femmes, chaque année,
en la présence immédiate de Dieu, pour l'adorer et lui
sacrifier à Silo. Il ne fut pas réprouvé de
Dieu, mais au contraire s'en retourna chez lui béni du
Seigneur qui lui avait donné Samuel, l'excellent enfant de
promission (1 Samuel 1 et 2)...
« Je
viens à David, que Dieu aima au-delà de tout autre
homme, et qui prit deux femmes outre Mical ; ceci lui arriva,
non dans un temps d'orgueil ou de prospérité, mais à
l'époque où il était courbé par le
malheur, et lorsque, comme nous l'apprenons par beaucoup de psaumes,
il se livrait entièrement à l'étude de la parole
de Dieu et réglait sa conduite selon la droiture (1 Samuel
25:39-44). « Et David connut que l'Éternel l'avait
affermi roi sur Israël, et qu'il avait élevé son
royaume à cause de son peuple d'Israël, et David prit
encore des concubines et des femmes de Jérusalem »
(2 Samuel 5:12, 13). Tels furent les mobiles, telles furent les
pensées honorables et saintes dont il était animé,
savoir par la considération de la bonté de Dieu envers
son peuple d'Israël. Son entendement céleste et
prophétique ne voyait pas dans cette institution primitive ce
que dans notre aveuglement nous supposons voir si clairement. Il
n'hésita pas non plus à proclamer dans le conseil
suprême de la nation les mobiles purs et honorables auxquels il
a cru que ses enfants nés dans la polygamie devaient leur
existence. « Entre tous mes fils - car l'Éternel
m'a donné beaucoup de fils - il a choisi mon fils Salomon
pour le faire asseoir sur le trône du royaume de l'Éternel,
sur Israël » (1 Chroniques 28:5).
« Je
ne dis rien de Salomon, malgré sa sagesse, parce qu'il parait
avoir excédé les bornes convenables, quoiqu'on ne lui
reproche pas d'avoir pris beaucoup de femmes, mais d'avoir épousé
des femmes étrangères (1 Rois 11:1 ; Néhémie
13:26). Son fils Roboam prit beaucoup de femmes, non pendant les
mauvaises années de sa vie, mais durant les trois ans qu'il
marcha dans la voie de David (2 Chroniques 11:17, 21, 23).
« Nous
avons déjà parlé de Joas ; il se détermina
à prendre deux femmes, non pour satisfaire ses passions
licencieuses ou les désirs incontinents qui accompagnent le
pouvoir absolu, mais par le conseil et avec la sanction d'un homme
très sage et saint, Jéhojadah le sacrificateur.
« Qui
pourrait croire que tant d'hommes du caractère le plus saint
ont péché par ignorance pendant tant de siècles,
ou que leur cœur a été si endurci, ou enfin que
Dieu aurait toléré une telle conduite chez son peuple ?
C'est ici le cas d'appliquer la règle admise par les
théologiens : « La pratique des saints est le
meilleur interprète de la loi. »
Nous
pourrions multiplier les citations et établir surabondamment
la légitimité du mariage patriarcal ; mais nous
croyons en avoir dit assez sur ce principe. Il nous reste à
démontrer que si la polygamie est conforme à la loi
divine, à la nature et aux intérêts les plus
chers de l'humanité, son application ne blesse en rien ce que
l'on est convenu d'appeler la morale ou même les bienséances.
On ne s'attend pas sans doute à nous voir entrer dans des
détails explicites sur les relations intimes des époux
dans le territoire d'Utah ; il nous suffira de reproduire plus
loin, dans un extrait de l’article publié par M.
Stansbury, l'appréciation de ce judicieux écrivain.
Nous y renvoyons le lecteur.
Nous
trouvons une preuve irrécusable de la moralité qui
règne là où la polygamie est en vigueur, dans la
lettre même écrite par les juges fugitifs d'Utah, dont
nous parlerons bientôt. Dans ce document officiel, où
ils signalent au congrès de l'Union la polygamie pratiquée
par les mormons, on lit ce passage, que nous empruntons aux Archives
du christianisme
(Paris,
26 février 1852), où il est fidèlement et
littéralement traduit :
« Nous
regardons comme un devoir de consigner dans ce rapport officiel que
la polygamie ou pluralité des femmes est ouvertement pratiquée
dans le territoire d'Utah avec la sanction et l'autorisation directe
de l'Église. Cette coutume est si générale,
qu'on trouverait très peu de fonctionnaires, et peut-être
n'en est-il pas un seul, qui n'ait plusieurs femmes. Il en résulte
même un monopole extrêmement préjudiciable aux
fonctionnaires qu’on y envoie résider. »
À
coup sûr, cet hommage n'est pas suspect. Oui, il est certain
que la polygamie constitue, dans le territoire d'Utah, un monopole
extrêmement préjudiciable aux fonctionnaires libertins
qu'on y envoie résider. Où elle est en vigueur, il n'y
a plus de filles publiques pour les menus plaisirs de ces honnêtes
monogames. Voilà le résultat de la polygamie !
Quand ce
rapport fut publié pour la première fois, la presse
américaine fut unanime pour flétrir cette dernière
phrase, qui décèle dans ses auteurs, dont deux sont
mariés, une immoralité poussée jusqu'au cynisme.
Aussi leurs amis, dès la seconde édition du rapport,
ont-ils fait disparaître entièrement ce honteux passage,
qui d'ailleurs prouve directement le contraire de ce qu'ils veulent
prouver. M. Favez, qui possède la première édition,
à ce qu'il paraît, s'est permis, selon son habitude, une
petite addition de quatre mots, qui substitue au cri de la luxure
désappointée celui d'une vertueuse indignation. Il
transcrit (p. 70) : « ce qui établit un
monopole et présente un tableau pénible à
supporter pour les officiers qui y résident. »
Qu'est-ce, pour M. Favez, qu'une falsification de plus ou de moins ?
D'ailleurs, la fin sanctifie les moyens.
Nous
renvoyons, pour l'exposition et la discussion du principe de la
polygamie, aux traités publiés par notre Église.
En terminant, nous répondons à une petite méchanceté
de M. Favez, qui vient à notre adresse personnelle, comme
rédacteur du Réflecteur.
D'abord nous renvoyons notre adversaire à la fin de l'article
en question, page 6 de ce journal ; il y verra la date de 1839,
époque à laquelle la polygamie n'était pas
établie, puisqu’elle ne l'a été qu'en
1843.
La
révélation relative à la polygamie nous est
parvenue dans le Millennial
Star,
au moment même où ce numéro du Réflecteur
était
sous presse à Lausanne. Le même jour nous livrâmes
cette révélation à un traducteur, et nous nous
disposions à l'imprimer avec l'ouvrage de M. Pratt sur ce
sujet, dont nous avions déjà traduit dans ce but deux
numéros, quand nous apprîmes que la mission française
se proposait elle-même de publier tous ces documents. Dès
lors, et ne voulant rien précipiter dans une matière
qui exigeait des soins, nous prîmes le parti d'attendre.
L'ouvrage n'a pas encore paru.
CHAPITRE
IX
RÉBELLION
ENVERS LE POUVOIR CENTRAL DES ÉTATS-UNIS
M. Favez
prétend que les mormons d'Utah sont en rébellion
permanente contre le gouvernement de l'Union. Il publie, à
l'appui de son opinion, le rapport officiel des trois juges dont nous
avons déjà parlé. Expliquons-nous sur ce point,
et disons d'abord quelques mots sur ces trois juges, et sur leur
apologie écrite par eux-mêmes dans ce rapport.
M. Lemuel
G. Brandeburg, chef de la cour suprême de justice des
États-Unis pour le territoire d'Utah, M. Perry A. Brocchus,
son adjoint, et M. B. D. Harris, leur secrétaire, furent
envoyés par le gouvernement de Washington pour exercer leurs
fonctions dans la vallée du Grand Lac Salé. Leurs
places étaient de vraies sinécures, grâce à
l'intervention de l'Église dans les différends des
citoyens, intervention qui ne laisse pas aller leurs griefs jusqu'au
tribunal.
Ces
juges se conduisirent de manière à mériter
bientôt le mépris des mormons. Le juge Brocchus, dans la
conférence solennelle du 8 octobre 1851, et devant un nombreux
auditoire, oublia sa mission et les convenances jusqu'au point
d'applaudir aux persécutions que les mormons avaient endurées.
Son discours donna lieu à une correspondance publique entre
lui et le président Young, dans laquelle l'ignorance et la
méchanceté du juge furent mises à
découvert [35].
Les
Mormons, dont les plaies saignaient encore, avaient vu dans le
langage du juge Brocchus l'expression d'une malveillance qui ne leur
laissait aucune estime pour le caractère de ces gens chargés
de tenir parmi eux la balance de la justice. Dès ce moment, il
faut en convenir, les trois juges n'avaient plus été
entourés du respect de leurs justiciables. Personne ne saurait
en être surpris, Brandeburg et Harris virent, comme Brocchus,
qu'il leur était devenu impossible de rester là et d'y
être respectés ; ils se sauvèrent.
À
leur retour à Washington, ils adressèrent au président
des États-Unis, M. Millard Fillmore, l'incroyable rapport
reproduit par M. Favez, et dont on a fait tant de bruit. Avant de
saisir le Congrès de cette question, M. Fillmore voulut, comme
son impartialité lui en faisait un devoir, entendre les
explications du gouverneur Brigham Young, qui s'empressa de les lui
transmettre.
Il arriva
alors une chose que nos ennemis se gardent bien de raconter :
après avoir entendu et apprécié les
renseignements fournis de part et d'autre, M. Fillmore proposa au
congrès trois autres magistrats, dont deux étaient
mormons. Ces deux derniers, il est vrai, ne purent être agréés,
parce qu'ils n'avaient pas encore exercé de fonctions dans
l'ordre judiciaire. Ils furent donc remplacés par d'autres
(voir le New-York
Tribune
du
8 mai 1852). Ceux-ci furent accueillis de la manière la plus
convenable par les mormons.
On voit,
par cet exposé des faits, quel cas le gouvernement de l'Union
a fait du factum en question et de ses auteurs.
Après
la publicité donnée par nos ennemis au fameux rapport
de MM. Brandeburg, Brocchus et Harris, il est bon que nous mettions
sous les yeux du lecteur l'extrait d'une lettre écrite par
l'honorable L. H. Read, premier juge d'Utah, qui remplaça le
chef Brandeburg, à M. W. C. Rhodes. Cette lettre a été
publiée dans le Bath
Advocate,
des États-Unis, le 23 juin 1853.
« Cher
Monsieur, le matin du lundi 6 courant, je visitai Son Excellence le
gouverneur Young, pour lui présenter ma nomination, et il me
reçut et m'installa comme premier juge d'Utah. Ma réception
fut faite avec politesse et respect de la part du gouverneur Young,
qui avait pris des mesures pour que ma résidence ici fût
aussi agréable que possible. Le gouverneur est un homme très
distingué dans ses manières et dans sa conversation ;
je le crois un homme d'un talent remarquable, doué de bonnes
qualités intellectuelles. Je l'ai entendu une fois s'adresser
au public au sujet du libre arbitre. C'est un excellent orateur. Ses
gestes ont une grâce particulière ; son élocution
est distincte, son style agréable. Je fus extrêmement
édifié par son allocution et ses manières.
« C'est
un homme d'affaires de premier ordre. Comme il est gouverneur civil
du territoire et surintendant des affaires indiennes, on le
supposerait naturellement aussi occupé qu'il soit possible de
l'être. Mais, à ces emplois, il réunit encore
celui de président de l'Église, place qui ne ressemble
nullement à une sinécure. Ses propres affaires sont
étendues ; il possède des moulins et des scieries,
et est engagé dans un grand nombre d'exploitations agricoles
qu'il dirige lui-même.
« Je
suis convaincu qu'aucun homme n'a été plus
grossièrement calomnié que le gouverneur Young, ce qui
ne l'empêche pas d'être aussi bienveillant et libéral
qu'aucun autre ; mais s'il est attaqué ou taquiné,
on le trouve de difficile composition.
« La
ville du lac Salé est une merveille. Il n'y a pas six ans que
les premiers pionniers pénétrèrent dans la
Vallée. Il n'y avait pas alors un seul habitant civilisé,
pas la moindre trace de progrès ou de civilisation à
cinq cents milles à la ronde. Les mormons ne possédaient
rien au monde, sauf ce qu'ils apportaient avec eux sur des voitures.
« Le
sol est naturellement dur et sec ; il produit peu de chose sans
irrigation. Durant les premières années, les nouveaux
habitants souffrirent cruellement du manque de subsistance et d'abri
convenable. Ils vivaient principalement de racines, et furent souvent
forcés de manger les chevaux et les chiens. Maintenant le
peuple a en abondance toute espèce de légumes, et de
plus beaucoup de grain, de blé, et de la meilleure viande de
bœuf que j'aie jamais vue.
« La
ville est divisée en squares, et le nombre d'acres contenus
dans ses limites ne monte pas à moins de deux mille ;
chaque lot contient environ un acre. Toute personne d'un caractère
honorable et d'habitudes industrieuses peut obtenir un lot moyennant
une très faible somme, pourvu qu'elle y demeure et y bâtisse
une maison. Chaque lot peut être arrosé sans beaucoup de
dépense ni de peine. La ville même contient près
de 7000 habitants. J'ai remarqué un grand nombre de maisons
très bien construites et confortables, ainsi que quelques
jardins admirablement cultivés. Les bâtiments publics
déjà terminés sont convenables, bien construits,
et présentent un extérieur très agréable.
La ville et le pays sont bien pourvus d'ouvriers habiles pour chaque
branche d'industrie.
« Le
peuple entier semble bienveillant. Ils sont très industrieux,
ont beaucoup d'ordre, et je ne vois pas de raison pour qu'ils ne
soient pas aussi heureux que leurs concitoyens des autres parties de
l'Union.
« J'ai
assisté deux fois à l'office divin. Le rite du culte
ressemble tout à fait à celui des autres cultes. Les
sermons que j'ai entendus étaient convenables et très
bien énoncés. La musique vocale et instrumentale est
excellente. L'édifice affecté au culte est très
commode, et les assemblées sont ordinairement de plus de mille
assistants.
« La
population de la ville du lac Salé et du territoire d'Utah est
à peu près entièrement composée de
mormons ; je doute que les étrangers y soient plus de
deux cents. Les mœurs sont différentes de toutes celles
auxquelles nous sommes habitués. Presque toutes les affaires,
civiles ou religieuses, sont jugées par l'Église ;
les différends de toute espèce sont tranchés par
les conseils ecclésiastiques.
« Le
système de pluralité, comme ils l'appellent (la
polygamie), domine ; mais ceux qui supposent que la licence et
la dissolution des mœurs et de la morale y règnent, se
trompent fort. Les femmes sont très modestes et circonspectes
dans leur conduite. J'ai eu le plaisir d'être introduit auprès
d'un certain nombre, toutes intelligentes et agréables, et
qui, je pense, peuvent être comparées aux dames les
mieux élevées des États de l'Union. Elles sont
originaires de New-York et de la Nouvelle-Angleterre (celles dont je
parle), et ne diffèrent en rien de leurs sœurs des États
de l'Est. D'après tout ce que j'ai pu apprendre ou voir, il y
a moins de licence et de grossièreté dans cette ville
et ce territoire qu'en aucun autre lieu de même population aux
États-Unis. Les hommes sont jaloux de toute intervention dans
leurs affaires domestiques ; la séduction et l'adultère,
s'ils étaient découverts, courent le risque d'être
punis de mort. Quelques cas de cette nature se sont présentés
ici.
« Votre
ami dévoué,
« (Signé)
Laz. H. Read. »
Cette
lettre doit être connue de nos ennemis, car elle a été
publiée comme celle des trois juges dont ils font tant de
bruit ; mais elle contredit leurs accusations, et elle émane
d'un magistrat recommandable qui a le tort de n'être pas
hostile aux mormons et de leur rendre justice : c'est plus qu'il
n'en fallait pour empêcher MM. Favez et autres d'en dire un
seul mot. Voilà leur impartialité.
Le
rapport des juges fugitifs est donc loin de prouver que les mormons
soient dans un état permanent d'insubordination envers
l'autorité [36].
Ces magistrats, d'ailleurs, étaient témoins dans leur
propre cause. Nous dirons plus loin, en retraçant à
grands traits les persécutions que les saints ont souffertes,
combien eût été légitime la vengeance
qu'ils auraient pu en tirer.
Loin
d'obéir à leur ressentiment si violemment provoqué,
ils firent preuve d'une soumission admirable aux ordres du
gouvernement fédéral, dans des circonstances que va
nous raconter un écrivain loyal et consciencieux :
« …Dans
leur marche à l'occident, au travers du nord du comté
de Missouri, repoussés des frontières de l'Iowa par la
menace de nouvelles violences, ce n'est que dans le cours de l'été,
et après beaucoup de misères et de souffrances, que les
mormons parvinrent sur les rives du Missouri, en dehors des limites
des États. Là, ils s'arrêtèrent,
labourèrent la terre, l'entourèrent de clôtures
et y semèrent du blé pour la nourriture des troupes qui
devaient suivre la première expédition. Ils
s'apprêtaient à passer le fleuve et à continuer
leur route, quand ils furent atteints par un officier chargé
par le gouvernement fédéral de lever parmi eux un
bataillon de 500 hommes, destiné à servir dans la
guerre du Mexique. Quelque soudaine et extraordinaire que dût
leur paraître une semblable réquisition, les émigrants
n'hésitent pas ; pour y obéir, ils interrompent
leur voyage, et ceux qui restent, c'est-à-dire presque
uniquement les femmes et les enfants, s'apprêtent
courageusement à passer l'hiver au milieu des solitudes de ce
pays sauvage. Ils récoltent le fourrage, se construisent des
huttes de terre et de bois, et creusent autant de silos que le temps
et leurs forces affaiblies le leur permettent. « Vous
aurez votre bataillon complet, lors même qu'il devrait être
composé de tous nos Anciens », dit le président
Young ; et en trois jours cette force, recrutée tout
entière parmi des pères de famille, fut rassemblée
et prête à partir. Je ne pense pas qu'il soit possible
de trouver dans tous les États de l'Union un peuple plus
loyalement et véritablement patriote. » (Stansbury,
extrait de la Bibliothèque
universelle de Genève,
juin 1853, p. 208 et 209)
Ce trait,
d'un bataillon recruté pendant un voyage aussi malheureux, et
immédiatement organisé, est tout à fait
caractéristique.
Nous
n'avons pas encore indiqué un motif particulier de l'hostilité
que le mormonisme a éveillée chez les sectaires, et
spécialement chez les partisans du protestantisme, lequel,
suivant l'expression de M. Pichot, se trouve « réduit
en poussière par la multiplicité des Églises en
Amérique. » Ce motif, le voici :
« L'Église
mormone compte plusieurs ex-ministres des autres cultes chrétiens
dans les rangs de ses plus éminents défenseurs et
prélats. » (Presse
du
26 août 1853)
« Ils
entretenaient une violente polémique avec les Gentils,
c'est-à-dire les chrétiens, surtout avec les
méthodistes, justement alarmés des progrès d'une
Église qui leur enlevait leurs sujets d'élite. »
(Moniteur
du
25 mars 1852)
Telle est
l'origine de cette animosité. Une religion qui recrute ses
défenseurs les plus éminents parmi les ministres des
autres cultes chrétiens, des hommes tels que MM. Guers et
Favez appellent cela un piège grossier destiné à
tromper les hommes simples, crédules et ignorants !
Pour en
finir avec cette malveillante accusation de rébellion envers
l'autorité centrale, nous dirons à nos adversaires :
J. Smith a été traîné devant la justice
des hommes près de cinquante fois ; il a été
mis en jugement devant des tribunaux composés d'hommes
acharnés à le perdre ; on a entendu comme témoins
ses ennemis déclarés ; d'autres mormons ont été
poursuivis avec lui. Eh bien, apprenez-nous quelle condamnation les a
frappés. Mais surtout n'alléguez pas vaguement que
Joseph a été mis hors la loi, déclaré
banqueroutier, etc. ; précisez les faits, les actes. Nous
vous mettons au défi de le faire. Il est bien facile
d'inventer des imputations en l'air, mais il l'est un peu moins de
citer la date d'un jugement, d'un arrêt. Si vous restez muets
quand vous êtes sommés de justifier de telles
allégations, quelle espèce de célébrité
aurez-vous acquise par vos libelles ? Vous avez jeté la
calomnie au front d'un peuple loyal et généreux ;
vous avez flétri d'une accusation infâme des hommes
dévoués à leur foi jusqu'au martyre ; et
voilà que l'imposture retombe sur vos têtes !
N'est-ce pas justice ?
Le lecteur
a dû remarquer, non pas seulement dans cette partie de la
discussion, mais dans toute son étendue, la différence
qui existe entre la polémique de nos adversaires et la nôtre.
En même temps qu'ils appuient leurs injures sur les témoignages
de nos ennemis les plus ardents, les plus aveuglés par la
haine religieuse, ce qui exclut toute idée d'impartialité
et imprime à leurs œuvres un cachet de dénigrement
systématique qui saute aux yeux, de notre côté,
nous n'empruntons pas une ligne, pas un mot aux nombreux ouvrages des
membres de notre Église. Tel est l'avantage de notre position
face à nos adversaires, que la réponse à toutes
leurs attaques a été prise dans leurs propres écrits.
Ceci est significatif.
CHAPITRE
X
EXPLOITATION,
OPPRESSION
Nos ennemis
prétendent que les nombreux émigrants qui vont peupler
la vallée du Grand Lac Salé et le territoire d'Utah
sont exploités et maltraités en route par les
dirigeants de l'Église, et ils citent des lettres écrites
par divers émigrants, mormons désabusés. Voyons
si M. Favez, repoussé sur tous les points, aura enfin trouvé
le défaut de la cuirasse.
L'émigration
à la vallée du Grand Lac Salé est la pierre de
touche du mormonisme. C'est pendant ce long et pénible trajet
que les cœurs s'épurent au creuset de la souffrance ;
c'est là aussi que Satan redouble d'artifice pour faire tomber
dans le découragement et dans l'apostasie les hommes d'une foi
peu assurée. S'il y réussit de temps à autre,
qu'est-ce que cela prouve ? Est-ce quelque chose de nouveau ?
Moïse conduisait-il les Israélites pour les exploiter et
les duper ? Ouvrez la Bible, M. Favez, et lisez :
« Ils
partirent de la montagne de Hor par le chemin de la mer Rouge, pour
contourner le pays d'Édom. Le peuple s'impatienta en route, et
parla contre Dieu et contre Moïse : Pourquoi nous avez-vous
fait monter hors d'Égypte, pour que nous mourions dans le
désert ? » (Nombres 21:4, 5)
Lisez
encore :
« Toute
l'assemblée des enfants d'Israël partit d'Élim, et
ils arrivèrent au désert de Sin, qui est entre Élim
et Sinaï, le quinzième jour du second mois après
leur sortie du pays d'Égypte. Et toute l'assemblée des
enfants d'Israël murmura dans le désert contre Moïse
et Aaron. Les enfants d'Israël leur dirent : Que ne
sommes-nous morts par la main de l'Éternel dans le pays
d'Égypte, quand nous étions assis près des pots
de viande, quand nous mangions du pain à satiété ?
car vous nous avez menés dans ce désert pour faire
mourir de faim toute cette multitude. » (Exode 16:1, 2, 3)
Voici
maintenant un extrait de la lettre publiée par M. Favez (p.
75) :
« Après
qu'ils (les dirigeants mormons) nous eurent mis à bord du
vaisseau, ils nous laissèrent presque mourir de faim. Mon
garçon ne recevait par semaine que deux biscuits et une livre
de farine ; nous, nous en avions le double, et vers la fin, nous
ne recevions presque rien, de telle manière que nous
périssions de faim. »
Si les
enfants d'Israël, conduits par Moïse sous la direction du
Seigneur, témoins des miracles qu'il accomplissait chaque jour
pour pourvoir à leur nourriture, tombèrent dans le
découragement après six semaines de marche, faut-il
donc s'étonner des murmures de quelques Européens
pendant un pénible voyage de six mois, lorsqu'ils ne trouvent
pas, sur leur route, toutes les choses qui sont à leur portée
dans les vieux pays ? Encore ceux-là sont-ils très
peu nombreux, et pris parmi des gens qui, habitués à
satisfaire tous leurs besoins matériels, ne s'étaient
point préparés à une émigration qui exige
une foi solide et le courage d'un vrai chrétien.
M. Favez
accueille toutes ces récriminations sans aucun contrôle,
sans s'informer si les autres passagers ont été mieux
traités, sans même prévoir que de pareilles
infamies sont tout ce qu'il y a de plus facile à démentir,
car chaque navire tient un registre exact des circonstances de la
traversée, et les provisions, en particulier, sont l'objet
d'une surveillance spéciale des agents de l'autorité.
Il suffit, d'ailleurs, de lire les lettres en question dans le
libelle de M. Favez (p. 75 et suiv.) pour se faire une idée de
la moralité et de la véracité de leurs auteurs.
Cet écrivain a évidemment lu, dans les Mormons
illustrés,
le morceau suivant ; mais il n'a pas voulu faire un acte
d'impartialité en citant, en regard des lettres en question,
ce qui pouvait en démontrer la fausseté. C'est donc à
nous d'opposer à ces témoignages mensongers des
déclarations authentiques.
Le chef du
département de l'émigration à Liverpool, bureau
des paquebots de la Nouvelle-Orléans, donne les renseignements
suivants au sujet de l'émigration des mormons :
« Les
provisions qui leur sont fournies par l'agent qu'ils ont ici sont de
la meilleure qualité et toujours en abondance. En effet, aux
quantités que la loi exige par chaque passager, le supérieur
des mormons ajoute pour chaque espèce de vivres vingt livres
par tête, et un supplément notable de beurre et de
fromage. Les provisions non consommées pendant la traversée
sont remises aux passagers à leur arrivée à la
Nouvelle-Orléans, et distribuées par le supérieur
à chaque famille, selon le nombre de ses membres. »
(The
Mormons,
page 245)
La
loi exige déjà, pour une traversée qui dure
habituellement de quarante à soixante jours, des provisions
pour soixante-dix jours ; le dirigeant mormon y ajoute encore un
supplément, et la partie non consommée est distribuée
aux émigrants à leur arrivée. Ce document est
officiel ; qu'avons-nous de plus à répondre. Si
nous voulions publier des lettres qui attestent les soins affectueux
et prévoyants, la vigilance paternelle de nos dirigeants,
l'ampleur des approvisionnements, vérifiés d'ailleurs
par un commissaire et un médecin nommés par le
gouvernement, il faudrait des volumes. Nos adversaires seuls sont
capables de produire des assertions aussi dénuées de
toute vraisemblance [37].
Une chose
qui échappe à l'esprit égaré de M. Favez,
c'est qu'en aucun pays civilisé le pouvoir ne ferme les yeux
sur la police des approvisionnements dans les voyages maritimes, et
que la distribution des vivres est l'objet, pendant toute la
traversée, d'un contrôle sévère et
quotidien exercé par des agents qui ne trahiraient pas leur
mission au point de refuser justice à des plaintes de ce
genre, si elles étaient légitimes.
M. Favez
est tellement aveuglé par la haine, qu'il répète
dans sa brochure les reproches les plus ridicules. Ainsi (p. 76), il
fait un crime aux dirigeants mormons de ce que les passagers, quand
ils montèrent en bateau à vapeur sur le Mississipi,
furent mis avec des bœufs et des porcs. Est-ce que par hasard
les dirigeants mormons peuvent s'opposer à ce que les bateaux
du Mississipi transportent des bestiaux aussi bien que des
voyageurs ?
« Après
être débarqués à Keokurk, continue
l'auteur de la lettre, nous dûmes loger dans nos tentes où,
pendant un orage épouvantable, nous souffrîmes d'une
pluie si forte que l'eau courait au travers. Nos fournitures de lit
étaient mouillées et dégouttaient. Nous ne pûmes
trouver de soulagement ; il fallut nous résigner à
souffrir. » (page 75)
Arrive-t-il
un orage, les dirigeants mormons en sont cause, comme on voit. Et
néanmoins ils partagent le sort de leurs compagnons ; eux
aussi, en pareil cas, se résignent à souffrir. L'orage
et ses suites n'en deviennent pas moins un crime de leur part.
Conçoit-on que M. Favez ose répéter de pareilles
inepties ?
Nous
ne voulons pas, certainement, répondre à tous les
paragraphes de ces lettres. Nous en avons relevé la partie
sérieuse, celle des vivres, afin d'en montrer la fausseté,
en même temps que le défaut absolu de jugement et de
critique qui caractérise nos adversaires. Nous laissons le
reste. Ce qu'il y a de certain, c'est que si, par des circonstances
que nous ne connaissons pas, il était arrivé que la
distribution des vivres eût diminué, comme cela arrive
lorsque le calme retient un navire en route au-delà du temps
habituel [38],
les passagers, même dans ce cas, n'auraient rien perdu à
l'accomplissement de ces mesures, dictées par une sage
prévoyance, puisque les provisions non consommées leur
sont remises à leur arrivée à la
Nouvelle-Orléans. De ce côté encore, nos ennemis
ne peuvent nous atteindre.
La lettre
publiée par M. Favez renferme quelques noms qui nous sont
connus, et sur lesquels nous avons des renseignements positifs et
récents. Ainsi, M. Howels, que l'auteur fait mourir dans son
atelier, est mort à Kanesville, frontière des
États-Unis, au milieu des préparatifs qu'il faisait
pour se rendre à la vallée du Grand Lac Salé.
C'était un des premiers missionnaires de l'Église en
France ; précédemment il avait été
ministre baptiste dans le pays de Galles, sa patrie. Au moment où
la mort vint le frapper, il était à la tête d'un
commerce prospère. Sa veuve épousa un autre mormon,
avec lequel elle se rendit dans la vallée, où leurs
affaires sont aujourd'hui en bon état.
Voici une
calomnie contenue dans la lettre d'un émigrant, publiée
par M. Favez (p. 77), et à laquelle nous voulons répondre
en peu de mots, parce qu'elle est dirigée contre un homme dont
l'amitié nous est chère et flatteuse. Il est désigné
seulement sous l'initiale S., mais nous ne craignons pas de faire
connaître son nom : c'est M. Claudius V. Spencer, membre
d'une des plus respectables familles de l'Église, bien connue
par sa fidélité et ses vertus.
« Maintenant,
dit cet émigrant, ce qui m'indigne le plus, c'est S... Quand
il venait à Buckenham, il ne pouvait pas seulement payer sa
place ; et maintenant il possède deux paires de bœufs,
une chaise de poste, deux beaux chevaux, un cocher et un wagon chargé
des meilleures fournitures. »
Voici la
vérité. M. Spencer, envoyé du Grand Lac Salé
en Angleterre, partit sans bourse ni bâton, comme tous les
missionnaires de notre Église. Il fut nommé président
de la conférence de Norwich, et là il épousa
Mlle
King,
fille d'un riche fermier près de Cambridge. Quand M. Spencer
dut retourner en Amérique, son beau-père l'accompagna
avec sa famille, après avoir vendu tout ce qu'il possédait
en Angleterre, et ils firent le voyage ensemble. M. Spencer avait la
direction des affaires et du matériel assez confortable
appartenant à M. King ; c'est à ce titre qu'on l'a
vu en possession des objets dont parle la lettre de l'émigrant,
lettre écrite dans une intention facile à saisir.
Du reste,
peut-on raisonnablement admettre l'exploitation et l’oppression
dont parlent nos adversaires, dans une nation qui se forme
aujourd'hui au moyen de l'émigration, chez un peuple où
règne l'égalité, où le vote populaire
peut chaque jour renouveler ses chefs et mettre l'opprimé à
la place de l'oppresseur ?
Nous
terminons sur ce sujet en empruntant au Journal
des Débats
(7
novembre 1850) quelques lignes d'un article où il publie les
renseignements donnés par le directeur de la maison Pilkington
et Wilson, de Liverpool, bureau des navires à destination de
la Nouvelle-Orléans :
« À
ceux qui connaissent par expérience le désordre et la
malpropreté qui règnent sur les navires chargés
d'émigrants, la discipline des mormons, pour tout ce qui
regarde la décence et la moralité, est digne des plus
grands éloges. La plupart des lits, sinon tous, sont entourés
de rideaux qui permettent de s'habiller et de se déshabiller
sans être vu. Dans la distribution des logements, les membres
de chaque famille sont toujours réunis… Le président
continue pendant la traversée à surveiller la conduite
des passagers, la distribution de l'eau et des vivres, etc. À
la mer, les commissaires font la police. Ils se partagent par moitié
l'inspection des entreponts, ils veillent à ce que chacun soit
dans son lit à huit heures et debout au point du jour, à
ce que les lits soient faits, les ordures balayées, mises dans
des bailles et jetées à la mer avant sept heures.
L'obéissance des passagers à l'égard de ceux
qu'ils ont élus est vraiment merveilleuse ; le plus petit
mot fait loi, est respecté et obéi avec empressement ;
entre eux ils s'appellent frère
et
soeur.
D'après l'expérience que j'ai aujourd'hui des navires
d'émigrants, je peux dire en toute certitude qu'il ne serait
pas seulement avantageux au bien-être et à la santé
de leurs passagers d'imiter, s'il était possible, la
discipline que les mormons s'imposent pour l'ordre, pour la propreté,
etc., mais encore que l'adoption d'un système analogue
sauverait l'existence à une foule de malheureux qui meurent
aujourd'hui de misère pendant les traversées. [39] »
Voici une
lettre qui ne répond pas directement aux accusations
d'exploitation que nos adversaires ont lancées contre les
dirigeants de l'Église ; mais elle donne d'autres détails
que nous jugeons bon de publier, surtout parce que la lettre a été
écrite par un citoyen suisse étranger à notre
Église.
« Springville,
territoire d'Utah, le 30 septembre 1852. » Chère
mère, chers frères et parents,
« Par
l'occasion qui se présente, je vous transmets quelques lignes
de mes nouvelles. Je suis, Dieu merci, en bonne santé et de
joyeuse humeur. Je vis ici, dans l'ouest de l'Amérique
septentrionale, aussi libre, tranquille et heureux que je le fus dans
ma chère et belle patrie, que je n'oublie pas. Je resterai ici
quelques années ; car, tandis qu'on ne voit dans presque
toutes les parties du monde que guerres et dissensions, il règne
ici, parmi ce peuple, un calme et une harmonie qu'on ne rencontre
nulle part. Tous sont véritablement prévenants les uns
envers les autres, de sorte que personne ne se trouve dans le besoin,
pas même ceux qui sont arrivés dans ce pays dénués
de tout ; en peu de temps on peut s'y acquérir une
position indépendante et libre par un travail
persévérant [40].
« Qui
ne connaît ces chères et belles contrées de la
Suisse et de l'Italie, si riches et si heureuses, sauf les
révolutions qui les tourmentent. Sous le même climat que
ces pays, il y a ici un grand nombre de vallées inhabitées,
dont le sol est fécond et l'atmosphère très
saine, où le froment prospère aussi bien que sur les
rives du Nil. Ayant voyagé, comme vous savez, dans une grande
partie du monde, je n'ai trouvé nulle part des vallées
d'une étendue aussi considérable, dont le magnifique
climat, les eaux pures et salubres, les fleuves et les lacs
extrêmement abondants en poissons, seraient propres à
rendre heureux des millions d'hommes. Il serait à désirer
qu'on pût aider ceux qui sont dans la misère en Europe,
afin qu'ils pussent venir dans ce pays, où ils trouveraient un
asile heureux et tranquille.
« Les
montagnes Rocheuses, hautes et couvertes de neige, qu'on voit au loin
élever leurs cimes dans les nues, donnent à cette
contrée quelque ressemblance avec la Suisse.
« Plusieurs
de ces vallées sont depuis quelques années habitées
par une Église appelée les mormons. Cette Église
s'accroît d'une manière extrêmement rapide ;
presque tous les jours on annonce de nouvelles arrivées
d'émigrants de toutes les parties du monde, et en ce moment
même il y a près de onze mille personnes en route pour
venir ici. C'est le rendez-vous de toutes les nations de la terre ;
blancs et noirs, Indiens et Chinois vivent ici dans une harmonie
qu'on trouve rarement parmi les membres d'une famille. Des centaines
de chefs de famille, hommes respectables et distingués,
partent de temps en temps, quittant patrie, femmes et enfants, pour
aller dans toutes les parties du globe prêcher les doctrines de
leur religion.
« Malgré
l'aversion que vous me connaissez pour tout parti religieux, aversion
que j'éprouvai également pour les mormons avant de
connaître parfaitement leurs principes et les motifs de leur
séparation, je dois vous avouer mes dispositions favorables à
l'égard de ce peuple et de leurs doctrines. Tous leurs dogmes
sont fondés sur la Bible, et ce n'est qu'en fréquentant
ces hommes qu'on peut être éclairé sur les
principaux points de leur croyance. L'esprit de cette doctrine est
tel, qu'il est facile à tout homme sincère d'entrer
dans l'Église des mormons, et c'est par elle que l'on
parviendra à réaliser dans peu de temps ce qu'on n'a pu
faire jusqu'à présent par la force des armes,
c'est-à-dire délivrer le pauvre monde de l'esclavage et
de la servitude sans être forcé de verser le sang
humain.
« Avant
d'arriver dans ce pays, j'ai entendu les calomnies les plus odieuses
aux États-Unis sur ce peuple ; mais depuis que je suis
ici, je vois tout le contraire. Pour leur foi, ils ont abandonné
tous leurs biens ; ils ont bravé mille dangers, et même
la mort, pour chercher dans ces contrées un asile contre les
persécutions. Mais Dieu les a bénis ; ils se
trouvent maintenant dans une prospérité qu'on ne voit
nulle part. Plusieurs villes ont été élevées
en peu d'années, et le nombre en augmente rapidement. Dans une
prochaine lettre je vous en dirai davantage sur ces choses, et avec
plus de détails.
« M.
Jacob Houtz, qui vous portera cette lettre, est un de ces
missionnaires dont je vous ai parlé. Lui aussi a quitté
ce qui lui était cher, bravant les dangers, sans autre but que
l'intérêt de ses semblables. Il vous fera connaître
les doctrines de l'Église de J.-C. des saints des derniers
jours. Ayant déjà travaillé chez lui pendant un
an, je travaillerai pour lui à tâche jusqu'à son
retour. C'est un homme qui mérite la confiance de ses
semblables ; et quoique je ne sois pas encore entré dans
leur Église, il m'a toujours traité en ami. J'espère
que vous accueillerez hospitalièrement et amicalement cet
homme et son compagnon de voyage [41],
et que, dans le cas où ils seraient persécutés,
vous les protégerez autant que cela dépendra de vous,
en leur donnant un asile. Connaissant vos sentiments d'humanité,
et convaincu que vous répondrez à mes vœux,
j'ajoute que tout ce que vous ferez à ces hommes, vous le
ferez à moi-même, et je vous en serai reconnaissant.
« En
vous saluant, je vous recommande à la garde de notre Père
céleste.
« Votre
fils, frère et ami.
« (Signé)
Jean M...., de D.... (canton de Zurich.) »
Cette
lettre doit paraître digne de confiance. Elle est d'une date
assez récente, eu égard à la distance qu'elle a
dû franchir. La branche de Zurich en possède l'original,
qui est écrit en allemand ; MM. Guers et autres peuvent
s'y adresser pour constater l'authenticité de la lettre et le
caractère de l'auteur. De plus, M. M...., n'est pas encore
mormon ; il éprouvait de l'aversion pour tous les partis
religieux, même pour notre Église. Mais après une
année d'examen de nos principes et de relations intimes avec
nos frères, pendant laquelle il a pu reconnaître les
calomnies lancées contre nous, le voilà qui va devenir
mormon. Comparez cette lettre, écrite par un ouvrier simple et
honnête, avec les documents passionnés des ministres
américains, et dites de quel côté est
l'expression sincère d'une opinion libre et éclairée.
Le lecteur
est maintenant édifié sur la valeur des assertions de
nos ennemis. Pas plus dans l'accusation d'exploitation que dans
celles d'imposture, d'immoralité, de vol, de rébellion
envers le pouvoir central, ils n'ont rien pu prouver. Bien plus,
leurs propres documents se sont tournés contre eux ; ils
se sont démentis l'un par l'autre. Une seule chose reste
démontrée jusqu'à l'évidence : c'est
que nos adversaires, dont quelques-uns, nous le disons avec peine,
sont des ministres du Dieu de vérité, ont eu recours à
toutes les formes que peut revêtir le mensonge, dans le but
d'appeler sur nous et sur nos doctrines le mépris de leurs
lecteurs, et que, dans le paroxysme du zèle religieux qui les
tourmente, ils n'ont pas même reculé devant l'altération
volontaire des textes, devant le faux.
CHAPITRE
XI
PERSÉCUTIONS
ÉPROUVÉES PAR LES MORMONS
Nous
pourrions nous arrêter ici, car nous avons largement rempli
notre tâche, qui consistait à repousser des calomnies
lancées sous le masque de la religion et de la vertu. Si nous
consacrons quelques pages à l'historique des persécutions
dirigées contre les saints, c'est parce que nous tenons à
établir que les ouvrages de MM. Guers, Favez et autres ne sont
que la queue de ces persécutions, dont les premiers
instigateurs, en Amérique, furent des ministres méthodistes.
C'est toujours le même esprit qui nous poursuit : les
personnes seules changent suivant les climats. Du reste, le tableau
de ces violences offrira certains détails qui manquent à
cet opuscule, et achèvera de faire connaître les moyens
employés par nos adversaires, dans une contrée où
la liberté des cultes est consacrée et garantie par la
Constitution. Dans ce chapitre encore, c'est chez nos ennemis que
nous prendrons nos documents.
Le
prédicateur Caswall, que nous avons déjà cité,
a écrit un second ouvrage intitulé : Prophet
of the nineteenth century
(le
prophète du dix-neuvième siècle), où il
prend plaisir à raconter en détail les actes de cruauté
commis envers les mormons.
« Une
bande malheureuse, dit-il, de 190 femmes et enfants protégés
seulement par trois hommes, voyagea dans une direction l'espace de
plus de vingt milles (dont neuf sur une plaine aride), sans oser
s'arrêter pour attendre l'arrivée de leurs maris et
pères. Dans une autre direction, environ 200 femmes et enfants
ont continué jusqu'à la rivière Missouri, où
ils passèrent la nuit entière, sans abri, par une grêle
humide et un froid pénétrant. Par suite de cette
persécution, beaucoup de mormons moururent, tandis que leurs
ennemis triomphants brûlaient leurs maisons abandonnées
et prenaient possession de leurs bestiaux, de leurs meubles, de leurs
provisions et des terrains qu'ils avaient mis en culture. Encore le
mardi 30 octobre, 240 miliciens qui n'étaient pas attendus
attaquèrent une petite compagnie de Mormons à Haun's
Mills (Moulins de Hauns). Une vingtaine de ces derniers ont été
poussés dans une forge de maréchal où ils furent
massacrés de sang-froid. Les ennemis ont fait feu avec leurs
carabines par les interstices des planches dont le bâtiment
était construit. Un enfant de neuf ans a survécu un
instant au massacre général en se blottissant sur le
soufflet. Il fut ensuite découvert et fusillé. L'auteur
de sa mort s'est justifié en disant froidement : « Les
petits rejets deviennent de grands arbres ; si l'on permet à
cet enfant de vivre, il deviendra mormon comme son père. »
Un vieillard, qui avait été soldat dans la révolution
américaine, tomba frappé d'une balle, mais il vivait
encore. Un des ennemis prit une faux et trancha les doigts de ce
vieillard lorsqu'il étendait les bras pour demander
miséricorde. Il lui détacha ensuite les deux mains,
puis les deux bras, puis enfin la tête roula séparée
du tronc. »
La
férocité qui animait le prédicateur anglican
Caswall s'exprime encore dans les lignes suivantes, extraites du même
ouvrage (p. 178). Disons auparavant que lors de la persécution
du Missouri, quand les milices se disposaient à exécuter
l'ordre d'extermination du gouverneur Boggs [42],
le colonel Hinkle, commandant de la milice des mormons, se rendit au
camp des ennemis. À son retour, il annonça à
Joseph Smith que s'il voulait s'y présenter avec Sidney
Rigdon, Parley P. Pratt et autres dirigeants de l'Église, il
pourrait y avoir un arrangement qui empêcherait l'effusion du
sang. Ceux-ci, confiants dans cette parole, s'y rendirent avec lui.
Ils étaient à peine arrivés devant le général
ennemi, lorsque Hinkle, s'adressant à lui, dit : « Voici
les prisonniers que j'ai promis de vous livrer. » Ils
furent arrêtés, jugés et condamnés le même
soir, après avoir essuyé plusieurs décharges
d'armes à feu. Laissons maintenant parler Caswall :
« Une
cour martiale fut tenue pour juger les prisonniers, sous la
présidence du général Lucas. La commission
militaire se composait de dix-neuf officiers de la milice et dix-sept
prédicateurs de différentes Églises, qui avaient
servi comme volontaires contre les mormons. Cette singulière
cour décida que le prophète et ses camarades seraient
conduits sur la place publique de Far-West, et là, fusillés
en présence de leurs familles. »
Caswall ne
dit pas s'il se trouvait lui-même parmi les dix-sept
prédicateurs ; au moins il était digne de figurer
dans ce sauvage tribunal, car il approuve la sentence sanguinaire
dans les lignes qui suivent :
« Si
ce jugement eût été exécuté, des
milliers d'hommes auraient été sauvés de
l'infamie du mormonisme, et Smith serait entré dans l'éternité
avec un fardeau moins lourd de crimes irrémissibles. »
Ô
pieux regret ! zèle religieux comparable, sinon supérieur
à celui de Torquemada ! Ô mansuétude des
gens d'église ! Poussés par une ardente rivalité,
des ministres du Dieu de paix, oubliant les haines qui divisent leurs
Églises, saisissent le mousquet et s'enrôlent pour faire
feu sur les mormons ! Ne pouvant les vaincre quand ils prennent
les armes pour défendre leurs foyers, ils soudoient un Judas
qui les livre par trahison, et, juges altérés de sang,
les condamnent à être fusillés sur la place
publique, en présence de leurs familles ! Et un ministre
chrétien a le courage de publier ce honteux monument de
l'atrocité sacerdotale !
MM. Guers
et Favez ont soin de garder le silence sur ces abominations. Ne
craignez pas qu'il leur arrive de dire la vérité,
surtout si cette vérité doit flétrir leurs
confrères de l'Amérique. La vérité !
mais est-ce donc là ce qu'ils veulent faire connaître ?
Ils ont cité Caswall, mais seulement dans ses calomnies contre
nous, jamais dans le récit de nos souffrances.
Empruntons
maintenant à M. Pichot quelques citations qui formeront une
esquisse rapide de nos persécutions, et n'oublions pas, en
lisant les appréciations de cet écrivain, qu'il est un
de nos plus ardents ennemis.
« Tandis
que les dissensions de son Église se trouvaient provisoirement
calmées par de judicieuses mesures, Joseph Smith voyait
croître l'animosité des Missouriens contre toute la
secte. Pendant le mois d'avril, dit-il dans son autobiographie, la
première émeute régulière s'assembla à
Indépendance (Sion) pour délibérer sur
l'expulsion ou la destruction immédiate de l'Église
dans le comté de Jackson. Le nombre des émeutiers était
d'environ trois cents…
« Après
avoir passé la journée en vains efforts pour se mettre
d'accord sur un plan d'expulsion des mormons, les liqueurs fortes ne
contribuant guère à éclaircir les idées,
les émeutiers finirent par un véritable vacarme
missourien, et chacun résolut d'en faire à sa tête...
Les mormons étaient insultés, parfois même battus
dans les rues et sur les routes ; les querelles et les
collisions devenaient de plus en plus fréquentes.
« Les
mormons résolurent de réclamer la protection de M.
Dunklin, gouverneur de l'État de Missouri, et de lui demander
justice des outrages infligés à la secte... Le
gouverneur Dunklin écrivit une lettre pleine de sens et de
conciliation en réponse à la pétition des
mormons ; il déclara l'attaque dont ils avaient été
l'objet illégale et injustifiable ; il leur conseillait
de rester où ils étaient et de s'adresser, pour le
redressement de leurs griefs, aux tribunaux ordinaires du pays. La
lettre eut une grande publicité, et les mormons, comptant sur
la protection du gouverneur, résolurent de rester dans le
Missouri et de bâtir Sion. Ils intentèrent même
une action contre les principaux meneurs de l'émeute, et
s'assurèrent, moyennant mille dollars, les meilleurs avocats
pour plaider leur cause.
« La
populace n'en courut pas moins de nouveau aux armes le 30 octobre
pour les expulser. La toiture de dix des maisons des saints fut
enlevée, et ces mêmes maisons en partie démolies,
dans un endroit nommé Big-Bluc. Plusieurs autres maisons
furent également saccagées quelques jours après
à Indépendance. Les mormons, dans certains cas,
défendirent leurs propriétés, et il s'ensuivit
un combat régulier entre une trentaine de saints armés
de fusils et un beaucoup plus grand nombre de Missouriens également
bien armés. Dans cette échauffourée, deux des
anti-mormons furent tués. Les choses prirent un aspect si
alarmant, que l'on convoqua la milice sous le commandement du
lieutenant-gouverneur Boggs. Malheureusement cette milice était,
depuis son chef jusqu'au dernier homme, hostile aux mormons, et les
malheureux saints virent bien qu'ils n'avaient pas d'autre
alternative que de combattre. »
Nous
publierions des volumes sur ces vexations, durant lesquelles les
mormons n'obtinrent jamais la protection des lois et des
fonctionnaires. L'histoire de notre Église se confond avec
celle de ses persécutions. Parmi nos ennemis, les hommes
d'Église seuls se refusent à flétrir nos
bourreaux ; quelques-uns vont jusqu'à les glorifier !
Dieu leur pardonne !
CHAPITRE
XII
LES
MORMONS ET LA VALLEE DU GRAND LAC SALÉ
Parmi les
écrivains qui se sont occupés des mormons, il en est
qui, quoique étrangers à l'Église et peu
sympathiques, hostiles même à ses doctrines, ont
rapporté les faits avec cette simple impartialité sans
laquelle un auteur n'est qu'un brouillon indigne de tout respect. La
relation du capitaine Stansbury, entre autres, porte un tel cachet de
vérité, de loyauté, de justesse dans les
appréciations, que les honorables éditeurs de la
Bibliothèque
universelle de Genève
ont
cru devoir en enrichir leur savant recueil (n° de juin 1853 ;
Genève, Cherbuliez). Là du moins elle a été
reproduite fidèlement. Comme la Bibliothèque
universelle
n'est
pas dans les mains de beaucoup de personnes, nous lui emprunterons
quelques extraits, dignes à tous égards de la confiance
du lecteur ; car M. Stansbury, revêtu d'une mission
officielle, s'est rendu sur les lieux, y a séjourné
plus d'une année, et a pu étudier à fond la
conduite des mormons et l'établissement tant décrié
par nos ennemis.
Nous
citerons également M. Gunnison. Malgré des préventions
qui l'ont parfois conduit loin de la vérité, cet
auteur, en général, raconte d'une manière
consciencieuse ce qu'il a vu. Bien différents des pamphlets
auxquels nous venons de répondre, leurs écrits,
quoiqu'ils trahissent une antipathie de doctrine fortement sentie,
sont exempts de cet esprit de coterie religieuse, de ce style outré
de réquisitoire, de ce désordre d'idées, de ces
contradictions flagrantes que nous avons tant de fois signalés
dans les brochures de MM. Guers et Favez, qui écrivent à
trois mille lieues de ce peuple dont ils ne connaissent ni la
religion, ni les lois civiles, ni les mœurs, sinon par les
documents suspects transmis par leurs confrères d'Amérique,
documents que l'un de nos adversaires a flétris par cette
phrase déjà citée : « Auprès
de certains prédicants de dénominations diverses et
multiples, le Tartufe de Molière n'est qu'un écolier. »
Avant de
laisser parler MM. Stansbury et Gunnison, nous allons publier
quelques fragments des lois qui régissent aujourd'hui le
territoire d'Utah. Le lecteur jugera si ces lois, votées par
le corps législatif dans la session de 1851, sont celles d'un
peuple « livré à tous les genres de débauche
et d'immoralité. »
« Celui
qui aura connu par violence une personne âgée de dix ans
ou plus, ou qui aura abusé d'une enfant au-dessous de dix ans,
sera puni d'un emprisonnement à vie ou pendant dix ans au
moins.
« Si
quelqu'un prend une femme contre sa volonté, à l'aide
de la violence ou des menaces, et la force de l'épouser, lui
ou quelque autre, ou la déshonore, il sera puni d'une amende
de mille dollars au plus et d'un emprisonnement qui n'excédera
pas dix ans.
« Celui
qui aura connu illicitement une femme, en lui administrant quelque
substance capable de produire la stupéfaction ou la faiblesse
du corps pour prévenir sa résistance, sera puni de la
peine portée au paragraphe relatif au crime de viol.
« Si
quelqu'un séduit ou débauche une femme non mariée
et réputée chaste, il sera condamné à un
emprisonnement de un à vingt ans, et à une amende de
cent à mille dollars.
« Celui
qui aura attenté à l'honneur d'une femme, sera puni
d'un emprisonnement de vingt ans au plus et d'une amende qui sera
fixée par la cour.
« Si
quelqu'un commet l'adultère, il sera puni d'un emprisonnement
de trois à vingt ans, ou d'une amende de trois cents à
mille dollars, ou de ces deux peines réunies, suivant la
décision de la cour. Si le crime est commis par deux personnes
dont l'une est mariée, toutes deux sont coupables d'adultère
et punies comme telles. Nulle poursuite en adultère ne sera
faite que sur la plainte de l'époux ou de la femme.
« Si
un homme et une femme, même mariés, vivent ensemble
d'une manière dissolue ; si l'un ou l'autre se rend
coupable d'exposition déshonnête de sa personne ou de la
personne d'autrui, le coupable sera puni d'un emprisonnement de six
mois à dix ans, ou d'une amende de cent à mille
dollars, ou de l'une et de l'autre peine, suivant qu'il plaira à
la cour.
« Quiconque
tiendra une maison destinée à la prostitution ou à
la dissolution sera puni d'un emprisonnement de un à dix ans,
et d'une amende qui pourra s'élever jusqu'à cinq mille
dollars, ou de ces deux peines cumulées. En cas de récidive,
la peine sera portée au double.
« Si
quelqu'un trompe une femme réputée vertueuse et
l'attire dans une maison de débauche, ou recèle
sciemment ou aide à recéler quelque femme ainsi abusée,
dans le but de la prostituer, il sera puni d'un emprisonnement de
cinq à quinze ans.
« Si
quelqu'un importe, imprime, publie, vend ou distribue un livre,
pamphlet, chanson, ou tout autre écrit contenant un langage
obscène, ou des peintures et descriptions déshonnêtes,
tendant ouvertement à corrompre la moralité des jeunes
gens ; si quelqu'un introduit un de ces imprimés dans une
famille, école ou lieu d'éducation quelconque ; si
quelqu'un achète, procure, reçoit ou possède de
tels imprimés dans le but de les vendre, exposer ou colporter,
il sera puni d'une amende qui pourra s'élever à quatre
cents dollars. »
Nos
ennemis, qui ne manquent jamais d'arguments, révoqueront en
doute la stricte et rigoureuse exécution de ces lois ; et
vraiment nous n'osons pas affirmer que depuis leur promulgation elles
aient été appliquées une seule fois. Il est
probable, au contraire, que l'occasion ne s'en est pas présentée.
Mais il ne faut pas en conclure que, le cas échéant, la
justice trahirait son devoir ou fermerait les yeux. Ici nous avons le
témoignage d'un écrivain non suspect de sympathie
envers nous :
« La
justice, disons-le à la louange de qui de droit, est bien
mieux administrée chez les mormons qu'eu aucun pays civilisé
de la terre. »
Et plus
loin :
« Les
mormons sont en faveur de la peine de mort applicable à tous
les crimes qui ébranlent les bases de la morale publique. »
(La Presse,
feuilleton du 28 août 1853)
Gunnison et
Stansbury nous apporteront bientôt d'autres témoignages
qui donneront le coup de grâce aux libelles de MM. Guers et
Favez. Pour le moment, extrayons encore quelques passages de la
Presse :
« Le
travail est justement considéré chez cette secte comme
la source de toutes les vertus humaines. Le paresseux y est maudit et
rejeté comme une plante parasite et vénéneuse.
Le moindre châtiment qu'on inflige à l'oisif sans
fortune, c'est de le laisser gémir ou succomber sous le poids
de la misère. Par travail, les saints n'entendent pas
seulement une occupation quelconque, soit physique, soit
intellectuelle, mais un labeur productif. L'esprit ne suffit pas pour
le travail ; il faut, disent-ils, que les mains participent à
l'œuvre de chaque jour. Joseph n'était lui-même
dispensé ou excusé à Kirtland du labeur manuel,
qu'en raison des soins excessifs qu'exigeaient de lui les affaires
administratives.
« La
bureaucratie est exécrée chez les mormons. Le président
actuel donne l'exemple des devoirs qu'un bon citoyen doit remplir
pour mériter la considération de ses semblables, en
travaillant lui-même de son état de charpentier, qu'il
exerçait avant sa conversion au nouveau culte, à la
tête duquel son mérite l'a placé. Ce haut
personnage travaille comme un simple ouvrier aux moulins qu'il
possède non loin de la métropole où il réside.
« Les
sectaires ne paient pas d'autre impôt que la dîme de ce
qu'ils obtiennent du fruit de leurs bras, et ce revenu est employé
à faire face aux frais du culte et aux travaux les plus utiles
à la communauté. En un mot, le travail est aussi sacré
et impérieusement prescrit aux adeptes que la foi et la
prière. Aussi le clergé se fait-il gloire de savoir
diriger la charrue et l'outil de l'artisan, aussi bien que célébrer
le service divin et faire retentir les vérités du ciel
du haut de la chaire du temple.
« Ce
système social produit d'excellents effets en mettant sans
cesse en contact tous les membres du clergé avec les fidèles.
Ces rapports intimes leur permettent de se bien connaître, de
s'apprécier et de s'estimer les uns les autres avec
connaissance de cause ; car l'hypocrisie devient impossible dans
des relations journalières qui ont lieu sur le théâtre
du travail et de la fraternité. De là l'influence
extraordinaire que le prêtre mormon exerce sur les sectaires.
Connaissant les besoins, le caractère, le degré
d'instruction des fidèles, le prêtre ne fait jamais
fausse route avec eux, aussi bien à l'intérieur du
temple qu'à l'extérieur.
« Le
mormonisme est perfectible, ainsi que le prouvent les révélations
qui en changent et reconstituent sans cesse le dogme. L'erreur ne
peut donc manquer d'être éloignée et bannie d'un
culte qui prend le progrès, c'est-à-dire la perfection,
pour juge.
« La
civilisation fait souvent usage d'instruments étranges pour
déblayer son chemin et marcher à son but. Cette secte
qui menaçait de détruire, disaient les envieux et les
peureux, la république des États-Unis, la religion et
la famille, va produire une nation qui promet, au contraire, de
raffermir et d’épurer tout ce qu'elle semblait vouloir
anéantir dans le principe.
« Par
son travail incessant, son intelligence collective et sa bonne
administration, cette secte a déjà transformé un
immense désert sauvage en région fertile et
hospitalière. Le glorieux étendard fédéral
y flotte dans toutes les directions, pour y servir de guide et
d'égide protectrice au voyageur qui parcourt ces récentes
conquêtes du progrès et de la civilisation.
« Avant
vingt ans d'ici, des chemins de fer sillonneront en tous sens ce
vaste désert de l'Ouest, perforeront les flancs rocheux des
montagnes qui s'y groupent majestueusement, relieront les deux
Océans, offriront au commerce et à l'industrie des
débouchés d'une importance incalculable ; et cette
œuvre gigantesque, pour ne pas dire miraculeuse, sera due en
grande partie à une nouvelle caste désignée par
le nom de mormons. »
À
cet aveu d'un écrivain étranger à l'Église,
il est curieux de comparer quelques lignes de M. Favez (p. 79) :
« Et
c'est en parlant d'une telle population et de son heureux sort, qu'un
apôtre mormon, M. Snow, écrivait : — « Tout
y est en grande tranquillité ; point de rapports de
police, ni de meurtres, ni de guerres dans notre petit monde. Quelle
paix ! quel repos ! quelle solitude ! Nous vivons
libres ! » — Relation menteuse que les faits,
confirmés par de nombreux témoignages, sont loin de
justifier. »
Cette
courte citation renferme deux mensonges.
D'abord, la
Voix
de Joseph (p.
73), citée par M. Favez, et qu'il a sous les yeux, donne ce
passage comme extrait d'une lettre privée. Ce n'est donc pas
M. Snow qui l'écrivait, et notre adversaire se trompe
volontairement en le lui attribuant.
Ensuite, la
Voix
de Joseph
a
été imprimée à Turin en janvier 1851 ;
or, il n'existait à cette date aucun fait ni aucun témoignage
contraire, de l'aveu même de tous nos ennemis, et M. Snow était
parfaitement dans la vérité. En effet, au moment où
M. Snow écrivait la Voix
de Joseph,
M. Stansbury, capitaine du corps des ingénieurs topographes de
la république des États-Unis, et M. Gunnison, son
lieutenant, étaient tous deux en mission dans le territoire
d'Utah ; et là, vivant au milieu des mormons, ils
écrivaient les relations dont nous allons reproduire des
fragments, et qui confirment pleinement ce que M. Favez ose appeler
un mensonge. Nous renonçons à exprimer notre
indignation à ce prédicant darbyste.
Voici des
extraits de Gunnison :
« La
gaîté qui brille sur le visage de tous ces hommes qui se
livrent au travail, mais sans excès ; les relations
constantes de bon voisinage, le calme parfait qui règne dans
la ville et dans la campagne, sont des sujets d'admiration pour le
voyageur qui sort des sombres et stériles gorges des montagnes
pour entrer dans cette vallée florissante.
« Voici
un fait qui démontre leur état de confort et de
prospérité. Ayant fait des recherches pour savoir
combien de personnes seraient disposées à habiter une
maison
des pauvres,
ils n'en trouvèrent que deux qui étaient dans le cas de
recourir à l'assistance publique, et ils en conclurent que le
temps n'était pas venu de construire une maison de charité.
Et ceci arriva parmi des milliers d'individus qui, trois ans
auparavant, avaient perdu tous leurs biens ou en avaient été
dépouillés, et qui avaient eu la plus grande peine à
transporter leur famille dans la Vallée. (page 32)
« Vers
la fin de novembre, l'abondance des neiges et la rigueur inusitée
du froid forcèrent M. Stansbury à interrompre ses
travaux pour chercher dans la ville des quartiers d'hiver. Ce ne fut
pas une chose facile, car l'émigration y avait récemment
amené un si grand surcroît d'habitants, qu'une bonne
partie d'entre eux, et même le président Young, étaient
forcés de loger une partie de leur famille dans des chariots.
Ils les chauffaient avec des poêles et les meublaient de tapis,
de manière à en faire des chambres à coucher
assez confortables. La sécurité dans laquelle vivaient
ainsi, au milieu de la rue, des centaines de femmes et d'enfants,
sans autre protection qu'une toile et des lois, était un
témoignage évident de la moralité et du bon
ordre qui régnaient dans cette communauté. »
(Bibliothèque
universelle)
Tels sont,
vus de près par des hommes étrangers à l'Église,
mais honnêtes et véridiques, ces mêmes mormons que
nos ennemis présentent comme une horde de misérables
affamés et livrés à la plus honteuse immoralité.
Voici
maintenant M. Pichot (p. 287) :
« Les
mormons ont des journaux politiques aussi bien que des journaux
religieux, mais dans lesquels la politique se confond avec la
religion, la presse périodique étant, plus qu'aucune
autre forme de la littérature, « l'expression d'une
société ». Le sommaire d'un seul de ces
journaux fait entrevoir que dans la théo-démocratie
mormone il y a place pour les prosaïques intérêts
de la vie habituelle. Ainsi le Deseret-News du 16 avril 1853, feuille
populaire, avec l'épitaphe Vérité
et Liberté,
quoique n'étant pas d'un très grand format, contient un
peu de tout, et, en attendant le roman feuilleton (prévision
hasardée de l'auteur), consacre une colonne aux anecdotes, aux
bons mots, aux petits vers. Disons que les anecdotes et les bons mots
sont très décents, et que la poésie, signée
d'un nom de femme, miss E.-R. Snow, est inspirée par la piété
la plus virginale. »
Le Journal
des Débats
termine
ainsi un feuilleton consacré aux mormons (Débats
du
7 novembre 1850) :
« Quoi
qu'on pense de la religion des mormons, nous devons croire à
leur moralité, au désir qu'a leur gouvernement de la
développer, et à l'excellence de ses vues, si on
l'estime par ses actes. Nous n'en citerons qu'un seul ; il est
daté du 4 juillet dernier, et se compose de trois articles :
« Art.
1er. Il est ordonné par l'assemblée générale
que toutes les liqueurs spiritueuses mises en vente dans l'État
de Déseret acquitteront une taxe de cinquante pour cent
de leur prix de vente.
« Art.
2. En conséquence, l'assesseur et le collecteur des taxes
auront à lever le dit impôt dans la forme prescrite par
l'ordonnance rendue le 10 janvier 1850.
« Art.
3. Tous fers, aciers, fontes, verres, clous, quincailleries,
poteries, couleurs, huiles essentielles, teintures, thés,
cafés, sucres, riz, mélasses, fruits secs et autres
épiceries, médicaments, bottes, chaussures et toutes
espèces de cuirs et peaux, sont exempts de tous droits. »
Il
appartenait à un organe respectable comme les Débats
de
faire une appréciation aussi judicieuse, aussi éclairée.
Un gouvernement qui, dans le même acte, frappe d'un énorme
impôt les liqueurs spiritueuses et affranchit de tous droits
les choses nécessaires ou utiles, donne la mesure vraie de sa
moralité. Qu'importent, après d'aussi honorables
attestations, les assertions des Avard, des Hulbert, des Gaswall, des
Ely, des Boggs, des Bennett, pléiade de diffamateurs éhontés,
d'histrions, d'oppresseurs, d'apostats, de gens sans religion ni
moralité ? Qu'importe si leurs calomnies sont
réchauffées, parodiées et surchargées en
Europe par les Guers et les Favez, quand elles sont démenties
par les Pichot, les Kane, les Gunnison, la Presse,
le Journal
des Débats,
M. Stansbury et le Moniteur
universel
lui-même,
par les hommes les plus recommandables, par les journaux qui occupent
un rang élevé parmi les organes de la pensée
publique, et qui planent de toute leur hauteur sur les misérables
tripotages, sur les ténébreuses infamies qu'engendre la
jalousie des Églises ? Oh ! nous sommes bien
vengés !
Nous avons
nommé le capitaine Stansbury et le Moniteur
universel ;
nous terminerons par des extraits de l'un et de l'autre. Ces
documents fourniront au lecteur les détails nécessaires
pour se former une idée assez exacte de nos principes et de
notre manière d'être en Amérique, en dehors de
nos doctrines religieuses, pour l'étude desquelles nous
renvoyons aux livres de l'Église. Laissons parler le Moniteur
(n°
du 1er avril 1853) :
« ...La
construction du temple avançait rapidement. La propagande aux
États-Unis et en Angleterre amenait sans cesse de nouveaux
prosélytes dans la ville sainte, car ce n'est point par
quelques meurtres qu'on arrête les progrès d'une secte ;
il faut un grand massacre, une Saint Barthélemy pour
l'étouffer. Un si grand crime est heureusement impossible au
dix-neuvième siècle ; mais la haine des Gentils ne
demeura pas inactive. Dans l'automne de 1845, les hostilités
contre les mormons recommencèrent plus violentes que jamais.
On brûlait leurs meules et leurs fermes, on assassinait des
fermiers. De la part des sectaires il y eut des représailles
sanglantes. On manque de renseignements précis sur les motifs
qui poussèrent les habitants de l'Illinois à une espèce
de confédération générale contre la cité
de Nauvoo. Les reproches adressés aux mormons sont trop vagues
pour qu'il soit possible de leur donner créance. Quelques
journaux dénoncent leur ville comme un repaire de faux
monnayeurs et de brigands ligués contre la société.
De leur côté, les mormons défient leurs
adversaires de citer un fait de leur désobéissance aux
lois. « Si des hommes perdus de crimes, disent-ils,
ont trouvé momentanément un asile à Nauvoo,
jamais ils n'ont fait partie de notre Église ;
jamais nos magistrats n'ont hésité à prêter
main-forte aux ministres de la justice pour poursuivre ces
ennemis de la société. »
« Tels
sont les crimes reprochés aux mormons ; telle est leur
justification. Discerner la vérité de si loin n'est pas
chose facile, et cependant, il faut le dire, toutes les apparences
sont en faveur des sectaires. Mais le préjugé était
contre eux. Ils se disaient, ils étaient étrangers au
milieu de leurs compatriotes. Ils étaient plus riches, plus
habiles, plus heureux dans leurs spéculations que leurs
voisins…
[les
pages 182 et 183 de l'édition originale sont manquantes, ndlr]
« …
tantôt ils entraient dans des plaines arides qui leur faisaient
endurer tous les tourments de la soif et décimaient leurs
troupeaux. Plus loin, exposés à des rafales de neige et
de pluie, ils étaient obligés de bivouaquer sans feu
sur une terre nue, humide et glacée. Quelquefois la lueur d'un
incendie dévorant les hautes herbes jetait l'effroi dans la
caravane, et il fallait des prodiges d'énergie pour écarter
le fléau.
« Aux
approches de l'hiver de 1847, les mormons fondèrent une ville
provisoire de baraques et de huttes bâties de boue et de
branchages, en attendant que la neige eût cessé de
couvrir les prairies. Ils avaient amené de Nauvoo une musique
militaire qui se faisait entendre dans toutes leurs haltes. Qui le
croirait ? en butte aux tourments de la soif, de la faim ;
exposés à toutes les misères de la vie errante,
ces hommes de fer ne perdirent jamais leur gaîté.
Lorsqu'ils s'étaient entourés d'un retranchement de
chariots, lorsqu'ils avaient parqué leurs troupeaux, rentré
le fourrage ; lorsque les détachements envoyés
pour faire du bois et de l'eau avaient assuré à la
troupe un jour d'existence, les prédicateurs commençaient
une prière, une exhortation ; les pèlerins
entonnaient un hymne d'actions de grâces, puis la musique
faisait entendre dans le désert des valses et des
contredanses ; et, sauf la rareté des habits noirs et des
gants jaunes, sauf des costumes un peu sauvages, des mines un peu
étranges, on aurait pu se croire dans un bal champêtre
aux environs d'une grande ville.
« L'ordre
que les chefs avaient introduit dans les colonnes d'émigrés
était admirable ; jamais troupe disciplinée ne se
garda mieux, ne campa, ne bivouaqua avec plus de régularité.
Ni la marche ni la fatigue n'interrompaient le travail. Les femmes
filaient assises sur les chariots. À chaque halte on entendait
le bruit des marteaux et des métiers. En route on faisait du
drap et de la toile ; on forgeait des essieux de voitures, des
instruments de labourage ; on tannait avec du goudron et à
la fumée les cuirs des animaux dont la caravane se
nourrissait. Jamais, quelle que fût sa situation, elle ne
manqua à célébrer le dimanche par un repos
complet pour les hommes et les animaux, et peut-être n'est-il
pas inutile de dire ici, comme un fait qui permet d'apprécier
le caractère des mormons, que pendant toute la durée de
leur pèlerinage, on ne vit personne maltraiter les bœufs
et les mules qui traînaient les chariots. C'est à cette
douceur et aux soins constants qu'ils apportaient à ménager
leurs attelages, qu'ils durent en grande partie de surmonter
heureusement tant d'obstacles.
« Au
milieu de leurs campements, le scorbut et le typhus les atteignirent,
et en peu de jours firent de nombreuses victimes. Des familles
d'émigrants furent enlevées tout entières, et il
n'y eut guère de détachement qui ne perdit un tiers de
son effectif. Ils avaient fait provision de médicaments aussi
bien que d'armes et de meubles de toute espèce ; mais
personne n'avait songé à emporter des cercueils. Pour
des hommes de race anglaise, être porté dans la terre à
demi nu, sans une bière bien close, c'est une aggravation à
la mort. Dans notre vieille Europe, au sein de nos grandes villes, on
a vu plus d'une fois, dans les épidémies, les cadavres
abandonnés sans sépulture. Les mormons imaginèrent
de creuser péniblement des troncs d'arbres qu'ils allaient
chercher fort loin, et d'y renfermer leurs morts. Ils ne manquèrent
jamais à ce pieux devoir, et l'on peut aujourd'hui calculer
leurs pertes et suivre leurs traces aux amas de pierres soigneusement
entassées le long de la voie qu'ils ont suivie.
« Pendant
que les premières colonnes des mormons traversaient
péniblement la prairie et frayaient parmi les plus rudes
fatigues une route aux frères qui allaient les suivre, le
reste des citoyens de Nauvoo travaillait avec un redoublement de zèle
et d'activité à l'achèvement du temple. Ils
s'étaient fait un point d'honneur, un devoir religieux de
n'abandonner leur patrie qu'après avoir consacré ce
monument mystérieux de leur culte. Au jour fixé, un
grand nombre d'étrangers arrivèrent à Nauvoo de
toutes les parties de l'Union. Quelques-uns avaient abandonné
leurs campements de la prairie pour assister à cette solennité
douloureuse ; car ce temple, élevé de leurs mains,
décoré des offrandes du riche et du pauvre, allait
bientôt être abandonné aux Gentils. Un instant
cette ville, vouée à la destruction, reprit une
apparence de vie et se para pour sa dernière fête. Les
cérémonies sacrées s'accomplirent, et quelques
heures après tous les mystérieux ornements du temple
disparurent, la foule des pèlerins se dispersa, et le plus
grand nombre reprirent tristement le chemin du désert.
« Les
derniers travaux pour l'achèvement du temple avaient cependant
ranimé la haine des Gentils de l'Illinois. Ils savaient que
les mormons avaient rendu les armes qu'ils avaient reçues du
gouvernement ; ils avaient vu la fleur de leur jeunesse partir
pour les montagnes Rocheuses, et ils espérèrent avoir
bon marché du reste. Au mépris de la convention jurée,
un corps d'environ deux mille hommes, avec du canon, se présenta
devant Nauvoo, espérant surprendre la ville. Ils furent
chaudement repoussés par une petite troupe de trois cents
hommes de la légion de Nauvoo, commandée par un général
Wells. Ce fut seulement lorsque le dernier détachement des
exilés se fut mis en marche que la horde assiégeante
pénétra dans la ville. Elle y célébra sa
facile victoire par des orgies, et bientôt par l'incendie du
temple, qui n'offre plus aujourd'hui que l'aspect d'une ruine
ancienne.
« En
même temps que l'émigration apprenait, dans le désert,
la perfidie de ses ennemis et recevait cette nouvelle preuve de
l'indifférence ou de l'impuissance du gouvernement à
faire respecter les promesses les plus sacrées, un message du
président des États-Unis venait sommer les exilés,
comme citoyens de l'Union, de fournir leur contingent à
l'armée fédérale, qui se disposait alors à
attaquer la république du Mexique. Il n'y eut pas un moment
d'hésitation. La loi commande, il faut obéir. Le
lendemain de la réception de cet ordre, un bataillon de cinq
cent vingt hommes partait pour la Nouvelle Californie, prêt à
verser son sang sous ce drapeau dont l'ombre ne les avait jamais
protégés. En ce moment, bien qu'ils se trouvassent sur
le territoire d'Indiens nombreux et assez mal disposés à
leur livrer passage, les exilés se séparèrent,
sans murmurer, de la fleur de leurs soldats. On vit alors les femmes
remplacer les hommes dans une partie de leurs travaux. Elles
guidaient les attelages, et parfois conduisaient les charrues. Le
malheur et le sentiment religieux avaient uni les sectaires qui
semblaient ne plus faire qu'une famille. Dans les marches, chacun
abandonnait son chariot pour relever ou réparer celui d'un
camarade. Le riche partageait son pain avec le pauvre ; et si de
tels actes ont valu aux mormons le reproche de communisme, souhaitons
à toute l'Europe de n'en voir jamais que de semblables !
« Le
21 juillet 1847, après dix-huit mois passés dans le
désert, l'avant-garde des mormons arriva sur les bords du
Grand Lac Salé. Quelques jours après, un terrain avait
été consacré pour l'emplacement d'une ville, et
tout autour on voyait des bœufs labourer la terre, des hommes
ensemencer, planter, arroser. Les colons s'occupaient activement à
distribuer, dans des canaux d'irrigation, les sources d'eau vive qui
tombent des montagnes pour se perdre dans le lac Salé.
D'autres profitaient de ces ruisseaux pour établir des moulins
et des scieries. En janvier 1848 ils avaient bâti un fort
capable de repousser toutes les tribus indiennes du Nouveau Monde.
Six mille acres avaient été enclos de palissades, selon
l'usage américain, et une population de plus de cinq mille
personnes était fixée dans la ville nouvelle, qui porte
le nom de Déseret, mot mystérieux qui, dans la langue
des anges, signifie la cité de l'abeille. Les mormons
ressemblent, en effet, à l'abeille par leur activité
incessante et leur faculté de changer de demeure sans changer
de caractère. Pour eux, le travail est une loi divine. « Nous
sommes, disent-ils, les fermiers du Très-Haut ; notre
devoir est d'améliorer son champ, pour qu'il en nourrisse
ses saints. » On ne voit pas un individu inoccupé
dans leurs pays. Le président-prophète, M. Brigham
Young, est charpentier, et, à ce qu'il paraît,
charpentier fort habile. Joseph Smith, en raison de ses inspirations
continuelles qui lui prenaient beaucoup de temps, est le seul mormon
qui ait été dispensé de travailler de ses dix
doigts.
« Aussi,
pas un pauvre parmi eux. Je me trompe : après avoir
construit des écoles, un hôtel-de-ville, un
caravansérail pour les étrangers, ils pensèrent
à bâtir un hospice pour les pauvres. En gens prudents
qu'ils sont, ils voulurent savoir combien de leurs frères
avaient besoin des secours de la communauté : il y en
avait deux, qui se sont peut-être enrichis depuis lors. »
Nous
avons nommé aussi le colonel Kane. L'auteur des Mormons
illustrés lui
a emprunté le rapport qu'il a fait à la Société
historique de Pensylvanie,
le 26 mars 1850 (Historical Society of Pennsylvania, March 26, 1850),
sauf la partie qui lui a sans doute paru trop favorable à
notre Église, et qu'il a tout simplement laissée [43].
C'est une lacune que nous allons combler.
« …Je
viens d'accomplir la tâche que m'avait imposée
l'invitation de votre comité. Je l'ai fait aussi complètement
que possible, sans abuser de votre bienveillante patience. Mais je ne
dois pas terminer sans exprimer en quelques mots précis
l'opinion que j'ai conçue et que je conserve des mormons ;
les libelles dirigés contre eux m'en font un devoir de
conscience. Peut-être aussi mon opinion sera mieux comprise
après l'exposé que je viens de faire.
« Je
vous ai parlé d'un peuple que son industrie a enrichi, autour
duquel elle a rassemblé tout ce qui constitue l'abondance, le
confort, le luxe d'une vie raffinée. Je vous les ai montrés
repoussés jusque dans les lieux sauvages par la brutalité
et contre toute justice ; cherchant sur un sol vierge un foyer
bien loin des lieux qui leur étaient chers ; s'avançant
privés du nécessaire, endurant la faim et décimés
par la maladie ; emmenant péniblement avec eux leurs
femmes et leurs enfants, les vieillards, les pauvres, les infirmes ;
remplissant chaque jour, durant leur marche, les devoirs du
chrétien ; resserrant les liens de la famille, de
l'amitié, de la charité ; partageant le nécessaire
et bravant le danger ; joyeux au milieu des privations, et
persévérants jusqu'au triomphe. Je vous ai parlé
d'hommes qui, menacés par la famine, atteints par la
contagion, mais toujours doués de l'énergie qu'exigeait
la nécessité du moment, construisaient des routes et
des ponts, traçaient des villages et préparaient des
champs de blé pour ceux qui viendraient après eux, pour
des hommes auxquels ils tenaient par une nature commune, peut-être
par une souffrance commune ; d'hommes qui ont ramené la
prospérité dans leurs maisons fondées au désert,
et qui, dans leur cité à peine bâtie, étendent
leur pieuse hospitalité sur les émigrants en détresse ;
d'hommes qui, loin du frein des lois, y obéissent par pure
volonté, ou trouvent au fond de leur religion quelque chose
qui n'est pas en contradiction avec les lois humaines, qui en est
même la consécration, et qui sollicitent actuellement du
gouvernement des États-Unis, non une indemnité, car
leur appel serait sans espoir, et ils le savent, — non une
protection, car aujourd'hui ils n'en ont pas besoin, — mais
cette identité d'institutions politiques, cette communauté
de lois avec nous, qui était sans contredit leur droit de
naissance quand ils furent poussés au-delà de nos
limites.
« J'ai
dit que je voulais vous exprimer l'opinion que je me suis créée
des mormons ; vous pouvez en tirer une pour vous-même de
ces faits. J'ajouterai que je n'ai pas encore entendu une seule
accusation dirigée contre eux comme peuple, contre la pureté
habituelle de leur vie, leur probité dans le commerce, leur
tolérance pour les divergences d'opinion religieuse, leur
respect pour les lois et leur dévouement au gouvernement
constitutionnel sous lequel nous vivons, que je ne sache
parfaitement, par mes propres observations ou le témoignage
des autres, être dénuée de tout fondement. »
Quand ce
rapport fut publié, nos ennemis d'Amérique eurent
recours à diverses manœuvres pour tâcher de
décider l'honorable colonel Kane à rétracter ou
atténuer les éloges qu'il accorde aux mormons. Ces
indiscrètes sollicitations lui inspirèrent le
post-scriptum suivant, publié avec la seconde édition
de son rapport :
« J'ai
été peiné des commentaires que ce discours,
écrit à la hâte, a fait surgir. De bienveillants
amis sont allés jusqu'à m'inviter à atténuer
les remarques qu'il renferme en faveur des mormons, et cela dans le
but de les faire accepter plus volontiers. Je ne puis que les répéter
en termes plus formels. La vérité doit être
respectée. Non seulement je n'entends pas révoquer en
doute que les mormons ne tombent en aucune façon au-dessous de
notre propre niveau sous le rapport de la moralité, mais je
veux qu'il soit clairement compris que j'assigne à ceux de
leurs membres avec lesquels j'ai été en relation dans
l'Est, une rectitude de conduite et une pureté de caractère
au-dessus du commun des sociétés ordinaires.
« Tout
ce que je puis faire pour tempérer mon témoignage, sera
d'indiquer les causes auxquelles, moi qui crois aux compensations
dans la nature, j'ai attribué cette moralité
remarquable.
« Les
mormons ont été, en réalité, broyés
et passés au crible par le malheur. Ceux d'entre leurs
dirigeants dont le mobile était l'intrigue les ont laissés
pour chercher ailleurs de plus brillantes perspectives. Ceux qui
restent de la vieille souche sont les masses, toujours honnêtes,
prises en général, et sincères même dans
l'erreur ; et leurs guides sont un petit nombre d'hommes choisis
et loyaux, peu versés dans les intrigues des synagogues, et
plus connus par les services qu'ils rendent que par les cadeaux
qu'ils reçoivent. Voilà les hommes que j'ai rencontrés
dans la prairie, prenant leur part d'affliction avec l'affligé,
de pauvreté avec le pauvre. Leur chef à tous, homme
d'un rare dévouement, à la sage direction duquel ils
doivent surtout leur prospérité présente,
conduisait lui-même son attelage de bœufs et portait sur
ses bras son enfant malade.
« Le
fait s'explique de lui-même : c'est que ceux-là
seulement voulurent entreprendre leur terrible pèlerinage de
pénitence, que le sentiment religieux d'un devoir entraîna
à sacrifier le monde à leur religion. Les mormons que
j'ai connus prenaient tous, autant que j'en peux juger, part au
sacrement, étaient des personnes de prière et de foi,
et leur résignation, leur tempérance, leur héroïsme,
leurs efforts à poursuivre cet âge d'or de la fraternité
chrétienne, ne furent que la manifestation de leur sentiment
religieux, toujours présent et se fortifiant sans cesse.
« Ce
fut M. Brigham Young que les mormons choisirent pour gouverneur du
Déseret. Cet homme, ainsi que MM. Heber C. Kimball et Willard
Richards, nommés par le même peuple aux fonctions de
lieutenant-gouverneur et de secrétaire, ayant été
le point de mire de divers libelles, il est de toute justice que je
constate que je les ai intimement connus. J'ai trouvé dans M.
Kimball un homme d'une générosité et d'une
pureté de caractère remarquables, et dans M. Richards
un gentleman sans affectation, un savant agréable, doué
des connaissances les plus variées. La probité de ces
trois hommes ne peut nullement être mise en question. »
Le colonel
Kane termine ce post-scriptum en expliquant les calomnies qui ont
précédé l'expulsion des mormons de l'Illinois et
du Missouri. Les biens dont ils ont été dépouillés
sont généralement évalués à plus
de vingt millions de dollars, et les auteurs et propagateurs de ces
calomnies sont, comme on le suppose bien, ceux qui ont profité
de la spoliation, et qui n'aimeraient pas à rendre les biens
dont ils sont détenteurs. Ceux-là sont effrayés
des progrès des mormons, de leur prochain espoir d'être
admis comme État de l'Union, parce qu'ils redoutent l'époque
où ils pourront obtenir justice ou se la rendre par eux-mêmes,
et cette crainte est la source des calomnies permanentes qu'ils
dirigent contre eux, dans l'espoir de reculer indéfiniment le
moment où il faudra restituer ce qui leur a été
violemment enlevé.
Le Moniteur
et
le colonel Kane nous ont présenté les mormons sortant
des États-Unis et cherchant une patrie dans le désert :
M. Stansbury va nous les dépeindre dans leur nouvel
établissement, où il a séjourné assez
longtemps au milieu d'eux :
« La
capitale est construite sur la plus vaste échelle ; elle
a à peu près quatre milles de longueur et trois de
largeur. Les rues, qui se coupent à angles droits, auront une
largeur de huit verges, soit cent trente-deux pieds anglais, avec des
contre-allées de vingt pieds. Les différents quartiers,
chacun de quatre cents verges carrées (six cent soixante pieds
de côté), sont divisés en huit lots, et d'après
une ordonnance municipale, les maisons doivent être alignées
à vingt pieds en arrière de la limite du lot, de façon
à laisser un large espace planté d'arbres et de
bosquets.
« La
position de la ville est magnifique. Bâtie au pied des monts
Wasatch qui l'environnent de leurs derniers mamelons, elle est
baignée au nord par le cours du Jourdain, tandis qu'au midi
s'étend une vaste plaine arrosée par de nombreux
ruisseaux qui descendent des collines, apportant, avec la fraîcheur
de leurs eaux, la fertilité et la richesse. Dans la ville
même, un cours d'eau limpide, dirigé par une
canalisation ingénieuse aux deux côtés de la rue,
se répand ensuite dans les jardins, où il couvre d'une
belle verdure ce qui n'était que désert et aridité
il y a bien peu d'années. Au nord et au midi, les pentes
adoucies des montagnes forment de spacieuses terrasses d'où
l'on peut contempler toute la vallée du Jourdain jusqu'aux
sommets abruptes qui la terminent, en enfermant dans leurs rochers le
gracieux lac d'Utah.
« À
peu de distance au nord l'on voit sourdre du pied de la colline une
source d'eau chaude, que des conduits amènent jusque dans un
établissement de bains aussi vaste que confortable ; non
loin, une autre source d'une température si élevée
qu'il est impossible d'y tenir la main, sort à gros bouillons
d'un rocher perpendiculaire pour former un petit lac, où
viennent s'abattre en hiver et en été d'innombrables
poules d'eau attirées par la tiédeur de ses ondes.
Au-delà du Jourdain, enfin, de nombreux troupeaux trouvent
d'excellents pâturages dans de vastes steppes couvertes d'une
herbe très dure, mais très nourrissante, particulière
à ces régions, tandis que les terrains bas qu'arrose la
rivière donnent chaque année une ample moisson de
fourrages.
« La
constitution nouvellement adoptée est maintenant en pleine
vigueur, ainsi que les pouvoirs exécutif, législatif et
judiciaire qu'elle a créés. Dans les frontières
du Déseret, la justice est équitablement rendue à
tous, Élus ou Gentils, et j'ai pu moi-même en faire
l'expérience personnelle en trouvant un beau matin une
vingtaine de nos mules mises en fourrière pour quelques
injures qu'elles s'étaient permises envers le blé d'un
élu. Pour en recouvrer la possession, il me fallut payer une
amende fixée par le juge et un ample dédommagement au
propriétaire pour le tort causé à sa récolte.
Les troupes d'émigrants en passage soumettent continuellement
leurs différends, à ces tribunaux, tant ils sont
certains d'en obtenir bonne et valable justice, car toute la colonie
se lèverait au besoin pour appuyer le pouvoir méconnu
de ses magistrats, et jamais on n'a recours en vain à leur
intervention. Je me souviens, en particulier, d'une expédition
de deux cents hommes envoyés à la recherche de brigands
qui avaient dépouillé des émigrants en
Californie. Les malfaiteurs furent poursuivis dans le désert
et amenés prisonniers avec tout leur butin, qui fut rendu à
ses propriétaires légitimes.
« Quoique
le gouvernement suprême ait tous les caractères
extérieurs d'une organisation civile, on ne peut cependant se
dissimuler qu'il est intimement lié à l'administration
spirituelle de l'Église. Le premier gouverneur civil de
l'État, élu en vertu de la constitution, a été
Brigham Young, le président de l'Église ; le
lieutenant-gouverneur est son premier vicaire, le secrétaire
d'État le second, et à eux trois ils composent la
présidence. Les évêques des différents
quartiers, jouissant déjà par leurs charges d'une
juridiction temporelle et spirituelle, ont été revêtus
des fonctions de juges de paix. Et ce double caractère, cette
union intime de l'Église et de l'État, tendent à
envahir toute la sphère de la vie publique : il est de
jour en jour plus difficile de déterminer les limites
respectives des deux pouvoirs.
« L'institution
d'un gouvernement civil a été, ainsi que nous l'avons
déjà dit, une nécessité qu'il a fallu
subir en raison de la population mixte que recevait la colonie dans
son développement ; mais il était naturel aussi
que la majorité de ce peuple choisît pour le diriger les
hommes en qui il avait foi, qui l'avaient guidé dans le
désert, qui avaient présidé à ses
premiers progrès. C'est ainsi que peu à peu les deux
autorités ont tendu à se confondre, et que l’évêque,
prêtre pour les uns, n'est qu'un magistrat pour les autres ;
mais reconnu et choisi par tous, il étaie sa juridiction
tantôt sur la loi religieuse, tantôt sur la loi civile,
selon que ses justiciables sont ou non ses ouailles.
« Le
président est un homme d'un esprit clair, d'un jugement aussi
sain que profond ; il sent la responsabilité qui pèse
sur lui, et s'est dévoué tout entier à la bonne
renommée et à la prospérité de la nation
singulière qu'il dirige. Ressentant vivement tout ce qui
pourrait tendre à la rabaisser ou à en dénaturer
le caractère, sans cesse il poursuit le progrès de la
moralité, de l'intelligence, de la richesse de son peuple. Il
en possède la confiance illimitée dans toutes les
affaires publiques ou privées, et pour y répondre, lui
et ses conseillers sont consacrés tout entiers à son
bonheur. Le choix qu'on a fait de cet homme, comme gouverneur du
nouveau territoire, est un acte de haute convenance et de bonne
politique. Résolu dans le danger, ferme et sage dans le
conseil, prompt et énergique dans l'occasion, il connaît
parfaitement le caractère, les besoins, les faiblesses de ceux
dont il a été le Moïse dans le désert, dont
il est actuellement le magistrat et le prophète. Pouvant
disposer de la richesse de toute la colonie, jamais son intégrité
personnelle n'a suscité le moindre soupçon [44].
Tout autre choix par le pouvoir central eût été
suspect ou odieux aux mormons.
« La
conduite des mormons envers la foule de ceux qui traversent leur
territoire a toujours été droite et équitable ;
jamais ils n'ont profité de la situation de ces malheureux
pour leur vendre les vivres plus chers qu'ils ne les achètent
eux-mêmes ; les accusations contraires sont, je l'affirme,
erronées ou calomnieuses... En un mot, tout, au milieu de ce
peuple, offre l'aspect d'une société tranquille,
industrieuse et aussi bien réglée qu'aucun des États
de l'Union. Ils respectent la propriété et la liberté
religieuse, et rien n'est aussi loin de leur foi et de leur pratique
que cette doctrine du communisme dont on les accuse, avec tant
d'injustice, d'adopter les errements.
« II
est certain que la polygamie existe ouvertement parmi eux, et qu'il
n'est pas besoin, pour s'en convaincre, d'un bien long examen ou de
beaucoup de clairvoyance. Le président lui-même proclame
depuis la chaire qu'il lui est parfaitement permis de prendre mille
femmes si cela lui convient, et je l'ai entendu défier ses
auditeurs de lui montrer dans la Bible un seul passage où un
tel usage fût défendu… Cette union est considérée
comme vertueuse autant qu'honorable, et la dame garde toute l'estime
de la société ; son alliance même,
contractée sous les auspices de la seule véritable
Église, est bien plus sacrée qu'aucun mariage des
Gentils, parce que non seulement son caractère terrestre est
évidemment relevé, mais surtout parce qu'elle influe
sur la vie à venir des conjoints. C'est, en effet, un dogme
reconnu par l'Église que nulle femme ne peut parvenir à
la gloire céleste sans mari ; que pour que l'homme puisse
y aspirer, il lui faut au moins une femme, et que son rang plus ou
moins élevé dans le paradis sera proportionné au
nombre de ses compagnes terrestres.
« Les
mormons repoussent avec indignation l'idée que le mobile d'un
pareil système pourrait bien n'être qu'une sensualité
purement humaine ; suivant eux, leur unique but est « d'élever
au Seigneur une génération sainte » qui
établira son règne sur la terre. Ils recommandent
beaucoup la pureté des moeurs dans les relations domestiques,
et n'hésitent pas à déclarer que lorsqu'ils
auront le pouvoir de se donner des lois, après leur annexion
aux États-Unis, ils puniront des peines les plus sévères
toute infraction aux règles de la chasteté ; la
mort même ne leur semble pas un châtiment trop rigoureux
pour de semblables crimes.
« En
fait, j'ai trouvé les résultats de cette doctrine de la
pluralité des femmes fort différents de ceux auxquels
je m'attendais. Il est vrai qu'en ma qualité d'étranger
et Gentil, je n'ai guère pu recueillir que des notions très
superficielles. Mais la paix, l'harmonie et la gaîté
paraissaient dominer là où des idées préconçues
m'auraient fait croire à de petites jalousies, à des
disputes, à des querelles. La confiance et l'amour fraternel
régnaient dans l'intérieur des familles, et les bons
rapports entre voisins, les fêtes et les bals, qui
s'échangeaient de maison en maison, constituaient une société
véritablement agréable. Le président, accompagné
de sa nombreuse famille, honore souvent de sa visite ces réunions
amicales ; il y est toujours un hôte bien accueilli et
fêté ; sa présence y tempère la gaîté
trop bruyante de la jeunesse, et souvent il termine par la prière
les réjouissances de la soirée.
« Les
habitants de la ville du Grand Lac Salé s'occupent avec ardeur
de la création d'une fabrique de drap, où les
troupeaux, qui paissent dans les admirables pâturages des
montagnes voisines, fourniront une matière première
remarquable par sa beauté. Une poterie, une coutellerie sont
en pleine activité ; et bientôt une raffinerie, qui
commence à prospérer, va fournir tout le sucre de
betterave nécessaire à la consommation du pays.
« Au
milieu de tous ces efforts pour le développement de leur
prospérité matérielle, les mormons n'ont point
perdu de vue les progrès de l'intelligence. Des fonds
considérables en terre et en argent ont été
consacrés à la fondation d'une université, dont
l'emplacement a été désigné et entouré
de murs sur l'une des terrasses qui dominent la ville, et ceux qui
aspirent à y enseigner un jour sont déjà occupés
à recevoir une instruction préparatoire.
« Chaque
village a son école que fréquentent enfants et
vieillards ; rien, en un mot, n'est négligé pour
répandre l'instruction et favoriser la vie intellectuelle dans
le peuple. Si l'on se souvient que cette contrée prospère
n'était, il y a quatre ans, qu'un désert aride et
sauvage, où le hurlement du loup et le cri de guerre du
misérable Indien réveillaient seuls les échos de
la montagne ; où l'ours, le daim et l'antilope
parcouraient solitairement le rivage que couvre maintenant une cité
populeuse ; si l'on se représente tous les obstacles
qu'opposait la nature à l'occupation de ces lointaines
régions, obstacles de découragement et de terreur,
comment ne pas être rempli d'admiration ? Pourquoi
s'obstiner à méconnaître d'aussi magnifiques
résultats, qui ont jailli, en quelque sorte, des plus
insignifiants débuts, et dont bien peu d'années ont vu
la naissance et le rapide développement ? »
Nous voici
au terme de notre tâche. Elle était tellement complexe,
les attaques de nos ennemis étaient tellement diverses et
multiples, que nous n'avons pu mettre dans cet exposé l'ordre
et la précision qu'il exigeait peut-être. De plus, nous
avons dû négliger, pour ne pas trop grossir cet
opuscule, une foule de documents propres à confirmer nos
assertions et à confondre nos calomniateurs. Ce que nous
pouvions prouver dix fois, nous nous sommes contenté de le
prouver une fois.
Ainsi que
nous l'avions annoncé, nous nous sommes abstenu de toute
citation prise dans les nombreux ouvrages de l'Église. Tel
était l'avantage de notre position, que nous avons pu appuyer
notre défense sur le témoignage d'écrivains
étrangers à nos doctrines, souvent même hostiles
au mormonisme et aux mormons. Nos adversaires, au contraire, ne se
sont pas bornés à reproduire contre nous des inventions
que l'on n'ose plus répéter en Amérique, parce
que le bon sens public en a fait justice depuis longtemps : ils
les ont encore surchargées de tout ce qu'une malveillance
évidente a pu leur suggérer.
Le lecteur
a pu remarquer que, parmi nos ennemis, les ecclésiastiques se
distinguent par la mauvaise foi, qu'ils poussent souvent jusqu'au
cynisme, tout en nous accusant d'imposture.
Nous
n'avons laissé debout aucune assertion défavorable aux
hommes qui ont reçu de Dieu la sublime mission de rétablir
son Église ; mais nous nous sommes arrêté
là, sans faire le tableau des vertus dont ils ont légué
l'exemple ; car ces lignes, comme nous l'avons dit en
commençant, ne sont destinées ni à propager nos
principes, ni à affermir nos frères dans la foi, ni à
constater les progrès de cette Église, mais uniquement
à repousser l'accusation d'imposture et de fanatisme dirigée
contre ces hommes. Sous ce rapport, nous croyons avoir largement
atteint notre but.
Quand nos
considérons les libelles de nos ennemis, nous sommes heureux
d'appartenir à une religion contre laquelle nous n'avons lu
encore aucune objection qui n'eût sa source dans l'ignorance ou
la mauvaise foi.
Oui, nous
le proclamons hautement, le mormonisme est l'œuvre de Dieu ;
Joseph Smith l'a inaugurée à travers toutes les
épreuves que peut subir la nature humaine, et a fini par le
sceller de son sang. Brigham Young, le prophète actuel, est le
digne successeur de Joseph, investi comme lui des bénédictions
de notre Père céleste. L'Église de Jésus-Christ
des saints des derniers jours renferme certainement des membres
indignes, mais elle n'en est pas moins la dernière
dispensation du Seigneur, administrée et dirigée par
des hommes choisis par Dieu, et qui méritent l'amour et la
confiance de leurs semblables. Quoi qu'il arrive désormais par
le fait de la méchanceté humaine, rien ne saurait faire
attribuer à l'Église les erreurs et les crimes des
hommes qui en font partie. Nous ne craignons rien pour l'avenir, car
c'est en parlant de ce royaume que le prophète Daniel a dit :
« Le Dieu des cieux suscitera un royaume qui ne sera
jamais détruit ; ce royaume ne passera point à
un autre peuple, mais il brisera et consumera tous ces royaumes-là,
et il sera établi éternellement » (Daniel
3:44). Afin que « le règne, la domination, et la
grandeur de tous les royaumes qui sont sous les cieux » soient
« donnés au peuple des saints du Très Haut.
Son règne est un règne éternel, et tous les
dominateurs le serviront et lui obéiront. » (Daniel
7:27).
TABLE
DES MATIÈRES
CHAPITRE
1er. Le Livre de Mormon
Témoignages
de son authenticité ; discussion
Martin
Harris
Oliver
Cowdery
Révélation
falsifiée par nos trois adversaires
Sidney
Rigdon
Contradictions
de M. Favez
Révélation
relative à Sion ; défaut d'accomplissement ;
motifs
Autre
révélation commentée par nos ennemis ;
impudence de ceux-ci dans l'altération des documents
Opinion
de M. Clarke sur le Livre de Mormon
M.
Favez attaque notre doctrine
Quel
est M. Favez
CHAPITRE
II. Joseph Smith
Quels
sont les témoins de nos ennemis
Crimes
imputés à J. Smith
Jurements
et imprécations ; le ministre Bowes
Vol
et banqueroute ; le rév. J.-H. Gray
Attentats
à main armée
Ivrognerie ;
le ministre Caswall
Assassinat ;
incendie ; la bande des Danites
Sampeon
Avard ; John C. Bennett ; l'ex-gouverrveur Boggs
Opinion
de M. Pichot sur l'attentat contre Boggs
Différence
entre nos ennemis laïques et ecclésiastiques
Lettre
de M. John S. Fullmer sur le fameux Bennett
Documents
officiels
Immoralité
de John C. Bennett
Extrait
d'un discours de l'honorable J.-S. Reed
Mort
de Joseph Smith
Opinion
de M. Pichot
Opinion
de M. Guers
Réflexions
sur les calomnies dirigées contre J. Smith
CHAPITRE
III. Le Livre de Mormon jugé par les savants
Avis
du professeur Anthon, de New-York ; discussion
M.
Favez exprime son opinion sur les langues anciennes
Découvertes
faites dans l'Amérique centrale par MM. Stephens et Catherwood
Traditions
des Indiens, d'après C. Colton
Opinion
de Stephena sur les ruines de Copan
Déclaration
des citoyens de Kinderhook
Avis
du Quincy Wigh
Extrait
de l’Edimburgh Evening Courant — de l'ouvrage de
C. Colton
Suivant
M. Noah et M. Adair, les Indiens descendent des dix tribus perdues
Extrait
du major Long
Extrait
du Journey beyond the Rocky Mountains de Parker
Extrait
du New-York Sun, sur Yucatan
CHAPITRE
IV. Le roman de Salomon Spaulding
Source
impure où vont puiser M. Guers et autres
Ce
que c'est que Spaulding d'après un auteur cité par eux
Déclaration
faussement attribuée à Mme Davidson
Interpolation
frauduleuse de M. Guers
Suppression
adroitement faite par M. Favez
Témoignage
du professeur J.-B. Turner
Lettre
extraite du Quincy Whig, qui dément la prétendue
déclaration de Mme Davidson
Démenti
donné à M. Guers par la Presse
Étranges
assertions de M. Guers
Elles
sont démenties par le professeur Turner
Elles
sont démenties par le docteur Hulbert lui-même
Autre
extrait du professeur Turner
Appréciation
lumineuse du New-Yorker
Fourberie
de nos ennemis dévoilée par M. Pichot
M.
Favez accuse le Livre de Mormon de manquer d'homogénéité
Le
contraire est prouvé par Alexandre Campbell
Et
par la Revue d'Edimbourg
Mensonge
évident du docteur John Thomas
Prétendue
coopération de Sidney Rigdon au Livre de Mormon
Preuves
du contraire
Extrait
du Christain Messenger and Reformer
Autre
preuve tirée du professeur Turner
Autre,
tirée de Campbell, associé de Sidney Rigdon dans la
fondation de l’Église des Campbellistes
CHAPITRE
V. Quelques objections de M. Favez contre le Livre de Mormon
Anachronismes
La
boussole
Contradiction
avec la Bible
Les
deux Jérusalem
Canaan
Réfutation
CHAPITRE
VI. Miracles
M.
Guers se montre peu scrupuleux
Les
miracles avortés
Guérisons
opérées par les mormons
Analogie
entre nos ennemis et les Pharisiens
Opinion
de M. O. Pratt sur les miracles
CHAPITRE
VII. Réponse à M. Agénor de Gasparin
Le
roman de Spaulding
Les
plaques du Livre de Mormon
Calomnies
contre les Mormons
L'égyptien
réformé
Uniformité
de style malgré la pluralité des auteurs
Les
miracles
Conformité
du Livre de Mormon avec la Bible
Étude
attentive et consciencieuse de M. de Gasparin
CHAPITRE
VIII. Épouse Spirituelle. — Polygamie
Faux-fuyants
et déloyauté de nos adversaires
La
polygamie instituée par révélation du 12 juillet
1843
Elle
est conforme à la loi de Dieu, à la nature, à la
morale
Lettre
de Mme Belinda Pratt
Commentaire
de l'Univers catholique
Extraits
de John Milton
Extraits
de Bossuet, avec l'avis de Mélanchton et autres chefs de la
Réforme
Effets
de la polygamie dans le territoire d'Utah, attestés par la
lettre des trois juges
Réponse
à une observation de M. Favez
CHAPITRE
IX. Rébellion envers le pouvoir central des États-Unis
Rapport
de MM. Brandeburg, Brocchus et Harris
Preuve
contraire tirée de la lettre de M. H. Read, premier juge
d'Utah
Opinion
du capitaine Stansbury
Motifs
de l'animosité de nos ennemis, et des méthodistes en
particulier
CHAPITRE
X. Exploitation, oppression
L'émigration
au Grand Lac Salé
Plaintes
mensongères de quelques émigrants
Renseignements
donnés par le département de l'émigration, à
Liverpool
Lettre
d'un émigré du canton de Zurich
CHAPITRE
XI. Persécutions éprouvées par les mormons
Extrait
d'un ouvrage de Caswall
Trahison
du colonel Hinkle
Sentence
atroce d'une cour martiale composée de 19 officiers et de 17
prédicateurs
Mansuétude
des gens d'église
Silence
de MM. Guers et Favez
Extrait
de M. Pichot sur la persécution
CHAPITRE
XII. Les mormons et la vallée du Grand Lac Salé
Fragments
des lois d'Utah sur les mœurs
Extraits
de la Presse
Mensonges
de M. Favez
Extraits
de M. Gunnison (Bibliothèque universelle de Genève)
Extraits
de M. Pichot
Extraits
du Journal des Débats
Parallèle
entre ces écrivains et nos adversaires
Extrait
du Moniteur universel
Petite
trahison de M. Pichot
Extrait
du colonel Kane
Post-scriptum
ajouté par cet auteur à la seconde édition de
son rapport
Extrait
de la relation du capitaine Stansbury
Ineptie
et mauvaise foi du journal religieux l'Avenir (de Genève)
Conclusion
FIN
DE LA TABLE DES MATIÈRES
NOTES
[1]
L'Église
à laquelle nous appartenons s'appelle l'Église
de Jésus-christ des saints des derniers jours.
Dans le cours de cet opuscule, nous emploierons nous-même,
comme plus brèves, les dénominations de mormonisme
et
de mormons
créées
par nos ennemis.
[2]
L'un
de nos adversaires, M. Favez, dans sa brochure intitulée
Fragments
sur J. Smith et les mormons,
n° 1, page 1re, explique les progrès du mormonisme par le
triste état de dissolution dans lequel gît la chrétienté
de nos jours. Nous prenons acte de cet aveu.
[3]
C'est
par erreur que ce personnage a été nommé Néphi
dans l'autobiographie de Joseph Smith.
[4]
C'est
avec peine que nous alléguons contre certains écrivains
des faits aussi graves ; toutefois le droit d'une légitime
défense est de dire toute la vérité. Outre les
citations fausses ou tronquées que nous relèverons en
temps et lieu, il y a une foule de peccadilles que nous avons
négligées, mais qui trahissent une intention peu
honorable. Par exemple, M. Guers (p. 74) reproduisant quelques lignes
d'une attestation où l'on déclare que la famille Smith
était « connue dans le pays pour ses entreprises
visionnaires, » substitue au mot connue
celui
de décriée.
Et pour justifier sa traduction, il cite le texte anglais, mais
falsifié ; car la pièce, reproduite par plusieurs
auteurs, et notamment par M. Turner, page 152, porte famous
(connu,
fameux, célèbre), ce qui n'empêche pas M. Guers
d'écrire infamous
(infâme,
décrié). Voilà les moyens auxquels nos
adversaires ont osé descendre ! Beaucoup de personnes de
bonne foi ont été trompées par de pareilles
citations.
[5]
Peut-être
M. Guers dira-t-il qu'il a été induit en erreur par les
altérations du révérend Ashley, son confrère,
souvent cité par lui. Nous ne disons pas le contraire ;
mais nous n'en sommes pas moins en droit de le tenir responsable de
l'exactitude des citations extraites de nos ouvrages, car, dans une
lettre que nous avons sous les yeux, adressée par lui à
une personne de notre Église, précédemment
membre de la sienne, il dit : « Vous m'offrez des
livres des mormons ; je les ai tous en français et en
anglais ; je les ai tous étudiés. »
[6]
David
Whilmer et Martin Harris vivent encore, et ne cessent de rendre
témoignage de la vérité du Livre de Mormon. Ils
sont toujours retranchés de l'Église, mais ils espèrent
obtenir un jour leur pardon et leur réintégration. L'un
d'eux demeure dans l'État de Missouri, l'autre dans celui
d'Ohio. MM. Guers et Favez peuvent entrer en correspondance avec eux
s'ils le désirent.
[7]
Le
même auteur dit encore, page 40 : « Il
rompit avec Smith et le mormonisme, etc. »
Et cependant, jusqu'à la mort de Joseph Smith, Sidney Rigdon
fut l'un de ses conseillers, et en cette qualité chercha à
lui succéder dans la présidence de l'Église.
Comment concilier toutes ces circonstances ?
[8]
Si
l'on s'étonne de notre langage, nous renvoyons aux journaux
religieux qui s'impriment dans les deux seules villes de Genève
et de Paris. Il suffit d'y jeter un coup d'œil pour reconnaître
que les coteries religieuses s'entr'égorgent. Ceci nous
dispense de toute discussion relativement à nos principes.
[9]
M.
Favez, dès la première page de sa brochure, annonce
effrontément que les mormons sont une colonie établie
dans la Californie, où elle exploite de l'or au profit de ses
chefs. Les épîtres générales de l'Église
sont là pour les démentir. D'ailleurs, l'étourderie
de cet écrivain nous dispense de toute citation à ce
sujet ; car, oubliant qu'il a débuté par cette
honteuse assertion, il reproduit lui-même (p. 62) un passage de
l'ouvrage de M. Kelly, où il est dit à propos d'un de
nos prédicateurs qu'il entendit dans la ville du Grand Lac
Salé : « Il parla sur l'or de la Californie,
qu'il disait avoir été découvert par l'énergie
des mormons, mais qu'ils abandonnaient librement à la cupidité
des Américains, vu qu'ils (les mormons) ne désiraient
pas de tels agrandissements mondains. »
[10]
« Messieurs,
leur répondit le président Martin Van Buren, votre
cause est juste, mais je ne peux rien faire pour vous. Si j'appuyais
vos intérêts, je perdrais mes suffrages dans le
Missouri. »
[11]
L'un
de ces deux hommes n'a pas tardé à se repentir
amèrement de la déclaration qu'il avait signée
dans le camp même des ennemis, quand sa vie était
menacée. Dès lors sa conduite a constamment démenti
ce que sa plume avait signé au milieu d'une horrible
persécution, et lui a valu le respect et la confiance de tous.
Il est aujourd'hui l'un des plus hauts fonctionnaires de l'Église
dans la vallée du Grand Lac Salé.
[12]
Les
mormons, sur le conseil du gouverneur, s'armèrent en effet,
non pour l'agression, mais pour leur défense ; voilà
pourquoi on les a vus parfois sous les armes. Si l'on s'est étonné
de rencontrer nos frères dans cette position, on oubliait
qu'aux États-Unis tous les hommes de 18 à 45 ans sont
assujettis au service militaire, à moins d'exemptions
légitimes. Il faut bien se garder de confondre cette
organisation militaire avec la bande Danite, qui a péri en
germe.
[13]
La
vie de Joseph Smith fut une suite continuelle de semblables
accusations, jugements et pertes pécuniaires.
[14]
J.
Smith avait été élu général de la
légion de Nauvoo, qui était une partie de la milice du
comté, et non pas une armée créée par
lui, comme nos ennemis veulent le faire entendre. Les mormons,
plusieurs fois trahis par des officiers publics qui avaient tourné
contre eux le pouvoir dont ils étaient investis, avaient placé
leur confiance dans le prophète, dont ils connaissaient
l'intégrité et le dévouement.
[15]
Plusieurs
fois par année, dans les conférences générales
de l'Église, une enquête est ouverte sur la conduite des
dirigeants, et tous les saints ont le droit d'y exposer librement
leurs griefs.
[16]
« Si
la loi n'y peut rien, dirent les chefs de la canaille, une bonne
balle y pourvoira. » (Moniteur
du
31 mars 1853)
[17]
M.
Guers a intitulé sa brochure : L'Irvingisme
et le Mormonisme jugés par la parole de Dieu.
[18]
Voir
Times
and Seasons,
vol. 5, p. 523.
[19]
Les
paroles que M. Guers met dans la bouche de Sidney Rigdon, Gray les a
mises dans celle de John C. Bennett. M. Guets, comme on le voit, ne
se gène pas. (Voir Gray, p. 57)
[20]
Voir
l'Étoile
du Déseret,
page 49.
[21]
Les
enfants d'Israël, qui s'étaient trouvés en Égypte
pendant sept ou huit générations, avaient pratiqué
l'usage des embaumements (voir Genèse 50:2, 3, 26).
[22]
Il
y a des savants qui, forcés par l'évidence de
reconnaître l'émigration des Israélites dans
l'Amérique ancienne, ne veulent pas croire, d'après le
Livre de Mormon, que cette contrée fut habitée par des
descendants de Joseph. Ceux-là sont obligés d'expliquer
la présence des enfants d'Israël sur ce continent par la
disparition des dix tribus perdues.
[23]
Cet
ouvrage a été imprimé en 1838.
[24]
Avertissement
des éditeurs de cet ouvrage.
[25]
On
peut juger de la valeur des assertions renfermées dans
l'ouvrage du capitaine Marryat par les lignes qui suivent : « M.
Combe, d'Edimbourg, dans l'introduction à des notes sur les
États-Unis de l'Amérique du Nord, page xi, assure que
miss Martineau et le capitaine Marryat ont été abusés
par les Américains pendant qu'ils recueillaient des matériaux
pour leurs ouvrages. La personne qui a égaré le
capitaine s'en vante à ses amis et leur assure qu'elle lui a
rempli (crammed)
la tête des histoires les plus ridicules (Joe Millers), que le
capitaine a prises au sérieux et introduites dans ses ouvrages
comme types des mœurs américaines. » (Logic
of facts, p. 36. Holyoake, London)
[26]
Bien
que le docteur Hulbert soit le premier qui ait voulu, dans un
pamphlet, faire croire à la similitude du Livre de Mormon et
du roman de Spaulding, l'idée première de cette
confusion ne lui appartient pas, mais à un fermier nommé
Henri Lake, vieillard incrédule, nommé par M. Favez
lui-même (p. 19). Hulbert, alors membre de l'Église, a
mainte fois combattu cette supposition, et il n'a feint d'y croire
lui-même qu'après avoir été retranché
pour cause d'adultère. Le docteur était tellement
décrié dans le pays, que son pamphlet (le
mormonisme dévoilé)
n'a pas été publié sous son nom ; nos
ennemis lui ont offert une somme pour son travail, et la brochure
parut sous le nom de l'imprimeur E. D. Howe. M. Favez avait sans
doute besoin de ces petits éclaircissements.
[27]
Septième
fils d'une nombreuse famille, ses parents l'appelaient par
plaisanterie le
Docteur.
Ce surnom est donc un sobriquet, et non pas le titre d'une profession
qu'il n'a jamais apprise. Du reste, la vengeance dont parle M. Pichot
s'explique par cette circonstance que Philastus Hulbert, ayant menacé
la vie de Joseph, fut mené devant le tribunal de la ville de
Painsville (Ohio), le 9 avril 1834, condamné à fournir
une caution pour la somme de 200 dollars comme garantie pécuniaire
de sa conduite future envers le prophète pendant six mois, et
aux frais de l'instance qui s'élevaient à 300 dollars
environ.
[28]
À
ceux qui s'étonneraient de cette uniformité dans un
livre écrit par plusieurs auteurs et à de longs
intervalles, nous rappellerons que les anciens prophètes
américains ont été abrégés par
Mormon, qui dès lors leur a imprimé son propre style.
Nous entrerons dans de plus amples explications à cet égard
en répondant à M. le comte de Gasparin (voir Livre de
Mormon, p. 466 ; Mormon 2:17, 18, ndlr).
[29]
Sidney
Rigdon, au moment où cette lettre fut publiée, y a
répondu et a démontré qu'il n'avait jamais eu
rien de commun avec l'imprimerie Patterson ni avec le roman de
Spaulding, dont il n'apprit l'existence que par les publications de
l'apostat Hulbert. Parley P. Pratt, qui avait présenté
le Livre de Mormon à Sidney Rigdon six mois après sa
publication, a confirmé les assertions de S. Rigdon. Du reste,
l'imprimeur Patterson a nié toute cette histoire du manuscrit
de Spaulding, qu'il dit n'avoir jamais vu.
[30]
Ceux
qui croient à la Bible, et qui savent que le Seigneur
dirigeait les enfants d'Israël au moyen d'une colonne de fumée
pendant le jour, laquelle devenait une colonne de feu pendant la
nuit, ne doivent pas s'étonner si Dieu, qui avait ordonné
à ce peuple de sortir de Jérusalem, a pourvu à
sa direction dans le désert au moyen d'un instrument qui
fonctionnait suivant la foi et la fidélité de ceux qui
le consultaient.
[31]
Dans
une révélation du mois d'août 1831, il est prédit
que les saints seront chassés de ville en ville, « de
synagogue en synagogue. » Et pourtant il n'est pas de
synagogue proprement dite. Il est donc évident que ce mot est
employé comme synonyme d'église, de temple, de réunion
religieuse.
[32]
Lecture
delivred ad the Exhibition-room of lhe Fine Arts, Academy, Bristol,
by professor Wasterman, of Boston, U. S. (Millenial
Star,
vol. 12, p. 44)
[33]
L'un
des douze apôtres de l'Église, s'adressant aux saints en
mission, leur dit : « Frères de la prêtrise,
gardez-vous purs et sans tache devant Dieu. Et si vous connaissez un
homme dans l'Église qui, ayant déjà une femme,
cherche à faire alliance avec une autre, sachez certainement
que celui-là transgresse, et, à moins qu'il ne se
repente, qu'il soit retranché de l'Église. »
(épitre d'Orson Pratt ; Washington, octobre 1853. —
Extrait du Seer,
p. 167)
[34]
En
1539, le landgrave Philippe de Hesse voulut, sa femme vivant, en
épouser une seconde. À cet effet il demanda une
consultation aux éminents auteurs de la réforme, Martin
Luther, Philippe Mélanchton, Martin Bucer, Antoine Corvin,
etc. Ceux-ci donnèrent un avis favorable au second mariage, à
condition toutefois de le tenir secret. Ils ajoutent dans leur
consultation, rapportée par Bossuet (Histoire des Variations,
livre 4) : « C'est ainsi que nous l'approuvons, et
dans les seules circonstances que nous venons de marquer : car
l'Évangile n'a ni révoqué, ni défendu ce
qui avait été permis dans la loi de Moïse à
l'égard du mariage ; Jésus-Christ n'en a point
changé la police extérieure, mais il a ajouté
seulement la justice et la vie éternelle pour récompense. »
[35]
Le
Millennial
Star
du
21 août 1852 reproduit cette correspondance, publiée par
le New-York
Herald.
[36]
Voir,
à cet égard, l'article du Moniteur
universel
que
nous publions à la fin de cet opuscule.
[37]
En
la présente année, 210 personnes sont parties de
l'Angleterre pour la vallée du Grand Lac Salé, au moyen
des fonds qui leur avaient été envoyés de la
Vallée par des parents ou amis émigrés avant
eux. De tels faits prouvent plus que toutes les appréciations
de nos ennemis.
[38]
Nous
apprenons que le navire le Golconda, qui transportait l'auteur de la
lettre publiée par M. Favez, a été arrêté
environ quatorze jours par un banc de sable à l'embouchure du
Mississipi.
[39]
Au
mois de mai dernier, la Chambre des Communes, en Angleterre, a nommé
dans son sein un comité chargé de recueillir des
renseignements sur l'émigration. M. S. W. Richards, alors
président de l'Église en Angleterre, a été
prié de s'y rendre. « Ses explications, dit le
Cambridge
Independent Press,
ont révélé des faits intéressants
relativement à cette Église. Sans nous y arrêter
ici, nous constaterons seulement que, dans l'opinion du comité,
les mormons peuvent enseigner aux agents chrétiens
d'émigration la manière de transporter un pauvre peuple
à travers l'Atlantique avec décence, à bon
marché el avec tous les soins propres à entretenir la
santé. » (Morning
Advertiser
of
June 2, 1854)
[40]
Un
grand nombre de mormons, arrivés seuls dans la Vallée
et sans autre ressource que leurs bras, ont pu, dès l'année
suivante, envoyer en Angleterre les fonds nécessaires pour le
transport de leur famille qu'ils appelaient à venir les
rejoindre. De pareils exemples sont très fréquents.
[41]
M.
Houtz, chargé d'une mission à Berlin, n'est pas passé
en Suisse et n'a pu remettre lui-même cette lettre à la
famille M… ; il l'a adressée par la poste, et les
parents nous l'ont communiquée. Nous ne donnerons que les
initiales, cette famille étant étrangère à
l'Église.
[42]
Si
les mormons se trouvèrent alors en armes contre la milice,
c'est parce que, ignorant encore cet ordre d'extermination donné
par l'autorité, et ne pouvant y croire, ils s'imaginaient
avoir à se défendre contre la populace ameutée,
et non contre des troupes régulières.
[43]
M.
Pichot, moins scrupuleux encore, s'approprie, dans le commencement de
son ouvrage, environ trente-cinq pages du rapport de M. Kane ;
puis, sans indiquer qu'il cesse de transcrire cet écrivain, il
l'abandonne néanmoins et se met à reproduire les
calomnies des méthodistes américains, laissant croire
au lecteur que ces choses sont empruntées au colonel Kane, qui
s'est bien gardé de les reproduire, car il en connaissait la
fausseté. Nous devions signaler cette petite trahison de M.
Pichot.
[44]
L'Avenir,
journal méthodiste religieux de Genève, a reproduit,
dans son numéro du mercredi 18 février 1852, une lettre
originairement publiée par le Christian
Times
de
Londres. Cette lettre, due à la plume de quelque ministre
méthodiste dont on n'ose pas donner le nom, répétée
et commentée par les feuilles émanant de cette même
Église, renferme un long tissu d'impostures auxquelles nous
n'avons pas jugé à propos de répondre autrement
que par un profond mépris pour la mauvaise foi de ses auteurs
et éditeurs. Nos ennemis, en effet, n'ignorent pas que Brigham
Young est à la fois le président de l'Église et
le gouverneur civil du territoire d'Utah. Cela dit, qu'on nous
permette de citer une seule phrase de cette lettre, et que l'on juge
si l'auteur, le Christian
Times,
et après lui l'Avenir
de
Genève, se moquent suffisamment de leurs lecteurs : « Le
chef actuel de cette secte (Brigham Young) a dû
comparaître devant le gouverneur de ce territoire (qui est
le même Brigham Young) pour le fait d'avoir vingt-six femmes ;
de plus, cet individu a été récemment convaincu
de soustraire au gouvernement l'argent qui lui passait entre les
mains. » Et cet individu, qui a été réélu
par le président des États-Unis, est encore aujourd'hui
(septembre 1854) gouverneur du territoire ! Est-ce assez
d'impudence ?