L'histoire
de l'Église en Polynésie française
George
Ellsworth
1. La
fondation de l’Église dans le Pacifique (1843–1850)
2. Les
premiers bastions (1850–1852)
3. Le
passage à la direction locale (1852-1892)
4. La
reprise en mains par la Mission (1892–1900)
5. Le
fonctionnement de la Mission (1900-1945)
6.
L'Église en action (1900-1945)
7.
L’Église et le monde (1900–1945)
1. La
fondation de l’Église dans le Pacifique (1843–1850)
La
diffusion du christianisme dans le monde est une des épopées
de l’expansion universelle de la civilisation occidentale. Les
cultures indigènes ont été modifiées -
les unes légèrement, les autres radicalement - par
l’introduction des idées et des pratiques occidentales.
Les missionnaires chrétiens ont largement contribué à
la diffusion de la civilisation occidentale, sous l’impulsion
missionnaire donnée par Jésus-Christ à ses
disciples.
Jésus
a enseigné que Dieu est notre Père et que tous les
hommes sont ses enfants, fils et filles de Dieu. Ils possèdent
une raison et un libre arbitre divins que notre Père céleste
leur a donnés. L’amour paternel inconditionnel de Dieu
pour ses enfants s’est exprimé par l’envoi de son
Fils bien-aimé, Jésus-Christ, pour enseigner les
vérités et les commandements divins, pour mourir pour
les péchés de l’humanité et ainsi
réconcilier les hommes et les femmes avec Dieu. Comme tous ses
fils et ses filles sont précieux aux yeux de Dieu, c’est
accomplir l’œuvre de Dieu que d’enseigner son
Évangile à tous les enfants du monde.
Après
sa résurrection, Jésus a commandé à ses
disciples d’aller « jusqu’aux extrémités
de la terre » (Actes 1:8) afin que « la repentance en vue
du pardon des péchés [soit] prêchée en son
nom à toutes les nations » (Luc 24:45-47). Et juste
avant son ascension, il a donné ce commandement à ses
disciples :
« Allez
dans le monde entier et prêchez la bonne nouvelle à
toute la création. Celui qui croira et qui sera baptisé
sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné.
Voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru : En mon nom,
ils chasseront les démons ; ils parleront de nouvelles langues
; ils saisiront des serpents ; s’ils boivent quelque breuvage
mortel, il ne leur fera point de mal ; ils imposeront les mains aux
malades et ceux-ci seront guéris. » (Marc 16:15-18)
Matthieu
rapporte les instructions de Jésus en ces termes : «
Allez, faites de toutes les nations des disciples, baptisez-les au
nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et enseignez-leur à
garder tout ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis avec vous
tous les jours, jusqu’à la fin du monde. »
(Matthieu 28:19-20).
Ainsi en
a-t-il été. Au cours des années qui ont suivi,
des générations de disciples ont répandu le
christianisme dans tout l’empire romain, dans les États
limitrophes, et, avec le temps, au Proche-Orient, en Asie, en Afrique
et en Amérique. Un nombre presque illimité
d’organisations missionnaires ont mis à exécution
le commandement donné par Jésus d’enseigner
l’Évangile au dehors.
Le même
commandement d’évangéliser le monde fut énoncé
par Joseph Smith, fils, prophète et fondateur de l’Église
de Jésus-Christ des saints des derniers jours, organisée
le 6 avril 1830 à Fayette (New York). Les commandements de
Dieu « seront enseign[és] à toutes les nations,
familles, langues et peuples » (D&A 42:58). Il fut commandé
aux anciens : « Allez dans le monde entier ; et là où
vous ne pouvez aller, vous enverrez des gens, afin que le témoignage
aille de vous dans le monde entier à toute la création…
» (D&A 84:62).
Le
mormonisme se répandit d’un ami à l’autre
et d’un parent à l’autre dans l’est de
l’État de New York, en Nouvelle Angleterre et dans les
États du Centre. De New York le mormonisme fut porté au
Canada et du Canada en Angleterre. Le missionnaire se rendait là
où il avait été jadis, où il connaissait
le lieu et les gens et où il avait peut-être des parents
ou des amis.
Les
hommes recevaient simultanément la prêtrise et l’appel
à prêcher. Les missionnaires, aussi bien ceux qui
l’étaient de leur propre initiative que ceux qui étaient
appelés, consacraient avec enthousiasme le temps libre que
leur laissait la ferme ou le magasin pour faire connaître leur
foi nouvelle à leurs amis. Les anciens partaient en mission à
leurs propres frais, « sans bourse ni sac » comme les
apôtres d’autrefois.
Ce n’est
que dans les pays garantissant la liberté religieuse que la
nouvelle foi pouvait prendre racine et grandir, et même dans ce
cas, les saints des derniers jours semblaient toujours porter leur
religion aux protestants avant de la porter aux catholiques, aux
catholiques avant les Juifs, et aux Juifs avant les païens.
Comme nous le verrons, ce n’est que dans les mers du sud que
les premiers saints des derniers jours portèrent le message
chrétien aux païens. Les hommes étaient encouragés
à retourner auprès des amis et des parents qu’ils
avaient laissés là où leur métier
antérieur ou leurs voyages les avaient conduits, et à
les mener dans la nouvelle voie qu’ils avaient trouvée.
C’est ainsi qu’a commencé la mission auprès
des Polynésiens du Pacifique sud.
C’est
essentiellement à la personnalité des premiers
missionnaires qui ont résidé dans les îles qu’il
faut attribuer le fait que les missionnaires de l’Église
ont créé aussi rapidement des communautés dans
le Pacifique. Le filet de l’Évangile rassemble toutes
sortes de poissons et dans ce cas, la prise était constituée
de marins, car ce sont des marins transformés en missionnaires
qui ont posé le fondement ferme de l’Église
rétablie dans les îles du Pacifique.
Le début
de la Mission
C’est
avec Addison Pratt que commença la Mission du Pacifique sud.
Dans sa jeunesse, il quitta un bon foyer dans le New Hampshire,
contre la volonté de son père, et prit une couchette
sur un baleinier en route pour les îles Hawaii. À Oahu,
il déserta le navire et passa six mois dans l’île
en 1822, à travailler pour un des principaux marchands et à
apprendre quelques rudiments de la langue. Afin d’assouvir sa
soif de voyages et son amour de la mer, il passa les dix années
suivantes à naviguer dans le Pacifique, l’Atlantique,
les Caraïbes et la Méditerranée sur des
baleiniers, des navires marchands et des bâtiments faisant le
cabotage. En 1831, il épousa Louisa Barnes et s’installa
à Ripley (New York) sur les rives du lac Erié, où
il exploita une ferme prospère et faisait, l’été,
de la navigation sur le lac. C’est là qu’en 1838
les Pratt reçurent l’Évangile, vendirent leur
maison et leurs biens, prirent le chemin de l’Ouest et
atteignirent, à la fin de 1841, Nauvoo (Illinois), lieu de
rassemblement des convertis mormons.
C’est
à Nauvoo qu’Addison Pratt et sa femme, âgés
tous les deux de quarante et un ans, et quatre filles de trois à
neuf ans, s’installèrent. Pratt y acquit une renommée
pour son expérience de la mer. On raconte qu’il
travaillait un jour sur le temple et parla avec le prophète,
Joseph Smith. Il parla de l’époque où il était
à Oahu et dit à quel point les habitants d’Hawaii
lui rappelaient les indiens américains. L’appel qu’il
reçut plus tard a peut-être son origine dans cette
conversation ; il y a eu d’autres suggestions. Le 28 mars 1843,
il reçut sa bénédiction patriarcale de Hyrum
Smith :
« La
prêtrise… sera une bénédiction sur ta tête…
et tu iras et viendras sur la face de la terre… ton témoignage
t’amènera à l’endroit de l’onction,
et tes vêtements seront purs du sang de cette génération,
et tu recevras l’onction et la dotation… Tes actes seront
écrits dans les chroniques de tes frères… ton nom
sera perpétué… de génération en
génération… et tenu en honneur jusqu’à
la toute dernière génération.
»
Après
la bénédiction, le patriarche lui dit : « Je
crois qu’il vous faut aller à la pêche à la
baleine. » L’appel en mission lui parvint le mois
suivant.
Le 11
mai, les Douze se réunirent au bureau de Joseph Smith et
votèrent qu’Addison Pratt, Knowlton F. Hanks, Noah
Rogers et Benjamin F. Grouard devaient aller en mission aux îles
Sandwich. » Douze jours plus tard, les missionnaires se
réunissaient de nouveau avec les Douze, recevaient des
instructions et étaient ordonnés et mis à part.
Brigham Young bénit Addison Pratt :
« Afin
qu’il soit un messager rapide auprès des nations de la
terre, ait pouvoir sur les éléments et ne craigne pas
quand les tempêtes se lèvent : N’agis pas avec
précipitation ni avec passion, mais reconnais ce qu’il
y a de bon en tous, là où tu les trouves ; et ils te
porteront et te donneront des présents, etc. ; tu auras
pouvoir sur l’équipage des navires et tu reviendras dans
ce pays et te réjouiras avec ta famille, si tu es fidèle. »
Benjamin
F. Grouard était tout désigné pour cette
mission. Comme Pratt, c’était un marin expérimenté.
Il était parti de chez lui alors qu’il n’était
« qu’un garçon de quatorze ans casse-cou et
turbulent » et avait navigué un peu partout dans le
monde sur des bateaux américains. Marin de valeur, mécanicien
adroit (comme les événements futurs allaient le
prouver), il participa à la construction de la chaudière
du premier cuirassé américain. Il s’était
marié, était devenu membre de l’Église à
l’automne de 1841, avait passé le printemps et l’été
de 1842 à Nauvoo et, pendant l’automne et l’hiver
de 1842-43, était parti en mission dans l’ouest de la
Pennsylvanie. En mai 1843, il était de retour à Nauvoo.
À vingt-quatre ans, c’était un bel homme, un
homme intelligent, sérieux et studieux. Il fut un compagnon
énergique, plein de ressources, un excellent compagnon. Pratt
et Grouard connaissaient la mer et étaient par conséquent
prêts à passer patiemment les jours et les mois d’un
long voyage et d’une mission encore plus longue en tant que
marins devenus missionnaires parmi un peuple de navigateurs.
Noah
Rogers, qui avait alors quarante-six ans, fut nommé président
de la Mission. C’était celui qui avait la plus longue
expérience de l’Église. Il avait été
ordonné grand prêtre et avait connu les persécutions.
Il était entré dans l’Église en février
1837 et n’était allé au Missouri en 1838 que pour
en être expulsé. Il s’installa à Nauvoo
avec sa femme et neuf enfants de cinq à vingt et un ans. Il y
fut enlevé par des Missouriens et mis aux fers en prison. Il
échappa de peu à la mort.
Le
quatrième membre du groupe était Knowlton F. Hanks, un
jeune homme de vingt-sept ans, célibataire et affligé
de phtisie, ou tuberculose pulmonaire. Sa santé était
une source d’inquiétude et on pensait qu’un voyage
en mer serait le meilleur remède.
Les
missionnaires quittèrent Nauvoo le 1er juin 1843 et se
rendirent à New Bedford, Massachussetts, centre de l’industrie
baleinière américaine, où ils embarquèrent
sur le baleinier Timoleon pour les îles de la Société.
Les saints de New Bedford et de Boston apportèrent leur
quote-part au prix du voyage et celui-ci fut rendu possible par le
don final de 300 dollars fait par P. B. Lewis.
Le
Timoleon appareilla le 9 octobre 1843. Le navire n’était
pas en mer d’un mois qu’Elder Hanks mourait et était
enseveli dans les flots. Le navire traversa l’Atlantique, fit
le tour du Cap de Bonne-Espérance, traversa l’océan
indien, longea la côte sud de l’Australie et entra dans
le Pacifique. Au cours de cette traversée longue et monotone
de sept mois, on toucha à terre à deux reprises. Les
anciens eurent largement le temps de lire, d’étudier et
de s’instruire mutuellement sur les thèmes de
l’Évangile. Le 30 avril, ils accostèrent pour la
première fois en Polynésie, à l’île
de Tubuai, à six cent cinquante kilomètres au sud de
Tahiti dans les îles de la Société.
Dès
que les habitants de l’île apprirent qu’il y avait
des missionnaires à bord, ils réclamèrent à
cor et à cri que l’un d’eux reste parmi eux. Les
frères furent tellement frappés par la bonté,
l’hospitalité et le caractère religieux du peuple
qu’ils estimèrent que ce serait négliger leur
devoir que de ne pas accéder à leur demande. En
conséquence, ce fut Addison Pratt, qui « paraissait
le plus vivement désireux, » qui fut choisi pour
rester là. Le Timoleon quitta Tubuai le 9 mai et aborda six
jours plus tard à Papeete (Tahiti).
Le
climat politique et religieux fut à la fois du goût des
missionnaires et un sujet de détresse pour eux. Au lieu d’être
un paradis comme en rêvaient les romantiques, les îles
étaient sur pied de guerre. Les forces françaises
combattaient les Tahitiens afin de conquérir les îles.
Les missionnaires anglais excitaient les insulaires contre les
Français. Bien que la France eût des objectifs
impérialistes (elle avait besoin de bases pour son empire), le
conflit avait également pour objet la liberté
religieuse. La guerre à Tahiti rendait l’œuvre
missionnaire impossible, et pourtant ce furent les décrets des
Français qui permirent aux saints des derniers jours de
pénétrer dans les îles, contrairement aux visées
des missionnaires anglais.
La
London Missionary Society (LMS), installée dans les îles
depuis 1797, considérait qu’elle représentait les
intérêts anglais et exerçait une influence
politique considérable sur le gouvernement local. Il faut
toutefois reconnaître que les missionnaires de la LMS avaient
de belles réalisations à leur crédit. Ils
avaient appris le tahitien et l’avaient mis par écrit,
en assurant ainsi la conservation. Ils avaient traduit beaucoup de
textes chrétiens en tahitien. Des abécédaires,
des catéchismes, des cantiques, des extraits des Ecritures et,
dès 1835, la Bible tout entière, dont les premiers
exemplaires imprimés étaient arrivés à
Tahiti en septembre 1840. Ils avaient appris à la population à
lire. Le paganisme était brisé, les infanticides et les
sacrifices humains avaient été abolis et les idoles
anciennes avaient été détruites à partir
de 1816 environ.
Les maraes – des lieux de culte sacrés, des
autels pour les sacrifices et les prières – étaient
abandonnés, si pas démolis, les tabous étaient
en grande partie éliminés, des maisons avaient été
construites et étaient occupées par des familles (cela
pour mettre fin à la pratique de dormir en communauté),
les danses polynésiennes avaient été interdites
(on les considérait comme trop suggestives), la promiscuité
sexuelle avait été réduite, la polygamie était
éliminée et des lois avaient été
décrétées contre l’importation et l’usage
d’alcool parmi les chrétiens, des écoles et des
églises avaient été établies, le premier
baptême avait été accompli en 1819 ; c’est
ainsi que la christianisation avait progressé à partir
de 1820. Les missionnaires anglais avaient également introduit
les institutions politiques et juridiques anglaises. Ils étaient
à juste titre fiers et jaloux de leurs réalisations et
tenaient à protéger leur domaine.
Ce fut
cette attitude protectionniste et des rapports extrêmement
étroits entre les services missionnaires et les fonctions
politiques qui furent à l’origine du conflit entre les
Anglais, les Français et les Tahitiens. Le consul britannique,
ancien missionnaire de la LMS, exerça une forte influence sur
la reine Pomare IV pour qu’elle adopte une politique
antifrançaise et anticatholique. Le conflit se déclencha
lorsqu’en 1836, deux prêtres catholiques français
abordèrent dans les îles de la Société et
furent expulsés sur ordre de la reine Pomare IV. La France
intercéda pour protéger ses citoyens et, par une série
d’interventions entre 1838 et 1842, installa un protectorat sur
les îles, avec l’accord des Britanniques. La plupart des
missionnaires anglais quittèrent les îles de la Société.
Parmi les autres, les uns accordèrent leur soutien au
protectorat tandis que d’autres excitaient les insulaires en
leur promettant des armes anglaises pour les soutenir contre les
Français. Cette aide ne fut pas donnée et un conflit
armé éclata le 21 mars 1844 entre les forces
tahitiennes et françaises et dura plus de deux ans jusqu’en
décembre 1846. La fin de la guerre fut célébrée
le 7 janvier 1847.
L'état de guerre n'était pas propice à l'oeuvre missionnaire, car les gens avaient l'esprit trop occupé par le conflit. Néanmoins l'arrivée des Français et l'installation du protectorat en 1842 furent favorables à l'entrée des missionnaires mormons dans les îles. En proclamant la liberté religieuse pour les catholiques, les Français proclamaient la liberté religieuse pour tous. Le document du 9 septembre 1842, signé par la reine Pomare, disait entre autres :
« 4. Le
peuple sera libre de considérer Dieu selon ses désirs.
« 5. Les
Églises des missionnaires britanniques qui existent
actuellement ne seront pas molestées et les missionnaires
britanniques s’acquitteront de leurs fonctions. Il en va de
même pour toutes les autres personnes, elles ne seront pas
molestées pour leur attitude vis-à-vis de Dieu. »
La
tolérance religieuse était arrivée, permettant
l’installation du catholicisme, religion nationale des
Français. Elle permettait aussi l’entrée légale
des mormons dans les îles de la Société. Si le
gouvernement tahitien avait été au pouvoir, sous
l’influence britannique, les mormons auraient été
expulsés aussi rapidement que les prêtres catholiques,
et la Mission mormone aurait pris fin avant même d’avoir
commencé.
Les
anciens se trouvaient néanmoins face à des problèmes.
Les Tahitiens ne s’intéressaient qu’à
mettre fin à la guerre. Les missionnaires anglais excluaient
les mormons des seules églises qui existaient et excitaient
les insulaires contre eux. Puis il y eut la tâche difficile
d’apprendre la langue. On comprendra que les premiers convertis
furent des résidents américains et anglais. Les
premiers à être baptisés à Tahiti, le 10
août 1844, furent M. et Mme Seth Lincoln, des passagers du
Timoleon. Les progrès furent lents. Elder Grouard comptait
neuf convertis après six mois de travail. Il ordonna alors
Seth Lincoln ancien et, pour la première fois à Tahiti,
bénit la Sainte-Cène le 23 novembre 1844. Le président
Rogers amena quelques Tahitiens à croire, mais ils ne
voulurent pas obéir. « La raison qu’ils
avançaient était qu’ils n’osaient pas,
parce qu’ils attendaient l’aide des Anglais contre les
Français et qu’ils craignaient que les missionnaires
anglais n’exercent contre eux leur influence auprès du
gouvernement anglais, s’ils adoptaient nos principes. »
Un peu
découragé à Tahiti, le président Rogers
embarqua sur un schooner pour Huahine, où il y enseigna sans
succès d’octobre à janvier. Grouard quitta Tahiti
à la fin de décembre, passa la Noël et le mois de
janvier avec Pratt à Tubuai, puis il retourna à Tahiti.
Le
premier bastion à Tubuai (1844-1845)
À
l’inverse des sombres perspectives que connaissait la Mission
de Tahiti, Addison Pratt découvrit, à Tubuai, une
situation qui était tout à fait de son goût. Il
n’y avait pas de missionnaires dans l’île, et il
n’y en avait plus eu depuis très longtemps. Et la
conquête française de Tahiti n’avait pas eu de
répercussions aussi loin. Les habitants de Tubuai, aussi bien
les chefs que les prédicateurs, insistèrent vivement
pour que Pratt restât et fût leur instructeur.
Pratt
constata que le sabbat était respecté, que l’on
priait en privé et en public, que l’on assistait au
culte religieux, que l’on demandait la bénédiction
sur la nourriture, que l’on désirait apprendre à
lire et que l’on se rendait à l’école. En
outre, il y avait sept étrangers, américains pour la
plupart, qui le reçurent bien.
Pratt
fut emmené chez Nabota et sa femme Telii [Terii ?], qui
l’adoptèrent comme hoa (ami) pour veiller à tous
ses besoins en tout temps et dans toutes les circonstances. « Là
où je vais, ils vont, là où je reste, ils
restent ; ils considèrent que tout ce qu’ils ont est à
moi. » Telii était une femme très habile et très
informée. Elle prenait régulièrement soin de ses
vêtements, les lavait, les reprisait, les amidonnait et les
repassait. Pour augmenter leur réserve de nourriture, Pratt,
mettant à contribution ses aptitudes au tir et à la
pêche, fournissait quotidiennement au ménage des poules
et des canards sauvages tués dans les collines et les
marécages ou de temps en temps une anguille pêchée
dans un cours d’eau proche. Certains lui donnaient du manioc à
vendre comme nourriture aux navires, une truie (elle a maintenant
neuf porcelets) et du tissu. Un étranger lui prêta une
carabine mauresque prise par les Français à Alger,
qu’il utilisait lors de ses expéditions de chasse à
l’intérieur des terres. Un capitaine de navire lui donna
un petit setter espagnol comme compagnon de chasse.
Dans « cette
île grandement bénie et extrêmement belle et
agréable, » il était traité « mieux
que leurs princes. » Au cours de ses déplacements, ils
le prenaient souvent sur leurs épaules et le transportaient de
l’autre côté des flaques d’eau à
l’aller et au retour du bateau, ne voulant pas qu’il se
mouille les pieds. La seule chose qui lui gâchait son séjour,
c’était la solitude et l’absence de toute
communication avec sa famille et avec l’Église. « Qui
aurait pu me décrire les beautés de cette île, la
salubrité de son climat, l’abondante diversité de
ses fruits tropicaux, la luxuriance de son sol, l’abondance de
son gibier, comme les chèvres… (qui) fourmillent par
milliers dans les montagnes ; dans les marécages, il y a des
nuées de canards et dans les forêts des poules sauvages
en abondance. » Et dans les limites du récif corallien,
d’une beauté fantastique, la lagune, « lisse
comme un étang et claire comme le cristal, »
abondait en excellents poissons.
Pour
mieux apprendre la langue aussi parfaitement et aussi rapidement que
possible, il quitta le village portuaire de Mataura pour s’installer
à Mahu, village plus petit du côté sud de l’île,
où il serait loin des étrangers et serait obligé
de ne parler et de n’entendre que le tahitien. Le roi Tamatoa
lui fournit une brochure anglais-tahitien ; la traduction de la Bible
par la London Missionary Society l’aida beaucoup également,
également, même s’il en vint à considérer
la traduction comme imparfaite. L’apprentissage d’une
langue étrangère, écrit-il, « n’a
rien d’agréable, je peux l’assurer ». « Ce
que nous avons pu apprendre de la langue, nous l’avons appris
en étudiant dur et non par le ‘don des langues’. »
Au bout de cinq ou six mois, « Paraita » (nom
tahitien de Pratt) faisait des sermons en public et en tahitien avec
« une certaine compétence. »
Dès
le début, Pratt se familiarisa avec les coutumes locales et il
vécut avec les insulaires comme instructeur, pour enseigner et
être instruit. Il allait à leurs écoles et aux
services religieux organisés par les missionnaires locaux. Il
organisait les services religieux en anglais pour les étrangers
résidant dans l’île aussi bien que pour les
équipages des navires qui s’arrêtaient pour
s’approvisionner. Et, avec le temps, il créa sa propre
école pour les Tahitiens, jeunes et vieux. Au début,
son programme consistait en des cours quotidiens, des réunions
de prière, le lundi, le mercredi et le vendredi soir, et la
prédication le dimanche. Le samedi, il le passait tout seul,
pendant que la population était occupée à
préparer la nourriture pour la semaine suivante.
Dès le
mois d’août, Pratt avait décidé de répartir
ses efforts entre les deux villages, Mataura et Mahu. Pendant plus
d’un an, il alterna son enseignement entre les deux villages,
passant une semaine dans chacun d’eux. Et lors des « dimanches
de Sainte-Cène » mensuels, la communauté des
saints des deux villages se réunissait dans l’un d’eux
pour le service religieux. S’il avait eu la chance de commercer
avec un navire, il avait du pain avec de la farine pour la
Sainte-Cène ; en guise de vin il utilisait du lait de coco. Il
éprouvait une grande satisfaction à voir ses fidèles
vêtus de « vêtements blancs et propres »
chanter les cantiques que Telii et lui leur avaient enseigné
et exprimer une dévotion religieuse profonde et sincère.
Il enseignait tous les jours les Écritures et était souvent
retenu jusqu’à une heure fort avancée pour
répondre à des questions concernant la Bible, et pour
interpréter et expliquer des passages. Lorsqu’il
soignait les malades, il unissait souvent sa foi à celle des
insulaires pour pratiquer l’onction et l’imposition des
mains ; pour d’autres, il appliquait les remèdes
domestiques pratiqués dans l’Amérique
jacksonienne ; et dans certains cas, il décidait de laisser
faire la nature.
Pour
l’apprentissage de la langue, il reçut l’aide de
Charles Hill, un Américain, qui lui servait volontiers
d’interprète. C’est d’abord par lui que
Pratt enseigna le mormonisme aux Polynésiens, et il ne fallut
pas longtemps pour que Hill lui-même fût converti. En
fait, les premiers convertis vinrent de parmi les étrangers :
Ambrose Alexander, baptisé le 16 juin, et, le 22 juillet,
Charles Hill, John Layton, William F. Bowen, William Carrington et
James Clark.
Pour les
missionnaires anglais, c’était un grand miracle,
exceptionnel dans toutes les îles du Pacifique, que six des
sept marins d’une île se convertissent à la
religion, et Pratt fut ému, lui aussi, de voir les larmes de
repentir couler sur leurs visages burinés. « Que
c’est réjouissant pour moi d’entendre des marins
élever la voix pour prier ! » Les premiers
convertis locaux furent Nabota et sa femme Telii, Pauma et Hamoe, la
femme de Haametua, baptisée le 22 juillet 1844.
Le 29
juillet 1844 était organisée la branche de Tubuai de
l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers
jours - la première dans le Pacifique - avec onze membres.
Charles Hill fut ordonné ancien, John Layton prêtre,
William Carrington et James Clark instructeurs et William F. Bowen et
Ambrose Alexander diacres. Le dimanche 5 août, Haametua fut
baptisé et le premier service de Sainte-Cène eut lieu.
Le nombre de baptêmes augmenta jusqu’à ce qu’il
y eût, à la fin de février 1845, soixante
convertis sur une population d’environ deux cents insulaires.
Il était
difficile à Addison Pratt d’éviter de s’impliquer
dans une certaine mesure dans la politique des îles. Au bout de
dix mois à Tubuai, il écrivit à Brigham Young :
« Le
Seigneur a considérablement béni mes faibles efforts
pour répandre l’Évangile. J’ai baptisé
cinquante-sept personnes dans cette île… Parmi elles, il y a
la reine… un vice-roi, sa femme et sa fille… le chef principal et
sa femme… et plusieurs chefs subalternes ; vous voyez donc que les
rênes du gouvernement sont dans l’Église, et cela
m’a amené involontairement dans une situation très
délicate, car si vous me permettez cette plaisanterie, je suis
premier ministre de l’île. On me demande conseil pour la
plupart des affaires juridiques… Je pense qu’il est sage de
me tenir le plus possible à l’écart de leurs lois
; en tous cas, je pense que je n’ai rien à voir avec
elles, et je leur dis souvent que je ne suis pas venu ici pour faire
des lois ou pour les faire exécuter, mais pour prêcher
l’Évangile de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ
; et que cela fait, je m’étais acquitté de mon
devoir et que ceux qui entraient dans l’Église devraient
être gouvernés par les lois de l’Église, et
puis c’est tout ; mais on ne me permet pas d’en rester
là, et par conséquent je dois faire du mieux que je
peux.
»
Se
conformant aux instructions que Brigham Young lui avait données
de rester dans le champ de la mission jusqu’à ce qu’il
fût relayé ou relevé, Pratt vécut d’une
manière simple parmi le peuple, se mettant à son
niveau, apprit sa langue et l’instruisit par la parole et par
l’exemple. Il adapta sa vie à celle du peuple, vivant à
égalité avec lui. Il ne levait ni taxes, ni impôts.
Il n’avait rien de mieux qu’eux en matière de
logement ou de nourriture. Les insulaires disaient qu’ils
préféraient Pratt aux missionnaires anglais, « car
il se contente de vivre comme nous et de partager notre sort. Mais si
vous [les missionnaires anglais] vous arrêtez ici, nous allons
devoir nous mettre à vous construire des maisons où
vous vivrez et où vous ferez votre cuisine, et en plus, des
annexes et des porcheries, et il vous faudra tant de services que
nous ne pourrons pas avoir le temps de nous occuper de nous-mêmes.
» La seule chose qu’il exigeait d’eux, c’était
les changements requis pour se conformer à l’Évangile.
Le
succès de Pratt à Tubuai ancra la Mission et en
garantit la perpétuité. Il était là seul,
n’ayant rien d’autre à faire que de vivre parmi
les habitants de Tubuai et les instruire. Il n’était pas
prêt d’abandonner le champ de la mission et de rentrer
chez lui. Son succès encouragea les Elders Rogers et Grouard à
persévérer.
À
partir de Tahiti
Lorsqu’en
février 1845, Noah Rogers et Benjamin Grouard furent de retour
à Tahiti, ils décidèrent d’aller dans des
îles lointaines dans lesquelles il n’y avait pas de Missions anglaises et qui étaient à l’écart
des opérations militaires. Ils se séparèrent
donc le 22 avril, Grouard prenant la direction de l’est et de
l’île d’Anaa dans les Tuamotu et Rogers prenant le
chemin de l’ouest parmi les îles Sous-le-Vent du groupe
de la Société.
La
visite que Rogers fit dans les îles de l’ouest en avril,
mai et juin ne fit qu’augmenter son découragement. Il
toucha à Moorea, à Huahine, et ensuite à
certaines des îles Cook et des îles Australes, mais
n’atteignit pas Tubuai. Dans les îles où il
voulait prêcher, les chefs lui apprenaient que les
missionnaires anglais leur avaient interdit de recevoir des
missionnaires ou des instructeurs s’ils ne leur apportaient pas
des lettres de la London Missionary Society.
À
la mi-juin, Rogers était de retour à Tahiti, seul, sans
succès, sans aucune nouvelle de l’Église ou de sa
famille, découragé. Les journaux américains
apportés par les navires de passage confirmaient de vagues
informations sur des troubles en Illinois et la mort de Joseph Smith.
Il craignait pour ses neuf enfants laissés à Nauvoo.
Lui-même avait subi des violences de la part des Missouriens en
1840. Il savait ce qui pouvait arriver. L’occasion se
présentant, il prit le Three Brothers pour les États-Unis.
Il arriva le 29 décembre 1845 à Nauvoo et retrouva sa
famille, mais ce fut pour mourir lors de l’exode de Nauvoo au
printemps.
Anaa et
l’archipel des Tuamotu (1845–1847)
À
l’est des îles de la Société se trouvent
les atolls étroits et bas et les récifs de l’archipel
des Tuamotu, qui s’étirent sur quelque quinze cents
kilomètres d’eau. La terre y est rare et peu profonde et
elle ne supporte pas grand-chose d’autre que le cocotier. Mais
les lagunes peu profondes, alimentées par l’eau
extérieure, par les interruptions entre les récifs,
accueillent une foule de poissons. Ces habitants des Tuamotu ne
peuvent connaître qu’une existence précaire grâce
à la noix de coco, aux poissons et à quelques porcs.
Pourtant ils comptent parmi les plus robustes, les plus grands, les
plus forts de tous les Océaniens. Etant donné le danger
qu’il y a à naviguer parmi les récifs bas et à
moitié cachés et la maigre pitance qu’on pouvait
leur fournir, peu d’étrangers s’y rendaient, et
même les missionnaires anglais n’y faisaient que de rares
visites, laissant ce qu’il y avait en fait de christianisation
entre les mains des prédicateurs tahitiens.
Le
premier mai 1845, Benjamin F. Grouard aborda à l’île
d’Anaa, ou île de la Chaîne. Des embarcations
vinrent à la rencontre de son bateau ; il s’y trouvait
des chefs, bien habillés dans leurs vêtements
traditionnels. En approchant du rivage, il vit la plage remplie
d’insulaires qui attendaient leur arrivée, « criant
et caquetant comme un troupeau de dix mille oies sauvages. »
« Les cris sauvages de ces fils à moitié
civilisés de l’océan » lui firent très
peur et « il me semblait, écrit-il, que j’avais
pour ainsi dire quitté le monde et me trouvais sur une autre
planète parmi une autre espèce d’êtres
humains, ou sur le point d’entrer parmi eux. » Il
arriva au lieu de débarquement et sauta à terre.
« L’instant
d’après j’étais entouré par deux à
trois cents natifs des deux sexes et de tout âge : nus, mi-nus
et vêtus, hululant, huant, riant et jacassant comme une légion
de mauvais esprits. Ils me donnaient l’impression d’être
farouches et sauvages ; et en entendant les cris sauvages et
effrayants qu’ils poussaient et ne pouvant comprendre le
moindre mot à ce qu’ils disaient, je n’étais
pas du tout certain de ne pas être devenu une victime pour le
sacrifice. Au bout de quelques instants, les chefs qui m’avaient
amené au rivage, après avoir amarré leur
embarcation, arrivèrent et me dirent en tahitien (langue
qu’ils parlent quand ils le veulent) de me rendre au village.
La foule des natifs me serrait autant qu’elle le pouvait sans
me piétiner, aussi bien devant que derrière, et
continuait à hurler sans arrêt, pour manifester sa joie.
»
Arrivé
chez le chef principal, Grouard fut invité à énoncer
sa mission. Ce qu’il fit, disant qu’il était
Américain. Les chefs dirent que leur peuple avait aimé
les Américains qu’ils avaient eu parmi eux et ils
voyaient donc Grouard d’un œil favorable. Le chef déclara
:
« Vous
êtes le premier missionnaire du pays des blancs qui ne soit
jamais venu dans notre pauvre pays pour vivre parmi nous ; les
missionnaires anglais de Tahiti n’ont jamais voulu venir, parce
que notre pays n’a pas beaucoup de bonnes choses à
manger comme ils en ont là-bas. Nous leur avons souvent
demandé de venir mais ils nous demandent toujours ce que nous
avons comme nourriture ; et lorsque nous disons que nous n’avons
que des noix de coco, ils disent qu’ils ne peuvent pas venir,
mais nous envoient un natif de Tahiti, et ceux-là, nous ne les
voulons pas, car nous avons appris qu’ils sont aussi mauvais ou
pires que nous. Et maintenant, puisque vous nous avez aimés au
point de venir auprès de nous, nous nous sentons vraiment très
heureux et nous allons essayer de vous mettre à l’aise
et de vous rendre heureux.
»
Grouard
s’installa à Matahoa et, le dimanche suivant, 4 mai, il
prêcha pour la première fois dans les Tuamotu « les
premiers principes de l’Évangile, » en
partant de Marc 16 :15-17. « Allez dans le monde entier et
prêchez la bonne nouvelle à toute la création…
»
Sur
Anaa, Grouard ne trouva qu’une centaine de chrétiens sur
une population « de deux à trois mille âmes,
» et pour lui, « la seule différence entre
eux et ceux qui n’avaient pas été baptisés
était que lorsqu’un des missionnaires anglais venait
recueillir les fonds annuels, ils étaient appelés
frères, les autres pas. » Les observances chrétiennes
parmi les baptisés « consistaient à prier, à
garder le sabbat et à construire des lieux de réunions.
Les actes n’étaient rien. » Ils se ressemblaient
tous, « mentir, tricher, voler, se débaucher et
presque n’importe quelle autre abomination n’était
pas considéré comme honteux ou criminel. »
Ils avaient la Bible et pouvaient la lire, mais « ils n’en
connaissaient pas plus sur son contenu qu’un enfant… »
La
présence d’un orometua (missionnaire, instructeur)
résident, et d’un mormon américain en plus,
suscita une agitation parmi les habitants d’Anaa, et Grouard
passa tout son temps à recevoir, jusque tard le soir, des
visiteurs dans sa petite chambre et à visiter les villages
voisins. Il eut ses premiers baptêmes le 25 mai, trois semaines
après son premier sermon. À partir de ce moment-là,
leur nombre grandit. Le rite du baptême par immersion en amena
des centaines à venir assister à la cérémonie,
et les Polynésiens « aspergés »
discutaient de cette « hérésie. »
Le gouverneur, les chefs, les juges, aussi bien que les humbles,
venaient se faire instruire auprès de lui et demandaient le
baptême. Après avoir gagné ses premiers convertis
dans les villages voisins, il fit une tournée d’un mois
des cinq localités principales de l’île : Temarie,
Tukahara, Otepipi, Putuahara et Tematahoa ou Naké. Le 1er
août, à la fin de cette tournée, il avait baptisé
355 insulaires. À la date du 21 septembre, il avait organisé
cinq branches avec dix-sept officiers et 620 membres honorablement
connus, tout cela dans les quatre mois qui suivirent son premier
baptême.
Grouard
avait tant à faire que cela l’amena à demander
l’aide d’Addison Pratt, qui était toujours à
Tubuai. Il savait qu’une lettre risquait de ne jamais parvenir
jusqu’à lui. Il décida donc d’y aller
lui-même. À l’aide d’une embarcation
polynésienne et d’un navire français, il arriva à
Tahiti et envoya un message à Tubuai, où Pratt accéda
de grand cœur à la demande et confia la branche de
Tubuai à Charles Hill. Il partit pour Tahiti après des
fêtes d’adieu et des dons constitués par les
produits de l’île, accompagné de son hoa et de la
vahiné de celui-ci, Nabota et Telii.
Pratt et
Grouard restèrent un mois à Tahiti, enseignant et
baptisant dans la région excentrique de Tiarei avant de
pouvoir partir pour Anaa, mais ils atteignirent l’île le
3 février 1846.
La joie
du peuple ne connut pas de limites lorsqu’il vit Grouard et
Pratt revenir avec des amis dans leur île. Des fêtes
furent organisées successivement dans chacun des villages. On
respecta la pratique de Pratt à Tubuai de passer une semaine
dans chacune des branches et de se rendre successivement parmi les
insulaires. Pratt se mit immédiatement à créer
des écoles pour les jeunes et les vieux, organisa divers
services et enseigna aux saints des cantiques et des chants. Nabota
et Telii aidèrent considérablement et furent bien
entendu de bons compagnons.
Entre le
5 juin et le 18 septembre, Grouard et une grande foule d’amis
se mirent en route dans un pahi paumotu (grand bateau à double
coque) et rendirent visite aux grandes îles coralliennes
situées au nord et à l’est d’Anaa. Les
habitants d’Anaa, qui avaient toujours été de
bons marins, les avaient précédés et avaient
annoncé la visite de « Turuati. »
Grouard et son groupe firent douze arrêts dans neuf ou dix
îles : Faaite, Fakarava, Kaukura, Makatea, Tikehau, Rairoa
(Rangiroa ou Rahiroa), Arutua, Apataki, Toau. Il baptisa dans six
d’entre elles, 116 âmes en tout. Ce fut surtout dans ces
îles, mais dans une moindre mesure à Anaa, que la Mission fut en contact direct avec des peuples primitifs à
peine sortis du paganisme et encore bien éloignés du
christianisme.
Le 24
septembre 1846, la première conférence de saints des
derniers jours en Polynésie fut organisée dans l’île
d’Anaa. Dix branches de l’Église y étaient
représentées avec un total de 866 âmes
« honorablement connues. » À cette
conférence, Addison Pratt annonça aux saints qu’il
était décidé à retourner vers l’Église
aux États-Unis, à retrouver sa famille et à
revenir en Polynésie avec d’autres missionnaires. Il
quitta Anaa au milieu de novembre pour Tahiti, où il resta
jusqu’à la fin de mars avant de pouvoir prendre passage
pour les États-Unis. Entre-temps, il travaillait dans la
région de Tiarei et créa une branche à Huuau.
Avec le départ de Pratt, qui eut lieu le 28 mars 1847, la
première phase de l’histoire de la Mission prit fin.
L'enseignement dispensé
L’enseignement dispensé était celui
de l'Église du début de 1843.
La seule documentation que possédaient les missionnaires était
le Livre de Mormon, les Remarkable Visions d’Orson Pratt et la
Voix d’avertissement de Parley P. Pratt. Leur petit assortiment
ne tarda pas à être épuisé. Il est peu
probable que le Livre de Mormon fut beaucoup utilisé comme
moyen d’enseignement. Addison Pratt considérait que
c’était « une lente introduction à
l’œuvre. » Et, bien entendu, aucun texte
mormon en tahitien ne pouvait être offert aux insulaires. Il y
avait des missionnaires anglais qui approuvaient l’œuvre
de Pratt et fournissaient des livres pour son école.
Le
message principal des missionnaires était la croyance en Dieu,
le Père éternel, en son Fils, Jésus-Christ, et
au Saint-Esprit, essentiellement la doctrine du Christ, ses
enseignements et son sacrifice expiatoire. Les missionnaires
mettaient l’accent sur la nécessité de se
conformer aux enseignements fondamentaux du Christ. Il était,
bien entendu, essentiel de croire aux enseignements distincts de
Joseph Smith, le prophète : le rétablissement de
l’autorité divine, le rétablissement des
enseignements et de l’organisation du christianisme primitif
avec les mêmes dons, les mêmes pouvoirs et les mêmes
bénédictions, et le fonctionnement d’une prêtrise
laïque dans les assemblées de saints officiellement
constituées.
Il était
souvent fait allusion à l’enseignement des « premiers
principes de l’Évangile, » c’est-à-dire
la foi, le repentir, le baptême par immersion et l’imposition
des mains pour le don du Saint-Esprit. Les missionnaires anglais
pratiquaient l’aspersion. Les Polynésiens n’avaient
jamais vu de baptêmes par immersion, c’est pourquoi, à
certains moments, des centaines d’insulaires se rendaient à
la plage pour assister à cette ordonnance.
Les
enseignements et les pratiques des saints des derniers jours se
distinguaient aussi par la Parole de sagesse, c’est-à-dire
l’abstinence d’alcool et de tabac. L’alcool était
un fléau des Polynésiens, et certains insulaires
avaient légiféré contre son importation, mais la
tentation était presque omniprésente. À Anaa,
lorsque Grouard expliqua que l’usage du tabac était
contraire à la volonté du Seigneur, le peuple y
renonça, manifestant la ferme résolution de ne jamais
plus en prendre. Les missionnaires mormons firent du respect de la
Parole de sagesse une des conditions pour être membre de
l'Église.
Une
autre condition pour être membre de l’Église était
la chasteté. Addison Pratt écrit que « le
péché de luxure est le péché flagrant de
ces îles et ils commencent quand ils sont petits. Je ne cesse
pas un seul instant de les mettre en garde contre ce péché,
tant les vieux que les jeunes. » Grouard considérait la
luxure comme « une abomination aussi naturelle pour eux
que la respiration, une vieille pratique païenne. »
Les
mormons étaient d’accord avec l’interdiction des
danses tahitiennes imposée par les Anglais. Pratt écrivit
le 19 juillet 1846 : « Le soir, j’ai jugé et
suspendu des membres pour avoir dansé et fumé, ce qui
est contraire aux règles de l’Église ; en
outre, la danse n’est pas autorisée hors de l’Église.
» Plus tard, sous les Français, les lois se relâchèrent
et les danses réapparurent.
Si la
danse était interdite, le chant était encouragé.
Addison Pratt passa beaucoup de temps à enseigner des
cantiques et à en traduire les paroles :
« Tous les
habitants des îles du Pacifique ont le grand désir
d’apprendre la musique des Psaumes et des cantiques. Ils ont
une voix très forte et très claire, pas très
haute, pas très basse. Ils n’ont pas cette aptitude à
la musique qui est si naturelle chez les Africains, mais ils ont une
oreille musicale qui leur est propre. Ils gardent remarquablement la
mesure en chantant les différentes voix. Ils n’attrapent
pas les sons rapidement, mais une fois qu’ils ont appris un
air, ils ne se lassent pas de le chanter, se réunissent chez
un voisin le soir et chantent sans arrêt le nouvel air jusqu’à
minuit. À cause de cela ils ennuient beaucoup Elder Grouard,
car il n’a pas beaucoup de patience pour enseigner un air, et
ils me font souvent venir de son côté de l’île
pour leur apprendre des airs. Mais je suis beaucoup soulagé
dans cette tâche par sœur Telii, à qui j’avais
appris beaucoup d’airs avant de quitter Tubuai. Et tant que son
répertoire n’est pas épuisé, ils me
laisseront relativement tranquille.
»
Dans son
récit quotidien, Pratt parle de nombreuses fois d’imposition
des mains aux malades, surtout à Anaa dans les Tuamotu et à
Tiarei à Tahiti. Ces témoignages de guérison des
malades par son imposition des mains sont nombreux. Mais chaque fois
qu’il sentait qu’il y avait un manque de foi, il refusait
de donner une bénédiction par ce moyen-là.
Dans
l’île d’Anaa, les anciens rencontraient un problème
spécial en ce qui concerne la santé des membres : leur
corps était possédé par des varua ino (de
mauvais esprits). En juillet 1845, Elder Grouard fut appelé au
chevet d’une sœur malade.
« Je
ris lorsque le messager me dit qu’elle était possédée
d’un démon, mais il m’assura que c’était
vrai et me supplia de me hâter. Sachant les natifs très
superstitieux et n’ayant jamais vu quelqu’un
effectivement possédé par un démon, je n’y
croyais pas, mais pensai que la personne avait été
saisie d’une douleur violente, une colique ou quelque chose de
ce genre : mais lorsque j’arrivai à l’endroit où
se trouvait cette personne, j’éprouvai une sensation qui
me dit qu’il s’agissait d’autre chose que d’une
colique. Je n’avais encore jamais vu un spectacle pareil, et
cela me secoua ; mais après avoir contemplé quelques
minutes cette personne, la crainte me quitta ; je posai alors les
mains sur elle et au nom de Jésus-Christ je réprimandai
le mauvais esprit et il la quitta immédiatement. Elle se leva,
ayant tous ses esprits, et demanda à boire, et au bout de
quelques minutes, elle était mieux que jamais.
»
Elder
Pratt connut des expériences semblables peu après avoir
abordé à Tubuai, attestant que l’Église
moderne a les mêmes dons que l’Église primitive :
« Aujourd’hui
[23 novembre 1844], j’ai administré de l’huile
consacrée à frère Pilot. Il était malade
depuis plusieurs jours d’une affection rhumatismale dans les
jambes et les pieds. Ils étaient considérablement
gonflés et très douloureux. Ils avaient été
soignés par le médecin natif, mais il disait qu’ils
n’allaient pas mieux. Avant de faire l’imposition des
mains, je lui demandai s’il était disposé à
se passer des soins médicaux et à mettre sa confiance
dans le Seigneur.
Il dit
que oui. Je commençai par lui laver soigneusement les pieds
dans de l’eau froide, puis les oignis et leur imposai les
mains. Je passai le voir le lendemain matin et le genou et le pied
qui étaient le plus enflés et le plus douloureux
étaient tout à fait rétablis, mais il restait un
peu de douleur dans l’autre, bien que cela allât beaucoup
mieux.
»
Les cas
impliquant des varua ino (mauvais esprits) apparaissaient plus
souvent dans les Tuamotu ; néanmoins, Elder Pratt, à
Tubuai et à Tahiti, eut beaucoup de témoignages de
l’efficacité de la puissance de la foi pour guérir
par l’onction d’huile et la bénédiction par
l’imposition des mains.
Un des
enseignements positifs et pratiques des missionnaires mormons était
la morale du travail. Un fonctionnaire du gouvernement d’Anaa
demanda à Elder Grouard : « Si quelqu’un
entre dans votre Église, doit-il quitter quitter son travail ?
Non, dis-je, au contraire, il doit devenir plus industrieux. Comment
? demanda-t-il. Peut-on faire n’importe quelle sorte de travail
? Oui, dis-je, pourvu que ce soit honnête. Bon, dit-il, j’ai
un poste au gouvernement ; si j’étais baptisé,
qu’est-ce que j’en ferais, le quitter ? Non, dis-je, mais
vous devriez être plus attentif et plus diligent à
remplir vos fonctions en vérité et en justice. »
Addison
Pratt enseigna la doctrine du rassemblement et de l’établissement
d’une Sion sur le continent américain. Les insulaires
étaient disposés à y aller, mais ils n’en
avaient pas les moyens, et la lettre d’Elder Pratt à
Brigham Young recommandant que l’on désigne un lieu de
rassemblement ne reçut pas de réponse. Malgré
cela, les saints envisageaient une Sion insulaire et commencèrent
peut-être à se rassembler, car un missionnaire anglais
fit la remarque : « Ils se déversent en grand
nombre sur nos avant-postes… [nombre illisible] hommes, femmes et
enfants ont abordé à Tubuai et ont obtenu du gouverneur
la permission de s’y installer pour lancer une entreprise
agricole. »
Un très
petit nombre d’allusions faites au passage montre que les
missionnaires connaissaient bien les grands points de la doctrine de
l’Église et que les insulaires furent initiés à
ces principes : « l’apostasie de l’Église
primitive »… « la ‘dispensation de la
plénitude des temps’ que nous vivons maintenant »… les « prophètes » de nos jours… que les
saints des derniers jours « ne dépendent pas
totalement de la Bible pour obtenir leur connaissance, mais qu’ils
ont aussi une parole plus certaine de la prophétie »…
le Livre de Mormon et par conséquent le rétablissement
de l’autorité divine (bien qu’elle ne soit pas
mentionnée comme telle) et une prêtrise laïque
(fonctionnant dans les branches officiellement établies dans
l’Église).
Si rien
ne prouve que les anciens aient enseigné les principes
relatifs au temple et au salut pour les morts, il faut remarquer
qu’Addison Pratt fut baptisé pour certains de ses
parents décédés avant de quitter Nauvoo. Les
missionnaires étaient au courant de la question, comme le
montre l’inscription dans le journal de Grouard dans laquelle
il se lamente de ne pas avoir de nouvelles de l’Église,
surtout à « une époque d’un intérêt
si intense où tant de choses sont attendues : le ‘temple’,
la ‘dotation’, la prospérité et l’adversité
de l’œuvre grande et glorieuse qu’est la nôtre.
» À aucun moment le mariage plural des saints des
derniers jours ne fut enseigné en Polynésie.
Le
succès des missionnaires
Quel a
été le succès des missionnaires ? Tubuai et les
Tuamotu furent les centres qui connurent le plus grand succès.
La plupart des insulaires furent convertis à l’Église.
Il y eut à coup sûr des retours aux anciennes pratiques.
Si un navire visiteur restait longtemps, il y avait récidive.
Puis il y en eut qui se lassèrent, tout simplement. Addison
Pratt écrit : « Encore une femme qui a voulu que
son nom soit rayé des registres de l’Église. Elle
a dit qu’elle était fatiguée d’essayer de
servir le Seigneur. Elle a dit qu’elle voulait aller servir le
diable de tout son cœur. Et ces natifs savent comment le faire
de toutes leurs forces. »
Mais les
succès dépassèrent de loin les échecs.
Pratt et Benjamin Grouard auraient été heureux
d’entendre les compliments faits par d’autres sur leur
œuvre. George Platt, missionnaire anglais, écrivit en
mai 1855 (trois ans après que les missionnaires mormons
eussent quitté le champ de la mission) : « Le
groupe de Paumotu semble totalement livré aux mormons. Et les
prêtres [catholiques]… les mormons et les prêtres,
n’ont pas d’autres livres pour enseigner que les nôtres.
J’ai souhaité qu’ils soient bien équipés
en livres, car les mormons leur enseignent à lire. »
William Howe, un autre missionnaire anglais, passa à Tubuai en
l’absence de Pratt et de Grouard : « Il faut que je
dise ici qu’il y a trois étrangers, deux Américains
et un Anglais, qui habitent dans l’île et dont la
conduite est tellement excellente qu’elle a le plus heureux des
effets sur la population. Ce que je dis là est tout à
fait exceptionnel, mais c’est une constatation qui me ravit, et
je prie avec ferveur pour que ce genre de cas se multiplie. »
Enfin, un capitaine de navire chevronné, missionnaire anglais
et consul américain, dit à Pratt en septembre 1846 :
« Ils ont dit qu’on n’avait jamais entrepris
de mission dans l’océan Pacifique qui ait rencontré
autant de succès que celle-ci et que, compte tenu des moyens
dont nous disposions et de l’encouragement que nous recevions
de chez nous, c’était un miracle. »
2. Les
premiers bastions (1850–1852)
En dépit
de leur succès, les Elders Addison Pratt et Benjamin Grouard
étaient hantés par une question restée sans
réponse : Pourquoi l’Église n’avait-elle
pas écrit et ne leur avait-elle pas envoyé l’aide
ou le relais promis ? Brigham Young leur avait dit de rester dans les
îles jusqu’à ce qu’ils soient relevés
ou relayés, mais ces missionnaires isolés n’avaient
reçu ni nouvelles, ni relève, ni aide de la part de
l’Église. Ils savaient qu’elle avait de graves
ennuis. Les navires de passage répercutaient des rumeurs qui
donnaient lieu à de grandes craintes pour la sécurité
de leur famille et de l’Église à Nauvoo.
Le 5
mars 1846, les Elders Pratt et Grouard reçurent leur première
lettre des Douze, de Wilford Woodruff, écrite en novembre 1844
à Nauvoo. Sur le même navire arrivaient les journaux
américains de 1845 qui parlaient des menaces de violence et
d’expulsion à l’égard des saints de Nauvoo.
En
lisant la lettre de Wilford Woodruff, Grouard tira la conclusion que
sa femme était retournée à Philadelphie, où
il l’avait rencontrée et épousée, et
qu’elle l’avait quitté, ainsi que l’Église,
et était retournée à son ancien mode de vie.
Maintenant qu’il était attaché à son champ
de mission, il décida - puisque « il n’est
pas bon que l’homme soit seul » - de se marier et de
rester dans les îles. Par conséquent, à la
mi-avril, il prit Tearo, une jeune Polynésienne, pour épouse.
Selon Pratt, c’était « une membre de
l’Église, la jeune fille la plus jolie et la meilleure
de l’île une pierre brute faite du marbre le plus
fin dont la forme est distinguée. » Quant à
Pratt, il décida de retourner en Amérique pour
retrouver sa famille et obtenir le soutien nécessaire pour la Mission.
Le
retour d’Addison Pratt aux États-Unis, 1847-1850 Il
fallut trois ans à Addison Pratt pour se rendre aux États-Unis
et revenir ensuite dans les îles avec des renforts. Il quitta
Papeete le 28 mars 1847. De juin 1847 jusqu’à l’été
de 1848, il demeura en Californie à attendre l’information
officielle qui lui permettrait de trouver le lieu de rassemblement
des saints. Il finit par arriver dans la vallée du lac Salé
le 28 septembre 1848, une semaine après que sa famille y fût
parvenue de Winter Quarters. Aucun d’eux ne s’attendait à
ces heureuses retrouvailles cinq ans et quatre mois après leur
séparation à Nauvoo. Le 15 octobre, Elder Pratt
présenta à la conférence la lettre que Benjamin
Grouard et lui avaient écrite le 19 octobre 1846 à
Anaa, qui faisait rapport sur la Mission et demandait de l’aide.
Un soutien immédiat fut promis. La conférence vota à
l’unanimité « qu’Elder Pratt retourne
dans les îles, accompagné par les anciens qui seront
désignés plus tard. »
Au mois
de juin ou de juillet 1849, un groupe de missionnaires était
prêt à partir pour Tahiti, mais il se produisit des
retards dus à l’afflux des prospecteurs d’or et de
bruits de troubles avec les indiens sur l’itinéraire
terrestre. Néanmoins il fallait immédiatement soulager
Grouard. Par conséquent, Addison Pratt et James S. Brown, un
jeune vétéran du bataillon mormon dans la guerre du
Mexique, quittèrent, le 2 octobre, la vallée du lac
Salé avec une compagnie de prospecteurs d’or dirigés
par Jefferson Hunt, prirent la route de la Californie par
l’itinéraire du sud, arrivèrent au début
de l’année suivante à San Francisco,
s’embarquèrent pour les îles et arrivèrent
le 24 mai 1850 à Papeete.
Selon
les dispositions prises, une deuxième compagnie d’hommes
et de familles quitta la vallée du lac Salé pour les
îles de la Société. Il y avait en tout vingt et
une personnes, dont sept anciens qui allaient prêcher. Ces
familles missionnaires, en compagnie d’autres émigrants,
quittèrent la vallée le 7 mai, prirent l’itinéraire
terrestre jusqu’à Sacramento et San Francisco,
quittèrent ce dernier port en septembre et arrivèrent
le 21 octobre 1850 dans l’île de Tubuai.
Certains
de ces nouveaux arrivants ne restèrent pas longtemps dans les
îles, mais malgré tout, la force missionnaire fut
agrandie et revitalisée. Les plus actifs furent les familles
Pratt et Crosby, James S. Brown, Sidney Alvarus Hanks, Simeon A.
Dunn, Julian Moses et les insulaires Thomas Whitaker, John Hawkins,
Ambrose Alexander et John Layton. Ces missionnaires édifièrent
sur les fondements posés par Elder Grouard.
Benjamin
F. Grouard, missionnaire solitaire (1847-1850)
Pendant
l’absence d’Addison Pratt, Benjamin F. Grouard passa la
plus grande partie de son temps à Tahiti et à Tubuai.
Il travailla en collaboration avec John Hawkins, qui étendit
l’œuvre pionnière de Grouard dans les Tuamotu. Des
anciens polynésiens fonctionnaient dans les branches de chacun
des groupes. Pendant qu’ils étaient en mer en route pour
Tubuai, Tearo, femme de Grouard, mourut, lui laissant une petite
fille, Sophronia. Grouard épousa alors Nahina, fille d’un
chef d’Anaa, qui lui donna trois fils.
Elder
Grouard passa beaucoup de temps à régler le problème
du transport d’une île à l’autre. Pendant
qu’ils étaient à Tahiti, Hill et lui
construisirent un bateau, l’Anaura sur le modèle d’un
baleinier mais plus grand et muni d’un pont. À Tubuai,
on construisit un autre navire, le Messenger, pour le profit de
l’Église, mais par suite d’une mauvaise gestion,
il fallut le vendre pour payer les dettes encourues, et le bateau
devint la possession du roi Tamatoa. Lorsque Pratt arriva à
Tahiti, Grouard était à Tubuai, occupé à
construire un autre bateau à usage missionnaire, un bateau
jaugeant quatre-vingts tonneaux, avec douze couchettes doubles dans
une cabine spacieuse construite en tamanu, acajou durable de l’île.
La
deuxième phase (1850-1852)
La
période s’étendant de l’arrivée à
Tahiti d’Addison Pratt et de James Brown en mai 1850 et la fin
de l’année fut une période de retards et de
malentendus. Lorsque Pratt arriva à terre, il obtint le permis
de séjour habituel, alla jusqu’à sa petite
branche à Huuau, au-delà de la pointe Vénus, et
mit Brown au courant des gens, de la langue et de l’œuvre.
Mais au début de juillet, Benjamin Grouard arriva inopinément
à Papeete pour être jugé par le gouvernement sur
des accusations non spécifiées. Il répondit à
toutes les questions et il lui fut permis de retourner à
Tubuai, mais il fut interdit à Pratt et à Brown de
quitter Tahiti et de prêcher, et on leur dit d’attendre
le bon plaisir du gouverneur. Après une longue attente, ils
introduisirent de nouveau une demande. Le gouverneur leur dit
simplement que tout ce qu’il voulait d’eux et des autres,
c’était un rapport écrit concernant leurs
enseignements, leur foi et leurs pratiques pour lui permettre de
juger s’ils devaient être exclus des îles du
protectorat ou recevoir une liberté totale sous la protection
du gouvernement français. Les missionnaires s’exécutèrent
et, le 6 novembre, une déclaration lui était envoyée.
Le
gouverneur posa alors les questions suivantes :
Quels
sont les moyens de subsistance des mormons ?
Qui
donne aux mormons de la Société le pouvoir de
constituer une organisation ?
Quelles
sont les formes de gouvernement et de discipline qui régissent
la société ?
Quelle
garantie de moralité et de bonne conduite exige-t-elle des
membres désignés comme missionnaires auprès des
étrangers ?
Quelle
garantie exigent-ils avant de conférer des titres et des
fonctions aux natifs ?
Quels
devoirs exigent-ils des étrangers ou des membres natifs, non
compris le dogme religieux, dont je ne m’occuperai pas ?
Combien
de services religieux organisent-ils hebdomadairement et
mensuellement ?
Quelle
moralité les mormons prêchent-ils ?
Une fois
que ces questions eurent été posées et qu’il
eut reçu une réponse satisfaisante, le gouverneur leur
donna la permission de résider dans les îles du
Protectorat avec le droit à la protection française en
se conformant aux lois du pays. Le gouverneur imposa les conditions
et les garanties suivantes :
« 1. Les
missionnaires mormons se contenteront de prêcher leur religion
sans se mêler, sous quelque prétexte que ce soit, aux
affaires politiques ou civiles.
« 2. Ils
s’abstiendront de parler en chaire contre la religion établie
dans les îles du Protectorat et contre les lois et les décrets
émanant des autorités.
« 3. Ils
ne lèveront aucun impôt, que ce soit sous forme
d’argent, de travail, de provisions ou de matériel, sur
les habitants des îles du Protectorat.
« 4. Ils
n’infligeront de pénalité à personne, que
ce soit en argent, en travail, en provisions ou en matériel,
en cas de non-respect des règles de la religion qu’ils
prêchent
« 5. Ils
ne peuvent acquérir de terres au nom de la société
sans l’approbation du gouvernement du Protectorat.
« 6. Nul
ne peut être autorisé à se joindre à eux
en tant que missionnaire mormon dans les îles de la Société
sans avoir signé une attestation selon laquelle il souscrit à
la présente déclaration En outre, il est de mon
devoir de les informer que lorsqu’ils sont constitués en
société, ils ne peuvent tenir aucune réunion
(sauf le jour officiellement connu comme jour de prière et de
prédication) sans la permission des autorités, sous
peine d’être poursuivis selon la loi.
»
Les
missionnaires répondirent en affirmant que :
« 3. Nous
exigeons d’eux [les membres de l’Église] qu’ils
soient strictement vertueux dans tous les sens du terme, observant
les lois du pays où ils demeurent, et nous leur enseignons
cela…
« 6. Nous
n’avons pas de moment fixé pour le service religieux à
part le sabbat. Nous organisons deux conférences par an. À
part cela, nous nous soumettons à la volonté du peuple.
« 7. Nous
prêchons au peuple et l’exhortons à garder tous
les commandements de Dieu et à obéir strictement aux
lois du pays où il réside.
»
Les
réponses faites aux questions satisfirent le gouverneur, et
les mormons les signèrent pour manifester leur volonté
de respecter les règles imposées par le gouverneur
concernant leur séjour. Le nouveau permis de séjour
disait explicitement que le missionnaire attestait qu’il
« a[vait] les moyens de pourvoir à sa subsistance
pendant son séjour à Tahiti. » En d’autres
termes, aucun étranger ne pourrait plus vivre aux frais des
insulaires et il était interdit aux insulaires d’entretenir
les étrangers. Cette nouvelle politique allait créer
quelques difficultés aux mormons.
Le 28
janvier 1851, Addison Pratt retrouva sa famille à Tubuai,
après l’avoir vue pour la dernière fois en
octobre 1849, dans la vallée du lac Salé. Pratt exposa
alors les restrictions gouvernementales aux chefs locaux. Les chefs
convoquèrent un conseil, décidèrent que les
missionnaires seraient les bienvenus, que les insulaires les
aideraient à construire des maisons et qu’ils auraient
la faculté d’occuper les terres dont ils avaient besoin
pour leurs cultures. Les permis français en main et leur
protection assurée, les missionnaires mormons s’attelèrent
plus vigoureusement à l’achèvement du bateau.
Grouard s’occupa de la plupart des pièces métalliques.
Jonathan Crosby, beau-frère d’Elder Pratt, aida les
autres pour la menuiserie. Pratt fit les voiles. Américains et
Polynésiens obtinrent, par leur investissement en travail, une
part de la valeur du bateau.
Le
bateau missionnaire baptisé Ravaai (le pêcheur), fut
terminé à la mi-avril et lancé entre le 18 et le
21 mai. Il n’y avait pas assez de membres de l’Église
à Tubuai pour tirer si loin un vaisseau aussi lourd, et les
missionnaires durent demander l’aide des insulaires. Mais les
non-mormons refusèrent d’aider s’ils ne pouvaient
pas organiser une danse et une fête traditionnelles au moment
du lancement. Les missionnaires acceptèrent, et les insulaires
profitèrent au maximum de la situation, prolongeant le
lancement de quatre jours. Ils dansaient, tiraient le navire et
festoyaient autour. Le Ravaai pouvait maintenant jouer un rôle
central dans la Mission, la soutenant de deux manières : en
transportant les anciens d’une île à l’autre,
selon que le justifiaient les nécessités et les succès,
et faisant du commerce entre les îles pour assurer la
dépendance financière.
Une fois
le Ravaai lancé, Elder Pratt organisa des conférences à
Tubuai (4 mai) et à Huuau, dans l’île de Tahiti
(18 mai), au cours desquelles des tâches missionnaires furent
données. Thomas Tompkins fut chargé d’aller en
Californie obtenir un soutien financier pour la Mission pour répondre
aux exigences des Français, obtenir davantage de missionnaires
et chercher un lieu de rassemblement en Basse-Californie pour les
saints de Polynésie. Il fut voté que Thomas Whitaker
présiderait les affaires de l’Église à
Tahiti et à Moorea, aidé de Julian Moses et de deux
anciens locaux. John Hawkins fut désigné pour présider
les affaires de l’Église dans les Tuamotu assisté
de James Brown, Simeon A. Dunn et Sidney Alvarus Hanks. Ces
dispositions mirent les nouveaux missionnaires avec des étrangers
convertis, des hommes ayant des épouses polynésiennes
et étant eux-mêmes des résidents à moitié
polynésiens – qui connaissaient la langue et le peuple. Les
Elders Pratt et Crosby devaient diriger les affaires de l’Église
à Tubuai et rendre visite aux îles voisines des
Australes. Grouard fut désigné comme capitaine du
Ravaai. Il allait transporter les missionnaires selon les nécessités
et transporterait en même temps des porcs, du bétail, du
jus de citron vert et les produits d’une île à
l’autre selon les contrats passés périodiquement.
Ce type
d’activités se poursuivit pendant plusieurs mois. Brown
et Hanks travaillèrent à Anaa, Hanks et Hawkins, dont
la femme était Arutua, rendirent visite aux lointaines
Tuamotu. Elder Crosby passa aussi du temps dans ces îles
coralliennes. Pratt tint une promesse faite de longue date et
s’installa en solitaire dans l’île de Raivavae du
27 octobre au 10 décembre.
Les
couples missionnaires
Pendant
que les frères profitaient du Ravaai, les sœurs
faisaient leurs propres expériences originales à
Tubuai. Entre leur arrivée à Tubuai, le 21 octobre
1850, jusqu’au lancement du Ravaai en mai 1851, les nouvelles
missionnaires aidèrent à la construction du navire,
étudièrent la langue et firent la connaissance des
habitants de Tubuai. Une fois le navire lancé et les
affectations attribuées, certaines familles retournèrent
aux États-Unis.
Les
Joseph Busby, Samuel McMertry et Thomas Tompkins furent envoyés
chercher une aide supplémentaire. Des sœurs d’Utah,
seules Louisa Pratt et sa sœur Caroline Crosby restèrent
à Tubuai pour la durée de leur service dans les îles.
Sœur
Pratt avait avec elle ses quatre filles. Ellen (dix-huit ans),
Frances (quinze ans), Loïs (treize ans), Ann Louise (dix ans),
et un jeune garçon, Hiram Clark (quatorze ans), que l’on
avait emmené pour rendre service à Emmeline B. Wells.
Jonathan et Caroline Crosby avaient leur fils, Alma (treize ans). La
réception de ces nouveaux missionnaires, couples et frères
seuls, à leur arrivée à Tubuai, fut mémorable.
Un concert de Ia ora na (bienvenue) accueillit les nouveaux
missionnaires lorsqu’ils abordèrent à Mataura,
accueillis par Benjamin Grouard, qui donna à chacun un nom
tahitien et les présenta à tout le monde. Louisa
s’échappa de la foule pour passer quelques moments
sacrés dans le fare pureraa (maison du culte). C’est là
que « six années auparavant, mon mari avait
l’habitude de prier. Dans la chaire, je m’agenouillai
devant le Seigneur pour le remercier de nous avoir protégé
la vie à tous pendant que nous traversions les grandes eaux. »
Les habitants de Tubuai avaient préparé un grand festin
dans le style umu—cuisson dans un four souterrain—composé
de taro et de poi, de poisson, de porc et de volaille et des fruits
abondants de l’île. La soirée s’était
passée au milieu des cantiques chantés par tous. « Je
n’avais encore jamais vu une harmonie aussi parfaite. Dieu est
dans tout cela, » écrivit-elle.
Les
saints de Tubuai avaient préparé des maisons pour les
nouveaux missionnaires. « De petites maisonnettes blanches
dans les bois, brillant à travers les arbres verts les
bâtiments [étaient] bas mais très longs, stuqués
au-dedans et au-dehors, avec de la chaux tirée des roches
coralliennes ; il ne pourrait y avoir de blanc plus pur que celui-là.
»
Sœur
Pratt créa un potager de légumes ordinaires avec des
semences qu’elle avait apportées. « Tout
pousse comme par magie, » écrit-elle. Quand ils
manquaient de viande, Addison Pratt allait « chasser les
poules sauvages dans les bois, allait chercher des canards dans les
plantations de taro et fournissait ainsi de la viande à sa
famille. » En outre, il y avait des porcs et des chèvres
et aussi du poisson.
Entre-temps
les missionnaires faisaient connaissance des pratiques en matière
de réunions de l’Église. Caroline Crosby décrit
la réunion du sabbat :
« La
cloche pour l’église sonna à 7 heures. Nous nous
rendîmes tous au fare pure raa, où quelque 80 à
100 personnes étaient réunies pour le culte. Nous fûmes
très heureux de voir la correction et l’ordre qui
régnaient parmi elles. Elles avaient presque toutes la Bible
sous le bras, prêtes à suivre l’orateur là
où il pourrait les conduire. Ils ont trois réunions et
une école dans le courant de la journée, et en outre
nos frères blancs en ont une expressément pour nous.
»
Elder
Pratt organisait aussi des réunions pour les popaa (étrangers)
où il enseignait les premiers principes de l’Évangile
pour le profit des enfants. » Souvent les saints d’un
village se rendaient dans l’autre pour les réunions et
pour rencontrer leurs amis et les missionnaires. Chaque mercredi, au
lever du soleil, il y avait une réunion de prière. Sœur
Pratt prenait beaucoup de plaisir aux réunions :
« Suis
allée au lever du soleil au service matinal. Je profite mieux
du service de culte à cette heure-là qu’à
n’importe quelle autre. J’ai l’impression de
commencer la journée correctement. Les prières nous
paraissent sublimes, les chants merveilleux et célestes. Le
service religieux dure rarement plus d’un quart d’heure,
coutume que j’admire beaucoup.
»
Les
couples missionnaires remarquèrent aussi le respect et la
dévotion des saints de Tubuai. Sœur Pratt écrit :
« Ils ont
apparemment beaucoup de plaisir à lire les Écritures et à
prier ; ils sont très ponctuels à leurs dévotions
familiales Ils se lèvent souvent avant l’aube. La
première chose qu’ils font, c’est de réunir
la famille et de se mettre à genoux pour prier ; ensuite ils
sonnent la cloche et vont à la maison de culte pour lire la
Bible.
»
La
plupart des nouveaux missionnaires furent lents à apprendre le
tahitien. Il est certain qu’avant leur arrivée, Louisa
Pratt et Caroline Crosby avaient appris quelques mots et quelques
expressions par Addison Pratt. Pendant l’hiver de 1848-49, il
avait donné un cours de tahitien dans sa cabane du vieux Fort
à Salt Lake City.
Ellen
Pratt avait beaucoup de succès auprès des insulaires.
Elle apprit rapidement la langue, aimait la mer et accompagnait
souvent son père sur le Ravaai pour visiter les saints des
îles, enseigner, chanter et jouer de l’accordéon.
À Tubuai, elle fut pendant des mois l’interprète
de sa mère et de sa tante. Quand elles eurent acquis de la
compétence dans la langue, les filles Pratt créèrent
leur propre groupe d’étudiants à qui elles
enseignaient les bonne manières et l’anglais.
Lorsqu’elle n’était pas à l’école,
la jeune Alma Crosby était la compagne de jeux du fils de la
reine. Les filles Pratt s’occupaient aussi d’enfants
polynésiens. Lorsqu’Elder Pratt était à
Tubuai, il enseignait aussi, apprenant aux enfants la lecture et le
calcul. Il observa que « ceux qui vont régulièrement
à l’école deviennent très compétents.
»
L’enseignement des sœurs, quant à lui, se
faisait surtout par l’exemple : « Incapable de
leur faire comprendre les préceptes, » observe Caroline.
Et Louisa note : « J’ai travaillé toute
la matinée à nettoyer mon jardin de devant. Je fais
souvent ce genre de chose pour encourager les femmes locales à
nettoyer le leur. » Les sœurs Pratt et Crosby dirigeaient
la réunion de prière hebdomadaire des femmes et eurent
la satisfaction d’apprendre suffisamment bien la langue pour
lire les Écritures, chanter les cantiques et prier en tahitien. Ces
femmes donnèrent un exemple de la vie au foyer et en famille
chez les mormons qui allait se perpétuer pendant des années
dans les îles.
Comment
les couples et les familles missionnaires s’adaptèrent-ils
à cette nouvelle vie ? Sœur Pratt relève
particulièrement le « calme profond » de
l’île où le seul son était celui des
« maillets des vieilles femmes » martelant
l’écorce pour faire des tissus Cela rompt la
monotonie et est préférable au silence absolu. »
Pour sœur Pratt, le temps passait lentement et la routine était
« morne, morne, morne. » Sœur Crosby, au
contraire, avait le sentiment que « le temps s’est
écoulé presque imperceptiblement Cette île est
si agréablement située, elle est empreinte d’un
tel calme et d’une telle sérénité qu’à
mon avis un esprit calme et contemplatif ne pourrait être
malheureux. »
Les
soirées se passaient souvent en musique. Les saints se
rassemblaient dans une des maisonnettes et passaient la soirée
à chanter des cantiques (bien que les saints de l’île
« apprennent un air jusqu’à épuisement ;
» écrit sœur Pratt). Souvent Ellen Pratt, Alma
Crosby et Jonathan Crosby jouaient ensemble de leurs instruments :
Ellen, l’accordéon, Alma, le violon et Jonathan Crosby,
la flûte.
Elder et
sœur Pratt se rendaient souvent à cheval d’un
village à l’autre pour les affaires de la Mission ou
pour se retirer. Un jour, un groupe fit un voyage jusqu’aux
petites îles au large de la côte est. Ils explorèrent,
firent un festin de type umu et y passèrent la nuit.
La mer à
l’intérieur du récif de Tubuai offrait beaucoup
d’attractions. Sœur Pratt écrit : « Notre
amusement principal est d’être sur la plage, à la
fin du jour, quand l’air est frais, et de regarder les enfants
jouer dans l’eau, lorsque les brisants se précipitent
sur la plage. » Un jour, un groupe partit en canoë
jusqu’au récif et alla observer les profondeurs
coralliennes, des poissons de toutes formes et de toutes couleurs
filant au milieu des cavités. Un autre jour, la famille et les
amis escaladèrent la montagne haute de 400 mètres.
À
Tubuai, Elder Pratt s’attaqua aux problèmes rencontrés
par les missionnaires qui poussaient les femmes et les hommes à
plaider pour qu’il y ait un changement. La mission était
difficile pour les familles Pratt et Crosby. Les maris étaient
partis pendant des périodes prolongées. Addison Pratt
fit deux grandes croisières de 41 et 73 jours et Jonathan
Crosby fut parti pendant 103 jours lors de sa première mission
d’enseignement dans les Tuamotu.
Elder
Pratt affronta les plaintes de sa femme concernant sa solitude et sa
grande préoccupation pour leur sécurité. Un
navire de passage avait déchargé une grosse quantité
d’alcool et les non-mormons avaient consacré plusieurs
jours à la boire et à la cuver dans la danse, causant
une grande crainte aux femmes laissées seules. Les parents
éprouvaient aussi beaucoup d’appréhension à
propos de leurs enfants. Les jeunes avaient besoin de faire des
études et les parents essayaient de les occuper en se rendant
utiles. En outre, sœur Pratt se trouvait devant le problème
posé par le fait que ses jeunes filles en âge de se
marier n’avaient pas de relations masculines convenables. Les
mormons américains pouvaient se tahitianiser aussi bien que
les protestants anglais. Par une chaude soirée, Ellen et
Frances qui, en toute innocence, s’étaient habillées
en vêtements polynésiens et s’étaient
promenées dans l’île, avaient eu une demande en
mariage d’un chef local.
On ne
saurait trop insister sur l’influence qu’exercèrent
ces familles missionnaires. Comme on le verra plus tard, elle fut de
longue durée. Elles avaient enseigné les principes de
l’Évangile ; elles avaient enseigné, par
l’exemple, les relations familiales, le soin et l’éducation
des enfants, la propreté et l’ordre au foyer, la façon
de s’habiller, les bonnes manières et des techniques
telles que la couture, le tricot et la confection de couvertures.
Caroline et Louisa firent une couverture piquée pour la reine.
Chargé
de présider à Anaa en juillet 1851, James Brown vit ses
efforts parmi les saints compliqués par la présence de
quatre prêtres catholiques français vigilants, qui
étaient venus dans l’île et avaient créé
une paroisse minuscule de trente membres, composée
essentiellement d’insulaires au service du Protectorat. Dans
ses conversations privées, surprises par les Français,
Brown exposait le drapeau américain, racontait ses exploits
dans le bataillon mormon et montrait des cartes des États-Unis
(les terrains aurifères). Cela et le fait qu’il
compatissait aux plaintes des insulaires de ce qu’ils devaient
vivre sous le « joug » français et qu’il
les encourageait à se rassembler aux États-Unis étaient
tout ce dont les Français avaient besoin. Le 28 octobre, il
fut arrêté et envoyé enchaîné à
Tahiti où il fut emprisonné sur un navire de guerre
jusqu’au 15 novembre. Douze jours plus tard, il était
expulsé des îles du Protectorat français et reçut
l’ordre de quitter Tahiti par le premier vaisseau qui quittait
le port. Le consul américain William H. Kelly signa une
caution de 40 000 francs pour lui et Benjamin Grouard veilla à
ce que « le premier navire à quitter le port »
fût le Ravaai. Brown fut emmené à Raivavae, situé
à l’époque en dehors des possessions françaises,
où il resta pendant dix mois.
À
Raivavae, il rencontra beaucoup d’opposition. L’hostilité
augmenta jusqu’à ce qu’en mai 1852, au village de
Tatake, ses ouailles et lui fussent menacés de mort. Il y eut
deux jours de fête et d’hystérie dont le point
culminant furent les préparatifs pour brûler Brown vif.
Le bûcher fut allumé. Au plus fort du tumulte, Elder
Brown les défia
au nom
de Dieu. Un couple mormon du village, la mère avec son bébé
dans les bras, s’avança et exigea d’être
brûlé d’abord, sur quoi les gens commencèrent
à se battre entre eux jusqu’à ce que la tombée
de la nuit dispersât la foule épuisée. Brown
apprit plus tard que lorsqu’il les défia « une
lumière brillante » apparut au-dessus de sa tête,
lumière que l’on prit pour un signe de la faveur de son
Dieu. Il écrit : « Après cela, je fus traité
avec un grand respect. » Mais en dépit de tout cela,
cela n’intéressait personne d’accepter son
message. Il resta à Raivavae cet été-là.
Il ne
fait pas de doute que l’expulsion de Brown jeta une ombre sur
les autres Américains. Mais d’autres facteurs pesèrent
également sur eux pour les décourager et les inciter à
abandonner la mission. Des renforts missionnaires étaient
prêts à quitter la Californie pour Tahiti, mais
lorsqu’ils apprirent l’emprisonnement de Brown, leurs
ordres d’appareillage furent annulés. Brown était
maintenant d’une utilité limitée. L’œuvre
était entretenue principalement par des frères
américains mariés avec des insulaires.
Pour les
mormons, la politique administrative française était la
principale source de détresse : le retour des danses et
des « pratiques païennes » polynésiennes
et la révocation de l’interdiction de l’alcool,
accompagnés par un déclin généralisé
de la moralité et du bon ordre dans les îles, causèrent
apparemment la ruine de leur œuvre et rendirent tout autre
effort futile.
Le point
culminant de la politique religieuse française pour les îles
du Protectorat arriva lorsque l’assemblée législative
de Tahiti passa en mars 1852 une loi qui avait pour effet de
subordonner l’Église à l’État. Elle
créait les fonctions de ministre de district, celui-ci devant
être choisi par les chefs du gouvernement du Protectorat et
rendait n’importe qui éligible à cet office, à
condition d’être élu par un vote majoritaire.
L’élection d’un étranger comme ministre de
district devait être soumise à l’approbation du
gouverneur.
Ces
dispositions avaient pour effet de n’autoriser que les
prédicateurs polynésiens élus par les habitants
d’un district. Les missionnaires anglais trouvèrent
cette politique tellement contraire à leurs principes que tous
sauf un quittèrent les îles en 1852.
Toutes
ces questions atteignirent un point critique au cours des premiers
mois de 1852. Il semblait qu’il n’y eût plus rien
d’autre à faire que de se retirer des îles et
d’essayer plus tard. Le Ravaai fut préparé pour
prendre la mer, peut-être pour emmener les saints aux
États-Unis, comme cela avait été envisagé
lors de sa construction. Mais les copropriétaires locaux
refusèrent de vendre leurs parts à Grouard ou de
laisser le navire partir en Amérique tant le bateau était
précieux dans les îles. Les missionnaires ne pouvaient
rien faire d’autre que vendre.
Le 6
avril, les familles américaines quittèrent Tubuai, pour
ne jamais y revenir. Les adieux avaient souvent été
répétés au cours de ces derniers jours et des
cadeaux d’adieu échangés.
Louisa
Pratt, Caroline Crosby et Ellen Pratt rencontrèrent les sœurs
au cours de leur réunion de prière des femmes, tenue
l’après-midi, et firent leurs adieux. Les bénédictions
plurent sur elles. Plus tard, sœur Pratt donna des conseils
d’adieu à ses meilleures amies et encouragea le chef
Hoatau, ancien dans l’Église, à garder tous les
enfants sous leur supervision directe, pour « les protéger
le plus possible des tentations. »
Les
missionnaires reçurent, semble-t-il, suffisamment de
nourriture pour tout le voyage de retour. Le peuple les suivit
jusqu’à la plage. Tous pleurèrent abondamment en
leur donnant la poignée de main d’adieu. Les saints
locaux lancèrent des bénédictions tandis que les
familles missionnaires partaient. Le Ravaai traversa les récifs
avant la nuit et, alors qu’ils étaient bien en chemin,
ils pouvaient encore entendre du rivage « Ia Orana outou,
» et « la paix soit avec vous. »
À
Tahiti, les frères se mirent à l’ouvrage pour
faire des travaux de menuiserie afin de gagner l’argent pour
leur passage. Grouard vendit sa part dans le Ravaai pour 400 dollars
américains, ce qui paya le passage pour sa famille et celle de
Pratt jusqu’aux États-Unis. Le 16 mai 1852, Addison
Pratt et sa famille, Benjamin F. Grouard, sa femme Nahina et leurs
enfants quittèrent Tahiti sur l’embarcation Callao pour
San Francisco. Dix semaines plus tard, le 28 juillet, l’Agate à
Tahiti fit payer le prix fort pour emmener en Amérique les
Jonathan Crosby « et les frères » (Thomas
Whitaker, Ambrose Alexander et peut-être John Layton, chacun
avec une épouse tahitienne ; Julian Moses partit très
vraisemblablement avec eux, ainsi que Simeon A. Dunn, mais ceci est
incertain).
À
cette date, les missionnaires mormons qui restaient dans les îles
étaient James S. Brown (qui partit en novembre), Sidney
Alvarus Hanks (qui se perdit dans les lointaines Tuamotu et ne
retourna aux États-Unis que quelque temps après 1857,
mais avant 1862) et John Hawkins (qui était un résident
des îles lorsqu’il fut converti et resta dans les îles,
lien entre le passé et le futur).
Cette Mission mormone de Polynésie avait été créée
et entretenue au prix de grands sacrifices personnels. Lors de son
premier départ des îles, Addison Pratt fit à ce
propos les réflexions suivantes :
« Nous
avons affronté la honte de la pauvreté, l’opposition
des hommes et des démons et la grave négligence de
l’Église et de nos amis d’Amérique
traversant des récifs coralliens dangereux, des montagnes
glissantes alors que nos orteils dépassaient de nos chaussures
et que nos genoux et nos coudes sortaient de nos vêtements,
vivant une partie de notre temps de noix de coco et de poisson cru et
dormant sur le sol pour obéir aux commandements du Sauveur et
prêcher l’Évangile aux natifs des îles des
mers du sud.
»
En dépit
du retrait des frères étrangers, il restait des
dirigeants locaux détenteurs de la prêtrise, instruits
de l’administration, des pratiques et de la doctrine de
l’Église par les frères Pratt et Grouard. Ces
frères bien formés allaient continuer du mieux qu’ils
pouvaient pendant une période d’intolérance et de
persécution.
Les
dernières tentatives
Les
frères Addison Pratt et Benjamin Grouard firent, en vain,
d’autres tentatives encore pour maintenir la Mission. En
octobre 1853, ils répondirent à un appel à y
retourner, mais à San Francisco ils apprirent que les
interdits imposés par les Français rendraient le voyage
inutile. Ils mirent Nahina, la femme de Grouard, et son bébé
sur un bateau, et elle retourna dans son île où elle se
remaria. Grouard épousa une membre d’Utah et vécut
ensuite essentiellement en Californie et en Illinois.
Addison
Pratt entreprit une quatrième mission en 1856, appelé
par les apôtres Amasa M. Lyman et Charles C. Rich. Il arriva le
1er juin à Papeete et se retrouva complètement bloqué
par les édits du Protectorat. On ne lui accorda pas la liberté
de rendre visite à d’autres îles ou de prêcher
à Tahiti. « Deux chefs, un de l’île
d’Anaa et l’autre de Taroa, apprenant qu’il était
à Tahiti, s’y rendirent dans l’intention de le
ramener avec eux. » Mais le gouverneur désapprouva et
dit que « Pratt avait fait là-bas toute la
prédication à laquelle il avait droit. » Les
mêmes restrictions avaient été imposées
aux missionnaires protestants anglais, et ils avaient quitté
les îles. Pratt apprit que Sidney Alvarus Hanks s’était
caché dans les îles Tuamotu, à l’insu des
Français, et qu’il continuait là-bas et avait
« baptisé presque tous les habitants d’une
île et un grand nombre dans les autres îles. »
Lorsque Hanks apprit l’arrivée de Pratt, il se rendit à
Tahiti pour le trouver mais n’y réussit pas. Pratt fut
très attristé d’apprendre les persécutions
qui s’étaient produites et fut encouragé de voir
qu’il y en avait qui étaient encore fidèles à
la cause. Ne pouvant obtenir la permission d’exercer son
ministère, il reprit le bateau après avoir passé
environ quatre mois à Tahiti.
Les
longues années que Pratt passa à se dévouer pour
la Mission polynésienne créèrent des tensions
dans sa famille et lorsque vint la guerre d’Utah de 1857-1858,
la famille Pratt se divisa. Addison, sa fille Frances et le mari de
celle-ci restèrent en Californie. Louisa Pratt et d’autres
allèrent en Utah et s’installèrent à
Beaver. Les deux parties de la famille correspondirent, échangèrent
des cadeaux et se rendirent même visite, mais sinon vécurent
à part. Addison Pratt mourut en 1872.
Sidney
Alvarus Hanks, le dernier des missionnaires mormons originels, resta
dans les îles au moins jusqu’en 1860, à travailler
parmi les habitants de l’archipel des Tuamotu, particulièrement
à Takaroa et à Takapoto. Démuni de provisions,
de vêtements, il était « presque totalement
devenu natif. » Une lettre de Hanks, datée de janvier
1857, faisait savoir qu’il était alors dans une île
de onze cents habitants et de quelque soixante-dix membres de
l’Église. En 1862, il était de retour en Utah et
se maria. Il mourut dans une tempête tempête de neige
dans les montagnes en mars 1870. Selon sa notice nécrologique,
il avait passé (à partir de 1850) « douze ou
quatorze ans » dans les îles.
Étrange
l’effet qu’exercent les aléas de la fortune sur
notre idéal. L’Église chrétienne primitive
fut d’abord persécutée, puis tolérée
et finit par être persécutrice. Les missionnaires
protestants anglais étaient arrivés à Tahiti
dans une ambiance de tolérance ; ils devinrent intolérants
vis-à-vis de la concurrence. Ce fut cette intolérance
qui fut à l’origine de la conquête française.
Les Français proclamèrent la tolérance pour que
le catholicisme fût toléré, et une fois qu’ils
furent fermement établis, ils devinrent moins tolérants
à l’égard d’autres cultes. La conquête
française avait permis en 1844 à la Mission mormone de
s’établir, mais en 1852, la politique française
ne permettait plus aux missionnaires étrangers de continuer.
Les Polynésiens mormons mormons se révoltèrent
contre ce qui était pour eux un empiètement sur leurs
libertés religieuses et prirent des mesures qui leur valurent
des persécutions.
Dans les
îles paradisiaques des mers du sud, les émissaires de la
paix apportèrent les querelles du christianisme. Dans les
domaines pris pour le Christ par les protestants anglais arrivèrent
les mormons proclamant le rétablissement du christianisme.
Chose étrange, les insulaires mormons allaient être
affligés par des divisions existant au sein du mouvement de
rétablissement moderne lui-même.
3. Le
passage à la direction locale (1852-1892)
Le
départ du président Pratt, de ses compagnons et de
leurs familles marqua la fin de la première grande période
de l’histoire de l’Église en Polynésie
Française et inaugura une deuxième période
caractérisée par les efforts héroïques des
dirigeants locaux, face à d’énormes problèmes,
pour préserver l’organisation et les enseignements de
l’Église. Les missionnaires d’Utah n’allaient
plus revenir avant 1892. Les dirigeants locaux qui avaient été
formés par les Elders Pratt et Grouard et d’autres,
assumèrent la pleine responsabilité de l’Église
et de l’enseignement de l’Évangile. Avant leur
départ, les missionnaires « laissèrent un
certain nombre d’anciens natifs qui s’étaient
révélés être des hommes de Dieu dignes et
œuvrant fidèlement, du mieux qu’ils le pouvaient,
dans le ministère. » Les saints, quelque 1500 à
2000 âmes dispersées dans une vingtaine d’îles,
étaient, d’une manière générale,
« fidèles et zélés. »
Malgré une vive opposition et des conditions d’existence
difficiles, beaucoup de communautés non seulement survécurent
mais réussirent à préserver le mode de vie
évangélique. Mais, dépourvus de la supervision
fréquente de personnes informées, beaucoup tombèrent
dans l’erreur.
Une ère
de conflits et de persécutions
Les
responsables du gouvernement s’attendaient à ce que, une
fois les missionnaires américains partis, les saints
insulaires abandonnent leur culte en tant que saints des derniers
jours. Mais ceux-ci continuèrent à organiser leurs
réunions et à adorer comme avant. Des représentants
de l’Église catholique allèrent dans les îles
pour installer leur foi, avec le soutien du gouvernement. Des
conflits se produisirent. produisirent. Il fut à diverses
reprises commandé aux saints de « cesser de prêcher
et de prier, » mais en vain. Les dirigeants de diverses
communautés insulaires furent amenés à de
multiples reprises à Tahiti, où on leur donna le choix
entre abandonner leur foi et mettre fin à leurs réunions
ou aller en prison. Certains abandonnèrent leur foi ; d’autres
allèrent en prison.
Un
officier président, Tihoni d’Anaa, fut emmené
devant le juge et le choix lui fut donné. Il dit au juge qu’il
« préférerait se faire trancher la gorge que
d’abandonner sa religion. » On l’envoya un
certain temps en prison, puis il retrouva sa liberté. Il
retourna à Anaa et continua à travailler dans l’Église.
Le gendarme français donna l’ordre de cesser de tenir
les réunions et de prier. Malgré les menaces et les
persécutions, les saints continuèrent à tenir
leurs réunions. Les tensions atteignirent leur paroxysme à
Anaa en novembre 1852. Les conflits eurent une conséquence
tragique. Un épisode regrettable se produisit à
Putuahara, dans l’île d’Anaa.
Tanehopu,
membre de l’Église et fonctionnaire dans le gouvernement
local, désirait vivement faire son devoir comme officier
français. Il fut informé d’une réunion de
prière chez frère Tevaitinga. Se conformant aux
directives reçues, il exigea qu’il fût mis fin au
service. Lorsque les saints refusèrent, il amena un gendarme
pour faire respecter son ordre et se fit accompagner de deux prêtres
catholiques. Le gendarme, ivre à son arrivée, entra de
force et découvrit les membres agenouillés en prière.
Il exigea qu’ils misent fin à leur culte « hérétique. »
La plupart s’arrêtèrent, mais Taiho, une femme
âgée qui était en train de prier à genoux,
refusa de se lever. Mis en colère par cette manifestation de
désobéissance, il tira l’épée et
voulut l’en frapper, mais l’épée resta
coincée dans le toit de paille. En une fraction de seconde,
pendant qu’il essayait de la détacher, quelqu’un
saisit un harpon et l’en transperça. Mortellement
blessé, celui-ci tomba à l’extérieur
pendant qu’il arrachait le harpon. Il mourut sur-le-champ. Les
prêtres, voyant ce qui était arrivé, s’enfuirent,
mais une dizaine d’hommes, armés de bâtons les
attrapèrent et les battirent. Quelqu’un saisit l’épée
du gendarme, tua l’un des prêtres et blessa le second au
visage.
Les
Français réagirent en envoyant un navire de guerre avec
des troupes pour punir les délinquants. Après une brève
résistance, les insulaires se rendirent. Ne pouvant découvrir
qui avait tué le gendarme et le prêtre, le capitaine de
marine fit saisir et pendre publiquement cinq otages. Le reste de
ceux qui s’étaient rebellés contre le
gouvernement fut emmené à Tahiti et condamné à
deux ans de travaux forcés, les uns à faire des routes,
d’autres à couper des broussailles et du bois de
construction dans les montagnes, d’autres encore à
alimenter les chaudières du navire de guerre français.
Une
autre fois, après 1862, à Anaa, l’officier
résident du village se rendit à Otepipi avec une
escorte de dix soldats et arrêta huit frères dirigeants
et deux sœurs parce qu’ils prêchaient et priaient.
Les sœurs furent enfermées dans le bâtiment
gouvernemental et les frères mis en prison pendant une semaine
avant d’être libérés. Ils s’habillèrent
de leurs plus beaux vêtements et, Bible sous le bras, furent
introduits en présence du gouverneur. Après un
interrogatoire, les sœurs et les trois frères furent mis
en liberté. Tihoni et Maihea furent de nouveau emprisonnés
mais libérés le lendemain avec la permission de rentrer
chez eux et de prêcher et de prier autant qu’ils le
voulaient.
L’intolérance
se manifesta aussi à Tubuai, mais lorsqu’une affaire fut
transférée à Tahiti, le gouvernement ordonna la
mise en liberté des prisonniers et leurs accusateurs furent
« condamnés par les autorités françaises. »
L’ère
d’intolérance et de persécutions religieuses prit
fin au cours des années 1860. En 1862, les protestants
français furent invités dans les îles et dès
1867, la liberté de religion régnait de nouveau dans
tout le Protectorat.
L’Église
survit
Au cours
de la période de violentes persécutions religieuses,
partiellement pour éviter l’arrestation et aussi pour
pouvoir poursuivre les services religieux, les saints insulaires
donnèrent de nouveaux noms à leurs groupes, entrèrent
dans la clandestinité et tentèrent de continuer.
Avec le
temps, on finit par trouver les groupes suivants : israélites,
abrahamites, darkites, siffleurs et « mormons. »
Les querelles des saints les avaient divisés en factions,
chacune marquée par l’exagération ou le rejet
d’un enseignement précédemment reçu. La
secte « mormone » dirigée par Taoto,
rejetait le Livre de Mormon, les Doctrine et Alliances et les
prophètes modernes. Les israélites, dirigés par
Tiopea, acceptaient ces enseignements, mais ne suivaient pas les
abrahamites, dirigés par Tahiri, qui acceptaient le Livre de
Mormon, les Doctrine et Alliances et les prophètes modernes,
mais considéraient Abraham comme beaucoup plus grand que
Jésus-Christ. Tahiri était aussi à la tête
des darkites, qui acceptaient les nouvelles Écritures, mais ne les
vivaient pas.
En dépit
de l’impression d’apostasie que ces groupes donnent, les
saints perpétuèrent l’organisation en branches,
les formes de culte et l’enseignement de l’Évangile.
Les premiers anciens avaient appris aux saints les principes
fondamentaux de l’organisation de la prêtrise. Les saints
étaient « fidèles et zélés »
et connaissaient la procédure de l’Église pour
les réunions officielles et pour perpétuer la branche.
Il y avait des points faibles, mais l’organisation, la
discipline et les enseignements de l’Église
persistèrent. Dans trente à quarante îles -
surtout les îles Tuamotu, mais aussi Tahiti et Tubuai - des
branches de l’Église subsistèrent après
l’époque des premiers anciens. Les registres existants,
quoique rares, témoignent, d’une part, de la survie des
formes originelles et d’autre part des changements qui
s’introduisirent à cause de l’absence d’une
supervision adéquate.
Takaroa,
dans les régions les plus reculées des Tuamotu, était
à l’époque un grand centre de l’Église.
Alvarus Hanks avait installé son quartier général
à Takaroa. Lorsqu’il partit, l’Église
demeura. Trente ans plus tard, des visiteurs découvrirent
entre 100 et 150 membres y compris les enfants. Chaque dimanche, il y
avait trois réunions et une école évangélique :
« Ensuite
on tient de nouveau des écoles évangéliques le
lundi soir, des réunions générales et des écoles
évangéliques le mercredi, une réunion des sœurs
le jeudi après-midi et des écoles évangéliques
le vendredi après-midi et le vendredi soir Les activités
des écoles évangéliques consistent généralement
en des questions et des réponses sur des sujets d’Évangile,
l’histoire biblique et celle de l’Église. Celui
qui donne le cours distribue les questions aux divers élèves
lors d’une précédente leçon. Ces leçons
sont généralement intéressantes et vivantes, car
elles stimulent l’esprit et l’énergie des natifs,
qui sont très désireux de donner des réponses
correctes.
»
Le
nombre des réunions était devenu « une
vieille habitude chez eux. » Les frères de Takaroa
emportaient leurs pratiques religieuses lorsqu’ils se rendaient
dans d’autres îles pour prêcher. Selon un
observateur :
« …juste avant de monter à bord de la barque pour rejoindre le
navire, ils se rassemblèrent sur la plage, chantèrent
un cantique, après quoi un des natifs, qui était
ancien, se plaça devant les autres et fit une prière
brève et appropriée, demandant que les bénédictions
de Dieu soient sur nous tous pendant notre voyage à Takaroa.
»
Un
visiteur apprit qu’il y avait eu « une branche
permanente de l’Église à Kaukura depuis le départ
des missionnaires américains. » En 1872, on
signalait à Hawaï que les mormons des îles de la
Société « tiennent régulièrement
des réunions. Il semble donc que la bonne semence qui a été
semée autrefois soit tombée dans de la bonne terre. »
En 1873, deux personnes en visite à Tahiti rencontrèrent
les saints à Faaa et décrivirent en détail ce
qu’elles découvrirent dans cette Tiona (Sion) mormone.
Ils constatèrent que les enseignements et les services de
l’Église s’y étaient pleinement perpétués,
que des conférences trimestrielles étaient tenues, que
la doctrine de l’Église était clairement
comprise, « leur moralité impeccable, »
les saints manifestant « un comportement pudique que l’on
considérerait n’importe où comme parfait »
et des relations familiales bien ancrées. Les ménages
reflétaient les enseignements des épouses des premiers
missionnaires. « Ils ont des réunions trois fois
chaque sabbat, ils prennent la Sainte-Cène le premier dimanche
du mois, et ce qui est encore mieux, ils manifestent cet authentique
esprit de saints des derniers jours qui, plus que toute autre chose,
distingue les mormons des autres. »
En 1888,
Robert Louis Stevenson visita les îles Tuamotu et fit des
commentaires sur les mormons de là-bas. Les catholiques et les
mormons des Tuamotu, écrit-il, « se font fièrement
face avec un faux air de permanence ; néanmoins ce ne sont que
des formes, leur population est en mouvement perpétuel. Le
mormon va à la messe avec dévotion ; le catholique
écoute attentivement un sermon mormon et demain l’un et
l’autre seront sans doute passés dans le camp opposé. »
Quand on avait la santé, le catholicisme était « plus
au goût du jour, mais à l’approche de la maladie
on jugeait prudent de faire sécession. En tant que mormon, on
avait cinq chances sur six de guérir ; en tant que
catholique, on avait peu d’espoir. » Malgré
tout, pour Stevenson, le mormon de Tuamotu « semble être
un phénomène tout particulier. Il n’épouse
qu’une seule femme, utilise la Bible protestante, observe les
formes protestantes de culte, interdit l’usage de l’alcool
et du tabac, pratique le baptême des adultes par immersion et,
après chaque péché public, rebaptise le
récidiviste. »
Cette
perpétuation des pratiques et des enseignements de l’Église,
on la doit essentiellement aux dirigeants qui avaient une grande
influence sur les communautés. Parmi ces dirigeants, il n’y
a qu’un petit nombre de noms qui ont survécu. À
Anaa, il y avait Tehina et Tihoni, à Katiu, Karere et à
Tubuai, Tehake ou Opu. Dans les Tuamotu, il y avait Maihea, un
officier président reconnu des branches insulaires. Avec lui,
il y avait Mapuhi, qui avait reçu l’Évangile
d’Alvarus Hanks. Mapuhi s’était lancé dans
le commerce des perles et était devenu riche ; on le
considérait comme le principal homme d’affaires des îles
Tuamotu. Il possédait trois schooners, des magasins dans
presque toutes les îles principales et on l’appelait
souvent le roi des Tuamotu, ou le roi des perles. Il avait une maison
« soigneusement aménagée » et
confortable dans l’île de Takaroa. À Kauehi,
c’était Utahia qui présidait.
Ensuite
il y avait John Hawkins, parmi les premiers convertis à
Tahiti. Il passa le reste de sa vie dans les îles. Les
restrictions françaises s’appliquaient également
à lui, de sorte qu’il ne pouvait rien faire en public.
Il se lança dans le commerce entre les îles et, pendant
un certain temps, eut des contacts secrets avec les dirigeants de
l’Église dans certaines îles. Avec le temps, il
abandonna la vie religieuse, gagna de l’argent et le perdit, et
s’installa finalement à Arutua.
L’arrivée
de l’Église réorganisée
En
Amérique, seize ans après la mort de Joseph Smith,
fils, le prophète, un groupe de ses disciples qui n’étaient
pas allés dans l’Ouest créèrent une
nouvelle Église basée sur certains des enseignements du
prophète. En 1860, ce groupe invita Joseph Smith III, « le
jeune Joseph, » fils du prophète, à prendre
la présidence de la nouvelle Église. Il accepta et fut,
jusqu’à sa mort en 1914, président de l’Église
réorganisée de Jésus-Christ des saints des
derniers jours. En Utah, on les appelait « joséphites, »
« réorganisés » ou « RLDS. »
En Polynésie, on les appelait kanitos ou sanitos. Les deux
Églises, la RLDS d’Iowa et du Missouri et la LDS d’Utah
ont une histoire de conflits non seulement en Utah mais aussi dans
les Missions, notamment en Polynésie Française.
C’est
tout à fait par accident que l’Église réorganisée
entra en Polynésie Française. Le 13 décembre
1873, le navire Domingo arriva péniblement au port de Papeete
pour y faire des réparations. À bord se trouvaient deux
missionnaires de l’Église réorganisée
partis de San Francisco pour l’Australie. L’un d’eux,
Charles W. Wandell, avait
été
longtemps membre de l’Église avant de la quitter pour
l’Église réorganisée. Il était
devenu saint des derniers jours en 1837 et avait fait des missions,
notamment en Australie de 1851 à 1853. Il avait vécu à
San Bernardino et à Beaver, où il connaissait très
bien la famille Pratt, mais il quitta l’Église, devint
persécuteur des saints, entra dans l’Église
réorganisée en juillet 1873 et partait maintenant en
mission vers son ancien champ missionnaire d’Australie.
À
Papeete, Wandell et son compagnon rencontrèrent David Brown,
qui les conduisit dans la communauté mormone de Faaa, appelée
Tiona, ou Sion. Comme nous l’avons déjà dit, ils
y trouvèrent l’Église complètement
organisée et en fonctionnement et les enseignements de
l’Église y étaient observés.
Avec le
peu de temps dont ils disposaient, Wandell et son compagnon
introduisirent l’Église réorganisée dans
la communauté et baptisèrent cinquante et un membres de
la branche de Tiona. Le Domingo quitta Papeete le jour de Noël
pour l’Australie.
Wandell
demanda l’envoi de missionnaires de l’Église
réorganisée dans les îles de la Société ;
cet appel demeura sans réponse jusqu’en juin 1878 ;
cette année-là, William Nelson fut appelé et
ordonné. Il travailla pendant cinq ans, de juin 1878 jusqu’en
1883 environ, revitalisa les communautés existantes et
introduisit les membres dans l’Église réorganisée.
Il fut remplacé par un apôtre, Thomas W. Smith, qui
voyagea considérablement et réorganisa plus de quinze
branches qu’il trouva en bon état. À Tahiti, il y
eut Papoa, Huuau, Tiarei, Tiona et Tarona. Parmi les îles
Tuamotu, il y eut des branches à Kaukura (deux), Rairoa,
Makatea, Tikehau, Apataki, Manihi, Takaroa, Takapoto et Hao. Il y eut
une branche à Tubuai, dans les Australes. Pendant que Smith
était dans les îles, John Hawkins se repentit et fut
reçu au baptême dans l’Église réorganisée.
Thomas W. Smith et sa femme travaillèrent dans les îles
jusqu’en novembre 1887. Luther Devore et Ella, sa femme,
entrèrent ensuite en scène, lui comme président
de Mission de l’Église réorganisée. À
partir de ce moment-là, une succession de couples
représentèrent l’Église réorganisée
dans les îles. C’était la détresse de
l’Église d’Utah en Amérique qui avait donné
ces avantages à l’Église réorganisée.
4. La
reprise en mains par la Mission (1892–1900)
On
racontait dans les îles qu’un vieux Tahitien avait rêvé
et prophétisé que deux missionnaires mormons
viendraient rétablir la foi et leur rendre de nouveau visite ;
qu’ils viendraient de l’ouest et arriveraient à
Tahiti. Personne ne croyait vraiment à cette histoire, car les
mormons venaient forcément du nord ou de l’est. Mais en
Utah, les succès des Elders Addison Pratt et Benjamin Grouard
avaient stimulé la création de Missions dans le monde
entier. Une Mission fut ouverte en 1850 à Hawaii. De Hawaii,
des missionnaires se rendirent en 1863 à Samoa. De Samoa,
l’Évangile fut de nouveau introduit dans les îles
de la Société par des missionnaires d’Utah venus
de l’ouest.
Ce ne
fut pas un manque d’intérêt pour les membres de
l’Église des îles qui produisit l’apparente
négligence pour la Mission des îles de la Société
après sa fermeture en 1852.
Ce
furent les épreuves que l’Église connut au cours
de ces années en Amérique. Les persécutions des
saints en Illinois, l’exode qui en résulta dans les
grandes plaines et l’installation dans le refuge des montagnes
Rocheuses exigèrent toute l’énergie et toute la
main d’œuvre des saints. La grande détresse de
l’Église dans le désert l’obligea à
négliger temporairement les Missions à l’étranger.
Les anciens missionnaires étaient pris par leurs propres
problèmes. Toute l’énergie était mobilisée
pour la colonisation de l’Ouest américain, dans la
construction de centaines de villes et de villages. En outre, il est
très vraisemblable que les administrateurs de l’Église
se souvenaient des restrictions imposées par le gouvernement à
l’œuvre missionnaire étrangère dans les
îles et pensaient que les restrictions continuaient. Il y avait
de nombreux conflits entre la population de l’Utah et le
gouvernement des États-Unis. Mais à partir de 1890,
l’Utah entra dans une période de compromis. Diverses
dispositions furent prises qui permirent l’admission, en 1896,
de l’Utah dans les États-Unis sur un pied d’égalité
avec tous les autres États. La liberté était
arrivée en même temps qu’une plus grande tolérance
et plus de paix. Le gouvernement des États-Unis allait
maintenant protéger ses citoyens vivant dans les pays
étrangers, y compris les missionnaires mormons en Polynésie
Française.
L’arrivée
des missionnaires d’Utah
Comme
nous l’avons déjà mentionné, le succès
de la Mission des îles de la Société dans les
années 1840 et 1850 conduisit à l’expansion de
l’Église dans les îles Hawaii en 1850. De Hawaii,
l’Église fut portée à Samoa. Pendant la
présidence de William O. Lee (1890-1892) de la Mission
samoane, la Première Présidence chercha à
étendre les territoires dans lesquels l’Évangile
serait enseigné, en particulier les îles de la Société.
Par conséquent le président Lee demanda à deux
missionnaires récemment arrivés s’ils étaient
disposés à accepter un changement d’affectation
et à aller à Tahiti pour y rétablir la Mission
et l’organisation de l’Église. Les missionnaires
choisis étaient William A. Seegmiller et Joseph W. Damron, Jr.
Ils acceptèrent et commencèrent à étudier
le tahitien. Ils quittèrent Apia le 22 janvier et arrivèrent
à Papeete le 27 janvier 1892. La Première Présidence
était tellement intéressée par les progrès
de la nouvelle Mission des îles de la Société que
Joseph Damron, appelé comme président, devait lui faire
chaque mois directement rapport.
Ces
« étrangers » dans un pays lointain
eurent beaucoup de mal à lancer leur œuvre missionnaire.
Ils disposaient de peu de moyens financiers, ceux-ci étant
limités aux apports de leur famille et de leurs amis au pays.
Ils vécurent d’une manière très simple,
comptant la plupart du temps sur la générosité
de leurs voisins pour les nourrir. Ils étaient démunis
de tout. Elder Seegmiller dit qu’ils n’avaient rendu
visite à aucune église (après un séjour
d’un mois), « parce que nos vêtements sont un
peu râpés, » mais ils espéraient avoir
de nouveaux vêtements sous peu. La tâche la plus
difficile pour eux fut d’apprendre la langue. Ils n’avaient
personne pour les instruire et aucune documentation à part la
Bible tahitienne de la London Missionary Society. Leurs premiers
jours à Tahiti furent caractérisés par le rituel
journalier de se procurer de la nourriture, faire des visites,
prendre un bain, chercher du courrier et faire un peu de lecture. Ils
apprirent peu à peu à s’orienter et commencèrent
à parler avec les ecclésiastiques et les insulaires en
plus des Américains qu’ils pouvaient rencontrer.
On ne
nous dit pas dans quelle mesure les deux missionnaires espéraient
pouvoir compter sur des survivants de l’ancienne organisation
de l’Église. Ne connaissant pas la langue, ils n’avaient
guère d’autre choix que de recommencer à zéro
; en apprenant des mots et des expressions de la langue, ils
pourraient apprendre l’existence de survivants de l’Église.
Les
missionnaires étaient à Tahiti depuis deux mois
lorsqu’ils apprirent l’existence de la communauté
de « natifs mormons » à Faaa, à
cinq kilomètres à l’ouest de Papeete. Elder
Seegmiller parle pour la première fois de Faaa le 17 mars, se
bornant à parler de « la difficulté à
essayer de parler aux natifs. » Le 24 mars, il était
à Faaa à la recherche d’un endroit où
loger et il est probable que les missionnaires s’y installèrent
le 30 mars mais on ne sait pas combien de temps. On peut imaginer la
surprise qu’ils éprouvèrent lorsqu’ils
trouvèrent cette communauté de saints polynésiens
et leur surprise encore plus grande de voir que l’Église
réorganisée était arrivée dans les îles
et avait attiré ces gens dans leur organisation. La communauté
de Faaa, dirigée par des anciens locaux, traita les
missionnaires d’Utah avec gentillesse et les invita à
assister à leur service de cantiques. Aussi amicaux qu’ils
fussent, ils étaient, on le comprend, « dans une
certaine excitation à [leur] sujet. »
Le
retour de James S. Brown
Avant
d’avoir rencontré les « mormons »
réorganisés à Faaa, les missionnaires Joseph
Damron et William Seegmiller s’étaient rendu compte
qu’ils avaient besoin d’anciens d’anciens
expérimentés connaissant les gens et la langue. La
Première Présidence les comprit et appela James S.
Brown à retourner là-bas, après une absence de
quarante ans, et à aider à y rétablir l’Église.
Elder Brown avait soixante-cinq ans à ce moment-là, il
lui manquait une jambe, et d’une manière générale,
n’était pas dans une excellente santé. Elando,
son fils, fut appelé à l’aider pendant sa
mission. Thomas Jones, fils, fut appelé comme missionnaire à
plein temps pour les accompagner. James S. Brown fut mis à
part le 8 avril 1892 et nommé pour présider la Mission
le 22 avril 1892.
Les
trois nouveaux missionnaires arrivèrent à Papeete le
1er juin 1892 et rencontrèrent immédiatement Joseph
Damron et William Seegmiller. Un logement fut offert aux nouveaux
arrivés. Etant donné que James Brown avait quitté
les îles en 1852, suite à un arrêté
d’expulsion, il fallut un mois pour résoudre la
légitimité de sa présence à des réunions
publiques pour prêcher. Le président Brown allait devoir
collaborer avec la police et la mettre au courant de toutes ses
activités.
Pendant
les quatorze mois qui suivirent, il se fit un point d’honneur
de rouvrir et d’installer la Mission des îles de la
Société. Sous sa direction, les missionnaires
retrouvèrent graduellement les communautés restantes de
saints des derniers jours. Il orienta surtout sa mission vers ceux
qui avaient suivi les ministres de l’Église réorganisée.
Il rencontra le plus de personnes possible et en trouva qui se
souvenaient de lui lorsqu’il était là quarante
ans auparavant. Il alla trouver leurs dirigeants, trouva des membres
et leur affirma que « l’autorité était
restée dans l’Église [d’Utah] depuis le
prophète Joseph jusqu’à l’organisation
actuelle. » Il les informa très clairement
qu’Addison Pratt, Benjamin F. Grouard et lui faisaient partie
de l’Église d’Utah. En faisant appel à la
doctrine et à l’histoire, il persuada des gens de
reconnaître l’Église dont le siège était
en Utah. Il rendit visite aux gens, parla avec eux, tint de temps en
temps des réunions publiques et prêcha. Dans la plupart
des cas, il fut reçu cordialement, bien que parfois avec
froideur ou avec hésitation au début. Il accomplit des
mariages, présida à des funérailles, fit
l’imposition des mains aux malades et assista à des
baptêmes.
Du
premier juin à la mi-septembre, il fut à Papeete et à
Tautira, répondant presque quotidiennement aux questions
posées par des personnes de l’Église réorganisée
et supervisant les missionnaires. On le pria de se rendre à
Anaa, où il serait bien accueilli. Le souvenir d’Addison
Pratt et de Benjamin F. Grouard était toujours vivace dans les
îles.
Du 20
septembre à fin novembre 1892, le président Brown et
Elder Seegmiller furent à Tubuai sur invitation. Tous les
membres de l’Église (à l’exception d’une
jeune fille de dix-sept ans) de cette île étaient passés
à l’Église réorganisée. Les
missionnaires furent traités avec indifférence pendant
environ quinze jours, ensuite « plusieurs natifs, qui
avaient bien connu le président Brown au cours de sa
précédente mission dans ces îles, vinrent le
trouver et lui exprimèrent leurs doutes quant à
l’Église réorganisée, et après
avoir été convaincus de leur erreur par celui qui leur
avait apporté la vérité plus de quarante ans
plus tôt, ils demandèrent le baptême. Cela ouvrit
la porte aux autres, et au bout de peu de temps, les missionnaires
avaient baptisé soixante-cinq personnes, dont la majorité
étaient dans une situation où elles devaient être
baptisées. »
À
Mataura, ils rencontrèrent Tehuatehiapa, une femme de 120 ans,
qui était aveugle depuis huit ans. « Les gens
disaient qu’elle prétendait qu’elle vivrait
jusqu’à ce que les serviteurs de Dieu viennent de Salt
Lake City. » Elle s’exclama : « J’ai
toujours dit que vous reviendriez ! Le Seigneur vous a ramenés
et a prolongé ma vie jusqu’à votre arrivée.
Je me réjouis extrêmement de la miséricorde du
Seigneur. »
Elder
Seegmiller, qui pouvait maintenant utiliser la langue, fut laissé
à Tubuai quand le président Brown retourna à
Papeete.
Entre-temps,
à Papeete, les missionnaires avaient rencontré Mapuhi,
le « roi des perles. » Il proposa aux Elders
Damron et Jones le passage sur son schooner Teavaroa jusqu’à
son île natale de Takaroa. Cette proposition ouvrit l’archipel
des Tuamotu aux missionnaires. Arrivés à Takaroa le 1er
novembre, les missionnaires y découvrirent une grande église
en construction depuis 1891 et une branche de l’Église
de cent membres. Toutes ces personnes avaient résisté
aux missionnaires de l’Église réorganisée.
C’est ici qu’était le centre de l’Église
dans les Tuamotu. Les missionnaires furent invités à
dire ce qu’ils venaient faire. Le 6 novembre, les insulaires
acceptèrent officiellement Damron et Jones comme leurs
missionnaires. Dans le mois, quelque trente-trois convertis s’étaient
ajoutés par le baptême.
Les
missionnaires apprirent qu’il y avait des branches de saints
des derniers jours fidèles dispersées dans tout
l’archipel, dirigées par le vieux Maihea, qui prétendait
que son autorité remontait à l’époque où
Pratt et Grouard étaient dans les îles. C’était
lui qui avait convoqué une conférence de tous les
saints pour le 6 janvier 1893 dans l’île de Faaite.
Lorsqu’il
arriva de Tubuai à Papeete, James Brown fut informé des
succès et de la conférence prévue pour le 6
janvier. Les missionnaires lui demandèrent d’être
là. Il quitta Papeete le 15 décembre et arriva à
Takaroa le 26 décembre. Il fit un bref voyage supplémentaire
à Faaite, où il fut invité à passer
l’épreuve de son appartenance à l’Église.
Elder Damron décrit l’événement comme
suit :
« Quelques
minutes après avoir abordé, nous avons reçu la
visite d’une délégation à la tête de
laquelle se trouvait un vétéran âgé et
aveugle appelé Maihea, qui joue depuis longtemps le rôle
de président des membres de l’Église dans les
différentes îles de ce groupe. La première
question qu’il a posée au président Brown a été
celle-ci : 'Êtes-vous le vrai Iakobo (James)
qui nous a apporté l’Évangile il y a quarante ans
?' Deuxièmement : 'Représentez-vous
maintenant le même Évangile qu’avant ?'
Il proposa diverses questions et finalement, pour s’assurer
qu’il s’agissait du véritable 'Iakobo', il demanda où se trouvaient différents villages à
Anaa, l’île où Elder Brown avait travaillé
au cours de sa précédente mission. Convaincu, il dit
avec une joie indicible : 'Nous vous recevons comme
notre père et notre dirigeant, mais si vous n’étiez
pas revenu personnellement, nous aurions refusé de recevoir
tous les missionnaires étrangers, car il y a eu tant de faux
instructeurs parmi nous qui en ont détourné beaucoup de
l’Évangile du Christ'… Elder Brown, maintenant
accepté par le peuple, pouvait assumer son rôle de
président et diriger la conférence.
»
La
première conférence des saints, dans le système
renouvelé, eut lieu, à juste titre, dans les Tuamotu.
La conférence commença le 6 janvier 1893 à
Faaite et dura deux jours. Les membres s’étaient
rassemblés de tous côtés. La lagune était
remplie de barques et de canots. Quelque 425 saints de dix branches
de l’Église étaient représentés,
comme suit : Anaa, 25 ; Faaite, 26 ; Fakarava, 50 ;
Takaroa, 160 ; Kauehi, 11 ; Raraka, 27 ; Aratika, 21 ;
Katiu, 20 ; Tubuai, 65 ; Tahiti, 10.
James S.
Brown présida et dirigea la session d’ouverture du
vendredi matin. Elando Brown fit la prière d’ouverture.
Le président Brown parla « donnant de bonnes
instructions. Il… recommanda aux saints d’éviter
toutes les puissances mauvaises qui conduisent aux ténèbres. »
Il demanda que « tous ceux de l’assemblée
qu’il avait vus et connus autrefois se lèvent. Dix-sept
vétérans aux cheveux gris se levèrent
immédiatement. » Elder Damron parla lors de la
première session. L’assemblée chanta « O
belle Sion, » qu’Elder Damron avait traduit et
enseignée aux saints. La prière d’ouverture fut
faite par Thomas Jones. Au cours de la session du vendredi
après-midi, l’assemblée chanta et il y eut des
discours par les Elders Damron et Brown. La prière d’ouverture
fut faite pat frère Terogomaituti et la prière de
clôture par frère Maihea.
La
conférence se poursuivit le 7 janvier avec des discours par le
président Brown et Elder Damron. Pour répondre aux
besoins des missionnaires, les frères Tehina d’Anaa et
Karere de Katiu furent ordonnés anciens. La prière de
clôture fut faite par Elando Brown.
Au cours
de la session de l’après-midi, les frères Tafanau
d’Anaa et Damron parlèrent. Elder Damron s’étendit
sur la personnalité de Dieu. Le président Brown donna
quelques brefs encouragements. La conférence fut suspendue et
reprit à Anaa le 6 avril 1893. Tous chantèrent
« l’Esprit du Dieu saint. » La prière
de clôture fut faite par le président Brown.
Après
la conférence de Faaite, le président Brown se rendit à
Anaa et y fit le tour des villages qu’il avait si bien connus
au cours de sa première mission. C’est là qu’eut
lieu la conférence prévue pour le 6 avril 1893. Les
orateurs ne manquèrent pas de parler de la consécration
du temple de Salt Lake City qui se produisait à l’heure
même où ils se réunissaient. Les saints leur
réservèrent d’abord une réception mitigée,
mais celle-ci ne tarda pas à devenir cordiale, même avec
le gouverneur de l’île.
Pendant
qu’il était à Anaa, au moment de la conférence,
le président Brown apprit l’arrivée à
Papeete de huit missionnaires venus de Sion, envoyés en
réponse à sa demande. Lorsque les moyens de transport
le permirent, il retourna à Papeete, où il arriva le 6
mai, accueilli par les nouveaux missionnaires.
Pendant
les semaines qui suivirent, il devint de plus en plus clair pour le
président Brown que sa mission touchait à sa fin. Il
avait fait à peu près tout ce qu’il pouvait. Lors
d’un conseil des anciens qui eut lieu le 25 juin, son retour au
foyer fut recommandé. En conséquence, le 8 juillet, il
s’embarqua avec son fils, Elando, à Papeete pour
l’Amérique. Ils arrivèrent chez eux en Utah à
la mi-août. Il estimait que la prophétie de Lorenzo Snow
concernant son succès s’était réalisée :
« Que j’y serais prospère et que j’aurais
la bénédiction d’avoir plus de pouvoir et
d’influence que jamais auparavant ; que le Seigneur serait
avec moi pour me soutenir et me consoler, et qu’il serait
pourvu aux besoins de ma famille. »
James
Brown avait établi un lien solide entre le passé et le
présent. La Mission avait été réinstallée
et l’organisation de l’Église avait été
rétablie. Le soin était laissé aux futurs
présidents de Mission et dirigeants locaux d’aider les
saints des îles à mieux connaître et à
vivre plus complètement les principes de l’Évangile
de Jésus-Christ.
La mise
en route
Pendant
les années 1890, cinq présidents de Mission dirigèrent
les saints polynésiens. En outre, une bonne vingtaine de
missionnaires travaillèrent dans les îles au cours de
ces mêmes années. Chacun apprit le tahitien. La Mission
dut résoudre le problème de l’accès aux
églises et du droit d’organiser des réunions
publiques.
Le
problème de l’utilisation des bâtiments de
l’Église existants se présenta lorsque le
président Brown visita Tubuai et tenta d’utiliser
l’église qu’Addison Pratt avait construite, bien
qu’elle fût utilisée à ce moment-là
par l’Église réorganisée. Brown s’adressa
à la police. « Le chef de la police, consultant les
livres, nous fut favorable, disant que l’Église
réorganisée n’était pas reconnue. Nous
apprîmes que des décisions semblables avaient été
prises dans l’archipel des Tuamotu. Le gouverneur français
estima que nous étions les premiers à être
arrivés, que les églises nous appartenaient et que nous
avions le droit d’y enseigner notre doctrine sans en être
empêchés. »
Cette
règle l’emporta jusqu’au moment où E.A.
Martin, administrateur résident des Tuamotu, céda aux
pressions profrançaises (catholiques et protestants) et refusa
aux missionnaires le droit de prêcher ou d’enseigner sans
avoir une licence. L’affaire Martin occupa les missionnaires
pendant la plus grande partie de 1895.
Le
problème de la licence
Tous les
étrangers étaient tenus d’obtenir un permis de
séjour ; et tous les ecclésiastiques une licence pour
prêcher et enseigner. À juste titre, le gouvernement
cherchait à exclure les resquilleurs et les irresponsables qui
voulaient exploiter, maltraiter ou abuser les Polynésiens. En
outre « cinq formes seulement de religion étaient
légalement reconnues à Tahiti et dans ses dépendances,
à savoir : les catholiques romains, les protestants, les
juifs, les bouddhistes et les mahométans. » En
outre, lorsque cette crise se produisit, il y avait une lettre
d’instructions du secrétaire d’État
américain, William M. Evans, datée de 1885 et adressée
à tous les fonctionnaires diplomatiques de n’accorder
aucune protection aux missionnaires mormons. Par conséquent,
lorsque les missionnaires demandèrent à Mr Doty
d’intercéder en leur faveur, « cela le mit
dans une situation assez délicate, mais il estima que c’était
son devoir de les protéger, ce qu’il fit, et il eut le
plaisir d’apprendre plus tard que ses mesures avaient
l’agrément du gouvernement de Washington. »
Le
gouverneur français Papino n’avait rien non plus contre
les missionnaires ; il devait suivre ses instructions. « Il
croyait que l’influence des missionnaires dans les différentes
îles avait relevé le niveau moral des natifs et dit
qu’il ferait jouer son influence personnelle en leur faveur
pour obtenir cette licence du gouvernement français. »
Mais transmettre une demande à Paris allait prendre beaucoup
de temps. J. Lamb Doty, le consul américain, aida
énergiquement les missionnaires. Pour lui, leur histoire dans
les îles était « irréprochable, »
et il estimait qu’ils avaient droit à une protection
complète. Mais les catholiques et protestants français,
qui étaient puissants, firent pression contre les Américains,
parce qu’ils voulaient exclure les Églises américaines.
E. A. Martin appartenait à ce clan et appliqua vigoureusement
la loi.
En mars 1895, il eut une réunion avec Eugene M. Cannon
et Carl J. Larsen, Jr., et leur ordonna de cesser de prêcher ou
d’enseigner, sous peine d’amende et d’emprisonnement
sans comparution devant un tribunal et sans qu’aucune
accusation écrite n’ait été portée
contre eux, refusant en même temps de leur délivrer un
permis. Le même mois, également à Takaroa, il fut
interdit à Thomas Jones, Jr. et à George F. Despain
d’organiser, le 6 avril, une conférence de diverses
branches de l’Église. Le résident Martin ordonna
à la police de veiller à ce que la conférence
n’ait pas lieu et commanda à Jones et à Despain
d’obtenir dans les trois mois une licence pour prêcher,
sinon ils seraient mis à l’amende, emprisonnés et
bannis. Il les considérait comme des vagabonds, venus flatter
le peuple pour avoir de la nourriture et pour vivre aux crochets des
insulaires, des bons à rien qui n’avaient rien à
faire dans leur propre pays.
Représentant
et défendant les missionnaires contre les accusations du
résident Martin, qui leur reprochait entre autres d’essayer
d’éviter de payer les impôts, le gouverneur Papino
rappela « le traité qui avait été
signé entre les deux gouvernements et qui permettait aux
citoyens américains de voyager librement dans les possessions
françaises tant qu’ils respectaient les lois du pays et
se conduisaient correctement et qui accordaient les mêmes
droits aux Français en Amérique. » Les
missionnaires américains n’avaient « enfreint
volontairement ou sciemment aucune loi de la République
française ; » aucune notification d’impôt
ne leur avait été envoyée et lorsque c’était
le cas, ils le payaient le jour même. Elder Cutler avança
cet argument : « Nos enseignements sont de nature à
créer dans le public une attitude qui aidera considérablement
les autorités de cette Colonie à en gouverner la
population, à en augmenter la stabilité et à
assurer la paix domestique car, pour être membre honorablement
connu dans l’Église, il est absolument nécessaire
d’être bon citoyen de l’État, honnête,
respectueux des lois, économe et industrieux. » Il cita
ensuite le deuxième article de foi.
Martin
n’en démordit pas. Il ordonna aux chefs de district du
groupe des Tuamotu d’interdire aux anciens ou aux missionnaires
étrangers des Églises adventiste et mormone « de
prêcher, s’ils ne pouvaient pas montrer une licence
signée par le gouverneur. » Il fut cependant permis
aux missionnaires polynésiens de poursuivre leur travail. Se
conformant à des instructions reçues du département
d’État américain, le consul Doty parvint à
un accord avec le gouverneur. Le rapport de Doty au département
d’État concernant cet accord dit :
« À
la réception de votre dépêche, j’ai eu avec
le gouverneur un nouvel entretien dans lequel je l’ai mis au
courant du point de vue de notre gouvernement et des mesures prises
par le résident du groupe des Tuamotu dans l’affaire
mentionnée plus haut. Le gouverneur a répondu que le
résident faisait de l’excès de zèle et
n’avait pas reçu pour instructions de lancer un tel
décret. Après une longue discussion, le gouverneur a
finalement consenti à permettre aux missionnaires américains
de reprendre leur œuvre comme précédemment en
attendant la réponse de Paris aux demandes de reconnaissance
envoyées par les Églises adventiste et mormone.
»
Le
consul quitta le gouverneur avec le sentiment que la reconnaissance
allait prendre beaucoup de temps et qu’il risquait d’y
avoir encore des difficultés et des inconvénients pour
les missionnaires. Ceux-ci se remirent à prêcher et à
enseigner en public, rencontrant le bon millier de saints des
derniers jours qui vivaient dans les îles Tuamotu et les îles
de la Société.
L’apprentissage
de la langue
La
première tâche de tous les nouveaux missionnaires était
d’acquérir une connaissance active du tahitien. Ils
n’avaient pas grand-chose d’autre que la Bible tahitienne
de la London Missionary Society. Il n’existait pas de grammaire
ni de dictionnaire. Le missionnaire pouvait faire des progrès
en lisant en même temps la version anglaise de la Bible, la
King James, et la Bible tahitienne de la LMS. Il fallait souvent six
mois ou plus pour qu’un missionnaire puisse prendre la parole
devant les saints. Les choses progressèrent néanmoins
considérablement pour tout le monde grâce à
Daniel T. Miller, qui non seulement était doué mais
avait une formation approfondie en linguistique.
Il avait
étudié les langues étrangères en Europe
et pouvait lire et parler le français, l’allemand, le
grec et le latin et était professeur de linguistique à
l’Académie Young à Logan (Utah) lorsqu’il
fut appelé, le 16 juin 1896, à être président
de la Mission tahitienne. Deux jours après son appel, il
épousa Hattie Knowlton. Un mois plus tard, Leonidas Kennard et
lui quittaient Salt Lake City pour Papeete. La connaissance qu’avait
Elder Miller de la langue et de la culture françaises fut un
élément important dans les bonnes relations avec le
gouvernement français, un élément qui fut
parfois perdu dans les années ultérieures.
Il créa
un programme efficace d’apprentissage de la langue. Il apprit
lui-même le tahitien et en aida d’autres à
l’apprendre. Le grand projet fut la traduction du Livre de
Mormon en tahitien. Elle fut répartie à égalité
entre quatre missionnaires : Daniel T. Miller, William H.
Chamberlin, fils, David Neff et Israel E. Willey. Lorsque chacun
d’eux eut fini sa tâche, les traducteurs se réunirent
à Papeete pour examiner le premier jet. Il fut étudié,
révisé, harmonisé et remanié. Lorsque, le
15 juillet 1899, il fut relevé et quitta Papeete, le président
Miller avait sous le bras le manuscrit du Livre de Mormon en
tahitien. Une fois rentré au pays, il apprit la triste
nouvelle que sa femme était morte d’une appendicite le 6
août, pendant qu’il était en mer. Il ne se remaria
pas.
Elder
Chamberlin poursuivit son œuvre. Peu après être
devenu président de la Mission, il « entreprit des
efforts parmi les natifs pour réunir l’argent pour
publier la traduction. » Le 16 octobre 1899, à
Hikueru, il écrivit dans son journal : « Aujourd’hui
et demain, le peuple va aller à la pêche aux perles pour
trouver le moyen d’aider à la publication du Livre de Mormon. »
C’est
à Daniel T. Miller, à David Neff, à Eugene M.
Cannon et à Frank Cutler qu’échut la tâche
de publier le Livre de Mormon tahitien. Ce fut fait en 1904 à
Salt Lake City.
Les
missionnaires travaillèrent aussi à la traduction des
Doctrine et Alliances. Au cours des années, la traduction des
textes de l’Église, entre autres des cantiques, fut une
expression importante du service missionnaire.
L’apprentissage
de la langue joua toujours un rôle important chez les
missionnaires mormons. Thomas Jones, fils, qui alla dans les îles
avec James Brown et son fils, passa de nombreux mois dans l’île
corallienne isolée de Hao, à quelque huit cents
kilomètres à l’est de Tahiti, à apprendre
la langue.
Il
décrit la vie du missionnaire dans les lointaines Tuamotu
ainsi que la pauvreté du peuple, le manque de confort, le
travail nécessaire pour obtenir de quoi subsister :
« Vous
voulez savoir comment je vis ici ?… Nous nous levons de notre
lit, qui est constitué de planches de pin, à 6.30
heures du matin et nous mangeons du pain (quand nous en avons ;
nous nous en passons quand nous n’en avons pas) et de l’eau
chaude ou « thé mormon » comme on appelle
cela ici. À 7 heures nous sommes à l’école.
Nous avons 10, 15, 20 ou 50 élèves, hommes et femmes,
le dernier nombre lorsque les gens se rassemblent de toutes les
parties de l’île. Nous leur faisons mémoriser et
expliquer les versets d’Ecriture, et bien que vous nous
traitiez de païens, nous pouvons prouver et citer plus
d’Écritures que vous autres, les saints civilisés. Nous
répétons une phrase et ils la répètent
après nous en chœur, et on continue ainsi jusqu’à
ce qu’ils puissent répéter le verset eux-mêmes…
Au bout d’une heure et demie, l’école est terminée
sauf s’ils veulent consacrer encore une heure à parler
des Écritures, ce qui n’est pas rare.
« Ensuite, si c’est
mon tour de faire la cuisine (ce qui est le cas tous les deux jours),
je mets notre boy à l’ouvrage (il est le meilleur de
l’île) et nous faisons un feu de joie, cuisons notre pain
sur des pierres ou le faisons frire si nous avons du poisson, de la
graisse ou du lard, nous mettons le poisson sur les braises brûlantes
et vers 10 heures ou 10 heures 30 du matin, nous avons à
manger. C’est la mode française et nous sommes
maintenant en France. Une fois le dîner terminé, il y a
les malades à visiter. Il n’y a peut-être que
trente ou quarante personnes dans le village et pourtant il y a
toujours quelqu’un qui est malade. Il y a eu ici six décès
depuis les deux derniers mois dans une population d’environ
quatre cents personnes. La plupart de leurs maux sont des désordres
stomacaux dus à une vie irrégulière.
« Nous
disposons ensuite de quelques heures (si nous ne sommes pas
interrompus par un natif qui vient nous trouver avec une « pensée
» ou une « question ») que nous passons à
étudier la langue, à lire les Écritures, les journaux
et les lettres du pays et à chercher de la nouvelle matière
pour des sermons. À 3 heures de l’après-midi,
nous avons de nouveau une réunion de témoignages ou des
cours. Nous avons deux réunions de témoignages et six
réunions de cours par semaine, quatre réunions le
dimanche et de treize à quinze réunions par semaine.
Les réunions de témoignage durent généralement
entre une heure et demie et trois heures, chacun ayant son mot à
dire sur quelque chose ; certaines réflexions sont opportunes
d’autres ne le sont pas. Ensuite il faut préparer le
souper ; après quoi nous visitons les saints et les malades,
chantant et conversant et parlant Écritures avec eux.
»
La
visite d’Andrew Jenson
De temps
en temps la Mission avait la chance de recevoir la visite d’officiers
venus du siège de l’Église à Salt Lake
City. La première visite de ce genre fut celle d’Andrew
Jenson, historien-adjoint de l’Église, qui rendit visite
à la Mission des îles de la Société entre
le 3 février et le 1er avril 1896 dans le cadre de la mission
qu’il avait « vis-à-vis de tous les champs
missionnaires de l’Église. » Il devait réunir
les registres de l’Église et obtenir le plus de
renseignements possibles sur l’histoire de l’Église
dans les lieux où il se rendait. Frank Cutler, président
de la Mission, dirigea les visiteurs et traduisit et interpréta
pour frère Jenson.
L’historien fut impressionné
par les hommes âgés avec qui il parla, qui se
souvenaient avoir rencontré Benjamin F. Grouard et Sidney
Alvarus Hanks. Il rendit visite aux branches de l’Église
qui avaient fonctionné de manière constante depuis le
départ des missionnaires américains en 1852. Il assista
à leurs services religieux, se joignit à eux dans les
prières et les cantiques et enseigna l’histoire de
l’Église chaque fois que le président Cutler l’y
invitait. À Takaroa, le principal centre des saints dans les
Tuamotu, frère Jenson et le président Cutler furent
invités chez Mapuhi et prirent part aux services religieux qui
s’y pratiquaient depuis les années 1850. Ils y virent en
construction « une des plus belles églises des îles
Tuamotu, constituée de murs en pierres coralliennes, terminée
en septembre 1895. »
5. Le
fonctionnement de la Mission (1900-1945)
Dès
1900, le mode de vie des saints des derniers jours polynésiens
et la forme des activités missionnaires étaient bien
établis et ne tardèrent pas à être
habituels ou institutionnalisés. Il y eut peu de changements
dans la vie des insulaires mormons entre le début du siècle
et la fin de la Seconde Guerre mondiale (1945). Plusieurs facteurs
contribuèrent à maintenir ce mode de vie dans la Mission. De temps en temps les missionnaires étaient limités
dans leurs activités par les autorités
gouvernementales, bien qu’il y eût des périodes
particulièrement cordiales, en fonction de l’attitude
des autorités et des missionnaires. Le grand obstacle était
l’apprentissage de la langue, que ce fût le français
ou le tahitien, que l’on n’arrivait pas à
surmonter avant six mois à un an. Tant que l’on ne
connaissait pas correctement la langue locale, on ne pouvait pas
s’attendre à ce que les insulaires comprennent le
message des missionnaires. Les transports étaient tellement
rares et irréguliers que lorsqu’il fallait absolument
voyager, cela prenait énormément de temps. Il était
habituellement très difficile pour le président de Mission ou un président de district de se déplacer pour
visiter toutes les branches ou tous les anciens. Les travailleurs
étaient si peu nombreux et le territoire si vaste que
certaines branches dispersées voyaient rarement un
missionnaire blanc. En outre, les missionnaires recevaient tant
d’appels au cours de leur service que le prosélytisme
venait en second rang par rapport à d’autres devoirs.
Réduction
du territoire de la Mission
Lorsque
la Mission des îles de la Société fut rouverte en
1892, elle englobait les habitants de six groupes d’îles
: celles de la Société (îles Sous-le-Vent et îles
Du Vent), les îles Australes (Tubuai et d’autres),
l’archipel des Tuamotu, les Marquises, les îles Gambier
et les îles Cook. Ces îles étaient sous la
souveraineté française, à l’exception des
îles Cook qui appartenaient à la Grande Bretagne. Les
saints des derniers jours étaient dispersés dans une
trentaine d’îles appartenant à ces groupes :
toutefois ils étaient principalement concentrés dans
l’archipel des Tuamotu et dans l’île de Tubuai. À
la date du 31 décembre 1895, il y avait 984 saints des
derniers jours dans les îles, et au début du siècle,
il y en avait environ 1000. Sur une population de 429 âmes à
Tubuai, 159 étaient des saints ; sur une population totale de
4743 âmes dans les Tuamotu, 905 étaient membres. Ainsi
donc, les saints des derniers jours constituaient le cinquième
de la population des îles. Il n’y avait qu’un petit
groupe de saints à Tahiti. Le territoire de la Mission fut
considérablement réduit en 1903 par l’élimination
des îles Marquises, Gambier et Cook.
Beaucoup d’énergie
et de talent avaient été consacrés à
essayer d’introduire l’Évangile parmi les
habitants de ces trois groupes d’îles. Des missionnaires
capables avaient fait tout ce qu’ils pouvaient, mais les
insulaires, qui « sont de très braves gens… sont
entièrement sous la domination de la société
missionnaire anglaise et on leur enseigne de n’avoir aucune
relation avec aucune autre Église. » Pendant cinq
années ou plus, de mai 1899 à 1903, les missionnaires
de l’Église furent présents, apprenant la langue,
écrivant et traduisant des ouvrages, et se faisant des amis,
sans grand succès. Malgré tout, il faut garder en
mémoire les noms de ces missionnaires. E. L. Cropper, Eli
Holton et James S. Jones travaillèrent dans le village
principal de Taiohae dans l’île de Nuku Hiva, dans les
Marquises, et L. A. Miner et L. A. Harper enseignèrent à
Mangareva, dans le groupe des Gambiers. Les elders suivants
travaillèrent dans les îles Cook, jusqu’à
quatre ans à Rarotonga et Aitutaki : Marvin W. Davis, Osborne
J. P. Widtsoe, Benjamin A. Johnson, Thomas Loveland et Heber J.
Heiner. Elder Widtsoe écrivit une brochure en rarotongan et en
imprima deux mille exemplaires à Tahiti en juillet 1900. Elle
était intitulée : Te Akakatu-akaou-anga i te Ekalisia a
Jesu Meta i te Tuatau Openga Nei.
Le 20
novembre 1903, Edward S. Hall, président de la Mission, reçut
une lettre de la Première Présidence disant que « l’on
devait fermer toutes les parties de la Mission où les
missionnaires avaient passé un an ou plus sans faire de
convertis. » Cette politique fut appliquée, et les
îles Marquises, Gambier et Cook furent fermées à
l’œuvre missionnaire, car en dépit du fait que les
missionnaires y avaient passé jusqu’à quatre
années, il n’y avait pas eu un seul converti.
Les
relations avec le gouvernement
Au cours
des années, les missionnaires américains d’Utah
s’entendirent bien, la plupart du temps, avec le gouvernement
colonial français. Les mauvaises relations étaient
habituellement centrées sur l’un ou l’autre des
problèmes suivants :
1. Les
missionnaires étaient accusés d’exercer une
influence politique dans les élections locales et de tourner
le peuple contre le gouvernement.
2. Les
Français craignaient que les missionnaires américains
n’américanisent les insulaires. Il y avait des bruits
qui disaient que les missionnaires ordonnaient leurs convertis
citoyens américains. Les Français craignaient qu’il
n’arrive la même chose à Tahiti que ce qui était
arrivé dans les îles Hawaii et que les États-Unis
ne prennent possession du territoire.
3. Les
gouverneurs étaient perturbés par la quantité
d’argent recueillie auprès des membres locaux de
l’Église et envoyée hors du pays.
4. Les
problèmes que le gouvernement rencontrait avec les
missionnaires mormons pouvaient être réduits en
diminuant le nombre de visas accordés pour leur permettre de
résider à Tahiti.
Trop
souvent les missionnaires américains de l’Église
à Tahiti ne se rendaient pas compte qu’ils n’avaient
pas le droit d’être là, qu’ils ne résidaient
dans les îles que par la grâce du gouvernement français.
Ils étaient là parce qu’ils en avaient la
permission, et cela, uniquement tant qu’ils ne perturbaient pas
la paix et obéissaient à toutes les règles,
réglementations et lois. Les missionnaires devaient apprendre
à être neutres, tolérants et patients. Ils
devaient faire la distinction entre être Américain et
être mormon.
Comme
nous l’avons déjà vu, les choses dépendaient
en grande partie de la personnalité et de l’humeur du
gouverneur et des autres autorités gouvernementales. Il était
très important d’avoir le soutien et l’amitié
des consuls des États-Unis, qui étaient toujours
heureux de représenter les missionnaires américains et
de les défendre, eux et leur œuvre, devant les
magistrats français. L’aide des consuls était
particulièrement utile lorsque le président de Mission
ne connaissait pas le français et ne pouvait s’exprimer
directement lui-même.
Il y
avait de temps en temps des événements qui donnaient
aux missionnaires l’occasion de prouver au gouvernement leur
utilité et leur serviabilité. Il y avait toujours les
petits accrochages qui se produisaient entre les représentants
des confessions religieuses existant dans les îles, les saints
des derniers jours, les sanitos (l’Église réorganisée),
les catholiques, les protestants. En mars 1904, les missionnaires
mormons Corbridge et Peck eurent l’occasion, à
Mangareva, dans les îles Gambier, de se montrer conciliants. Un
garçon, membre de l’Église qui vivait avec les
missionnaires, mourut. Pendant que l’on portait le corps pour
l’enterrer, les catholiques se l’approprièrent
pour leur rite. On se disputa le corps, et les catholiques finirent
par l’emporter. Le consul américain en appela au
gouverneur, qui demanda aux missionnaires « de laisser
tomber l’affaire si c’était possible. »
Ils cédèrent et furent bien vus pour leur volonté
de coopérer.
Le
président de Mission
La
personnalité centrale dans l’histoire de la Mission
était le président de Mission. Celui-ci présidait
aux activités de prosélytisme des missionnaires aussi
bien que les assemblées des saints polynésiens
dispersés parmi les branches. Il était responsable des
affaires de l’Église dans les îles, de tous les
aspects des activités missionnaires et de l’administration
de l’Église. Il communiquait avec la Première
Présidence de l’Église à Salt Lake City.
Il recevait les nouveaux missionnaires, leur enseignait leurs
devoirs, les affectait à leur champ de mission, leur rendait
visite à leur poste, supervisait leurs activités,
tenait conseil avec eux et dirigeait toutes les affaires de l’Église.
L’un
de ces présidents, Ole B. Peterson, fait ce commentaire
concernant la fonction de président de Mission :
« Pendant cette mission, j’ai eu beaucoup de belles
expériences, et outre que j’enseignais l’Évangile
aux natifs, j’étais leur père, leur arbitre, leur
pacificateur, leur avocat et leur médecin de famille. »
En outre, il publiait le journal de la Mission, écrivait et
traduisait.
Les
présidents de Mission étaient choisis et nommés
par la Première Présidence d’entre les anciens
missionnaires de Tahiti qui connaissaient le français et le
tahitien. Lorsqu’on appelait l’ancien missionnaire comme
président de Mission, il avait éventuellement fait des
études supplémentaires, s’était marié
et avait vraisemblablement des enfants en bas âge. Les premiers
présidents de Mission des années 1890 remplissaient des
mandats de treize à trente-cinq mois ; bientôt la durée
du service fut uniformisée à trois ans. La vie de
famille accompagnait le président de Mission et les couples
missionnaires. Le greffier de la Mission était heureux
d’écrire : « 21 mai 1906. À trois
heures du matin, sœur Wilkinson a donné le jour à
une petite fille… C’est la première petite
missionnaire à naître dans les îles. »
Et ensuite : « Dimanche 12 août 1906. À
onze heures du soir, sœur Hall (femme d’Edward S. Hall) a
donné le jour à un beau petit garçon. C’est
le premier garçon né en mission de parents venus de
Sion. » Lorsque la famille de Frank Cutler arriva, ils
avaient trois enfants, la famille de William Seegmiller en avait
quatre.
La femme
du président de Mission était mise à part comme
présidente de la Société de secours de Mission,
avec pour devoir de former et de superviser les Sociétés
de Secours de branche.
Les
bâtiments du siège de la Mission
De 1895
à 1906 inclus, le président de Mission habita dans une
maisonnette louée dans « un petit faubourg
tranquille » de Papeete, « entourée de
beaux palmiers et de plantes tropicales. » Le foyer de la Mission était le cœur de l’administration de
l’Église. C’est là que résidaient le
président de Mission avec sa femme et ses enfants. C’est
là que vivaient trois à cinq missionnaires affectés
au bureau de la Mission : le secrétaire de Mission et
d’autres employés. C’est là que l’on
recevait les missionnaires à leur arrivée et qu’on
les instruisait de la façon de procéder et des règles
de la mission ainsi que de la langue. C’est là que les
divers instructions et messages venus du siège de l’Église
en Utah étaient traduits sous forme de programmes et
d’activités dans le champ de la mission.
Traditionnellement
le foyer de la Mission se trouvait à côté d’une
église utilisée pour les réunions de branche et
de Mission. C’est ce genre de complexe qui fut créé
en 1905 et 1906 à Papeete. La Première Présidence
fournit la plus grande partie de l’argent. Le président
de Mission, Edward S. Hall, avait reçu mandat d’agir
pour l’Église, de sorte que les biens achetés par
lui étaient transférés par acte à Joseph
F. Smith, président de l’Église. Les transactions
commencèrent le 2 mars 1905 avec l’achat d’un
terrain à Papeete au coin de la rue Brea et de la rue Dumont
d’Urville (22 m sur 47 m en façade et 35.50 m sur 47 m
au fond) à Melle Céline Bonnet pour 9000 francs
français. Les gens donnèrent à cette propriété
le nom d’Orovini. En juillet, le président Hall fut
appelé à Salt Lake City pour mettre la dernière
main aux dispositions en vue de la construction des deux bâtiments.
Son absence dura trois mois et demi, au cours desquels il se maria,
vit les plans des bâtiments dessinés et approuvés
et prit les dispositions nécessaires pour l’achat et le
transport de bois et d’autres matériaux de construction.
Le bâtiment de la Mission devait être une maison de neuf
pièces ; l’église aurait environ 9 m sur 18.
James S. Noall, un menuisier, fut appelé à faire une
mission de bâtisseur pour faire les élévations.
La
construction commença le 8 novembre, une fois que les terres
basses et marécageuses eurent été comblées.
Le président et les missionnaires démarrèrent le
travail en aidant à la pose des fondations. Le 22 novembre,
les fondations de pierrailles, de sable et de chaux étaient
terminées et les travaux de charpente commençaient. Le
5 janvier, le foyer de la Mission était suffisamment terminé
pour que les missionnaires pussent s’y installer pour dormir.
Avec le temps la construction ralentit. Les maux de tête de
frère Noall l’empêchaient de travailler comme il
l’avait fait précédemment. Il fut relevé
et renvoyé chez lui. Malgré tout, le 22 avril 1906,
« le soir, une réunion des missionnaires eut lieu
dans la nouvelle maison et elle fut consacrée au Seigneur pour
abriter ses serviteurs dans cette partie de la Mission. »
Entre-temps, les travaux continuaient sur l’église et le
17 septembre 1906, les dernières boiseries étaient
terminées et on commençait à peindre. L’église
fut terminée pendant la conférence d’octobre. Les
bâtiments furent érigés pour le prix de 11 100
dollars américains. Le consul américain estima que
l’investissement avait une valeur de 15 000 dollars-or.
En vue
de l’achèvement du foyer de la Mission et de l’église,
le président Hall souhaita avoir, si possible, des
représentants de toute la Mission lors des services de
consécration. La branche de Papeete était petite. Les
bâtiments étaient pour tous les saints de la Mission.
Les fonctionnaires du gouvernement local étaient à
juste titre fiers des bâtiments. Le 12 septembre 1906, le
président Hall alla trouver le gouverneur et obtint la
permission de rassembler le peuple à Papeete et de tenir la
conférence d’octobre. Quelque 150 saints étaient
présents, dont 120 venaient des Tuamotu.
L’Église
fut consacrée le soir du 5 octobre 1906 devant une salle
bondée de saints et de beaucoup de visiteurs blancs. Tous les
missionnaires de la Mission étaient là. Un millier de
visiteurs ou plus entouraient le bâtiment, ne pouvant entrer.
Le président Hall dirigea la cérémonie. Le
programme était le suivant :
Cantique
par les membres, sans l’orgue : Ua haaputuputu maira te feia
parau tia
Cantique
natif avec l’orgue : Te pou ra mai o te Merahi
Discours
en tahitien par A. L. Clawson
Cantique
natif accompagné à l’orgue : Te Tomoraa fare
Prière
de consécration en tahitien par le président Hall
Chant
natif avec l’orgue : Tei Desereta
Discours
par Toae a Maire
Cantique
en anglais par les missionnaires : Tout au sommet des monts
Discours
en anglais par Jos. T. Wilkinson
Cantique
de clôture : Le grand Dieu se manifeste
Prière
de clôture par Taipu, président de la branche de Hao.
La
conférence eut lieu dans l’église pendant les
trois journées qui suivirent. Trois réunions eurent
lieu chaque jour, avec des activités de classe le soir, sauf
le dimanche soir, où une réunion anglaise eut lieu.
Étant donné les nombreuses personnes présentes,
la conférence fut qualifiée de « grand
succès. »
Pour
rendre visite aux saints dispersés au loin dans les branches
et aux missionnaires, il fallait que le président de Mission
ait beaucoup de résistance, de foi, d’ingéniosité
et d’endurance pour obtenir une place sur les navires de
commerce et passer d’une île à l’autre. La
note suivante dans le registre de la Mission à la date du 13
janvier 1902 donne une petite idée de cet aspect de la vie
missionnaire dans les îles :
« Le
président, Jos. Y. Haight, est arrivé aujourd’hui
après quatre mois de visite dans les îles Tuamotu. Il
allait bien et signale avoir rendu visite aux îles de Fakarava,
Takapoto, Takaroa, Taenga, Hao, Ravehere et Anaa, rencontrant les
saints qui vivaient dans les branches de ces îles. Dans
certaines branches les saints se sentaient bien et essayaient de
vivre leur religion, dans d’autres il y avait beaucoup de
laisser-aller.
»
L’imprimerie
de la Mission
Une
institution importante au foyer de la Mission, c’était
l’imprimerie. La Mission avait besoin de documents imprimés,
de littérature évangélique en tahitien, que les
missionnaires pouvaient distribuer lors de leurs visites dans les
îles et parmi les saints. En conséquence, l’Association
des anciens missionnaires d’Utah réunit 300 dollars
américains pour acheter du matériel d’imprimerie
qu’elle envoya en cadeau à Papeete, où on le
reçut le 13 décembre 1903. Un an et demi plus tard,
Joseph T. Wilkinson et sa femme arrivaient à Papeete ;
« il est imprimeur de métier et a été
envoyé pour faire marcher l’imprimerie de la Mission. »
À partir de ce moment-là, on appela des imprimeurs à
partir en mission à Papeete pour assurer la publication de la Mission.
Ole B. Peterson fut appelé, le 30 octobre 1910, comme
imprimeur pour un mandat de trois ans et demi. Il définissait
ses devoirs comme suit : réparer et nettoyer la presse,
composer, distribuer les caractères, couper le papier,
imprimer et plier le papier, adresser et expédier les papiers,
imprimer les reçus et les leçons de l’Évangile
et relier de petits livres. Il apprit le tahitien en sept mois et
passa du temps à écrire des plans de leçons
d’École du dimanche et à travailler à la
traduction de l’histoire du prophète Joseph Smith. En
plus de ses devoirs, il passa du temps avec les missionnaires. Sa
femme passait la plus grande partie de son temps à s’occuper
de jumeaux nés le 20 juillet 1912, le même jour où
sœur Fullmer donna le jour à une fille.
La
presse d’imprimerie était installée au bureau de
la Mission et presque tous les travaux d’impression de la
Mission se faisaient là-bas. La publication principale était
le journal de la Mission, Te Heheuraa Api (La nouvelle révélation),
publié mensuellement. Créé en 1907, le petit
journal était décrit comme suit : « Beaucoup
de personnes lisent son message mensuel d’informations
évangélique et beaucoup de ses colonnes ont permis
d’apporter le message de l’Évangile à un
grand nombre de personnes qui n’auraient sinon pas voulu
écouter les missionnaires. Une petite place est réservée
dans chaque numéro pour les événements du jour
et ce détail, à lui seul, a été un
puissant atout dans l’acquisition de nouveaux abonnés. »
Les missionnaires utilisaient le journal dans leurs visites aussi
bien aux non-membres qu’aux membres, proposant un abonnement
lorsque c’était possible. Le président Fullmer
exhortait ses missionnaires à « travailler dans
l’intérêt du journal et à prêcher
l’Évangile. » En 1929, il y avait plus de
treize cents abonnés. Le travail de George P. Coleman et de
Horace Hess est rapporté le 10 janvier 1931 comme suit :
« Ces deux frères venaient de revenir d’avoir
travaillé dans l’île de Makatea. Ils n’y
restèrent pas longtemps mais vendirent 119 abonnements au
journal et firent rapport d’un voyage très réussi,
même si la possibilité d’y tenir une réunion
leur fut refusée. » La publication continua
jusqu’en 1961.
Des
ouvrages très divers sortirent de presse en tahitien. Ora Hyer
écrit en mai 1914 : « L’année
dernière, nous avons imprimé beaucoup de choses,
notamment une nouvelle édition de notre livre de cantiques. Ce
petit livre est un ouvrage très valable. Il contient 123
cantiques, la plupart des traductions des cantiques de l’Église.
Depuis le début, notre imprimerie se finance elle-même
et ses finances sont actuellement saines. » En 1922, ils
finirent d’imprimer mille exemplaires d’une nouvelle
brochure, Te Haereraa Piti mai o te Mesia. En 1923 fut publié
un nouveau manuel pour les collèges de la prêtrise, E
Buka Haapiiraa no te Autahuaraa Api, un ouvrage adapté de
Gospel Themes d’Orson F. Whitney. En 1925, on imprima des
calendriers, qui devaient être donnés avec un abonnement
d’un an à Te Heheuraa Api.
« Ils
sont imprimés sur du carton rose avec un bord orange, et
l’illustration montre Joseph Smith recevant les plaques d’or. »
La Mission créa une grammaire et un lexique en français,
tahitien et anglais, ouvrage très utile aux missionnaires
apprenant le tahitien. La même année, 1925, on imprimait
trois cents exemplaires de la traduction en tahitien par Ole B.
Peterson de la History of Joseph Smith de George Q. Cannon, qui
devait servir de manuel de leçons. En 1929, la presse publiait
une brochure intitulée Le baptême est-il essentiel au
salut ? et trois cents exemplaires d’un nouveau livre de
cantiques tahitien. Et en 1930, 250 exemplaires du livre Parau
Tuotapapa no Iosepha Semita étaient imprimés. En 1931,
le livre A Tahitian Grammar d’Ernest Rossiter et le lexique
d’Ole B. Peterson étaient révisés,
combinés et publiés en un seul livre par Harrison B.
Conover, ancien missionnaire tahitien.
Pour des
raisons administratives, la Mission fut divisée en trois
conférences géographiques, appelées plus tard
districts, qui furent placées sous la direction d’un
président de district, ordinairement un missionnaire
chevronné, qui était responsable devant le président
de Mission. Le président de district supervisait le travail
des missionnaires affectés à son district. Les trois
conférences étaient les Tuamotu inférieures, les
Tuamotu supérieures et les Australes. En 1927, deux nouveaux
districts furent créés ayant pour centres Takaroa et
Hao. La Mission était dorénavant composée de
quatre districts : Tahiti, Tubuai, Nord Tuamotu et Tuamotu.
Le
missionnaire
C’est
sur les épaules du missionnaire que reposait la responsabilité
d’intégrer pleinement les convertis dans l’Église.
Appelé d’entre les jeunes anciens des pieux de Sion en
Amérique, le missionnaire était mis à part à
Salt Lake City, prenait le train jusqu’à San Francisco
et se rendait de là par bateau à vapeur ou par voilier
à Papeete (Tahiti). Voici comment Edward S. Hall décrit
cette partie de la procédure : « Lorsque les
nouveaux missionnaires arrivent dans cette Mission, on les envoie
dans les différentes îles travailler avec des
missionnaires qui connaissent déjà bien la langue
locale. Ils vont deux par deux d’une île à
l’autre, prêchant l’Évangile et faisant tout
ce qui se révèle nécessaire dans les diverses
branches. »
En 1904,
lorsque le président Hall écrivit cela, il y avait
douze missionnaires dans la Mission : quatre voyageant dans le
groupe des Tuamotu, quatre dans les Marquises, deux dans le groupe
des Gambier et deux à Tubuai. Une petite assemblée à
Papeete organisait chaque dimanche un service religieux. Pendant les
quarante années qui suivirent, le nombre de missionnaires
traditionnel fut de douze et pouvait comprendre le président
de Mission et sa femme. Les missionnaires travaillaient
habituellement trois ans.
La
première tâche du missionnaire était d’apprendre
le tahitien. L’idéal était de connaître le
tahitien et le français, mais il était rare qu’un
missionnaire ou même qu’un président de Mission parle les deux langues. Et alors que le gouvernement imposait l’usage
du français, les missionnaires mormons apprenaient et
utilisaient pour la plupart le tahitien, essentiellement parce que
c’était la langue que parlaient presque exclusivement
les saints dispersés.
Nul
n’arriva aussi bien préparé pour apprendre le
tahitien que Daniel T. Miller, dont nous avons déjà
parlé, et William H. Chamberlin. Le biographe de Chamberlin
décrit comme suit ses premiers contacts avec la langue :
Il se
lança immédiatement dans l’acquisition de la
langue locale, ayant, pour l’aider, comme il le dit :
« une grammaire moderne en manuscrit, traduite du
français, en plus d’un dictionnaire, de documentation et
de beaucoup d’occasions de converser avec les natifs. »
Au bout d’un mois, il avait progressé au point de
pouvoir entreprendre son premier voyage missionnaire parmi les
natifs. Ce voyage fut un tour de l’île de Moorea qu’il
entreprit le 3 septembre et termina une semaine plus tard. À
son retour à Tahiti, il fit son premier sermon en tahitien
lors d’une réunion à Pirae et, plus tard au cours
de ce mois, fit un deuxième tour de l’île de
Moorea.
Il
fallait, à la plupart des missionnaires, six à douze
mois pour apprendre la langue. Le missionnaire qui se débrouillait
dans la langue pouvait aider à la préparation des
brochures, des instructions, des traductions, des sermons pour les
missionnaires qui venaient d’arriver et des plans et des leçons
que l’on allait utiliser dans les écoles. Joseph Young
Haight (1901), écrivit et publia Te Arata’i (Le guide),
qui contenait des instructions aux officiers et aux membres de
l’Église, proposait des formes de prière et
reproduisait quelques extraits des Doctrine et Alliances. Adelbert
Clawson (1905-6) fit un voyage aux Tuamotu où il réussit
à réunir de la généalogie et des
registres. I.E. Willie passa du temps à traduire des extraits
du livre Succession in the Presidency, de B.H. Roberts, pour les
aider dans leur étude de la question joséphite. Elder
Chamberlin utilisa de diverses façons sa maîtrise de la
langue.
« Il
traduisit différents cantiques et en arrangea et en composa
d’autres. Il note ainsi à la date du 23 septembre 1898 :
« J’ai créé des cantiques de nouvel an
adaptés à des airs natifs » et, le 31 décembre,
« on a bien chanté. Parmi les cantiques, il y a les
deux que j’ai composés pour l’occasion. »
Le 6 avril 1899, il écrit : « Après la
deuxième réunion, les membres se sont entraînés
à chanter ma traduction de « O mon Père. »
Il écrivit aussi un certain nombre de brochures de l’Évangile
en tahitien, parmi lesquelles il y en avait une sur « le
rétablissement de l’Évangile » et une
sur « les premiers principes de l’Évangile. »
Il note à propos de la seconde que quatre mille exemplaires
furent publiés en décembre 1899. »
En
janvier 1900, il avait fini d’écrire et avait imprimé
3000 exemplaires d’une brochure en tahitien intitulée Te
hoe parau iti no te Evanelia.
Bien que
la responsabilité principale des missionnaires fût
d’enseigner l’Évangile à quiconque voulait
bien les écouter, ils étaient appelés à
rendre toute une série d’autres services. Ils
dirigeaient les réunions de l’Église et donnaient
les cours de religion. Ils donnaient des conseils aux dirigeants et
aux membres. Ils faisaient du prosélytisme dans l’île
et vendaient des exemplaires ou des abonnements au journal de la Mission. Ils participaient à la construction d’églises.
Ils rendaient visite aux malades, jouaient le rôle de
médiateurs dans les querelles, prenaient les dispositions
nécessaires pour les mariages, baptisaient et confirmaient les
membres et bénissaient les bébés et les adultes.
Ils pouvaient aussi bien participer à l’organisation des
conférences qu’à la préparation de pièces
de théâtre telles que Te Haapiiraa, qui enseignaient des
principes de l’Évangile adressés aux saints et
intéressaient aussi les non-membres de l'Église.
Les
branches avaient des officiers locaux de l’Église, mais
étaient supervisées par les missionnaires. Ceux-ci
étaient si utiles dans les activités de branche que les
relations avec le président de branche et les membres étaient
délicates et demandaient de la diplomatie. C’est ainsi
que les missionnaires travaillaient essentiellement avec les saints
convertis dans les branches établies ; le prosélytisme
était secondaire.
Les
missionnaires organisaient aussi parfois des écoles, surtout
dans les premières années et avant que le gouvernement
français n’installe les siennes. En mai 1904, le
président Hall décrit comme suit la situation des
écoles à Tahiti :
« Le
gouvernement a maintenant des écoles à Tahiti, et on
enseigne aux enfants à lire et à écrire en
français. On n’autorise pas l’enseignement dans
les langues natale ou anglaise, sauf dans les Écoles du
dimanche. C’est pourquoi on a créé des Écoles
du dimanche pour enseigner l’Évangile dans toutes les
îles où il y a des branches officielles de l’Église.
Il est très difficile d’obtenir le succès désiré,
parce que les saints se déplacent continuellement d’une
île à l’autre. Le peuple aime beaucoup la musique
et a beaucoup de plaisir à chanter. Ils ont une très
belle voix, mais ils ont besoin d’être formés et
c’est ce que les missionnaires s’efforcent
continuellement de faire. Nous faisons traduire certains cantiques de
l’Église en langue locale, et les saints aiment beaucoup
les chanter.
»
Au cours
de la décennie qui suivit, la plupart des missionnaires
étaient occupés d’une manière ou d’une
autre à instruire les jeunes dans les écoles. En 1913,
on notait que Ora Hyer était à Hikueru où il
avait fondé une école ; Lewis E. Westover et John
L. Davis étaient à Takaroa et enseignaient là-bas ;
Montrose Killpack et J. Elvin Pearson étaient à Niau ou
Hikueru et Ira Hyer et Otto Stocks étaient à Tubuai en
train de créer une école pour les enfants et l’œuvre
missionnaire en général parmi ces populations. Mais
cette activité prit fin le 17 août 1914, lorsque le
gouverneur des Tuamotu interdit aux missionnaires d’enseigner
dans aucune des écoles des Tuamotu. Une nouvelle loi avait été
passée, stipulant que « seuls les citoyens français
ser[aie]nt autorisés à enseigner dans les écoles
des îles. » Les écoles de l’Église
ne tardèrent pas à être fermées.
Le
bien-être de la Mission était évalué par
les statistiques fournies par les missionnaires et les présidents
de branche : conversations sur l’Évangile, familles
visitées, brochures distribuées, abonnements souscrits
au journal, exemplaires du Livre de Mormon vendus, nombre de réunions
supplémentaires tenues, nombre de baptêmes accomplis. En
avril 1914, le secrétaire de la Mission observait : « La Mission ne s’est jamais mieux portée en matière
de dîme et d’offrandes… Nous avons assurément le
droit de dire que notre Mission progresse. »
Au cours
des années, avec la diminution du nombre des missionnaires,
ceux-ci étaient principalement stationnés dans les
grandes îles de l’archipel des Tuamotu et à
Tubuai. Un missionnaire pouvait s’attendre à être
transféré deux fois ou plus au cours de ses trois
années, mais il y a des exemples de missionnaires qui
restèrent toute leur mission dans une seule île ou deux.
Les
missionnaires habitaient une chambre unique dans une maison ou une
maison d’une seule chambre séparée d’une
famille locale. La cuisine était proche. La famille pouvait
s’intéresser spécialement à eux et prendre
soin d’eux de diverses manières. De toutes façons
le missionnaire avait un mode de vie assez proche de la vie
tahitienne, à l’exception des vêtements où
c’était la tenue américaine qui était de
rigueur.
Ils
étaient à pied, sauf s’ils avaient acheté
un cheval. Le transport entre les îles était rare et
lent. Ils devaient utiliser essentiellement les produits locaux. Mais
leur principale préoccupation semble avoir été
le manque de courrier. Il pouvait se passer des semaines et plus
vraisemblablement des mois entre deux distributions de courrier.
Celui-ci dépendait encore de la bonté du capitaine d’un
navire et de l’itinéraire emprunté par celui-ci,
toujours susceptible d’être retardé ou changé.
En dépit du fait qu’ils étaient isolés du
monde extérieur, la communication se produisait parfois par
l’inspiration. Floyd M. Packer raconte l’expérience
suivante :
« Pendant
que je travaillais dans l’île de Hikueru, Elder Hess me
réveilla vers deux heures du matin, disant que je pleurais.
Qu’est-ce qui se passait ? On était le 16 septembre
1831. Je lui dis que la femme de mon frère venait de décéder.
Il essaya de me persuader que je me trompais, que ce n’était
qu’un rêve. Je lui dis que je l’avais vue dans un
cercueil, mon frère debout d’un côté et ma
mère de l’autre. Quelques mois plus tard, lorsque nous
retournâmes au siège de la Mission, le président
Burbidge m’appela dans son bureau et me dit qu’il avait
de tristes nouvelles pour moi. Je lui dis que je savais ce que
c’était. Ma belle-sœur était décédée
le 16 septembre. Oui, c’était bien ce qu’il avait
à m’apprendre. Comment le savais-je ? Je lui racontai ce
qui était arrivé, puis je lus mon courrier et une
lettre confirma ce que j’avais vu en songe cette nuit-là.
»
Il se
produisait des maladies et des accidents. En dépit des
tribulations subies, aucune n’eut pour résultat la mort
d’un missionnaire. Beaucoup signalèrent qu’ils
avaient senti une influence protectrice pendant toute leur mission.
Robert
M. Johnson raconte ce qui lui arriva en 1936, pendant qu’il
travaillait à la construction de l’église de
Hao :
« Nous
avions terminé les élévations, y compris les
pignons. Les murs avaient 45 centimètres d'épaisseur.
Nous étions en train d'installer les chevrons depuis le sommet
des murs jusqu'aux poutres qui allaient d'un pignon à l'autre.
J'étais debout au sommet du mur de droite et je passais le
chevron au missionnaire qui les fixait à la poutre au sommet,
lorsqu'un des chevrons que je tenais glissa et me fit perdre
l'équilibre, et je me mis à tomber en arrière,
vers le sol qui était à environ quatre mètres
cinquante en-dessous de moi. Je crus que c'était la fin
lorsqu'un pouvoir ou des mains furent placées sur mon dos et
que je fus remis à ma place de départ. Ce fut une
expérience spirituelle extraordinaire pour moi, jeune
missionnaire.
»
Les
qualités nécessaires au bon missionnaire furent
définies par le président Ernest C. Rossiter dans une
lettre à un autre président de Mission :
« Nous
avions un jeune missionnaire de Sion qui réussit à
convertir et à baptiser 100 personnes. Ses conversions
provenaient essentiellement de la profonde humilité qu'il
avait devant le Seigneur. Il abordait les gens dans le véritable
esprit d'amour et de bonté. Son attitude devant les gens était
sincère et pleine de compassion et de pardon pour leurs
faiblesses. Il savait conquérir les cœurs et l'Esprit du
Seigneur était avec lui aussi bien lorsqu'il contactait les
gens que lorsqu'il était au foyer avec les autres
missionnaires. Si tous nos missionnaires pouvaient acquérir le
charme chrétien, quelle force cela aurait pour la conversion.
Ces
sentiments font écho aux termes de la révélation
donnée par Joseph Smith à son père concernant
l'œuvre missionnaire : «Et la foi, l'espérance, la
charité et l'amour, avec le seul souci de la gloire de Dieu,
le qualifient pour l'œuvre. Souvenez-vous de la foi, de la
vertu, de la connaissance, de la tempérance, de la patience,
de la bonté fraternelle, de la sainteté, de la charité,
de l'humilité, de la diligence. Demandez et vous recevrez ;
frappez et l'on vous ouvrira. » (Doctrine et Alliances 4:5-7).
En 1895,
Frank Cutler avait une équipe de huit missionnaires. Pendant
les années 1890 (1892-1899), quelque quarante-cinq
missionnaires étaient arrivés. En janvier 1900, William
Chamberlin avait une équipe de vingt-deux missionnaires
répartis dans les tles et leurs habitants comme suit :
Frederick T. Yeates, I. E. Willey et Grant Andrus à Hikueru,
dans les Tuamotu ; Edgar L Cropper et Eli Holton à Taiohae, à
Nuku Hiva, dans les îles Marquises ; Osborne Widtsoe et Marvin
W. Davis à Rarotonga, dans les tles Cook ; Guardillo Brown et
Thomas H. Pratt à Tubuai, dans les îles Australes ; Ezra
T. Hatch et C. J. Hansen à Bora Bora, dans les îles
Sous-le-Vent ; Isaac L. Wright et Parley Allred à Raiatea,
dans les tles Sous-le-Vent (de la Société) ; William B.
Taylor et James T. Mills à Tahiti, district de Hitiaa ; Andrew
Mortensen, fils, et R. A. Dowdle à Tahiti, district de Tautira
; William C. McGregor et Benjamin A. Johnson à Tahiti,
district de Papara ; William H. Chambertin, Ammon T. Rappley et
Joseph Y. Haight à Tahiti, Papeete ; Timi a Punau à
Mangareva et Toae, Tautira, Tahiti.
L'œuvre
des missionnaires fut appréciée par les Français,
car il y eut collaboration au cours des années, et fut
soutenue par les consuls américains. Lors d'une conversation
qui eut lieu le 9 mars 1918, le consul britannique à Tahiti,
le Dr Walter J. Williams « fit la réflexion que la
chose qu'il admirait par excellence dans l'Église mormone
était que c'était une religion pratique de tous les
jours et que ce qu'il y avait de plus remarquable chez elle était
l'effet qu'elle avait sur ses membres. Il dit aussi que c'était
quelque chose de tout à fait merveilleux de voir les jeunes
missionnaires mormons s'en aller dans le monde pour consacrer les
meilleurs années de leur jeunesse à leur Église
sans rétribution, et en outre, que tout en se mêlant à
toutes sortes de gens, ils ne s'identifiaient pas à eux. Il
conclut en disant que c'étaient les meilleurs jeunes gens
qu'il eût jamais rencontrés en ce monde et qu'il tirait
son chapeau à l'Église mormone et aux mormons.
»
6.
L'Église en action (1900-1945)
L'objectif
principal de la Mission était la conversion des Polynésiens
à l'Évangile rétabli de Jésus-Christ et
«le perfectionnement des saints» par l'obéissance
aux principes de l'Évangile rétabli (Éphésiens
4:11). Une fois converti, comment vivait le membre polynésien
? Qu'est-ce qui le distinguait des autres ? Quelles activités
de l'Église caractérisaient sa vie ? Sa vie de tous les
jours changeait-elle à la suite de sa conversion ? Voici une
enquête sur la vie religieuse des saints polynésiens.
Les
branches
Le
nombre de saints des derniers jours et le nombre de branches
changèrent très peu au cours des années
1900-1945. Pendant les premières décennies, la Mission avait un personnel d'une douzaine de missionnaires, qui baptisèrent
195 convertis avec une moyenne de 20 par an. Au cours des années
1920-1940, la Mission compta en moyenne 16 missionnaires. Le total
des baptêmes s'éleva à 623, avec une moyenne
d'environ 30 par an pour la Mission. Pendant la même période,
le total des membres ne changea pas beaucoup. En 1920, il y avait
1591 membres, en 1940 il y en avait 1511. Mais pendant les années
1930, le nombre de membres s'accrut de 430 personnes, pour passer de
1181 à
1511. Le nombre de branches passa de 16 à 22. Le nombre de
détenteurs de la Prêtrise de Melchisédek passa de
88 à 130, soit une moyenne d'environ 6 par branche. La
population de chaque branche variait en moyenne de 93 à 130.
Un rapport sur les branches couvrant la période de juillet
1895 au 31 décembre 1900 signale treize branches dans les
Tuamotu et une à Tubuai.
Chaque
branche était sous la présidence d'un frère
local. Les Écoles du dimanche étaient organisées
dans quatre branches et les Sociétés de secours dans
six. Selon ce rapport, les branches comptaient une moyenne de
quarante membres.
Chaque
branche avait ses propres officiers. Une présidence de branche
(un président et deux conseillers) présidait partout ;
un président ou un surintendant présidait l'École
du dimanche ; une présidente et deux conseillères
présidaient la Société de secours. Le nombre
d'officiers d'organisations variait en fonction de la population de
la branche, des détenteurs de la Prêtrise de Melchisédek
et de l'expérience.
Lorsque
Andrew Jenson, l'historien de l'Église, rendit visite en 1896
aux Tuamotu, il y fut suffisamment longtemps pour observer les saints
dans leurs réunions et laisser cette description :
« Dimanche, 1er mars (1896) Takaroa. Nous avons assisté à trois réunions générales, à une
école évangélique et à une réunion
de prêtrise avec les saints de Talcaroa. Nous avons également
pris la Sainte-Cène, utilisant de la chair de coco au lieu de
pain et du lait de coco au lieu de vin ou d'eau. Les saints de cette Mission sont fidèles à aller aux réunions. Dans
la plupart des branches, ils tiennent trois réunions et une
école évangélique chaque dimanche. Ensuite on
tient aussi des écoles évangéliques le lundi
soir; des réunions générales et des écoles
évangéliques le mercredi, une réunion de sœurs
le jeudi après-midi et des réunions évangéliques
le vendredi après-midi et le vendredi soir.
« Les missionnaires
ont essayé de diminuer le nombre des réunions,
mais les
natifs ne sont pas d'accord, car c'est une vieille habitude chez eux
de tenir des réunions et des écoles dans cet ordre-là.
Les activités des écoles évangéliques
consistent généralement en des questions et des
réponses sur des sujets de l'Évangile, sur la Bible et
l'histoire de l'Église. Celui qui dirige l'école,
distribue les questions aux différents élèves
lors d'une précédente leçon. Ces écoles
sont généralement intéressantes et vivantes, car
elles stimulent l'esprit et l'énergie des natifs qui sont
vivement désireux de donner les meilleures réponses
possibles. Chaque fois qu'ils sont présents, les frères
de Sion dirigent habituellement ces écoles.
»
Au cours
des premières années, Addison Pratt et Benjamin Grouard
avaient célébré la Sainte-Cène une fois
par mois à une réunion du dimanche. En mars 1901, il
fut décidé que la Sainte-Cène serait administrée
une fois par dimanche plutôt qu'une fois par mois. Le
changement fut introduit à Papeete et ensuite étendu à
toute la Mission.
Un des
premiers projets de toutes les branches était la construction
d'une église pour les services religieux et d'une salle
culturelle pour les fêtes. Les saints se prétendaient à
juste titre propriétaires des églises construites du
temps de P91tt, de Grouard et de leurs disciples, s'opposant aux
prétentions des Réorganisés qui utilisaient les
églises qu'ils avaient trouvées à leur arrivée.
Les branches de l'Église des Tuamotu construisirent leurs
propres églises, souvent avec l'aide substantielle des
missionnaires. L'église de Takaroa, commencée en 1891
et de nouveau en 1901 avec l'aide constante des missionnaires, fut
finalement terminée et consacrée le 1er avril 1910 par
William A. Seegmiller. L'église de Takapoto, construite à
peu près au même moment, fut renversée par le
cyclone du 25 mars 1905. En avril 1913, une nouvelle église
était consacrée à Hao.
Pendant les années
1930, trois nouvelles églises furent construites à
Tubuai, une pour chaque branche : la première, pour la branche
d'Haramea, fut consacrée en octobre 1931, la seconde, pour la
branche de Mahu, fut consacrée en octobre 1933 (elle fut
construite en 76 jours) ; la troisième, pour la branche de
Taahueia, fut consacrée en octobre 1935. Simultanément,
on construisait deux églises dans les Tuamotu, une à
Hao et une à Vahitahi. On construisait églises furent
entièrement construites en bois : « les arbres étaient
coupés, équarris, sciés en long et rabotés,
tout cela à la main, seule forme d'énergie utilisée
dans les îles. » Certains bâtiments étaient
construits de pierres, de formation corallienne, extraites de l'océan
par des plongeurs. « Entre 1920 et 1948, l'Église
construisit au moins douze églises, cinq salles culturelles,
appelées Fare Putuputuraa, ou lieu de rassemblement, et un
certain nombre de petites maisons pour les missionnaires. » Les
saints travaillèrent longtemps et de toutes leurs forces à
construire leurs églises. Une construction tout à fait
remarquable fut celle d'un bureau de Mission et d'une église à
Papeete, comme déjà mentionné.
Le
bureau de la Mission et l'église de Papeete un fois
construits, il fut temps de redonner vie à la branche de
Papeete. La semaine qui suivit la consécration, le vendredi,
la branche de Papeete fut organisée. Il est possible qu'elle
ne fonctionnait plus depuis quelques mois, car le 20 avril1905, un
jeudi, le registre dit : «Le vieux Tamaiti Pirae a été
relevé aujourd'hui comme président de la branche de
Papeete pour cause de vieillesse, et a pris le bateau avec sa famille
pour retourner dans sa patrie à Tubuai. Il a rempli fidèlement
un appel qu'il a détenu pendant de nombreuses années.»
Un an et demi plus tard, le 12 octobre 1906, la branche de Papeete
était organisée avec Toae a Maire comme président
et Morere a Patea et Punua comme conseillers. Frère Punua fut
également appelé
comme
président de l'École du dimanche. Le dimanche 14
octobre, ces officiers furent soutenus et mis à part et
l'École du dimanche commença. Beaucoup de personnes y
assistaient. L'enseignement à l'École du dimanche était
donné dans quatre classes.
Le but
des dirigeants de la Mission était d'assurer l'autonomie des
branches et, lorsqu'on y parvenait, c'était une cause de
réjouissances. Combien de temps les officiers détenaient-ils
un poste ? Aucune étude ne répond à cette
question. Il se peut que ce soit l'inertie qui ait provoqué la
désorganisation et la réorganisation en vint à
être considérée comme « une première
». Quoiqu'il en soit, le 6 avril 1924, l'École du
dimanche de la branche de Papeete fut « organisée »
pour « la première » fois, et Tita a Tehua (ou
Emile Huri a Tehua) fut soutenu et mis à part comme
surintendant avec Tetavahi a Mariteragi et Marcel Bonnet comme
conseillers. Une semaine plus tard, une Société de
secours était
organisée
dans cette branche. Terai a Tefanau fut soutenue et mise à
part comme présidente avec Taumatagi a Mariteragi et Katupu a
Tehinaturoa comme conseillères et Taha a Toae comme
secrétaire. C'était, disait-on, la première
organisation permanente de la Société de secours depuis
au moins dix ans.
Le président, Alma O. Burton, organisa la
première société d'amélioration mutuelle
des jeunes gens et des jeunes filles (SAMJG et SAM JF) de la Mission.
Il le fit tandis qu'il rendait visite à Takaroa entre le 11
octobre et le 10 novembre 1926. Orientées vers les jeunes de
l'Église, les SAM furent d'abord mal acceptées par les
membres plus âgés, mais ils ne tardèrent pas à
participer aux réunions avec les jeunes. La SAM aida
considérablement les jeunes à rester pratiquants dans
l'Église, quelque chose qui avait été difficile
jusqu'alors. La Primaire fut créée le 10 mai 1939 dans
la branche de Papeete avec Simone Bonnet comme présidente.
L'École du dimanche, la Société de secours et la
Primaire existaient déjà dans les branches lointaines
avant d'arriver à Papeete.
Les
activités de société ne se limitaient pas à
ces organisations auxiliaires de l'Église. Il y avait diverses
occasions où on se réunissait pour le profit de tous.
Pendant bien des années, les saints polynésiens se
rassemblèrent au bureau de la Mission pour le réveillon
de nouvel an pour y passer la soirée avec une collation (la
préférence allait à la crème glacée
et à la pastèque), pour chanter et rendre leur
témoignage. Les missionnaires américains célébraient
tout naturellement les fêtes américaines comme en
témoigne cet événement en date du 27 novembre
1930 :
« Un grand
dîner de Thanksgiving a été préparé
aujourd'hui par sœur Burbidge. Les invités étaient
M. Garretty, le consul américain, et sa femme, M. et Mme
Sterling, missionnaires adventistes du septième jour et M.
Roland. Cela a plu à tout le monde et après le repas,
M. Garretty a joué du piano pour nous.
»
Les
présidents de la Mission contribuèrent au développement
de la Mission grâce à leurs talents et à leurs
qualifications personnels. L'œuvre de LeRoy Mallory est un
exemple frappant de ce processus. Pendant qu'il faisait sa première
mission à Tahiti (1919-1922), Ernest C. Rossiter, son
président de Mission, l'avait chargé d'organiser et de
former une fanfare dans l'île de Takaroa. L'Église de
Salt Lake City fournissait les instruments. Etant donné que la
plupart des insulaires ne pouvaient pas lire la musique, ce fut
difficile, mais frère Mallory était un homme dévoué
et talentueux. Cette entreprise « constituait pour les jeunes
une distraction saine ». La fanfare jouait pour les conférences
et l'amusement des membres aussi bien que lors des manifestations
publiques et était bien reçue partout.
Pendant sa
deuxième mission (1933-1937), cette fois en tant que président
de Mission, Mallory organisa de nouveau cette fanfare de vingt-six
membres. Il mit à sa tête Taumata a Mapuhi, qui avait
été formé au Church College de Nouvelle-Zélande.
La fanfare connut de nouveau un grand succès. Elle fit
plusieurs voyages à Tahiti et en août 1934, elle fut
invitée par le gouvernement à se rendre en novembre à
Fakarava pour assurer la musique d'une grande journée de
manifestations culturelles. Elle s'y rendit, remporta le premier
prix, une médaille, et 125 francs. Elle était très
appréciée par tous les milieux. En mars 1951, le
président Mallory, lors de sa troisième mission,
l'organisa une fois de plus. Composée de trente-six musiciens,
elle joua à de nombreuses manifestations de l'Église
aussi bien que lors des manifestations publiques à Tahiti.
Pour la parade de la fête de la Bastille, le 14 juillet, on lui
demanda d'ouvrir les festivités et d'être en tête
de la parade.
La
qualité de la vie religieuse et spirituelle était très
variée parmi les saints. Ce qui les caractérisait
habituellement, c'étaient les manifestations visibles de leur
adhésion. La vie des saints des derniers jours fidèles
était marquée par le respect de la parole de sagesse,
la loi de chasteté, le respect du sabbat et la participation
au service du dimanche et à d'autres programmes de l'Église.
La plupart étaient consciencieux, mais certains étaient
négligents. Les missionnaires signalaient être bien
traités par les natifs, mais ils ne semblaient pas beaucoup
s'intéresser à ce que nous avions à leur dire ».
Certains saints « essayaient de vivre leur religion »,
tandis que d'autres « vivent comme cela leur tente, rejettent
les autres [enseignements] ». Les infractions flagrantes
obligeaient à se séparer d'eux. Le 6 avril 1902, à
une conférence à Hao, le président de Mission excommunia trente-six personnes pour fornication et apostasie.
Conférences
Si
les branches tenaient leurs réunions hebdomadaires pour leurs
propres membres, les conférences organisées par le
président de Mission attiraient l'assistance volontaire de
membres de l'Église éloignés et extrêmement
dispersés. Imitant quelque peu les conférences
générales organisées en avril et en octobre à
Salt Lake City, les conférence dans les îles avaient
lieu moins régulièrement. Elles comportaient des
services religieux consistant en sermons et en cantiques, en réunions
d'affaires relatives à l'Église et à ses
fonctions temporelles et spirituelles et en des réunions du
soir pour chanter des cantiques, réciter et jouer les Écritures. Les conférences contribuaient à promouvoir
la moralité, les qualités de citoyen et le bon ordre
public. Les membres s'assemblaient paisiblement pendant plusieurs
jours. Les conférences attiraient des centaines de saints
polynésiens.
Avec les
années, elles devinrent un élément majeur dans
la vie religieuse des saints. Les caractéristiques principales
étaient toujours maintenues, mais les présidents de Mission ajoutaient leurs propres programmes. Un excellent rapport sur
une conférence tenue en avril l914 à Papeete fut rédigé
par Ora Hyer, greffier de la conférence :
« Notre
conférence semi-annuelle a eu lieu les 4, 5, 6, 7 et 8
avril à Papeete (Tahiti). Elle a été sous la
présidence de Franlclin J. Fullmer. Tous les anciens de Sion
qui se trouvaient dans la Mission étaient présents,
ainsi que les deux sœurs.
« La
première réunion de la conférence fut une
réunion générale de prêtrise. On entendit
les rapports de toutes les branches et beaucoup de questions
concernant le bien-être de la Mission furent proposées à
la réunion et traitées. Le président Fullmer
passa brièvement en revue le travail accompli au cours de
l'année écoulée et donna beaucoup d'instructions
concernant notre œuvre. Plusieurs réunions furent tenues
chacun des jours prévus poui la conférence et les
autorités générales et locales furent soutenues
à l'unanimité.
« Le
dimanche soir, 5 avril, il y eut une assemblée de
l'École du dimanche à laquelle assistèrent plus
de deux cents jeunes gens, outre de nombreuses personnes plus âgées.
La réunion était constituée de brefs discours
très vivants qui s'adressaient essentiellement aux jeunes gens
et à l'œuvre de l'École du dimanche.
« L'œuvre
de l'année à venir fut définie par le président
Fullmer, qui montra les avantages que l'on retire de l'œuvre de
l'École du dimanche. Il annonça qu'un plan complet
avait été mis au point pour l'année à
venir et qu'il fallait le suivre strictement. Il exprima son regret
de ce que l'École du dimanche ait été tellement
négligée dans le passé et exprima l'espoir que
dorénavant notre œuvre dans ce domaine allait être
un des principaux moyens de guider les jeunes dans l'Évangile.
« La
conférence de la Société de secours eut lieu le
4 avril et cinq banches y furent représentées.
D'excellents rapports furent faits, montrant que les saints locaux
étaient, de cœur et d'esprit, dans la ligne de cette
grande œuvre. Beaucoup de temps avait été
consacré à coudre pour les pauvres et les nécessiteux
et à prendre soin d'eux, tant pour les non-membres que pour
les nôtres.
« Chaque
soirée de la conférence fut occupée par «
Te mau Haapiiraa ». Les jeunes de différentes branches
ayant été entraînés à des exercices
sous forme de questions et réponses, chaque soir de conférence
un des sujets suivants étaient splendidement traité par
les jeunes. « Le royaume de Dieu », « Le châtiment
éternel », « Succession dans la présidence
», « Le baptême des petits enfants », «
La chute d'Adam », etc.
« Ces
activités avaient lieu au début de la soirée,
après quoi tout le monde se rendait sur la pelouse à
l'extérieur pour passer quelques heures à chanter. Ces
chants étaient toujours une sorte de concours : un choeur
chantait suivi d'un autre jusqu'à ce que tous aient eu leur
tour, chacun essayant de mieux chanter que les autres. De temps en
temps un bref discours par un des frères natifs sur un point
de doctrine ou un verset de la Bible était prévu.
Chaque soir des centaines d'auditeurs remplissaient nos jardins pour
écouter les chants et nous nous faisions un devoir de mettre
en évidence l'un ou l'autre principe de l'Évangile.
« La
conférence prit fin le huit et tout le monde se réjouit
des bonnes choses qui avaient été dites et faites.
Beaucoup avaient parcouru de longues distances en bateau pour
assister à la conférence et tous estimaient que le
voyage en valait la peine.
»
Les
conférences continuèrent au cours des années
dans toute la Mission. Les assemblées semi-annuelles étaient
déplacées d'île en île. On organisa aussi
des conférences de branche. Les missionnaires se réjouissaient
de voir arriver ces festins spirituels et travaillaient dur pour les
préparer.
Les
4, 5 et 6 avril l910, William A. Seegmiller organisa une conférence
à Takaroa. Une nouvelle présidence de branche fut
installée, des baptêmes furent accomplis, des enfants
bénis, des frères ordonnés à la prêtrise
et des instructions données. Mohi fut désigné
comme nouveau président de branche avec Marere comme premier
conseiller et Pou a Moo comme deuxième.
En
avril l913, une conférence eut lieu à Hao. C'était
le président Fullmer qui présidait ; Toae a Maire
dirigeait. Pendant la conférence, deux enfants furent baptisés
et confirmés, un Polynésien fut ordonné ancien,
deux frères polynésiens furent mis à part comme
missionnaires voyageurs, deux bébés furent bénis
et des affectations missionnaires furent attribuées ou
changées. La conférence fut spéciale pour les
saints de Hao, car on consacra leur église. La prière
de consécration fut faite par Toae a Maire.
Le
6 avril 1930, le centenaire de l'Église fut commémoré
par une réunion spéciale du genre conférence et
les représentations théâtrales du soir furent
très variées. En 1931, une pièce en quatre
actes, « Le 6 avril 1830 » fut représentée
et les soirées suivantes, les enfants jouèrent une
opérette. À la conférence d'avril 1935
participait la fanfare des jeunes de Takaroa. Le soir du 4, la
fanfare
donna
un concert public dans le parc et le gouverneur de Tahiti y assista.
Le 8, le groupe musical embarqua dans un car, suivi de deux cents
saints, et fit le tour de l'île, jouant dans chaque district.
Partout on en fit l'éloge en disant que c'était «
le meilleur orchestre des îles de la Société ».
Une conférence en 1935 à Hikueru eut un tel effet sur
les personnes présentes qu'elles regrettaient de
devoir
se séparer. «C'est pourquoi les jeunes se rassemblèrent
et décidèrent de se réunir le lundi et le mardi
soir et de mettre sur pied des programmes consistant en des chansons,
de la musique de guitare et du théâtre.
Les
réunions spéciales organisées par les présidents
de Mission pour former les missionnaires ressemblaient à ces
conférences. En 1936, LeRoy R. Mallory réunit tous les
missionnaires à Papeete pour les former. Et en 1940 Kenneth R.
Stevens réunit les missionnaires pour trois semaines de
formation intensive avec des périodes d'étude de
l'Évangile, des préparations de discours et des exposés
en anglais et en tahitien.
Les
conférences et le gouvernement
Au
cours des premières années du 20e siècle, les
conférences générales posaient un problème
à l'administration gouvernementale des îles. Le fait de
rassembler un grand nombre de Polynésiens de leurs îles
vers les centres lointains et la dislocation de l'économie
locale que cela provoquait des mois d'affilée étaient
un sujet de préoccupation. M. Cox, le gouverneur faisant
fonction, ne voulait pas que les visiteurs imposent le fardeau de
leur entretien aux habitants d'une île donnée. Il était
contre la perte de tant de travail et prétendait que les
conférences suscitaient de l'extravagance parmi le peuple. Il
craignait aussi les désordres politiques. Ces préoccupations
amenèrent le gouvernement à publier, le 14 avril 1904,
une loi qui interdisait aux habitants des Tuamotu d'aller d'une île
à l'autre et exigeait que tous les étrangers
s'inscrivent, leur interdisant d'aller dans d'autres îles sans
permission. Cette loi mit fin aux conférences. Elle affectait
essentiellement les habitants des Tuamotu, la plus grande
concentration de saints des derniers jours.
Les
insulaires marquèrent bien entendu leur désaccord et
invoquèrent la liberté politique. « Sommes-nous
citoyens de la République française sans avoir la
liberté d'aller d'une île à l'autre ? Sommes-nous
des esclaves ? » Joseph F. Burton, chef de l'Église
réorganisée dans les îles, eut la responsabilité
de plaider l'affaire devant William F. Doty, le consul américain,
qui défendit les mormons et les réorganisés
devant le gouverneur. L'affaire fut débattue pendant le reste
de l'année.
On
invoquait la discrimination religieuse (les réunions
catholiques inter-îles étaient autorisées), mais
d'autres facteurs étaient en jeu. Le sentiment anti-américain
était généralisé. On craignait en France
que les îles ne s'américanisent et qu'elles ne soient
reprises en main par les États-Unis comme c'était le
cas pour les îles Hawaii. Les dirigeants du gouvernement
pensaient que « les citoyens français deviennent des
citoyens américains… ils pensent que vous les avez
ordonnés pour qu'ils deviennent citoyens américains ».
Le capitaine Burton écrivit de longues lettres bien
construites au consul américain, qui les présenta au
gouverneur, mais sans grand succès, jusqu'à l'arrivée
d'un nouveau gouverneur.
Le
22 février 1905 arriva P. Emile Julien, le nouveau gouverneur.
Dans la quinzaine, le capitaine Burton lui rendit visite et lui fit
part de la correspondance des quelques mois écoulés. Le
gouverneur lui demanda de solliciter son approbation par écrit.
Burton s'exécuta et obtint l'approbation le 27 mars 1905. Il
est évident que l'affaire avait été portée
par le département d'État des États-Unis, à
Washington D. C., au gouvernement français de Paris, et que
les résultats avaient été favorables aux
missionnaires américains : « dorénavant ils
organiseraient leurs conférences annuelles à tout
endroit choisi par eux, et ils pourraient jouir d'une liberté
religieuse totale ».
M.
Doty, le consul, fit rapport du changement de politique au
département d'État. L'attitude du nouveau gouverneur
vis-à-vis des missionnaires américains « et leurs
convertis locaux, comptant environ 12 000 personnes, serait très
favorable à leur égard et leur assurerait des droits
égaux à ceux des missionnaires catholiques et
protestants français et à leurs convertis ». Sa
politique fut approuvée à Paris et fut peut-être
même dictée par Paris. Les conférences reprirent
et continuèrent à être un élément
très important dans les services des saints des derniers
jours.
Au
cours de ces années, les missionnaires américains
d'Utah s'entendirent la plupart du temps assez bien avec le
gouvernement français. Les Américains durent apprendre
qu'ils étaient en Polynésie française par le bon
plaisir du gouvernement français et qu'ils n'étaient
pas là de plein droit, mais en avaient simplement la
permission tant que les missionnaires respectaient l'ordre public et
obéissaient à toutes les règles, tous les
règlements et toutes les lois. Il n'était pas toujours
facile pour les Américains de comprendre le pourquoi des
règlements français. L'exercice de la tolérance,
du respect des lois et la patience l'emportaient généralement.
Il était très important pour les missionnaires d'avoir
le soutien et l'amitié de William E. Doty, consul des
États-Unis.
À
Tubuai (1898-1947)
Dès
que ce fut possible, les missionnaires nommèrent des anciens
locaux pour présider les branches. James S. Brown organisa, le
10 octobre 1892, la branche de Tubuai et mit à part Teaatamanu
a Otihi comme président. Une École du dimanche fut
organisée le 14 juin 1896 avec Aporani a Faremehameha comme
surintendant et Tehetua Otutu comme secrétaire.
Ahua
était une figure marquante à Tubuai. Les registres
rapportent qu'en juillet 1898, il était officier président
à Tubuai et qu'il avait de sérieux ennuis avec les deux
missionnaires qui travaillaient là-bas. Les missionnaires
avaient trouvé Ahua « d'un abord très difficile
dès le départ », la question principale étant
de savoir qui présidait, des missionnaires ou d'Ahua. En 1898,
les missionnaires le disqualifièrent, ainsi que quelques
partisans. Ahua mit l'affaire entre les mains du gendarme, qui fit
rapport du conflit au gouvernement, Ahua exigeant le bannissement des
missionnaires. Pendant deux mois, le gouvernement parla de bannir les
missionnaires de Tubuai. Ahua alla présenter son affaire à
Papeete. Les missionnaires en parlèrent à M. Hart, le
consul américain faisant fonction, lequel apprit ensuite du
bureau du gouverneur que celui-ci « ne voulait pas se mêler
de cela ». Les problèmes n'étant pas résolus,
Ahua et cinq de ses partisans furent excommuniés. En dépit
de cela, Ahua et ses partisans maintinrent la branche et les services
religieux qu'ils avaient créés.
Ainsi,
pendant des années, les branches divisées persistèrent,
les missionnaires faisant de temps en temps rapport de ce qui
arrivait. Le 19 mars 1901, Parley Allred écrivit qu'il «
se sentait très découragé par la façon
dont les saints considéraient l'œuvre des missionnaires
et leur désir de vivre selon l'idée qu'ils se faisaient
de l'Évangile, n'acceptant que ce qui leur plaisait et
rejetant ce qui s'appliquait directement à eux et à
leur méchanceté ». Le 14 août 1903, O. W.
Earl, à la fin de ses deux années à Tubuai,
signale que « les choses se présentent assez bien et
[qu']il y a eu certaines améliorations parmi le peuple au
cours des deux dernières années ». Le président
E. S. Hall, après une visite à Tubuai en décembre
1904, « trouva la branche… en piteux état. Il n'y
avait aucune vie
nulle
part ».
Les
années passèrent et les divisions restèrent,
produisant à coup sûr un mauvais effet sur tous les
saints de Tubuai. Peu après son arrivée dans les îles,
William A. Seegmiller emmena avec lui Isaac Hunt à Tubuai pour
travailler auprès d'Ahua et de son peuple. Celui-ci se réunit
le dimanche 13 novembre 1909. « Nous eûmes trois réunions
avec eux, elles furent splendides », écrit le président.
Le peuple fut profondément affecté. Allait-il falloir
rebaptiser les partisans d'Ahua ? Le président de Mission dit
que oui. Mais Ahua prétendit qu'ils n'avaient pas péché
et que s'il fallait les rebaptiser, il faudrait aussi rebaptiser ceux
de Mahu. Mais ceux-ci n'avaient jamais été exclus.
Aucun des deux partis ne céda. « C'est ainsi que notre
mission auprès d'eux fut un échec. » Le président
Seegmiller resta encore deux semaines, laissant Elder Hunt à
Tubuai.
Le
président Seegmiller porta la difficulté devant la
Première Présidence. Joseph F. Smith, président
de l'Église, répondit, et le président
Seegmiller envoya Elder Hunt à Tubuai pour résoudre le
différend. Il arriva le 27 décembre 1910, se mêla
au peuple pendant les festivités, alla aux réunions de
la branche de Mahu le dimanche 8 janvier et lut la lettre du
président Smith. Le 12 janvier, il rencontra Ahua, qui fut
satisfait du contenu de la lettre : « Recevez les
de nouveau dans l'Église sans baptême à
condition qu'ils aient toujours le désir de vivre l'Évangile
et ne se soient pas rendus coupables de conduite immorale. » La
réunion pour régler les affaires eut lieu le dimanche
22 janvier 1911 à Taahueia. Presque tout
le monde était là. Elder Hunt tint quatre
réunions. La lettre fut lue et expliquée. Il demanda
que l'on soutienne par vote la proposition que l'on était
disposé à reprendre dans l'Église tous les
partisans d'Ahua. « Toutes les mains se levèrent. »
Quinze
jours plus tard, le 5 février, à une réunion de
jeûne, la branche fut réorganisée parmi les
partisans d'Ahua. Taroarii fut soutenu comme président de la
branche de Taahueia. De bons sentiments régnèrent et il
y eut beaucoup de réjouissances. Le peuple était «
de nouveau un dans l'Évangile ». Toutes les difficultés
étaient réglées. Elder Hunt quitta Tubuai le 2
mai 1911 pour Tahiti.
Le
17 janvier 1913, lorsqu'il rendit visite à Tubuai, Franklin
Fullmer, président de Mission, signala que l'Église «
marchait bien » là,bas. Il avait baptisé
quarante-trois personnes, notamment des enfants qui étaient
arrivés à l'âge de responsabilité.
L'histoire
de la branche de Tubuai met en évidence des périodes
d'échec aussi bien que de succès. La branche de Tubuai
fut sans missionnaires américains pendant environ quatre ans,
période qui prit fin en 1917. Il y avait eu des querelles, des
divisions et un esprit d'apostasie qui avaient eu pour résultat
que la branche avait été négligée. Mais
en 1918, les missionnaires « recommencèrent une grande
offensive et depuis janvier 1918 beaucoup de missionnaires diligents
et patients ont oeuvré continuellement à ramener le
peuple sur la bonne voie ». Leurs efforts furent couronnés
de succès et en 1919, les missionnaires réorganisaient
la branche de Tubuai. Une conférence fut tenue les 4,
5
et 6 octobre.
L'Église continua à Tubuai jusqu'en 1938,
époque à laquelle le gouvernement décréta
une loi qui « interdisait à tout non résident de
se rendre dans l'île de Tubuai, dans les Australes ». Du
8 août 1939, jour où les missionnaires quittèrent
Tubuai, jusqu'au 9 août 1947, huit ans plus tard presque jour
pour jour, aucun missionnaire ne travailla dans cette île.
Pendant cette période, Teao a Nauta, ancien mis à part
le 28 mai 1939 par Rufus K. Hardy, poursuivit l'œuvre
missionnaire.
Isolés
et livrés à eux-mêmes, les saints polynésiens
conservèrent leurs coutumes ancestrales, mais assimilèrent
de plus en plus les nouvelles façons de penser et de se
conduire introduites par les missionnaires. Aussi isolés
qu'ils aient pu se considérer, ils étaient néanmoins
influencés par les événements du monde
extérieur, tant humains que naturels.
7.
L’Église et le monde (1900–1945)
Tandis
qu’ils adaptaient leur ancien mode de vie au nouveau mode de
vie chrétien enseigné par les missionnaires, les saints
des îles étaient aussi influencés par les
événements de l’extérieur. Pendant la
première moitié du vingtième siècle, les
Polynésiens furent considérablement influencés
par des catastrophes naturelles au pays et par des guerres dans les
pays lointains.
Comment
on subsistait dans les Tuamotu
Les
îles coralliennes presque submergées de l'archipel des
Tuamotu permettent tout juste de survivre. Le sol qui ne dépasse
le niveau de la mer que de quelques mètres, ne présente
qu'une mince couche de terre sur laquelle ne pousse pas grand-chose
d'autre que le cocotter. Les eaux translucides de la lagune
permettent d'apercevoir une foule de poissons multicolores. Pour
obtenir de l'eau, l'homme dépend de la noix de coco et des
eaux de pluie captées sur les toits et entreposées dans
des réservoirs. La vie est donc basée sur le cocotier,
les porcs, le poisson et les poules. Mais l'ingéniosité
a permis d'assurer un maigre complément financier grâce
aux cocotiers et aux profondeurs des
récifs
coralliens : la nacre et l'huître perlière.
Le
cocotier est la source de richesse, la vie même des îles
du Pacifique. Ses usages domestiques sont presque illimités.
Aucune partie de l'arbre n'est perdue. Il donne le lait de coco (une
source importante de liquide), d'autres boissons et des matériaux
avec lesquels on fait des bâtiments, du mobilier, des
vêtements, des chapeaux, des paniers, de la corde, des
médicaments, des produits de teinture, du savon et des
bougies, pour n'en citer que quelques-uns. La plus grande partie de
la récolte part dans le commerce extérieur. Pour
préparer la récolte pour l'envoi, les amandes de coco
sont pilées et séchées au soleil. Maintenant
appelée coprah, l'amande de coco est mise en sacs et échangée
avec les marchands faisant la navette entre les îles contre du
sucre, du kérosène, des hameçons, de la levure,
de l'indienne, des allumettes, des conserves et peut-être un
peu d'argent liquide.
Une
autre source de revenus pour certains insulaires découle de la
récolte de la nacre, de l'huître perlière, que
l'on trouve dans quelques îles des îles Tuamotu. L'huître
perlière se trouve essentiellement dans l'eau claire des
lagunes, à l'intérieur des atolls dans douze mètres
d'eau environ. La saison commence généralement en mars,
et pendant une période allant jusqu'à soixante jours,
une partie de la lagune est ouverte aux plongeurs sans équipement,
pour pêcher les huîtres. On engage des flottes de barques
dans chacune desquelles il peut y avoir jusqu'à dix plongeurs.
Ceux-ci travaillent par couples. Après s'être huilé
le corps, le plongeur descend nu, ne portant qu'une ceinture pour
retenir
le
panier dans lequel on met les huîtres perlières.
Certains plongeurs utilisent une pierre de lestage d'environ vingt
kilos, fixée à une corde par laquelle on les fait
descendre. Les femmes passent pour être plus habiles à
plonger que les hommes, partiellement parce que la graisse de leur
corps les protège des profondeurs glacées. Les plongées
commencent au lever du soleil et continuent jusqu'à midi. Une
équipe de pêcheurs peut s'attendre à retirer
environ trois tonnes de coquillages par jour. Un coquillage sur mille
contient une perle. Les plongeurs doivent négocier le paiement
avec les marchands.
Aussi
providentielle que soit la mer, elle est toujours potentiellement
dangereuse
et
cause à certains moments des ravages.
Les
désastres naturels
Parmi
les grandes expériences des habitants des Tuamotu, il y avait
les rassemblements annuels pour participer à la pêche
aux perles ou y assister. Hikueru et Marokau étaient les
centres de la récolte des perles et de la nacre. Des centaines
d'insulaires s'y rassemblaient, venant de très loin, de Hao à
l'est à Kaukura à l'ouest, pour se livrer aux activités
lucratives de la pêche aux perles et des échanges avec
les marchands. Les habitants de Hikueru, dont la grande communauté
de saints de l'Église, se joignaient aux saints en visite et à
d'autres venus d'autres îles. H. J. Sheffield Jr, président
de district, et son compagnon, Joseph E. Allen, veillaient sur les
affaires de l'Église.
Ces rassemblements et le fait que les
saints des derniers jours se mêlaient à d'autres
causaient un comportement contraire aux enseignements des
missionnaires : la boisson,
les
« danses malpropres » et les « abominations ».
Elder Sheffield fut tellement anéanti devant la perversion
qu'il voyait parmi les habitants de Hikueru, qu'il se sentit
contraint de prophétiser lors d'un discours en décembre.
Il raconte : « L'esprit de prophétie vint sur moi et je
prophétisai, au nom de Jésus-Christ et par le pouvoir
de la sainte prêtrise, que s'ils ne se repentaient pas
rapidement, une grande destruction et de grandes afflictions
s'abattraient sur eux. »
Alors
que la pêche battait son plein, un cyclone se déclencha
et fit rage pendant des jours. Un gigantesque raz de marée
inonda la plus grande partie de l'archipel des Tuamotu, laissant dans
son sillage la désolation et des centaines de morts. Quelque
quatre-vingts îles furent touchées par l'ouragan. Ce
furent Hikueru, Hao et Marokau qui furent les plus durement touchées.
Hao et Marokau furent dépeuplées.
Ce
furent les mercredi, jeudi et vendredi 14, 15 et 16 janvier 1903 que
le cyclone connut sa force maximale, avec des vents allant de 110 à
150 kilomètres heure. Le centre du cyclone toucha Hikueru le
mercredi lorsque, vers 10 heures du matin, de la pluie et un terrible
vent du nord-ouest accompagnés d'énormes marées
menacèrent l'île. À treize heures, la mer
envahissait l'île et la lagune. Le volume de la mer augmenta
jusqu'à ce que vers 3 heures de l'après-midi, les
éléments réduisent les bâtiments en petits
morceaux et les jettent dans la mer. Certaines maisons furent
remplies d'eau, d'autres furent emportées
par
la mer. Les gens s'enfuirent vers le côté de l'île
qui était sous le vent pour s'y mettre en sécurité,
mais en vain.
Ce soir-là, la tempête se calma
légèrement, mais reprit de la vitesse pendant la nuit
et augmenta dans le courant du jeudi. La mer devint plus tumultueuse,
les vagues devinrent de plus en plus hautes, emportant un bâtiment
après l'autre. Le jeudi fut la pire journée pour les
survivants, qui n'avaient aucune protection, leurs maisons, leurs
biens et leurs vêtements ayant disparu, tandis qu'ils étaient
eux-mêmes battus par le vent et la pluie, le vent changeant
constamment de direction. À la tombée de la nuit, il ne
restait plus aucun bâtiment debout, tous avaient été
balayés dans la lagune, le vent et l'eau emportant tout avec
eux, déracinant les arbres et les jetant dans la lagune,
écrasant les gens.
La
nuit du jeudi fut une nuit de terreur sans mélange. Le raz de
marée remplit la lagune au ras-bord jusqu'à ce que
celle-ci le renvoie à l'océan. Des débris, des
détritus, des morceaux de bâtiments et des blocs de
corail coupants détachés des récifs de l'atoll
volaient de tous côtés dans un vent soufflant de 110 à
150 km/h, constituant un grave danger pour la vie.
Des
gens furent balayés dans la lagune ou dans la mer,
terriblement blessés par les débris et les blocs de
corail. Des cocotiers tombèrent sur des gens, les mutilant,
les tuant ou les maintenant sous les vagues jusqu'à ce qu'ils
se noient.
« Les
parents attachèrent leurs petits enfants à leur dos et
cherchèrent un refuge. Les vagues déferlèrent
par-dessus leur tête et lorsqu'elles se retirèrent, les
bébés et les petits enfants avaient succombé.
Avec des gémissements, le père ou la mère
s'efforçait vainement de garder le cadavre de son mort
bien-aimé, mais finalement il fallait l'abandonner. S'étant
attaché à des cocotiers, certains finirent par tomber
avec eux ; d'autres en réchappèrent en s'attachant
temporairement, étant capables à d'autres moments de
saisir quelque chose d'autre et arrivant ainsi entre les brisants à
atteindre un lieu sûr après des heures de lutte.
»
Une
femme « escalada un des grands cocotiers et attacha son bébé
aux branches, s'agrippant au tronc de l'arbre en-dessous de l'enfant
du mieux qu'elle le pouvait. Ils y restèrent pendant deux
heures, subissant une véritable torture, jusqu'à ce
qu'ils fussent finalement sauvés.»
Le
vendredi matin, la mer se calma suffisamment pour permettre aux
survivants de contempler un tableau plus dur à supporter que
la terreur de la nuit précédente. « Des cadavres
horriblement mutilés étaient éparpillés
partout… les gémissements et lamentations s'entendaient
partout… beaucoup de corps étaient coincés dans
la barrière de corail… et à la surface de l'eau
on voyait les requins dévorer de nombreux corps, tandis que
dans la lagune, des corps flottaient sur les débris. »
Le peuple avait tout perdu, y compris, pour la plupart d'entre eux,
leurs vêtements.
Les
Elders Sheffield et Allen, nus jusqu'au pantalon, avaient survécu
à la nuit en s'attachant l'un à l'autre et en se
ligotant au sommet d'un cocotier. Par chance, l'arbre resta bien
enraciné. Elder Sheffield dit qu'il réprimanda la
tempête au nom du Seigneur et pria Dieu de la faire cesser ; en
moins d'une demi-heure, le vent tombait et la mer devenait calme.
Les
missionnaires se mirent à la recherche de gens qu'ils
pouvaient aider. Le vendredi, il fallait s'occuper des morts. On
rassembla pour les enterrer les corps des gens, des porcs, des poules
et des chiens qui n'avaient pas été emportés par
la mer. On dressa immédiatement un abri devant servir
d'hôpital sous la direction du Dr Brunati, l'administrateur
résident faisant fonction. C'est là qu'on transporta
les blessés. Le Dr Brunati confia aux ecclésiastiques
la tâche d'ensevelir les morts. Les missionnaires travaillèrent
à cette tâche avec d'autres, chacun d'eux enterrant
jusqu'à vingt corps par jour.
L'eau
fraîche était d'importance capitale pour les survivants.
Gilbert, le pasteur de l'Église réorganisée,
aidé des Elders Sheffield et Allen, créa avec de vieux
réservoirs et des tuyaux une machine à distiller. La
machine produisit efficacement jusqu'à sept cent cinquante
litres d'eau fraîche par jour à partir de l'eau de mer.
Le
nombre des victimes était énorme. On estima que 1700 à
1800 personnes s'étaient rassemblées à Hikueru
pour la récolte. Un millier de ces personnes étaient
des pêcheurs de perles. Près de la moitié
s'étaient noyés. Hikueru perdit 379 personnes dans la
tempête. La population tout entière de Hao fut balayée,
soit 261 victimes. Une centaine de saints des derniers jours furent
tués. Des fonctionnaires du gouvernement estimèrent
plus tard les pertes matérielles à « un
demi-million de dollars ».
Un
des premiers rapports fit le compte suivant des victimes. La liste
donne aussi une idée des îles lointaines représentées
à la pêche aux perles : Amanu, 17 ; Hikueru, 9 ;
Kaukura, 12 ; Makemo, 14 ; Takapoto, 16 ; Hao, 262 ; Takaroa, 4 ;
Tahiti et Européens, 8 ; Raroia, 8 ; Marokau, 22 ; Taenga, 1
et Katiu, 3.
Un
autre rapport donnait le nombre de victimes suivant : 373 personnes
trouvées mortes à Hikueru ; 95 à Marokau ; 15 à
Takume ; 12 à Raroia ; 12 à Napuka ; 3 à Amanu
et 5 à Hao.
Une
estimation officielle notait que pas moins de 600 personnes étaient
mortes dans la tempête, le cinquième de toute la
population du groupe des Tuamotu.
Les
visiteurs de Hao s'étaient installés sur un motu sur la
rive sud de Hikueru. C'est parmi ces gens que 262 personnes périrent
« balayées tantôt dans la lagune, tantôt
vers la haute mer », horriblement tailladées par le
corail et les débris : gros bois de construction, plaques de
fer provenant des toits, arbres déracinés. On remarqua
que « ceux qui avaient survécu étaient ceux qui
avaient pu quitter le village principal et traverser plusieurs
étendues basses et dangereuses où les vagues inondaient
la lagune, marchant dans l'eau jusqu'au cou ».
Les
survivants, démunis de nourriture, de vêtements et
d'abri, ayant perdu tous leurs biens, ne pouvaient faire autre chose
que soigner leurs blessures et attendre qu'on vienne à leur
rescousse. Certains survivants souffraient encore de la rougeole. Le
lundi suivant, 19 janvier, le voilier de sauvetage Teiti arriva avec
un chargement de nourriture tahitienne : taro, bananes, pommes de
terre, patates douces, melons, la première nourriture depuis
le mardi précédent, soit depuis six jours. La
nourriture fut répartie entre les gens. Trois jours plus tard,
le vapeur Excelsior arrivait pour transporter les gens dans leur île
d'origine et les
habitants
de Hikueru survivants vers un autre endroit parce que Hikueru n'était
plus habitable pour des humains. Le navire arriva le mardi suivant,
27 janvier, à Papeete.
Les
Elders Sheffield et Allen furent emmenés sur l'Excelsior à
Papeete, au bureau de la Mission, où ils reçurent des
habits convenables.
L'île
ne s'était pas encore remise des effets du cyclone de 1903 que
d'autres cyclones, ou ouragans, accompagnés de raz de marée
s'abattirent sur les îles. Le samedi 25 mars 1905, un cyclone
balaya les îles Tuamotu pendant trois jours, causant beaucoup
de dégâts. L'église de Takapoto fut renversée.
Kaukura fut touchée le 5 avril 1905.
Un
an plus tard, les îles étaient de nouveau frappées.
Le soir du 7 février 1906, la mer commença à se
soulever jusqu'au lendemain matin, lorsque la marée haute
inonda tout le front de mer de Papeete. Le vent souffla en ouragan
pendant deux heures environ. « La ville de Papeete fut inondée
et 327 bâtiments furent détruits, entre autres le
consulat américain et le bâtiment abritant le
gouvernement français. » Tous les bâtiments
construits le long du front de mer furent détruits, mais la
navigation dans le port souffrit peu parce que le vent soufflait vers
la mer. Une des premières estimations évaluait le
nombre de
sans-abri
à 1500 personnes. La Mission joséphite – une
grande église et beaucoup
de
maisons en bois – fut entièrement balayée. Les
biens de l'Église ne furent pas endommagés du tout –
ils étaient situés plus haut et les montagnes les
protégeaient du vent direct.
Les
inondations sapèrent les fondations du consulat américain
et le bâtiment ne tarda pas à s'effondrer. Le consul
était en tournée dans l'île, mais sa mère,
sa sœur et son jeune neveu étaient là et furent
immédiatement sauvés par les missionnaires mormons et
emmenés au bureau de la Mission. Les missionnaires allèrent
ensuite au secours des archives du consulat, sauvant les registres,
bien qu'ils fussent endommagés par l'eau. M. Doty, le consul,
fut impressionné par les missionnaires et reconnaissant de ce
qu'ils avaient sauvé les registres. Il écrivit au
président Joseph F. Smith :
Corps
consulaire des États-Unis, Tahiti, S. I.
15
février, 1906
M.
Joseph F. Smith, président
M.,
J'ai le grand plaisir de vous informer que pendant le cyclone et le
raz de marée de Papeete, Tahiti, du 8 février, les
missionnaires « mormons » ont rendu, au péril de
leur vie, un service remarquable au consulat américain pour
sauver les archives. Il s'agit de MM Hall, Peck, Clawson, Pierson,
Tibbetts, Miner, Wilkinson, Noall et Huffaker. Mme Hall et Mme
Wilkinson ont aussi manifesté de la bonté et de
l'hospitalité à mon égard et à ma famille
pendant les trois jours où nous avons été leurs
hôtes.
Les
missionnaires ont donné un splendide exemple de loyauté
envers les intérêts de leur pays à l'étranger.
J'ai signalé leur bravoure et leurs services distingués
au département d'État.
Je
vous félicite d'avoir d'aussi nobles représentants dans
cette communauté insulaire. Je suis heureux que le bureau de
la Mission soit presque terminé ; c'est un splendide édifice.
Avec
ma très haute considération,
Respectueusement
vôtre,
WILLIAM
F. DOTY,
Consul.
Presque
toutes les îles de l'archipel des Tuamotu furent endommagées.
Au village de Takaroa, seule la grande église de pierre resta
; tous les autres bâtiments disparurent et beaucoup de
personnes moururent. C. A. Brewerton et S. A. Bunker étaient à
Faaite quand le cyclone arriva. Ils purent sauver leur vie en
grimpant à des cocotiers à une hauteur dominant le
niveau du raz de marée. Tout ce qu'ils avaient fut emporté
par les flots. Les îles Tuamotu souffrirent considérablement.
La plupart des îles subirent une grande destruction et de
grands dommages, la perte étant estimée à deux
millions de dollars pour toute la Polynésie française.
Le consul rapporte : « C'est l'industrie de la noix de coco et
du coprah qui souffrira le plus ; il y a beaucoup de chances qu'au
cours des neuf ou dix prochains mois, ces exportations soient
réduites au moins de moitié. Les
importations
de bois de construction, de tôles ondulées et de
quincaillerie seront particulièrement actives pendant un
certain temps, de même que les denrées alimentaires ».
Les
saints tahitiens étaient vivement désireux d'aider les
saints des Tuamotu souffrant des effets du cyclone de février
1906. Ils cherchèrent donc des occasions d'envoyer du matériel
pour les soulager. L'occasion leur fut donnée lorsque le
consul anglais se prépara à envoyer le schooner de la
Mission protestante à Takaroa pour aller chercher des marins
du grand navire anglais qui y avait fait naufrage. D'après le
rapport, « Nous prîmes nos dispositions pour y embarquer
un missionnaire avec une tonne de farine pour les saints de Takaroa,
celle-ci devant être payée partiellement par les
missionnaires et partiellement par la Mission. Mais lorsque le
pasteur protestant en fut informé, il dit qu'un missionnaire
mormon ne pouvait pas embarquer mais que nous pouvions leur confier
la farine. Mais les choses que l'on envoie de cette façon sont
si souvent détournées que l'on n'envoya pas de farine
du tout. »
Le
jour du nouvel an 1926, un cyclone de forte intensité
s'abattit sur les îles de la Société et dévasta
pendant cinq jours beaucoup d'îles, détruisant les
récoltes de coco, de bananes et de vanille, les maisons et les
ponts. La population, privée de cultures de rapport, en
souffrit économiquement pendant des années.
Ziona
: Le rêve d'un lieu de rassemblement
L'énorme
destruction causée par les cyclones et les ouragans et la
dispersion des saints insulaires amenèrent les présidents
de Mission à rêver à la possibilité de
rassembler les saints dans un endroit qui serait le leur. Un des
premiers à recommander cette mesure fut Edward S. Hall, qui
avait jeté son dévolu sur un terrain situé à
Taravao (l'isthme), qu'il alla visiter en avril 1905 et de nouveau en
mars 1906. Le consul américain était au courant du
projet et le décrivit dans un rapport en date du 5 décembre
1905 :
« Nous
avons appris que les mormons inaugureront bientôt une grande
plantation sucrière dans cette région dans le but
humanitaire d'offrir des occasions profitables de travail et un
logement convenable aux natifs des îles Tuamotu dont la vie
semble être menacée par les tempêtes.
»
Au
cours des années, jusqu'en novembre 1913, les présidents
de Mission cherchèrent un terrain approprié pour la
réalisation de ce rêve. L'espoir grandit. Ora Hyer,
secrétaire de la Mission, dit en mai 1914 :
« On
parle depuis longtemps de colonisation dans cette Mission et il
semble bien maintenant que nous allons bientôt avoir un lieu de
rassemblement. Il y a déjà un certain temps que le
président Fullmer, à la demande de la Première
Présidence, recherche un endroit convenable. Lors de la
conférence qui vient de se terminer, il a été
décidé à l'unanimité de faire un effort
pour obtenir un grand territoire dans le district de Haapape. Nous
espérons que la prochaine conférence d'avril se passera
dans notre nouveau lieu de rassemblement et qu'entre-temps beaucoup y
seront installés en permanence.
»
Après
cela, les registres ne parlent plus de rien : le rêve ne se
réalisa pas.
Les
saints insulaires pendant la Première Guerre mondiale
La Première Guerre mondiale, du fait qu'elle se déroulait
très loin de là, n'eut que peu d'effets sur la vie des
saints polynésiens ; ce furent la Mission et l'œuvre
missionnaire qui furent influencées. La nouvelle du
déclenchement de la Première Guerre mondiale en Europe
en août 1914 ne tarda pas à parvenir à Tahiti. La
colonie française devait s'attendre à être
invitée à fournir des soldats pour combattre auprès
de leurs compatriotes français du continent. Mais la guerre
alla aussi jusqu'à Tahiti. Le 22 septembre 1914, deux navires
de guerre allemands, le Gneisenau et le Scharnhorst, apparurent au
large de Papeete et exigèrent de l'eau. Les insulaires
refusèrent et ouvrirent le feu sur les navires
depuis
leur fort. Les deux navires de guerre répondirent en coulant
la canonnière française Zélée et le
vapeur Walkure, qui se trouvaient à ce moment-là au
port. La population de Papeete se retira dans les montagnes derrière
Papeete et dans les districts voisins. Quarante-neuf obus furent
tirés sur Papeete, réduisant le fort au silence et
détruisant une grande partie du quartier commercial. Deux
insulaires furent tués. Un obus ou un fragment toucha une
colonne du portique de l'église.
À
part cet incident, les îles ne connurent pas grand-chose de la
guerre, si ce n'est les prix élevés des produits
alimentaires et le bas prix du coprah et d'autres produits.
Toutefois, pour soutenir la guerre en France, le gouvernement
français réquisitionna en janvier et en juin 1914
quelque huit cents soldats français et polynésiens des
îles de la Société.
Le
6 avril 1917, lorsque les États-Unis déclarèrent
la guerre à l'Allemagne et devinrent les alliés de la
France, le gouverneur de Papeete donna un banquet en l'honneur de M.
Layton, le consul américain, et de tous les Américains
de Papeete. Le président Rossiter et tous les missionnaires
étaient présents.
Des
soldats de Tahiti combattirent dans les tranchées et sur une
troupe de cent hommes venus de Papeete, quarante-deux seulement
survécurent pour être renvoyés au pays. En
chemin, les quarante-deux hommes firent étape à Salt
Lake City où ils furent reçus par d'anciens
missionnaires tahitiens, qui payèrent leurs frais d'hôtel,
leur firent faire du tourisme et organisèrent des banquets en
leur honneur. Ils arrivèrent chez eux à Papeete le 30
avril 1918.
La
guerre prit fin le 11 novembre 1918 avec l'Armistice, suivi de
négociations de paix qui débouchèrent sur le
Traité de Versailles, signé le 28 juin 1919.
Bien
que les habitants du paisible Pacifique eussent « entendu et
ressenti si peu de chose », «néanmoins nous nous
réjouissons et rendons grâce avec le monde entier ».
L'épidémie
de grippe espagnole
La
guerre s'accompagne de mort, de famine et de peste (voir Apocalypse
6:2-8). En 1918, la grippe espagnole se répandit rapidement
dans le monde. La maladie éclata à Tahiti le 25
novembre 1918 et se répandit dans les îles voisines à
l'exception du groupe des Tuamotu, tuant de trois mille huit cents à
quatre mille personnes en un seul mois. Presque tout le monde fut
immédiatement frappé par la maladie :
« Les
Tahitiens mouraient si vite qu'il devenait impossible d'ensevelir
leurs morts. On creusa donc une grande fosse dans le cimetière.
Les camions à benne plate passaient quotidiennement devant les
maisons des natifs ; on y chargeait les morts et on les transportait
au cimetière, on les mettait dans la fosse, on versait du
goudron bouillant sur les corps puis on y mettait le feu. Ils étaient
ainsi incinérés. Cette méthode fut utilisée
pour des raisons sanitaires.
»
Des
familles entières périrent ; d'innombrables enfants
restèrent orphelins. Les personnes légèrement
atteintes aidaient celles qui étaient plus affligées.
Ce fut le cas des missionnaires de Papeete : William Orton, John
Monk, Albert Touse, Glenn Hubbard,
Scott Robertson, }esse Hislop et Andrew Steedman. Ces hommes étaient
jour et nuit en route, allant de maison en maison, portant des
médicaments et de la nourriture, baignant, nourrissant, «
faisant beaucoup de choses que d'autres refusaient de faire,
s'occupant des morts et nettoyant les maisons contaminées ».
Dix à quinze membres de l'Église seulement moururent.
Les missionnaires creusèrent leur tombe, firent leur cercueil,
les conduisirent au cimetière et les ensevelirent. «
Parmi les saints qui moururent, ily eut Teua a Tahiri, Mahia a Toae,
Maupiha, Ropati a Tona, Taroina, Paul Vahine Taivi, Rua, et
Timitangi, et un petit nombre d'autres qui étaient arrivés
sur le bateau de Tubuai pendant l'épidémie. Albert
Touse et Scott Robertson jouèrent le rôle d'infirmiers
de nuit à l'hôpital que les résidents anglais et
américains de Papeete avaient ouvert au profit des insulaires
affligés. Comme il était
déconseillé de se rassembler en grands groupes, la
conférence générale du 6 avril 1919 ne fut pas
tenue, mais les branches organisèrent leur propre conférence.
Ernest
C. Rossiter
Pendant
la Première Guerre mondiale, c'était Ernest C. Rossiter
qui était président de Mission. Il avait déjà
fait une Mission dans le district belge de la Mission des Pays-Bas de
1905 à 1907, et dans la Mission des États du nord de
1907 à 1908. Il connaissait le français, ce qui devait
lui permettre de converser avec les dirigeants de Tahiti ; il n'était
encore jamais allé à Tahiti. Il était marié
depuis quatre ans lorsqu'il fut appelé, et frère et
sœur Rossiter furent mis à part le 16 février
1915.
Le
président Rossiter se donna pour tâche première
d'apprendre le tahitien, y consacrant dix-huit heures par jour
pendant ses six premiers mois à Tahiti jusqu'à ce qu'il
puisse parler avec les insulaires. Sa femme et lui écrivirent
tous deux le récit de ce qu'ils avaient vécu au cours
de leur mission, de sorte que nous avons un meilleur compte rendu de
leur service que pour la plupart des autres présidents. Le
président Rossiter avait une grande force spirituelle ; il
ressentait l'inspiration de l'Esprit, dirigeait avec inspiration et
avait le don de guérison.
L'équipe
missionnaire se composait du président et de sa femme, Venus,
et de sept à dix autres personnes. Lorsqu'elle ne
l'accompagnait pas pour visiter les îles, sœur Rossiter
était au bureau de la Mission. Le 19 février 1918, elle
commença à enseigner l'orgue à Teura a Taitua a
Makui, son premier élève. Elle espérait former
d'autres élèves prometteurs ramenés des îles.
Au bureau de la Mission, il y avait toujours un seul missionnaire,
parfois aussi un couple. Depuis 1916, les autres missionnaires
étaient répartis entre Hikueru, Takaroa et Marokau.
Le
premier affrontement du président Rossiter avec le
gouvernement fut au sujet du journal de la Mission. Apparemment, en
1915, il était préparé, traduit et imprimé
à Salt Lake City et il rapportait les nouvelles du monde et
notamment les nouvelles du front. En avril 1915, le gouvernement
ordonna la suspension du journal jusqu'après la guerre, parce
qu'il violait les directives concernant la censure en temps de
guerre. Le président Rossiter rencontra le gouverneur,
éclaircit leurs relations, et le journal continua mais se
limita à ce qui avait trait à l'Église à
Tahiti. En février 1938, il demanda au gouverneur le droit de
créer une école et d'y enseigner.
Il
rencontra un plus grand succès en avril 1917, lorsqu'il obtint
du gouverneur la décision d'accorder à l'Église
le statut d' « Église autorisée dans ces îles
». Le président tint conseil avec le gouverneur à
ce sujet. Celui-ci demanda un rapport écrit sur l'Église
dans les îles, un jeu de statistiques et un énoncé
des croyances et des enseignements de l'Église. Le rapport fut
bien reçu, et le gouverneur eut le plaisir de remettre aux
missionnaires « une licence légale pour enseigner
l'Évangile, faisant de notre Église une Église
autorisée dans ces îles ». Aucun président
avant lui n'avait été en mesure d'obtenir une licence
légale. Le gouverneur avait été impressionné
par l'effort de l'Église à Hikueru pour débarrasser
les saints de leurs dettes et il dit : «Tant que vous faites
cela pour le peuple, je serai avec vous. »
Le
problème de la dette à Takaroa
Les
habitants de Takaroa connaissaient beaucoup de problèmes
graves. Leurs cocotiers étaient malades, les branches étaient
desséchées et les noix de coco tombaient avant d'être
mûres. Cela fit presque disparaître les revenus que
procurait cette source essentielle. Les membres se querellaient. Les
problèmes de terrains causaient des difficultés. Les
saints ne respectaient pas la Parole de sagesse, ne payaient ni la
dîme ni les offrandes et n'honoraient pas leur prêtrise.
Les couples vivaient ensemble sans être mariés. Beaucoup
de membres étaient écrasés par d'énormes
dettes de longue durée vis-à-vis des compagnies
marchandes. Pendant la saison de pêche, les plongeurs
obtenaient les coquillages et utilisaient le revenu de leur travail
pour la nourriture et le vêtement et rentraient chez eux sans
rien avoir pour payer leurs dettes passées ou pour subvenir
aux
besoins de l'année à venir.
Le
conseil des chefs de village présenta le problème au
président Rossiter. Leur porte-parole dit : « Ereneta,
nous essayons depuis de nombreux mois de réunir de l'argent
pour payer nos dettes aux marchands blancs… Ils menacent de
saisir notre plantation si nous ne leur payons pas ce que nous leur
devons. Nous participons chaque année à la saison de la
pêche aux perles, mais nous rentrons chez nous plus endettés
vis-à-vis des marchands qu'avant notre arrivée. Comme
vous le voyez, nous avons cruellement besoin de votre aide pour
sauver tous nos biens. »
Le
président Rossiter fut profondément touché par
cette supplique et, poussé par l'Esprit, jeûna et pria
pendant trois jours pendant qu'il étudiait la situation et
observait. Il trouva un plan qu'il présenta au peuple. Les
saints semblaient être devenus humbles et repentants. «
Ils avaient oublié Dieu, Dieu les avait oubliés. »
Pour
que le plan fonctionne, le président demanda au peuple de
s'engager à obéir aux principes de l'Évangile
aussi bien qu'aux conditions du plan. Il promit que s'ils
obéissaient, Dieu les bénirait, eux et leurs
plantations.
Le
plan était celui-ci : les saints feraient leur propre pêche
aux perles, contourneraient complètement les marchands blancs,
et les plongeurs mormons affecteraient l'excédent de leurs
revenus aux dettes de la communauté. Les missionnaires
superviseraient toutes les opérations. Les saints acceptèrent.
Le
président Rossiter alla à Papeete consulter le
gouverneur, expliqua son plan aux principaux marchands (qui
l'encouragèrent), loua un navire à Maxwell and Company
et acheta pour 10 000 dollars de fournitures en vue de la saison de
pêche.
À
Takaroa, le président Rossiter demanda aux gens de tout mettre
sur le bateau : maison, objets ménagers, animaux et effets
personnels. Puis ils se rendirent à la pêcherie de
Hikueru. Ils y installèrent un nouveau village, ordonné
et propre. Mapuhi, qui gérait un magasin d'approvisionnement,
obtint à Papeete un bon pour marchandises s'élevant à
environ 4000 dollars pour les plongeurs. À Hikueru, on
construisit aussi un grand entrepôt à coquillages avec
un coffre pour chaque plongeur. À la fin de la journée,
chaque plongeur était crédité de quinze livres
de coquillages à 10 cents la livre, que le plongeur utilisait
pour sa ration quotidienne d'alimentation et d'autres produits de
première nécessité. Le reste des coquillages
était gardé dans des coffres, chaque pêcheur
ayant le sien propre. Ce reste fut utilisé pour payer la
dette.
Cette
opération se poursuivit pendant trois saisons de pêche,
d'août à novembre 1916, 1917 et 1918 (ou 1915, 1916 et
1917). Elle connut une grande réussite. Lorsqu'il rendit
visite à Takaroa en juin 1916, le président Rossiter
trouva la branche « en bon état et la puissance de Dieu
» manifestée à plusieurs reprises. « Un
grand nombre de nos gens se sont repentis et ont cessé de
faire usage du tabac, de l'alcool et du café. Ils virent aussi
sept couples mariés et huit personnes baptisées, cinq
enfants, deux hommes et une femme. » À la fin, toutes
les dettes furent remboursées.
Le
gouverneur fut impressionné par le village mormon et
l'entreprise de liquidation des dettes. À son arrivée,
il fut accueilli par le drapeau français tricolore battant au
vent et un groupe d'insulaires chantant « La Marseillaise ».
Le gouverneur dit au président Rossiter : « Tant que
vous continuerez comme vous le faites maintenant, je serai toujours
votre ami. »
À
la fin de chaque saison de pêche, le transport était
fourni pour ramener les gens dans leur pays. Des dispositions furent
prises pour payer les plongeurs qui avaient fait une si grande partie
du travail. En retournant à Takaroa, ils constatèrent
que « les feuilles des cocotiers, qui auparavant étaient
d'un vert maladif, avaient pris une teinte jaunâtre intense et
que les noix étaient plus abondantes sur chaque arbre que
jamais auparavant ». Les promesses du président Rossiter
s'étaient toutes accomplies.
Les
églises
Pendant
l'administration Rossiter, les contributions continuèrent. Le
8 novembre 1918, « la belle église » de Hikueru,
construite pour le prix de 6000 dollars américains, fut
consacrée. Quelque sept cents saints et deux cents visiteurs,
plus les Européens présents pour la saison de plongée,
assistèrent au service de consécration.
« Après
la cérémonie, un banquet fut offert à tous sous
une grande tonnelle qui avait été construite à
cette fin. La fête continua pendant trois jours avec une
réunion le matin, un banquet à midi et des programmes
faits par les différentes branches le soir. Plusieurs tonnes
de fruits et de légumes de Tahiti, trente porcs, huit tortues,
un bateau de noix de coco et une quantité indéterminée
de poissons et de pains furent fournis pour les jours de festivité.
Les missionnaires avaient fait la plus grosse partie du travail de
construction de l'église.
»
Les
conférences continuèrent à être les
activités favorites de l'Église. Le 6 avril 1917, à
Raroia, fut organisée une conférence pour les gens de
Takaroa et de Raroia. Deux cent cinquante saints de Takaroa et
d'autres îles étaient présents. La conférence
se caractérisa par les réunions et les fêtes
habituelles, des baptêmes et des confirmations, ainsi que des
mariages.
Traductions
L'éternel
problème était le manque de publications de l'Église
en français ou en tahitien. Les saints et les personnes
enseignées par les missionnaires avaient le journal de la
Mission mais pas grand-chose d'autre comme ouvrages de l'Église.
Les présidents de Mission et des missionnaires doués
consacrèrent beaucoup de temps à répondre à
ce besoin. Le président Rossiter apporta ici sa quote-part. Le
22 mars 1918, il finit la traduction de quarante-quatre pages d'un
Haapiiraa (leçons) sur le Livre de Mormon. Mille exemplaires
furent imprimés pour les Écoles du dimanche de la Mission. Il traduisit ensuite Two Thousand Gospel Quotations, par le
juge H. H. Rolapp. Le président et sœur Rossiter furent
relevés le 17 juin 1919. Le président renvoya sa
famille au pays et il resta pour terminer une grammaire
tahitien-anglais qu'il espérait avoir prête pour
l'impression en septembre.
La
visite de David O. McKay
David
O. McKay, membre du Collège des douze apôtres, fut la
première Autorité générale à
visiter la Polynésie française. Avec Hugh J. Cannon,
président du pieu de Liberty à Salt Lake City, il
visita, entre 1920 et 1921, toutes les Missions du monde. Ils
arrivèrent en avril 1921 à Papeete (Tahiti) et y
restèrent quelques jours.
Malheureusement,
Leonidas H. Kennard, le président de Mission, était à
Tubuai et ne put obtenir de place pour Tahiti. David O. McKay et Hugh
J. Cannon souhaitaient rencontrer les saints des Tuamotu mais ne
purent obtenir le schooner dont ils avaient besoin, de sorte qu'après
avoir passé quelques jours à Tahiti, ils poursuivirent
leur voyage vers la Nouvelle-Zélande. Lorsqu'il revint à
Tahiti, le président Kennard continua jusqu'en
Nouvelle-Zélande où il traita avec Elder McKay des
questions relatives à la Mission.
Elder
McKay avait pu constater par lui-même que la Mission avait
besoin d'un bateau. En Nouvelle-Zélande, le président
Kennard examina les possibilités d'acheter un schooner pour la Mission. « On décida qu'il fallait un bateau d'environ
80 tonneaux pour notre Mission, et deux compagnies de
Nouvelle-Zélande nous firent des offres. » On
demanderait à d'autres aussi de faire des offres. Le coût
estimé dépassait ce que l'Église estimait
pouvoir dépenser à l'époque pour un bateau.
Pendant
son séjour en Polynésie, Elder McKay entendit
l'histoire d'un certain capitaine Vaio que l'on répétait
souvent dans les cercles tahitiens. C'était un membre de
l'Église et il était capitaine d'un navire
gouvernemental. Un jour, le gouverneur du territoire vint inspecter
le bateau. L'équipage nettoya celui-ci de fond en comble et
prépara une collation pour une réception. Vint le
moment de lever un toast en l'honneur du gouverneur. On posa un verre
de vin devant chaque invité à une exception près.
Le capitaine Vaio reçut un verre de limonade. Un de ses
collègues protesta, prétendant que le gouverneur serait
offensé si le capitaine levait un verre de limonade au moment
du toast. En dépit de ces
protestations,
il tint à ne boire que de la limonade.
Avant le toast, il
expliqua au gouverneur pourquoi il allait lever un verre de limonade
au plus haut fonctionnaire du gouvernement du territoire. « Je
suis membre de l'Église de Jésus-Christ des saints des
derniers jours. Les lois de mon Église m'interdisent l'alcool
et le tabac. Tous les dimanches j'instruis les jeunes de mon Église
et je ne pourrais en toute conscience leur enseigner un principe que
je ne respecte pas moi-même. C'est pour cela que je lève
un verre de limonade en votre honneur. » Après le toast,
le gouverneur, homme d'une éducation parfaite, remercia
l'équipage pour son accueil exemplaire. Puis il se tourna vers
le capitaine Vaio et dit : « Je suis heureux de voir que vous
respectez les idéaux de votre Église. Je voudrais qu'il
y ait plus d'hommes de votre calibre pour assurer la bonne direction
de notre flotte administrative. » Elder McKay fut impressionné
par le courage manifesté par ce membre de l'Église qui
donna l'exemple à beaucoup d'autres.
La
visite de Rufus K. Hardy
En
1939, les saints eurent la bénédiction d'une expérience
toute particulière lors de la visite de Rufus K. Hardy, un des
sept présidents des soixante-dix. Elder Hardy avait rempli
trois missions en Nouvelle-Zélande, connaissait la langue et
le peuple maori et transféra son amour des Maoris aux
Tahitiens. Il arriva le 2 mai 1939 à Papeete et pendant les
mois de mai et de juin, visita les îles lointaines, rendant
visite aux communautés de saints.
Dans
son groupe il y avait Kenneth R. Stevens, le président de Mission, lona, sa femme, et leurs trois filles, ainsi que Doyle L.
Green et Howard L. Randall. À partir du 8 mai, ils se
rendirent sur le schooner Denise à Niau, Fakarava, Nihiru,
Hikueru, Hao, Tubuai et Tahiti. Partout où ils allaient, ils
visitèrent les saints et tinrent les réunions
appropriées : générales, de Sainte-Cène,
de prêtrise et de Société de secours. Elder Hardy
constata que la plupart des branches étaient complètement
organisées et que les réunions de prêtrise et de
Société de secours, d'École du dimanche, de SAM
et de Primaire avaient
lieu.
Partout Elder Hardy et son groupe reçurent une réception
royale avec des fêtes, des leis et des représentations
polynésiennes.
À
Tubuai, nota Elder Hardy, « beaucoup de travail a été
fait ici pour la construction d'une belle grande église ainsi
que d'une salle culturelle ». Le soir de leur arrivée,
il y eut une haapiiraa hohoa (leçon spéciale). Les
jours suivants, ils visitèrent les trois branches de l'île
: Ziona, Mahu et Taahueia. À Ziona, les saints avaient préparé
un « banquet somptueux. Ce soir-là nous découvrîmes
encore des talents d'art dramatique. » Les trois branches «
ont de splendides églises faites en pierres, bien éclairées,
aérées, bien entretenues et entourées de fleurs
; même les clôtures sont décorées de
guirlandes de fleurs plantées par les sœurs de la
Société de secours. C'était extrêmement
beau ». Ils rendirent visite ou
logèrent
chez frère et sœur Tetavira a Tahiata et Teriinui a
Tahiata. Lors de leur conférence du dimanche, les membres des
trois branches se réunirent. Le soir il y eut des haapiiraa
(leçons) bien préparées et bien présentées.
C'est
à Tubuai en particulier qu'Elder Hardy fut conscient du passé
historique. « Nous étions certains que nous avions
parcouru le même territoire qu'Elder Pratt en 1844, lorsqu'il
aborda ici et décida de rester avec les habitants de Tubuai,
laissant ses compagnons de continuer vers Tahiti. »
Pendant
qu'il était à Tubuai, le président Stevens fit
lire à Elder Hardy une lettre qu'il avait reçue du
gouvernement de l'Océanie française concernant le
ministère des missionnaires étrangers. Elle disait : «
Dans le règlement strict en vigueur, le séjour dans les
îles Australes est interdit aux personnes qui ne sont pas nées
dans ces îles… dont les adeptes natifs doivent assumer
la direction. » Par conséquent, lors de la conférence
du dimanche, Teao a Nauta fut soutenu et mis à part pour
continuer l'œuvre missionnaire à Tubuai en l'absence des
missionnaires. Elder Hardy donna son assentiment :
« Toutes
les organisations de l'Église sont apparemment en bon état
et toutes les branches prospèrent sous la direction des
présidences de branche. Nos Sociétés de secours
fonctionnent. La SAM marche et la Primaire fait un travail tout à
fait exceptionnel dans les trois branches. Par conséquent, vu
la décision du gouverneur, qui semble juste puisque toutes les
confessions sont traitées de la même façon, Teao
a Nauta assurera la direction. Les branches continueront à
prospérer et l'œuvre de Dieu est entre les mains de
dirigeants capables. »
Le
lundi 5 juin, Elder Hardy tint une réunion à Tahiti,
qui commença à 8 heures du matin et continua jusque 4
heures de l'après-midi. « Chacun des missionnaires parla
de son travail, de ses espérances et de ses aspirations. »
Faisant le point de ce qu'il avait vécu au cours de ces deux
mois, Elder Hardy observa que, compte tenu des années que les
missionnaires ont passées dans les îles, « les
progrès… que l'on aurait dû faire ne sont pas
visibles ». Il était d'avis que la Mission pouvait
marcher avec moins de missionnaires (il y en avait alors vingt-quatre
et il recommanda de réduire leur nombre à seize) et que
les missionnaires remplissaient dans les branches des rôles qui
empêchaient la formation et l'épanouissement d'une
direction locale. Il recommanda aux missionnaires de ne pas habiter
chez les saints et de ne pas utiliser la haapiiraa comme moyen
d'enseignement.
Le
gouvernement accepta le nombre maximum de seize missionnaires. Elder
Hardy quitta les îles le 22 juin 1939.
La
Mission pendant la Seconde Guerre mondiale
La Seconde Guerre mondiale, au départ un conflit entre puissances
européennes, ne tarda pas à s'étendre au
Pacifique, impliquant la Polynésie française, les
États-Unis et les pays du monde entier. Le déclenchement
des hostilités se produisit en septembre 1939, lorsque les
Allemands envahirent la Pologne. Deux jours plus tard, la France et
la Grande Bretagne déclaraient la guerre à l'Allemagne.
Les Allemands lancèrent leur Blitzkrieg (guerre éclair)
contre la France, et les forces allemandes entrèrent le 13
juin à Paris. La France capitula. Mais les Français ne
se laissèrent pas facilement soumettre. Le gouvernement qui
traitait avec Hitler s'installa à Vichy et fut à partir
de ce moment-là appelé le gouvernement de Vichy, ou la
France de Vichy, sous la présidence du maréchal
Henri-Philippe Pétain. Mais d'autres, avec le général
Charles de Gaulle, déclarèrent la France libre. Une
partie d'entre eux alla combattre les Allemands en Afrique du Nord,
les autres entrèrent dans la clandestinité pour les
combattre en France.
La
Tahiti française se trouva devant un choix : s'allier à
la France de Vichy ou à la France libre. Le gouvernement
organisa un plébiscite pour le début septembre. Le
peuple vota. Le résultat fut 5.564 voix pour la France libre
et de Gaulle contre 18 pour le gouvernement de Vichy.
La
guerre eut un effet profond sur la nation. Le président
Stevens fut relevé le 11 avril 1940 et remplacé le 1er
juillet par Eugene M. Cannon. Le président Cannon arriva le 3
août. Les rênes de l'administration de la Mission lui
furent confiées pendant les trois jours suivants, et la
famille Stevens et les missionnaires quittèrent les îles
le 7 août. Le président Cannon n'était en
fonction que depuis 68 jours lorsqu'il reçut, le 14 octobre,
un câble de la Première Présidence lui enjoignant
de renvoyer dès que possible tous les missionnaires chez eux,
afin d'y être réaffectés. Les restrictions que le
temps de guerre imposait aux déplacements et les difficultés
de communication rendirent très difficiles les dispositions
pour le retrait des missionnaires, retrait rendu encore plus
compliqué par le fait que Raymond W. Young dut être
opéré d'urgence d'une appendicite le 16 octobre.
En
même
temps qu'il négociait le transport vers les États-Unis,
Dean W. Haslem, secrétaire de la Mission, faisait les
préparatifs pour fermer la Mission. Il clôtura tous les
comptes des branches et des abonnements au journal, mit à jour
les registres historiques et créa du matériel pour les
leçons pour toutes les auxiliaires pour plusieurs années.
Le président Cannon laissa à Ah-ni a Mariteragi, ancien
local éminent et digne de confiance, la responsabilité
de la Mission jusqu'à ce que les remplaçants pussent
venir de Salt Lake City. Les dispositions pour le voyage purent
finalement être prises. La Mission fut fermée
le
19 novembre 1840, et la Bonecia, avec le président et
sœur Cannon et douze missionnaires, quitta le port de Papeete
sous les adieux du la Ora na d'un millier de personnes en
larmes rassemblées sur le front de mer.
Pour
présider la Mission pendant la guerre, l'Église appela
l'ancien président de Mission Ernest C. Rossiter. Il arriva le
6 juin 1941 à Papeete, avec sa femme et son fils. Ils y
trouvèrent Ah-ni a Mariteragi, qui veillait aux affaires de la Mission. Le président Rossiter le maintint en fonction et
l'appela à présider la branche de Papeete et à
apporter son aide dans les affaires de la Mission afin de lui
permettre, à lui, de parcourir la Mission et de visiter les
saints des îles lointaines.
Cela
laissa Venus Rossiter seule une grande partie du temps, et son asthme
s'aggrava dans le climat humide jusqu'à ce que le président
Grant estime qu'il était sage de la relever, ce qu'il fit en
octobre 1942. Mais le transport ne fut possible que plus d'un mois
plus tard, lorsqu'en décembre, le président Rossiter,
en réponse à ses prières, obtint des places pour
elle et pour son fils pour les États-Unis.
Le
président Rossiter était maintenant seul. La branche de
Papeete était en bonnes mains. Il n'y avait plus de
missionnaires étrangers dans la Mission. Par conséquent
il appela des frères et des sœurs locaux comme
missionnaires. Ce furent Tuehe a Timo, Teipo a Maire, Julliet a
Haapairai, Keha a Malumuh, Garono a Turoa, Heia a Mapuhi et Tefanaki
a Tukarua.
Les
magasins du programme d'entraide de l'Église envoyèrent
cinquante-six caisses de nourriture à Papeete pour le profit
des saints, ce qui aida beaucoup de familles pendant les années
difficiles de la guerre.
À
Takaroa, des bâtiments étaient en construction. Le
président Rossiter y passa trois mois, de mars 1944 jusqu'en
été, travaillant aux bâtiments avec la
population. Mais le lourd travail qu'il faisait là mit sa
santé gravement en danger.
À
son retour à Papeete (vraisemblablement en juin), il rencontra
« une grave épidémie de dengue » introduite
dans les îles par les soldats. Le président Rossiter se
mit à soigner les malades mais fut lui-même atteint. Il
était seul au bureau de la Mission à l'exception de
Ah-ni a Mariteragi, qui se rendait utile mais n'était pas
infirmier. Avec le temps la crise passa et la fièvre tomba,
mais il en resta affaibli, continua à perdre du poids,
toujours sous l'effet de la maladie. Les semaines et les mois
passèrent sans qu'il n'y ait d'amélioration, sans qu'il
puisse y échapper ni recevoir de meilleurs soins médicaux.
Les médecins lui
recommandèrent
de quitter immédiatement Tahiti pour sa santé. Mais il
n'en avait pas les moyens. En réponse à ses prières,
le sentiment lui vint : « Frère Rossiter, envoie un
câble à la Première Présidence. Elle
t'aidera. »
En réponse au câble, la Première
Présidence fit appel au sénateur américain
Elbert Thomas et à l'homme de loi Ernest L. Wilkinson, à
Washington D. C., qui usèrent de leur influence auprès
de la marine américaine pour qu'elle envoie un avion amphibie
de la Samoa américaine à Tahiti, et cela dans les deux
jours de l'envoi du câble par le malade. Le président
Rossiter fut transporté à Samoa où il resta
trois semaines avant d'être transféré à
l'île de Canton et de là à Hawaii pour une
hospitalisation de quatre semaines et ensuite à San Francisco.
Après y avoir passé un mois, on le considéra
comme suffisamment rétabli pour qu'il puisse quitter l'hôpital
et rentrer chez lui.
Après
dix mois d'hospitalisation, il rentra enfin en Utah en mai 1945. Le
15 février précédent, un « jour de jeûne
et de prière » en sa faveur avait été
organisé parmi les anciens missionnaires. Frère
Rossiter considéra « que c'était le jour même
où la dengue avait relâché son étreinte
sur [lui] ».
La
guerre était toujours en cours au début de 1945, et le
président Rossiter ne put retourner à Tahiti. L'Église
appela Edgar Bentley Mitchell, un ancien missionnaire, à
présider la Mission. Mitchell arriva à Papeete le 17
février 1945. Il n'y avait plus eu de missionnaires là-bas
depuis plus de quatre ans et plus de président de Mission depuis l'été précédent. Le président
Mitchell fut seul jusqu'au 8 novembre, jour où sa femme, Ruth,
et leurs enfants arrivèrent. On n'affecta deux missionnaires à
la Mission qu'en juin
1946,
près d'un an après la fin de la guerre. Avec l'arrivée
de la paix et du président
Mitchell,
accompagné par deux anciens présidents de Mission chargés d'acheter
du
terrain et de construire des bâtiments, une ère nouvelle
commença pour la Mission.
Note de la Rédaction
Pour poursuivre l'histoire jusqu'en 1982, voir : Yves Perrin, L'histoire de l'Église en Polynésie française.